La caravane de Maduin

Résumé :
L'époux de Sky est mort.
Bon débarras, diraient tous ceux qui le connaissaient, sa femme et ses fils en premier.
Mais maintenant, elle doit mettre ses enfants à l'abri.
Si quelqu'un apprenait ce que Zack à fait, on lui prendrait son louveteau.
Les jumeaux ne doivent pas être séparés.
Jamais.
Et leur mère louve y veillera, même si pour ça, elle doit les abandonner aux Vagabonds.

Personnages :
Zack et Cloud (FF7), Sky Strife (mère des jumeaux, OC), Hallstein Fair (père des jumeaux, OC), Maduin (Ancient OC)

Chronologie :
Se situe en 2962-63, sur à peu près une année.

Tags spécifiques au chapitre :
Mention de violence conjugale, partenaire abusif, Sky réapprend à vivre, les premières années des jumeaux n'étaient pas terribles, trauma des jumeaux, gros secret de Zack et Cloud qu'ils emporteront dans leur tombe, meurtre en état d'auto-défense, personnage non binaire

Notes :
Maduin est le premier personnage non binaire que j'écris et je m'excuse d'avance pour les erreurs que je pourrais faire à son sujet. L'apparence et le genre de Maduin changent selon la personne qui est en sa présence ou juste selon son propre désir. J'ai vraiment essayé de ne pas écrire Maduin de façon binaire, mais j'avoue que je n'ai pas trouvé de terme cohérent pour ancienne/ancienne. Donc si quelqu'un a une idée, je prends.


"Je ne prendrais pas tes enfants."
Elle ne s'y attendait pas.
Elle était tellement sûre... Les histoires le disaient toutes.
Les maduins prennent les enfants dont personne ne veut. Ceux qui sont en trop, ceux qu'on ne peut pas nourrir, ceux qu'on ne veut pas aimer, ceux qui n'ont personne pour tout ça.
Et elle reste silencieuse, les mains de ses fils dans les siennes, à contempler la créature qui vient de lui répondre, assise de l'autre côté de l'immense feu de camp autour duquel son clan se réchauffe.
Ses yeux se brouillent et elle cligne des paupières, chassant des larmes qu'elle ne pensait plus avoir la force de verser.
"Mais…" proteste-t-elle.
Si l'Ancien des Maduins ne prend pas ses enfants, que peuvent-ils faire ?
Retourner à Gongaga ?
On les cherche probablement.
Le corps d'Hallstein a dû être trouvé. Elle n'a pas pris le temps de le cacher. Elle regrette maintenant, de ne pas avoir… elle ne sait pas. De ne pas l'avoir caché, enterré sous le sol en terre battue de leur maison.
Mais ça n'aurait pas duré, un cadavre dans le climat de Gongaga, ça sent vite, même pour les Gongans qui n'ont pas son nez.
Quand elle s'est réveillée, après la gifle qu'Hallstein lui a mise, elle a vu Cloud inconscient, son petit corps tordu de douleur, elle a vu son mari par terre et le sang qui coulait de son crâne, elle a vu Zack avec le tisonnier ensanglanté dans les mains et la plaie sur sa joue, ses yeux écarquillés de peur et de rage.
Et elle n'a pas réfléchi. Elle s'est relevée malgré la douleur dans ses bras et jambes, malgré sa tête qui lui donnait l'impression d'être vide et pleine en même temps. Elle a fait lâcher le tisonnier à Zack. Elle a jeté quelques affaires sur une couverture, la boîte de métal dans laquelle elle gardait des gils, en cachette d'Hallstein pour qu'il ne les prenne pas et elle a tout refermé en baluchon, laissant Zack le porter. Elle a profité que Cloud était toujours inconscient pour réduire sa fracture et l'envelopper dans son manteau avant de le prendre dans ses bras.
Puis elle est sortie avec ses fils.
Elle a fermé la porte à clef.
Et elle l'a jetée de toutes ses forces vers les marais avant de prendre la main de Zack et se diriger vers le Nord.
Elle sait qu'un prêtre de Yevon a soigné le bras de Cloud, mais elle n'arrive pas à se souvenir dans quel village c'était. Il lui a demandé de laisser ses enfants avec eux, mais… non. Yevon ne sait pas quoi faire des enfants qu'on lui donne. Il n'en fait que des prêtres, ou des invokeurs, ou des guerriers dédiés à frapper qui ont leur dit de frapper.
Elle ne veut pas que ses fils deviennent des chiens de garde.
Mais elle était tellement sûre que les maduins les prendraient.
Leur guide se lève et est tellement grand qu'elle recule d'instinct. Elle n'arrive pas à voir ce que c'est, il y a des cornes, une peau qui change de couleur selon l'angle, selon la lumière, des yeux qui changent de formes et de teinte, parfois même de pupille.
Et tellement d'épaisseurs de voiles, de jupes, de kilts, de vestes et de capes, elle ne discerne pas grand-chose dessous.
La main de Maduin se pose sur son épaule et d'une pression douce, la fait avancer d'un pas vers le feu devant lequel ils se tiennent.
Maduin a traversé les flammes comme elle traversait les torrents de Nibelheim, quand elle était une petite fille de la taille de ses fils.
Elle se retrouve assise devant le feu, sur un coussin que quelqu'un a posé pour elle. Ses fils sont avec elle, ils ne veulent plus la lâcher depuis qu'ils ont quitté Gongaga. Quelqu'un pose une couverture sur eux et les jumeaux se tortillent pour se glisser dessous avec elle. On lui tend une assiette, un couteau, Cloud a vite un verre dans les mains, Zack a un pahsana qu'il hésite à croquer.
Et Maduin est près d'eux, sa main toujours sur l'épaule de Sky.
"Je ne prends que les enfants qui n'ont personne. Tes fils ont toujours leur mère. Reste."
"Je ne peux pas. On va venir me chercher. Mon mari. Ils vont penser que je l'ai…"
"Qu'ils viennent. Ils ne trouveront rien."
Elle va rester.
Au moins ce soir. Elle expliquera aux jumeaux demain qu'ils vont rester avec les maduins et qu'elle repartira régler le problème au sujet de leur père.
Personne ne doit savoir ce que Zack a fait.
Personne.
On lui prendrait son fils, on séparerait ses louveteaux, et même si Zack sortait un jour de prison, il ne s'en remettrait jamais.
Quand on enferme un loup de Nibel, on le tue petit à petit.
Mais elle va rester avec eux ce soir.
Ce sera le dernier jour, puis elle ira se dénoncer aux autorités.


