21 | La nature du piège
« Je vous amène une lettre de votre cousine Narcissa », Sirius, annonça Barbara Straightford en arrivant, le lendemain de leur mariage, chez Albus.
Le prénom assécha la salive de Sirius. Non : aucune remarque acide, aucune blague, rien, ne vint à son aide pour absorber le coup. Il tendit la main presque par réflexe et déroula le parchemin le cerveau vide. L'écriture de Narcissa était précise et belle, et reconnaissable entre toutes malgré toutes ces années.
Sirius,
Je pense que tu apprécieras que je ne cherche pas à te faire de longues phrases, te jurer mon amitié ou invoquer notre sang partagé. Je commencerais juste par te dire que je n'ai jamais cru que tu aies pu tuer James Potter et sa femme, ou même les trahir et donner le lieu de leur retraite. Ce crime ne te ressemblait ni de près ni de loin. Beaucoup de choses nous ont opposés au cours des années, un nombre croissant de choses, mais je sais que tu n'as jamais perdu ton sens de l'honneur – tu l'as juste défini différemment que la plupart d'entre nous. Je parle évidemment des Black.
Tu vas peut-être me reprocher de n'avoir rien essayé quand le Ministère – celui même que tu avais juré de défendre contre la soi-disant noirceur du temps – t'a accusé, jugé et condamné. Tu sais comme moi que tout ce que j'aurais pu dire n'aurait eu aucune valeur pour ces gens-là. Tes amis eux-même – Dumbledore en premier – n'ont pas osé le faire. Ils les ont laissé t'enfermer à Azkaban et, quatre ans plus tard, ils ont donné la garde de leur sauveur, de ton filleul, à un loup-garou. Je sais que tu le considères comme ton ami ; il semble qu'il ait plus ou moins trempé dans ton évasion. Ta confiance est sans doute bien placée, mais sache que moi, aidée de Lucius, j'ai essayé de récupérer ton filleul, malgré son sang mêlé. Je pensais qu'il méritait mieux que ce qu'ils lui avaient offert jusque là - une existence misérable parmi les moldus - et la seule solution qu'ils avaient trouvé pour y remédier - une enfance tronquée dans l'ombre d'un paria de notre communauté malgré les titres dont Dumbledore a pris garde de le parer. Je l'aurais élevé au côté de mon fils, Drago, et je pense que tu serais fier de lui aujourd'hui. Ils ne m'ont pas écouté alors, confirmant ma conviction antérieure que tout ce que je pouvais dire serait interprété à contre-emploi.
Aujourd'hui, tu es libre et tu te bats pour récupérer ton honneur. Je n'ose te souhaiter bonne chance – je ne crois pas à la chance. Il faut de l'argent et de l'influence pour se faire justice – je crois que tu l'as compris puisque tu es allé dire les mots qu'il fallait.
Il me semble donc que nous pouvons nous entendre. Dans ces temps où la Lumière prétend avoir eu le dessus sur les Ténèbres, il est important que les gens lucides se reconnaissent et s'entraident. Je ne sais pas ce que nous pouvons faire l'un pour l'autre mais nous reconnaître serait déjà un début.
Mes efforts pour te contacter jusqu'à présent sont restés vains. Les hiboux reviennent bredouilles. Poudlard affirme que tu n'es pas dans ses murs. Tu as enchanté la porte de Place Grimmaurt pour m'en interdire l'accès. Je confie donc ce message à ton avocate – Lucius et moi t'aurions conseillé dans ce choix ; mais j'imagine qu'une née moldue est tout ce qu'un loup-garou même parvenu peut t'indiquer. Lucius dit qu'elle est néanmoins brillante. J'espère qu'elle aura l'intégrité de te faire passer cette lettre.
Avec l'espoir sans doute déraisonnable que cette missive t'arrive
Narcissa Malefoy
Sirius laissa le parchemin s'enrouler de lui-même. Trahison, honneur, condamnation, innocence, amitié, Azkaban, filleul, combat, Lumière, Ténèbres, loup-garou, Sang de bourbe, intégrité… pas mal de choses dans cette lettre le touchaient plus profondément qu'il n'aurait su l'exprimer. Sa main tremblait – sa main avec la chevalière de son père…. Non, la mienne, maintenant, se corrigea-t-il.
« Elle veut me voir », annonça-t-il à haute voix.
