18 | La valeur de l'innocence

La vague de magie est une déferlante. Elle emplit tout l'espace, pèse sur leurs membres, prive leurs poumons d'oxygène et leur imagination d'optimisme. Elle les étouffe autant qu'elle les écrase. Par contraste, Sirius sent à peine le poids de Aesthélia, d'une femme adulte sur son corps d'enfant.

Toujours allongé au sol, il voit vaciller tous les autres dans une scène alternativement éclairée de bleu et de jaune. Il entend des gémissements confus. Harry tombe à genoux, les mains crispées sur sa cicatrice. Il aimerait l'aider, mais n'arrive à initier aucun mouvement.

Sirius ne saurait dire combien de temps cela dure.

Trop longtemps, évidemment.

La réplique vient lentement. Comme si elle provenait du sol, des entrailles de la terre, avec une clarté rosée comme une promesse de l'aube. Elle endigue puis repousse progressivement la vague. Ce n'est pas laborieux, c'est profond et constant, comme si ça se nourrissait des particules de l'air ayant échappé à la colère de Lord Voldemort.

« Albus », souffla Sirius avec reconnaissance envers leur vieux mentor quand il en fut capable.

Aesthélia se redressa légèrement et attira Cruz contre eux deux. La fillette avait les yeux gris écarquillés de curiosité mais elle semblait au delà de la peur, songea Sirius sans oser poser une main sur elle.

Il voudrait pourtant. Il voudrait pouvoir faire que cela : regarder sa fille sous toutes ses coutures, la serrer contre lui, découvrir cette sensation, son odeur... Il nota presque à son insu qu'elle ne portait pas une robe blanche comme dans son apparition dans son esprit mais des vêtements sombres en lainage adaptés à la situation et au climat britannique. Ce n'était pas important. Moins que la médaille d'or blanc et de rubis qui pendat à son cou ; identique à la sienne. Etait-ce comme cela qu'ils étaient entrés en contact ? Comme cela qu'elle l'avait trouvé ?

Tant de questions. Quand viendrait le temps des réponses ? Peut-être pas tout de suite, se força à réaliser Sirius en voyant Remus se traîner jusqu'à Harry qui restait prostré au sol, les deux mains sur sa cicatrice. Sa cicatrice... Harry n'avait jamais semblé y faire attention ou en souffrir, jusqu'à l'autre jour quand Quirrel leur avait donné le cerf-volant... Combien de signes n'avait-il pas voulu voir ?

De l'autre côté de la pièce, Kingsley, Tonks et les deux jeunes Aurors qui les accompagnaient se mettaient debout face au professeur Quirrel, source de cette vague. Rien n'était fini. Ça c'était une certitude.

« Dumbledore ! », tonna la Voix aux yeux de serpent comme une confirmation inutile. Il y avait de la plainte et de la frustration dans son ton.

« Je ne dirais pas que j'avais hâte de te revoir, Tom », répondit Albus d'un endroit dans la pièce que Sirius ne pouvait pas voir de sa place. « Mais je savais pourtant que ce jour viendrait... »

« Vous n'aviez pas le droit ! », cracha la Voix avec une colère douloureuse. « Nagini... pourquoi m'avoir pris Nagini ? »

« Je ne crois pas que tu ignores pourquoi, Tom », commenta Albus, et il sembla à Sirius qui la clarté rose n'avait jamais été aussi forte.

Un éclair vert traversa la pièce, visant sans doute Albus et explosant les quelques meubles restants en myriade d'éclats de bois qui retombèrent sur eux tous. Remus projeta un sort qui les protégea de justesse, Harry, Aesthélia, Cruz et lui. D'autres sortilèges protecteurs furent lancés mais le résultat de la destruction resta impressionnant.

« Vous ne m'aurez pas, Dumbledore ! Si je meurs, tout le monde mourra avec moi ! », hurla la Voix alors qu'une nouvelle série de sorts émergeaient de la baguette de Quirrel comme un volcan entre en éruption. Des incendies s'allumèrent, le sol et les murs se lézardèrent, un vent magique balaya la pièce... la prometteuse clarté rose sembla reculer. Différents cris et gémissements s'élevèrent dans la pièce en même temps que des sortilèges de protection.

« Je cherche plutôt à vous libérer, Tom... Qu'est-ce qu'une vie dans le corps d'un autre ? Qu'est-ce qu'une existence sans âme ? », raisonna Albus.

A la fin de la tirade, la clarté rosée semblait avoir repris une certaine consistance contre les forces bleuâtres et jaunâtres convoquées par le seigneur des ténèbres.

