Autre lieu. Autres mœurs

Résumé :
Enfin, l'académie des sciences d'Alexandria a obtenu l'autorisation de Burmécia d'envoyer un de leurs meilleurs scientifiques pour étudier leur technologie hydraulique antique.
Et leur meilleure scientifique, c'est Estrela Mist, intelligente, fraichement divorcée et prête à faire ses preuves.
Elle va être confrontée de plein fouet à une société légèrement rétrograde sur bien des points.
Heureusement, il y a le clan Haifin.
Chronologie :
Se situe entre 2951 et 2959.
Personnages :
Cid Highwind, Shera (FF7), Kain Highwind (FF5), Estrela Mist (OC), les habitants de Burmécia (OC APPALLOOZA ! )
Tags spécifiques au chapitre :
Différenciation culturelle, mais genre woah, tout ce que vous vouliez savoir sur la culture de Burmécia, et tout ce que vous ne vouliez pas savoir, mariage d'enfants, traditions pourries, famille biculturelle, Estrela et Shera vont faire entrer le féminisme à Burmécia, mais va y avoir du boulot, mentions de relations sexuelles enthousiastes entre adultes consentants, contient du bébé Shera, du bébé Cid et du bébé Freya, cuteness overload incoming.


Il y avait une différence, réalisa Estrela, entre savoir qu'il pleuvait à Burmécia de façon intellectuelle et savoir qu'il pleuvait à Burmécia en étant sous la pluie de Burmécia.
Quand elle était arrivée à la Porte Nord de la frontière entre la région de Midgar et celle des plaines, il faisait encore relativement beau, mais au fur et à mesure qu'elle grimpait les montagnes à dos de chocobo, accompagnée de son guide, la pluie commença à tomber de plus en plus drue. Elle commençait à se demander si elle aurait des bleus sur les épaules le soir venu.
Ils avaient fait une pause à Deist, le temps de se sécher un peu et les dragoons stationnés là avaient été méfiants, mais aussi curieux de voir une femme venir seule à Burmécia.
Mais quand ils étaient arrivés sur le plateau de Burmécia, c'était majoritairement la curiosité qui l'avait emporté, surtout chez les enfants qui l'avaient pointée du doigt en babillant dans leur langue natale, courant après son chocobo pour l'apercevoir
Selon son guide, la plupart n'avaient probablement jamais vu de cheveux bruns de leur vie. Même lui, en étant métis, avait des cheveux blonds et des yeux bleus.
Elle allait devoir lui faire confiance, pour l'instant, elle ne parlait du Burmécien que les formules de politesse rituelle et quelques mots qu'elle avait lus dans un très vieux livre de la bibliothèque royale d'Alexandria.
Malgré ses recherches, c'était tout ce qu'elle avait trouvé.
Son guide lui en avait appris quelques-unes supplémentaires et cela lui permit de saluer poliment son comité d'accueil à l'entrée de Burmécia.
Les Öldungar, avait dit son guide, des… notables si elle comprenait bien leur fonction, des chefs de clans ou des prêtres qui agissaient comme conseillers du Roi.
C'étaient eux qui avaient validé la mission d'étude d'Estrela à Burmécia, il était important de faire bonne impression.
Et ce fut raté dès qu'elle descendit de chocobo.
Visiblement, ils attendaient un homme.
Bon, au moins, elle ne serait pas dépaysée du machisme alexandrien. Elle fixa son sourire amical plus fermement sur ses lèvres et les salua aussi poliment qu'elle pouvait.
La mission devait durer cinq ans.
Et elle retournerait à Alexandria pour les Jours Carbuncle, dans trois mois, pour revoir Shera.


Apparemment, être une femme seule et indépendante à Burmécia était proprement scandaleux.
Elle s'était attendue à ce que son statut de divorcé soit choquant, mais visiblement, ce n'était pas le cas.
En revanche, rester célibataire était bien plus grave.
Autre lieu, autres mœurs.
Du coup, le conseil des Öldungar lui avait assigné un chaperon qu'elle s'apprêtait à rencontrer, suivant un des Öldungar jusqu'à une des maisons qui bordait une des places de la ville.
On lui avait fourni une cape de pluie Burmécienne en cuir de dragon qui la protégeait mieux que son manteau alexandriote mais elle ne s'était pas encore habituée à marcher pieds nus, comme tout le monde le faisait ici.
L'Öldungur toqua à la porte d'une des maisons et un jeune homme d'une quinzaine d'années vint ouvrir, aux longs cheveux blonds très clair.
"Bonjour, Abel[1], ton frère est là ? "
"Oui, Sire Bohort, veuillez entrer je vous prie."
"Vivement que tu sois marié qu'il y ait de nouveau une maîtresse du hall," ajouta l'Öldungur en jetant un regard désemparé à l'état de la maison.
"Bientôt ! " répondit le jeune homme avant de se tourner vers Estrela, l'accueillant poliment.
Elle parierait son diplôme qu'il n'y avait que des hommes sous ce toit. Ce n'était pas exactement sale mais… disons que négligé était peut-être le mot le plus approprié.
Bon, d'accord : c'était bordélique.
"Je vous merci de m'accueillir," répondit Estrela aussi gracieusement qu'elle pouvait.
Elle n'avait pas compris la moitié de ce que les deux burméciens s'étaient dit à part les formules rituelles. Elle avait encore du mal avec certains aspects de la langue.
"KÆN ! Descends ta queue, Sire Bohort veux te voir ! " brailla l'adolescent.
"J'arrive ! " rétorqua une voix aussi forte venant de l'étage.
Entendre les Burméciens hurler à tout bout de champ en était un. A croire qu'aucun d'entre eux ne savait parler à un volume normal. Elle achevait de retirer ses chaussures sous le regard amusé d'Abel quand le bruit d'un chocobo au galop venant de l'escalier retentit. Elle se redressa, achevant de défaire sa botte et la chaussette associée, et se tourna vers le nouveau venu.
Oh, Saint Alexander, wow.
Ses amies à Alexandria avaient plaisanté qu'elle devrait profiter de sa mission pour étudier aussi la faune bipède locale, réputée pour engendrer les plus beaux spécimens hume d'Estérie, ce à quoi elle avait rétorqué qu'après neuf ans de mariage avec Suno, non merci.
Elle changeait d'avis sur l'étude de la faune bipède locale.
L'homme qui venait d'arriver était plus jeune qu'elle, la vingtaine et était visiblement de la même famille que l'adolescent au vu de leur ressemblance. Grand, beau, blond, les yeux bleus, athlétique, une expression sévère sur le visage, vite démentie par la façon dont il tira sur la queue de cheval du plus jeune. Il se reprit en voyant Estrela, se redressant pour la saluer poliment.
"Madame."
"Kæn, voici la savante d'Aleksandrja, Dame Estrela Mist, elle va étudier les moulins à eau et les aqueducs, tâche de l'empêcher de fouiner un peu trop."
Le jeune homme fronça les sourcils et dévisagea Estrela avec une expression agacée.
"Pourquoi devrais-je garder une étrangère alors que mon vol vient d'être assigné à la protection du Tombeau des Dragons ? "
"Parce que tu es le seul célibataire d'à peu près son âge et que ça te fera du bien de fréquenter de nouveau une femme..."
Elle vit le demi-dieu serrer les mâchoires et inspirer longuement tandis que le jeune homme se prenait le front dans la main, du geste visiblement universel que faisaient tous les témoins d'une gaffe.
"Je n'ai pas la moindre intention de me remarier," finit-t-il par maugréer d'un ton hargneux.
"Alors profites-en pour t'occuper de Siddhe, depuis qu'il n'est plus à l'école il ne fait que traîner dans les rues. Il est temps qu'il commence son entraînement."
"Il n'a que huit ans ! " protesta Abel.
"Il est du devoir de Kæn d'en faire un dragoon le plus tôt possible ! Tu dois t'occuper de l'éducation de Siddhe et de surveiller la savante. C'est un ordre du conseil."
Le demi-dieu soupira rageusement mais hocha la tête.
"Très bien."
"Elle dort à l'auberge, veille à ce qu'elle ne sorte pas de Burmécia non accompagnée et qu'elle ne farfouille pas trop dans les secrets du Seigneur Bahamut."
"Oui Sire Bohort."
"Ah. Et tant que tu y es," reprit l'öldungur avant de sortir, "donne-lui des cours de langues."
Estrela eut effectivement droit à un cours de langue une fois le prêtre sortit, mais il lui fallut plusieurs semaines pour comprendre la litanie d'insultes que prononça Kæn une fois la porte fermée.
Autre lieu. Autres mœurs.


