Envol 31 | Un jury ou un tribunal

"Oh.. ça ressemble à un jury ou à un tribunal", commenta lentement Regulus quand les trois adultes entrèrent dans le bureau de Sirius, une fois les enfants couchés - ou, au moins, parqués dans la chambre de Cruz relativement contre leur gré.

La posture de Reg cachait mal une certaine nervosité. Peut-être qu'il n'était pas le seul à s'inquiéter de la phase finale de ces retrouvailles, réalisa Sirius. Comme c'était intimidant, il prit le temps de regarder Remus et Aesthélia, les deux personnes en lesquelles il avait aujourd'hui le plus confiance au monde, avant de se retourner vers le portrait de son frère : "Tu as rencontré Aesthélia hier, Reg. Tu sais, si on a pu entrer en communication par le journal, c'est en grande partie grâce à elle... elle s'est plongée dans l'histoire des journaux magiques pour moi... entre autres choses."

Sa femme lui sourit mais ne sembla pas prête à commenter. Il se tourna donc vers son ami sans trop savoir ce qu'il allait dire : "Et Remus... "

"Regulus, tu as sauvé Harry, tu lui as permis de vaincre Voldemort. Je ne pense pas que quelque chose pourrait davantage me donner envie de te remercier", compléta Lunard d'un ton convaincu.

"Ah oui, le jeune Harry... J'aimerais beaucoup le rencontrer !"

"Il en meurt d'envie lui aussi", commenta sobrement Remus.

Sirius revit Harry prendre sur lui pour promettre, quelques minutes auparavant, à son père qu'il resterait avec Cruz dans la chambre et qu'en aucun cas, il n'essaierait de les espionner ou de rencontrer Regulus avant que Sirius ne l'autorise explicitement. Ça n'avait pas été une conversation facile, notamment parce que Cruz n'avait pas caché qu'elle estimait que Regulus ne pouvait constituer un quelconque danger.

Remus avait eu, assez traîtreusement le dessus, en invoquant un "pas deux fois, Harry" qui avait efficacement réveillé les remords du son filleul. Lui-même avait insisté auprès de l'elfe Loly pour qu'elle ne les quitte pas des yeux. Il ne savait lequel des deux enfants avait été le plus vexé de cette précaution.

"Il est là ?", questionna Regulus avec un intérêt non dissimulé.

"Il est avec Cruz. Il est tard, ils te parleront une autre fois", essaya Sirius, mais Regulus ne fut pas dupe.

"Tu crains quoi ?"

Peut-être qu'il n'y avait que la vérité, décida Sirius. Que seule la vérité pouvait acheter la vérité.

"Je ne sais pas, Reg, mais... dans le journal, je t'ai raconté comment Pettigrow m'a... fait accuser du meurtre de James et Lily. Je n'ai pas seulement été envoyé à Azkaban à tort, Reg. J'ai laissé Aesthélia et je n'ai pas vu naître et grandir ma fille - je ne savais pas qu'elle existait... Je n'ai pas pu m'occuper de Harry - Remus l'a fait très bien, mais je reste celui qui a entraîné tout le monde dans le piège avec moi, tous ceux qui tenaient à moi, qui croyaient en moi.. Aujourd'hui, je suis ravi d'avoir ce tableau ; je peux te remercier à genoux d'avoir aidé Harry mais... je ne mettrai pas ma famille et mes amis en danger parce que j'aurais cru avoir tout compris une fois de plus."

Regulus le dévisageait sans rien dire.

"Je ne demande qu'à te... faire confiance, Reg, mais... tant que tu ne m'as pas tout raconté, que je n'ai pas tout compris, tout mesuré... tant que je ne sais pas ce que tu veux..."

"Je suis un tableau, Sirius - comment peux-tu avoir peur de ce que je veux ?", questionna son frère avec un rire sans joie.

"Quand j'ai rencontré Abigail... elle a laissé entendre qu'elle n'espérait plus que je vienne et que quelque chose soit possible. Elle a refusé de dire quoi. Elle a dit que je devais suivre votre voyage, vous comprendre... On a commencé mais je n'ai pas l'impression qu'on ait fini le voyage."

