Le clan des tortues
Résumé :
Makoto Hamasaki naquit un froid matin d'octobre, d'une mère chasseuse de prime et d'un père absent.
Et Minako est déterminée à ce qu'il grandisse en n'ayant besoin de personne d'autre qu'elle.
Malgré ce que le destin s'entête à lui mettre dans les pattes.
Chronologie :
Se situe entre 2947 et 2958, de la naissance de Vincent/Makoto jusqu'à la mort de sa mère.
Tags spécifiques au chapitre :
OC appaloosa, Minako Hamasaki (Oc- Mère de Vincent Valentine), Tane, Nagi, Masakari, Saï, (OC), les parents de Vincent c'était quelque chose, humour sexuel, grossièreté, fallait bien que Vincent tienne ça de quelqu'un, technique de parentalité discutable, très discutable.
Notes :
Ouais alors juste pour le fun, les chasseurs sont nommés selon leurs armes de prédilection. Masakari manie une hache longue, Saï, ben des saïs, Tane (raccourci pour tanegashima) ce sont des armes à feu et Nagi (pour naginata) c'est une lance. Si j'avais décidé ça au début de la fic, Minako se serait probablement appelée Hachi (pour Hachiwari).
Aussi, ouais, je sais, Minako ne gagnerait probablement pas le titre de mère de l'année, mais je crois qu'elle s'en cogne ^^;
"Plus jamais."
"Que Da Chao l'entende et t'exauce," répondit la nonne qui lavait le bébé.
"Elle vous a béni avec un beau fils," renchérit la plus jeune, qui aidait la jeune mère à se nettoyer, grimaçant encore des douleurs de l'accouchement.
La nonne la plus âgée, qui s'occupait de l'enfant, fronça les sourcils. Elle avait vite compris que l'enfant était grand malgré sa naissance prématurée, selon sa mère, mais maintenant qu'elle l'avait dans les mains, elle réalisait à quel point il l'était.
"C'est un très grand bébé," finit-t-elle par déclarer.
La mère de l'enfant se hissa sur ses coudes en grimaçant, jetant un regard à la bassine dans laquelle son fils était lavé. La jeune nonne tenta immédiatement de couvrir sa nudité, mais elle semblait s'en moquer comme de sa première robe.
Et vu qu'elle était arrivée à l'hospice enceinte, vêtue comme un homme et armée jusqu'aux dents, elle n'avait pas dû se soucier beaucoup de ses robes.
Une chasseuse de prime. Enceinte. Dame Da Chao, c'était scandaleux.
"Son père est très grand, il doit tenir ça de lui."
Ni mariée, ni promise et sans le père. C'était encore plus scandaleux.
"Il est en bonne santé ? " s'enquit-t-elle.
Il l'était, mais il y avait quelque chose chez l'enfant qui dérangeait la nonne.
Sa taille, déjà.
Sa couleur de peau, au fur et à mesure qu'elle le lavait.
La forme de son visage.
"Oh Dame Da Chao. C'est un maduin," soupira-t-elle.
"Et c'est un problème ? " s'enquit la jeune femme d'un ton revêche.
La nonne soupira en séchant l'enfant avant de l'emmailloter.
"Ce serait plus facile de le faire adopter s'il était entièrement wutan," déclara-t-elle avant de poser l'enfant sur un petit matelas.
"Pardon ? "
"Ce n'est pas grave ! " intervint la jeune nonne, "il sera élevé au temple et il deviendra moine. Il pourra prier pour votre réincarnation."
"Quoi ? "
"Je vais prévenir le maître du temple," déclara la nonne plus âgée, "il devra partir au temple le plus tôt possible et…"
"Il n'y a pas un seul putain de moyen ! "
Les deux nonnes tournèrent un regard outragé vers la jeune femme qui se levait, ramassant ses vêtements.
"Je vous demande pardon ? "
"C'est MON fils et il ne sera ni adopté, ni moine ! " s'exclama-t-elle en se rhabillant, tentant de maîtriser les tremblements de ses jambes.
"Vous tenez à peine debout ! " protesta la plus jeune.
"Parce que vous comptez l'élever ? Une chasseuse de prime sans le sou comme…"
La jeune femme fouilla sa poche et jeta une bourse au sol qui laissa échapper un tintement de métal. La jeune nonne hésita quelques secondes avant de l'ouvrir, dévoilant une poignée de pièces de monnaie.
"Mais..."
"Pour votre peine," grinça la jeune femme avant de ramasser son sac, s'armant rapidement.
"Je vous interdit de prendre cet enfant ! " s'exclama la vieille femme en se précipitant vers le bébé emmailloté.
La jeune mère faisait une dizaine de centimètres de moins qu'elle.
Mais son poing s'abattit sur son visage, sa force la projetant au sol où elle s'effondra, inconsciente. La chasseuse se redressa, se massant les phalanges avant de finir d'accrocher son hachiwari à sa hanche. Elle s'agenouilla ensuite avec une petite grimace de douleur et ramassa le bébé qui avait profité de l'altercation pour tout bonnement s'endormir.
C'était effectivement un beau bébé. Elle comprenait mieux qu'il ait eu autant de mal à sortir. Elle jeta un petit regard à la jeune nonne terrifiée.
"Si tu donnes l'alerte maintenant, tu auras pareil qu'elle," déclara-t-elle en montrant la vieille inconsciente.
La jeune femme, à peine plus qu'une adolescente, hocha frénétiquement la tête.
"Parfait, adieu ! "
Et elle ouvrit le panneau de bois qui la séparait de l'extérieur, remonta son fils sur son épaule et repartit vers le Sud.
Le QG du clan des tortues était à trois jours de marche.
Ça lui laissait le temps de réfléchir à un nom pour son fils.
"Makoto," annonça-t-elle une semaine plus tard, dans la pièce principale de l'ancienne auberge qui servait de QG à leur clan de chasseurs, pendant que les hommes autour d'elle s'émerveillaient devant son fils.
"Pour ? " demanda le chef de la troupe, déjà papa des deux enfants et seul homme sous ce toit à savoir dans quel sens tenir un bébé aussi petit pendant que sa mère mangeait.
"Vérité. Sincérité. Qu'il ne soit pas un hypocrite en grandissant."
"Oh, Da Chao, on va en avoir un second comme Minako ? " marmonna un jeune artificier.
"C'est sa mère, tu t'attendais à quoi ? " renchérit un autre, une lance sur l'épaule.
"Et le père ? " reprit l'artificier, "tu vas te décider à nous dire qui c'est ? "
"T'as peur que ce soit toi, Tane ? " taquina Minako, levant enfin le nez de son bol.
Leur aîné porta l'enfant plus haut, l'observant de plus prêt. Le bébé était calme, ce qui, à cet âge, n'était pas étonnant. Il faudrait encore quelques semaines avant qu'il soit plus réactif, et même si ses yeux étaient entrouverts, il ne pourrait pas voir ce qui se passait autour de lui avant un moment.
Cela étant…
Il se mit nez à nez avec le bébé, plissant ses propres yeux avant de se redresser.
"Oh, pute à une jambe, Minako, t'as baisé le mage ! "
"Eh, vous allez tous faire gaffe à ce que vous dites devant mon gamin ! " protesta la jeune femme en brandissant ses baguettes.
"Alors ça, c'est glorieux venant de toi," ricana le lancier.
"Ta gueule, Nagi ! Et ouais, j'ai baisé le mage."
"Le mage ? " s'étonna Tane en se redressant.
"Tu te souviens quand Masakari, Sai, Minako et moi on a accepté un contrat d'escorte pendant trois mois ? " expliqua Nagi.
"Ah… oui ! L'érudit c'est ça ? "
"Ouais, tu parles d'un érudit," rétorqua Nagi avec un petit rire, "un étranger de Centra, un mètre quatre-vingt-douze, la peau blanche comme un cul, des yeux rouge sang et probablement un mage né vu comment il balançait des sorts à tout bout de champ."
"Comment vous faisiez ? " demanda leur chef d'un ton amusé, "tu l'escaladais ? "
"Ouais, y'avait une belle vue de la face nord," répondit Minako, "comment tu as deviné au fait ? "
"Makoto a des yeux rouges," annonça-t-il en montrant le visage du bébé.
Sa mère fronça les sourcils et, posant son bol et ses baguettes, se leva pour approcher de son chef de clan et de son enfant. Il le lui rendit avec aisance, l'aidant à le prendre confortablement avant d'écarter les mains, la laissant l'observer.
"Oh merde… c'est vrai…"
"S'il tient de lui, il fera tache en grandissant."
"Tu veux dire au milieu du clan ? " rétorqua Minako en desserrant son col pour libérer sa poitrine.
Les autres chasseurs commencèrent aussitôt soit à protester, soit à la siffler et elle se redressa avec un regard frondeur.
"Vous pouvez avoir plus de cinq ans d'âge mental ? Vous les avez déjà tous vus de toute façon."
"C'est pas pareil, tu as un bébé dessus maintenant ! " protesta un autre chasseur.
"Au risque de t'étonner, ça boit pas du saké à cet âge-là," déclara Minako en portant son fils au sein.
"Tu comptes faire quoi maintenant ? " reprit le chef de guilde.
La jeune femme lui jeta un rapide regard avant de retourner son attention à son fils qui tétait goulument.
"J'ai encore assez d'argent pour tenir un an et demi, peut-être deux. Il me faut juste un endroit où me poser d'ici là."
"Tu veux reprendre les missions ? "
"Comment je gagnerais ma vie, sinon ? Au bordel ? "
"Avec ton tempérament, tu t'en ferais jeter au bout d'un mois," grommela Tane.
"Tu peux rester à l'auberge," soupira leur chef en mettant sa tasse à l'abri de la manie qu'avait Minako de lancer ce qu'elle avait sous la main à la tête de ceux qui la taquinait.