Elle réalise un mois plus tard, que ça fait trente jours qu'elle dit que ce sera le dernier jour.
La jungle de Gongaga est déjà loin depuis longtemps.
Et personne n'est venu pour eux.


La vie dans la caravane est étrange.
Elle n'a connu que les maisons de pierre de Nibelheim, que les adobes de briques de Gongaga et les hôtels dans lesquels Hallstein la faisait dormir, pendant leur lune de miel entre les montagnes de Nibelheim et la jungle de Gongaga.
Elle a tremblé, les premières nuits, sous le toit de toile brodée de leur tente. Rien ne les protégeait, ni des bêtes, ni des hommes, ni de la météo.
Tous les matins, ils démontent leur maison.
Tous les soirs, ils la remontent.
Ça lui prend quelques jours pour y arriver seule, mais même une fois qu'elle a compris comment tout plier et replier, comment tout ranger pour que rien ne s'abîme, il y a toujours au moins une paire de mains pour l'aider.
Zack insiste pour porter la tente.
Cloud pour l'aider.
Et la première fois que Maduin les as vus faire, tenant chacun un bout du paquet, son rire a été libérateur. Parce que Maduin ne se moquait pas. Pas comme Hallstein qui traitait ses fils de mauviettes quand ils préféraient travailler ensemble que faire leurs corvées seuls.
Maduin ne riaient pas d'eux.
Les jumeaux sont juste tellement adorables quand ils font leur tête de chocobo des montagnes.


Il y a des jours où elle se réveille et sait qu'elle n'aime plus Hallstein.
Des jours où elle se demande ce qu'elle a bien pu lui trouver.
Des jours où elle veut juste hurler. Sur lui, sur elle, sur sa stupidité, pour avoir choisi un époux comme lui et que c'est fini, plus jamais elle ne veut avoir un compagnon, plus jamais elle ne laissera un homme la toucher.
Et il y a des jours où elle voit les yeux de Maduin, entre les fentes de ses voiles et ce sont les yeux d'Hallstein qui la regardent.
Ces jours-là, elle est en fin de caravane, les mains serrées sur celles de ses fils, les pensées tournant dans son crâne comme les Quetzalcóatls de Gongaga.
Parce que les yeux de Maduin sont pleins d'amour.
Mais ce sont les yeux d'Hallstein qu'elle voit. Comme quand il venait de l'emporter loin de Nibelheim, quand il lui promettait le ciel et toutes les fleurs de Centra.
Quand elle pensait qu'il l'aimait.


