Disclaimer : Tout l'univers de Saint Seiya que vous reconnaîtrez aisément appartient à Masami Kurumada. Je ne retire aucun profit de son utilisation si ce n'est le plaisir d'écrire et d'être lue. Les personnages de la mythologie appartiennent à tout le monde et les autres, ceux que vous ne connaissez pas, sont à moi.
Genre : Univers Alternatif Médiéval Fantastic. Aventure/Romance/Surnaturel. Certains couples sont très inhabituels. Het, Yaoi et lemon bien sûr.
Rating : M ou NC-18
Résumé : UA Médiéval-Fantastique. Les Royaumes du Sanctuaire et d'Asgard, alliés indéfectibles, mènent une guerre contre le Royaume des Océans depuis plus de cent cinquante ans. Au moment où débute cette histoire, les raisons de cette guerre ont été oubliées. Non loin, le Royaume des Ténèbres se relève doucement d'une guerre de succession qui l'a laissé exsangue. Après avoir été ennemis, ils finiront par unir leurs forces pour faire face à une menace bien plus grande encore. De l'action, de la romance, du complot politique, de la magie et des créatures surnaturelles sont au rendez-vous avec de nombreuses références aux mythologies grecque et celtique ainsi qu'au manga original de Masami Kurumada. Het, Yaoi et lemon bien sûr.
Note : Retrouvez ce chapitre sur mon site Antarès où vous pourrez voir les photos et écouter les musiques qui y sont associées.
Sunny : Merci pour ta review. J'espère que la suite te plaira aussi. Concernant "Déicide" Andarta ne l'a pas abandonnée. Tu peux la contacter via le site pour avoir plus de nouvelles.
Chapitre 03
Année 10218 du Loup Garou, dernier jour du mois de décembre, Giudecca, Royaume des Ténèbres…
Il régnait une étrange atmosphère dans le Palais d'Ebène. Depuis plusieurs jours, tous les serviteurs et servantes s'employaient à décorer la salle de banquet. C'était une pièce immense dont l'un des murs était percé de grandes fenêtres encadrées de lourdes tentures de velours bordeaux brodé d'incarnat. Sur les deux murs qui se faisaient face, les douze blasons des familles nobles du Royaume étaient accrochés. Six d'un côté, six de l'autre. Et sur le dernier, le blason de la famille Royale d'Inferno trônait majestueusement au dessus d'une immense cheminée.
Un feu avait été allumé dès le matin. Il servirait à rôtir les pièces de viandes prévues pour le repas et il chaufferait la salle. Plusieurs cerfs et sangliers étaient au menu ainsi qu'un ragout d'ours qui mijotait déjà dans les cuisines du Palais et dont l'odeur appétissante avait envahie les moindres recoins. Les tourtes à la viande, les pâtés et les légumes qui seraient servis étaient déjà en train de cuire dans les marmites, les fours et les chaudrons.
Au plafond, quatorze roues en fer forgé supporteraient des dizaines de bougies sans compter les chandeliers, torches murales et sur pieds qui éclaireraient le festin et la fête. Devant les fenêtres étaient disposés des tréteaux croisés en bois sur lesquels attendaient d'être callés des tonneaux de vins qui seraient mis en perce au début du repas.
Les tables disposées en U étaient recouvertes de nappes en coton d'un blanc immaculé. Malheureusement, une fois le banquet terminé, elles seraient tout simplement brulées. Les tâches qui les recouvriraient ne pourraient jamais être nettoyées. Le Roi et ses invités seraient assis sur l'extérieur du U tandis qu'au centre, l'espace servirait aux distractions.
Sur les nappes, des coupes en argent avaient été disposées à la place de chacun. Sur le bord, des guirlandes de petits bouquets de plantes odoriférantes comme la lavande ou le romarin poussant en grande quantité à l'est, à la frontière avec le Royaume des Océans, parfumeraient discrètement l'air. Et placés juste derrière, encore des chandeliers pour éclairer la table.