"Je ne veux pas de ta charité, Masakari," rétorqua-t-elle d'un ton venimeux.
L'homme renifla sarcastiquement avant de servir une tasse de thé à la jeune femme.
"J'aimerais récupérer une de mes meilleures chasseuses rapidement, c'est pas de la charité, c'est un investissement."
Il lui tendit la tasse.
"Tu élèves Makoto au QG jusqu'à ce qu'il soit assez grand, tu feras des petits boulots dans l'auberge en attendant…"
"Sauf la cuisine ! " protesta Nagi.
"Et tu paieras un des petits jeunes pour le surveiller quand tu seras sur un contrat. Ça marche ? "
La jeune femme réfléchit quelques secondes supplémentaires avant de prendre la tasse.
"Ça marche."
Les deux chasseurs inclinèrent la tête, burent le thé et jetèrent les tasses par-dessus leurs épaules.
"Aïe ! "
"J'ai touché Saï," ricana Masakari.
"Putain, mais y'a pas un autre moyen de sceller un accord qu'en jetant vos tasses ? ! "
"Est-ce que je peux savoir ce que vous faites ? " s'enquit Masakari en revenant d'un contrat avec Nagi et Saï, trouvant Minako assise avec Tane et quelques autres chasseurs, à se raconter leurs aventures devant un verre et un peu de nourriture.
"On raconte à Minako ce qu'elle rate ! " s'exclama l'artificier.
"Et moi j'allaite," répondit Minako montrant Makoto, enveloppé dans sa veste de kimono et accroché au sein de sa mère.
Masakari se prit le visage entre les mains et compta jusqu'à dix à l'envers.
"Laisse-moi deviner. Fille unique, jamais été autour d'une mère ? " grommela-t-il.
"Ouais, pourquoi ? "
Le chef de la guilde baissa les mains vers le sol d'un geste agacé avant de montrer la soucoupe d'alcool devant Minako.
"Arrête de boire de l'alcool tant que tu allaites ! Ça va passer dans ton lait ! "
"C'est vrai ? ! ! "
"Ça expliquerait pourquoi ton môme est aussi calme," marmonna Tane, assis près de Minako à boire avec elle, "il est probablement complètement beurré."
"Merde ! Déjà que j'ai pas bu quand j'étais enceinte, faut que j'attendes qu'il soit sevré maintenant ? ! "
"C'est ça, c'est pour sa santé," confirma Masakari en confisquant la soucoupe de Minako pour la vider d'un trait dans son propre gosier.
"Ça va durer combien de temps ? ! "
"Ma femme a sevré les nôtres entre l'âge de deux et cinq ans, ça dépendait de l'abondance de la bouffe."
Tane laissa échapper un rire tonitruant à l'expression désabusée de Minako.
"Faut que je t'aime, Makoto," marmonna-t-elle à son fils qui la regardait de ses jolis yeux rouges.
Minako allaita son fils deux ans.
Pas parce que l'alcool lui manquait.
Mais parce que, si elle avait relativement bien toléré l'arrivée des incisives de son fils, la petite surprise qui arriva un peu avant ses deux ans ne fut PAS bienvenue.
Comme put en témoigner Saï quand Minako poussa un hurlement de douleur alors qu'elle allaitait, lui faisant lâcher son abacus sur le livre de compte de la guilde.
"Putain, il a des CROCS ? ! ! " glapit-t-elle en faisant lâcher son téton au bébé.
"Tu plaisantes ? " s'exclama Saï, remerciant soudain Dame Da Chao de ne pas être né femme.
"Masakari ! " brama la petite chasseuse, "écrit à ta femme ! Demande-lui comment on sèvre un bébé, MAINTENANT ! "
Makoto marcha assez tard.
Les garçons s'en inquiétaient plus que Minako, mais une fois que le petit eut compris dans quelle étagère de la cuisine étaient rangés ses fruits favoris, il fut régulièrement trouvé en haut dudit meuble, à mâchonner des morceaux de pahsana.
"Ouaip, c'est le fils de Minako, pas d'erreur," déclara Nagi la première fois qu'ils le virent escalader les étagères.
"Tu fais ce genre de chose ? " s'étonna Saï.
"Elle grimpe les adamantaimai pour les achever," lui rappela Tane pendant que Minako allait faire descendre son fils.
"S'il n'y avait qu'eux que je grimpais."
"Tu crois que tu peux dire ce genre de chose devant lui ? ! " protesta Saï.
"Je pensais aux arbres, Saï."
"Faut dire, quand on est petite comme elle, faut bien compenser," ajouta Nagi avant de prendre un coup de talon dans les tibias.
Minako posa Makoto dans son futon, retirant ses vêtements avant de rabattre la couverture sur lui.
Il ne se réveilla même pas.
Il venait de passer des heures à jouer avec Tane pendant que Minako chassait le repas pour la guilde et était tout bonnement lessivé.
Ça lui laisserait un moment tranquille pour vider ses proies et les préparer pour le soir. Heureusement que Makoto aimait la viande grillée, elle était à peu près incapable de faire autre chose que ça, du riz et du thé.
Elle était en train d'écorcher le lapin dans la cuisine quand elle entendit le bruit d'une porte qui s'ouvrait, puis se fermait. Misère, maintenant qu'il savait marcher, Makoto était inarrêtable. Et têtu. Malheureusement pour elle, il avait hérité de sa tête de chocobo des montagnes.
"Makoto, au lit," ordonna-t-elle en jetant la peau dans le seau d'eau salé prévu pour ça.
Pas de réponse. Il ne parlait pas encore, ça inquiétait Tane, mais pas Minako. Il avait marché tard, il parlerait tard. Il l'entendait quand elle parlait et obéissait la plupart du temps, c'était déjà ça.
Ne voyant pas son fils la rejoindre, Minako ramassa la proie qu'elle venait de finir d'écorcher et vider, l'embrocha et la posa au-dessus du foyer encore éteint, allant s'assurer qu'il n'était pas encore en train d'escalader les meubles ou de jouer avec les armes des garçons.
Il n'était pas dans la pièce principale. Ni dans le bureau de Masakari. Elle ouvrit la porte coulissante de la petite pièce qui leur servait de chambre et se figea.
Il y avait un homme agenouillé près du lit de Makoto, toujours endormi.
Mais ce ne fut qu'une fois derrière lui, sa main dans ses cheveux et un de ses kunaïs sous sa gorge que Minako le reconnut.
Cheveux noirs.
Peau pâle.
Yeux rouges.
Et même à genoux, presque aussi grand qu'elle.
"Grimoire."
"Minako."
Il n'avait pas changé en trois ans. Ses cheveux n'avaient même pas poussé.
Et à voir Makoto à côté de lui, c'était indéniable, ils étaient père et fils.
Grimoire ne pouvait que l'avoir remarqué.
Elle retira son arme, s'asseyant près de lui, devant le lit de leur fils. Elle avait presque oublié à quel point elle devait lever le nez pour le regarder, même quand ils étaient assis.
"Qu'est-ce que tu fiches là ? " souffla-t-elle entre ses dents pour ne pas réveiller Makoto.
"Je passais à Wutaï, je me demandais si tu serais partante pour de l'escalade," répondit le mage en s'asseyant à la façon gongan, croisant les jambes, "j'ai croisé Nagi, il m'a dit où tu étais."
Makoto repoussa sa couverture à coups de pied avant de marmonner et se rendormir complètement. Avant que Minako ait put le recouvrir, Grimoire s'en était chargé, le bordant d'un geste expérimenté avant de lui caresser le crâne.
Makoto était grand pour un enfant wutan, mais la main de Grimoire lui couvrit presque entièrement la tête quand il la passa sur son front. Minako ne recommença à respirer que quand il se rassit, retirant sa main.
"Il doit avoir… deux ans maintenant ? "
"Il les a eus en octobre. Prématuré. Encore heureux, j'en ai chié pour le faire sortir."
"Désolé," s'excusa son amant d'un ton absolument pas désolé.
"Qu'est-ce que tu veux ? "
"Je voulais juste le rencontrer. Ses yeux sont de quelle couleur ? "
"Rouge. C'est important ? "
"Peut-être. Laissons-le dormir."
Minako hocha la tête, se levant pour guider Grimoire jusqu'à la pièce principale. Elle parvint à rassembler assez de savoir vivre pour lui offrir une tasse de thé, s'asseyant en face de lui avec sa propre boisson.
Heureusement, il n'y avait personne à la guilde pour l'instant. Tane était reparti faire une course, Masakari avait emmené les plus jeunes sur un contrat pour les éduquer un peu et Saï était en train de récupérer un paiement.
Les garçons étaient tous très protecteurs de Makoto et seraient aussi peu ravis qu'elle de voir Grimoire débarquer.
"Comment s'appelle-t-il ? " finit par demander Grimoire avec un petit sourire.
"Ça t'intéresse ? "
"Crois-le ou pas, mais oui. Si j'avais appris son existence avant, je serais venu plus tôt."
Minako ne se faisait pas d'illusion, Wutan ou Centran, il n'y avait qu'une seule raison pour qu'un homme vienne chercher le fruit d'une brève liaison. Et il n'y avait pas moyen qu'on lui prenne son fils. Même si c'était son père.
"Tu m'es hostile," nota Grimoire sans lever les yeux de sa tasse.
"Tu réapparaît soudain sans prévenir et la première chose que tu fais, c'est t'intéresser à mon fils."
"C'est aussi le mien, tu sais."
"Qu'est-ce que tu lui veux ? "
"Pour l'instant, rien," répondit Grimoire, "mais ça pourrait changer."
"Je t'interdis de me le prendre."
"Je n'en ai pas l'intention."
Minako lui jeta un regard qui devait être suffisamment dubitatif pour qu'il reprenne.
"Je ne te prendrai pas ton fils. Je te le jure. Sur Minerva."