Cloud et Zack sont toujours dans ses jupes au début.
Zack n'a jamais été aussi silencieux. Lui qui babille habituellement tout ce qui lui passe par la tête, enfin tant que son père ne lui dit pas de se taire, reste silencieux, sa main tenant le poignet de son frère, celui qui n'est pas cassé.
Elle n'arrive pas à parler au début.
Ni aux hommes de la caravane, ni aux femmes.
Ni aux autres, ce qui sont comme Maduin, ni homme, ni femme, les deux, plus l'un que l'autre ou qui ne veulent pas choisir.
Elle ne parle à personne au début.
C'est Cloud qui parle pour eux trois.
Bonjour. Merci. Comment ça va ? S'il vous plaît. Je ne préfère pas.
C'est lui qui sait parler les premiers mots de Maduin, qui apprend les usages de la caravane, puis le leur enseigne.
Salve. Gratias. Quomodo agit ? Placere. Non placet.
C'est son petit nuage rêveur qui les entraîne, elle et son jumeau, qui va vers les gens qu'ils croisent pour leur parler, qui sourit, qui part en courant chaque fois qu'il voit un chocobo pour aller le caresser.
Et au bout d'un moment, elle ose s'excuser auprès de leurs cavaliers.
Elle ose réprimander Cloud de les déranger.
Mais jamais aucun d'eux ne s'impatientent avec Cloud. Quand ils ont du travail à faire, ils lui demandent juste de repasser plus tard pour les aider avec les soins.
Et bientôt, elle se retrouve à remercier les cavaliers, à regarder les jumeaux réclamer un tour de chocobo, Cloud devant, Zack derrière qui tient son frère pour qu'il ne tombe pas.
Très vite, elle s'habitue à crier le nom de ses fils au milieu de la cohue de la caravane, pour se faire entendre, tendant l'oreille comme une maman chocobo à la recherche du wrak de ses poussins.
Et le soir, quand les maduins se rassemblent autour d'un de leurs feux de camp, que les musiciens sortent leurs instruments, les chanteurs et les conteurs ouvrent leurs bouches, ou que les pipelettes échangent des nouvelles, elle finit par oser parler à Maduin.
"Pourquoi m'aides-tu ? "
"Il faut une raison ? " demande Maduin sans se tourner vers elle, berçant un de ses tout petits.
Elle ne sait pas. Ça fait tellement longtemps qu'elle vivait seule avec Hallstein dans leur ferme, à ne voir personne. Quand les mauvaises langues du village ont commencé à faire tourner la rumeur que les jumeaux n'étaient pas de lui, qu'ils avaient la peau trop pâle, les yeux trop bleus, que les cheveux de Cloud trop blond.
Quand elle se tourne à nouveau vers lui pour essayer de répondre, Maduin la regarde.
Et il y a les yeux de ses fils dans son visage bronzé.
"Je suis Maduin, je suis maduin et je maduine. Je suis toutes les versions de ce mot, nom, adjectif et verbe."
Maduin se lève et hausse la voix, et celles de ses enfants diminuent, écoutant leur père et mère parler.
"Je suis vagabond, je suis bâtard, je suis métisse, je vole des enfants, des chocobos, je culbute des filles et des garçons et parfois les deux en même temps."
Elle rougit, mais ce sont des rires qui fusent autour du feu, des sifflements, des applaudissements, des encouragements, quelqu'un qui offre son lit pour le soir.
"Je suis le vent, l'eau, le feu et la terre, je suis tout et rien."
Et Maduin esquisse un pas de danse devant le feu qui l'accompagne, dansant avec eux. Le bébé dans ses bras se réveille, mais ne pleure pas, gazouillant en tendant ses griffes vers les flammes qui dansent autour d'eux.
"Je suis époux et épouse, amante et amant, frère et sœur, mère et père, petite-fille et grand-père. Je suis la Famille."
Maduin s'arrête devant Sky en s'agenouillant dans un geste fluide et lui pose le bébé sur les genoux. Elle le prend par réflexe et le petit couine de joie, escaladant presque les bras de Sky. Il a une queue de singe au bas du dos, qu'il utilise pour s'accrocher de plus près à elle et la grande main de Maduin lui ébouriffe les cheveux.
Brièvement, Maduin a des yeux mauves, des cheveux argentés comme l'enfant et une peau d'un blanc de lait.
"Je n'ai pas besoin de rimes ou de raison pour aider ceux qui en ont besoin."
Et à nouveau, sa peau est mate, ses yeux noirs et ses cheveux châtains.
Comme Hallstein.
"Tu veux une raison ? Très bien, en voilà une : Il y a du sang d'un de mes grands-pères dans tes veines et celle de tes fils. Ce n'est pas la bonne, mais en voilà une."
Et cette fois, elle voit les cheveux blonds de son père dépasser de sous ses voiles, sa peau claire aux joues rouges de courir dans la montagne et ses yeux bleus qui changent selon les saisons.
"Je t'aide parce que c'est ce que je fais depuis des siècles. Parce que j'ai vu trop de femmes comme toi qui fuient un compagnon violent. D'enfants dont le seul crime est d'être venus au monde. De personnes écartelées entre les sangs de leurs parents, qui n'ont de place nulle part parce que partout où ils vont, ils ne sont considérés comme n'étant qu'à moitié."
Maduin sur penche sur elle et pose son front contre le sien, la petite main du bébé leurs touchant le menton tour à tour.
"Je t'aide, petite fille de ciel et de terre, parce que c'est ce que je veux faire."
Il y a un baiser à travers le voile, juste sur ses lèvres.
"Parce que personne ne m'a aidé quand je n'étais qu'une petite flamme/flaque/pierre/brise."
Cette nuit-là, elle partage le lit de Maduin.
Ce qui s'y passe, elle ne le dira à personne, même pas à ses fils devenus grands qui lui demanderont s'ils ont été amants.