"Abby", soupira Regulus un peu ému. "Elle... comme Aesthélia et Remus, comme Harry et Cruz, elle a payé, Sirius. Elle a accepté de m'aider, de me perdre, de ne pas avoir un enfant qui serait une proie, en danger tant que Voldemort existait... Il faut la comprendre."

"Donc c'est pour elle ?", tenta Sirius. "Tu veux quelque chose pour elle ? Quoi de l'or ? Un mariage rétroactif ?"

"Ce n'est pas ça qu'elle veut le plus."

"J'ai beau avoir dormi, je crois que j'ai définitivement soupé des devinettes, Reg", soupira Sirius avec sincérité.

"Pourtant, je te l'ai déjà dit... plusieurs fois même. Elle veut sans doute aujourd'hui ce qu'elle voulait alors ce qu'elle a eu le plus de mal à accepter de renoncer..."

"Un enfant", comprit Aesthélia les deux mains sur son propre ventre.

Regulus lui fit une sourire triste qui le vieillissait, mais Sirius avait l'impression d'expérimenter très soudainement et intimement les ressentis d'un poisson hors de l'eau.

"Reg, la fiole, l'Horcruxe, c'est pour ça ? Tu veux... Merlin, Reg, tu veux te réincarner ?" cracha-t-il avec difficulté.

"Quelle drôle d'idée", rétorqua très froidement Regulus. "Et je ferai quoi ? J'attendrai vingt ans que mon corps et mon esprit coïncident ? Et est-ce que tu crois que Abigail veut de moi comme enfant ? Non, elle veut un enfant de moi. C'est très différent."

Aesthelia baissa les yeux comme l'écho des propres pensées - avoir Cyrus en face d'elle n'avait pas répondu à ses attentes.

"Abigail veut que son enfant ait un tableau pour père ?", chercha à clarifier Sirius quand il parvint à reprendre le fil de la discussion.

"Je suis mort, Sirius", rappela factuellement Regulus. "Cet enfant sera orphelin de père. Ça arrive à des tas de gens. Il pourra rencontrer mon tableau quand il sera en âge... quand ça l'intéressera... si ça l'intéresse un jour", élabora Reg avec une distance qui parut assez fragile à son frère. "J'avoue que j'aimerais le voir au moins une fois, mais je comprendrais si ça n'avait pas lieu... J'ai laissé un Horcruxe pour augmenter mes chances d'aider à la chute de Voldemort, pas pour avoir une vie de substitution avec une âme tronquée, Sirius !"

Il y avait une certaine fermeté dans la dernière affirmation. Sans doute, était-ce quelque chose qu'il avait pensé avec clarté avant de disparaître, jugea Sirius. Une clarté suffisante pour imprégner le tableau. Ses relations avec cet enfant potentiel lui paraissaient moins claires, mais Patmol ne se pensait pas tellement bien placé pour donner des leçons en la matière.

"La fiole contient quoi ?", s'enquit Remus dans le silence tendu qui s'était installé après la sortie de Regulus.

"Mon sang - de quoi récupérer assez de mon patrimoine génétique... Le Horcruxe empêche qu'il se dégrade... - de la même manière qu'il nourrit la magie dans la baguette... ou dans le journal... et aussi dans le tableau, dans une moindre mesure puisque mon aura y a déjà été captée. Si vous le détruisez - et je comprendrai que vous le fassiez, vous n'aurez plus que ce tableau à supporter."

On touchait peut-être les limites d'un tableau de vingt ans, réalisa Sirius : Reg garderait toujours une fragilité presque adolescente... ce qui posait d'autres questions...

"Reg, tu veux qu'un môme... grandisse sans... Tu connais Abigail, mais..."

"Tu aurais aimé que je dise ça de ta femme et de ta fille, Sirius ?", aboya son frère.

Sirius encaissa en silence. Les parallèles entre la vie de son frère et la sienne étaient déroutants. Pas si parallèles sans doute mais pas totalement séparées non plus. Comme un écho déformé.

"Et cet enfant, il serait ton enfant ? Tu veux qu'il porte ton nom ?", creusa-t-il encore. Il ne vérifia pas mais il eut l'impression que Remus et Aesthélia approuvaient.

"Je peux te laisser la reproduction de la lignée Black", prétendit Regulus.

"Tu sais bien que rien ne m'intéresse moins."

"Pourtant tu portes cette chevalière."

