19 | Les tourments de la croissance
Cruz et ses cheveux courts partirent avec Remus et Harry. Elle avait avant revêtu des vêtements de Cyrus et promit trois fois – et en deux langues - à Aesthélia d'être sage, prudente et patiente. La fillette hésita, Sirius le sentit, à lui réitérer la promesse mais leur similitude de tailles la conduisit à une embrassade brésilienne et hésitante. Il eut ainsi une impression furtive de son odeur, un peu sucrée, qui ne fit que renforcer sa frustration.
En adultes responsables et identifiables, Remus affirma que tout se passerait bien, et Aesthélia dit qu'elle lui faisait confiance. Harry fut sans doute le seul à estimer qu'il devait le rassurer et vint lui promettre à mi-voix qu'il s'occuperait de Cruz. Sirius se retint de leur dire d'éviter le cerf-volant.
Quand la porte se referma sur leurs trois silhouettes, il se sentit vaguement affolé. Non, il n'était pas réellement inquiet pour Cruz – il avait confiance en Remus et Harry. Mais la porte qui se refermait sonnait comme la fin de quelque chose. Ce n'était pas un enfermement, c'était ce qu'il voulait, mais Remus et Harry représentaient une certaine sécurité qui lui échappait avec cette porte qui se fermait.
« Tout va bien se passer », répéta Aesthélia, cette fois pour lui. Ils étaient debout sur le pallier du grand escalier central de la demeure d'Albus, et Sirius se sentait un peu écrasé par sa stature. «Je vais... je serais là, Sirius... »
« Je ne suis pas sûr de... d'avoir envie que tu me voies dans... cet état », murmura Sirius, intimidé et incertain. Mais si elle part, je serais seul, réfléchissait une autre partie de son cerveau. Seul, livré à Rogue... Il en aurait presque ri - de douleur, comme quand il avait réalisé l'ampleur de la traîtrise de Peter.
Aesthélia le regarda longuement avant de l'attirer pour qu'ils aillent s'asseoir dans la pièce qui avait déjà été sa chambre la première fois. Elle choisit un canapé bas qui réduisit leur différence de tailles. Elle lui tenait les deux mains et plongeait ses yeux dans les siens quand elle demanda: «Tu le fais pour moi – au moins en partie, non ? »,
« Oui », admit Sirius, la gorge terriblement serrée. Ses yeux, ses mains... est-ce qu'il ne se pliait pas au plan justement pour les tenir à l'avenir fermement ?
« Alors, je veux être là... je dois être là... », argumenta Aesthélia.
« Tu veux... mais je ne veux pas que tu me voies... je ne sais pas, diminué ou souffrant », plaida-t-il. La petite voix de Cyrus rendait sa plaidoirie inutilement larmoyante, s'agaça-t-il.
« Tu veux affronter cela seul ? »
« Je... Aesthélia, c'est déjà dur pour moi d'être... de paraître un enfant... »
«Sirius, on veut essayer de construire notre avenir ensemble... Et tu veux commencer... par vivre ce qui rendra cela possible tout seul ?», plaida Aesthélia. «Tu n'en as pas eu assez, déjà ? Je n'ai pas déjà passé suffisamment de temps à m'inquiéter pour toi – ou pire, à m'interdire de le faire ? Tu veux qu'on continue à se battre chacun tout seul, sans le soutien de l'autre ? Moi, j'en ai assez : je veux savoir ce que tu auras traversé ; je veux être là pour te rassurer, pour te soigner si besoin... C'est très courageux ce que tu vas faire... »
« Dit comme ça », soupira Sirius, attendri à son insu. Il gardait cependant l'impression qu'il aurait dû refuser. Il était sûr que le Sirius d'avant Azkaban n'aurait jamais accepté cela. Mais est-ce que ce Sirius-là n'avait pas pris un certain nombre de mauvaises décisions ? Ne devait-il pas au moins à Aesthélia de ne pas refuser ?
Comme s'ils avaient su qu'ils étaient plus ou moins arrivés à une conclusion, Susan Smiley et Severus Rogue entrèrent alors de conserve dans la chambre.
« Oh, Papa étant parti, on cherche une maman de substitution maintenant », grinça Rogue en refermant la porte. Susan Smiley, qui était entrée plus avant, s'arrêta net, l'air offusquée de la remarque. Quand elle le toisa avec impatience, le maître des potions haussa les épaules avant de proposer une autre lecture, à peine moins agressive : « Ou une infirmière ? »
« Je veux être là », affirma Aesthélia en affrontant calmement Severus. Sirius l'aima de tout son cœur d'avoir ce simple courage. Elle aurait hurlé qu'elle l'aimait qu'il n'aurait pas été plus ému.