Elle venait d'acquérir le plus adorable de tous les assistants.
Non, non, pas Kæn, même si le dragoon n'était jamais loin, il s'ennuyait vite à la regarder ouvrir les trappes d'accès aux canalisations et se contentait de rester à portée de vue et d'oreille, discutant avec ses compatriotes ou esquivant certains groupes de femmes avec brio.
Elle était en train d'essayer d'ouvrir une trappe d'accès à une canalisation bouchée quand elle remarqua qu'on l'observait.
Ce n'était pas étonnant, depuis qu'elle avait commencé à répertorier et évaluer l'état du réseau hydraulique de Burmécia, elle était en permanence suivie du regard et une troupe d'enfants l'observait en se cachant à demi, s'éparpillant dès qu'elle tournait le regard vers eux, mais cette fois, l'un d'eux ne s'éloigna pas.
Et c'était un des plus adorables gremlins qu'elle n'ait jamais vu.
À part Shera.
Blond (évidemment), des yeux bleu clair (surprenant), une peau pâle (pour changer) et un sourire éclatant.
Et absolument pas intimidé à l'idée de s'approcher d'une étrangère.
"Hallò ! " salua-t-il en s'arrêtant près d'Estrella.
"Hallò," répondit-t-elle.
"Qu'est-ce que tu fais, Madame ? "
Elle dû lui faire répéter avant de pouvoir lui répondre.
"Je répare le… hum… le chemin où va l'eau."
"Pourquoi ? "
Ah, il y avait des choses universelles concernant les enfants. Le mot en P par exemple.
"C'est cassé, il faut réparer."
"Oh. Je peux regarder ? "
"Oui, mais pas… euh…"
"Pas toucher ? " offrit l'enfant.
"Oui, pas toucher."
"D'accord," dit-t-il en s'accroupissant près d'elle, les mains sagement posées sur ses genoux.
Il avait les pieds couverts de boue, ce qui n'était pas vraiment étonnant pour les Burméciens, mais ses vêtements étaient tout aussi sales, ainsi que ses cheveux en bataille. C'était plutôt surprenant cette fois, les Burméciens avaient une relation avec l'eau presque aussi fusionnelle que les Wutans, et mettaient un point d'honneur à rester propre et se laver fréquemment.
La preuve étant leur système hydraulique antique qu'ils gardaient jalousement. Il avait fallu une dizaine d'années de tractations pour qu'ils daignent laisser un savant d'Alexandria y mettre son nez.
Elle arriva enfin à déverrouiller la trappe d'accès et l'ouvrit, la rabattant sur le sol et sortant une lampe de poche pour inspecter l'intérieur. Le petit gremlin se pencha aussi pour regarder et elle tendit le bras pour l'en empêcher.
"Attention. Tu tombes."
"Non, je ne tombe pas ! "
"Tu… oh zut, comment on dit…"
"Zut ? " répéta religieusement l'enfant.
Eeeet elle venait de lui apprendre son premier mot de commun. Et probablement pas le meilleur. Avant qu'elle ait pu trouver ses mots, elle entendit une voix connue beugler.
"SIDDHE ! "
Le bond de surprise que fit l'enfant était fort honorable pour un humain mais peu surprenant de la part des Burméciens. Il avait à peine atterri que le garde du corps d'Estrela l'attrapait par le col, le soulevant du sol.
"Qu'est-ce que tu fous là ? ! Je t'ai dit de ne pas déranger Dame Mist ! "
"Elle a dit que je pouvais regarder ! " s'exclama l'enfant, se tortillant au bout du bras du chevalier.
"Sire Haifin, ça va bien ! "s'exclama Estrela en se levant pour le retenir, "non c'est pas ça. Je lui ai dit oui ! "
Kæn resta quelques secondes surpris qu'Estrela vole au secours de l'enfant et, obéissant à la pression de sa main sur son bras, finit par le poser. Il se secoua et s'adressa de nouveau au gamin, notant son état général.
"Tu as vu ton état ? Va prendre un bain ! "
"Je me suis lavé ce matin ! "
"Alors prends en un second ! " rétorqua Kæn.
Siddhe déguerpit, non sans s'arrêter à mi-chemin, saluant Estrela d'un signe de main avant de reprendre sa course. Kæn soupira, s'appuyant sur sa lance d'un air las.
"Il est… mignon, c'est frère à vous encore ? " demanda Estrela, amusée.
"Hein ? Oh non, Siddhe est mon fils."
Estrela cligna des yeux. Siddhe devait avoir le même âge que Shera, soit sept ou huit ans mais Kæn…
"Pas offense," commença Estrela, "mais vous avez combien d'âge ? "
"Vingt-six ans," répondit le chevalier avant de tracer les chiffres dans l'air pour aider Estrela à comprendre.
Ah. Soit six ans de moins qu'elle. Et dire qu'elle pensait avoir été une jeune maman en accouchant à vingt-quatre ans.
Mais bon, elle avait déjà vu à Burmécia des jeunes filles enceinte à seize ou dix-sept ans et certaines avec deux ou trois enfants à l'âge où elle même était devenue mère.
Autre lieu, autre mœurs.
"Il ne va pas à l'école ? " s'étonna-t-elle, traçant à la craie une référence sur le tuyau le plus proche.
"Il a fini," répondit son père, s'accroupissant près d'Estrela.
Estrela releva les yeux, les sourcils haussés.
"Il a combien d'âge ? "
"Huit ans le mois prochain."
Elle dévisagea Kæn avec surprise.
"Il sait lire, écrire et compter, ça suffit," expliqua Kæn, "et puis il commence son apprentissage bientôt."
Ouaip, autre lieu, autres mœurs. Définitivement.


Il s'avéra que Siddhe était incroyablement intelligent. Shera était déjà considéré comme une enfant surdouée, mais la vitesse à laquelle Siddhe apprit le commun laissa Estrela dans la poussière avec son propre apprentissage, au point qu'en deux mois, Siddhe parlait mieux commun qu'elle le Burmécien.
Et quand Siddhe n'était pas en train d'apprendre le maniement de la lance avec son père, ou à traîner dans les pattes d'Abel et de sa fiancé, Yrjna, il était avec Estrela, découvrant les secrets de l'hydraulique Burmécienne.
"Pourquoi y'en a autant de cassé ? " s'étonna-t-il en lui tendant un outil.
"Parce que le temps passe et le métal casse ou s'use," répondit Estrella, "comment tu dis ça ? "
Cid répéta la phrase en Burmécien et elle l'imita avant qu'ils continuent leur conversation.
"Tu fais quoi ? "
"Je démonte cette conduite parce qu'elle fuit. Il va falloir la remplacer mais comme le modèle n'existe plus, on va devoir refaire un moule et la refondre."
"Modèle. C'est quoi ? "
"Tu te souviens quand je t'ai écrit l'alphabet en commun et que tu l'as copié ? C'est ça un modèle."
"Oh. Modèle," traduisit l'enfant, "et refondr…"
"SIDDHE ! C'est comme ça que tu fais tes corvées ? "
"AplustardEstrela," débita Siddhe d'un trait avant de déguerpir, sans laisser le temps à son père de l'attraper.
"Arrête d'appeler Dame Mist par son nom ! " ajouta Kæn dans le dos de son fils.
"Ce n'est pas grave, il m'aide," objecta Estrela avec un petit sourire.
"Il ne devrait pas te déranger comme ça."
"Au moins, quand il est avec moi, il ne traîne plus tout seul dans les rues," déclara Estrela en refermant la trappe.
Elle ne voulait pas critiquer la façon dont Kæn élevait son fils mais le gamin était trop jeune pour errer comme il le faisait à longueur de journée. Il s'ennuyait, Estrela pouvait le voir, et quand un enfant intelligent s'ennuyait, ça pouvait vite dégénérer.
La dernière fois que Shera s'était ennuyée, elle avait monté un élevage de grenouilles et de tritons dans la salle de bain. Avec l'écosystème dans la baignoire.
Elle verrouilla soigneusement l'accès puis déplia la carte qu'elle dessinait au fur et à mesure, tachant de la protéger de la pluie. Elle avait vite abandonné les stylos à encre à Burmécia, qui s'estompaient à la première goutte et était repassée aux crayons de papier.
"Si je calcule bien, il y a un autre accès par là," déclara-t-elle avant de ramasser ses outils et se diriger d'un pas décidé vers une autre rue, Kæn sur les talons.
"Je croyais que tu avais fini de compter les trappes d'accès."
"J'essaye de comprendre le... hm... le plan des canalisations," expliqua Estrela en mordillant son crayon, "il devrait y avoir une réserve qui remplit les puits, mais je n'arrive pas à trouver… par où on entre."
"La citerne ? " suggéra Kæn avant de réaliser qu'Estrela ne connaissait pas le mot, "hum… le… la bassine ? Grand lac où la pluie arrive ? "
"OUI ! Citerne ! Tu sais où elle est ? "
Kæn savait. Il l'amena à un accès près d'un des plus grands puits, surmonté d'une gargouille en forme de dragon ou se vidait l'eau de pluie, et l'aida à ouvrir la porte d'accès.
"Oh, super ! On peut descendre par-là ! " s'exclama Estrela en apercevant une vieille échelle de métal corrodé, mettant sa lampe de poche dans sa bouche avant de commencer à descendre.
"Estrela, prend garde, personne n'est descendu de la depuis…"
Un barreau de l'échelle cassa sous le poids d'Estrela et elle chuta avec un cri de surprise.
Elle n'eut pas le temps de paniquer que sa chute stoppait brutalement. Le souffle coupé, elle se retrouva pendue dans le vide au-dessus de la citerne, uniquement retenue par la main de Kæn autour de son poignet. Le chevalier était à moitié penché par la trappe, se retenant à sa lance, passée en travers de l'entrée.
Estrela ne s'était pas attendue à ce que la citerne soit si grande, elle avait cru que Burmécia était bâtie sur de la roche dure, mais en réalité, presque tout le sommet de la montagne était évidé.
Sauf pour les conduits, les canalisations et les mécanismes qui occupaient tout le plafond sur une épaisseur de plusieurs mètres.
Ça aurait été fascinant à étudier si elle n'était pas actuellement suspendue au-dessus de plusieurs dizaines de mètres de vide suivi d'une profondeur impressionnante d'eau glacée.
"Ne panique pas, je te remonte," déclara calmement Kæn, joignant le geste à la parole.
Les Burméciens étaient de redoutables guerriers et de solides gaillards des montagnes, et Kæn la remonta d'une main, ne la lâchant qu'une fois qu'elle eut les deux pieds sur les pavés de la ville.
"Est-ce que ça va ? Tu n'es pas ble…"
Le dragoon se tut quand il sentit les mains d'Estrela se resserrer sur sa tunique. Elle tremblait de tout son corps, aussi se pencha-t-il vers elle, posant sa main sur son dos et l'attirant contre son épaule.
"M… merci," finit par balbutier Estrela.
Elle ne comprenait pas encore la signification du murmure du dragoon, mais il la laissa le tenir contre elle pendant encore plusieurs minutes.
Puis, voyant qu'elle continuait à trembler, il l'amena chez lui, lui fit un thé Burmécien et l'invita à diner avec lui, Abel et Siddhe.
Il fallut qu'il envoie Abel et Siddhe acheter quelque chose à l'auberge. Visiblement, le régime alimentaire des trois hommes était limité à du pain, de la viande et du thé.
Autre lieu, autres mœurs.


Estrela fut invitée au mariage d'Abel et sa fiancée, Yrjna, qui eut lieu un mois plus tard, juste avant les Jours Carbuncle. Siddhe ne fut d'aucune aide au sujet des traditions du mariage Burmécien et elle dû asticoter Kæn jusqu'à ce que le chevalier accepte de desserrer les dents et lui expliquer les différentes traditions, ainsi que ses devoirs en tant qu'invitée.
"Un mariage c'est un mariage, je ne vois pas pourquoi tu poses toutes ces questions ! "
"C'est différent selon les villes ! Chez moi, la mariée doit porter une robe de couleur la plus blanche possible ! " cita Estrela en exemple.
Kæn lui jeta un regard abasourdi, puis à la robe colorée d'Yrjna avant de revenir vers son invité.
"Mais… comment votre divinité fait pour reconnaître la mariée et la bénir ? "
"Dans le mariage alexandriote, le blanc symbolise la pureté de la mariée."
"Plus sa robe est blanche et plus elle est vierge ? " rétorqua Kæn d'un ton dubitatif.
"Non, plus elle est blanche, plus sa famille est aisée pour se le permettre."
"Oh," comprit le chevalier.
"Et puis il y a le lancer du bouquet."
Cette fois, Kæn ne la crut pas.


Ce n'était pas si étonnant que la danse chez les Burméciens fasse trembler le sol, mais Estrela eut beau faire, que ce soit avec Siddhe ou Kæn, elle ne fit rien trembler.