"C'est un symbole commode... dans certains cas", concéda Sirius, tout en notant que c'était au moins la seconde fois que Reg désapprouvait le voir porter le bijou. "Et, je ne me vois pas ne pas donner à un éventuel neveu ou nièce accès... aux ressources qui te reviennent au moins autant qu'à moi..."

"Tu le ou la reconnaîtrais ?", vérifia son frère.

"Si tu le voulais, oui."

"Tu lui donnerais accès à mon coffre ?"

"Évidemment."

"Tu le considérerais comme ton neveu ou ta nièce, et non comme un monstre ?", s'excita encore Regulus. Sa façade de distance s'effrittait clairement.

"Je ne crois pas que ce serait un monstre", répondit Sirius après s'être obligé à y réfléchir. Il aurait peut-être des conditions mais pas d'opposition de principes. Les naissances magiques posthumes n'étaient pas courantes mais pas considérées comme un crime. Leur nom et son parfum sulfureux aideraient même sans doute.

"J'avais dit à Abby que... dans toute ma famille... tu serais peut-être le seul à comprendre !", s'exclama encore Regulus. "Il y avait bien le risque que tu condamnes en bloc et détruise tout mais il y avait aussi la possibilité que tu acceptes... la différence... ", rajouta-t-il plus bas

"Merci. Mais, pourquoi a-t-elle... besoin de... mon accord - si tu ne voulais pas obligatoirement du nom et du coffre ?"

L'acquiescement de Remus était un signe clair que cette question devait être posée;

"Parce que je ne voulais pas que l'enfant naisse tant que Voldemort existait même sous la forme d'un Horcruxe", argumenta Regulus avec passion. "C'était inacceptable, totalement inacceptable pour moi. Il fallait quelqu'un de confiance pour confirmer sa disparition... Tu voulais que je demande à Bellatrix ou Narcissa ?"

"Donc sans son accord, Abigail ne peut pas ?", vérifia Remus.

"Sans son sang et son accord", confirma Regulus. "Je ne te demanderai rien - enfin, si, je veux juste connaître ta fille et ton filleul... et remercier Kreattur..."

"Ça finit par faire une sacrée liste..."

"Elle commence et elle s'arrête où tu veux, Sirius", assura Reg avec l'air d'être prêt à accepter toutes les conditions qu'il aurait pu imaginer. Un peu comme quand il le suppliait de partager sa collection de cartes de Quidditch... Dans une autre vie. Est-ce qu'il pouvait être autre chose que honnête ? Sirius se sentit incapable de douter.

"C'est ça que tu veux ?", questionna-t-il très bas ; Remus se tendit un peu mais n'intervint pas. Aesthelia avait l'air de penser que la question était superflue.

Sirius eut l'impression que Reg se serait bien enfui s'il avait pu. Il eut cette moue nerveuse dont son frère aîné se rappelait si bien, puis il carra les épaules et se tourna vers lui pour affirmer :

"Oui."

oo

"Monsieur Black", questionnait Sindri Rowles, allongeant démesurément l'unique voyelle de son nom, "pouvez-vous éclairer ce tribunal sur la manière dont a été prise la décision de charger mon client du secret de la localisation des Potter ?"

"James et moi en avons parlé des nuits entières. Nous étions d'accord pour penser que les Mangemorts ou le Seigneur des Ténèbres penseraient d'abord à moi. Je... je pensais être capable de me taire... de mourir s'il le fallait", précisa Sirius plus ému qu'il ne l'aurait voulu. Depuis qu'il s'était assis sur le siège des témoins, il s'interdisait de regarder Peter - craignant d'abandonner le plan et de l'insulter comme de montrer trop de sympathie. "Mais il paraissait naïf de tout miser là-dessus. Il semblait plus adulte et raisonnable de brouiller les pistes. Albus Dumbledore avait proposé d'être leur Gardien du secret mais, là encore, nous pensions que c'était par trop évident."

Adulte et raisonnable, c'était exactement comme ça que James avait vendu le plan à Lily.

"James Potter et vous pensiez que Albus Dumbledore ne constituait pas une garantie de sécurité suffisante ?", releva Rowles. L'implicite, alors vous avez confié ce secret à Peter Pettigrow était totalement clair.