Markino était en proie à la plus grande agitation. Son Roi lui avait confié l'organisation de la soirée et le Chambellan voulait que tout soit absolument parfait. C'était la première fois qu'un tel évènement était prévu depuis l'accession d'Hadès au trône. Il ne devait y avoir aucune fausse note. Alors qu'il reprenait un peu ses esprits, assis sur un siège dans un couloir, un serviteur vint le prévenir que la troupe de troubadours venait d'arriver. Il se leva d'un bond et courut jusqu'à la grande cour, devant l'entrée du Palais.
Quatre hommes et deux femmes attendaient patiemment, regardant de tous leurs yeux cette énorme forteresse à la silhouette sombre et écrasante. Derrière eux, deux roulottes, chacune tirées par deux chevaux, contenaient très certainement toutes leurs possessions. Markino eut un pincement au cœur en voyant les quatre pauvres bêtes qui semblaient bien mal en point. De toute évidence, elles ne devaient pas manger tous les jours à leur faim. Les troupes de saltimbanques étaient très rares dans le Royaume des Ténèbres et celles qui existaient avaient bien du mal à trouver un public capable de leur donner un peu de nourriture. C'est pourquoi Hadès avait dit à Markino que si ces gens là étaient à la hauteur de ses attentes, il ferait d'eux la Troupe Royale. Ils seraient autorisés à sillonner le pays pour divertir le peuple au nom du Roi et garderaient pour eux tout ce qu'ils ramasseraient que se soit en nourriture, vêtements ou matériel. Hadès ne prélèverait rien sur leurs gains quels qu'ils soient.
Markino avait donc vu deux autres troupes avant et avait retenu celle-ci. Et maintenant, ils étaient là, attendant qu'on leur montre où ils pourraient s'installer pour se reposer un peu avant leur spectacle de ce soir. Le Chambellan les remercia d'être arrivés assez tôt et les confia à un garde qui les conduisit dans un coin de la cour, un peu à l'écart des activités habituelles des lieux. Puis il repartit en courant dans le Palais pour veiller à la préparation des plats. Entre autre. Il ne remarqua même pas le Marquis de Basilic qui le regarda passer avec un air amusé. Jamais il n'avait vu le Chambellan se hâter de la sorte. Secrétaire attaché au Ministère de l'intérieur, sous les ordres de Minos du Griffon, il était en charge de la sécurité du Palais d'Ebène. Rien ne devait venir perturber cette soirée et les hommes qui seraient de garde ne devaient pas être oubliés. Bien qu'ils doivent assurer les rondes sur les remparts et des patrouilles dans les endroits stratégiques de Giudecca comme les étages des appartements du Roi et de ses collaborateurs ou bien encore les couloirs de la prison du Tartare, il ne faudrait pas qu'ils soient privés de quelques plaisirs comme ceux de la bouche ou ceux de la chair. Nul doute qu'ils recevront la visite d'hommes et de femmes qui s'attacheront à les divertir de la plus… chaleureuse des façons.
Le Palais bourdonnait comme une ruche…
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Le Roi avait décidé de passer sa journée en compagnie de Queen. En milieu de matinée, Hadès avait ordonné aux cuisines qu'on lui prépare un repas froid pour deux.
Arrivé aux écuries, il y retrouva son Magicien occupé à harnacher son cheval, Blood Flower, un pur sang Andalou d'un blanc virginal qui contrastait avec le noir luisant de la robe d'Achéron. Un troisième cheval les accompagnerait, chargé de leur déjeuné et de tout ce qu'il fallait pour le rendre le plus agréable possible. Queen s'approcha de son amant et lui caressa discrètement la main.
- Où va-t-on ?
- Tu verras…, répondit le Souverain en enfourchant sa monture d'un bond puissant.
Queen l'imita et attrapa la longe du troisième animal. Il suivit le Frison qui avait déjà presque atteint le premier rempart. Le jeune homme ne put s'empêcher de frissonner en voyant Hadès maitriser son cheval pour n'écraser personne tout en lui imposant une allure soutenue. Blood Flower suivait sans peine vu qu'Achéron lui ouvrait le passage. Une fois à l'extérieur des remparts, le Roi jeta un regard en arrière et éperonna sa monture. Achéron fila au triple galop dans la plaine qui s'offrait à eux. Le Marquis ne força pas l'allure, il savait qu'Hadès faisait ça pour permettre à son cheval de se décharger de son trop plein d'énergie. Lorsqu'il le rejoindrait, lui-même ferait courir Blood Flower. Depuis plusieurs jours, l'animal était resté dans son écurie et il avait bien senti qu'il voulait suivre le Frison.