L'hydromel burmécien était traitre. A moins que ce soit l'altitude ou le fait qu'elle n'ait rien but depuis qu'elle était arrivée à Burmécia.
Aussi Estrela ne fut pas surprise de ne pas se réveiller dans la chambre de l'auberge où elle dormait depuis trois mois.
Et elle était en bonne compagnie.
Siddhe dormait contre elle, un poing serré sur sa chemise, bavant à moitié sur son épaule. Ce petit gremlin était décidément bien mignon et ferait craquer n'importe quelle femme à l'instinct maternel.
D'ici dix ans, il ferait craquer les femmes pour une tout autre raison.
Surtout s'il tenait de son père.
Elle lui caressa les cheveux, restés propres toute la journée d'hier pour une fois.
"Réveillée ? "
Estrela jeta un petit regard par-dessus son épaule, apercevant Kæn, adossé au chambranle de la porte. Il avait une tasse à la main et les regardait tous les deux avec une expression plus… Enfin, disons moins sévère que d'habitude.
"Hmm, tout juste, dis-moi que c'est du café ? "
"Cette monstruosité ne passera pas le seuil de ma porte," déclara Kæn en approchant, lui tendant la tasse.
Ce serait donc du thé burmécien ce matin-là, encore une fois, compris Estrela en s'asseyant, se dégageant doucement de la prise de Siddhe pour accepter la boisson.
Elle se trouvait dans la chambre de l'enfant, réalisa-t-elle en remarquant quelques affaires de Siddhe jetées un peu partout dans la pièce, ses habits, quelques jouets, un ou deux outils qu'elle lui avait abandonnés.
"Qu'est-ce que je fais ici ? "
"Tu as voulu mettre Siddhe au lit et lui raconter une histoire," expliqua Kæn en s'asseyant près d'elle, "quand tu n'es pas redescendue, je suis venu voir ce qui se passait et je vous ai trouvé endormis tous les deux."
Estrela gémit d'embarras, se frottant le visage.
"Oh, je suis désolée, j'espère que ça ne va pas faire tourner les rumeurs."
"Trop tard depuis trois mois," soupira Kæn.
"Vraiment ? " glapit Estrela.
"Tout le monde veut que je me remarie et faire d'autres frères et sœurs à Siddhe…"
"Mais ? "
Kæn ne répondit pas, regardant Siddhe endormi, roulé en boule contre Estrela.
"Il ressemble à Siv…" murmura Kæn, "parfois j'ai l'impression de la voir quand nous étions enfant."
Elle hocha la tête. Kæn était un des célibataires les plus en vue de Burmécien, chef d'un clan petit mais renommé, un jeune et valeureux chevalier, qui plus est beau garçon, mais depuis la mort de sa femme, la mère de Siddhe, il refusait obstinément de se remarier, voir même de prendre une amante. Les amies qu'Estrela commençait à se faire à Burmécia la poussait à tenter de séduire Kæn, ce qui l'amusait beaucoup, mais Estrela non plus ne se sentait pas prête à se trouver quelqu'un.
Neuf ans avec Suno, ça suffisait.
Surtout qu'elle devait le revoir pour les jours Carbuncle, ce qu'elle anticipait avec appréhension.
"Une idée pour que je puisse sortir sans alimenter les rumeurs les plus fantasques sur notre… hum… relation ? " demanda-t-elle, faute d'un meilleur mot.
"Essaye par la fenêtre de derrière et la corniche ? "
"Uh, je préfère les rumeurs finalement."


Les Jours Carbuncle avaient été INFERNAUX.
Suno avait été infâme.
Mais d'un autre côté, elle aurait dû s'attendre à ce que ça se passe mal. Ils étaient tous les deux fraichement divorcés, elle venait d'obtenir une mission d'étude prestigieuse, première femme et première scientifique autorisée à étudier l'hydraulique Burmécienne antique in situ, alors que la carrière de Suno stagnait.
Et bien entendu, il le lui avait reproché.
Ils s'étaient pourtant mis d'accord pour ne PAS se disputer pendant les jours Carbuncle, pour offrir un moment de joie et de sérénité à Shera, mais tant qu'ils avaient été dans la famille de Suno, ça n'avait pas arrêté. Entre ses reproches à lui, le dédain de sa belle-famille pour une femme qui osait faire une meilleure carrière que son mari au lieu d'élever leur fille et le mépris sur le sujet de ses recherches…
Et dans sa famille à elle, ça n'avait pas été mieux. Sa mère commençait déjà à faire le tri dans les fils de ses connaissances pour qu'elle se remarie et ses tantes et cousines se permettaient des reproches et conseils sur sa tenue et qu'elle ne se trouverait pas un autre homme si elle continuait sa carrière académique.
Elle tint deux jours avant de claquer la porte au nez de sa famille, et décida d'emmener Shera découvrir les joies des Jours Carbuncle en célibataire, avec marathon ciné, chocobo frit et Golden Saucer.
Ce fut pendant qu'elles faisaient un tour de gondoles que Shera, jusqu'alors collée à l'avant pour 'faire comme si je volais', se tourna vers elle.
"Tu t'es disputée avec Papa."
"Je suis désolée, Shera Chérie," grimaça Estrela, "je t'avais promis…"
"C'est pas grave," rétorqua Shera avant de descendre du banc de l'avant, venant se blottir contre sa mère.
S'il y avait bien une seule personne qui lui manquait d'Alexandria, c'était sa fille. La seule chose correcte qui avait résulté de son mariage avec Suno. Elle la serra contre elle, fourrant son nez dans les boucles auburn de Shera. Son bébé sentait toujours aussi bon et elle déposa un baiser sur son front.
"Comment ça se passe à l'école ? "
"Ça va," répondit Shera, "la maîtresse dit que je pourrais passer en classe supérieure, mais Papa veut pas."
"Je lui en parlerais…"
"Il dit qu'il faut pas que je devienne une grosse tête comme toi ou je pourrais pas me marier."
Estrela tiqua. Elle allait tuer son ex.
"Oui et bien ton père m'a dégouté à jamais du mariage, il peut parler," grommela-t-elle avant de le regretter.
Ça n'était pas comme ça qu'elle allait élever une enfant équilibrée. Il fallait qu'elle soit plus diplomate et montrer le bon exemple de maturité.
"Il… vaut mieux se marier avec quelqu'un qui te reconnaisse à ta juste valeur que quelqu'un qui préfère que tu sois moins que lui pour lui faire plaisir," corrigea-t-elle en priant pour dire la bonne chose.
"Pas comme Papa, quoi."
Ouais, élever un petit génie, ce n'était pas facile. Ou alors c'était trop tard et elle avait transmis les gènes du sarcasme à Shera.
"C'est comment Burmécia ? "
"Humide. Il pleut tout le temps."
"Oui, tes lettres sont toutes gondolées."
"Tu voudrais venir ? "
Shera se redressa, un grand sourire aux lèvres.
"Je pourrais ? "
"Je vais demander l'autorisation aux Öldungar pour que tu viennes passer les vacances d'été là-bas."
"Papa sera d'accord ? "
"J'espère, mais les termes du divorce incluent que je te prenne avec moi en vacances plusieurs fois par an. Il ne devrait pas refuser."


Elle fut accueillie en fanfare par le clan Haifin au grand complet à son retour à Burmécia.
Bon, le clan Haifin au grand complet n'était composé que de quatre personnes, mais c'était mieux que l'accueil qu'elle avait eu dans sa propre belle-famille.
"Estrelaaaaaa ! " couina Siddhe en venant escalader son chocobo alors qu'elle ne l'avait même pas encore arrêté.
"Siddhe, bordel ! " jura Kæn.
"Kæn, merde, on a dit qu'on arrêtait de jurer autour de Siddhe ! " intervint Abel.
"Je vois qu'ils n'ont pas changé," soupira Estrela à Yrjna en laissant Siddhe l'étreindre pendant que les deux frères commençaient à se disputer.
"Si tu savais à quel point je suis contente d'avoir à nouveau de la compagnie féminine," soupira la jeune fille, prenant les rênes du chocobo pour qu'Estrela puisse descendre sans lâcher Siddhe.
Ou plutôt sans que Siddhe la lâche, accroché à elle comme un bébé moogle à sa mère.
"Comment va ta fille ? " demanda Siddhe.
"Elle va bien, merci, elle va peut-être venir cet été, tu pourras la rencontrer ! "
"C'est vrai ? ! ! " s'exclama Siddhe, aux anges.
"Si le conseil des Öldungar veut bien."


Les öldungar acceptèrent.
Suno refusa.
Et préféra envoyer Shera en colonie de vacances, prétextant qu'elle se sentirait déracinée par une immersion dans une civilisation qu'elle ne connaissait pas.
"Si je l'avais sous la main, je l'étriperai ! " hurla Estrela en relisant la lettre que Shera lui avait envoyée pour lui expliquer son point de vue.
"Je ne comprends pas," déclara Yrjna en lui servant du thé, "pourquoi ce n'est pas toi qui t'occupes de ta fille ? "
"Parce que j'avais déjà accepté ma mission ici avant notre divorce ! Je voulais qu'elle reste dans un endroit familier, avec ses amies, sa famille, son école et Suno était d'accord avec moi ! "
"Ici quand un couple divorce, c'est la femme qui garde les enfants jusqu'à leur majorité," expliqua Abel.
"J'aurais peut-être dû ! " s'exclama Estrela en abattant la lettre sur la table.
Yrjna lui tapotant l'épaule d'un geste compatissant avant de devenir soudain aussi blanche que ses cheveux et se précipiter dans la salle de bain du hall Haifin.
"Ah merde, elle est encore malade ? " marmonna Abel en remplissant une tasse d'eau pour rejoindre sa femme.
"Ça fait des jours que ça dure cet empoisonnement alimentaire," grommela Kaïn, " il va falloir qu'elle aille voir le guérisseur."
Estrella ne renchérit pas, comptant sur ses doigts avant de soupirer.
"Tu n'étais pas marié toi ? " demanda-t-elle avant de rejoindre le jeune couple, "Yrjna, quand a eu lieu ton dernier… zut j'ai pas le mot, le sang mensuel ? "
"Pourquoi ça ? " demanda la jeune fille, penchée au-dessus du trou qui servait de toilettes dans les maisons de Burmécia.
Dans une société qui mariait ses enfants aussi jeunes, elle aurait pensé que l'éducation sexuelle était un peu meilleure que ça.
Autre lieu, autres mœurs.