Maduin défait ses voiles.
Ce n'est pas la première fois qu'elle voit ça, Maduin le fait parfois, quand un enfant veut revoir les traits de sa mère, ou de son père, qu'un veuf souhaite un regard au visage de sa femme et qu'ils lui demandent.
Maduin accepte presque toujours. C'est rare quand les voiles restent sur son visage.
Mais Sky ne regarde jamais quand Maduin retire ses voiles.
Elle craint toujours de revoir le visage d'Hallstein.
Mais ce n'est pas Hallstein qui la regarde.
Il lui ressemble, c'est vrai. Le visage devant elle a sa mâchoire et son regard. Mais c'est le nez de son père à elle, et le sourire de sa mère et d'elle-même. Ce sont ses yeux bleus et sa peau pâle.
Le visage qui la regarde à une cicatrice sur la joue, en forme de croix.
"Zack ? " murmura-t-elle en levant la main pour la toucher.
"Ce sera le visage de ton fils quand il sera adulte" explique Maduin en tournant la tête, la laissant regarder, des mèches longues et noires recouvrant à moitié la cicatrice, mais pas son sourire de loup.
"Tu penses ? "
"Je le sais."
Et Maduin tourne la tête de l'autre côté et cette fois, elle sait que c'est Cloud qu'elle voit. Les cheveux sont blonds, encore plus en bataille que ceux de Zack, elle reconnaît son petit sourire en coin, son petit regard de côté quand il planifie une bêtise ou une bonne réplique.
"Cloud" murmura-t-elle.
Maduin hoche la tête et remet ses voiles et elle l'aide, replaçant les crochets dorés qui les maintiennent, arrangeant les mèches qui changent de couleur sous ses doigts.
"Est-ce que je les verrais un jour adulte ? " demanda-t-elle, un peu désarçonnée que Maduin lui montre soudain l'avenir de ses fils.
"Je l'ignore. Je n'ai pas le don de prophétie. Oui. Non. Peut-être. Peut-être pas."
Il y a un voile qui n'a pas été remis et Maduin le prend pour le nouer autour du cou de Sky.
"Mais tu sais maintenant que tu auras du mal à décoller leurs amants d'eux à la puberté."
"Oh, personne ne touchera à mes bébés ! "
"J'en ai élevé plus que toi, ne t'en fais pas, ils trouveront un moyen."
"Jamais ! " proteste-t-elle avec un fou rire.