Le Magicien observa le cavalier et sa monture. Il les trouvait magnifiques. Jamais un homme et un cheval ne furent plus assortis que ces deux là. Achéron entama une large courbe, toujours au galop, Hadès couché sur son encolure, l'encourageant de la voix à voler comme un oiseau. Puis, après un bon moment il acheva son demi-tour et revint près de Queen.
- Vas-y ! dit Hadès en tendant la main pour prendre la longe de leur troisième compagnon à quatre pattes.
A peine Queen éperonna-t-il Blood Flower que celui cabra en hennissant. Il lança furieusement ses sabots en avant et bondit vers la plaine et la liberté. Hadès sourit en voyant l'éclat farouche dans le regard de Queen. Il savait qu'il adorait monter l'Andalou mais qu'il ne pouvait pas le faire aussi souvent qu'il le souhaitait. Le Marquis n'était pas qu'un Magicien. Il était aussi médecin et malheureusement le seul du Palais. Les petites blessures étaient courantes et il était sollicité en permanence. Parfois même la nuit, lorsqu'un garde peu attentif dévalait un escalier mal éclairé sur les fesses et qu'il fallait soigner ses contusions ou une éventuelle entorse. Ou bien quand un boulanger se brulait avec les plaques d'un des fours à pain.
Hadès lui avait bien suggéré de prendre un apprenti, mais Queen avait répondu qu'il ne suffisait pas de connaître les plantes médicinales. Son successeur devrait aussi avoir un don pour la pratique de la Magie. Et c'était bien plus compliqué à trouver. Ce à quoi le Roi avait rétorqué qu'avoir déjà quelqu'un pour l'aider, ce serait bien. Qu'il présente des capacités en matière de magie n'était pas une priorité pour l'instant. Queen n'avait rien répondu, mais il devait convenir qu'Hadès n'avait pas tellement tort. Il pourrait toujours former quelqu'un pour l'aider dans les soins des affections courantes et simples. Il est vrai que ça lui permettrait d'avoir plus de temps pour se consacrer à ses recherches et à ses préparations. Il lui avait répondu qu'il y réfléchirait. Mais aujourd'hui, il n'en avait pas envie. Tout ce qu'il voulait, c'était profiter de cette journée avec son amant.
- Alors ? Où m'emmènes-tu ? demanda-t-il lorsqu'il l'eut rejoint.
- Sur les rives du lac Pyriphlégéton(1) là ou il y a les sources d'eau chaude.
- Excellente idée ! s'écria Queen visiblement ravi. Cela fait bien longtemps que je ne m'y suis pas rendu.
- J'aime la chaleur qui règne là-bas ! L'air y est tiède et la forêt qui entoure les sources est toujours verte et vivante comme au printemps.
- Dépêchons-nous alors ! s'exclama le Marquis. Je veux passez le plus de temps possible là-bas… avec toi…
Le sourire qui accompagna ses paroles eut un effet foudroyant sur les sens d'Hadès qui sourit à son tour. Ils se mirent en route vers le lac qu'ils aperçurent bientôt, à travers la végétation de la forêt. Ils chevauchèrent jusqu'à une clairière au bord d'une vaste vasque de pierre alimentée par une petite cascade et qui s'écoulait directement dans le lac.
L'air était saturé d'une humidité tiède et la température était agréable. Mais dès qu'on s'éloignait du lieu, l'hiver et le froid reprenaient leurs droits. Le sol était tapissé d'une épaisse mousse verte et douce. Le doux bruit incessant de l'eau était reposant. Il y avait même quelques oiseaux qui lançaient des trilles clairs et joyeux. La surface du bassin était voilée par une brume de condensation, contraste entre la température de l'eau et celle de l'air. L'endroit paraissait presque irréel. Hadès et Queen attachèrent les chevaux et prirent ce qu'ils avaient emporté. Le Marquis étala trois peaux de vache au sol sur lesquelles le Roi déposa deux paniers. Dans l'un, ils trouvèrent quelques fruits, du poulet rôti, un pâté de viande et de légumes. Dans l'autre, un tonnelet de vin, des coupes en argent, du pain frais.
