28 | Ce journal, ma baguette, un tableau

Sirius passa une partie de la nuit suivante à lire ce que Regulus voulait lui raconter de ses débuts avec Abigail : leur rencontre à la bibliothèque ; le charme de leurs conversations simples ; son admiration pour lui - plus âgé, Sang-Pur ; son admiration à lui - son courage, sa curiosité, les courbes de son corps... C'était une étrange camaraderie à retardement pour Sirius qui n'avait plus eu une conversation avec son frère depuis près de vingt ans.

Après ces débuts adolescents et charmants, étaient venus les doutes - jamais les Black ne l'accepteraient. Regulus avait tenté de rompre ; avait été malheureux comme une pierre quand il avait presque réussi ; était revenu en rampant...
"Rien de très étonnant pour qui le connaissait", avait commenté Sirius pour Aesthélia qui lisait la tête sur son épaule.

La décision - longue à arriver, longue à accepter de la part d'Abigail - de placer leur relation dans la clandestinité ne l'avait pas beaucoup plus surpris. 'Parce que je ne voulais pas qu'elle en souffre ; parce que je ne voulais pas qu'on me demande de choisir ; parce que je ne voulais pas être renié comme Andromeda ; parce que je ne suis définitivement pas toi', avait écrit Regulus.

"Parce qu'il n'avait pas d'autre choix", l'avait dédouané Sirius avec facilité auprès de Aesthélia qui restait silencieuse. "Je n'aurais sans doute pas fait autre chose... pas si je n'avais pas fait autant de chemin avant... si je n'avais pas eu des amis aussi différents des siens... trop de si pour que ça se reproduise beaucoup de fois..."

Aesthelia à côté de lui, Sirius avait mesuré combien il devait peut-être que Regulus se soit battu à l'existence de cette Abigail au sang-mêlé. Sa constance, son courage et son abnégation étaient assez proches de ce que Aesthélia avait fait pour lui.

"Je suis content qu'il l'ait rencontrée", avait-il commenté.

"Certainement", avait abondé sa femme avant d'insister pour qu'ils s'arrêtent là pour ce soir.

"Tu ne vas pas réussir à lire, digérer, dix ans ou vingt ans de la vie de ton frère en deux jours. Tu ne vas pas passer encore la nuit à ressasser ça tout seul. Moi, je ne peux plus garder les yeux ouverts et, toi aussi, tu as besoin de se reposer."

Sirius s'était endormi plus facilement qu'il ne l'avait craint entre ses bras mais il s'était réveillé avant l'aurore. Il avait eu l'impulsion de se relever pour se remettre à lire, mais s'était rendu compte qu'il ne voulait pas aborder ça tout seul. Aesthélia avait, une fois de plus, raison : il avait toujours trop peur de ce qu'il allait lire quand ils allaient aborder la lutte contre Voldemort et les choix de Regulus.

Il avait attendu que le réveil sonne avec une espèce de terreur superstitieuse, se reprochant d'avoir peur, se reprochant de verser tous ces étranges soucis sur sa si parfaite moitiée. Aesthélia avait fini par le sentir.

"Qu'est-ce qui ne va pas ?"

"Je me dis que je vais te supplier de te pencher avec moi sur un chapitre... sur les actions d'un frère que tu as toutes les raisons de détester..."

Aesthélia avait levé les yeux au ciel.

"J'ai été la première à te tanner pour qu'on sache. Mais il va falloir que tu te trouves d'autres activités ou un autre assistant que moi si tu ne veux pas attendre... J'ai rendez-vous à l'Université, avec cette professeur Girasis qui a mis tant de temps à me répondre. Maninder lui a arraché un repas, elle, lui et moi..."

"Ah oui", se souvint Sirius, embarrassé d'avoir oublié. Aesthelia était invitée par des collègues de l'Université de Londres avec, à la clé, la possibilité de donner quelques cours et d'avoir de son côté des activités intéressantes. Un truc normal en quelque sorte dans leur vie toujours si peu normale.

"Il faut qu'on se lève. Cruz va être en retard", décida sa femme regardant l'heure. "Et je voudrais lire des articles récents de Maninder avant d'aller à l'Université."

"Je vais m'occuper de Cruz", annonça Sirius avec décision. C'était sans doute plus utile que de rester là à se demander s'il serait capable de continuer à lire le journal de Reg.

oo

"Tu as peur que je ne m'excuse pas ?", s'inquiéta sa fille quand il lui apprit qu'il allait l'accompagner à Poudlard et non l'expédier par Cheminette.