« Plus de puissance que vous n'en aurez jamais, Dumbledore ! », hurla la voix aux yeux de serpent et un torrent sauvage et impétueux de force magique brute sortit de la baguette de Quirrel dirigée de nouveau vers Albus.

Sirius, toujours maintenu au sol par Aesthélia et sa fille écrasant le corps de Cyrus, vit Kingsley et Severus surgir au même moment, de deux endroits différents, pour dévier la course du sortilège visant leur mentor à tous. Ils se heurtèrent l'un l'autre sans trop de pitié pour rouler au sol avec des gémissements ravalés. Avant que Sirius ait pu se remettre de la double angoisse de voir des alliés à terre et d'avoir considéré Rogue comme un allié, Albus avait disparu de l'endroit où il se tenait. Le maléfice de Voldemort se perdit dans la vieille cheminée à moitié écroulée qui occupait le centre du mur derrière lui, provoquant une nouvelle chute de briques.

Albus réapparut à l'opposé de Sirius, Aesthélia, Cruz, Harry et Remus, aux côtés des trois jeunes Aurors qui entouraient un Pettigrow lié par de lourdes chaînes - encore qu'il n'ait pas l'air de songer à se rebeller ou aider Quirrel, nota Sirius avec un dégoût douloureux. Sans attendre une réponse de ses opposants, Voldemort utilisa le corps du timide professeur de Défense contre les forces du mal pour projeter une nouvelle vague plus jaune vers ce côté de la pièce. La vague fut d'abord bloquée puis détournée par Albus de nouveau vers ce qu'il restait de la cheminée.

Les trois Aurors en profitèrent pour lancer des sorts offensifs qui attirèrent sur eux une nouveau déversement de force brute. Sirius vit la jeune Auror – Dawn, s'il ne se trompait pas – grimacer puis tomber à genoux. Son collègue se mit devant elle pour la protéger et fut soulevé dans les airs puis balayé par la fenêtre. A son tour et avec un cri de colère, Dora fit un pas en avant, mais Albus la projeta de sa main malade contre le mur, lui évitant sans doute une peine plus intense.

« Non ! », lâcha Remus en se relevant, Harry serré contre lui.

« Lunard ! Il faut les sortir de là ! », essaya Sirius. « Harry, Cruz, il faut... »

«Mais que vois-je !?», persifla la Voix-aux-yeux-de-serpent. «D'autres jeunes corps ? Sans doute moins rebelle que ce petit Black ! Vais-je finalement devoir vous remercier Dumbledore?»

« Aucun de ces jeunes corps n'est pour toi, Tom », répondit Albus avec une intonation presque désolée, comme s'il s'excusait de détruire de nouveau les rêves de Jedusor.

« Lunard ! », souffla de nouveau Sirius, impatient.

Sans se retourner, Remus acquiesça lentement et poussa Harry vers lui. L'enfant commença par résister, puis se laisse tomber contre Sirius. Comme on renonce.

« Vous croyez ça, Dumbledore ? Tu me crois incapable d'apprécier le corps d'une fillette ou celui – ultime vengeance – de ce petit Potter ? Je commencerai bien sûr par l'affranchir de la nécessité de porter ces stupides lunettes ! », pérorait la Voix. La clarté rose et les nuées jaune et bleu semblaient plus ou moins arrivées à un point d'équilibre.

« Pobrezinho », souffla Aesthélia en prenant la main de Harry par dessus le corps de Cyrus. «Ne l'écoute pas ! »

« Le garou que vous lui avez trouvé comme garde du corps ne suffirait pas à m'arrêter, Dumbledore – ce pauvre Quirrel sera content de se venger de son air supérieur, savez -vous! Je lui dois bien ça ! », termina le Voix en levant imperceptiblement sa baguette.

« Tu te trompes de cible, Tom », essaya encore Albus.

Il y avait de la fatigue dans sa voix. Un certain découragement qui glaça Sirius plus encore que la voix aux yeux de serpent. Ils allaient peut-être tous mourir. Si Albus renonçait, ils n'avaient aucune chance. Lui dans un corps d'enfant, Aesthélia mieux armée pour la recherche théorique que le duel, Cruz et ses curieux yeux gris, Harry et ses yeux verts, Tonks et ses cheveux roses...