"Ne jure pas sur le nom des morts," grommela Minako.
Grimoire eu un petit sourire en coin, de ceux qui étaient dévastateur chez les jeunes filles en fleur et se redressa, posant la main à plat sur son cœur.
"Que Dame Da Chao en soit témoin, je ne suis pas là pour te prendre ton enfant."
"Alors pourquoi ? "
Il attrapa sa tasse et but une gorgée avant de reprendre.
"Y a-t-il eu… des choses étranges autour de lui ? "
"Étrange ? "
Le mage plissa les lèvres, réfléchissant à ses paroles.
Il parlait un Wutan parfait, peut-être un peu guindé, avec l'accent des coincés du nord et aux tournures de phrases surannées, mais il prétendait avoir appris avec un livre.
Minako ne savait pas bien lire à part les chiffres. Et c'était Masakari qui lui avait appris.
"Des choses qui cassent sans qu'il y touche, quand il pique des colères, qu'il s'énerve…"
"Faudrait déjà qu'il pique des colères."
"Comment ça ? "
"Il est très calme. Même quand il se fait mal, il ne pleure pas."
"Hm, comme Gigastein. Je pensais qu'il était l'exception qui confirmait la règle."
"Qui ? "
"Mon cadet. Il a une dizaine d'années."
Bah tiens, elle l'aurait juré. On ne pouvait pas devenir aussi bon au pieux sans beaucoup d'expérience. Et qui disait beaucoup d'expérience pour un homme, disait beaucoup d'enfants.
"T'as combien de gamins ? "
"Deux qui grandissent sous mon toit. Quatre hors des murs. Cinq avec lui maintenant."
"Pourquoi ils ne grandissent pas avec les autres ? "
"Parce que leurs mères ont préféré les garder avec elles."
Il sourit à l'expression stupéfaite de Minako.
"Les mères de mes enfants ont le privilège de choisir pour eux. Je n'en obligerai jamais une à abandonner son enfant."
"Tu m'en vois ravie."
"Mais c'est mon fils aussi. Et même s'il vit toute sa vie à Wutaï, avec toi, il y a des choses… qui pourraient arriver."
"De quel genre ? "
Un ennemi de Grimoire qui se vengerait sur ses enfants ?
Da Chao savait à quel point le mage pouvait être agaçant quand il voulait, mais bien qu'il adorait provoquer les tempéraments les plus sanguins, il était suffisamment diplomate pour calmer les choses à grands coups de tournée générale ou de pots de vins.
Des rançons alors ?
Il était riche, elle le savait. Il avait payé pour les services de quatre chasseurs de primes pendant trois mois, ainsi que tous les frais de bouche et l'équipement pour leur expédition dans un trou paumé de la côte sud. Il avait de l'argent à ne plus savoir qu'en faire.
Elle le vit ouvrir la main et une flamme s'élever dedans, à même sa paume.
"Ce genre de chose."
Oh.
Il ne portait pas de matéria. Ça signifiait qu'il était mage-né. Et ce genre de choses passait de parents à enfants. Minako se sentit soudain très reconnaissante envers Dame Da Chao que Makoto ait hérité du tempérament calme de son père plutôt que du sien. Si elle avait été mage-née, Wutaï serait probablement en cendre depuis des années.
"Il pourrait être mage ? "
"Peut-être. Un de mes fils en a hérité. Les autres un peu moins."
Il referma les doigts et la flamme s'éteignit. Sa manche était légèrement roussie, mais sa peau n'avait pas une trace de brûlure. Minako avait déjà rencontré des mages nés. Des mages d'eau surtout dans le Nord, dû à l'influence de Dame Da Chao, mais dans le Sud, avec la proximité de Canyon Cosmo, les mages de feu étaient plus courants.
Grimoire était peut-être cosmo ?
"Ma limite pourrait poser des problèmes aussi," admit-t-il.
"Tu as une limite toi ? "
"Destructive. Si jamais il s'avère qu'il la possède, tu devras me l'amener."
"Tu peux rêver."
"Tu verras, tu changeras d'avis. Tu as tout ce dont vous avez besoin ? "
"Je n'ai pas besoin de ton argent," rétorqua fièrement Minako.
"Tu vis dans l'auberge de votre guilde," objecta Grimoire, "à faire des travaux et chasser pour payer votre logis."
Il sortit une bourse, la posant sur la table, entre eux.
"Tiens."
"Grimoire…" protesta Minako.
"Ce n'est pas une compensation. C'est ma participation à son éducation. Et… il y a autre chose dedans."
Minako avait la bourse devant elle et était en train de l'ouvrir avant de réaliser qu'elle venait de l'accepter. Elle jeta un regard noir à Grimoire, qui lui, semblait très satisfait.
Dame Da Chao, qu'il était agaçant.
"Ta gueule," marmonna-t-elle en achevant de défaire les lacets qui la fermait.
Il y avait assez d'argent pour vivre encore trois ans au moins. Et une feuille de papier, pliée en forme de grue.
"Si jamais tu as besoin d'aide, d'argent, ou si sa magie et sa limite s'éveillent, déplie la grue et écrit à l'adresse indiquée. Je viendrais le plus vite possible."
"On verra si j'en ai besoin un jour," rétorqua-t-elle en remettant l'origami dans la bourse.
Elle enterrerait tout ça dans la cachette de son magot plus tard.
"Comment s'appelle-t-il ? " répéta Grimoire, d'un ton plus doux.
"Makoto. Vérité."
"Espérons alors qu'il sera digne de ce nom et ne tourne pas comme ses frères," déclara le mage en se levant.
"Tu t'en va ? Tu ne veux pas lui parler ? "
"S'il demande à connaître son père un jour, écris-moi. Pour l'instant il n'a besoin que de toi."
"Tu es vraiment un homme étrange."
"À moins que tu veuilles que je reste pour faire un peu d'escalade ? "
"Grimoire, si tu m'en fais un second, je t'émascule."
"Ok, marcher, il s'y est pris tard et est passé directement de quatre pattes à escalader l'auberge, mais parler, il s'y met quand ? " demanda Masakari un mois plus tard, quand il revint après avoir passé les jours Carbuncle avec sa famille.
La plupart des chasseurs qui restaient à l'auberge à cette période étaient ceux qui n'avaient pas de famille, ou qui se remettaient d'une mission un peu agitée. Saï, malchanceux comme à son habitude, avait un bras en écharpe, Nagi une nouvelle cicatrice sur la joue et Tane, seul rescapé intact de la dernière chasse, jouait avec Makoto, comme le grand gamin qu'il était.
"D'un autre côté, tu te souviens comment était son père ? " rétorqua Minako, assise à l'extérieur, en train d'attiser le feu pour faire cuire les racines de krakka enfouies sous la braise.
"Ouais, il n'ouvrait la bouche quasiment que pour sortir une vacherie," confirma Nagi tout en coupant les feuilles des autres racines.
Il avait neigé, ce qui était relativement rare à Wutaï, sauf sur les monts les plus hauts. Cela devait faire cinq ans que Minako n'avait pas vu autant de neige et elle laissait Makoto en profiter.
Il jouait dans la neige, vêtu de plusieurs épaisseurs et ses pieds enveloppés dans des sandales remplies de paille. Tane était agenouillé près de lui, lui montrant comment faire un mog de neige et Makoto le regardait faire avec sérieux, ramassant les branches et les cailloux que lui demandait l'arquebusier.
"C'est normal qu'il soit aussi calme ? " demanda Tane en acceptant les deux cailloux noirs pour faire les yeux du mog que lui tendit solennellement le bambin.
"Il parait que non," répondit Minako, "mais je m'en plains pas."
"Tu es sûr qu'il est normal ? " s'inquiéta Saï.
"Pas vraiment, mais si tu sous-entends qu'il est débile, je te casse l'autre bras," rétorqua Minako.
"Mais non ! Je veux dire, peut-être qu'il n'entend pas…"
"Il entends," corrigea Tane, "il m'écoute quand je lui parle et il fait ce que je lui demande."
"C'est parce qu'il a le béguin pour toi," ricana Nagi.
"Il a que deux… ow, Makoto, non," grommela l'archer comme Makoto lui attrapait à nouveau une mèche de cheveux.
Tane avait des cheveux blonds, héritage d'une lointaine ancêtre Costan, une anomalie dans un pays où les neufs dixièmes de la population avaient des cheveux noirs. Et dès le moment où Makoto avait été assez grand pour le remarquer, il avait été fasciné par les cheveux de Tane.
Et comme tout enfant de deux ans fasciné, il tentait d'en mettre le plus possible dans sa bouche dès qu'ils étaient à sa portée.
"Ew, Minako, fais quelque chose ! " geignit Tane.
"Makoto, suffit. Lâche."
Et son fils obéit, avant de se dandiner vers sa mère quand elle lui fit signe d'approcher tout en déterrant une racine braisée.
Elle gratta la cendre du krakka, souffla dessus pour le refroidir et le tendit à son fils.
"C'est chaud. Fais attention."
Makoto hocha la tête, tendant ses petites mains pour prendre la gourmandise avec précaution.
"Tu souffleras sur la mienne, aussi ? " demanda Nagi.
"Tu pourras piss… picorer," corrigea Minako en déterrant une seconde racine.
"Joli rattrapage," nota Masakari pendant que Saï faisait des gros yeux à la jeune mère.
"J'essaye," répondit Minako.
Makoto regardait les adultes en grignotant la racine braisée du bout des crocs, mais un coup de dent trop enthousiaste cassa la partie supérieure de sa part, qui chuta dans la neige avec un petit flop.
"Merde ! " s'exclama l'enfant en regardant son goûter au sol.
Les adultes le fixèrent avec surprise.
Puis les hommes explosèrent de rire pendant que Minako grognait de lassitude.
"Voilà pourquoi tu dois surveiller ton langage autour de lui ! " s'exclama Saï...