"ARGH ! "
Siddhe, qui nettoyait le hall avec Yrjna, se redressa en entendant le cri de frustration d'Estrela.
L'alexandriote revenait de sa journée de travail à inspecter les canalisations, réparer ce qui cassait et étudier les techniques de construction du système hydraulique, elle était donc trempée, couverte de vase et d'huile et un poil ronchon.
"Pourquoi tu cries ? "
"Les mégères du haut-quartier m'ont encore coincée pendant une demi-heure ! " s'exclama Estrela, réceptionnant un boulet de canon blond du nom de Siddhe, le serrant contre elle.
Yrjna eut un petit sourire compatissant en se redressant, essayant de se lever. Estrela fronça les sourcils, accrochant sa cape et se lavant rapidement les pieds pour venir l'aider.
"Qu'est-ce que tu fais ? On avait dit qu'on ferait le ménage ensemble ! "
"Mais le hall est une porcherie ! C'est mon rôle en tant que maîtresse de maison…"
"Tu es enceinte ! " déclara Estrela en la faisant asseoir sur un des fauteuils devant la cheminée, "tu devrais éviter de te fatiguer comme tu le fais ! "
"Je l'aidais ! " s'exclama Siddhe.
"Et c'est très bien ! Va préparer un thé pour Yrjna, je finis."
Elle allait empoigner la serpillère quand elle réalisa que ses habits boueux dégoulinaient sur le plancher du hall.
"Merde[2] ! Désolée, il faut que je me change d'abord," commença-t-elle en retirant son pull trempé.
"Tu peux te servir dans mon coffre," proposa Yrjna en acceptant une tasse de la part de son neveu.
"Oh, merci ! "
Elle déboutonnait sa chemise, profitant d'être seule avec Yrjna et Siddhe quand la porte de l'entrée s'ouvrit à nouveau sur les frères Haifin qui revenaient de la chasse, chacun une proie à la main et leur lance dans l'autre.
"La chasse a été bon..." commença Kæn avant de se figer en voyant Estrela, la chemise ouverte et en soutien-gorge.
Il lâcha son lapin des montagnes et plaqua sa main désormais libre sur les yeux d'Abel.
"Euh, Kæn, je suis marié maintenant," objecta son petit frère.
"Ce n'est pas une raison pour regarder ! "
"Mais, toi tu regardes," constata Yrjna, amusée.
Kæn réalisa qu'en effet, il était en train de regarder Estrela à moitié nue au milieu du hall.
"Désolée ! " s'exclama Estrela en resserrant les pans de sa chemise avant de se précipiter vers l'escalier, "je ne savais pas que vous arriviez ! Je t'emprunte des vêtements Yrjna ! "
"Vas-y ! " renchérit la jeune fille avant de dédier un regard amusé à son beau-frère et chef de clan, "tu continues de regarder, Kæn."
"Ben elle a des nibards encore plus gros que les ti…" commença Abel avant de recevoir une tasse vide en plein plastron.


Une heure plus tard, Estrela finissait de nettoyer la maison, aidée par Siddhe qui courait partout pour ranger ce qu'il trouvait à trainer.
Kæn et Abel avaient vidé et nettoyé leurs proies et Yrjna les préparait pour le repas du soir, malgré les remontrances d'Estrela.
"Vous devriez l'aider tous les deux ! "
"C'est son rôle en tant que…"
"Maîtresse du Hall, je sais, mais vous réalisez qu'elle fait seule le travail que plusieurs femmes font habituellement ? Dans son état, elle devrait éviter de se surmener ! Ça peut être mauvais pour sa santé ou celle du bébé et…"
Kæn se tourna vivement vers Estrela, les sourcils froncés.
"Comment ça ? "
"Plus une grossesse est fatigante, plus il y a un risque de… hu… perdre le bébé ? Ou que l'accouchement soit difficile."
Elle vit Kæn pâlir, ce qui était une gageure avec son habituel teint de lait puis regarder sa belle-sœur, la fixant longuement avant de se tourner vers Abel.
"Emmène là se reposer."
Abel, habituellement plus prompt à ouvrir sa grande bouche, s'empressa d'entraîner Yrjna vers leur chambre, à la grande confusion de celle-ci. Resté seul dans la cuisine avec Estrela, Kæn prit la cuillère en bois avec une expression déterminée et commença à touiller le ragout.
"Kæn ? " s'inquiéta Estrela, intriguée par sa réaction.
"Nous l'aiderons plus," déclara le dragoon sans détourner le regard du plat qui cuisait.
"Je viendrais donner un coup de main aussi, si tu veux…"
"Tu le fais déjà. Tu… merci…" bougonna le dragoon, "Yrjna t'aime bien, elle se sent moins seule grâce à toi."
Estrela hocha la tête d'un air entendu. Kæn et Abel étaient les seuls survivants hommes de leur clan. Leurs sœurs l'avaient quitté en se mariant, selon la tradition, et leurs parents étaient morts quand Abel avait été enfant, d'une des épidémies qui frappaient régulièrement Burmécia. Yrjna était donc par défaut maîtresse de hall, pendant féminin du chef de clan, et entre le travail pour tenir le hall en bon ordre, s'occuper de la gestion de leurs terres et des paysans qui les cultivaient, tenter d'élever Siddhe et sa grossesse en cours, elle n'avait pas souvent l'occasion de voir sa famille.
Autre lieu. Autres mœurs.
Il y eu un crash avant qu'Estrela puisse répondre et les deux adultes soupirèrent de concert.
"J'y vais," répondit Estrela.
Une fois Siddhe réprimandé, l'étagère réparée et rangée, Estrela retrouva Kæn en train de lutter avec le ragoût qui attachait au fond du pot.
"Je prends le relais," déclara Estrela en venant charitablement à son secours, "va préparer la table."
Le chevalier hocha la tête, sortant les bols et couverts tout en jetant des petits regards à Estrela.
"Il parait que les mégères du haut-quartier t'ont attrapée ? "
"Ah, ne m'en parle pas," grommela Estrela, "une demi-heure à les écouter vanter les mérites de tel ou tel veuf de Burmécia."
"Avoir un époux Burmécien t'aiderais dans tes recherches…"
"Comment ça ? "
"Une fois mariée à un Burmécien, tu serais Burmécienne. Les Öldungar te laisseraient travailler plus tranquillement."
Autre lieu. Autres mœurs.
"Je viens tout juste de divorcer, je n'ai pas envie de remettre ça. Et toi alors ? "
Cette fois, Kæn la fixa d'un regard confus.
"Moi ? "
"Tu réalises que tu es un des veufs dont elles vantaient les mérites ? " expliqua Estrela.
Il soupira de lassitude.
"Je croyais avoir été bien clair la dernière fois qu'elles m'ont coincé."
"Tu es encore jeune…" commença Estrela.
"Je ne veux pas d'autres enfants."
"Je pensais plutôt à… oh zut,"
Ayant appris une grande partie de son Burmécien avec Siddhe, Estrela manquait du vocabulaire concernant les relations… disons adulte, et elle se creusa la tête pour trouver comme décrire ce qu'elle voulait.
Dire.
Ce qu'elle voulait dire.
"Hm… A… Se coucher avec quelqu'un ? Mais pas pour dormir ? "
"Baiser ? " suggéra Kæn.
"Oui, voilà, baiser[3]."
Cette fois, Kæn eut un petit rire bas qui fit des choses très intéressantes à la libido d'Estrela.
"Ça me manque parfois."
Estrela dû se mordre les lèvres pour ne pas lui suggérer de sauter au lit avec elle.
"Mais perdre une compagne m'a suffi."
Elle sursauta, soudain refroidie dans ses ardeurs.
"Siv est morte…"
"En couche. A la naissance de Siddhe."
"Oh… Kæn, je suis désolée, je ne voulais pas te le rappeler."
Le chevalier haussa les épaules.
"C'est pour ça que tu es aussi inquiet au sujet de la grossesse de Yrjna ? "
"Siv avait dix-huit ans, Yrjna n'en a que dix-sept…"
"Et j'en déduis que… hm…"
"Manque un mot ? "
"Ce qu'on fait pour ne pas avoir d'enfants quand on baise ? "
"On ne baise pas," répondit Kæn.
Ah oui, pas d'éducation sexuelle, c'est vrai.
"Les Aleksandrjotes peuvent faire ça ? " s'étonna Kæn en fronçant les sourcils.
Estrela vérifia que Siddhe n'était pas dans la pièce principale du hall.
Puis revint expliquer à l'oreille de Kæn le principe des préservatifs et de la pilule.
Quand elle cessa de parler, Kæn avait les oreilles très rouges.
"C'est… intéressant à savoir."
"Tu veux tenter ? " proposa Estrela avant d'avoir réussi à se retenir et, pour être honnête, sans vraiment essayer.
Si elle pensait que Kæn était déjà un bel homme avant, elle n'était absolument pas préparée à le voir sourire comme ça.


"Pourquoi vous avez crié hier soir ? Vous vous disputiez ? " demanda Siddhe au petit déjeuner, le lendemain, encore chiffonné de sommeil.
"Mange," ordonna son père en tentant de se cacher derrière sa tasse, sous les regards malicieux de son frère et sa belle-sœur.
Autant pour les murs épais du hall.


Freya naquit en janvier, un beau bébé avec les yeux verts de sa mère et sa chevelure presque blanche.
Burmécia étant une société patriarcale, tout le monde s'empressa de consoler Abel en disant que le prochain serait un garçon, mais en privé, Abel, Kæn et Siddhe étaient tous les trois ravis de la naissance de Freya. Siddhe en particulier, tomba pratiquement amoureux d'elle au premier regard.
"Qui a dit qu'il y en aurait un second ? " marmonna Yrjna quand Estrela fut de retour des jours Carbuncle, apportant des biberons, vêtements et jouets de l'extérieur en cadeaux.
Pour une fois, Siddhe ne se précipita pas vers elle pour la serrer contre lui. Il avait les bras pleins de Freya et la berçait avec émerveillement. Yrjna était toujours alitée et Estrela se promit d'aller secouer les deux hommes pour qu'ils rangent et nettoient un peu mieux en son absence.
"Pourquoi tu crois que je n'ai qu'une fille ? " renchérit Estrela en lui montrant une peluche de lézard, "tiens Shera l'a choisi avec moi mais, on n'a pas trouvé de dragon."
"Oh, c'est tellement gentil de sa part ! Il faut qu'elle vienne cette année ! "
"J'ai… eu une discussion avec son père à ce sujet."
"Et ? " demanda Yrjna en dépliant les petites barboteuses qu'avait amené Estrela...
"On s'est crié dessus."
"Oh, non…"
"Et j'ai revu mon… euh… représentant ? Vous n'avez pas le mot en Burmécien, la personne qui parle pour moi devant… ceux qui décident les divorces ? "
"Euuuuh on le fait nous-même…"
"Bref, j'ai parlé avec lui, si je veux passer des vacances avec Shera, il faudra que je retourne à Aleksandrja pour ça, Suno prétend que je fais passer ma carrière avant ma fille…"
"Ce n'est pas le cas ? " s'enquit Yrjna.
Estrela soupira.
Autre lieu. Autres mœurs.
Et par moment, à Burmécia, elle avait l'impression d'être aussi dans un autre temps.