« Que croyiez-vous en les amenant là, Dumbledore ? Que je tomberais à genoux devant leurs âmes innocentes ?! », s'amusa la Voix. « Je sais que Potter n'aurait pas survécu sans le sacrifice de sa mère ! Mais celui de son père adoptif n'aura pas la même puissance, même donné sans arrière pensée ! Rien ne remplace le sang ! »

Il fallait faire quelque chose, s'affola Sirius. Il fallait que Aesthélia s'enfuie avec les enfants. Il tomberait aux côtés de Remus et ce serait une belle chose, juste et légitime, dont sa fille pourrait même être fière quand elle serait assez grande pour comprendre, l'achèvement d'un cycle. Il allait donner des instructions en ce sens quand il remarqua une lueur étrange entre Harry et lui. En se contorsionnant, il vit qu'elle émanait de la baguette de Harry – celle de Regulus.

Harry surprit son regard et commença à rougir, comme pris en faute, avant de souffler très vite : « Regulus sait ce qu'il faut faire... »

« Pardon ? »

« Il sait. Il va me guider. »

« Harry ! », s'inquiéta Sirius, le souffle coupé par les possibles qui traversaient son esprit. Ils n'auraient jamais dû donner cette baguette à Harry ! Son frère pouvait-il faire autre chose qu'inciter Harry à écouter des idées que nul ne devrait même jamais formuler ?

« Je ne suis pas encore mort, Voldemort ! », lâchait Remus d'une voix coléreuse pour la plus grande joie du Seigneur des ténèbres. Le sortilège d'incendie de Remus obligea Quirrel à se déplacer ; sa réplique contraignit Remus à trouver refuge derrière une table retournée.

« Cruz ? C'est bien le Brésil, hein, mieux que ici ? », demanda Harry d'un ton pressant. La fillette, toujours coincée entre Aesthélia et Cyrus, écarquilla encore plus des yeux.

Sirius sentit une angoisse énorme mais indéfinissable l'étreindre : « Harry, tu ne peux rien... »

« Tu diras à Papa que je m'excuse, hein, Sirius ? », souffla Harry avant de se lever d'un bond inattendu pour se tourner vers Quirrel et prononcer sans trébucher ces mots incroyables dans sa bouche : « Avada Kedavra ! »

Avant que Harry ait fini d'articuler la première partie du maléfice, Quirrel avec des réflexes étonnamment rapides avait répliqué, et Remus s'était jeté en avant pour s'interposer de tout son corps. Aesthélia l'assomma avant que Sirius ait eu dépassé sa terreur pour son filleul et son dernier ami vivant. Il s'écroula avant que le maléfice ne le touche. Les deux jets verts continuèrent leur course et se heurtèrent avec une violence rare, qui provoqua des ondes dans l'air et les fit tous reculer.

« Harry », gémit Sirius, à genoux maintenant que Aesthélia s'était relevée. Il avait sa baguette à la main - la baguette de la mère de Remus - sans arriver à formuler quel sortilège lancé.

Il n'y avait aucune raison logique pour que son filleul résiste à un maléfice lancé par un sorcier adulte. Et sans surprise, Harry se laissa lentement tomber, comme une marionnette dont on couperait un à un les fils.

« Voilà ! », hurla la Voix-aux-yeux-de-serpent. « Voilà ! »

« Meurs ! », répondit, comme un écho, une voix caverneuse – celle de Severus, qui s'était relevé.

Une pluie de sortilèges variés s'abattirent sur Quirrel en plus du maléfice impardonnable lancé par Rogue. Tous les sorciers dans la pièce, Sirius compris, avaient lancé quelque chose et le corps de Quirrel fut lancé dans les airs, pris feu et retomba lourdement sur le sol avec des craquements sinistres..

« Il est mort », indiqua inutilement Kingsley qui fut le seul à aller vérifier. Tous les autres entouraient Harry qui aurait semblé paisiblement dormir s'il avait respiré.

« Harry ! », sanglota Sirius se laissant tomber sur l'enfant sans retenue. Le corps de Cyrus n'était pas capable de mieux. Il avait failli une nouvelle et dernière fois à son filleul.

« Que quelqu'un s'occupe de lui », cracha Severus en le repoussant violemment. « Nous n'avons pas de temps pour des gamineries ! »

« Mais ? », protesta Sirius alors que Tonks le prenait dans ses bras comme un enfant qui se serait roulé par terre. Il vit Remus, debout, rigide, le sang dégouttant d'une plaie à la tête sans qu'il fasse rien pour l'arrêter. Ses yeux étaient fixés sur un point dans les airs.

« Tu sais encore lire une aura, Black ? », condescendit à expliquer Severus en indiquant de sa main gauche le phénomène qu'il avait conjuré au dessus du corps de Harry.