« J'ai déjà entendu ça, aujourd'hui même... Vous n'avez pas l'habitude qu'on vous refuse quoi que ce soit, j'ai bien l'impression, madame Marin Da Silva. Vous aviez tout pour vous entendre, Black et vous ! », s'agaça de nouveau Rogue avec une véhémence que finalement Sirius n'avait plus subie de sa part depuis des semaines.
« Severus ! », s'indigna clairement Susan Smiley, et le maître des potions se détourna pour poser sur une table le sac qu'il a amené sans faire d'autres commentaires. Ces deux-là avaient une relation établie et différente de tout ce que Sirius aurait pu imaginer.
Malgré l'intervention, Aesthélia ouvrit des yeux ronds médusés et sembla très proche de répliquer vertement à Rogue. Sirius se demanda mollement s'il devait laisser les deux femmes régler son compte à Severus. Il avait le sentiment qu'elles seraient plus efficaces que lui, qu'il ne pouvait que rajouter de l'huile sur un feu déjà haut et clair sans changer quoi que ce soit aux réflexes ancrés dans un passé qui lui semblait finalement assez lointain. N'auraient-ils pas dû tous mourir ce matin même à Little Hangleton ?
« Pourquoi venir à mon secours, S...Severus si tu me préférerais mort ? », il décida quand même de demander. La petite voix pointue de Cyrus rendait la question naïve mais tant pis. Dans le fond, c'était la seule question à poser.
« Pas pour toi », admit Severus après un long moment pendant lequel il organisa une série de flacons sur la table. Un peu comme on range ses pions d'échecs avant une partie.
Alors que Susan levait les yeux au ciel, Sirius opina dans le vide. Severus faisait ça pour Albus sans doute, pour Remus et Harry plus sûrement... Le mécanisme lui échappait mais il avait vu de ses yeux Severus abattre Quirrel alors... quelques soient les motivations de son vieil ennemi devenu maître des potions, il ne pouvait pas continuer à le tenir pour un traître. Pas totalement en tout cas.
«Aesthélia veut m'aider... vous aider... Elle en sait assez long sur les potions pour être utile», expliqua-t-il donc avec sincérité. Est-ce que Rogue pouvait se rendre compte de ça ? Il n'en était pas sûr.
« Je comprends », affirma Susan Smiley avec un sourire pour l'ethnomage. « Et ce ne sera pas de refus... Le processus va être intense... et sans doute douloureux... Nous pensons qu'il va prendre trois jours : deux jours de croissance et une journée de stabilisation... »
Sirius ferma les yeux, le corps d'enfant qui l'abritait craignait de nouvelles douleurs. Aesthélia lui prit la main et la serra.
« Je ferais ce que vous me demanderez », indiqua-t-elle à la médecin qui continuait à lui sourire.
« Le faire tenir en place sera déjà quelque chose », grinça Severus qui s'était retourné.
Sirius sentit la colère l'envahir comme une surprise mais Susan fut plus rapide que lui. Elle ignora Rogue pour venir se mettre à genoux devant le corps d'enfant qui l'abritait. Ses deux mains sur ses cuisses comme pour éviter qu'il ne se rue sur l'homme insupportable.
« Sirius, est-ce que vous vous sentez capable de commencer ce soir ou... ? »
« Attendre ne changera rien », il répondit plus hargneux qu'il ne l'aurait voulu. Susan Smiley n'y était pour rien.
« Très bien. Nous avons mis au point un protocole progressif avec Severus basé sur ce les observations qu'il a pu...mener lors de votre... première expérience... Nous pensons maîtriser le processus mais grandir en plus douloureux que.. l'inverse... physiquement... On l'oublie mais les enfants ont mal quand ils grandissent... Je vais essayer d'alléger ces douleurs au maximum... »
« Merci », indiqua Aesthélia quand elle fut sûre que Sirius ne le ferait pas de lui-même.
« Bien... allons-y alors », décida Susan en se relevant et en se tournant vers Rogue qui avait pris la mine de quelqu'un qui s'ennuie prodigieusement des gamineries auxquelles il est contraint d'assister. Quand la médecin lui fit sgne, le maître des potions acquiesça néanmoins, assez mécaniquement, et s'empara du premier flacon aligné précédemment. Un liquide bleu turquoise le remplissait, et sa vue tordit les tripes de Sirius. Aesthélia serra plus fort sa main.
« Ta décision est prise, Black ? », souffla Severus en plantant ses yeux plus noirs que l'obsidienne dans ses yeux à lui. Il le dominait de si haut. Pourtant Sirius sentit pour la première fois autre chose que la haine dans ses yeux.
« Dans ce sens-là... oui, je n'ai pas un seul doute », murmura Sirius en s'obligeant à ne pas détourner les yeux.
« Alors », accepta Severus avec raideur en lui tendant le flacon.