"Nous n'avons pas cherché la personne la plus... compétente pour résister à des pressions ; nous avons, au contraire, essayé de prendre la personne la moins probable d'être chargé d'une telle responsabilité. Et, si on poussait ce raisonnement à son terme, la personne la moins susceptible d'être détentrice de ce secret était Peter Pettigrow... C'est ce que j'ai défendu auprès de James : ce serait la dernière personne qu'ils essaieraient de faire parler. Donc elle est était relativement elle-même en sécurité ; ils n'y penseraient qu'après avoir essayé moi ou Dumbledore", répondit Sirius avec fermeté. Après tout le raisonnement qu'il venait d'exposer était la stricte vérité.

"Vous n'avez pas demandé à Remus Lupin ?", le relança l'avocat. "Pourquoi ?"

Parce qu'on doutait de lui, songea amèrement Sirius. Parce que nous étions tellement sûrs de nous et de nos jugements - qui Voldemort pouvait-il retourner ? Un loup-garou brillant mais voué à une vie de relégation ? Probable... Mais jamais il n'allait dire cela devant un tribunal, jamais il n'allait donner cette information à la presse avec ce qu'elle en ferait de la réputation de Remus. Pas avec ce qu'il lui demandait.

"Toujours le même raisonnement, Maître", répondit-il donc. "Remus était notre ami proche et un combattant compétent. Si je n'étais pas le détenteur du secret, ni Dumbledore, et en supposant qu'après ces deux essais, ils aient encore creusé, ils allaient s'en prendre à nos autres proches, comme Remus Lupin. Il était encore un choix trop probable à nos yeux."

Sirius espéra que Remus assis dans la salle allait lui pardonner que ce n'ait pas été la vérité.

"Donc, vous avez choisi mon client parce qu'il était improbable de lui confier une telle responsabilité parce que mauvais combattant à vos yeux ?", reformula efficacement Rowles.

"Effectivement."

"Avez-vous discuté avec Peter Pettigrow de sa sécurité en tant que porteur du secret ?"

"Non, Maître", admit Sirius. "Comme je vous l'ai dit, nous pensions très peu probable qu'il soit approché ou attaqué avant que moi ou Remus, ou Albus, nous l'ayons été."

"Vous l'avez donc chargé d'un secret vital et dangereux et vous l'avez laissé sans protection alors que vous l'estimiez peu capable de se défendre ?", s'offusqua logiquement le défenseur de Peter.

C'était comme effectuer une danse chorégraphiée, se dit Sirius. On savait quels seraient les arguments de l'autre, les envolées, les silences... Il fallait juste incarner son rôle et emmener le public.

"Croyez-moi, Maître, je regrette effectivement de ne pas avoir exercé la plus grande... surveillance sur Peter Pettigrow", lâcha Sirius en regardant Peter pour la première fois.

Son ancien ami se recroquevilla sur sa chaise en marmonnant quelque chose comme : "Tu savais que je ne saurais pas résister..."

Il n'y a que toi, Queudver, pour invoquer en défense ton incompétence, soupira intérieurement Sirius. Espérons que tu joueras ton rôle cette fois et que je me charge d'une partie de tes errements à bon escient. Pour Harry. Je ne ferai pour personne d'autre.

"Ne pensez vous pas, Monsieur Black, que dans ces conditions, vous êtes en partie responsable des pressions et intimidations dont mon client a été la victime ?", questionna encore Sindri Rowles.

"Votre Honneur", se plaignit Straightford. "N'est-ce pas faire un procès à rebours ?"

"Maître Rowles, je pense que ce tribunal a bien entendu votre argument. Posez des questions factuelles s'il vous plaît."

Oui, j'ai tenu la part de mon contrat, acquiesça silencieusement Sirius. Passons à autre chose.

ooo

"Quinze ans", soupira Sirius en affrontant le regard de Lunard. Le verdict était tombé après deux jours de délibération qu'il avait passés à tourner en rond.

"Son défenseur espérait cinq, et ton avocate pensait que dix était le plus probable...", rappela son ami.

La sentence était sévère puisque le Tribunal avait bien voulu reconnaître des circonstances atténuantes tenant à ce que Peter Pettirgrow ait pu avoir peur pour sa vie. Elle ne ramènerait ni James ni Lily, mais rien ne les ramènerait. Par contre, elle rendait Sirius pour toujours innocent de tout soupçon de trahison en explicitant en détails, toute la presse l'avait souligné, "les conditions de la mort des Potter".