"C'est bon, Siddhe, vas-y ! "
"Tout de suite ! " répondit l'enfant avant de tirer sur la poignée.
Il n'y eut d'abord rien. Puis un gargouillis.
Et l'eau jaillit soudain de la fontaine, propulsant des jets d'eau au-dessus du bassin stagnant. Siddhe bondit sur ses pieds, les bras en l'air.
"On a réussi ! On a réparé la fontaine potable ! "
"Plus besoin d'aller chercher de l'eau en contrebas ! " ajouta Estrela en le serrant contre elle, "bon boulot, gremlin ! "
L'Öldungur venu assister au redémarrage de la fontaine hocha la tête d'un air admiratif, imité par Kæn et d'autres Öldungar.
"Cela faisait dix ans qu'elle ne marchait plus, merci Dame Mist."
"Je vous en prie Sire Bohort."
"Je pense que cet exploit arguera en votre faveur pour votre demande concernant les machineries du Palais."
"Ce serait un honneur que les Öldungar envisagent cette possibilité," répondit Estrela en inclinant la tête humblement.
Après des échanges de salutations usuelles, les Öldungar repartirent à leurs occupations, laissant Estrela seule avec Kæn et Siddhe.
"Bravo," déclara Kæn d'un commun encore fortement accentué pendant qu'elle rassemblait ses outils
"Je t'avais dit qu'elle pouvait être réparée."
"Et je devais écouter."
Cid poussa un cri ravi quand il vit les chocobos de la caravane du ravitaillement entrer dans la ville et se précipita vers eux, allant à leur rencontre.
"SIDDHE ! "
"Ne cours pas à côté d'un chocobo ! " renchérit Estrela.
"Il est impossible," soupira son père.
"Il a neuf ans bientôt dix, c'est normal," temporisa Estrela en tapotant le bras de Kæn.
Cette année serait une bonne année, elle le sentait. Elle progressait dans l'étude du système hydraulique, elle revenait de longues vacances avec Shera pendant lesquelles elles avaient voyagé jusqu'à Fort Condor en minivan, elle avait réussi à persuader Kæn de la laisser donner des cours à Cid et en parlant du dragoon, leur relation à tous deux était pleinement… euh… satisfaisante.
Ils avaient tenté de rester discrets au début, mais tout le monde avait bien vite remarqué que l'humeur de Kæn allait en s'améliorant et qu'Estrela ne rentrait plus que rarement à sa chambre à l'auberge. Estrela avait craint un moment que ça fasse scandale, mais au contraire, elle avait été presque félicitée par les autres Burméciens.
Autre lieu. Autres mœurs.
"Estrela ! Y'a une lettre de Shera pour toi ! " s'exclama Siddhe en la lui amenant.
"Tiens ? On n'est pas mercredi pourtant," s'étonna Estrela en prenant l'enveloppe, puis en l'ouvrant, abandonnant sa trousse à outils à Siddhe qui la souleva fièrement.
Son expression retomba au fur et à mesure de sa lecture.
"Estrela ? " murmura Kæn, plus bas.
"Je dois retourner à Alexandria," déclara Estrela d'une voix blanche.


Suno avait envoyée Shera en pension.
Sans lui en faire part, sans son approbation et surtout sans écouter Shera qui ne voulait pas.
Mais Monsieur avait une nouvelle petite amie dix ans plus jeune que lui (bon, Estrela ne pouvait pas trop utiliser cet argument devant le Juge des divorces, vu ce qu'elle faisait avec Kæn) et ne voulait plus avoir sa fille dans les pattes.
Ça, ce fut un argument pour qu'Estrela puisse obtenir sa garde et malgré la suggestion très appuyée de sa mère pour qu'elle lui confie sa petite fille, Estrela repartit à Burmécia avec Shera.
Elle l'aurait emportée sous le bras si Shera n'avait pas été aussi enthousiaste à s'éloigner le plus possible d'Alexandria elle aussi.
Malheureusement, arrivées à Deist, elles furent empêchées d'aller plus loin.
Une épidémie de rougeole frappait Burmécia et toutes les communications avaient été coupées avec l'extérieur.
"Mais maman, la rougeole, c'est pas grave ! Je l'ai fait quand j'étais petite ! " protesta Shera quand les dragoons leur assignèrent une chambre dans le Fort, en attendant que leur période de quarantaine soit passée.
"Pour nous, ce n'est pas grave," expliqua Estrela en rangeant leurs affaires, "mais à Burmécia, ils n'ont pas de vaccination ou de médecine moderne, et ça peut être très dangereux."
Et dès que cette épidémie serait passée, elle allait tenter de convaincre les Öldungar et la famille royale d'accepter de faire venir des médecins pour une campagne de vaccination générale, de mettre en place une quarantaine systématique pour les visiteurs, de...
"Tu crois que tes amis vont bien ? " demanda Shera d'une petite voix.
"J'espère… Mais ils sont solides tous les cinq, ça devrait aller," tenta de la tranquilliser Estrela.


Burmécia était en deuil.
Quand elles arrivèrent enfin, Estrela ne put s'empêcher de remarquer que les groupes d'enfants étaient moins nombreux dans les rues, leurs visages plus tristes.
Chaque famille semblait avoir perdu au moins un enfant, et l'éleveur de chocobos était mort, un des premiers à avoir été touché par la maladie. Son fils, Ormar, de l'âge de Siddhe, avait pris le relais.
Il avait à peine dix ans.
Ce fut là qu'Estrela réalisa quelque chose qu'elle n'avait jamais remarqué à Burmécia.
Il n'y avait pas de cimetière.
Elle connaissait l'usage des rúnasteinn[4], bien sûr, Siddhe lui avait expliqué ce que c'était, qu'elles restaient en mémoire des Burméciens morts, et elle en vit une grande quantité fraîchement gravées de la date du décès, mais il n'y avait pas de tombes. Nulle part.
Autre lieu. Autres mœurs.
Elle toqua à la porte du Hall Haifin, le cœur battant d'appréhension.
Siddhe lui ouvrit, Freya sur le dos et les yeux rouges.
"Estrela," murmura-t-il, stupéfait.
Il avait encore des plaques rougeâtres sur ses mains et ses pieds et Estrela tomba à genoux devant lui, posant la main sur son front.
Pas de fièvre. Il devait être en voie de guérison. Mais alors qu'elle tentait de le prendre dans ses bras, il essaya de se dégager.
"Non ! Tu vas être malade ! "
"J'ai déjà eu la rougeole," expliqua Estrela, "Shera aussi, ne t'inquiète pas."
"Shera ? " répéta Siddhe avant de voir Shera qui le regardait, son sac dans les bras.
"Bonjour," murmura sa fille, "t'es Siddhe ? "
Siddhe hocha la tête et sursauta avant de se pousser du chemin en murmurant les paroles rituelles de bienvenue.
"Siddhe, où sont les autres ? "
Quelques mois plus tôt, Siddhe avait déclaré qu'il était maintenant trop grand pour pleurer, probablement à cause des critiques de son père.
Mais ses yeux se remplirent de larmes.
"Estrela… Oncle Abel et Tante Yrjna…"
Il n'arriva pas à se retenir et laissa éclater ses sanglots. Shera laissa tomber son sac et le prit dans ses bras, le serrant fort contre elle.
Estrela resta figée sur place.
Abel et Yrjna avaient tout juste dix-huit ans. Ils étaient en pleine santé, comment…
Elle regarda autour d'elle, effarée. Le Hall était en désarroi, dans un pire état que la première fois où elle était entrée. La cheminée était éteinte et pleine de cendres, la vaisselle trainait dans la cuisine, du linge était étendu sur les dossiers de chaises et de fauteuils. C'était comme si personne n'avait fait de ménage ou de rangement depuis...
"Siddhe, où est ton père ? " demanda Estrela, sentant son cœur se serrer à l'idée que quelque chose était arrivé à Kæn.
Siddhe renifla et s'essuya le nez de la manche avant de montrer l'étage du doigt.
"Il est dans sa chambre. Il ne veut pas sortir."
Bon.
Ordre des opérations.
Nourrir Siddhe et Freya.
Leur faire prendre un bain.
Ranger le hall.
Et aller secouer Kæn.


"Kæn Ricarsson Haifin ! Tu peux m'expliquer pourquoi ton fils s'est occupé seul de Freya pendant cinq jours ? ! "
Il n'en eut pas besoin.
Il avait encore de la fièvre.
Il fallut qu'Estrela le traîne à la salle de bain, faisant appel à tout l'héritage génétique que lui avaient transmis des générations de paysannes Alexandriote habituées à transporter des meules de foin, pour soulever le dragoon et l'aider à descendre les escaliers.
Déshabiller Kæn était en général une activité agréable, nettement moins quand il était malade, affaibli et pleurait sa famille. Elle parvint à le mettre dans la baignoire vide et commença à la remplir, profitant du reste du feu qu'elle avait allumé pour chauffer l'eau du bain des enfants. Il fallait qu'elle aille chercher du bois, il n'en restait presque plus.
Et remplir le garde-manger et la chambre froide.
Et elle craignait de voir l'état des chambres.
"Estrela…" murmura Kæn en tentant de se redresser.
"Je m'occupe de tout, laisse-toi faire."
"Abel..."
Elle vint s'agenouiller près de la baignoire de pierre, caressant les cheveux du dragoon.
"Siddhe m'a dit. Je suis… désolée. Je ne connais pas les mots mais…"
"Ce n'était pas juste," souffla Kæn, "ils étaient jeunes, c'est moi qui aurais dû..."
La gifle d'Estrela le fit sursauter et il la fixa d'un regard stupéfait pendant qu'elle se massait la paume.
"Je t'interdis de dire ça ! Tu es la seule famille qui reste à Siddhe et Freya, ils ont besoin de toi maintenant ! "
"Je ne peux pas ! Tu... tu as vu ce que j'ai fait d'Abel et Siddhe ? Je suis incapable de... je ne peux pas ! Je ne sais pas élever un enfant comme il faut ! "
"Je vais t'aider…"
"Tu partiras dans trois ans ! "
Elle ne pouvait même pas prétendre que non. C'était la date butoir, celle après laquelle elle devrait retourner à Alexandria, publier le résultat de ses recherches et peut-être partir étudier une autre technologie antique, ailleurs.
C'était la limite que les Öldungar avaient donné à sa présence à Burmécia.
"Estrela… Reste," murmura Kæn en tendant la main hors de l'eau, lui caressant la joue, "je… épouse-moi."
Elle tourna la tête vers lui, abasourdie. S'il y avait bien une phrase qu'elle ne s'était pas attendue à entendre dans la bouche de son amant un jour, c'était bien celle-ci.
"Quoi ? "
"Je… je t'aiderais pour tes recherches, je convaincrais les Öldungar, tu… tu seras maîtresse de hall, tout le monde te respectera à Burmécia, mais... mais s'il te plait… Reste… Pour Freya… et Siddhe."
Oh Saint Alexander. Utiliser l'argument des enfants devrait être interdit dans les négociations maritales.
Et elle ne pouvait dénier que c'était efficace.
Elle aimait déjà Siddhe comme son propre fils.
Et il faudrait d'un rien pour qu'elle aime Freya tout autant.
Quant à Kæn...
Elle soupira et posa son front sur l'épaule de Kæn.
"Laisse-moi… quelques jours pour y réfléchir, d'accord ? Guéris d'abord."
La porte de la salle de bain s'ouvrit sur Shera qui jeta un regard abasourdi à sa mère et à l'homme dans la baignoire.
"Et je te présente Shera," acheva Estrela en attrapant un linge de bain pour cacher la nudité de Kaïn.
"Bonjour… Shiera," marmonna Kæn, maintenant aussi rouge de gêne que de fièvre et de rougeole.
"Bonjour Monsieur. Euh… Maman ? Bébé Freya a fait caca et Siddhe dit qu'il n'y a plus de couche."
"J'arrive, Shera Chérie. Et toi, essaye de ne pas te noyer, je reviens."
"Je ferais de mon mieux" rétorqua Kæn pendant qu'Estrela et sa fille sortaient.
Estrela poussa un long soupir et se frotta les yeux sous ses lunettes avant de regarder Shera.
"Tu ne parles pas de ça à ton père, d'accord ? "
"Ni au Juge des divorces ? "
"Ni au Juge des divorces," marmonna Estrela.