« Evidemment », jugea Barbara Straightford. Pendant sa lecture, l'avocate avait commencé à étaler différents dossiers sur la grande table de la chambre que lui prêtait Albus. L'ensemble était intimidant.
« On verra après le procès », lâcha Sirius en s'asseyant en face d'elle. S'il se montrait intéressé par les montagnes de dossiers, l'avocate serait sans doute satisfaite.
« Non, Sirius, vous devez la voir avant », jugea l'avocate. « Narcissa compte parmi vos soutiens officiels que vous le vouliez ou non. Il faut savoir ce qu'elle espère de votre réhabilitation, être sûrs qu'elle ne nous attaquera pas de manière détournée… on ne peut rien laisser au hasard et surtout pas la position des Malefoy ! »
« La lettre vous est arrivée comment ? », s'intéressa Sirius prenant le temps de composer sa réponse.
« Lucius l'a apporté lui-même… »
« Lui-même ? Ça vous a impressionnée », soupira Sirius.
« Un si noble sang-pur dans les bureaux d'une petite arriviste née-moldue ? », compléta Barbara Straightford sans reprendre son souffle. « Vous croyiez donc que c'était la première fois ? » Sirius se sentit rougir. « Le problème, Sirius, c'est que vous ne me faites pas totalement confiance. Vous pensez mieux savoir que moi… Vous voulez faire le tri, mais ce n'est pas comme cela que ça va se passer. Vous êtes une bataille dans une guerre qui a commencé avant et continuera après ce procès ; et ce procès n'est qu'une bataille – importante, je ne le nie pas – dans l'intégralité de votre vie. Vous m'avez choisie comme général, vous devez … »
« Je ne vous ai pas choisie », s'agaça Sirius.
« Alors je m'en vais… », annonça Barbara Straightford en se levant.
Sirius soupira.
« Epargnez-moi vos trucs de prétoire, Maître ! Sur vos conseils, j'ai pris une décision que jamais je… J'ai prononcé les mots, Maître ! J'ai prononcé ce serment qui me lie aux Black bien plus que je n'étais consciemment prêt à le faire alors…. Alors mesurer la confiance que je vous accorde… Peu de gens auraient pu me convaincre de le faire ! Peu de mes amis auraient même essayé ! »
« Vous regrettez ? »
« Non », admit Sirius.
« Je me rassois ? »
« Je vous l'ai déjà dit, Maître. Si vous aussi vous écoutiez, nous avancerions plus vite ! », tonna Sirius. Ce n'était pas la première fois qu'il le remarquait, mais il avait hérité de son père une voix propre à représenter l'autorité. Combien de fois en avait-il abusé ? Ça c'était une question plus nouvelle.
« Nous avançons, Sirius, nous avançons », promit Barbara, peu impressionnée a priori par sa grosse voix.
« Magnifique, Maître »,
« Barbara, Sirius, appelez-moi Barbara, nous faisons équipe non ? »
« Capitaine, alors ? »
Barbara laissa échapper un rire qu'il ne lui avait jamais entendu. Un rire spontané et léger.
« Va pour Capitaine, Sirius, si ça vous aide à concevoir la dynamique ! Vous devez voir Narcissa… pas comme l'évadé d'Azkaban, mais comme le chef de la famille Black. »
« Elle va adorer », jugea Sirius sans gentillesse mais avec équité.
« Evidemment qu'elle vous déteste d'avoir pris les devants, elle ne peut plus vous sauver… elle doit négocier… voire se soumettre à vos avis – après tout, vous pourriez l'enlever de cette fameuse tapisserie moisie, non ?»
« Moi ? », vérifia Sirius avec stupeur.
« Vous avez changé la donne », affirma l'avocate.
« Nous avons changé la donne, Barbara», reformula Sirius. Il ne voulait pas se dédouaner mais il ne pouvait pas prétendre avoir anticipé l'intégralité des conséquences. Pas la lettre conciliante de Narcissa, en tout cas ni la nécessité de la rencontrer en personne.
« Merci de le reconnaître. »
« Donc, je la reçois, mais où ? », capitula Sirius.
« Vous le savez, Sirius. »
« La… maison est dans un état… », objecta-t-il faiblement. Il subodorait déjà que l'efficace Barbara Straightford aurait une réponse.