"Je suis content que tu n'aies pas oublié que tu dois le faire", jugea Sirius. "Mais Remus n'est pas que ton tout nouveau parrain, c'est aussi mon ami, et Harry est mon filleul. J'ai des tas de raisons d'aller à Poudlard."

Sans parler d'envahir une fois de plus ce pauvre Lunard avec mes problèmes. Ça, il l'avait gardé pour lui et s'était efforcé de ne pas trop hésiter à chaque étape de leur préparation. Ils furent néanmoins plus en retard que lorsque Aesthélia gérait l'affaire, et il finit par tomber d'accord avec Remus pour qu'ils se retrouvent dans le Grand Hall de Poudlard pour rattraper une partie du temps perdu.

Fidèle à elle-même, Cruz s'était jetée dans les bras de Remus en sortant de la cheminée pour proférer les excuses promises. Fidèle à lui-même, Lunard les avait très solennellement acceptées et lui avait rendu son étreinte. Harry avait eu l'air rassuré par cette évolution. Sirius avait décidé d'accélérer le mouvement.

"On fait un deal", proposa-t-il aux deux enfants. "Vous allez vite en classe et vous êtes sages et, nous, on trouve un truc sympa à faire tous les quatre avant que Cruz et moi ne rentrions..."

"Je ne reste pas ce soir ?", s'enquit la fillette les sourcils froncés.

"On a besoin de passer du temps tous les trois", confirma Sirius en soutenant son regard et en priant des divinités exotiques qu'elle ne refasse pas une scène, là, au milieu du Grand Hall, devant Remus et Harry.

"On ira voler ?", se réjouit Harry, peut-être pour faire diversion. Puis la réaction de Cruz lui rappela son impair. "Ah, non."

"Vous pouvez voler... y a que moi qui ne peux pas", soupira la fillette avec un certain stoïcisme, tout bien considéré.

Sirius se répétait cependant qu'il ne pouvait pas céder à ses pulsions de mansuétude quand Remus lui fit signe qu'il avait une proposition.

"Cruz, que dirais-tu s'ils allaient voler, Harry et Sirius, et que nous, nous allions voir les licornes..."

"Et tu me raconteras des histoires ?"

"Avec plaisir", promit Remus facilement.

"Tu as bien rattrapé le coup", jugea Sirius alors qu'ils regagnaient de concert les appartements de Remus.

"Je suis content que Cruz trouve que passer du temps avec moi soit un prix de consolation aussi élevé", sourit Remus en lui tenant la porte.

"Je me fais l'effet d'un ogre... toutes ces règles, toutes ces..."

"...privations de vol", compléta Remus avec un petit sourire qui tenait sans doute de la vengeance satisfaite comme de la compréhension profonde.

"Je peux te le dire à toi - Aesthelia ne le sait pas. C'est Cruz qui a proposé... sans s'en rendre compte, sans doute... Elle a dit un truc du genre : 'je ne vais pas pouvoir remonter sur balai avant longtemps, hein ? ' et je n'ai eu qu'à confirmer... Ne rigole pas, Lunard !"

"Les enfants... Je crois que les enfants nous poussent à devenir ce dont ils ont besoin", commenta Remus quand il eut repris son sérieux. "C'est ce dont j'ai eu l'impression avec Harry, et ... on dirait que Cruz a envie d'un Papa peut-être plus directif et constant que tu ne saurais l'être de toi-même. Mais elle a besoin de cela, et tu l'entends. Je crois que ça nous grandit, d'avoir des enfants et de répondre à leurs besoins..."

"Que dire des parents qui n'entendent pas alors ?", murmura Sirius très intimidé par l'approbation tacite de Remus.

"Pas beaucoup de bonnes choses."

"Non", soupira Sirius en sortant le journal de Regulus de sa poche et en le posant sur ses genoux.

"Tu es arrivé à le lire ?!", se réjouit Lunard.

"J'ai commencé... En fait, c'est un journal de dialogue, un journal avec lequel on peut dialoguer - et c'est Aesthelia qui a eu l'idée de creuser de ce côté-là", expliqua Sirius avec une certaine fierté pour sa compagne. Remus eut l'air intéressé. "Si je pose par écrit des questions - moi seulement - il me répond... Avec de très longs développements sur sa vie, ses sentiments, ses ressentiments... Je n'avance que très lentement... d'abord parce que c'est long, ensuite parce que c'est... parfois difficile à lire pour moi... aussi parce que j'ai dû gérer des excuses officielles aux Malefoy..."