« Nous n'avons pas beaucoup de temps », souffla Albus avec une voix où l'âge et l'épuisement étaient patents. « Susan.. il faut l'amener à Susan... chez moi... »

« Je vais le transporter », indiqua alors Dora, lâchant Sirius en le poussant vers Aesthélia qui l'enserra juste à côté de Cruz qui ne regardait que lui.

« Que tous ceux qui peuvent partent », intervint Kingsley. « Sirius et Remus restent... j'ai besoin d'eux, mais tous les autres... partez... vite.»

« Dawn et Carley ? », s'inquiéta encore Dora, Harry dans les bras.

«On va bien », lui assura la jeune Auror. «Rien que du superficiel...»

oo

Sirius, collé à Remus que Dawn avait pansé, regardait opérer l'escouade de renfort envoyé par le Bureau des Aurors. Pettigrow avait été emené pour un interrogatoire officiel ; le corps de Quirrel envoyé pour analyse à Sainte-Mangouste. Ils avaient été interrogés par Kingsley accompagné de Dawlish et attendaient d'être autorisés à partir.

« Professeur Lupin... je pense que nous vous avons retenu assez longtemps... vous devez être épuisés - votre fils surtout », finit par leur annoncer Dawlish. « L'enquête va continuer... il est possible que nous revenions vous déranger... »

« Nous sommes à la disposition de la justice », formula Remus avec une espèce de raideur distraite.

« Je peux vous joindre à Poudlard ? », vérifia Dawlish.

« Je vais d'abord faire examiner mon fils – il a été maltraité pendant son enlèvement... je voudrais l'avis du docteur Smiley ; elle nous attend... »

« Bien sûr, professeur », recula cette fois l'Auror. « J'espère que tout ira bien. »

« Moi aussi », lui accorda Remus.

« On va où ? », questionna Sirius quand ils furent dans le parc. Remus faisait de grandes foulées et il avait du mal à suivre.

« A Sainte-Mangouste. »

« Mais.. Harry ? »

« Aller droit chez Albus... serait un luxe... extravagant comme lui-même aime le formuler », expliqua Remus avec une patience brutale. « Mais Susan saura... »

« Comment tu peux... ? », s'offusqua Sirius.

« Cyr... Sirius, le pire n'a pas eu lieu – c'est une réalité...une réalité difficile à croire - quelque chose qu'il faudrait peut-être célébré mais... mais on n'est loin d'être sortis de tout problème... Pettigrow sera sans doute inculpé, mais cela veut dire qu'on va aller à Azkaban et découvrir que tu n'y es plus depuis longtemps... Les combats vont être multiples et... »

« Tu es en train de me dire que tu me fais passer avant Harry ? », s'étrangla Sirius.

«Merlin !», gronda Remus sans le regarder. «Tu crois que je pense à autre chose qu'à Harry?»

Sirius n'osa rien dire pendant les quelques mètres qui les séparaient encore de la grille de la maison Jesudor. Il se laissa entraîner par l'adulte nerveux et épuisé qui était censé être son père. Il se contenta d'opiner sobrement quand Remus indiqua sans autre fioriture qu'ils allaient transplaner. Ils se matérialisèrent à la Croisée des chemins avant de prendre une cheminée pour Sainte Magouste où effectivement le docteur Smiley les attendait.

« Professeur Lupin », les accueillit-elle avec gentillesse. « Vous devez être épuisés. Laissez moi vous examiner tous les deux... »

« Dites-moi pour Harry », l'interrompit Remus avec autorité.

« Il dort. Il est totalement vidé, mais ses jours ne courent aucun danger. Tant que sa présence n'est pas nécessaire, je recommande qu'on laisse sa magie faire le reste... »

« Aucun effet secondaire... ? », vérifia Lunard avec une pointe de supplication dans la voix, cette fois. - Il a trop peur d'être détrompé maintenant que le pire n'est plus certain, comprit Sirius, regrettant ses paroles précédentes.

Susan Smiley pointa sa baguette vers la porte de la salle d'examen avant de répondre, lentement et en les scrutant à tour de rôle pour suivre l'effet de ses paroles sur l'homme et l'enfant : « Le sortilège de mort l'a touché mais il... il a détruit autre chose que sa vie... il a détruit... sans doute un dernier... Horcruxe... Je ne serais pas aussi affirmative si Harry ne nous avait pas dit que Regulus lui avait expliqué cela pendant l'affrontement... »

« Un Horcruxe ? », coassa Remus d'une voix atone.