« Rien qu'un sac d'or et une équipe de elfes ne peut arranger… Mon frère est décorateur », indiqua l'avocate.
« Et il me fera un prix ? », s'amusa Sirius.
On frisait l'absurde ; il fallait mieux en rire. C'était une nouvelle farce qui n'avait pas plus d'avenir que sa transformation temporaire en gamin de 9 ans… juste après, il envia Cyrus et ses envies simples et ses bonheurs gigantesques ! A défaut, il y avait Harry et Cruz, se força-t-il à se rappeler. Il faisait ça aussi pour eux. Pour la mémoire de James et Lily. Pour que leur fils et sa fille, tous les deux et si possible ensemble, puissent marcher la tête haute.
« Clarence est assez cher, mais vous n'aurez à vous occuper de rien. Ce sera prêt demain matin pour un petit-déjeuner avec Narcissa… »
« Barbara, il n'y a pas que des pixies dans cette maison… Ma fille et mon filleul ont failli se faire étrangler par le vieil elfe de maison de ma mère sous le regard attentif et appréciateur de tous mes ancêtres – et je vous le dis ce que je leur ai dit : c'est à peu près le moins grave qui aurait pu leur arriver… sincèrement. »
« Clarence a des équipes spécialisées, vous n'êtes pas le seul de ses clients à hériter d'une demeure devenue inhospitalière, mais il serait utile que vous l'accompagniez une première fois pour l'aider à identifier les priorités, les dangers et sans doute pacifier cet elfe redoutable… »
« J'ai le temps de faire cela ? », s'informa Sirius.
« Une fois que je vous aurais posé les questions propres à l'instruction, je vais avoir besoin de temps pour travailler, et autant que vous soyez occupé… »
Oo Clarence, Sirius, Kreaturr
« Kreaturr a refusé de laisser entrer mademoiselle Narcissa », annonça l'elfe quand il arriva place Grimmaurt avec Clarence Straightford et Aesthélia. « Non, non, non, a dit Kreaturr, le nouveau maître a dit non, personne en dehors de lui… »
« Merci, Kreaturr », souffla Sirius. 'Le nouveau maître' – saurait-il s'habituer à une telle description ? Voulait-il être un maître ? Encore moins une vieux maître ?
« Tu n'as pas amené l'enfant ! », se désola immédiatement sa mère quand il passa devant son portrait.
« Kreatturr l'aurait bien gardé », s'empressa d'ajouter l'elfe.
« Cruz viendra quand cette maison sera plus… propre et sûre », décida de répondre Sirius. L'autre option était de partir en courant et de claquer à tout jamais la porte de cette sinistre demeure et de la laisser tomber en ruines. « Voici Clarence Straightf… »
« Un sang de bourbe ! », s'exclama Walburga confirmant l'intuition de Sirius a son dernier passage : le portrait pouvait juger des auras. Le procédé aurait passionné des générations de spécialistes sans doute. C'était peut-être au Département des Mystères qu'il aurait dû refiler la maison.
« Effectivement, Madame Black », accepta Clarence Straightford sans même un haussement de sourcil. « Mes descendants auront sans doute toujours une bonne vingtaine de siècle de retard sur les vôtres en termes de pureté… »
« …et de folie », rajouta Sirius pour le décorateur à mi-voix. Cette sortie amena plus de surprise que le visage du frère de son avocate que l'insulte de sa mère. « Mère, il faut rendre à cette maison sa…. Splendeur – vous l'admettrez, je pense. Clarence va organiser ça pour moi », expliqua Sirius dans ce que -il venait de le décider – serait son dernier effort. La prochaine remarque, il sortirait sa baguette mettrait le feu au portrait ou au torchon de l'elfe. Il lui sembla comprendre dans le sourire triste d'Aesthélia qu'il était transparent.
« Je vois beaucoup de lumière… du blanc, rehaussé d'un gris chaud pour les boiseries basses… et des points de couleurs vives mais qui restent dans le respect de l'histoire du lieu…. Du vert, du jaune, du bleu… », annonça le décorateur en pivotant sur ses talons. Une plume papote et un parchemin voletaient autour de lui et prenaient ses paroles en notes. Un mètre et une équerre apparurent aussi.
« Nous aurons bientôt le drapeau brésilien », s'amusa Aesthélia.