Pour la majeure partie de cette même presse, Sirius avait été trahi autant que James et Lily, et tous saluaient "la modération de ses accusations" : "Sirius Black préfère l'avenir" avait titré la Gazette. Des suppôts de Fudge avaient bien essayé de sous-entendre que cette retenue cachait peut-être des accords entre les parties. Ils avaient raison. Mais comme ils n'avaient pas été en mesure d'imaginer la nature de l'échange - qui aurait pu croire que le jeune Harry de dix ans ait lancé un sortilège de mort ? - la rumeur n'avait pas pris.

"Et il n'a pas lâché Harry", souligna Nymphadora, assise assez loin de Remus - Sirius s'en désolait.

"Espérons qu'il ne changera pas d'avis", s'inquiéta Aesthélia en le regardant lui.

"J'ai clairement indiqué à Rowles que si jamais ça arrivait, je n'aurais de cesse de faire rouvrir le procès et augmenter les charges", indiqua Sirius.

Il avait aussi dit à l'avocat : ''Dites-lui bien que, dans quinze ans, je serai là. Je n'aurais pas disparu. S'il veut espérer une aide quelconque à ce moment-là, alors qu'il sera au banc de la société... qu'il tienne sa part." Mais ça il n'avait pas envie de le répéter à sa femme, à son ami, à sa cousine. Il n'assumait pas complètement ni les menaces implicites, ni la promesse de soutien. Il devrait sans doute leur dire un jour. Mais pas maintenant. Pas ce soir.

"Il s'en sort toujours plutôt bien", souligna Aesthalia. La mort pour celui qui l'avait séparé de Sirius pendant neuf années ; elle n'avait pas été loin de la souhaiter, Sirius le savait.

"Quinze ans d'Azkaban ?", souligna Nymphadora. "Sirius a tenu neuf ans. On se rappelle tous dans l'état dans lequel il était."

"Tu as raison, Nymphadora", soupira Aesthélia. "J'oublie votre prison... C'est presque étonnant qu'il ait préféré ça à la mort..."

"Peter a toujours eu peur de la vérité", estima Remus lentement. "La mort est une vérité."

L'écho des mots de Lunard remplit le silence pendant plusieurs minutes.

"Comment Harry prend tout ça ?", questionna Aesthélia.

"Les quinze ans l'impressionnent", répondit lentement Lunard; " Ce n'est plus que son âge et il y ajoute les neuf ans passés à se cacher..."

"Il l'excuse ?", s'alarma Nymphadora, et Sirius se demanda pas pour la première fois où en était la relation entre sa cousine et son meilleur ami et ce qu'il pouvait faire pour les aider. "Ton syndrome de chef de clan" soupirait Aesthélia quand il s'en ouvrait à elle. "Mais tes pouvoirs s'arrêtent au matériel, Sirius. Tu t'en occupes déjà énormément. Le reste leur appartient."

"Je ne crois pas. Ça l'interroge sur ses motivations... comme nous", répondit Remus loin sans doute des questionnements de Sirius. "Mais Harry est très content que Severus soit celui qui ait officiellement abattu Voldemort. 'De toute façon, ce n'était pas moi', voilà, ce qu'il répète. Il se demande si Regulus ne devrait pas le rencontrer..."

"Rogue ?", vérifia Sirius quasiment contre son gré. On arrivait de nouveau à la toute limite de sa bonne volonté. Il se demandait parfois ce que lui dirait un portrait de lui de vingt ans s'il existait - qu'il était un vendu avec tous les compromis qu'il acceptait, voire qu'il poussait les autres à endosser ? La probabilité n'était pas nulle.

"Oui", confirma néanmoins Remus sans ambiguïté. "Harry pense qu'ils auraient plein de choses à se dire. Des choses qui leur feraient du bien à tous les deux."

Sirius s'enfonça dans le fauteuil évitant le regard inquisiteur de son vieil ami. S'il était sincère avec lui même, il ne devait pas être surpris. Il savait depuis longtemps maintenant que Harry avait de l'amitié pour Severus, et Regulus était clairement maintenant l'ami de Cruz comme de Harry.