« Il aurait été créé par le sacrifice de sa mère et se serait localisé dans sa cicatrice... Albus, Severus et moi pensons que Voldemort l'ignorait... mais ce ne sont que des suppositions... », développa doucement Susan.

« Vous voulez dire que s'il ne s'était pas jeté... littéralement jeté devant le sortilège... le Horcruxe aurait empêché la destruction de Voldemort », articula Remus avec un mélange détonnant de colère, de soulagement et d'effroi.

« C'est ce que lui-même dit », confirma tranquillement Susan Smiley avec un sourire compréhensif. « J'imagine... Severus m'a raconté la scène et je comprends combien pour vous... Harry s'est volontairement sacrifié... Regulus lui ayant promis que, sans doute, il s'en sortirait... mais il n'avait aucun moyen d'en être sûr... Il nous a dit avoir pensé au Brésil en le faisant... »

« Avant de le faire, il m'a dit de te demander de l'excuser », se rappela Sirius.

« Et tu l'as laissé faire ?! », tonna Remus.

« Rem.. comment aurais-je imaginé ce qu'il avait en tête ? », plaida Sirius à regret. Il y avait beaucoup de choses pour lesquelles il aurait encaissé des remontrances sans broncher. Il ne se pardonnait pas de ne pas avoir vu arriver le piège du cerf-volant, par exemple. Mais le cauchemar du manoir Jedusor ne lui disait qu'une seule chose : à quel point il avait été dépassé par l'affrontement et sa résolution. Il n'y avait rien eu de plus qu'il ait pu entreprendre. « Il avait l'air agité mais déterminé... Tout allait si vite... Je le croyais encore à côté de moi quand il pointait sa baguette... »

« La baguette de Regulus », précisa sombrement Remus. « Tu avais raison, je n'aurais pas dû...»

« Non, tu avais raison... Il n'aurait pas eu cette baguette, il serait mort, Remus », le contredit Sirius. « Je comprends ta peur... mais... »

« Tu veux que je le félicite !? »

«Disons qu'il a payé le prix de sa liberté», répondit Sirius sans savoir d'où il sortait la formulation. «Il va pouvoir être un petit garçon comme les autres, Remus. Enfin et pour toujours!»

La voix aiguë rendait ses paroles un peu étonnantes mais le docteur eut l'air de les apprécier.

«Tu crois ça ? », interrogea amèrement Remus.

« Remus, je n'ai pas laissé Harry parler longtemps parce qu'il a avant tout besoin de repos », intervint le docteur Smiley. « Mais ce qu'il transparaissait de ses paroles, ce n'était pas une fierté ou une quelconque exaltation. Il n'était pas fier de lui. Il était soulagé d'avoir survécu – 'que Regulus ne se soit pas trompé', je cite. Mais il était aussi sûr que vous deviez être mort de peur pour lui. Il voulait tout le temps savoir quand vous alliez venir et s'inquiétait de votre réaction. Il a besoin de vous, Remus. Il a besoin que vous l'aidiez à mettre tout cela derrière lui. »

« Je ne saurais pas », décida Remus brusquement. « Qu'est-ce que je peux lui dire ? Qu'il a eu de la chance ? »

« Examiner avec lui ce qui était rationnel ou non, comprendre pourquoi il a décidé d'écouter ce que lui suggérait Regulus... l'aider à construire sur ce traumatisme... »

« Lui renvoyer un miroir sans complaisance », proposa Sirius à son ami. « C'est pas ça que tu m'a dit – élever un enfant, c'est tendre un miroir bienveillant mais sans complaisance ? »

«Avant d'aller lui parler, vous prendrez le temps d'avaler une potion calmante et de manger », intervint de nouveau le médecin, en indiquant à Remus sa table d'examen. « Ne vous oubliez pas, Remus. Vous n'avez pas fini. Vous avez besoin de toutes vos forces... »

« J'imagine », soupira Remus en s'allongeant.

« J'ai d'autres messages pour vous : Aesthélia et Cruz sont aussi chez Albus. Cruz va prendre la place de Cyrus le temps de la transformation... », indiqua le médecin après une série d'examens.

« La transformation ? », s'enquit Sirius les deux mains sur sa poitrine.

« On a besoin de vous, Monsieur Black. Il va falloir qu'on vous retrouve... ou plutôt que vous négociez le droit de témoigner à votre propre procès de réhabilitation... »

« Albus en est déjà là ? », apprécia Remus, les yeux fermés. Paradoxalement, il avait d'autant l'air plus fatigué que les yeux ouverts, songea Sirius en se demandant si c'était l'effet de la fatigue qui expliquait combien il se sentait détaché des informations qu'il recevait. Témoigner à son propre procès ? C'était une nouvelle plaisanterie, sans doute.