« Tout à fait, très bonne idée, Madame ! Une orientation qui rendra cette demeure unique… des plantes tropicales donc, et quelques objets brésiliens… de beaux objets bien sûr.. mis en valeur par un cadre dépouillé…»
Au même moment ses yeux tombèrent sur les têtes d'elfes empaillées qui ornaient l'escalier.
« Vous pouvez enlever… », lui souffla Sirius avec sincérité.
« Et détruire… ?»
« Il ne faut pas détruire ! », s'affola Kreatturr qui s'était glissé entre eux. « Non, non, non, maître Sirius, tous ces elfes ont été loyaux et dévoués… »
«Stockez-moi ça dans le grenier, dans un local fermé, réellement fermé…. Je verrais plus tard», recula Sirius – Kreaturr mourrait un jour, un jour prochain, et il pourrait se dire que le passé mourrait avec lui.
« Vous payez aussi pour ne pas avoir à… », remarqua Clarence.
« Mais je ne compte pas demander à d'autres de solder mon passé », lui opposa fermement Sirius.
« Bien sûr, monsieur Black », comprit le décorateur.
« Les affaires de ma maîtresse et du gentil maître Regulus », continua de se lamenter Kreatturr.
«Kreatturr, tout ce qui te paraît important peut aller dans la chambre de Regulus », proposa Sirius, surpris lui-même de l'idée qui lui venait. A combien de concessions était-il encore prêt? Etait-ce Azkaban qui l'avait brisé ? Etait-ce la présence de Aesthélia qui le rendait magnanime ? Etaient-ce les paroles qu'il avait prononcées qui l'avaient ensorcelé ? « Vous n'y toucherez pas, Clarence… Je verrai avec lui… ce qu'on fera du lieu et de ce qu'il contient», termina-t-il malgré ses propres interrogations.
« Merci, maître Sirius », s'exclama l'elfe en lui prenant la main – celle où brillait l'anneau – et en l'embrassant. « Maître Sirius est un meilleur maître que Kreaturr le pensait ! »
« Dépêche-toi, Kreaturr, les elfes et les aides de Clarence vont arriver très bientôt », ne put s'empêcher de lui opposer Sirius en reprenant sa main avec un frisson de répulsion.
« Je me disais que tu étais bien gentil avec lui », commenta Aesthélia quand l'elfe se fut dépêcher d'obéir.
« Je ne… »
« Tu as raison de t'éviter des conflits inutiles. Tu auras le temps de trier et de savoir ce que tu veux garder ou non… L'urgence est d'avoir des pièces à vivre fonctionnelles et quelques chambres », affirma Aesthélia avec un sens pratique qui lui fit du bien. Il lui évitait de s'engluer dans les méandres de la nostalgie et du ressentiment.
« Laissez la tapisserie… Mettez tous les portraits dans la galerie du premier étage… tant pis pour ceux qui y seront en double », ajouta donc Sirius quand ils entrèrent dans le petit salon. Narcissa devait voir la tapisserie - l'avocate avait été d'accord avec lui sur ce point.
« Même celui…? », questionna Clarence en baissant la voix
« De ma chère maman ? Plutôt deux fois qu'une… »
OOO Sirius Aesthélia et Orion
Asthélia avait voulu dormir là dans la grande chambre blanche que Clarence avait installée dans son ancienne chambre d'adolescent. Toute la maison semblait transfigurée sous ses nouvelles peintures blanches avec une déclinaison de gris sur les boiseries et des objets modernes et colorés de loin en loin. Sirius aurait eu du mal à dire s'il se sentait chez lui. Il ne s'était pas senti chez lui avant, de toute façon. Mais c'était lumineux et propre. Le côté aseptisé était presque rassurant. Un peu comme un hôtel qu'on quitte sans se retourner.
Il ne restait au rez-de-chaussée que la tapisserie - traitée contre la moisissure - et le portrait de Walburga qui avait résisté aux efforts de l'équipe de Clarence. Le décorateur s'était répandu en excuses et avait promis de trouver rapidement une solution. Il avait contacté un éminent spécialiste de la peinture magique et attendait sa réponse.
« Vraiment, ce n'est pas grave », avait décidé Sirius. Il n'aurait pas fallu que tout ait disparu.