Ils se marièrent deux mois plus tard.
Ce fut un mariage simple, pratiquement une formalité, sans grande festivité.
Shera devint la fille de Kæn, Siddhe et Freya les enfants d'Estrela.
Il n'y eu aucune période de transition chez Siddhe entre le moment où il appelait Estrela par son nom et celui où il passa à Mamma.
Elles emménagèrent toutes les deux dans le hall Haifin.
Il fallut quelques négociations et compromis dans cette famille nouvellement biculturelle.
D'abord, Shera, puis très rapidement Siddhe, furent inscrits à des cours par correspondance.
Kæn accepta de partager les tâches ménagères et apprit à changer une couche, ayant visiblement oublié comment faire depuis le temps que Siddhe n'en n'avait plus eu besoin.
Estrela dû passer par un apprentissage de son rôle de maîtresse de hall auprès d'autres épouses de Burmécien.
Ce fut long. Et pénible.
Il y eut autant des cours d'art ménager que de diplomatie, de légalité, de maintien et de vocabulaire, histoire de contrebalancer la mauvaise influence de Kæn.
Mais au moins, elle en sortit en sachant un peu mieux cuisiner, ce qu'elle n'avait jamais pris la peine d'apprendre plus que les bases.
Et il y eut la question hebdomadaire, parfois même journalière, des Burméciennes de tout âge, lui demandant quand est-ce qu'elle serait enfin enceinte et lui offrant des conseils matrimoniaux pour ça.
Conseils qu'elle n'appliqua absolument pas.
A part celui sur les relations sexuelles plus fréquentes.
"On est toujours d'accord : Pas d'enfants en plus, hein ? " demanda-t-elle une nuit, après une relation sexuelle plus fréquente, allongée contre le torse de Kæn, leurs jambes encore entremêlées.
"Toujours d'accord," répondit Kæn en lui caressant le dos du bout des doigts.
"Bien, je vérifiais juste."


"Maman, maman ! "
Estrela, en train de finir de préparer à manger pour le repas du midi, se tourna vers sa fille. Elle commençait à gérer la vie de famille à peu près correctement. Préparer le repas en avance, partir travailler avec Freya sur le dos un jour sur deux, revenir pour le repas de midi et corriger les devoirs de Shera et Siddhe, échanger le bébé avec Kæn, retourner travailler, revenir, corriger les restes de devoirs, faire un peu de ménage avec Kæn, préparer le repas du soir, s'envoyer en l'air avec son nouveau mari qui rattrapait neuf ans d'abstinence...
Tout se passait bien.
"Qu'est-ce qu'il y a Shera Chérie ? " demanda Estrela en se tournant, voyant Shera arriver dans la cuisine, le bébé dans les bras, "tiens, Siddhe a daigné te laisser porter Freya ? "
"Maman, tiens Freya s'il te plait ! " s'exclama Shera en lui tendant la petite dernière qui gazouilla en la voyant.
Estrella posa le pain qu'elle coupait et prit la benjamine du clan Haifin dans ses bras.
"Shera qu'est-ce qui…" commença Estrella en voyant son aînée attraper une bûche dans le tas de bois et repartir vers l'entrée, "Shera qu'est-ce que tu fais ? "
"Faut que j'aide Siddhe à se battre ! " répondit Shera avant de disparaître par la porte.
"PARDON ? ! "
Le temps qu'Estrela et Kæn soient sortis du hall, Shera était déjà en train de taper sur d'autres enfants à coup de bûche, tâchant de séparer leurs adversaires de Siddhe qui se débattait avec férocité.
"Je m'en charge. PAR LE CUL DE BAHAMUT QU'EST-CE QUI SE PASSE ? ! " tonna Kæn.
La plupart des enfants tentèrent de s'éparpiller en entendant la voix de l'adulte, mais Shera ne laissa pas sa dernière victime se carapater et lui jeta sa bûche dans les tibias avant de s'asseoir sur lui, lui tirant les cheveux.
"SHERA ! Mais, enfin ! Debout ! Laisse-le ! "
"C'est Siddhe qui a commencé ! " déclara aussitôt un autre enfant.
"C'est pas vrai ! " rétorqua Siddhe en se levant, essuyant le sang qui coulait de son nez[5], "c'est eux ! "
"Debout TOUS ! " reprit Kæn de sa voix de stentor, "Shiera, toi aussi ! "
Une fois les enfants alignés devant eux et entourés de parents ulcérés, Estrela put essayer de démêler la situation.
"Qu'est-ce qui s'est passé ? "
"Je sais pas, ils ont dit quelque chose et Siddhe m'a donné Freya avant de leur sauter dessus ! " expliqua Shera.
"C'est eux Mamma ! " reprit Siddhe en montrant les enfants, "ils ont insultés ma sœur, je devais la défendre ! "
"Qu'est-ce qu'ils ont dit ? " demanda Kæn en fronçant les sourcils.
Siddhe marmonna un mot.
"Plus fort," ordonna son père.
"Boltinn," répéta Siddhe.
"La boule ? " traduisit Estrela par réflexe.
Shera ouvrit une bouche ronde de surprise et avant que sa mère ou son beau-père puisse l'en empêcher, se tourna vers l'enfant le plus proche et, d'un coup de poing, lui asséna un splendide œil au beurre noir.
Et la mêlée générale reprit, sous le regard cette fois amusé des adultes, sauf de l'Alexandriote, à tenter de les arrêter, Freya dans les bras.
"Shera ! Siddhe ! Non, ça suffit, arrêtez ! Dan ne mord pas ! Ormar, j'en parlerais à ta mère ! "


"Tu sais que nous ne sommes pas censés les encourager à se battre," maugréa Estrela le soir même, dans les bras de Kæn.
"Peut-être, mais aucun n'osera embêter Shera maintenant," rétorqua Kæn avec un petit sourire, "elle se bat bien pour quelqu'un qui n'a jamais appris…"
"Elle pratiquait les arts martiaux aleksandrjote à l'école," soupira Estrela.
"Ne t'en fais pas," reprit Kæn avec un petit baiser, "d'ici cinq ans, la moitié d'entre eux viendra me demander sa main."
"Hmmm," fit Estrela avant de se redresser, le regard glacial, "pardon ? "
Le sourire du dragoon retomba sous le regard froid de sa femme.
"Uh… Six ans ? " proposa-t-il. "Huit ? "
"Il n'y aura aucune promesse de mariage avant ses vingt-et-un ans et elle sera la première à pouvoir dire oui ou non, est-ce bien compris ? "
"Oui, Estrela."
"Bien."
Autre lieu. Autres mœurs.


"Qu'est-ce que vous faites au juste ? " s'enquit Kæn en regardant sa femme et leurs enfants dans la chambre de Siddhe, repeignant le plafond.
Siddhe et Shiera étaient tous deux assis sur le lit, penchés sur un énorme livre en Alexandriote et Freya se tenait debout, accrochée au pantalon d'Estrela, la regardant peindre avec la bouche ouverte d'admiration.
"Je montre à Siddhe ce que sont les étoiles," expliqua Estrela, debout sur le lit, en traçant une forme blanche sur le plafond peint en bleu sombre. "Constellation suivante ? "
"La couronne de Minerva ! " s'exclama Shera en montrant une page du livre.
"Oh, je l'aime bien celle-là, regarde Siddhe, c'est la couronne de Minerva, il y a sept étoiles en cercle comme ça…"
"Maman, pourquoi y'a ton nom sur le livre ? "
"Comment ça, Gremlin ? "
"Là, c'est marqué : Estrela Mayora, Estrela Minora…"
Estrela vint se pencher par-dessus l'épaule des enfants et lut les lignes que désignait Siddhe.
"Ah, c'est parce que mon nom signifie Étoile."
"Stjarna ? " répéta Kæn.
"C'est ça."
Il la regarda, debout sur le lit, vêtue de ses habits alexandriote qu'elle revêtait pour le travail ou les tâches salissante, les bras et le visage constellés de peintures bleue et blanche, ses lunettes mises à l'abri dans la poche sur sa poitrine et ses cheveux brun en vrac.
Les Burméciens avaient des surnoms pas toujours flatteurs pour elle, Myrkur, Drullugt, Óljóst[6]... La plupart d'entre eux ne la trouvait pas belle, ils la trouvaient trop petite, trop brune, trop ronde, trop intelligente pour eux.
Mais Kæn ne voyait pas les cheveux bruns, les yeux sombres, la peau qui restait tannée par le soleil malgré les années sous la pluie de Burmécia. Il voyait l'étincelle dans ses yeux, ses sourires lumineux que Siddhe commençait à imiter, ses éclats de génie quand elle résolvait un problème.
Et parfois, Kæn se prenait à imaginer leurs enfants, ceux qu'ils auraient fait à deux. A imaginer des dragoons aux cheveux sombres, des filles aux yeux aussi noir que son café, qui protègeraient leurs enfants comme des dragonnes enragées, des Öldungar à la tête pleine de mots savants, retrouvant les savoirs oubliés de Burmécia.
Si ce n'était pas aussi dangereux, si elle avait juste mentionné une seule fois qu'elle aimerait avoir un autre enfant, il aurait accepté.
Pour avoir d'autres étoiles comme elle.
"J'aime bien," déclara Kæn avec un petit sourire, "ça te va bien comme nom Stjarna."
"Oh, vraiment, Kaïn ? " renchérit Estrela en se redressant, croisant les bras, le pinceau à la main.
Kæn sourit.
Et il devait avouer qu'il aimait bien comment elle prononçait son nom à l'Alexandriote.
"Urgh, ils vont encore crier cette nuit," soupira Siddhe.
"Maman, je n'ai pas compris ce que Siddhe a dit," renchérit Shera.
"Pourvu que ça continue encore un moment," marmonna Kæn en réponse.