"Toute ma sympathie", grimaça Remus avec pas mal de sincérité. "Drago n'est pas remonté dans l'estime de Harry avec cette histoire."

Sirius écarta le sujet d'un geste de la main.

"J'ai sans doute abusé de ma position théorique pour que l'épreuve soit minimale... mais il fallait que Cruz le fasse..." Remus approuva silencieusement. Sirius décida de ne pas creuser et reposa sa main sur le journal. "J'ai déjà lu mon départ, sa colère, son incorporation chez les Mangemorts ; ses amours secrètes avec Abigail, et ses doutes croissants quant à Voldemort... On s'approche de ce qui nous intéresse... et me fait peur..."

"Nous fait tous peur", renchérit Remus très sérieux.

"Je voulais savoir si tu voulais bien m'accompagner pour cette partie du voyage ?"

Ils mirent un certain temps à s'asseoir, côte à côte, devant une table sur laquelle Remus avait placé une plume et un encrier. Remus lui avait offert du thé et il avait accepté.Il avait enlevé sa chevalière et l'avait posé sur le manteau de la cheminée assez loin de l'endroit où ils allaient travailler pour qu'elle n'interfère pas avec le journal. En buvant leur thé, ils avaient discuté avec pas mal de légèreté et de connivence de Harry et Cruz ; Remus lui avait dit tout le bien que les tuteurs des deux enfants pensaient de la petite fille.

"Je suis stupidement fier", avait réalisé Sirius.

"Tu peux, et une dose de sentiments positifs ne peut pas te faire de mal avant qu'on se colle face au récit de Regulus", avait jugé Remus.

Comme ils avaient clairement épuisé toutes leurs échappatoires, ils s'étaient assis à la table de travail de Remus. Sirius avait tracé sa nouvelle question, et ils avaient tous les deux, en retenant leur souffle, regarder la réponse de Regulus s'inscrire lentement.

'La décision de chercher à s'opposer à ses projets n'est pas venue toute seule, tu l'as bien compris maintenant. Il ne faut pas me croire plus courageux que je ne suis, Sirius. J'ai d'abord pensé à fuir, mais tout était trop loin ou trop compliqué ou trop dangereux. Futile en un sens.

Alors, il restait faire quelque chose, là où j'étais - là où nous étions, quelque part, puisque tu as dû rencontrer Abigail, sinon tu n'aurais pas eu ce journal. Sans Abigail, je ne sais pas ce que je serais devenu. Fou sans doute.

C'est elle qui a eu l'idée de chercher comment il faisait. C'est elle qui a passé des nuits à déchiffrer d'obscures grimoires piqués dans la bibliothèque des parents. C'est finalement à la morgue de Bellatrix et à la constance d'Abigail que je dois d'avoir dressé la liste des Horcruxes et de leur localisation. Il a fallu ensuite réfléchir à leur destruction. Ce sont des objets dangereux.

Ce n'était pas que je tenais encore à la vie, Sirius. Ce n'était pas que j'avais peur de mourir mais je ne voulais pas mourir avant d'avoir fini.'

"On y vient", remarqua tranquillement Remus en s'étirant. "Tu ne veux pas un nouveau thé?"

"Si, avec plaisir... Ça va ? Tu tiens encore le coup face aux mentions de la si parfaite Abigail ?"

"Sirius..."

"Je sais, elle était là alors que, moi, grand frère inique, je l'avais laissé tomber !", grinça Sirius.

"Elle était là et elle est toujours là, comme Aesthélia est là..."

"Le parallèle ne m'a pas échappé." Remus sembla le croire. "Tiens, pendant qu'on est presque dans le sujet, vous en êtes où avec Dora ?"

"Je ne crois pas du tout que ce soit le même sujet", articula Remus en leur servant des tasses.

"Les hommes et les femmes, leurs relations ? Allez, mon vieux, fais un effort !"

"Sirius, honnêtement, je n'ai aucune envie de discuter de ma relation avec Dora avec toi... aucune."

"Je pourrais te faire le coup du chef de la maison Black", tenta Sirius.

"Surtout, fais-toi plaisir", persifla Remus. Ce n'était pas le Lunard de ses souvenirs - lui aurait rougi devant les sous-entendus ; c'était un Remus qui tiendrait sa position parce qu'il avait acquis les ressources pour le faire.

"Lunard, tu sais que je suis dans ton camp. S'il faut parler à Meda et Ted..."

"Au nom de la maison Black ? Sirius, faut que tu arrêtes avec ta chevalière et ce fichu journal, ça te donne de drôles d'idées !"