Queen s'allongea sur le dos et regarda le ciel. Perpétuellement couvert de gros nuages qui semblaient courir, poussés par des vents d'altitude, il offrait de temps à autres une trouée qui permettait d'entrevoir pendant un court instant, sa belle couleur bleue et même parfois, le soleil. Et c'est cela que le Marquis d'Alraune regardait. Le soleil. Hadès leva la tête et sourit, comprenant l'expression ravie qu'il voyait sur le visage de son amant. Il se pencha sur lui et picora ses lèvres de petits baisers.
- Alors ? L'endroit te plait ?
- C'est merveilleux, souffla Queen en plantant son regard rêveur dans celui d'Hadès.
- Tu as faim ?
- Pas encore. Et toi ?
- J'ai envie de me baigner…
- Tu es fou ? Il fait trop froid !
- On se réchauffera, murmura le Souverain avec une lueur espiègle dans les yeux.
Il se leva et se déshabilla sous le regard brillant de son compagnon qui se mordit les lèvres à la vue de ce corps puissant qu'il aimait tant. Le Roi se dirigea vers le bassin et y entra. La roche, caressée par l'eau depuis la nuit des temps, était aussi douce que du marbre poli.
- Queen ! Viens ! C'est fabuleux ! s'écria-t-il en roulant dans l'eau chaude.
Puis il plongea et disparut sous la surface pour réapparaître un peu plus loin. Le jeune Marquis finit par se laisser tenter et c'est sous les yeux un homme en admiration devant sa beauté, qu'une fois nu, il entra dans l'eau à son tour.
- Tu vois, fit le Roi en s'approchant, l'eau est délicieuse...
- C'est vrai, tu avais raison. Par les Dieux, que c'est bon ! soupira-t-il en s'adossant dans un creux de la roche, les yeux fermés.
Incapable de résister plus longtemps au désir qui enserrait ses reins comme un étau, Hadès s'appuya de tout son poids contre Queen et l'embrassa fiévreusement. Aussitôt, il sentit deux bras se nouer autour de son cou. Leurs bouches s'entrouvrirent pour approfondir ce baiser qui venait d'embraser leurs sens. D'abord, leurs langues s'effleurèrent, comme hésitantes. Puis elles s'enhardirent, glissèrent et s'enroulèrent l'une autour de l'autre, intensifiant le désir qui coulait en fleuves de lave dans leurs veines.
Le contact de leurs ventres était brulant. Leurs respirations rauques et leurs gémissements rajoutaient à leur excitation. Quand Hadès abandonna la bouche de son amant pour laisser ses lèvres s'égarer dans le cou puis sur les tétons sensibles, la plainte de satisfaction qu'il recueillit le fit sourire. Il connaissait si bien ce corps. Il savait comment le faire réagir et jusqu'à quel point il pouvait délicieusement le torturer.
De son coté, Queen était démonstratif et bruyant. Si Hadès n'avait pas été son premier amant, aucun n'avait su le satisfaire comme lui. Il cria lorsqu'il sentit une main s'emparer avec possessivité de sa virilité. Une légèrement morsure sur le flanc le fit sursauter.
- Assieds-toi au bord, lui intima son amant.
Il obéit sans discuter et se hissa sur le sol de mousse. Aussitôt, Hadès plongea entre ses cuisses et engloutit voracement la hampe fièrement dressée. Le cri que Queen ne put retenir fit taire les oiseaux qui durent croire à l'arrivée de quelque animal étranger dans leur petit coin de forêt. Pendant un très long moment, le silence de la clairière ne fut troublé que par la mélodie de la cascade et celle des gémissements du Magicien. Gémissements qui redoublèrent d'intensité et de sensualité lorsqu'Hadès le prépara délicatement à sa venue.