« Al... Albus n'a pas de temps à perdre... et très peu à vivre... La destruction des Horcruxes - avant que vous alliez là-bas - l'avait profondément affaibli et son affrontement avec Voldemort a fait le reste», regretta ouvertement Susan en tendant à Remus deux flacons de potions qu'elle avait été sélectionnés dans une armoire. Alors que ce dernier avalait le premier flacon avec une légère grimace, elle se tourna vers Sirius pour lui annoncer : « Il aimerait vous voir réhabiliter, Monsieur Black... C'est sa dernière volonté ou presque... »

« Vous... vous allez l'aider ? », souffla Sirius intimidé.

« Oui. Severus et moi allons l'aider. Nous allons soutenir ses forces et accompagner votre... croissance rapide... »

ooo

« Papa ! », s'écria Harry quand ils entrèrent dans le petit salon d'Albus à Finchley presque une heure plus tard.

Dans une autre vie, Cyrus avait partagé un petit déjeuner fondateur avec Albus dans cette pièce. Mais pour l'heure, il y avait foule : Aesthélia, Cruz, Albus et Harry. Tant de gens à qui Sirius tenait.

Son filleul sauta du fauteuil sur lequel on avait dû l'enjoindre de se reposer, rejetant une couverture écossaise, pour se jeter dans les bras de Remus en répétant : « Pardon, Papa, Pardon ! »

« Harry, Merlin, Harry », répondit tout aussi circulairement Remus, les yeux fermés, l'enfant serré contre lui.

- Ne le lâche pas, Harry, songea Sirius, le cœur étrangement battant. Ne le laisse pas s'enfuir. Tu as besoin de lui, et lui de toi.

« Je sais », soufflait Harry toujours centré sur Remus. « C'était une... bêtise.. une folie... sauf que Regulus disait que c'était la seule solution... et tu avais dit qu'il ne s'arrêterait pas... Voldemort... Je... je te jure que j'ai cherché une autre solution ! »

Un amusement fatigué s'installa sur le visage de Remus en réponse à cette dernière affirmation.

« Si en plus, tu as réfléchi... »

« Je jure ! », insista l'enfant, les larmes aux yeux. « Grand-père, il n'y arrivait pas... Dora, les Aurors non plus... Sirius... toi... il n'y avait que moi, que cette solution...enfin, je crois. »

« Je crois aussi », souffla Remus en le serrant encore plus fort.

Albus qui les regardait depuis un fauteuil près de la cheminée acquiesça dans le vide comme pour les remercier de ces paroles. Sirius eut l'impression que si Remus l'avait vu, il aurait de nouveau explosé. Mais le plus important était Harry. Harry avait besoin que Remus admette qu'il avait fait le bon choix - ou le seul choix possible.

« J'ai pensé au Brésil... qu'on irait tous au Brésil, après... », ajouta encore son filleul avec une voix innocente.

« Au Brésil ? », releva Sirius, et Harry se tourna pour la première fois vers lui. Il serra une nouvelle fois son père dans ses bras minces avant de se ruer vers lui.

« Cyrus ! Enfin... »

« C'est pareil, Harry. Moi aussi, je suis content », souffla Sirius en réponse.

« Mais maintenant... tu vas être Sirius seulement, hein ? », souffla l'enfant aux yeux verts très bas.

« On va voir si j'y arrive, mais... »

« Cruz a besoin d'un Papa », estima Harry avec son inimitable air sérieux.

« Ne mets pas la barre trop haut, Harry... une pression de plus et je pourrais m'enfuir », murmura Sirius avec sincérité.

« Toi ? Non. T'es pas le genre qui s'enfuie », estima Harry avec innocence.

« Toi non plus », constata Sirius.

Harry baissa la tête, embarrassé.

« Toi aussi, tu as eu peur », soupira-t-il. « Désolé... »

« Je crois qu'au concours des excuses, je risque de sortir gagnant... Sans moi, on aurait montré ce cerf-volant à Remus et on serait... on aurait eu moins peur, tous... »

« Tiens, même pas la faute de Cyrus », remarqua Lunard lentement.