"Ok", soupira Sirius. "C'était bien intentionné de ma part "

"Tu es souvent assez pénible quand tu essaies de l'être", remarqua Remus. Sirius se sentit étrangement blessé de cette pique, et Lunard s'en rendit compte. "Pardon, je tombe moi aussi dans des travers qui trouvent leurs racines dans un temps révolu. Je vois tout ce que tu t'efforces de faire, tout ce que tu cherches à mener de front : les procès, Aesthelia, Cruz, Harry et maintenant ce journal... Tu peux être fier, et tes intentions sont bonnes, et tu n'es en rien pénible - sauf quand tu t'inquiètes pour moi. Excuse-moi."

"C'est que j'ai... j'ai... Je ne veux pas avoir l'air de me plaindre mais... j'ai l'impression d'aller d'un test à l'autre, sans fin, sans répit ou à peine", souffla Sirius.

"Je suis désolé, sincèrement, Sirius. Si tu en as assez de tout ça, on peut arrêter pour aujourd'hui", proposa Remus avec sollicitude.

"Non, il faut qu'on avance", décida Sirius en serrant les dents et en se ressaisissant de la plume.

'Donc, tu as tué la mère de Abigail pour créer un Horcruxe ?', traça-t-il.

Le temps de réponse fut insensiblement plus long que d'habitude. Assez pour que Sirius envisage de s'excuser ou de poser une autre question. Puis les mots apparurent :

'Il fallait que je puisse aider... celui et ceux qui essaieraient de mettre fin au cauchemar.'

Sirius nota avec une satisfaction amère que Regulus ne se planquait pas derrière le fait que la femme était malade et mourante et qu'elle avait proposé qu'on la sacrifie. Il ne développait non plus.

'Comment pensais-tu les aider ?', relança Sirius sobrement.

'Est-ce que ça veut dire que j'ai échoué ? Qu'il est toujours là ?', s'inquiéta Regulus.

'Tu ne sais pas ?', s'étonna sincèrement Sirius.

'Je suis une mémoire, Sirius, pas omniscient. Je suis là pour témoigner, raconter... et plaider. Mais je ne sais rien de ce qu'il a pu se passer depuis ma... ma disparition.'

Comme Sirius ne savait pas comment continuer, Remus proposa :

"Abigail ne l'a pas tenu au courant ?"

'Au début, elle le faisait mais on s'est vite rendus compte que c'était.. douloureux et inutile', fut la sobre réponse de Regulus.

Sirius essaya d'imaginer quelques conversations et dût admettre que ça pouvait vite devenir terriblement limité. Il regarda Remus et quand celui ci l'encouragea d'un signe de tête, il se mit à écrire les événements qui avaient conduit à la disparition de Voldemort sur près de dix années. Ça lui prit un temps infini parce que Regulus avait des tas de questions : sur les conditions de la mort de James et de Lily à l'emprisonnement de Sirius ; il avait du mal ; à croire que Peter 'ce lourdeau' ait pu le tromper aussi facilement, lui, son grand frère. Il s'étonna aussi d'apprendre la nomination de Remus à Poudlard - 'encore qu'il ait toujours été le plus raisonnable de votre bande' - et son adoption de Harry. Il voulut tout savoir de l'évasion de Sirius et parut réellement ému d'apprendre l'existence d'une madame Black Da Silva et plus encore d'une jeune Cruz.

'Abigail voulait tellement un enfant', commenta-t-il. 'C'était impossible, trop dangereux... mais je sais que c'est ce que je lui ai demandé de plus difficile.."

'Quelque part, c'est Cruz, Harry et toi qui en ont fini de Voldemort', écrivit Sirius en retour.

'Vraiment ? Raconte-moi !'

Sirius s'exécuta. Il parla de la baguette, de ces conseils, de Harry qui avait eu la folie et la sagesse de l'écouter.

'Il était le dernier Horcruxe ? Merlin, je suis content d'avoir su le comprendre et lui dire', se félicita Regulus.

'Tu n'as qu'un Horcruxe ?', vérifia Sirius. Comme il s'inquiéta un peu tard que Reg se sente accusé ou critiqué, il chercha à développer ses questionnements : 'Comment ta baguette a-t-elle pu conseiller Harry ?'