Ça avait été immédiat quand il avait présenté son filleul au portrait de son frère. Le "oh, mais tu es jeune" ravi de Harry en disait long. Pas Cyrus sans doute mais quelqu'un sans doute de plus proche mécaniquement d'eux. Reg jouait clairement le jeu : il n'était pas devenu leur référent favori pour faire leurs devoirs sans s'être montré enclin à les aider au-delà de toute pédagogie. Il tenait du cousin âgé et tolérant plus que l'oncle;

Et quand Harry et Reg avaient évoqué la fin de Voldemort, il était clair pour Sirius et Remus que Harry était content de laisser cette responsabilité énorme au portrait. "Je n'ai fait que suivre tes conseils. Il m'avait donné le pouvoir de le battre", avait expliqué Harry, la main sur sa cicatrice. "Mais je n'aurais jamais su sans toi. Quelque part, tu l'as battu. Tu as détruit les autres Horcruxes et tu m'as guidé pour le dernier."

Il y avait sans doute une justice cosmique à que Rogue soit considéré comme le vainqueur officiel. Un Mangemort renégat pour un autre...

"Hum, laissez moi digérer tout ça encore un peu", lâcha néanmoins Sirius avec humeur. "Tu crois qu'il voudrait ? Rogue ?"

"Aucune idée", répondit Remus en haussant les épaules. "Il est lointain au possible... le procès de Peter, ce n'était pas un petit morceau pour lui non plus... Il est convaincu que maintenant qu'on ne peut pas te remettre en prison, Fudge va se venger sur moi... et sans doute aussi sur lui parce qu'il est maintenant clairement dans notre camp en ayant 'sauvé' Harry..."

"Severus a malheureusement raison", soupira Nymphadora. "C'est ce qui se dit partout au Ministère... Même Arthur le pense !"

"Nous verrons bien", articula Remus. "Nous le savions depuis le début... Partir est une option... peut-être même une très bonne option... Harry veut toujours voir le Brésil."

"Et il le verra", intervint Sirius avec vigueur. "La question n'est vraiment pas là, Remus. La question est de ne pas avoir fait enfermer Peter pour se retrouver sous la coupe d'un Fudge. Et la question nous dépasse ; il y a un paquet de gens, et tu le sais - tu as insisté pour que je les rencontre - qui sont fatigués de lui..."

"Arthur dit que les élections des Maîtres de Guildes qui arrivent seront révélatrices de l'état de ses soutiens", rajouta sa cousine.

"Je suis bien d'accord mais je ne fais pas d'illusions sur le nombre de personnes encore qui le préfèrent à quelqu'un de plus entreprenant... Prenons ta chère cousine Narcissa, Sirius. Elle préférera toujours un Fudge qui ne veut pas voir les problèmes que tout réformiste. Même Greengrass."

"Voilà qui me ferait soutenir Greengrass", commenta Sirius.

"Tu veux entrer en guerre ouverte ?", questionna Nympadora sur un ton qui paraissait plutôt enthousiaste.

"Je ne sais pas du tout si je suis de taille, Dora", soupira Sirius. "Mais... je ne compte pas laisser détruire ce qu'on a commencé sans au moins essayer..."

"Si Fudge me vire, rien ne sera détruit..."

"Remus, ne commence pas. Sauf si tu veux démissionner et commencer une autre vie ailleurs, arrête ce discours."

"Tu ne me dois rien...", commença Lunard sur un ton tellement proche de ce qu'il était à ses seize ans que le sang de Sirius ne fit qu'un tour.

"Pardon ?", le coupa-t-il sèchement. "Et ne me dis pas que j'ai mieux à faire que de payer mes dettes. J'ai un paquet de dettes et je comptes toutes les payer."

ooo

Ils avaient mis des heures à se décider. Faire venir Abigail à Square Grimmaurd restait prématuré, ils étaient tous d'accord là dessus. Notamment parce qu'il y aurait ce que Remus avait appelé "la tentation du tableau".

Il fallait sans doute mieux aller sur son terrain mais sans la prévenir de leur visite. "Pour garder un élément de surprise", avait insisté Dora.

"Mais venir à trop serait trop intimidant", avait argumenté Aesthélia réussissant avec difficulté à convaincre Tonks puis Remus que, non, ils n'étaient pas en danger s'ils y allaient seuls tous les deux. "Quelque part, nous allons voir la femme de Regulus", avait-elle notamment avancé.