Oo
Les tourments de la croissance s'emparèrent de lui. Les soins du docteur Smiley rendaient sans doute le processus moins douloureux qu'il aurait pu l'être mais, généralement, ils le plongeaient dans une espèce de transe fiévreuse où il avait l'impression de voir son corps de l'extérieur, allongé sur un lit, une compresse fraîche sur le front... à chaque heure plus grand, plus large, plus lourd...
Aesthélia était tout le temps là quand il ouvrait les yeux. A chaque fois. Il s'inquiéta vaguement de savoir si elle dormait, si elle mangeait, si elle avait des nouvelles de Cruz, de Harry, de Remus. Il n'eut pas la force de demander. Elle par contre ne cessait de s'occuper de lui, de ses besoins, de son confort. Elle lui parlait aussi, tout le temps. En portugais, chantant, chaleureux, prometteur.
Elle lui racontait leur fille : ses neuf années à grandir entre Rio et l'Amazonie avec sa mère. Cruz avait une passion pour les oiseaux, dont elle imitait particulièrement bien le chant, et les orchidées. Elle piquait des colères homériques devant la moindre injustice mais avait du mal à partager ses jouets. Son petit déjeuner préféré se composait de mangues et de lait, mais elle détestait la viande. Elle montait à cheval comme un centaure et grimpait aux arbres comme un singe, mais avait du mal à s'intéresser longtemps aux leçons qu'elle essayait de lui faire suivre malgré leur vie peu régulière. Elle ne s'était jamais tellement inquiétée de l'absence de son père, Aesthélia reconnaissait qu'elle n'avait rien fait pour l'encourager, mais elle rêvait depuis des années d'avoir un petit frère...
Aesthélia lui parlait aussi de son travail et de ses propres rêves. Il y avait notamment l'envie de créer une école – elle préférait parler de refuge où les enfants qui ne naissaient ni dans une famille sorcière, ni dans une communauté traditionnelle capable de reconnaître, encadrer et valoriser leurs dons. Elle avait hérité d'une grande maison, d'une plantation abandonnée datant de la haute époque du latex qui pourrait faire l'affaire... Mais il faudrait pour cela de l'énergie, de l'argent et des professeurs et elle n'avait pas le temps de s'occuper de tout cela. Elle avait ses travaux, ses étudiants et Cruz.
Elle ne savait pas pourquoi elle lui racontait ça. Ça ne pouvait pas l'intéresser.
Elle s'excusait souvent, parfois en pleurant, d'avoir mis tant de temps à suivre son instinct et aller à sa recherche.
Sirius écoutait. Il se remplissait de tous ces faits, ces rêves et ces regrets, de ces neuf années de vie passées comme un éclair, comme une flèche projetée vers l'avenir, alors que lui végétait dans un cachot de pierre sur un îlot battu par les tempêtes, oublié des hommes et de lui-même.
Ooo
A un moment, comme répondant à un appel, Sirius ouvrit les yeux pour se trouver face à Rogue, Susan deux pas derrière lui. Aucune trace d'Aesthélia.
« Tu as fini de grandir... physiquement », indiqua sobrement son plus vieil ennemi quand le regard de Sirius se fixa sur lui faute d'alternative. Est-ce qu'il n'aurait pas dû lui paraître enfin moins grand et intimidant ?
« Vraiment ? », souffla Sirius en levant une main qui lui parut très lourde devant ses yeux. Ses mains lui parurent grandes et larges, presque menaçantes. Il en fit un poing et Severus recula imperceptiblement.
« Comment vous sentez-vous, Sirius ? », souffla Susan avec compassion.
« Faible », coassa Sirius et il remarqua que sa voix lui paraissait inhabituellement grave. C'en était fini de la voix de fausset de Cyrus, réalisa-t-il. Peut-être que le processus avait marché.
«Je pense que vous allez pouvoir manger de la nourriture solide ce soir », indiqua le médecin. «Ça ira mieux après... C'est pour cela que nous avons encore besoin de vingt-quatre heures avant qu'on puisse imaginer que quiconque d'autres que nous vous voie : vous avez besoin de stabiliser le fonctionnement de votre corps... »
« Ça fait deux jours ? », s'enquit Sirius. Il fallait qu'il vérifie, même si sa principale préoccupation était de savoir où était Aesthélia.
« Tout à fait », indiqua Susan. « Nous sommes le 9 mars 1990... »
« C'est l'anniversaire de Remus », se souvint-il stupidement – ou pas. Après tout les anniversaires n'étaient pas obligatoirement des choses stupides. Il avait mis onze ans à le savoir mais une fois qu'il avait eu des amis, il avait trouvé ça relativement important.
« Ça, on peut dire que c'est sa fête », commenta sombrement Severus qui s'était jusqu'alors tenu en retrait de la conversation.