'Je sais que tu as peu de raison de me croire, mais créer un Horcruxe a été une des pires décisions de ma vie. Avant, j'ai cherché ce que je pouvais laisser comme piste. J'ai voulu croire qu'à cause de mon sacrifice, la magie quand elle voudrait se rééquilibrer, orienterait son champion vers moi... Mais j'ai réalisé qu'avoir un Horcruxe était une base mais pas suffisante. On peut détruire un Horcruxe, et rien ne disait que le premier champion réussirait. J'ai laissé différents objets : ce journal ; ma baguette ; un tableau qui sont connectés à mon Horcruxe et sont donc en capacité de donner des conseils... si on leur pose les bonnes questions, évidemment.'

"Est-ce que la baguette a reparlé de nouveau à Harry ?", questionna Sirius à haute voix.

Remus haussa les épaules.

"Il n'a rien dit de la sorte, mais je n'ai rien demandé... Je reconnais que je ne l'ai pas envisagé... stupidement", regretta Remus.

Une porte claquée, une cavalcade joyeuse. Sirius ferma le journal d'un geste brusque au retour des enfants.

"Vous faites quoi ?", questionna Harry.

"On travaille", répondit Remus.

"Encore ce gros livre", râla Cruz les deux mains sur les hanches. "Papa passe ses journées et ses nuits dessus !"

"Qu'est-ce que tu en sais ?!", s'inquiéta Sirius. Dans un vertige, il l'imagina l'espionner.

"Je sais", répondit Cruz. "Tu l'emmènes partout et, hier, Mãe disait qu'il ne fallait pas te déranger, que tu avais passé toute la nuit sur quelque chose d'important et de difficile "

"C'est quoi ?", s'enquit plus sobrement Harry.

"Un journal... un journal qui peut nous aider à comprendre comment Voldemort avait survécu et comment tu l'as vaincu, Harry", essaya Remus.

"A quoi bon ? Il a réussi, c'est tout ce qui importe", jugea Cruz.

"Non, Cruz. C'est important de savoir comment. De... savoir de quelle aide Harry a bénéficié... Il faut toujours remercier les aides dont on a bénéficiées ", développa Remus.

Plutôt lui que moi, jugea Sirius qui préféra se tourner vers son filleul.

"Tu es prêt, Harry ?"

"Quand tu veux, Sirius !"

Ils volèrent jusqu'à ce que l'air refroidisse parce que le soleil avait disparu en ne s'arrêtant que quelques minutes deux ou trois fois pour boire et manger quelques gâteaux. Sur le chemin du retour vers le château, Harry lui raconta sa version de l'altercation entre Drago et Cruz et alla même jusqu'à prétendre qu'elle l'avait battu de vitesse et que c'est lui qui aurait bien donné une leçon à l'héritier des Malefoy.

"Remus t'aurait massacré", commenta Sirius avec résignation. Il réalisa un peu tard qu'il avait formulé ça comme Cyrus l'aurait fait et non de la façon qu'un adulte, même complice, devait le faire.

"Ça en aurait valu le coup", affirma Harry avec un air farouche.

"Je vais répéter ce que j'ai dit à Cruz alors : est-ce que tu crois que ça l'aurait davantage convaincu que Susan méritait son respect ?"

Harry marmonna quelque chose qui ressemblait à "cause perdue de toute façon". Sirius décida de laisser tomber. Notamment parce qu'il venait de réaliser l'heure qu'il était et le temps qu'il leur faudrait pour rentrer. Chez Remus, il pressa Cruz de rassembler ses affaires.

"Il faut qu'on rentre, Cruzinha, j'ai promis à ta mère qu'on ne rentrerait pas trop tard !"

Il eut l'impression de Remus se retenait de souligner combien tout cela le mettait en joie. Peut-être parce que Cruz obtempérait à grands renforts de soupirs et de messes basses pour Harry.

"On continue demain ?", souffla son vieil ami en les raccompagnant à la porte.

"Je te dis si je viens ou si on fait autrement... mais il ne faut pas que je le fasse seul", soupira Sirius.

"Je suis d'accord", commenta sobrement Remus peut-être parce que Cruz avait l'air de les écouter avec attention.

Devant la cheminée raccordée au réseau national, Sirius réalisa qu'il n'avait oublié sa chevalière chez Remus. Il hésita une demi-seconde puis décida qu'il la récupérerait le lendemain. Ils n'avaient pas le temps.

ooo

Le dîner se passa tranquillement. Cruz vanta les connaissances de son parrain sur la faune et la flore de la forêt ; Aesthélia avait trouvé un accueil satisfaisant à l'université et avait hâte de pouvoir accompagner les travaux d'élèves avancés ; elle y retournerait le lendemain pour un séminaire de recherche. Il y avait dans cette conversion un début de normalité qui ravissait Sirius. Ils arriveraient sans doute bientôt à fonctionner comme une famille équilibrée qu'ils restent ici ou partent vers des cieux renouvelés. Il avait foi en elles, en eux. Ça le remplissait d'une force qui paraissait sans limite.