"Il n'a que quatorze ans ! "
"Ce sont des fiançailles, Stjarna. Il ne se marieront pas avant leurs seize ans ! "
"Mais c'est trop jeune ! "
"J'avais cet âge, Abel aussi ! et puis Isdis est issue d'une bonne famille, ça ne pourrait que bénéficier à Siddhe et au clan Haifin ! "
"Tu ne veux pas au moins attendre …"
"Estrela. Je veux bien attendre que Shiera soit adulte selon les critères Alexandriote parce qu'elle EST Alexandriote, mais Siddhe a des devoirs envers Burmécia. Et l'un d'eux est de se marier et d'avoir des enfants ! "
"Mais…"
"Je respecte votre culture ! C'est à toi de respecter la nôtre ! "
"Oh, Kæn ! "
Le couple se tourna vers la porte du hall par laquelle se penchait un ami de Kæn, en armure et son sac sur l'épaule.
"Quand tu auras fini de te faire enguirlander par Maîtresse Haifin…"
"Estinien, va te faire foutre," rétorqua Kæn d'un ton venimeux.
"Faut qu'on y aille, le soleil est presque à mi-chemin."
"J'arrive. On en reparlera."
"Il y a intérêt ! "
Estrela ramassa le sac de voyage de son mari, s'assura qu'il y avait potions et nourritures dans les poches avant de lui tendre. Kæn le prit, le mit sur son épaule et soupira avant de déposer un baiser sur la joue de sa femme.
"On en reparlera," répéta-t-il d'un ton plus calme.
"D'accord. D'accord, soit prudent et ta chasse fructueuse."
"Que je revienne dans ton foyer," ajouta Kæn avant de sortir, fermant la porte derrière lui.
Estrela soupira avant de baisser les mains vers le sol et retourner dans la cuisine pour se faire un thé.
Siddhe l'accueillit avec une tasse toute fraîche, un petit sourire aux lèvres, et Freya sur la hanche.
"Mamma, ça va," reprit Siddhe, "ça ne me dérange pas. J'aime bien Isdis, elle est gentille… Et on fera de beaux bébés ! "
"Va falloir qu'on discute de ça, d'ailleurs," marmonna Estrela en relevant ses lunettes pour se frotter l'arête du nez.
"Tu veux combien de petits-fils ? " taquina Siddhe.
Elle ne voulait pas en parler avant un moment plutôt. Elle n'avait même pas encore quarante ans, bon sang !
Même si elle devait avouer, en tout objectivité, que si quelqu'un dans cette famille était fait pour être parent, c'était Siddhe. Shera n'avait pas exactement d'instinct maternel, Kæn, n'en parlons pas, et même si Estrela faisait de son mieux, c'était quand même Siddhe que Freya avait appelé mamma et pabbi[7] la première fois.
Oui, les deux.
Depuis la mort de ses parents, c'est Siddhe qui s'occupait le plus d'elle, dès qu'il avait fini ses devoirs, son entraînement et ses corvées, c'était dans ses bras qu'elle était, c'est lui qui lui avait appris à marcher, à parler burmécien et commun, même des rudiments à la lance, ce qui n'était habituellement réservés qu'aux filles ainées d'un clan si elles n'avaient pas de frères.
Et ça avait été le sujet d'une autre de leurs disputes à Kæn et elle. Comme beaucoup de choses au sujet de Siddhe, Kæn avait désapprouvé que son fils passe autant de temps à 'jouer à la maman' avec Freya au lieu de prendre plus à cœur son rôle de futur chef de clan et chevalier dragoon.
Estrela ne voyait pas comment Siddhe pouvait faire mieux, cela dit. Non seulement il était déjà un des meilleurs combattants de son âge, se mesurant déjà aux apprentis chevaliers plus âgés, mais il avait rapidement rattrapé le retard scolaire qu'il avait sur Shera et les deux adolescents entretenaient une rivalité fraternelle concernant leurs résultats scolaires. En plus de ça, tout le monde adorait son fils, que ce soient les adultes, son propre vol avec qui il était très soudé, même les Öldungar appréciaient sa présence quand il suivait son père lors des conseils pour apprendre son futur rôle.
Elle ne comprenait pas l'obsession de Kæn à ce que Siddhe soit le meilleur. Il l'était déjà.
"J'aimerais que tu voies un peu le monde avant de te marier et t'enfermer à Burmécia."
"Je n'en ai pas besoin. Je suis heureux ici."
Autre lieu. Autres mœurs.
Elle avait beau avoir élevé Siddhe de façon un peu plus ouverte d'esprit que les autres Burméciens, il avait sa montagne au fond des os.
Il ne la quitterait pour rien au monde.


"Shera, Freya, vous restez avec votre frère, d'accord ? Prévenez-moi dès qu'il se réveille."
"Mamma," gémit Freya, en larmes dans les bras de Shera.
"Tout va bien, je vais juste discuter avec votre père," déclara Estrela avant de fermer la porte de la chambre de Siddhe.
Elle baissa les yeux sur la bassine qu'elle tenait de ses mains tremblantes.
Les linges étaient couverts de sang. Elle ne pourrait probablement jamais laver les taches, elle les brûlerait une fois secs.
Quand elle arriva dans la pièce principale du hall, les amis de Kæn achevaient de le soigner lui aussi, pendant qu'un Öldungar remontait vertement les bretelles de son époux. Ils ne l'entendirent pas arriver et sursautèrent lorsqu'elle posa la bassine de métal sur la table brutalement.
Les cinq hommes se tournèrent vers elle, coupés dans leur dispute.
"Siddhe," déclara-t-elle de son meilleur ton de maîtresse de hall, "ne sera plus l'apprenti de Kæn."
"Estrela…" commença son époux.
"Sire Bohort, Sire Ævar, je vous serais reconnaissante de trouver un autre dragoon pour enseigner à mon fils l'art du combat."
"Peut-être devrions-nous en rediscuter plus tard," commença l'Öldungur d'un ton apaisant, " une fois que…"
"Mon fils a des blessures dignes d'un combat d'honneur. Des blessures qui lui ont été infligées par son père, sur un prétexte ridicule. "
"Siddhe n'aurait pas dû répondre à Kæn..." tenta d'intervenir Estinien.
"Si Kæn porte une nouvelle fois la main sur Siddhe, je demande le divorce. Et je quitterais Burmécia avec mes enfants."
Le silence retomba à nouveau, les Öldungar échangèrent un regard catastrophé ou ce qui s'en rapprochait le plus chez les Burméciens. Kæn, pour une fois, ne se cachait pas derrière ses expressions impassibles.
"Siddhe… l'a blessé," osa tenter Ogier en désignant les plaies sur le ventre et l'épaule de Kæn.
"En effet. Il me semble que Siddhe a prouvé son talent au combat et que Kæn n'a plus rien à lui apprendre. Trouvez-lui un autre maître d'arme. Ou Kæn sera le dernier Haifin de Burmécia."
"Nous… en reparlerons quand tout le monde ira mieux et sera calmé," temporisa le prêtre d'un ton aussi calme que possible.
"Je vous en remercie. Je ne vous retiens pas," ajouta froidement Estrela.
Jusqu'à présent, les Burméciens se permettaient avec elle des familiarités qu'aucun n'aurait osé avec leur propre maîtresse de hall. Entrer sans invitation explicite, lui parler familièrement, ignorant son avis concernant Siddhe ou ses filles. S'adressant à elle comme si elle était inférieure à Kæn sous leur toit.
Elle l'avait toléré jusque-là, par diplomatie, pour ne pas faire de vagues, pour continuer son travail.
Pour Kæn.
Ça allait changer.
Être maîtresse de hall serait désormais son arme et l'armure de ses enfants.
Formellement congédiés, ses invités n'eurent que le choix de sortir, saluant Estrela, puis Kæn.
Restés seuls, les deux époux se jaugèrent du regard.
"Je n'arrive pas à croire que tu ais fait ça," finit par cracher Estrela.
"Siddhe m'a manqué de respect devant les Öldungar, je devais…"
"Le tuer ? "
"Non ! Je… je ne voulais pas le blesser…"
"Mais tu l'as fait," rétorqua Estrela en ramassant la bassine, allant vider l'eau rougie dans l'évier de la cuisine.
Kæn se leva, grimaçant de la plaie sur son ventre, rejoignant sa femme.
"Stjarna…"
"Ne t'avise pas d'essayer de m'amadouer ! " s'écria-t-elle en lâchant la bassine dans l'évier, provoquant un vacarme qui résonna dans toute la maison. "Il gardera la cicatrice toute sa vie ! Tu comprends ça ? Ton FILS a dans sa chair une blessure que TU lui as infligée ! Ses enfants la verront et sauront que c'est toi qui la lui as faite ! "
"Je... je me suis laissé emporter, je…"
"Pourquoi tu le déteste comme ça ? "
"Estrela, je ne le déteste pas…"
"Alors pourquoi tu le traites comme ça ? Pourquoi tu es… aussi exigeant ? Aussi intraitable avec lui ? Tu n'es pas comme ça avec les filles, tu n'étais pas comme ça avec ABEL ! Et il te répondait de façon encore plus impertinente que Cid ne le fait ! "
Estrela inspira longuement pour tenter de se calmer avant de reprendre.
"C'est à cause de Siv, n'est-ce pas ? "
Elle sut qu'elle avait touché juste au regard furieux que lui jeta Kæn.
Et à l'expression abasourdie qui suivit, elle réalisa qu'il n'en avait même pas été conscient.
"En quoi est-il responsable ? Tu crois qu'il a voulu la mort de sa mère ? "
"Non…" commença Kæn d'une voix hésitante. "C'est... autre chose…"
Estrela croisa les bras devant elle, attendant les explications de son époux, mais celui-ci baissa les yeux.
"Tu ne peux pas comprendre," finit-t-il par dire.
"En effet. Je ne peux pas comprendre comment un père peut en arriver à haïr son fils," déclara Estrela avant de se tourner de nouveau vers l'évier, rinçant la bassine à la pompe.
Le silence s'éternisa pendant qu'elle finissait de nettoyer, puis quand elle alla chercher des bandages pour achever les pansements de Kæn.
"Shera part au lycée à Midgar en août," finit-t-elle par reprendre en finissant de panser son époux.
"Oui."
"Il devrait aller avec elle."
"Non. Les Öldungar le ne laisseront pas partir. Il… Il est le futur du clan Haifin."
"Alors quoi ? Il va devoir se marier, avoir des enfants et rester sous ton toit jusqu'à ta mort alors que tu le hais ? "
"Je vais lui trouver un autre maître. Je ne le toucherais plus."
"J'espère."
Elle ramassa le reste des bandages et alla les ranger dans l'armoire dédiée à ça avant de revenir vers son époux, s'essuyant les mains sur le torchon glissé à sa ceinture.
Il y avait une tradition burmécienne qu'elle n'avait jamais appliquée. Une que les autres maîtresses de hall lui avaient apprise, au cas où Kæn et elle se disputeraient.
Elle ne l'avait jamais fait avant, préférant régler leurs conflits en discutant, en négociant, préférant le dialogue plutôt que la punition.
Préférant se réconcilier sur l'oreiller plutôt que rester fâchés.
Mais s'il n'y avait que la tradition qu'il comprenait...
"Tu dormiras dans la vieille chambre d'Abel," déclara-t-elle d'un ton froid, "tant que tu n'auras pas fait des excuses à Siddhe sur la façon dont tu le traites depuis le début de sa vie."
Il n'osa même pas discuter, baissant les yeux sous son regard accusateur.
Connaissant la tête de granit de Kæn, ça risquait de durer longtemps.