Le portrait de Walburga trouvait que toute cette blancheur lui faisait mal aux yeux, mais Sirius pensa qu'elle-même paraissait moins convaincue que d'autres fois dans ses reproches. Aesthélia était la plus enthousiaste, félicitant le décorateur à chaque pas et discutant de détails avec lui. Sirius finit par comprendre qu'elle prenait ce premier logis à eux comme un symbole plus important que l'anneau à son doigt. Elle avait tenu à ce qu'ils choisissent ensemble la chambre de Cruz ainsi que celle de Harry – « parce qu'il doit se sentir chez lui ».
« Ta mère sera contente que ta fille ait sa chambre », estima Aesthélia quand ils eurent fin de tracer la constellation du sud sur le plafond.
« Rien ne m'est plus indifférent », affirma Sirius avec sincérité.
« Je ne crois pas. C'est perturbant pour toi de te dire que tes parents t'aimaient à leur façon et qu'ils.. »
« Mes parents ne m'aimaient pas ! Ils ont eu peur de perdre leur précieux code génétique après la mort de mon frère… c'est tout !»
« Ton père n'est pas mort avant lui ? »
« Si tu crois que ça allait arrêter ma mère ! Le tableau a dû lui donner son accord - tout pour le sang… ça, ça ne demandait pas beaucoup d'imagination ! A la hauteur d'un portrait à l'huile ! »
« Il y a ici un portrait de ton père ? »
« Dans la galerie », admit Sirius un peu sèchement.
« Et tu ne m'as pas présentée ? »
« Aesthélia… je n'ai aucune envie de me coltiner mon paternel – même en portrait. Pour tout te dire, ma mère est aimable et sympathique à côté ! »
Allongée à côté de lui sur leur immense lit blanc qui leur donnait l'impression de flotter sur un nuage, Aesthélia resta muette suffisamment de temps pour que Sirius s'inquiète.
« Qu'est-ce que tu ne comprends pas ? »
« Je comprends, Sirius. Je sais que tu as eu un conflit énorme avec tes parents, que ton père est mort sans que vous ne vous reparliez… mais, moi aussi mes parents sont morts… j'étais une gamine et je n'ai pas de mauvais souvenir d'eux mais… si j'avais un portrait qui… »
« Aesthélia ce sont des portraits et non des personnes, leurs idées sont aussi caricaturales que leur costume et aussi peu enclines à tout changement ! », répliqua Sirius, étonné de sa propre colère.
«Donc tu ne montreras jamais ton père, la seule représentation de lui que tu possèdes, à Cruz par exemple ?»
Sirius se leva d'un bond et lui tendit la main.
« Quoi ? »
« Je crois que tu ne comprends pas, Aesthélia, que tu ne peux pas comprendre. C'est sans doute au-delà de toute imagination. Allons voir mon père, comme tu le dis. On verra ensuite si tu juges opportun de lui présenter Cruz. »
Malgré la peinture blanche, même débarrassée de beaucoup de ses tentures millénaires, la demeure restait vaste et légèrement inquiétante avec son silence, ses hauts plafonds et ses enfilades de couloirs et de portes. Il y avait la main chaude de Aesthélia dans sa main. Il y avait la médaille qu'elle lui avait offerte à son cou – celle qui lui avait déjà sauvé la vie et le reliait à sa fille. Il y avait la chevalière de son père à son doigt – non, la mienne.
« C'est lui, c'est Sirius ! », le reconnurent nombre de tableaux quand il ouvrit la porte. Certains criaient comme fiers de se faire entendre, comme désireux qu'il les remarque plus que les autres. Certains chuchotaient.
« Silence », demanda-t-il sans élever la voix. Le pouvoir de l'anneau était bien là, dans le silence qui suivi. « Je suis venu voir Orion », ajouta-t-il. Il eut l'impression que les yeux de tous les portraits se dirigeaient vers le lieu où le portrait de son père était accroché.
La main de Aesthélia ancrée dans la sienne, il se mit lentement à marcher jusqu'au cadre de bois noir sculpté. Le tableau avait été accroché là avant qu'il entre à Poudlard. Son père avait eu un moment l'idée de se faire représenter avec toute sa famille – sa femme et cousine, ses deux fils. Sirius ne savait plus pourquoi finalement le projet avait été abandonné. Il imagina un instant qu'il dut aujourd'hui affronter son double de dix ans, celui qui se voulait encore l'héritier de ce père qu'il craignait pourtant tant et si bien. Ce double serait peut-être content de le voir avoir plié.