Cruz partit se coucher sans réclamer une histoire, se disant fatiguée de la marche en forêt, et Sirius s'interdit de le regretter. Il fallait laisser davantage de souplesse dans leurs relations ; ne rien figer ; ne pas créer des raisons de souffrance inutile. Il se plongea dans les documents envoyés par Straightford sur le procès à venir ; et Aesthelia décida de vérifier que Cruz dormait vraiment.

Il était au milieu de la lecture du compte-rendu de la négociation avec l'avocat de Peter, quand sa médaille le brûla de manière fulgurante. La douleur aussi violente que ressentait Cruz prenait tout son esprit. Sirius se jeta dans les escaliers et fut guidé par les cris de sa fille, non vers les chambres, mais vers la galerie des portraits. Aesthélia était déjà sur les lieux. Cruz se tordait de douleurs sur le sol, la violence de ses mouvements empêchait sa mère de la tenir efficacement. En s'avançant davantage, Sirius vit qu'elle tenait sa main droite à laquelle brillait une chevalière qu'il avait cru oubliée à Poudlard.

"Enlève-la, enlève-la, si elle te fait si mal !", tentait Aesthélia sans arriver à maîtriser la fillette.

Le vol n'explique pas tout, décida Sirius, tout en tombant à genoux à côté de sa fille et en tentant lui aussi de la contenir. Lui-même avait déjà mis la chevalière à son doigt avant la mort de son père, et à l'initiative de celui-ci, pour en sentir la puissance. Il ne devait pas alors être plus âgé que Cruz. Il se rappelait clairement la sensation que la puissance contenue était hors de son contrôle mais pas de douleurs. Reg l'avait une fois, par pure jalousie, dérobée et essayée. Toutes les douleurs qui en avaient découlé avaient été dues à la correction magistrale imposée par Orion, pas par la chevalière.

Malgré leurs efforts conjugués, Cruz sanglotait et les repoussait. Sa main rougissait, et la chevalière semblait lui entrer dans la peau. Autour d'eux, les portraits hurlaient des avis contradictoires et globalement incompréhensibles, même si Sirius avait voulu les écouter. Tentant une nouvelle fois, de bloquer la main de Cruz pour mieux l'examiner, il vit soudain un volume enveloppé d'une lueur magique sous elle. Le journal ! Comme dans l'atelier du père de Abigail, il réagissait à l'anneau !

"Enlève-le, emporte-le, Aesthélia, le journal, éloigne-le !"

Sa femme mit quelques secondes à comprendre et réagir mais se saisit du volume pour le jeter hors de la pièce. Il l'entendit glisser sur le sol de marbre parce que l'action avait miraculeusement fait taire les portraits.

"Mais quelle imbécile !", ragea sa femme en se retournant vers eux.

Cruz, se débattant moins, Sirius put enfin bloquer la main et poser ses doigts sur la chevalière.

"Je suis le seul à pouvoir la porter. Laissez-moi la reprendre", intona-t-il sans trop savoir à qui il s'adressait.

"Tu la laisses trainer, voilà ce qui arrive !", ponctua Orion, qui d'autre.

"Il faut lui couper le doigt", proposa un autre portrait.

Cela sembla ouvrir de nouvelles vannes, et toutes les voix des portraits se mêlèrent de nouveau dans une cacophonie indescriptible de conseils, de critiques, de questions et de récriminations.

"Essaie de l'enlever toi", proposa Sirius en portugais à sa fille.

"Eu lamento", hoqueta la fillette.

"Essaie plutôt", ordonna Sirius d'une voix âpre et sèche qui le surprit lui-même.

Toujours tremblante et éplorée, la fillette surmonta sa propre peur de la douleur à grand peine mais elle arriva à faire glisser l'anneau. A sa place, il n'y avait plus que de la chair à vif.

"Merlin, il faut...", se précipita Aesthélia.

"Pas y toucher tout de suite, laisse-moi le temps de réfléchir", s'opposa Sirius. "Je parie bien pour une série de pièges..."

"Mais elle saigne...", protesta faiblement sa femme.

"Elle l'a mérité", jugea un ancêtre masculin non identifié.

"Le sang est toujours un bon prix dans la famille", commenta une autre voix qui saisit Sirius.

"Reg ?!"