Ils étaient donc là, Aesthélia et lui, dans des vêtements moldus un peu trop raides et neufs parce qu'acquis pour l'occasion. Cruz était à Poudlard avec Harry et Remus et contente de l'être. Est-ce qu'ils n'auraient pas dû en profiter pour faire des choses bien plus drôles de leur soirée que de se créer au mieux de nouveaux problèmes ? se demanda une dernière fois Sirius avant de sonner à la porte. D'après Dora, il n'y avait pas spécialement de sécurité magique ou moldue sur le bâtiment.

"Sirius", commenta Abigail quand elle eut surmonter sa surprise de les trouver à sa porte en ce début de soirée.

"Je ne vous dérange pas trop, Abigail ? Je suis venu avec ma femme, Aesthélia. Nous avons pensé que ce n'était pas une bonne occasion de rencontrer notre fille", indiqua Sirius. Une ouverture factuelle mais qui en disait quand même assez long sur le fond.

"Entrez", indiqua Abigail avec une certaine retenue mais peu d'hésitation. Elle les conduisit cette fois au salon - l'effet magique d'Aesthélia peut-être. Ce fut là que la compagne de son frère parut pour la première fois hésiter sur la marche à suivre : "Vous voulez... boire quelque chose ?", finit-elle par proposer.

"Je pense que nous avons un certain nombre de choses à nous dire, Abigail", commença Sirius. "Je ne veux pas vous déranger mais, du thé peut-être ?"

"Du thé", accepta Abigail.

"Je peux vous aider", proposa Aesthélia.

"Non, j'en ai pour un instant."

De fait, il ne lui fallut que quelques minutes pour ramener un plateau avec une théière, trois tasses et une assiettes de gâteaux secs. Elle le posa sur la table basse avec une légère nervosité maîtrisée, les servit et s'installa en face d'eux sans dire un mot. Aesthélia regarda Sirius l'invitant clairement à prendre l'initiative.

"Nous avons entamé une conversation avec Regulus", se lança-t-il. "Avec le journal puis avec son portrait..."

"Son portrait ? Je le croyais... détruit !"

"Non, il était recouvert", répondit Sirius. "En entrant en interaction avec le journal... il a refait surface. Ça simplifie un peu la conversation..."

Le silence s'étira de nouveau. Abigail avait l'air assommée par la nouvelle.

"C'est un portrait de lui à vingt-ans", rappela Sirius. "Même si...l'existence de l'Horcruxe lui donne sans doute plutôt plus de personnalité qu'un tableau habituel... plus de complexité... ce n'est pas Regulus."

"Évidemment", commenta sèchement Abigail.

Sirius regarda une nouvelle fois sa femme avant de reprendre le fil. Elle avait l'air de penser qu'ils devaient aller de l'avant.

"Reg pense que vous voulez un enfant de lui", lâcha-t-il sans trop de précautions oratoires supplémentaires.

La cuirasse de sécheresse et de dureté d'Abigail sembla se fissurer une seconde avant de se refermer en urgence.

"L'idée vous amuse sans doute", elle imagina. "A moins que vous désapprouviez la mésalliance... "

Sirius pensa que c'était le moment de laisser Aesthelia essayer une autre approche. Elle opina quand il se tourna ouvertement vers elle.

"Abigail, nous avons compris que c'était votre accord avec Regulus, il y a presque quinze ans", commença sa femme en se penchant en avant pour réduire la distance entre elle. "Il préservait la possibilité de cette paternité posthume et vous en laissait la gardienne. A condition que Voldemort soit effectivement vaincu, il espérait que Sirius serait encore en vie pour vous donner son accord". Abigail acquiesça presque timidement avec un regard rapide et désespéré pour Sirius. "Tout cela s'est passé il y a quinze ans - et il a fallu tout ce temps pour que Voldemort soit effectivement totalement effacé de la circulation et que Sirius apprenne cet accord. Est-ce que c'est toujours ce que vous souhaitez, Abigail ?"

"Vous en doutez ? Vous me croyez trop vieille ? Indigne ?", balbutia-t-elle de nouveau entre le chagrin et la colère.