« Quoi ? »
« Disons qu'il est sur la sellette... Fudge ne lui pardonne pas de vous avoir sans doute aidé... même si la version officielle est qu'il a su votre évasion et l'a tue, et rien de plus... Fudge ne cesse de d'insinuer qu'il ne peut laisser Poudlard aux mains de quelqu'un qui s'occupe si peu de l'intérêt de la communauté magique... », développa Susan.
« Mais... Voldemort ? », s'indigna Sirius.
« Fudge n'a que peu d'intérêt pour cette information-là qui souligne les limites de ses services, leur incapacité à assurer la sécurité de notre fameuse... communauté magique... Il préfère remercier les Aurors qui ont libéré Cyrus Lupin, abattu le Seigneur des ténèbres et arrêté l'infâme Pettigrow que s'attarder sur le reste », indiqua Rogue avec une joie mauvaise.
« Tu as abattu Voldemort », précisa Sirius en affrontant les yeux d'obsidienne. Il était là, il avait vu.
« Harry a abattu Voldemort », corrigea Severus. « Lui seul. Je te rappelle qu'on a évité de me laisser sur les lieux... »
Sirius ferma les yeux, dépassé.
« Et moi ? », finit-il par demander, les paupières closes.
« Toi ? Tu es attendu, crois-moi. Le dernier Black, l'injustice incarnée », annonça amèrement Severus. « Narcissa ne cesse de se répandre dans les journaux d'appel à ta réhabilitation... »
« Narcissa ? », s'étrangla Sirius, stupéfait et les yeux ouverts de surprise.
« Gringotts' affirme que ta fortune est intacte, voire augmentée... Skeeters assaille Remus de demande d'interviews et elle espère écrire tes mémoires... », continua Severus avec un entrain sombre et inquiétant.
« Ça ressemble à un cauchemar », articula Sirius avec sincérité.
« Juste le monde des adultes », estima froidement Rogue.
« Vous avez besoin de toutes vos forces pour l'affronter », s'immisça Susan Smiley, avec douceur et gentillesse. « Vous sentez vous capable de vous lever, Sirius ? Vous pourriez prendre une douche... passer des vêtements, dîner... vous essayer à la vie... »
« Maintenant ? »
« Aesthélia vous attend... elle espère un dîner avec vous... une sorte de célébration », souffla la médecin un peu gênée, un peu excitée par la perspective. Sirius la regarda mieux. Elle était blonde – étonnamment clair de cheveux à côté de Severus. Elle était grande, fine et élancée et ses mains avaient les mêmes attributs. Ses yeux bleu étaient très pâles. On aurait pu dire qu'elle était une fée accompagnée d'une chauve-souris.
« Aesthélia ? », répéta-t-il quand même, sans doute stupidement. Est-ce qu'il ne se demandait pas où elle était depuis qu'il avait ouvert les yeux ?
« Elle ne semble pas du genre qui renonce », commenta Severus avec une furtive tentative de solidarité masculine.
« Non », admit Sirius.
« Essayez de vous asseoir, Sirius, de vous lever », reprit la médecin. Sirius s'exécuta et fut surpris de réussir. Il était vêtu d'une immense chemise de nuit qui devait sans doute appartenir à Albus mais sa tête ne tourna pas autant qu'il le craignait. « Vous avez besoin d'aide ? »
« Non », répondit-il avec soulagement. « Non, ça va... je vais m'en sortir... »
ooooo
Une elfe était venue lui apporter un choix de vêtements tous neufs. Sirius n'avait pas osé demander qui les avait choisis. Il pensait savoir.
Il avait pris ceux qui lui paraissaient les plus confortables et était allé dans la salle de bains attenante pour prendre une douche. En ouvrant les robinets, il lui était venu une image bizarre – Patmol prenant une douche dans une maison près d'une forêt. Ça n'avait aucun sens parce que l'image d'après il mangeait de la tourte avec un homme qu'il ne connaissait pas.
Sirius ouvrit les robinets plus grands en espérant chasser ces impressions bizarres. La douche était chaude, le savon moussant et parfumé et les serviettes douces et moelleuses. Il se focalisa sur ces sensations physiques simples. Il s'agissait bien de ré-apprivoiser son corps, après tout. Dans la chambre, il entendait des sorts et imaginait l'elfe profitant de son absence pour mener à bien un ménage plus approfondi. On se serait cru Square Grimmaurt, l'idée lui tombe dessus comme un crachin printanier et agaçant. Quand ils seraient au Brésil, ils n'auraient pas d'elfes, décida-t-il brusquement. Il refusait qu'on le serve. Puis il se ravisa : voulait-il faire le ménage ? Qu'en penserait-Aesthélia ?