Le visage adulte qui les regardait avancer était aussi impassible que dans les souvenirs de Sirius – dans ses cauchemars, ce visage vociférait et se déformait sous la colère. Il ne se rappelait jamais de l'avoir vu réellement sourire et encore moins rire. Même par politesse. Alphard, son oncle Alphard, dont le nom était réapparu sur la tapisserie mais dont il n'avait même pas une photo – il faudrait qu'il cherche – lui avait dit une fois que Orion était né vieux. « Il s'est trompé de siècle, je pense. Il aurait été à l'aise au XVIe siècle… voire avant la fondation de Poudlard. Il doit avoir récupéré un vieil esprit dès sa naissance ! » Alphard, il aurait aimé le présenter à Cruz, et il savait qu'il aurait trouvé Aesthélia jolie et distinguée. Mais c'était à Orion qu'il devait parler.
« Père… », il commença sobrement – comme tellement de fois sans son enfance. Le ton de sa voix n'y changeait rien.
« Tu as mis tout ce temps pour te rappeler de mon existence ! », gronda immédiatement le tableau. On aurait dit qu'il n'avait attendu qu'il s'adresse à lui pour pouvoir cracher son venin. Juste après, il se demanda si c'était un effet de l'anneau. Peut-être ne pouvait-il lui parler que parce qu'il l'avait libéré du silence qu'il lui avait imposé en le saluant.
« Non, j'ai mis ce temps à être prêt », répondit Sirius en espérant que la vérité serait une carapace assez puissante. « J'ai un procès à gagner et… »
« Une maison à peindre ! »
« Non, Père, malheureusement, je n'avais pas le temps de m'en occuper moi-même… après tout, j'ai l'or nécessaire pour ce genre de caprice maintenant… »
« Tu ne l'auras pas longtemps à ce rythme ! », estima le tableau.
«Je pense que vous surévaluez les gages d'un décorateur, pourtant il est, paraît-il, très cher…»
« Tu as pris le meilleur ? »
Sirius eut presque les larmes aux yeux en entendant la question. La seule justification aux yeux de son père était là, il le savait.
« Je l'espère », arriva-t-il à articuler.
« Il ne t'a pas dit que tes ancêtres étaient tes meilleurs atouts ? Maintenant lequel d'entre nous peut veiller sur cette maison ? »
« Vous êtes bien placé pour savoir combien cette maison est bien protégée, Père, et mes ennemis sont ailleurs… »
« Ce procès !», cracha Orion avec mépris. Vivant il n'avait jamais professé que du mépris pour le droit, les avocats ou les juges. 'Je préfère les Gobelins, entend-moi, Sirius – au moins je sais ce qu'ils veulent !'
« Je ne suis pas venu pour vous déranger avec ces soucis, Père », enchaîna Sirius qui venait d'atteindre le bout de sa patience, brutalement, sans l'avoir vu venir. « Je suis venu vous présenter, Aesthélia, ma.. »
« Ta femme, et tu aurais une fille - des femelles, mon fils, des sources d'ennuis et de complication… Pense à ce pauvre Cygnus et ses trois filles ! Non que je t'encourage à engendrer un fils, même si tu en as encore l'âge. Ils sont, eux, sources de conflits et de déception… mais ils portent le nom, et c'est quelque chose…»
« Tu vois Aesthélia, j'ai pu prononcer les mots uniquement parce que je suis un garçon… et le dernier vivant… », ironisa Sirius. L'ironie était après tout une carapace bien mieux connue de lui que la chevalière Black face au venin d'Orion.
« Tu es mon fils et mon sang, Sirius. Tu es un crétin suffisant, un prétentieux arrogant, mais tu portes mon sang. Ce dernier t'a donné des traits réguliers et un corps vigoureux - j'espère que tu t'en rends compte ! Mais j'avoue que je ne croyais pas qu'un jour tu aurais acquis suffisamment de cervelle pour penser qu'il ne te suffisait que de prononcer les mots pour… reprendre ce qui est tien… Je l'ai répété à Walburga : il mourra de faim et de froid plutôt que de chercher refuge là où il peut le trouver… Je me trompais… C'est étonnant, mais… tant mieux… Cette maison avait besoin d'un maître. »
La conclusion laissa Sirius totalement stupéfié en face du tableau. Il s'était attendu à ce que son père plastronne et se moque de lui, qu'il le ridicule pour avoir eu la prétention de prendre le contrôle de son héritage - mais la sortie était moins méchante qu'elle aurait pu l'être. L'idée que son père et sa mère aient pu spéculer sur son éventuel retour dépassait les frontières de son imagination.