Cruz comme Aesthélia le regardèrent comme s'il devenait fou, mais Sirius se leva à demi pour observer les portraits. Il régna une seconde un silence assourdissant puis les commentaires reprirent de plus belle.

"Mets l'anneau, Papa", souffla Cruz en anglais. "Fais les taire..."

L'idée ayant sa logique, Sirius obtempéra. Il ressentit des vagues de puissance contrariée et contradictoire mais quand il dit "silence", il fut obéi.

"Merci", souffla Cruz en se laissant aller contre lui. "J'ai moins mal... Désolée... je sais... tout est de ma faute..."

Sirius ne se fit pas assez confiance pour commenter. S'il ouvrait la bouche, il allait hurler. Ou pire. C'était un barrage qu'il ne fallait pas ouvrir. En tout cas, pas tout de suite. Pas avant qu'il se soit calmé, qu'il ait compris ce qui s'était vraiment passé et qu'il soit sûr qu'il n'y ait pas d'autres conséquences pour la fillette. Et puis, il y avait cette voix...

"Leva-a" souffla-t-il en mettant Cruz dans les bras de sa mère. Les mots lui étaient de nouveau venus en portugais. "Ne bougez pas", rajouta-t-il en anglais avant de se lever, de tirer sa baguette et de se mettre à inspecter les tableaux.

"C'est moi que tu cherches", souffla alors la même voix, venant d'un coin obscur de la galerie.

Elle venait très étonnamment du petit tableau de la tante Lucretia. Il s'approcha et il vit une autre silhouette dans le tableau, masculine, plus jeune aussi..

"Il m'a viré de mon tableau", commenta alors une voix dans son dos. Il se retourna et Lucretia était là, réfugiée dans le cadre de son père Arcturus - le grand-père maternel de Sirius. "C'est mon tableau !".

"Mon garçon, ta fille est une petite sauvage qu'il serait temps de dresser !" commenta Arcturus avec hauteur. "Quand j'étais le chef de cette famille, de tels... désordres n'auraient jamais été acceptés", continua t-il en agitant sa main droite à laquelle brillait évidemment la chevalière.

"Je ne suis pas sûr, Grand-père, que Sirius soit un adepte du dressage", commenta la voix de Regulus. "En fait, je l'espère..."

"Lumos", souffla Sirius pour éclairer le tableau. C'était bien Regulus. Un Reg grand adolescent, dix-huit ans peut-être, moins de vingt ans, dans une tenue très formelle, mais indéniablement lui.

"Salut, Sirius", l'accueillit le jeune homme peint avec un demi-sourire. "J'aime bien ta fille... Elle m'a l'air d'un sacré numéro. "

"Reg ?", répéta Sirius abasourdi.

"Allons, après deux jours de discussion, assez intime finalement, tu devrais être moins surpris !"

"Mais qu'est-ce que tu fais là, d'où tu sors ?!"

"Je t'ai dit que j'avais ensorcelé trois objets pour communiquer avec mon Horcruxe", soupira Reg. "Le journal, ma baguette et un tableau - Bravo, tu as réuni les trois..."

"Tu étais là tout ce temps ?", s'étrangla Sirius.

"Oui, mais comme Père n'aimait pas tellement plus mon portrait que ma présence à la fin de sa vie, il l'a fait recouvrir par un portrait de sa douce soeur... C'est parce que ta fille a réuni la chevalière et le journal qu'elle m'a permis de sortir de cet ennuyeux arrière plan !"

Reg regardant clairement quelque chose derrière lui, Sirius se retourna sur Aesthélia et Cruz, qui reniflait toujours mais paraissait totalement fascinée maintenant.

"Who is that, Daddy ?"

"Ton oncle, Regulus. Reg, ta nièce Cruz Magalhis... et ma femme, Aesthélia..."

"Enchanté", sourit Regulus.

"C'est moi qui l'ai fait apparaitre ? Moi ?", s'enquit la fillette presque ravie.

Sirius sentit la colère ; l'anneau à sa main droite ; la peur de la perdre...

"Ne t'en prends pas à elle", souffla Reg avec une vraie inquiétude dans la voix.

"Elle m'a volé la chevalière et a fouillé dans mon bureau pour prendre ton journal -, tu m'excuseras si je ne saute pas de joie", arriva-t-il à articuler.