"Est-ce qu'il est là ? "
Estrela, assise devant la cheminée sur son fauteuil, Freya endormie dans les bras, tourna la tête vers Kæn, le fixant longuement avant de faire signe que non.
Le dragoon soupira de dépit et se tourna vers ceux qui l'accompagnaient, leur annonçant la nouvelle.
"On repartira à sa recherche dès que le jour est levé, Kæn, ne t'en fais pas," déclara un de ses amis, "vas te coucher, repose-toi."
"Oui. Merci."
Le dragoon referma la porte avant d'ôter sa cape, la laissant s'égoutter à son accroche au-dessus de l'évacuation d'eau. Il se lava rapidement les pieds, puis retira l'armure qui couvrait des jambes, l'essuyant de la boue qui les couvrait avant d'entrer enfin. Pendant son nettoyage, son épouse s'était levée et était allée coucher leur plus jeune fille. Elle revint l'aider à retirer le reste de son armure, puis à la nettoyer et la ranger avant de se placer à ses côtés, une main sur son bras.
"J'ai quelque chose à te montrer."
Un moment, Kæn se prit à espérer qu'Estrela lui avait menti, que Siddhe était là, caché dans le hall Haifin et qu'il allait bien, mais quand elle le fit entrer dans la chambre de leur fils, celle-ci était vide.
Enfin, toujours autant en bordel, mais vide.
Le coffre était ouvert et son contenu en vrac, l'armure d'entraînement de son fils dans un coin, boueuse et cabossée, des vêtements sales et ensanglantés jetés sur le lit et une lance cassée au sol.
Siddhe était venu.
"Où est-il ? " s'exclama-t-il.
"Plus là," répondit Estrela d'un ton las, ramassant l'arme brisée pour la poser sur la table. "Il ne reviendra pas."
"Estrela, dis-moi où il est ! "
Elle soupira et se tourna vers le lit, ramassant les vêtements ensanglantés. Kæn la saisit par le bras mais la lâcha en remarquant l'empreinte de main sanglante qu'elle avait au-dessus du coude, à demi cachée par son châle.
"Estrela…"
"Il était blessé."
"Raison de plus pour qu'on le retrouve ! "
"Non."
"Estrela il risque de…"
"Il est hvolfi."
Kæn resta silencieux, fixant sa femme sans arriver à comprendre ce qu'elle disait. Estrela lui mit les vêtements ensanglantés dans les mains.
"Son vol s'en est aperçu. Ils ont tenté de le tuer."
Siddhe devait se marier dans quelques mois et il était hvolfi.
Son vol avait tenté de le tuer.
Dan… et Ormar… et tous les autres jeunes dragoons… tous ceux qui l'idolâtraient presque. Ses frères d'armes.
Le dragoon baissa les yeux sur les habits tachés de sang. C'étaient ceux que Siddhe avait portés le matin même avant de partir en chasse avec son vol.
Ça faisait un an qu'ils ne se parlaient plus, mais il essayait… il essayait vraiment de parler à Siddhe. Il avait déjà trop tardé pour lui expliquer… pour lui dire la vérité.
Et c'était trop tard.
"Non," balbutia Kæn.
"Si vous le retrouvez, il sera tué. Par vous ou par son vol."
Siddhe était hvolfi.
Même s'il revenait à Burmécia, même s'il échappait à la mort, il n'aurait jamais d'enfants.
"Tu... tu savais ? "
Estrela secoua la tête avant de soupirer et s'asseoir sur le lit, se prenant la tête entre les mains.
"Non… non je me doutais qu'il cachait quelque chose mais… avant que je le retrouve ici, je ne savais pas."
"Où est-il ? "
"À l'abri. J'espère," ajouta Estrela.
Elle tourna les yeux vers elle, ces si jolis yeux de la couleur de la terre et du café qu'elle faisait venir d'Alexandria.
Elle attendait.
Elle attendait sa décision concernant Siddhe.
Tout dire aux Öldungar. Lancer une chasse à l'homme sur la tête de Siddhe. Faire en sorte qu'il soit oublié à jamais, que personne ne sache qu'il avait existé.
Ou bien...
Il baissa à nouveau les yeux sur les vêtements qu'il avait presque instinctivement roulés en boule pendant leur discussion.
Siddhe avait à peine fait cette taille quand on le lui avait mis dans les mains à sa naissance.
"Personne ne doit savoir où il est," murmura Kæn.
Elle sembla soulagée et hocha la tête. Il se laissa tomber près d'elle sur le lit.
"Qu'est-ce qui va lui arriver ? " murmura Kæn.
"Je ne sais pas. J'aimerais être sûre que ça ira mais…"
"Il est avec sa sœur, n'est-ce pas ? "
Estrela ne répondit pas. Avec qui pourrait être Siddhe à part Shiera ? Le sang était la seule chose qui les séparait, et même ça, ce n'était pas suffisant pour qu'ils ne soient pas frère et sœur.
"Ça… aurait peut-être été mieux que tu partes avec les enfants l'année dernière," finit par dire Kæn.
"Peut-être," admit Estrela en se relevant, prenant les vêtements tâchés des mains de son époux.
Pas peut-être.
Il aurait dû lui dire de partir. Il aurait dû lui dire d'emmener les enfants, à Alexandria, ou dans une autre ville d'Estérie, peut-être même de Centra, où les filles pourraient grandir comme elles le voudraient, guerrières, scientifiques, mères, ou les trois. Où Siddhe pourrait voir les étoiles, être l'homme intelligent qu'il était, devenir aussi, voire plus, brillant qu'Estrela.
Où il pourrait être heureux. Sans Burmécia. Sans lui.
Estrela lui toucha doucement la joue du dos des doigts et il leva les yeux vers elle.
"Mais je t'aurais emmené avec nous."
Il baissa à nouveau les yeux avant d'appuyer son front contre le ventre de sa femme.
Cela faisait si longtemps qu'ils ne s'étaient pas touchés. Un an bientôt.
"Je ne le mérite pas."
"Non. Mais tu as droit à une autre chance," rétorqua Estrela d'une voix douce, caressant ses cheveux.
"Et maintenant ? " murmura Kæn.
"Que veux-tu faire ? "
"Je ne sais pas," répondit Kæn, "on ne m'a jamais demandé."
"Kæn…"
"C'est la fin du clan Haifin…"
"Et Freya ? "
"Si elle reste ici, elle sera mariée à seize ans dans un autre clan…"
"Et si tu l'aides, si tu la soutiens, si tu plaides sa cause auprès des Öldungar, elle pourra changer les choses."
Estrela prit le visage de Kæn entre ses mains, l'obligeant à la regarder.
"Imagine. Burmécia qui ne traite plus les enfants comme de la viande à marier, qui laisse les femmes devenir adultes avant qu'elles aient porté deux enfants, où personne ne mourra plus de maladie ou à cause d'un dogme cruel."
Il imaginait.
Un monde où ses parents et son frère étaient encore en vie.
Où ceux de Freya seraient là, à la choyer et l'élever.
Où Siddhe pourrait vivre sans craindre d'être tué.
Où Shiera n'aurait pas à se battre pour être seulement écoutée par les hommes autour d'elle.
Il pourrait faire ça.
Il pourrait éduquer Freya afin qu'elle devienne une dragoon tellement puissante que les Öldungar et le Roi n'auraient pas d'autre choix que d'en faire un chef de clan.
Mais...
"Ce sera à elle de choisir," finit-il par dire.
Et au sourire de sa femme, il comprit qu'il avait donné la bonne réponse.
"Restons ici encore quelques années, jusqu'à ce qu'elle soit assez grande pour faire ce choix," déclara Estrela avant de tirer sur le col de Kæn, l'obligeant à se lever, "viens maintenant."
"Où ça ? "
"Devine," répondit-t-elle en le traînant vers leur chambre.
"Oh…"
"Mais ne rêve pas, avant qu'on réchauffe le lit, il va falloir décider ce qu'on dit aux filles."
"Tu es plus douée avec les mots, tu ne veux pas t'en charger ? "
"Ensemble, chéri. On le fera ensemble."


Il ne ressemblait plus à Siv.
Pourtant, Kæn avait vu des photos de Siddhe au fil des ans. Il avait ouvert les lettres qu'Estrela laissait traîner sur son bureau, il avait appris à lire le commun pour ça, en écoutant sa femme l'enseigner à Freya.
Il savait tout ce qui était arrivé à Siddhe ces seize dernières années. Il savait que son fils était devenu adulte, qu'il s'était trouvé un nouveau vol, qu'il avait eu et perdu des amis, des amants, qu'il avait fait la guerre.
Qu'il avait failli mourir dans cette guerre.
Kæn avait voulu aller le chercher cette fois-là, quand Shiera les avait rappelés, quelques heures après, de nouveau en larmes, mais de joie cette fois, pour leur annoncer que Siddhe était vivant.
Estrela l'en avait dissuadé, lui rappelant qu'ils s'étaient quittés en colère et qu'il devrait peut-être commencer par écrire à Siddhe avant de débarquer en armure à Junon et tenter d'emmener son fils de force.
Il n'avait jamais réussi à écrire cette lettre.
Et là, debout dans la cour de cette petite maison, sous ce ciel de métal, devant son fils en colère…
Il le regrettait.
Siddhe ne ressemblait plus à Siv.
Son nez avait été cassé, probablement plusieurs fois, ses cheveux étaient courts et délavés par le soleil, sa peau brunie, il n'était plus l'adolescent encore malingre qui avait disparu seize ans plus tôt, il était tout en muscles compacts et nerveux.
Les seules choses qu'il tenait encore de Siv étaient ses yeux. Et la taille. Il n'était que quelques centimètres plus grand qu'elle l'avait été.
Il ne ressemblait plus à Siv.
Est-ce qu'il ressemblait à son père ?
Cette simple idée mit Kæn en colère.
La même colère que quand les Öldungar avaient demandé que Siv soit envoyée au Tombeau des Dragons, la même colère que quand elle était revenue enceinte.
La même quand elle était morte, quelques mois plus tard, le laissant seul avec un enfant dont il n'avait pas la moindre idée de comment l'élever.
La même qui lui avait empoisonné l'esprit des années, qu'il pensait avoir éteinte et maîtrisée, comme il le faisait avec sa limite.
La même colère qui lui fit dire des mots qu'il regretterait, comme chaque fois qu'il parlait à son fils.
"Oh, Bahamut et toutes ses couilles, Siddhe ! Je ne suis pas ton père ! "
La dernière pensée qui traversa sa tête avant que le poing de Siddhe ne lui fracasse la pommette, fut qu'Estrela allait le tuer.
Si Shiera ne le faisait pas en premier.


[1] Alors, à la base, je n'avais pas prévu d'avoir les noms de Kaen et Abel ensemble, mais en effectuant des recherches sur le site fandom de Final Fantasy, j'ai découvert qu'il existait un dragoon appelé Abel dans final Fantasy Dimensions et bon… tant qu'à faire...
[2] Preuve que Kæn est contagieux.
[3] Oui, Kaïn est seul responsable du vocabulaire parfois outrancier de sa femme et ses enfants. Pour la défense d'Estrela, dès qu'elle aura compris à quel point son vocabulaire est vulgaire, elle fera tout pour le corriger.
[4] Pour plus de précision sur les rúnasteinar, voir Boules de Neige 13 : Noms de familles
[5] Ouais, déjà, à l'époque...
[6] Autrement dit : Sombre, boueuse, obscure
[7] Maman et papa, quoi.