"Tu pourras jamais le renier," soupira Tane.
"Il va falloir que je me surveille encore pl… Chier ! Makoto, non ! "
"Et c'est déjà raté," ricana Nagi pendant que Minako se précipitait vers son fils, l'empêchant de mettre la racine souillée dans sa bouche.
"Minako, Makoto, regardez-moi ! "
La chasseuse, désignée volontaire pour préparer le riz au campement ce soir-là, leva les yeux vers Saï.
Il y eut un flash lumineux qui fit sursauter Makoto, appuyé sur son épaule et Saï leur adressa un grand sourire.
"J'espère qu'elle est réussie," déclara-t-il en retournant près de Nagi, manipulant son appareil photo.
"Arrête de gâcher des photos sur moi ! " grommela Minako, rassurant son fils d'une petite tape sur la jambe.
"Pas sur toi ! C'est pour garder un souvenir de Makoto avant qu'il devienne aussi peu souriant que toi ! " rétorqua Saï.
"C'était quoi ? " demanda Makoto.
"Saï a pris une photo de nous," expliqua sa mère tout en touillant la marmite de riz.
"C'est quoi une photo ? "
"Makoto, viens, je vais te montrer," l'interpella Saï.
Le petit obéit, s'approchant de Saï qui le souleva et le posa sur son genou, sortant des rectangles de papier qu'il montra à l'enfant.
C'était la première mission où Minako emmenait Makoto. Il avait cinq ans et bien que Masakari ait été contre, Minako avait décidé qu'il était temps qu'elle reprenne les contrats. Le magot que lui avait donné Grimoire s'épuisait et si elle voulait laisser de l'argent à Makoto au cas où il lui arrivait quelque chose, il fallait qu'elle reprenne les chasses.
Masakari avait fini par lui arracher la promesse de se contenter de contrats de bas niveaux, d'exterminations de petits groupes de monstres, en tout cas jusqu'à ce que Makoto ait atteint l'adolescence.
Et malgré les craintes du chef de guilde, ça se passait bien. Makoto suivait sans se plaindre, se laissant porter quand il était fatigué et grimpait à un arbre dès que sa mère le lui ordonnait.
Et il avait toujours un ou plusieurs chasseurs ravis de jouer avec lui ou de le surveiller pendant que sa mère travaillait.
Si ça continuait, elle pourrait bientôt reprendre des missions mieux rémunérées.
Il y eut un second flash et elle sursauta, prête à insulter Saï.
Et réalisa que la petite fouine avait envoyé Makoto prendre une photo de sa mère lui-même.
"Saï ! "
"J'espère qu'elle est réussie ! Il arrive à s'approcher plus de toi que moi ! "
Elle lui jeta des baguettes à la tête.
"Qu'est-ce qui s'est passé ? " gronda Minako en tapant du pied, jetant un regard aussi noir à Nagi qu'à Makoto.
Le lancier se faisait tout petit, tandis que Makoto restait impassible, malgré sa lèvre fendue et sa manche déchirée.
Son fils poussait comme du bambou et ses vêtements devenaient trop petits pour lui en à peine quelques mois. Il allait avoir sept ans et était déjà grand comme un enfant de huit ans. Il allait encore falloir qu'elle retaille un de ses vieux vêtements. Heureusement qu'elle n'était pas très fleurs niveau motifs.
"Nagi ? "
"Je l'ai quitté des yeux juste quelques secondes…"
"Je jouais avec les enfants du village," déclara Makoto.
"Jouait, hein ? " rétorqua sa mère avec un regard vers ses vêtements.
Il hocha la tête.
"Et tu t'es blessé en jouant ? "
Il secoua la tête.
"Comment alors ? "
"Ils ont dit que tu étais une trainée."
"Quoi ? ! " s'exclama Nagi.
"Tu t'es battu avec eux à cause de ça ? "
Makoto hocha la tête.
"Tu as gagné au moins ? "
Cette fois, il sourit tout en hochant la tête.
"La prochaine fois, ne te fais pas attraper à leur taper dessus, emmène-les dans un coin pour ça."
"Oui, Mère."
"Je vais me permettre une critique de l'éducation que tu donnes à Makoto…" commença Nagi.
"Va voir Saï pour soigner ta lèvre, puis va prendre un bain et laver ton kimono," coupa Minako.
Makoto hocha la tête et déguerpis vers l'auberge, laissant les deux adultes entre eux.
"Tu sais," soupira Nagi, "je ne suis pas sûr que l'encourager à être antisocial va beaucoup l'aider dans la vie."
"Je l'encourage pas à être antisocial, je l'encourage à se défendre," rétorqua Minako.
"Les parents des gamins…"
"Devront m'expliquer où leurs mômes ont appris à me traiter de traînée."
Minako se pencha, ramassa son sac de butins et se dirigea à son tour vers l'auberge, le lancier sur les talons.
"Je dis pas que ces sales gosses ont raison…"
"Ils ont raison. Je suis une trainée. Je te rappelle que j'ai couché avec tous les chasseurs de la guilde, sauf Masakari."
Elle leva les yeux vers Nagi, lui jetant un regard amusé.
"J'ai couché avec toi d'ailleurs. Au cas où tu aurais oublié."
Nagi piqua un fard. Non, il n'avait pas oublié, merci.
Elle contourna la vieille auberge, se dirigeant vers le puits et la station de nettoyage installée à côté, sortant les griffes ensanglantées qu'elle avait ramené lors de sa dernière chasse.
"Et j'ai un enfant sans être mariée. Ça n'aide pas à ma réputation."
Elle tira un baquet d'eau et s'accroupit, nettoyant les griffes des dernières traces de chair et de sang.
"C'est… peut-être pas trop tard," reprit Nagi, "tu pourrais…"
Elle lui jeta un regard méfiant.
"Je pourrais quoi ? "
"Te marier."
Minako lui jeta un regard incrédule, laissant retomber la griffe qu'elle nettoyait dans l'eau.
"Tu plaisantes ? ! "
"Ce serait mieux pour Makoto d'avoir un père et…"
"Il A un père ! Et il le rencontrera un jour. Peut-être."
"Tu aurais moins besoin de travailler comme tu le fais ! "
"Déjà, il faudrait arriver à trouver un époux qui veut bien de moi et de Makoto ! Ensuite un qui me laisse chasser comme je l'entends. Et un qui ne demandera pas que je lui donne d'autres enfants ! Tu en connais beaucoup d'hommes prêts à ça ? "
Elle se releva, se mettant sous le nez de Nagi en plissant les yeux.
"Où est-ce que tu serais volontaire ? "
Nagi hésita avant de soupirer, appuyant sa lance sur son épaule d'un air las.
"Je l'aurais été… Mais je veux des gamins…"
"Dommage."
"J'aurais bien aimé que Makoto soit l'un d'eux…"
"Encore une fois : Dommage."
"Tu vas vraiment continuer à élever Makoto seule ? "
"Ouais," rétorqua la petite chasseuse avant de s'accroupir à nouveau, finissant de nettoyer son butin, "Makoto n'aura besoin de personne. Il saura se débrouiller seul et n'aura jamais à dépendre de qui que ce soit."
"Le fils de sa mère, quoi…"
"Tu as tout compris."
La mission s'était bien passée, la cible avait été tuée, dépecée et dès demain, les reliques seront vendues au plus offrant. Il ne restait plus qu'à nettoyer et entretenir leurs armes et rentrer au QG. Mais ce soir, il faudrait encore camper dehors.
Pour un village tout juste libéré d'une bête féroce, les habitants étaient forts peu enthousiastes à l'idée de laisser les chasseurs de prime libérateurs dormir chez eux.
Minako jeta un regard distrait au champ de tir improvisé en entendant la voix de Tane s'élever.
"Très bien, maintenant que c'est chargé, tu fais quoi ? "
"Je vise," répondit la voix calme de Makoto.
"Non, d'abord ? "
"Ah… je vérifie que le champ de tir est vide."
"Parfait. Il l'est ? "
"Hm"
Elle se redressa, observant Tane agenouillé près de Makoto. Depuis que Makoto avait fêté ses sept ans, tous les chasseurs de la guilde se succédaient dans l'espoir de lui faire choisir leur arme de prédilection. Nagi l'avait tenté, sans grand succès. Masakari l'avait laissé soulever sa hache avant d'admettre qu'il faudrait peut-être quelques années et centimètres en plus avant de pouvoir l'utiliser, Saï avait eu un peu plus de succès, mais Minako apprenait déjà quelques techniques de kunaïs à Makoto et leurs techniques se ressemblaient.
Cette fois, c'était Tane qui tentait sa chance.
Chance qui était de toute façon bien plus élevée que celles des autres, Makoto n'avait jamais complètement dépassé son affection pour l'artilleur depuis qu'il était bébé.
Malgré toute sa réticence à s'attacher à ses amants, elle devait bien avouer que ça jouait un peu dans sa propre appréciation de l'artificier. Il était toujours partant pour une partie de jambes en l'air, mais comprenait que les besoins de son fils passaient avant lui, lui avait appris à lire et écrire, lui racontait tous les contes et légendes de Wutaï au moment du coucher, et chaque fois qu'il revenait d'une mission à Centra, ramenait les œufs en chocolat que Makoto adorait tant.
De tous les hommes de la guilde, c'était lui que Makoto traitait le plus comme un père, même si Minako avait découragé toute tentative de son fils de l'appeler comme ça.
"Place tes jambes comme il faut. Bien. Maintenant, vise soigneusement. Ne te presse pas, tu n'as pas à être rapide pour l'instant, on n'est pas en chasse. Aligne bien les viseurs avec ta cible."
Tane posa la main sur le dos de l'enfant.
"Et dès que tu es prêt, appuie sur la gâchette."
Makoto fronça les sourcils, puis souffla sur ses mèches.