Queen était transporté dans un autre monde. Les yeux grands ouverts sur la beauté du ciel, le corps parcourut de sensations d'extase plus intenses les unes que les autres, l'esprit et le cœur pleins d'Hadès, il accueillit son amant en lui avec l'impatience de quelque chose attendue depuis une éternité et qui est enfin là. Délaissant le bleu du ciel pour celui des yeux de son Roi, il s'y noya avec délice.
Dès les premiers mouvements de hanches, ses halètements reprirent de plus belle. Il n'y avait plus ni Roi, ni Magicien. Juste Hadès et Queen, deux hommes qui partageaient un sentiment fort et profond. Deux hommes qui s'aimaient tellement qu'ils auraient pu mourir l'un pour l'autre. Deux hommes qui avaient un rêve commun. S'aimer librement dans un pays en paix. Libres, ils l'étaient. Mais la paix du Royaume n'était pas encore complètement assurée. Le plan d'expansion des terres arables risquait de retarder l'établissement durable de cette tranquillité. Mais pour l'instant, l'un et l'autre se contenteraient d'une partie de ce rêve.
Leur étreinte enfiévrée n'avait pour seuls témoins que quelques oiseaux, des écureuils, trois chevaux et un hibou qu'ils avaient dérangé dans son sommeil diurne. Sans jamais se lasser, Hadès plongeait dans la fournaise du corps de Queen, joignant ses gémissements aux siens. Appuyé sur ses bras, surplombant son amant, il admirait le beau visage de son Magicien transfiguré par le plaisir. La passion qui les habitait semblait ne jamais vouloir atteindre son apogée. Elle allait les emporter et les broyer dans ses déferlantes de volupté qui ravageaient leurs corps en sueur.
Le Roi fut le premier à succomber au plaisir suprême dans un cri rauque que son amant recueillit comme le plus précieux des trésors avant d'être, à son tour, dévasté par la jouissance. Longtemps, ils restèrent ainsi, l'un sur l'autre, l'un en l'autre, savourant jusqu'à l'extrême, les sensations qui venaient de les balayer comme une tempête de sensualité. Ils se laissèrent aller à la somnolence avec béatitude quand leurs estomacs se rappelèrent à leur bon souvenir.
- Et maintenant ? Est-ce que tu as faim ? chuchota Hadès en bécotant son amant qui sourit.
- Tu as épuisé toute mon énergie…
- C'est parce que tu me rends fou… A chaque fois, c'est comme si c'était la première… Je t'aime tant…
- Moi aussi je t'aime… Promets-moi que tu m'aimeras toujours ainsi…
Hadès se souleva légèrement sur un coude et plongea son regard d'un bleu de givre teinté d'une lueur d'inquiétude dans le parme des yeux de Queen.
- Ai-je besoin de te faire une telle promesse ? s'enquit le Souverain d'une voix un peu triste.
- J'aimerais entendre la mélodie de ses mots dans ta bouche.
- Je te promets de toujours t'aimer comme ça. Tu es rassuré ?
- Je n'étais pas inquiet, j'avais juste envie de l'entendre.
- Qu'est-ce que tu me caches ?
Le Magicien était d'ordinaire quelqu'un de direct. Lorsqu'il paraissait manquer d'assurance, c'est qu'il cherchait comment annoncer une mauvaise nouvelle et ça, Hadès le savait.
- Tu as quelque chose à me dire ? reprit-il, tendrement pour encourager le Magicien à se confier.
- Cette nuit, les étoiles ont confirmé le danger qui nous menace, avoua-t-il d'une traite.
- Et tu craignais de me le dire ?
- Non, j'essayais juste de rendre ça moins brutal mais tu ne m'en as pas laissé le temps.
- Il n'y pas plusieurs façon d'annoncer ce genre de choses. Et pour être honnête, je m'y attendais !
Hadès se leva et tendit la main à Queen. Les deux hommes se rhabillèrent et s'installèrent sur les peaux pour déjeuner.
- Pourquoi dis-tu cela ?