« Bien sûr, tu n'es pas très respectueux de tes aînés – ce n'est pas nouveau. Mais quand j'ai vu entrer ces inconnus, je l'avoue, j'ai pensé que tu leur avais demandé de tous nous brûler, mais non… Tu n'as pas assez changé sans doute... Toujours cette sensiblerie qui retient tes actes… qui retient ta puissance !»
« La seule fois où… J'ai tendance à penser, après neuf années à Azkaban, que parfois la retenue a du bon, Père », arriva-t-il à articuler. Aesthélia serra plus fort sa main.
« Mais tu vas te venger, Sirius, n'est-ce pas ? Ce que dit Phineas qui t'a écouté, toi et ton avocate, avant que tu ne le fasses décrocher. Tu as dit les mots pour cela, Sirius, non ? Tu as mis cet anneau - mon anneau – à ton doigt pour cela, uniquement pour cela ? Tu espères te venger, laver ton nom et reprendre ta place. Tu vois que tu as besoin de notre puissance pour le faire », continua Orion de cette voix assurée avec laquelle il avait vraiment essayé de faire de lui son héritier.
« Il s'agit de justice et non de magie… » - objecta Sirius - il fallait qu'il garde la tête froide. Orion n'avait pas été redoutable seulement pour son autoritarisme, sa violence ou son mépris des valeurs d'humanité. Il avait aussi ancrer dans sa tête d'enfant des idées et des réflexes contre lesquels il n'avait pas fini de lutter et il le savait.
« Il s'agit d'or, de prestige et d'honneur ! Quand tu auras compris cela, Sirius. Quand tu auras enfin compris cela, tu ne pourras plus t'en passer !»
« Nous verrons », écourta Sirius sans arriver à se décider à utiliser l'anneau pour le faire taire. Est-ce que ce n'était pas là exactement le piège ? Utiliser la puissance, la violence, contre le portrait juste parce qu'ils n'étaient pas d'accord. Juger en dessous de sa dignité de même l'écouter. Faire ce que son père aurait fait à sa place. « Aesthélia voulait vous rencontrer, je pense que cette conversation l'aura pleinement… comblée… »
Sirius dormit très peu après cette conversation. Il regarda une partie de la nuit Aesthélia dormir, avec cet abandon de petite fille qui la rajeunissait tellement. Il pensa à toutes les nuits qu'on leur avait volées et il essaya de ne penser qu'à celles qui viendraient… Bizarrement, il avait un mal fou à les imaginer. Demain, la semaine prochaine passaient encore mais après ? Cruz dormirait –elle jamais dans la chambre qu'ils lui avaient choisie et décorée ? Voulait-il finalement s'installer à Londres et l'envoyer à Poudlard ? Il se sentait incapable d'aligner des arguments rationnels pour ou contre une telle décision.
Il passa une autre partie de la nuit à interroger de sa fenêtre le ciel de Londres sur la nature du piège. Est-ce qu'il avait déjà succombé à la facilité en reprenant son nom ? Est-ce qu'il aurait dû simplement fuir ? Avec Cruz et Aesthélia, avec les deux seules étoiles qui comptaient vraiment pour lui ? Mais il aurait irrémédiablement laissé derrière lui Harry et Remus, il n'aurait pas confronté Peter, réinstallé Alphard et Andromeda sur la tapisserie… Il aurait fui toutes ses responsabilités… Même après que son propre père ait si clairement montré où était le piège, il n'était toujours pas capable de faire un autre choix.
« Tu es inquiet de rencontrer ta cousine ? », crut comprendre Aesthélia quand elle vint le rejoindre devant la fenêtre alors que l'aube se levait.
« Je suis inquiet de tomber dans un piège qui m'attend depuis que je suis né… »
Ooooo
Le suivant s'appelle "Jouer avec la boite de Pandore"...
Je vous souhaite une bonne année pleine de rêves et de belles lectures - tiens d'ailleurs je conseille 'L'océan au bout du chemin' de Gaiman, comme la lecture que je garderai de 2014.