Alors qu'il se rendait douloureusement compte de son incertitude envers sa propre capacité à prendre les décisions d'adulte qu'on attendaient de lui, ses yeux tombèrent sur le grand miroir qui lui faisait face. Il réalisa que Cyrus n'avait attaché aucune importance à son apparence ou aux miroirs. Le Sirius d'avant n'avait pas été comme cela. Il avait méprisé les honneurs et les convenances ; s'était prétendu au dessus des convenances, mais avait toujours eu soin de son apparence, il le savait intimement. Il avait tiré une partie de sa force et de son assurance du fait qu'il savait que les autres le trouvaient physiquement attirant, bien habillé et à la pointe du cool. Et aujourd'hui, se demanda-t-il : trouvait-il cela important ?
Le miroir le reflétait jusqu'à la taille. Un corps assez maigre mais pas malade. Un corps adulte mais non débile. Voici les premières idées qui lui vinrent. La médaille offerte à Cyrus par Aesthélia pendait à son cou - la chaîne avait suivi sa croissance, comme une promesse. Le premier regard était plutôt réconfortant. Mais Sirius décida que ça ne suffisait pas. Il regarda mieux. Son visage. Ses traits étaient marqués là où les expressions se formaient. Un peu moins que Remus peut-être mais la barbe qui couvrait ses joues les cachait un peu. Il hésita puis décida de se raser.
Il alla repêcher dans la poche de la robe de chambre, écossaise et immense malgré sa toute nouvelle croissance, la baguette de la mère de Remus. Comme Remus l'avait anticipé quand la baguette l'avait choisi, elle semblait fine et fragile entre ses mains d'adulte. Pourtant le picotement était là, discret mais rassurant. Il devrait sans doute réussir à se raser avec.
Lentement, posément, comme on résout une énigme, il pointa la pointe de la baguette vers ses joues. Le fouillis des poils noirs qui était apparu avec sa croissance se résorba peu à peu laissant apparaître une peau lisse comme une promesse de santé. Il ne devait pas avoir honte de lui, décida-t-il en se tenant droit devant la glace. Mais Aesthélia ne devait pas être déçue - il ne le supporterait pas.
Agacé de ses craintes, il s'habilla ensuite très vite : chemise grise, pantalon noir, robe grenat et ne peigna pas ses cheveux. Il sortit pieds nus dans la chambre qui avait singulièrement changé d'apparence. Qui aurait encore pu se croire dans la banlieue de Londres ?
« C'est un peu enfantin », lança Aesthélia depuis un fauteuil en rotin au coin de la pièce. Elle avait l'air inquiète de sa réaction.
« Merci de ne pas chercher à me faire grandir trop vite », sourit Sirius.
« On s'était promis... Tu te rappelles ? On ne grandirait que ce qu'il faut », souffla Aesthélia en le levant, un peu timide, comme si elle hésitait à le rejoindre.
« Oui, je me souviens », sourit Sirius plus largement encore.
Il hésita à son tour puis fit les cinq pas qui le séparait d'elle. Il y a deux jours encore, il lui en aurait fallu dix ou quinze, sûrement, estima-t-il avec une dose de satisfaction. Ce n'était la griserie de la légèreté qui l'avait saisie à sa première transformation. Mais c'était quand même une bonne sensation, décida-t-il. Quand il arriva devant Aesthélia, il constata qu'il était redevenu plus grand qu'elle, sans la dominer comme un adulte domine un enfant, non, mais nettement plus grand. Elle lui parut fragile, légère, une plume, une fée, il dut s'empêcher de la serrer dans ses bras. Prendre le temps était une obligation.
« Tu as choisi celle-là », remarqua l'ethnomage passant une main légère sur sa robe. « J'ai toujours trouvé que le rouge t'allait bien. »
« Je me souviens », promit-il. Comme elle continuait d'hésiter, il décida de livrer un de ses derniers souvenirs heureux d'homme libre. « Je portais une chemise rouge en soie cette dernière fois... »
« Il faisait plus chaud... j'ai hésité mais... »
« Recréer un climat tropical était un peu sur-jouer l'affaire... », il lui concéda étonné de sa légèreté intérieure, comme un contraste à la lourdeur regagnée par son corps. Il posa ses mains sur ses épaules avec une facilité venue à son insu.
« Tu... tu reconnais ? », elle sourit – image de l'espoir maltraité mais combatif.
« Oui. Tu as toujours cette maison ? »
« Non, je l'ai vendue », souffla-t-elle en baissant les yeux.
« Mais tu n'as pas oublié »
« Non... »
« Comme si on repartait de ce point... », proposa Sirius le cœur battant.
« Par exemple... », commença par accepter Aesthélia. « Sauf que tu partirais. Tu partirais dès demain et tu ne reviendrais pas. Hier comme aujourd'hui, si Harry était en danger, si ton pays était menacé... tu partirais... »
C'était une vraie question, décida Sirius. Pas une accusation, ni un reproche, mais une question. Il devait y apporter une réponse sincère non seulement pour elle mais pour lui-même.