La détonation retentit et son fils recula, bousculé par le retour de l'arme. Heureusement Tane le tenait et l'empêcha de tomber.
"Bien. Maintenant ? "
"La sécurité," déclara Makoto en mettant la sécurité de l'arme.
"Parfait. Allons voir ta cible."
Quand Makoto revint fièrement lui montrer la cible en papier qu'il avait touché, Minako eut un petit sourire appréciateur.
"C'est bien. Tu aimes les pétoires ? "
"Hm," répondit Makoto.
"Pétoires ? " protesta Tane avec un petit sourire.
"Tu penses qu'il est doué ? "
"Il a une bonne coordination œil-main," déclara Tane. "Mais il est encore petit et mes armes sont trop puissantes pour lui. Peut-être qu'une carabine à plombs serait plus de son âge."
"Ça devrait pouvoir se trouver," déclara Minako.
Avec leur mission en cours, elle devrait en avoir assez pour en acheter une.
"Par contre, si je peux faire une suggestion," reprit Tane en ébouriffant la crinière de Makoto.
"À quel sujet ? "
"Couper ou coiffer ce qu'il a sur la tête. Il y voit rien avec tout ça devant les yeux."
"On en reparlera sur ma tombe," rétorqua Minako.
"Mais vous êtes tous inconscients ? ! " s'écria Masakari quand ses hommes revinrent de leur expédition punitive.
"Ils avaient enlevé Makoto ! " protesta Nagi.
"Vous avez attaqués, mis à sac et incendié un orphelinat Yévonite ! "
"Et tabassé les prêtres," ajouta Minako avec morgue.
"Arrête d'en être fière ! Les Yévonites ont été très généreux avec Wutaï sud…"
"Généreux ? Ils m'ont volé mon enfant ! " rugit Minako.
"Tu n'avais qu'à porter plainte au seigneur de la région et…"
"Je suis mère célibataire ! Tu crois qu'il se serait bougé pour m'aider ? ! "
"Minako a raison, les Yévonites sont forts pour convaincre les autorités qu'ils font ça pour le bien des enfants," ajouta Tane.
"Makoto est illégitime et… enfin… il est pas élevé dans des conditions…" commença Saï.
"Qu'est-ce que tu veux dire par là ? Que je suis une mauvaise mère ? "
"C'est pas ce que je veux dire," protesta Saï, "mais… vu de l'extérieur, il… n'est pas élevé de façon traditionnelle."
"Merde à la tradition ! La tradition voulait qu'à la mort de mes parents je sois vendue au bordel pour éponger leurs dettes ! "
"On a d'autres soucis que l'éducation de Makoto, là," reprit Masakari, "il va y avoir un contrat sur ta tête, Minako ! Vous allez avoir tous les chasseurs de primes de criminels au train ! "
"On peut pas laisser faire ça ! " protesta Nagi.
"Malheureusement, dès qu'ils sauront que le clan des tortues hébergent la meneuse de l'attaque, ils vont tous nous tomber dessus," ajouta Tane.
"Sans compter tous les contrats qu'on perdra dès que ça se saura qu'on héberge des fugitifs," reprit Saï.
"On trouvera d'autres contrats ! " protesta Minako.
"Si les moine-guerriers yévonites ne nous tombent pas dessus avant," grommela Masakari.
"Alors quoi ? Qu'est-ce que tu proposes ? Que je me rende ? "
Masakari soupira, se dirigeant vers le coffre-fort de la guilde. Il l'ouvrit, compta de l'argent qu'il mit dans une bourse avant de la tendre à Minako.
"Va te planquer. File dans la montagne avec Makoto pendant quelques années. Disparaissez le temps que tout se calme."
Minako regarda la bourse dans la main de son chef de clan.
"Dix ans que je chasse pour toi, Masakari."
"Minako, prends l'argent."
La chasseuse prit la bourse, mais ce fut pour la jeter à travers la pièce, répandant les rondelles de métal sur le tatami.
"Je me débrouillerais seule. Comme j'aurais dû toujours le faire. Makoto ! "
L'enfant ouvrit la porte du bureau du clan. Masakari sursauta en le voyant.
Il était encore couvert de la suie de l'incendie. On lui avait rasé les cheveux, il avait des bleus sur le visage et les bras, et il portait des vêtements estériens usés, tenant les chaussures en cuir à la main.
"Mère ? "
"On s'en va, va chercher tes affaires."
"Oui, Mère."
Et il referma la porte, son pas léger se dirigeant vers leur chambre. Minako ramassa ses armes, déposées à l'entrée du bureau et s'équipa rapidement avant d'ouvrir la porte à son tour.
Elle se tourna une dernière fois vers Masakari.
"Tu vois, c'est ça que tes précieux Yévonites font aux gamins dans leur orphelinats."
Et elle ferma la porte coulissante avec un claquement satisfaisant.
"Minako, Makoto ! Attendez ! "
"Tane ! " s'exclama Makoto avant de se précipiter vers l'artificier, s'arrêtant juste devant lui.
"Qu'est-ce que tu fais là ? Ils t'envoient me chercher ? " grommela Minako avec un regard hostile.
"Si je pouvais te faire changer d'avis, je l'aurais fait bien avant," rétorqua Tane.
"Tu viens avec nous ? " réclama Makoto.
L'artificier soupira, ses épaules retombant et il leva la main pour ébouriffer les cheveux de Makoto.
Mais Makoto n'avait plus de cheveux, juste des plaies sur le crâne dues au rasoir et l'enfant tressaillit quand il vit la main de Tane approcher.
"Je ne peux pas, Makoto. Ma famille dépend de l'argent que je gagne ici… Mes parents sont trop vieux pour travailler."
Tane retira le sac qu'il avait sur l'épaule et le tendit à Minako.
"Tiens. Il y a des remèdes pour Makoto là-dedans, un peu à manger, une carte et une boussole."
"Je ne peux pas accepter."
"D'accord. Tiens Makoto, c'est pour toi," rétorqua Tane en lui tendant le sac sans même marquer un temps d'arrêt.
"Tane," grogna Minako.
"Tu te souviens, je t'ai montré comment fonctionne la boussole," continua Tane à l'intention de Makoto.
"Oui."
"Et je voulais attendre que tu aies un peu grandi, mais au rythme où ça va…"
Tane se redressa et retira un des fusils qu'il portait sur le dos le tendant à Makoto.
"Continue de t'entraîner avec ta carabine et demande l'autorisation de ta mère pour passer à celle-ci. Voilà des munitions," ajouta-t-il en les glissant dans le sac. "Retiens bien le calibre pour quand il n'y en aura plus."
"Merci, Tane."
L'artificier blond regarda l'enfant, vêtu à l'orientale et hésita encore un peu avant de défaire son haori, le drapant autour des épaules de Makoto.
"Tiens. Ce sera plus discret. Tu veilles sur ta mère, ok ? Tu sais comment elle est…"
"Eh ! " protesta Minako.
Tane se redressa, jetant un petit regard à la femme devant lui.
"Tu reviendras ? "
"Compte pas trop dessus," répondit Minako en évitant son regard.
"S'il te plait. Reviens nous voir. Même si tu ne restes pas. Qu'on sache que Makoto et toi allez bien."
"Je verrais," finit par maugréer Minako," dès que les yévonites nous aurons oublié."
"Je... on t'attendra."
"Viens, on y va, Makoto."
L'enfant hocha la tête, suivant le pas déterminé de sa mère. Tane resta au bord de la route, les regardant disparaître dans la nuit.
Elle avait été imprudente.
Cela faisait un an et demi que Makoto et elle étaient dans la montagne, voyageant sans relâche, changeant de villages fréquemment, sans rester plus de quelques jours au même endroit.
Elle pensait que les yévonites ne la suivraient pas dans les cols de Tamblin, l'endroit était escarpé, les routes difficiles d'accès.
Elle avait pensé qu'ils pourraient s'arrêter là pour l'hiver.
Les moines-guerriers les avaient trouvés.
Elle avait tout de suite envoyé Makoto dans l'arbre le plus proche et son fils avait obéit et désobéit en même temps, grimpant à un arbre, certes, mais un de son choix, un pin presque dénudé.
L'explication était simple, c'était plus facile de canarder les moine-guerriers de là-haut.
Le moine-guerrier qui la menaçait s'effondra dans un cri, la jambe transpercée de la balle de Makoto et elle lui assena un coup de pied en pleine tête pour l'assommer avant de reculer.
Comme tous les hommes qu'elle connaissait, ils avaient tendance à la sous-estimer. Elle ne comprenait pas ce qu'ils glapissaient en commun, mais ils étaient visiblement surpris qu'elle se défende autant.
Elle avait déjà réussi à se débarrasser d'un autre, et elle espérait vraiment ne pas l'avoir tué. Dame Da Chao, elle ne tuait que des monstres, pas des hommes. Pas ses semblables.
Un autre tomba, une tache sombre s'étalant sur son ventre et elle se sentit glacée.
"Makoto ! Les jambes ! Vise les jambes ! Pas le torse ou la tête ! " ordonna-t-elle.
Le premier blessé s'agita, montrant Makoto, juché dans son arbre en criant dans leur langue.
Le dernier moine-guerrier, grand et armé d'une espèce de hache courte, leva son arme.
"Non ! " hurla Minako en se jetant sur lui, son hachiwari en avant.
Elle vit la hache quitter ses doigts, s'élevant en tournoyant vers Makoto.
Elle percuta le moine-guerrier, elle sentit sa lame glisser dans quelque chose de mou puis du sang sur ses mains.
Elle vit son fils ouvrit la bouche, affolé et tenter de descendre de son perchoir, d'éviter l'arme qui fonçait vers lui.
La hache se planta violemment dans la branche, la tranchant à moitié.
Et avec le poids de Makoto et de ses armes, la branche cassa.
Son fils tomba dans le vide.