« Non », admit Sirius. «Non, Cyrus - dans son innocence - ne voyait pas pourquoi il faudrait te cacher ce cerf-volant ou la soudaine bienveillance de Quirrel... Je suis celui qui a pensé que le contraire... »

« Quirrel... Quirrel aussi était innocent », remarqua lentement Albus. Remus inspira et Sirius pensa un temps qu'il allait exploser et sentit aussi que ce qu'il restait de Cyrus en lui s'inquiétait de pouvoir en être la cause. Mais son ami préféra se murer dans un silence têtu. Aujourd'hui il pouvait être compris comme une force ; Sirius se rappelait d'un temps où il n'avait pas su voir la désapprobation que ce silence contenait. Albus, lui, n'eut pas besoin de sous-titre. « Remus, je vous demande pardon moi aussi... », indiqua leur ancien mentor avec simplicité.

« Vous pouvez, Albus », constata Remus froidement.

«Je... J'ai eu dès... j'ai toujours eu des doutes quant à la disparition totale de Voldemort », finit par formuler le vieux sorcier avec des hésitations peu habituelles. « Des signes de sa persistance étaient là... je ne vous l'ai jamais caché, Remus, mais vous n'avez jamais voulu...» Remus le regarda si durement que Albus se tût un instant. « J'ai pensé que nous avions le temps et aucune certitude. Mais rappelez vous, Remus, combien de fois vous ai-je invité à réfléchir à la nature de la cicatrice de Harry ? »

Ce dernier lâcha Sirius pour aller prendre la main de Remus. Un soutien muet et total. Il y avait peu de temps encore, Sirius en aurait été jaloux. Là, il décida que Lunard avait besoin de toute l'aide dont il pouvait disposer et il imita Harry. Au moment où il prenait l'autre main de Remus, il crut lire l'approbation dans les yeux d'Aesthélia qui jusque là était restée impassible comme une statue moldue.

« Non, Albus, je n'ai pas oublié », soupira Lunard. « Admettons même que je n'ai pas voulu voir auparavant mais, ce matin, quand vous êtes venu à Poudlard, vous avez... »

«Remus, vous aviez compris... je l'ai lu dans vos yeux... si vous en prendre à moi, vous aide...»

« Non, pardon... je ne crois pas que ça allège ma propre conscience... il faudra du temps... »

« Oui... »

« Et l'urgence est ailleurs », reprit Remus sur un ton différent.

« Oui », répéta Albus l'air prodigieusement fatigué. « Susan vous a expliqué... »

« Vous avez négocié le retour de Sirius... »

« Je suis en train... Fudge est furieux... il veut absolument un coupable pour son évasion... »

« Et je suis un bouc-émissaire idéal... », imagina Remus sans difficulté.

« Il ne faudrait pas qu'il puisse douter du reste de nos... histoires... », confirma Albus.

Remus regarda Cruz assise sur les genoux d'Aesthélia. L'enfant lui sourit timidement

« Cruz est d'accord », indiqua la Brésilienne. « Nous lui avons déjà coupé les cheveux », rajouta-t-elle, « un charme aurait été trop dangereux... »

« Mais certains l'ont vue...Rusard... », intervint Harry.

« Non, je l'ai cachée jusqu'au bureau de Remus », l'interrompit Aesthélia. « Vous seuls l'avez vue... et votre elfe... »

« Linky ne dira jamais rien contre nous », la rassura Remus. « J'allais presque rajouter malheureusement pour elle. »

Sirius n'avait pas beaucoup d'intérêt pour les éventuels problèmes de conscience de l'elfe de Remus.

« Et Rog... Severus est en train de préparer la potion ? », demanda-t-il laissant le sarcasme remonté dans sa voix malgré le risque du ridicule dans une voix si aigue. « Vous êtes donc sûrs de ma décision ? »

« Oh », commenta pensivement Albus. « non, bien sûr. Le choix final vous revient. Mais depuis des semaines, j'avais cru comprendre que vous n'aviez de cesse, de regagner votre identité... »

Sirius haussa les épaules.

« Effectivement, mais... »

« Nous pourrions vous laisser », intervint Remus . « Aesthélia, Cruz et toi... ou l'inverse, Albus, si vous ne vous sentez pas... »

« Remus, je peux encore marcher... Je ne suis pas sûr de pouvoir transformer une épingle en hérisson, mais marcher... je peux le faire... surtout si vous m'offrez votre bras... Vous avez raison, Sirius a besoin de réfléchir avec... les siens... Allons voir si nous ne pourrions pas avoir un thé et quelques gâteaux... je pense que nous les avons bien mérités... »

Quand la porte se referma sur Harry, Remus et Dumbledore, Sirius ressentit une vague de panique.