« Oui, si une situation équivalente apparaissait, j'aurais sans doute du mal à ne pas... m'en mêler », commença-t-il. « Mais je sais aujourd'hui que... que le temps va toujours de l'avant. Je sais qu'on a qu'une vie – une seconde est un luxe extraordinaire, pas seulement parce que c'est difficile à obtenir mais parce que le coût est énorme. J'aurais pu laisser Cyrus mené une vie heureuse... auprès de Remus et Harry... c'était déjà tellement mieux qu'Azkaban... tellement mieux que ma propre enfance... Comment refuser ça ? »
Aesthélia opina comme pour confirmer qu'elle-même se posait la question.
« Sauf que avec tous ses défauts, avec toutes mes erreurs, ma vie reste ma vie... dans un scénario à la Cyrus, je n'avais plus jamais une seule chance de te revoir... tu l'aurais évité, pour moi comme pour Cruz, et personne... »
« Tu voulais me revoir ? », questionna très bas Aesthélia.
« Comment peux-tu en douter ? Tu sais ce qui m'a fait tenir à Azkaban ? L'étendue de mon chagrin : avoir trahi Harry, Lily et James avec mon plan débile ; avoir perdu la confiance d'Albus ou de Remus ; avoir perdu toute chance de vérifier combien d'années tu aurais pu me supporter – et t'avoir laissée sans remplir ma promesse d'être le père de ton enfant...», se livra Sirius. «C'étaient des pensées bien sombres, à faire reculer les Détraqueurs... »
« Sirius », souffla Aesthélia émue, ses yeux verts pâles dans les siens.
« Alors quand Albus et Remus m'ont sorti d'Azkaban, m'ont proposé leur plan... étrange... je n'étais pas en mesure de le refuser... Tout était mieux que retourner en cellule avec mes regrets... et Cyrus avait cette légèreté, cette grâce, cette souplesse... qui redonnent de l'espoir, qui annoncent le futur... Sauf que tu étais là, comme un mur sur ce chemin-là : je ne pouvais pas laisser Cyrus s'enfuir sur ce chemin, aussi prometteur soit-il, sans avoir renoncé à toi...»
Incapable de formuler des mots, Aesthélia prit le partie de se serrer contre lui. Il vérifia qu'elle avait toujours le même parfum, comme un écorce de bois avec une note de vétyver.
« Comment va Cyrus ? », elle demanda collée contre lui.
C'était une autre question dont ils ne pouvaient faire l'économie, reconnut silencieusement Sirius.
« Il est là », souffla-t-il en posant sa main droite sur son cœur. « Il est là pour toujours... c'était une tête de bois mais un cœur tendre, crois-moi. »
« Je l'ai rencontré », lui rappella-t-elle.
« C'est vrai », sourit-il, content qu'elle ne lui demande pas de l'oublier. « Cruz se serait sans doute bien entendue avec lui – Harrry l'aimait bien, je crois », rajouta-t-il plus sombrement, en se demandant si son filleul allait le regretter. Il lui avait dit que Cruz avait besoin d'un père mais Harry était le fils de Remus, prompt à oublier ses propres besoins pour le confort de ses proches.
« Il va devoir apprendre à avoir un parrain plutôt qu'un copain – ou un frère... », commenta pensivement Aesthélia.
« Oui, c'est un sacré défi pour moi, je crois... J'espère que Remus m'aidera... encore une fois...» Sirius soupira et puis décida qu'il devait poser la question douloureuse, ne pas avoir peur de la possible gifle : « Comme il faudra que... tu m'aides... »
«... avec Cruz ? », posa Aesthélia sans essayer d'esquiver la question, elle non plus.
« Je ne sais même pas ce qu'elle sait de moi », soupira Sirius.
« Très peu de choses... », reconnut Aesthélia. « Jusqu'à ce que sa médaille brûle et que Cyrus l'appelle au secours, je... Tant que tu étais à Azkaban, je ne pensais pas qu'une fillette ait besoin de savoir que son père avait été condamné pour traîtrise et meurtre... J'avais préféré dire que son voyageur britannique de père était reparti dans son pays sans savoir qu'il laissait une fille derrière lui et que je...
« ...n'avais jamais cru bon de l'embarrasser avec ce fait », compléta Sirius. « Je t'entendais... quand tu racontais... »
« Je n'étais pas sûre – Susan pensait que oui, mais je n'étais pas sûre... », souffla Aesthélia, presque intimidée.
« Et maintenant ? »
« Je lui ai raconté les grandes lignes : que tu as été condamné à tort ; qu'il t'a fallu tout ce temps pour t'enfuir ; que tu ne savais rien d'elle et que tu l'as appelée au secours à ton insu... Ça a été très intense pour elle, tu sais. Elle a vu tout ce que Cyrus a vu ; ressenti ce qu'il a ressenti... senti aussi ta présence... »
« Comme Harry, elle connaît Cyrus », se désola un peu Sirius. Cyrus était plus fréquentable que lui, sans doute. Plus innocent.