Elle lâcha son arme et se précipita au pied de l'arbre.
Mais quand elle arriva, son fils ne s'y trouvait pas.
Il n'était pas mort, ou gravement blessé sur le sol rocheux.
Tout ce qu'il y avait sous les branches dégarnies était une espèce de créature qu'elle n'avait jamais vu, qui se redressait difficilement, visiblement sonné.
Il était plus grand qu'elle, haut comme un homme adulte, avec une peau rouge, des écailles noires, deux grandes ailes de chauve-souris et un masque sur son visage. Il se redressa en titubant, sur des serres qui ne semblaient pas être prévues pour marcher et avancer vers elle.
Heureusement, son arme était restée dans le corps du moine-guerrier, car sa première réaction avait été de l'interposer entre elle et le monstre.
Et puis, elle vit ses yeux, par les trous du masque.
Rouge.
Makoto.
Elle allait tuer Grimoire et ses révélations énigmatiques.
"Makoto ? Fils ? tu m'entends ? "
La créature hocha frénétiquement la tête, portant les mains à sa gorge d'un geste impuissant.
"Ce... ce n'est rien. C'est ta limite… Tu dois te calmer et... et tu redeviendras normal."
Oh, Dame Da Chao, elle espérait vraiment que ça fonctionnait comme ça. Sa limite à elle, elle ne l'avait presque jamais touchée, mais ce n'était que quelques secondes pendant lesquelles elle devenait plus rapide, plus forte. Pendant un clin d'œil, elle était presque invulnérable et pouvait transpercer une carapace d'adamantaimai.
Elle ne s'était jamais transformée.
Elle ne savait même pas que c'était possible.
"Calme-toi Makoto," répéta-t-elle quand il approcha d'elle en vacillant sur ses pieds, levant les bras vers elle.
Il la toucha, ses mains griffues l'attrapant par les épaules et elle lâcha son arme pour le tenir contre elle.
Il faisait cette taille à huit ans.
Il serait immense, adulte.
"Calme-toi, s'il te plait, c'est fini," continua-t-elle, sentant sa voix se briser.
Makoto hocha la tête, puis se redressa, vacilla un moment avant de tomber assis, levant les mains à son masque.
Avec son aide, il arriva à le retirer.
C'était bien le visage de son fils. La peau était noire et rouge, des écailles ornaient son visage, son long nez et ses pommettes hautes, mais c'était son fils.
Et à peine lui eut-elle retiré son masque qu'il inspira longuement, la regarda et lui sourit, sa bouche encore plus emplie de crocs qu'avant.
Et il se replia sur lui-même.
Ses ailes redevinrent la veste de Tane que Makoto ne quittait jamais, les boutons de cornes qui pointaient sur son crâne disparurent, sa queue s'effaça, ses serres redevinrent des pieds.
Sa peau blanche.
Ses cheveux noirs.
Seuls les yeux restèrent les mêmes.
"Mère ? " murmura Makoto l'arrachant à la contemplation de son fils.
Elle sursauta, cligna des yeux et réalisa qu'elle avait les mains couvertes de sang, qu'elle étalait sur les joues de Makoto.
Elle le lâcha.
Puis elle jeta un regard autour d'elle, contemplant le champ de bataille.
Il restait trois moines guerriers blessés, qui se vidaient de leur sang.
Et un mort.
Elle venait de tuer un homme.
"Va chercher tes affaires," ordonna-t-elle d'un ton sec, s'éloignant pour reprendre son sabre dans le corps du mort.
Elle approcha du premier blessé, qui la fixait en balbutiant des prières dans sa langue.
Ils avaient vu Makoto se transformer.
Si quelqu'un apprenait que son fils pouvait faire ça…
On ne le traiterait plus comme un fils de pute.
Mais comme un monstre.
Quand Makoto revint avec leurs affaires, il y avait quatre morts.
"Mère ? "
"Ils sont décédés de leurs blessures, je n'ai rien pu faire," déclara-t-elle en mettant son sac sur son dos.
Aller au Nord de Wutaï était une erreur. L'église de Yevon y était de plus en plus présente.
Elle devait faire demi-tour.
Retourner dans le Sud de Wutaï.
Rester autour des temples de Dame Da Chao.
Et peut-être…
"Et si on retournait voir Tane, Makoto ? "
"C'est vrai ? ! "
"Oui. On va juste faire le grand tour."
La porte d'entrée s'ouvrit et Saï soupira avant de se lever de son bureau, plaquant un sourire commerçant pour rejoindre le client qui venait d'entrer.
"Bienvenue à la guilde des tortues, que puis-je…"
"Hey, Saï."
Il resta figé sur place.
Minako. C'était Minako. Et… et Makoto, oh Dame Da Chao, comme il avait grandi ! Il devait avoir neuf ans maintenant ? Il était déjà presque aussi grand que sa mère.
"Minako ! Makoto ! Vous êtes revenus ! "
"Temporairement. Les moines-guerriers sont dans le coin ? "
"Non, non, ils ont fini par réaliser que vous n'étiez plus là. Entrez, venez, venez, je vais faire du thé ! "
La mère et le fils retirèrent leurs chaussures, puis leurs armes et Saï ne put s'empêcher de sourire en voyant Makoto imiter les gestes de sa mère.
"Les armes avant les chaussures, tu le sais, Minako."
"Et tu peux aller te faire foutre."
"J'espère que tu ne parles pas comme ça ? " demanda Saï à Makoto qui fit signe que non.
"Où sont les autres ? " demanda Minako en finissant de poser ses armes.
"Masakari et Nagi sont en mission, ils ne devraient pas tarder."
"Et Tane ? " demanda Makoto.
Cette fois, le sourire de Saï se figea brièvement.
"Il… est mort. Empoisonné par une morsure de monstre."
Makoto jeta un regard désemparé à sa mère, mais Minako se contenta de serrer les dents, les yeux secs.
"Qu'est-ce qu'il foutait au corps à corps ? Il n'était bon qu'avec ses pétoires, cet idiot."
"On a perdu plusieurs chasseurs ces deux dernières années," expliqua Saï en préparant une bouilloire, "toi… d'autres qui sont partis à cause de la réputation qu'on se traînait. On a dû prendre les missions qu'on trouvait et… c'était trop juste à quatre, parfois."
Makoto baissa la tête, attrapant la manche de sa mère entre deux doigts.
"Et vous deux, comment ça se passe ? "
"Ça va. Je crois qu'on a enfin semé les moine-guerriers."
"Tu comptes revenir pour de bon ? "
Minako soupira.
"Je ne suis pas sûre. Peut-être… faire quelques contrats de temps en temps. Je voudrais envoyer Makoto à l'école."
"Toi ? Tu veux qu'il aille à l'école ? "
"Qu'il sache mieux lire et écrire que moi déjà."
"C'est déjà le cas," marmonna Makoto, écopant d'une tape de sa mère à l'arrière du crâne.
"C'était mérité, Makoto," déclara Saï pendant que l'enfant se frottait le crâne, "on ne parle pas comme ça de sa mère. Même si tu as raison."
Saï écopa aussi d'une tape pour sa peine et par nostalgie, il n'essaya même pas de l'esquiver.
"À propos de lire. Tu pourrais ouvrir l'index, Saï ? On a vu… un monstre étrange à Tamblin."
"Oh ? De quel genre ? " s'étonna Saï en servant les tasses de thé.
"Humanoïde. Des ailes, des cornes, une queue. Peau noire et rouge. Un masque…"
Le chasseur se redressa, réfléchissant un moment avant de se diriger vers son bureau, suivi de Minako et son fils.
"Ça me dit quelque chose… Laisse-moi vérifier."
Il sortit un livre épais d'une des étagères du bureau et le feuilleta rapidement, passant d'un onglet à l'autre jusqu'à trouver ce qu'il cherchait.
"Ah, voilà ! C'est… Est-ce que c'est ça ? " demanda-t-il en tournant le livre vers Minako, lui montrant l'illustration.
La gravure était détaillée, plus que pour les illustrations wutane, mais ce n'était pas étonnant, le livre était un index de Centra, qui leur avait été donné par un collègue de là-bas, venu aider sur une chasse il y a quelques années. Saï avait recruté après ça, autant parce qu'il se débrouillait avec ses cure-dents que parce qu'il était capable de lire, écrire et compter tant en wutan et qu'en commun.
Minako reconnut aisément la créature.
Grand, la peau sombre, des cornes, des ailes, une queue, des serres à la place des pieds.
C'était ce en quoi Makoto s'était transformé pour sa limite.
"Qu'est-ce que ça dit ? " demanda-t-elle en montrant le texte en commun.
"Euh," murmura Saï en reprenant le livre. "Famille démon, sous-famille nosferatu... Magie de feu et … je crois que c'est gravité ce mot… Ils sont dangereux. Très puissants, très agiles dans les airs. Originaires de… Hum… Gongaga. Tu l'as vu à Tamblin, tu dis ? "
"J'ai cru voir quelque chose comme ça," répondit Minako.
"L'index dit que le combat est à réserver à des experts et de préférence en équipes. Par contre… ouf ! "
"Quoi ? "
"Le livre date de quelques années, mais les reliques se vendaient déjà à grand prix ! "
Makoto jeta un regard effrayé à sa mère mais celle-ci lui fit signe de ne rien dire, pendant que Saï énumérait les reliques et leur prix.
"Les griffes se vendent chers, presque deux milles gils l'une, les crocs peuvent monter à trois mille... Ah et les cornes intactes, la paire montait à dix-huit milles ! Avec ça, on pourrait renflouer les finances de la guilde…"
"Effectivement, c'est beaucoup," admit Minako.
"Restez jusqu'au retour de Masakari ! " proposa Saï en tendant à nouveau l'index à Minako, "si tu reviens avec une info pareille, il t'acceptera de nouveau dans la guilde."
"C'est... une bonne idée," concéda Minako.