Il n'y a rien qu'une fermière puisse faire dans une caravane et ça la vexe énormément.
Il n'y a pas de champ à entretenir, pas d'animaux dont il faut prendre soin.
Et elle se sent coupable pour leur bétail quand elle réalise qu'elle ne les a pas libérés avant de partir.
Mais Maduin l'a tranquillisée, lui rappelant qu'aucun chocobo digne de ce nom ne se laisse enfermer s'il ne le veut pas.
Elle a assez vu Hallstein les courser pour les ramener après une fugue. Les chobocos se sont probablement libérés quand le repas du matin a trop tardé.
Elle aide où elle peut.
A la lessive parce que les deux tiers de la caravane ont moins de quinze ans et qu'elle sait, avec ses jumeaux, que des enfants se salissent avec la vitesse d'un chocobo au galop.
Elle apprend à s'occuper des Shoopuf de bât, tellement étrange pour quelqu'un habituée aux chocobos.
Elle partage les paquets à porter quand quelqu'un qui marche à côté d'elle est trop chargé.
Elle apprend à réparer les chariots, à tresser des cordages, à nettoyer des bobos, à marchander pour de la nourriture dans les villages qu'ils traversent.
Et puis, petit à petit, elle trouve ce qu'elle aime faire.
Sa soupe aux gysahls attire les gourmands autour du feu où elle travaille. Des enfants qui viennent avec leur bol et le lui tendent, comme le veut leur tradition, pour qu'elle les nourrisse. Petit à petit, elle utilise une marmite de plus en plus grande. Jusqu'à ce qu'un soir, Maduin en personne vienne tendre son bol, ses narines frémissantes sous son voile.
Elle rejoint le groupe de couture, le soir autour du feu, parce qu'elle ne sait pas filer, mais elle sait raccommoder deux morceaux de tissu pour en faire un nouveau vêtement.
Il n'y a pas grand-chose de neuf à la caravane. Sur leur chemin, on laisse des paniers de vêtements usagés, d'outils abîmés, de la nourriture, un peu d'argent, de l'eau, mais la charité ne s'étend pas aux habits neufs.
Alors le soir, ceux qui savent coudre s'installent près de la lumière du feu et ça papote, ça taille des vestes dans tous les sens du terme, ça attrape un enfant ou un adulte débraillé et ça les rhabilles en le tançant sans méchanceté, ne les laissant repartir que quand au moins les fesses sont correctement couvertes.
On lui donne des aiguilles, du fil, des morceaux de tissus et elle en fait des tuniques, des jupes, des châles.
Et quand il faut attraper ses fils pour les rhabiller, tout son groupe de couture l'aide à les courser.


Maduin aime porter des enfants.
Souvent, ce sont les bébés, les petits derniers de ses enfants, ou ceux qu'ils trouvent sur leur route, posés dans des berceaux, ou tendus par des parents désemparés, des mères trop jeunes, des gens qui ne peuvent, ou ne veulent s'en charger.
Maduin prend le bébé et juche le berceau sur sa hanche, ou l'enfant sur son épaule et repart.
Parfois il y a des larmes. Le plus souvent, les yeux restent secs, les bouches fermées, les dents serrées.
Il y a toujours un ou deux bébés avec Maduin, un sur son dos, un dans ses bras.
Parfois ce sont les plus grands, ceux qui savent marcher. Même si la plupart du temps, ceux-là préfèrent se tenir à ses voiles.
Elle ne sait pas comment ses habits restent intacts, comment les voiles fragiles ne sont pas déchiquetés par les petits doigts qui tirent, qui s'accrochent aux perles et aux broderies, par les petites dents ou les petits crocs qui mâchonnent un coin des tissus.
Parfois, ce sont des adolescents, ou des adultes. Trop grands pour être portés, même si elle est sûre que Maduin le ferait s'ils lui demandaient.
Un de ses fils, qui a ses cornes et la peau brune, mais les yeux de sa mère, aux spirales vertes, marche souvent bras dessus, bras dessous avec son père, parlant dans la langue des Al Bhed.
Une vieille femme aux cheveux blonds, qui prétend qu'elle a passé sa vie avec les bras de Maduin autour d'elle et qu'elle ne va pas arrêter maintenant.
Un de ses compagnons, et leur fille qui est maintenant presque une adulte aussi, mais qui ne rate jamais une occasion de descendre de son chocobo et venir embrasser sa mère avant de retourner en avant pour sécuriser la caravane.
Sky a voulu faire lâcher Zack la première fois qu'elle l'a vu attraper un des voiles qui flottait derrière Maduin, mais un simple regard amusé l'en a dissuadé.
Cloud ne s'accroche pas aux voiles de Maduin. Il préfère se tenir à sa main et, dès que son bras est guéri. Maduin ne s'offusque même pas que Cloud s'accroche à sa jambe des deux bras et des jambes en riant.
Aujourd'hui, les jumeaux sont dans ses bras.
Cloud sur le gauche, Zack sur le droit. Leurs bras accrochés autour de son cou, leurs mains tentant d'attraper les charmes sur ses cornes, et tous les trois riants aux éclats, chaque fois que Maduin renverse la tête en arrière et laisse échapper un hurlement de loup.
Et hier, Maduin a passé toute une journée avec la main de Sky au creux de son bras.