"Quinze ans, c'est très long. Vous avez eu le temps... vous auriez pu changer d'avis... Reg, comme l'a rappelé Sirius, ne le pourra plus jamais."

"Je n'ai pas changé d'avis", chuchota presque Abigail. "Vous aussi, vous avez attendu dix ans sans changer d'avis..."

"Et sans même l'espoir qu'un quelconque accord soit un jour réalisé", sourit Aesthélia. "Sirius ne voulait pas d'enfant et je ne me savais pas enceinte... on ne s'était rien promis. "

La confidence adoucit notablement Abigail.

"Ça fait un sacré moment que j'ai presque renoncé... mais je... Je sais que c'est à la limite de la folie pour les quelques proches qui me restent mais... refaire ma vie ? Ça n'a jamais eu de sens Ma vie n'était pas défaite, elle était le résultat de mes choix... Trahir Regulus était impensable... totalement impensable..."

"Ce n'est pas qu'on ne veut pas ou qu'on n'a pas d'occasion, juste que ça n'a aucun sens", proposa Aesthélia s'attirant un regard éperdu de Abigail qui intimida salement Sirius. "Donc vous souhaitez toujours cet enfant."

"Je ne suis pas si vieille... ça marcherait", souffla Abigail. "Même avec des méthodes moldues..."

"Des méthodes moldues ?", questionna Sirius se rappelant en urgence que Abigail travaillait comme sage-femme.

"Elles existent."

"Ils... vous pourriez faire ça ?"

"Il faudrait... sans doute un peu de confusion pour contourner quelques questions administratives... mais rien d'insurmontable..."

"Je crois que ce serait plus simple et plus sûr...magiquement. Non ?", estima Aesthélia.

"Je serai discrète", souffla Abigail après avoir visiblement cherché comment répondre dignement.

"Il n'y a pas de raison", intervint Sirius. "Je suis l'exécuteur testamentaire de mon frère, et il a demandé à vous épouser de manière posthume. Je n'ai qu'un mot, ou plutôt qu'un sceau à apposer et le Ministère de la Magie ne pourra pas y redire grand-chose."

"M'épouser ?" souffla Abigail très bas.

"Je comprends que vous ayez peu envie de porter notre nom, Abigail", soupira Sirius. "Mais je travaille à qu'il ne soit pas seulement synonyme de consanguinité, de folie des grandeur et de complexe de supériorité. On ne pourra jamais faire de Reg le héros qu'il est, qu'il a été, mais on peut sans doute rendre possible son rêve de savoir que vous avez un enfant de lui... Est-ce que cet enfant, vous voulez l'élever seule ? Lui cacher ses origines ?"

"J'ai... bien sûr, c'est sans doute ridicule pour vous, mais j'ai de quoi l'élever..."

"La question n'est pas là", l'interrompit Sirius. "La question n'est pas du tout matérielle pour moi. Je me suis engagé auprès de Regulus sur le principe que cet enfant hérite de ses biens, et on trouverait une solution pour le faire même s'il ne portait pas son nom. Mais est-ce que vous voulez ça, Abigail ? Vous avez peur de quoi ? De ma cousine Narcissa ? De la presse ?"

"Pas réellement", estima Abigail. "Je... je me fiche depuis longtemps de ce que les sorciers bien nés peuvent penser de moi... Mais... vous voulez.. vous voulez ça, vous aussi, Sirius ?"

Est-ce que je veux ça ? Est-ce que la question est là ? s'interrogea Sirius. Aesthélia lui sourit et il pensa au tableau dans son bureau, à sa fille Cruz et son filleul Harry, à Remus et même à Dora, et conclut que la réponse dépassait de très loin les termes utilisés par la question. Le verdict avait été donné il y avait bien longtemps maintenant.

"Je... je serais heureux de réaliser le rêve de Regulus et de tenir ses engagements envers vous... et fier si j'arrive à montrer que le clan Black a finalement changé..."

oooo

La suite tient à peu près debout mais ne compte qu'un chapitre. J'aurais besoin d'écrire la suite avant d'oser le poster. Mais vous allez avoir plein de choses à dire sur le plan de Reg, les désirs d'Abigail, la gestion de Sirius, Aesthélia, Nymphadora, Harry et Cruz et ça va nourrir mon imagination !