Une voix appela de l'intérieur de l'auberge, coupant court à leur réunion.
"Il y a quelqu'un ? "
"Ah, un client. Vous pouvez attendre dans l'auberge ? Je m'occupe de lui et je reviens."
"Bien sûr."
"Je suis tellement content de vous revoir," ajouta le chasseur avant d'ouvrir la porte," venez Monsieur, je suis à vous."
Minako prit Makoto par la main et l'emmena s'asseoir devant leur tasse de thé.
Quand Saï revint dix minutes plus tard, les tasses étaient intactes.
Les armes de Minako et Makoto avaient disparu.
Et la page des Nosferatu avait été déchirée.
"Combien de temps ? "
"Six mois. Un an si vous prenez soin de vous et économisez vos forces."
Elle avait envie d'hurler.
Ça ne servirait à rien, mais elle voulait hurler de rage.
Cela faisait quinze ans qu'elle vivait sa vie comme elle le voulait, sans se soucier des attentes de ses parents qui voulaient la voir mariée et mère de famille, de l'usurier qui espérait la vendre à la maison-close la plus offrante pour couvrir les dettes de ses parents, des hommes qui ne la voyait que comme une paire de seins et un utérus ambulant.
Et elle serait morte dans six mois.
Elle se connaissait, elle était physiquement incapable de se ménager.
Elle avait encore tellement à voir, à faire.
Et Makoto n'avait que dix ans.
Le docteur attendait sa réaction. C'était… un brave homme. Depuis que les moines-guerriers avaient cessé de les poursuivre, elle passait souvent dans ce village au bord de mer, pour vendre les peaux de ses proies, de la viande, quand elle avait un surplus et le médecin la laissait le payer ainsi.
"Souhaitez-vous que je l'explique à votre fils, Madame Hayako ? "
"Je… préfèrerais le lui annoncer moi-même," déclara-t-elle.
"Je comprends. Avez-vous… une solution pour lui ? "
Une solution ?
Il lui fallut un moment pour comprendre ce que le médecin voulait dire.
Pour après sa mort.
"Oui. J'en ai une."
"Si jamais vous avez besoin de quoique ce soit, n'hésitez pas, Madame Hayako. Les villageois vous apprécient beaucoup et nous serions heureux de vous aider."
"Je vous remercie de votre proposition, Docteur."
"En attendant, je vais vous prescrire des remèdes si la douleur devient insurmontable."
Makoto était les pieds dans l'eau, en train d'essayer de pêcher le repas du soir, un bambou effilé à la main.
Il aimait bien la mer et le village de pêcheurs. Certains avaient offert de le prendre en apprentissage, arguant qu'un grand gaillard comme lui serait pratique sur un bateau, mais si Makoto aimait naviguer, il était un chasseur dans l'âme plutôt qu'un pêcheur. Il vit sa mère arriver et sortit de l'eau, ramassant ses prises au passage avant de la rejoindre.
"Est-ce que ça va ? " demanda-t-il une fois près d'elle.
Il était aussi grand qu'elle maintenant. Il la dépasserait bientôt.
"Oui, De la fatigue. Une légère infection. Ça ira vite mieux. Tu as le repas ? "
"Poissons. Des coquillages. Les pêcheurs disent que c'est bon pour la santé."
"Si c'est bon pour la santé, pourquoi ont-ils un docteur au village ? " rétorqua Minako avant de prendre les prises de son fils, "allons acheter du riz et rentrons."
"Oui, Mère."
Elle déterra leur magot ce soir-là et le compta.
Il n'y aurait jamais assez d'argent pour envoyer Makoto à l'école. Seule et refusant de mettre à nouveau Makoto en danger, elle ne pouvait accepter que de petites missions de chasseur de primes. Juste de quoi assurer leur subsistance au jour le jour.
Le magot de Grimoire était épuisé depuis longtemps.
Il ne restait que la page des nosferatus, pliée en quatre.
Et la petite grue.
Elle la ramassa.
Makoto était dehors, en train de faire griller le poisson pour le repas.
Dans six mois, il sera seul.
Elle déplia la grue.
Et jura.
"Makoto ! Viens me lire un truc ! "
Grimoire Bélias
Village du volcan Golgotha.
Gongaga Ouest
CENTRA
Minako acheta un chocobo à Suisan, une bestiole un peu vieille, mais c'était tout ce qu'ils avaient pu se permettre. Malgré la mauvaise volonté de Makoto à grimper dessus, le voyage fut plus rapide. Ils avaient traversé la chaîne de montagne de Suisan, puis été jusqu'à l'extrême pointe de Wutaï Sud et de là, utilisé le ferry pour arriver à Canyon Cosmo.
Ils s'étaient perdus à Cosmo, mais un clan de Terran les avait orientés vers la côte et dessinés une carte grossière pour les guider jusqu'au volcan de Gongaga en question. Une fois la côte longée et un gué passé, ils étaient arrivés dans la jungle.
Fort heureusement, Makoto avait vite appris à grimper les arbres épais et noueux de la jungle et ils purent suivre la direction du volcan sans problème.
L'arrivée au village fut surprenante.
Tous ces hommes et femmes, grands, à la peau pâle, aux cheveux noirs et aux yeux rouges et qui la fixaient avec calme et sérieux.
Elle pensait avoir trouvé le clan de Grimoire, mais quand elle montra le papier avec son adresse, les locaux secouèrent la tête.
Évidemment, personne ne parlait Wutan, et le peu qu'elle et Makoto comprenaient du commun était inutile.
Par contre, Makoto fut immédiatement choyé par les villageois et ils les gavèrent tous les deux de nourriture et de fruits avant de les remettre sur leur chocobo, avec une guide qui les emmena au volcan.
Elle les fit abandonner leur chocobo et entrer par un temple à flanc de montagne avant de leur indiquer de passer par le couloir, près de la statue de Minerva.
Ils débouchèrent dans une immense caverne sous le volcan.
Il y avait des livres partout.
Cette fois, c'était sûr, Grimoire n'était pas loin.
Une femme approcha, une érudite immense aux cheveux blond pâle et à la peau mate, leur posant une question en commun. Minako lui tendit le papier déplié avec l'adresse de Grimoire.
"Je cherche Grimoire."
La femme devant elle dit quelque chose en commun qu'elle ne comprit pas.
"Mère ? " murmura Makoto.
"Ça va Makoto, ne t'en fais pas, ils ont bien quelqu'un qui comprend le Wutan ici."
La femme tourna la tête vers son fils et son regard s'éclaira. Elle se tourna, appelant par-dessus son épaule jusqu'à ce qu'un jeune homme, quelques années plus vieux que Makoto, approche.
Et il était gigantesque. Aussi grand que Grimoire, plus large d'épaules et bardé de muscles et Minako poussa instinctivement Makoto derrière elle sans quitter le géant du regard.
Mais sous ses cheveux blond platine, ses yeux étaient rouges.
Ah.
Il baissa les yeux sur elle, puis sur Makoto et un petit sourire amusé fleurit sur ses lèvres, un petit sourire qui lui remontait seulement un coin de la bouche...
AH.
Oui il était le fils de Grimoire, pas d'erreur, c'était flagrant maintenant.
"Grimoire ? "
Il parla en commun et elle secoua à nouveau la tête. Avec une petite grimace, il lui fit signe de la suivre, ce qu'elle fit, Makoto sur les talons.
Ils grimpèrent les escaliers, franchissant des étages entiers consacrés à l'immense bibliothèque. Elle n'était même pas surprise que Grimoire vive dans cet endroit. Quand il n'était pas à explorer les temples abandonnés de Wutaï ou s'envoyer en l'air avec elle, il avait eu le nez dans un bouquin. Ce devait être le paradis pour lui.
En chemin, ils croisèrent un autre adolescent, deux ou trois ans plus vieux que Makoto et à nouveau, elle sut que c'était un fils de Grimoire. Lui et Makoto se ressemblaient comme deux gouttes d'eau, la seule différence étant peut-être la forme des yeux de son fils. Et le tempérament. Le gamin s'était accroché à son frère ainé en passant, lui sautant sur les endosses en babillant en commun et le géant s'était laissé faire, l'installant confortablement à califourchon sur son dos pendant que son petit frère bavassait à lui user les oreilles, jetant des regards fréquents à Minako et Makoto. Finalement, ils arrivèrent tout en haut de la montagne creuse et Minako poussa un soupir de soulagement, tentant de reprendre son souffle. Le géant posa son petit frère et se tourna vers elle, les sourcils froncés. Il voulut lui toucher l'épaule mais elle se dégagea aussitôt et il recula à nouveau. L'adolescent tenta de lui parler, mais son frère l'interrompit, posa sa grande main en travers de sa bouche avant de toquer à la porte de l'autre main.
Elle entendit une voix à travers la porte.
Le géant l'ouvrit, disant quelque chose avant de les faire entrer.
La pièce était somptueuse. Une cheminée brûlait dans un coin, réchauffant l'air sous-terrain, deux des murs étaient couverts de livres, le troisième de cartes et de peintures, le sol était fait de planches usées par le passage, mais toujours soigneusement ajustées et…
Grimoire était là, assis dans un des fauteuils, un de ses livres sur les genoux et la fixant avec surprise.
"Minako ? "
"Grimoire. T'es pas facile à trouver, tu sais."
Il se leva, glissant une feuille dans son livre en guise de marque page et approcha.
"Ce n'était pas le but, tu étais censée m'écrire pour que je vienne."
"Je n'ai pas le temps pour ça," expliqua Minako.
L'aîné des fils de Grimoire dit quelque chose en commun, auquel il répondit, s'attirant un soupir exaspéré en réponse.
Grimoire n'avait pas changé. Il avait toujours l'air d'avoir trente ans.
Le géant devait en avoir dix-sept… dix-huit, grand maximum.