"Est-ce que tu veux rester, Sky ? "
La question vient quand elle ne s'y attend pas.
Elle est en train d'aider au repas du soir, à préparer la soupe pour les petits qui commencent à être sevrés. Maduin est déjà en train de nourrir les plus jeunes, ceux qui ne sont pas sevrés, ceux qui ont encore besoin de lait. L'enfant dans ses bras tète le sein de sa mère, même si c'est celui de Maduin.
Cloud et Zack sont à ses pieds, en train d'éplucher des légumes et elle les voit se redresser, à l'affût de sa réponse.
"Rester ? "
"Avec les maduins."
C'est tentant.
Elle regarde vers le sud, de là d'où ils sont venus. Ils ont quitté la jungle il y a des semaines, des mois.
Ils ont traversé le désert, quelque chose qu'elle ne refera pas de sitôt parce qu'un soleil aussi dur ne devrait pas exister.
La mer, par contre, elle la reverrait volontiers, ne serait-ce que pour la joie de ses fils à patauger dedans.
Puis elle regarde vers le Nord.
Elle voit les crocs de Nibel, au loin, encore perdus dans le bleu du ciel et de la brume.
Et elle peut presque sentir ses os vibrer des hurlements de loups.
Elle baisse les yeux vers ses fils. Zack la regarde mais Cloud a les yeux vers Nibel, lui aussi. Et très vite, le regard de Zack se tourne vers les montagnes escarpées.
On peut mettre les loups hors de Nibel, mais pas Nibel hors des loups.
Maduin le sait. Il y a du loup dans ses veines. Mais il y a aussi de l'oiseau, et du serpent, et du lion.
On dit que Maduin vagabonde, en réalité, le monde entier est sa maison.
"Non" finit-t-elle par répondre avant de revenir vers la marmite, touillant le repas des enfants. "Nibel nous attends."
"Nibel ne va pas comprendre ce qui arrive" déclare Maduin avec un petit rire, remontant l'enfant sur son épaule pour lui faire son rôt.
"Mes fils sauront le lui faire comprendre."
"Je pensais à la louve."
Et elle sourit. De ces sourires qui dérangeaient Hallstein, qui lui demandait de montrer moins de dents, de faire des sourires comme ceux des femmes de Gongaga, tout en lèvres serrées et en yeux baissés.
Il n'a jamais aimé qu'elle montre les crocs et lui rappelle qu'elle savait mordre.
"Nibel fera avec."
"Ce sera difficile. Une mère seule qui revient d'un autre pays avec des enfants ..."
"Nibel fera avec" déclare-t-elle à nouveau.
Zack lui tend sa part de légumes épluchés et coupés et elle les inspecte avant de lui faire signe de les jeter dans la marmite.
"Nibel a intérêt."
Cloud finit à son tour, et dès qu'elle déclare qu'il a bien fait et que sa part est ajoutée au chaudron, elle les envoie jouer. Ils disparaissent en quelques secondes, laissant des nuages de poussière derrière eux.
"Nibel n'aura rien à redire sur mes fils. Ni les loups, ni les hommes, ni les montagnes."
"Bien."
La soupe finit de cuire. Maduin finit d'allaiter les tout-petits. Le repas des enfants commence et d'autres adultes se rassemblent, tâchant de mettre plus de nourriture dans les enfants qu'autour, et il faut toute l'habitude de Sky et son expérience avec les jumeaux pour y arriver.
"Mais… Vous allez me manquer" avoue-t-elle en parvenant à glisser une cuillère de soupe dans une bouche qui refuse de s'ouvrir.
"Les maduins passent souvent à Nibel. Quand il fait chaud" corrige Maduin avec un de ses rares mouvements d'humeur.
Maduin n'aime pas le froid. Même s'il y a du loup et du serpent d'eau dans ses veines, son côté lion préfère le soleil du désert et le feu du campement à la morsure du vent et des torrents de montagne.
"Passez nous voir" propose Sky "nous serons heureux de vous revoir. Je trouverais probablement des bébés pour toi."
"Tu penses ? "
"Des gens comme Hallstein, il y en a toujours. Que ce soit sur les bateaux, dans la jungle ou dans les montagnes."
Elle lève les yeux vers un des drapeaux de prière levés au-dessus du campement.
"Je mettrais le symbole des maduins sur ma porte. Tout le monde saura qu'ils peuvent m'amener les enfants."
Elle baisse le regard sur Maduin qui a renversé la moitié du bol sur ses vêtements en essayant de nourrir un enfant boudeur.
Elle a son plus beau sourire de loup.
"Tout le monde saura que s'ils ne le font pas, je viendrais les chercher."