« Tout cela va trop vite », commenta Aesthélia sans bouger.

« Un peu », souffla Sirius.

Après un silence tendu, il finit par venir s'asseoir en face d'elle. Il se sentait minuscule dans le fauteuil que Albus venait de quitter. Aesthélia chuchota quelque chose à l'oreille de Cruz qui se laissa glisser au sol, devant la cheminée. Sa mère l'imita. Leur grâce éblouit Sirius comme un rayon de soleil printanier en hiver. Sans un mot, il se mit à leur niveau avec l'impression d'être beaucoup plus emprunté qu'elles dans ce geste quotidien.

« Quand tu es parti, il y a... dix ans... j'étais enceinte mais je ne le savais pas... », commença la Brésilienne avec simplicité.

Sirius ravala le « je sais » qui lui venait. Interrompre Aesthélia était la pire chose qu'il aurait pu faire.

« Quand j'ai su que tu ne reviendrais pas... », reprit-elle après un répit. « J'ai hésité mais... finalement Cruz était tout ce qu'il me restait... »

« Cruz », répéta Sirius en regardant la fillette qui avait exactement sa taille, exactement ses yeux et maintenant exactement sa coupe de cheveux.

« Cruz Magelys Da Silva », confirma Aesthélia avec une caresse pour la tête de sa fille – de leur fille.

« L'étoile du Sud », commenta Sirius avec toute l'affection et l'approbation qu'il pouvait mettre ans trois mots. Il n'avait pas eu le temps de poser la question, mais il savait que, d'une façon ou une autre, c'était elle qui l'avait sauvé. Il avait été sauvé par une étoile innocente et belle.

« Je n'avais aucune idée de ce que tu aurais voulu mais... on a tellement de fois regardé les étoiles... », souffla Aesthélia avec un zeste de timidité.

« Aesthélia... on m'a volé près de dix années... une fille ? Je n'avais même pas rêvé de pouvoir avoir une fille... je... j'imagine que c'est ridicule avec cette apparence, mais... »

« Le garçon, Cyrus, il disparut... il disparut quand j'ai été là bas, dans la cuisine... », intervint pour la première fois Cruz. « Il n'a plus été là... non trouvable ! »

« J'étais trop inquiet pour toi, pour ta mère, pour Harry... ce ne sont pas des sentiments... où il a sa place - on peut parler portugais, Cruz », proposa Sirius en changeant lui-même de langue. « Cyrus a appris, et ce souvenir-là je ne compte pas le perdre... »

« Je veux apprendre l'anglais... et voler sur un balai », indiqua Cruz.

« Je serai heureux de... de faire ça avec toi », sourit Sirius.

Cruz eut un sourire timide avant de reprendre son enquête :

« Tu vas être vieux... comme Maman ? »

« Oui, exactement comme elle », sourit largement Sirius. Jamais être vieux ne lui avait paru une aussi bonne idée.

« Et tu ne devras plus te cacher ? »

« J'espère que non », répondit Sirius avec sincérité.

« Je vais m'appeler Black ? », continua la fillette qui semblait avoir dressé une liste assez précise de changements possibles.

Il y avait quelques semaines, Sirius aurait trouvé cela un peu ridicule et enfantin. Il avait appris à comprendre et aimer les rites de l'enfance.

« Uniquement si tu le souhaites », indiqua-t-il. Il n'était pas tellement sûr lui-même d'avoir envie de revendiquer son nom de famille et tout ce qui irait avec. Il avait plutôt aimé s'appeler Lupin. Il faudrait qu'il y réfléchisse.

« On vivra ensemble ? Tous ensemble ? », enquêta encore Cruz avec curiosité.

Sirius regarda Aesthélia, ses yeux, son visage, ses cheveux. Les légères rides autour de ses yeux. Il se refusait à tendre la main vers elle tant qu'il avait ce corps d'enfant, ce corps innocent et ridicule. Il ne savait pas ce qu'elle pouvait penser mais elle ne semblait pas hostile au rêve, et il décida d'oublier tout ce qu'il avait pu accumuler comme cynisme au cours de sa vie pour répondre: « Je sais que rien ne prouve qu'on réussira mais... pour l'instant c'est mon rêve le plus cher... »

oooo

Voilà une grosse étape de faite, non ? Reste à réaliser les rêves d'un paquet de personnages et à mesurer le prix de certaines choses...

Courrier bienvenu.

Pendant mon silence j'ai pas mal avancer la saison 6. A la semaine prochaine pour des parutions plus régulières.