La porte s'ouvrit à nouveau et un autre homme entra, qu'elle ne put que qualifier à nouveau de fils de Grimoire. Cette fois, il n'avait pas l'expression amusée et narquoise qu'affichaient Grimoire et ses deux fils. Il avait plutôt l'air ronchon et agacé.
Oh, Dame Da Chao, Makoto sera à tomber par terre une fois adulte, visiblement.
Mais…
Grimoire avait à peine l'air d'être assez vieux pour être son frère aîné. Encore moins son père.
"Grimoire, qui sont ces garçons ? "
"Mes fils," répondit le mage en les désignant, "Chaos, l'aîné, Gigastein, le cadet, et Helgrimr, qui n'a que deux ans de plus que Makoto."
"Grimoire, quel âge tu as ? "
"Quelques milliers d'années, à quelques siècles près," admit Grimoire avant de lui adresser un grand sourire dans lesquels brillaient les mêmes crocs que ceux de Makoto.
"Oh, pute à une jambe," laissa échapper Minako.
"Il en a baisée, visiblement," rétorqua Chaos en s'adossant à la porte, bras croisés.
"Chaos, un peu de respect pour la mère de ton frère," rétorqua Grimoire, soudain plus sévère.
Les deux autres ne devaient pas parler wutan, apparemment, aux regards interloqués qu'ils échangèrent.
"Tu parles d'un frère, on a déjà Helgrimr, qu'est-ce qu'on ferait d'un autre avorton ? " déclara Chaos en approchant, attrapant Makoto par la nuque.
L'instant d'après, il avait l'hachiwari de Minako sous le nez, et un kunaï de Makoto prêt à lui percer le bras.
"Chaos, si tu ne peux pas être courtois, sors," ordonna Grimoire d'un ton froid.
"Oui, Père," répondit son aîné, lâchant Makoto.
Minako ne baissa pas son arme tant qu'il était dans la pièce, ne la ramenant qu'une fois Chaos sortit et la porte fermée. Grimoire se tourna vers elle avec un petit sourire d'excuse.
"Pardonne-lui, il a tendance à être un peu jaloux quand un nouveau frère arrive."
"Mère, qu'est-ce que ça veut dire ? " s'enquit Makoto, faisant disparaître son couteau dans sa ceinture.
Minako soupira. Ça s'annonçait bien. Elle aurait dû se douter que les frères de Makoto ne seraient pas heureux à l'idée de voir un nouveau venu. Bien que les deux autres fixaient Makoto avec plus de curiosité que d'hostilité.
"Makoto, je te présente ton père. Grimoire."
Cette fois, le mage eut un petit rire.
"Si c'est son vrai nom, bien entendu," acheva Minako avec un soupir.
"Ça ne l'est pas. Je suis Diablos, l'Ancien de la Mémoire."
"Oh putain de bordel de merde," déclara Makoto d'un seul trait.
"Et on va devoir travailler sur son langage," soupira l'Ancien.
Les deux frères de Makoto, Gigastein et Helgrimr, leur amenèrent à manger et montrèrent à Makoto comment utiliser des couverts à grand renforts de mime, pendant que Grimoire… Diablos, servait un verre d'une liqueur trouble à Minako.
"J'ai baisé un Ancien," marmonnait-t-elle, les yeux dans le vague.
"Et tu as fait forte impression," précisa Diablos en la faisant asseoir et lui tendant le verre, avant de prendre place à nouveau sur son propre fauteuil. "J'en déduis que sa magie s'est éveillée ? "
"Non. Il est doué avec les matérias, mais il n'est pas mage-né."
"Ah. Dommage. Sa limite alors ? "
"Il y a deux ans," répondit Minako avant de boire une gorgée de liqueur.
Grimoire… Diablos se pencha en avant, fronçant les sourcils.
"Il a eu sa limite à huit ans ? Et tu ne m'as pas prévenu ?"
"On a eu des ennuis avec les Yévonites," commença Minako, "il a paniqué pendant une de leurs attaques. Tout est sous contrôle ça n'est plus arrivé depuis et…"
"Si tu n'es pas là pour ça et que tu n'avais visiblement pas l'intention de faire appel à moi… pourquoi es-tu ici ? "
Minako jeta un regard à Makoto qui observait attentivement un de ses frères lui montrer comment utiliser une fourchette. Il ne l'entendrait pas.
"Je suis malade," murmura-t-elle. "Il ne me reste que quelques mois à vivre."
Diablos se redressa, plus sérieux.
"Qu'est-ce que tu as ? "
"Ça n'est pas important. il faut que tu prennes Makoto avec toi. Il n'a que dix ans, je voulais l'envoyer à l'école mais je n'ai…"
"Minako…"
"Je me suis… je me suis disputée avec Masakari, je n'ose pas y retourner et… Grimoire, j'ai peur de ce que les chasseurs de prime lui feront, tu sais combien ses griffes pourraient se vendre ? ! "
"J'en suis trop conscient..." soupira l'Ancien avant de se lever, venant s'agenouiller devant la petite chasseuse de prime. Il se pencha en avant, posant ses grandes mains sur ses épaules.
"Tu ne vas pas l'abandonner seul ici et repartir…"
"Il ne me reste que quelques mois," murmura Minako en se massant le ventre, "ça… ça ne sera pas beau à voir…"
"Minako. Il a toujours besoin de toi," reprit Diablos sur le même ton.
Elle avait espéré… Elle aurait préféré que Makoto soit plus âgé, qu'il soit capable de vivre seul avant de devoir l'abandonner comme ça. Elle avait tout fait pour qu'il sache se débrouiller au cas où, pour qu'il sache se nourrir, mais… Mais c'était trop tôt.
"Reste. On a quelques médecins ici. Ils trouveront de quoi te soulager."
"Je ne veux pas qu'il me voit mourir," avoua Minako. "Promets-moi qu'il… qu'il ne me verra pas…"
Diablos eu un petit soupir las, comme s'il avait eu cette conversation des dizaines de fois auparavant et Minako…
Minako réalisa que c'était peut-être le cas.
Il avait des milliers d'années. Combien d'amantes avait-vu mourir. Combien d'enfants avaient-ils vu agoniser ?
Et qu'est-ce qu'elle était pour le supplier ainsi ?
Juste une de plus ?
"Il m'en voudra… mais si tu restes, je te jure qu'il ne te verra pas agoniser."
Minako poussa un soupir de soulagement, tentant de ravaler ses sanglots et Diablos se releva, lui tendant la main.
"Viens maintenant, tu dois avoir faim et il va falloir que tu apprennes à manger avec des couverts."
"J'aurais dû ramener mes baguettes," ronchonna la chasseuse en se hissant sur ses pieds.
Makoto ne vit pas sa mère mourir.
Il s'endormit à son chevet dix mois plus tard, après qu'un des médecins de Daguerreo ait confirmé que c'était la fin.
Quand il se réveilla, sa mère était déjà morte et son père l'attendait pour les rites funéraires.
"Aniki ? "
Vincent releva le nez de sa malle, qu'il était en train de ranger après le jour des morts.
"Où as-tu eut ça ? " demanda Yuffie, dépliant précautionneusement le morceau de tissu qu'il gardait dans la boîte funéraire de sa mère.
Oh.
Il avait presque oublié qu'il avait ça.
L'haori de Tane était tombé en morceaux l'année de ses douze ans. Une bagarre avec Helgrimr avait déchiré la manche et malgré ses efforts, il n'avait pas réussi à le réparer suffisamment pour qu'il soit portable. Il n'avait gardé que le motif dans le dos, un symbole tracé sur une carapace de tortue.
"C'était… à un amant de ma mère. Tane. Il me l'a donné quand j'étais enfant."
"Rikugame[1]," déclara Yuffie.
"Comment tu sais ça ? "
"C'est écrit là," expliqua Yuffie en montrant les traits à demi effacés par le temps. "Rikugame. Et… c'est un symbole de clan de chasseurs ? "
"Oui, le clan des tortues, ma mère en faisait partie."
"Oh. Qu'est-ce qu'il lui est arrivé ? "
"A Tane ? Il est mort quand j'avais… hm…"
C'était après l'orphelinat, avant Daguerreo…
Il soupira. Rien à faire, les souvenirs ne revenaient que quand ils voulaient. La preuve, il avait oublié Tane.
Enfin… pas tant que ça. Il s'était rappelé de sortir le symbole en même temps que la tablette de sa mère, un réflexe peut-être ? Il l'avait fait tant de fois depuis leurs morts.
Les autres chasseurs devaient être morts eux aussi. Le chef... Ma… Ma quelque chose, était déjà d'âge mûr à la naissance de Vincent. Le lancier, il ne se souvenait pas. Si, il le surveillait quand il était petit… Nago, Nagi... Nagi c'était ça. Et Saï, le comptable... Ils étaient plus jeunes, peut-être qu'ils étaient encore…
Ils étaient chasseurs de primes, ce n'était pas le genre d'occupation qui garantissait une vie longue et paisible.
Il sentit la main de Yuffie se poser doucement sur son bras.
"Tu veux que je me renseigne si le clan existe toujours ? " demanda-t-elle doucement.
Vincent secoua la tête.
"C'est gentil, mais non, merci. C'était un petit clan, ils ne chassaient que des monstres. Ils ont dû être démantelés quand les chasseurs impériaux ont pris le relais."
"Comme tu veux," répondit Yuffie en repliant le carré de tissu respectueusement, laissant le symbole apparent pour le ranger près de la tablette mortuaire de la mère de Makoto.
Au moins, elle avait une idée pour le cadeau des jours Carbuncle de Makoto.
Opération : Clan des tortues !
Elle allait devoir réquisitionner Jessie à nouveau.
Mais si c'était moitié aussi drôle que pour l'anniversaire de Makoto, elle n'allait pas refuser.
[1] Tortue de terre en wutan/japonais