« Je ne te dis pas que ça sera facile. Il va falloir... »
« Mériter une place », proposa Sirius sans doute trop vite.
« L'apprivoiser... C'est à vous deux d'inventer votre relation... à moi, de te laisser une place aussi – mais, crois-moi, vu le nombre de fois où je t'ai détesté de ne pas être là pour m'aider, me conseiller ou prendre à ma place des décisions... je devrais y arriver !», termina Aesthélia avec un rire un peu douloureux.
« Je suis désolé, si profondément désolé... », commenta-t-il faute de meilleure idée.
« Je sais, Sirius. Ça, je crois en être sûre... »
oooo
Remus vint le lendemain matin. Seul.
« Comment vont-ils, Harry et Cruz ? », entendit-il Aesthélia demander à l'amenant à lui.
« Ils s'entendent de mieux en mieux. Ils s'apprivoisent. C'est bien que Harry ne soit pas seul et qu'il ait à s'occuper d'elle... ça l'empêche de ressasser ce qui s'est passé et de trop s'inquiéter de ce qui peut encore arriver », estima Remus.
« Oui, c'est mieux », admit Aesthélia.
« Et lui ? », demanda encore Lunard après un petit silence.
« Il est...presque prêt », entendit-il l'amour de sa vie répondre à son seul ami survivant. Le jugement le toucha plus qu'il ne pouvait l'admettre à lui-même..
« Vraiment ? », vérifia Remus quand même. Il doute, songea Sirius sans lui en vouloir vraiment. Ne douterait-il pas à sa place ?
« Oui, Remus... il sera prêt », promit Aesthélia.
« Bien », commenta sobrement son ami.
La seconde d'après, Remus poussa la porte et le vit, et la surprise remplaça le doute.
« J'ai un peu grandi », sourit Sirius se levant pour aller vers lui pour lui offrir une accolade brésilienne. « J'ai besoin d'un ami et moins d'un Papa... »
« Bien sûr », marmonna Remus étonnamment ému.
« Je te cause encore des ennuis », s'inquiéta Sirius sans attendre. Être adulte était aussi pouvoir s'occuper des autres, aider Remus, rendre ce qui lui avait été donné, réparer les torts qui lui avait été causés - autant de vengeances, quelque part.
« Les combats... les combats sont longs et difficiles surtout ceux contre l'injustice », pontifia Remus tellement lui-même que Sirius dut s'obliger à peser à quel point ces paroles cachaient des difficultés pour arrêter de sourire.
« Severus m'a dit que tu serais sans doute obligé de démissionner... »
« Je préfère démissionner... », assura Remus.
Sirius ne sut que dire. Il avait eu l'impression que Poudlard était toute la revanche de Remus sur la communauté magique britannique. Etait-il prêt à oublier tout cela ? Pour lui ?
« Je.. Remus... Te dire merci serait ridicule... Mais merci... je mesure ce que tu as fait pour moi, tout ce que tu as fait... Je n'oublierai pas – jamais – tu ne dois pas t'inquiéter.. », essaya-t-il maladroitement.
« Tu seras là pour nous entretenir ? Magnifique, tout ce que j'espérai », articula Remus comme dans les pires souvenirs de Sirius – la fois où il avait trouvé drôle de pousser Severus à aller à la rencontre du loup-garou, par exemple.
« Pardon », souffla Sirius, soudain épuisé physiquement par la conversation et désolé moralement de ne pas être capable de faire autre chose que blesser son seul ami restant.
Remus, qui avait paru si prêt l'instant de repartir sur le champ, sembla hésiter, et Sirius décida de prendre cela pour un bon augure.
« Asseyons-nous », proposa-t-il. « J'ai de quoi manger en permanence sur les ordres du docteur... tu partageras bien quelque chose avec moi ? » Remus s'exécuta avec un peu de raideur mais une ostensible volonté de ne pas couper les ponts. Sirius en eut furtivement les larmes aux yeux. Il lui servit une tasse de thé et des sandwiches que son ami accepta. « Tu vas faire quoi, alors ? », demanda-t-il avec humilité, presque timidité.
« Je ne sais pas », reconnut Remus plus librement que précédemment. « J'ai des économies... J'ai depuis longtemps envie de monter un programme d'enseignement pour les enfants garous... Ce serait normal... naturel... que je le fasse... Mais je ne suis pas loin de penser qu'un grand voyage nous ferait du bien... Je ne sais pas si j'ai envie d'envoyer Harry à Poudlard – bien sûr, c'est son héritage, mais est-ce qu'il n'a pas déjà assez donné ? Est-ce qu'il n'aurait pas droit à un nouveau départ, dans un lieu plus neutre, avec une renommée plus légère à porter ? »
« T'installer ailleurs », comprit Sirius en se retenant de tout autre commentaire. Harry était la responsabilité de Remus – il avait chèrement payé le droit d'être le seul à décider de son avenir. Sirius aurait aimé que Remus lui demande son avis mais il espérait que ce moment allait venir. Et puis, il se prenait stupidement à rêver... de concrétiser plusieurs rêves en même temps.