"La chevalière, tu l'avais oublié chez Remus", tenta Cruz, mais Aesthelia lui intima de se taire;

"Je ne l'avais pas oubliée ! Je ne l'ai pas vue quand j'ai pris mes affaires et je comprends maintenant pourquoi ! Je t'ai dit de ne pas toucher à mon bureau ! Je t'ai aussi dit de ne pas venir dans cette galerie toute seule", gronda Sirius de plus en plus fort. Il sentait la colère roder autour de lui. Terrifiante et tentante. "En fait, je ne peux pas te faire confiance du tout !"

"Nao ! Daddy, eu lamento !", s'écria Cruz.

"Sirius", souffla Aesthalia tout en empêchant la fillette de se ruer sur lui sans doute pour l'enlacer. Ses yeux étaient inquiets, d'une nouvelle inquiétude qui le mortifia.

"Je sais, je dois me calmer avant de dire ou de faire quoi que ce soit", admit-il. "Montre-moi ta main !"

Cruz regarda Aesthelia avant d'obéir, mais Sirius ne lui en voulut pas. Il était à peu près certain qu'il devait faire peur. Lui-même se faisait salement peur, en fait. La fillette tendit finalement, un peu timidement, sa main blessée. Si la chair était toujours à vif là où la chevalière l'avait marquée, la rougeur avait reculé. Il espéra que sa colère allait faire de même.

"Est-ce que quelqu'un sait si elle risque quoi que ce soit ?", demanda-t-il à ses ancêtres réunis dans la pièce.

"En dehors d'une bonne correction ?", s'enquit un tableau, mais la majorité resta essentiellement silencieuse et, en tout cas, personne ne fournit d'avis utile.

"Toi ?", questionna Sirius en regardant Reg. "Tu sais ?"

"Moi plutôt que Père ?", remarqua son frère.

"Tu es le seul à ne pas souhaiter qu'elle souffre davantage, je dirais que ça tend à que je te fasse confiance... plus ce que j'ai récemment compris de ton expertise", reconnut Sirius.

"Je ne pense pas qu'elle risque quoi que ce soit. C'est plus circonstanciel que planifié par un de nos charmants ancêtres comme une protection de l'anneau... Une solution de tentacules de Murlap marinés serait sans doute un bon début."

Aesthélia eut l'air d'approuver.

"On en a ?", s'enquit Sirius. "Sinon, on peut envoyer un elfe à Sainte-Mangouste en chercher." Il réalisa que Aesthelia ne l'avait jamais fait. " Reg... je vais m'occuper d'elle et..."

"Avec empathie", insista Reg sans cacher son inquiétude pour la fillette.

"Merlin, Reg... je ne suis pas Orion", fut tout ce que Sirius trouva à dire. Il ne savait pas ce qu'il ferait ou dirait mais il s'en tenait à cet impératif : ne pas faire ce que leur père aurait fait.

Le portrait de son frère opina gravement. Quelque part sur leur droite, quelqu'un éternua avec mépris. Il n'y avait nul besoin de chercher qui.

"Puis-je exprimer une dernière requête ?", reprit Regulus. "Je crains que si je reste dans cette galerie, je connaisse quelques désagréments..."

"Je veux mon tableau !", commença tante Lucretia.

"Je vois", admit Sirius. "On va te mettre dans mon bureau que je vais fermer à double tours", précisa-t-il. Cruz eut la bonne idée de paraître contrite de la précision.

"Et moi ?", protesta sa tante.

"Chère tante Lucrétia, je suis sûr que vous serez serrée mais en sécurité auprès de grand-père cette nuit. Sirius fera venir un peintre demain pour... créer d'autres arrangements", proposa Regulus.

Sirius eut un moment d'incrédulité douloureuse puis, faute de meilleure idée, admit à haute voix qu'il ferait cela. A la première heure. Les portraits parurent le croire. Il allait retirer le portrait de Regulus du mur quand un picotement à sa main droite l'arrêta.

"Tu sais ton truc, Reg, c'est pénible au bout d'un moment..."

"Comme si j'aurais pu même imaginer qu'un jour tu mettrais volontairement cette chevalière, Sirius", protesta son frère de sa voix la plus raisonnable.

"J'envoie un elfe te chercher", décida Sirius qui imaginait mal Aesthelia accepter de s'en occuper. "Et s'il lui ait arrivé quoi que ce soit, je fais un grand feu de joie de vous tous au milieu de cette galerie. Suis-je clair ?"

ooo

Bon, un peu d'action et d'évolution, non ? Ce chapitre est dédié aux deux reviewers de la semaine -Chrys et Noellou. Merci les filles.

Il n'existerait pas sans le soutien et la relecture de LN et Dina - je vous serre sur mon coeur;

La suite s'appelle "Un fil de lumière"