Nibelheim n'a pas changé depuis qu'elle est partie, douze ans auparavant.
Le maire, en revanche, a changé, ce n'est plus le même.
Brian. Brian Lockhart est devenu le maire.
Et elle ne se prive pas d'avoir un fou rire quand il lui dit.
"Sky…" proteste-t-il.
"Toi ? Le voleur de pahsana ? "
Et sa fille, accrochée à sa jambe, la petite qui ressemble tellement à Johanna, jette un regard outragé à son père.
"Pas devant ma fille, Sky. Et je te rappelle que tu les as volées aussi, ces pahsanas."
"Oui, mais moi, je suis une mauvaise fille, souviens-toi."
"S'il est un voleur de pahsanas, je peux te confier à lui" déclara Maduin avec un petit sourire, "les pahsanas sont faites pour être volés après tout."
Maduin est tête nue, visage découvert et a la peau pâle des Nibelungen, les yeux rouges et les cheveux noirs de Johanna.
"Je te confie Sky et ses enfants, Brian"
"Je prendrais soin d'eux," promet-t-il parce que Maduin lui a permis de revoir le visage de sa femme.
Maduin dépose un dernier baiser sur le front de Sky, puis sur ceux des jumeaux qui refusent de lâcher ses jambes pendant quelques minutes, l'empêchant de partir.
Et enfin, Maduin s'en va, descendant le chemin rocheux vers la vallée, où sa caravane l'attend pour repartir vers Corel.
Il y a un enfant qui attend là-bas, qu'ils ramèneront vers le sud de Gongaga, là où une des filles de Maduin pourra prendre soin de lui.
Il n'y a pas besoin de dire au revoir, ils se reverront.
Ils sont maduins maintenant.
"Bon. Il te faut une maison," déclare Brian.
"Celle de mes parents ? "
"C'est inhabitable, personne n'y a logé depuis ton départ."
"Très bien. Il faut que j'apprenne à mes fils à réparer des choses. Je te présente Zack et Cloud, mes jumeaux. Les enfants, Brian est un ennemi d'enfance."
"Un ami, tu veux dire Maman ? " demande Cloud.
"Et voici ma fille," déclara Brian en poussant la petite devant lui, l'obligeant à lâcher sa jambe.
"Bonjour ! " s'exclame Zack.
"B'jour," balbutie Cloud.
La petite a un petit rire timide et Sky sent que si Cloud regardait Maduin maintenant, le vagabond aurait la peau des Nibelungen, des cheveux noirs, des yeux rouges et une dent en moins.
"Je m'appelle Tifa ! Venez ! Je vais vous présenter tout le monde ! "
Et les trois enfants filent, main dans la main.
"J'espérais quand même qu'ils auraient atteint la puberté avant qu'ils attirent les filles, "commente Sky avec un petit sourire.
"Est-ce qu'on va avoir trois Strife à Nibelheim maintenant ? " ajoute Brian d'un air accablé.
"Tu as survécu avec moi en ennemie d'enfance, ta fille y arrivera aussi," déclara Sky en passant un bras autour de ses épaules.
"Difficilement" soupire Brian avant de finir par sourire. "Bienvenue à la maison, Sky."
"Merci, Brian."