« Ou faire un grand voyage... changer d'air en tout cas... », poursuivit Remus, se laissant un peu aller.
« Oui », soutint Sirius avec sincérité. Remus le regarda en dessous attendant la suite. « Je ne compte pas rester ici, Lunard. Je ne vais pas couper les ponts, je ne vais pas renoncer à ma fortune mais... mais, ici, j'ai trop souffert... j'ai besoin de me reconstruire... j'ai besoin de... »
« Tu vas repartir avec Aesthélia et Cruz... », comprit Remus.
« Je ne sais pas si... si nous arriverons à former une famille... nous avons peut-être trop soufferts, Aesthélia et moi, chacun de notre côté, mais... »
« Tu dois essayer. »
« Oui. »
Remus opina.
« Tu dois essayer... », répéta-t-il.
« Quand j'aurais réglé mes comptes », ajouta Sirius. Il essayait de s'y préparer. Construire l'avenir ne serait possible que lorsque le passé serait derrière lui. Comme Harry quelque part.
« Severus t'a parlé de Narcissa », imagina Remus.
« Et du reste », soupira Sirius. « Il me faut un conseil, Lunard. Un avocat... »
«Albus va te proposer des noms», répondit son ami comme si l'idée était la plus naturelle au monde. «Il pense qu'il t'en faut un différent du mien... Il va aussi te falloir une nouvelle baguette», rajouta-t-il comme une suite logique de ce qui précédait.
«Ta maman n'a pas l'air contre le fait que je me rase», plaisanta Sirius en passant sa main sur ses joues. C'était plus facile que de se dire que Remus avait un avocat - comme s'il continuait d'avoir une longueur d'avance sur lui dans le monde des adultes.
«Non, j'imagine», sourit Remus - et ce sourire léger et complice le rajeunit.
«Mais tu voudrais la récupérer», imagina Sirius avec une bouffée confuse de gêne et de remords. Le Sirius d'avant avait beaucoup trop cru que les choses lui étaient dues : l'amitié, l'amour, l'avenir, l'argent, le choix. Remus avait dû se battre pour tout cela, et Sirius ne devait jamais l'oublier.
«Il n'y a pas d'urgence, mais j'ai du mal à croire qu'elle soit adaptée... qu'elle te convienne pour tout le reste de ta vie», répondit son ami avec beaucoup plus de sérieux à son tour.
«Pourtant elle savait se battre, ta maman, sur la durée», remarqua rêveusement Sirius.
«C'est vrai», admit Remus. Il y avait une sorte de curiosité maintenant dans ses yeux ambre.
«Je ne dis pas que je dois pas en changer... si on trouve le temps, très bien, je veux bien essayer... mais je tiens à ne pas froisser ta maman», décida de formuler Sirius.
Remus sourit assez largement.
«Je pense qu'elle comprendra que tu as grandi... Ollivander ne résistera pas à une invitation d'Albus à armer le bras du dernier héritier de la famille Black...»
«Sans doute», soupira ledit héritier Black.
«Il va falloir...» commença à le raisonner Remus. Il avait toujours eu un don pour cela mais ça ne rendait pas les choses plus facile.
«... m'y faire ? Je sais», le coupa abruptement Sirius. «Je suis même prêt à abuser de l'or de mon père pour régler mes comptes et me fabriquer un avenir. J'ai grandi, Remus, je ne crois plus que tout se règle par un duel face à face ! Un avocat me sera sans doute plus utile dans l'immédiat qu'une nouvelle baguette.»
«Peter», souffla Remus avec une pointe de douleur.
Sirius se laissa aller contre le canapé comme si une main gigantesque l'avait plaqué.
«Tu crois que Susan aura interdit aux elfes de m'apporter de l'alcool ?», finit-il par formuler ayant écarté tour à tour de se mettre à pleurer dans les bras de Lunard ou de débiter toutes les insultes qui lui venait à l'esprit quand il songeait à celui qui les avait tant trahis. ll restait l'alcool.
Remus pouffa en lui prenant le bras avec une familiarité revenue avant de souffler :
«Je suis content de voir que tu n'as pas trop changé quand même !»
ooo
Je poste trop contente d'avoir écrit un premier jet crédible du chapitre 20 intitulé, pour l'instant, "Les modalités de l'héritage".
Je vous serre tous sur mon coeur, comme mes deux inséparables complices : Alixe et Dina.