- Je suis un peu fataliste et lorsque tu m'as informé de cette menace, je savais que quoique je fasse, il me faudrait l'affronter. Aucune des décisions que je prendrai ne l'éloignera. C'est ainsi, c'est mon destin. Il était écrit que je devrai faire face à une situation de ce genre, c'est tout. Il ne sert à rien de la fuir. Tu as lu autre chose ?
- Hadès, je crains en effet qu'un évènement plus grave ne vienne s'ajouter à tout cela. C'est encore flou, mais une configuration négative semble se mettre en place.
- Un autre danger ?
- C'est possible, mais rien n'est moins sûr. Il se peut que ce ne soit rien ou juste une coïncidence. Je surveillerai ça de près. Tu veux du vin ?
- Oui, merci. Tu es mon Magicien, mon médecin, mon amant et en plus tu es mon ange-gardien. Que ferais-je sans toi ?
Ils se regardèrent tendrement, emplissant leurs yeux de l'image de l'autre, toujours plus surpris de la force de leurs sentiments.
- Quelqu'un sait où te trouver en cas d'urgence ?
- Minos et Markino… Mais ils ne doivent me déranger que si Giudecca se met à flotter en l'air et s'évapore dans un nuage de fumée !
- Hmm… un magicien pourrait le faire… le taquina Queen en mordant à belles dents dans une cuisse de poulet.
- Tu voudrais faire disparaître la demeure qui abrite notre amour ?
Le médecin baissa les yeux, Hadès était très doué quand il s'agissait de faire culpabiliser les autres. Le Roi eut un sourire vainqueur que lui rendit son amant. Après leur déjeuné, ils se baignèrent encore et firent l'amour jusqu'à ce que Queen demande grâce, les reins broyés par les courbatures. Hadès était insatiable et particulièrement en forme…
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Les premiers invités au banquet de fin d'année ordonné par le Roi, commençaient à arriver. Il y a avait des nobles, des aristocrates, de riches marchands accompagnés de leurs épouses, de leurs fils dont ils vantaient le courage et la loyauté, espérant ainsi qu'Hadès ou ses collaborateurs penseraient à eux lorsqu'ils auraient besoin d'effectifs. Ils venaient également avec leurs filles en âge de se marier, nourrissant l'espoir qu'un célibataire de haut rang soit conquis par la grâce, la beauté et les vertus de ces damoiselles. En tout, une cinquantaine de personnes étaient attendues et chacun se faisait un devoir d'assister à la fête. Elle marquait le renouveau des Ténèbres et il fallait pouvoir dire plus tard, en parlant de ce premier banquet pour cette nouvelle ère du Royaume : "J'y étais !"
Dans la salle de réception, Rock Golem, le négociant en fourrures, était là avec sa fille Dinya, dont le ventre commençait à s'arrondir doucement. Valentine se tenait à ses cotés, un sourire bienveillant aux lèvres. Son futur beau-père ne tarissait pas d'éloge sur sa progéniture qui allait, il n'en doutait pas un seul instant, donner un fils au Comte de la Harpie. Mais Valentine ne l'écoutait pas vraiment. Il regardait sa future épouse à la dérobée, se disant qu'elle était ravissante et faisait montre de bien plus de noblesse dans son attitude que son père.
La plus part des invités étaient là, il ne restait plus qu'à la noblesse à faire son entrée. Ce qu'elle fit, petit à petit, annoncée par un Markino à la voix claire et forte.
- Le Seigneur Gordon, Baron de Minotaure et son épouse, Dame Ariane.
Vêtus de leurs plus beaux atours, le Baron et la Baronne entrèrent dans la salle. Aussitôt, Valentine se porta à leur coté et après avoir salué son ami et sa femme, les invita à faire la connaissance de sa "fiancée".
Quelques unes des Grandes Familles arrivèrent ainsi quand Markino annonça la venue d'une personne qui intéressait Minos au plus haut point.
- Dame Pasiphaé, Vicomtesse de Thalamée.
Le Duc de Griffon en grande conversation avec Rhadamanthe fit volte face. Il avait demandé au Roi de l'inviter, mais il n'était pas certain qu'elle viendrait, bien qu'elle ait fait parvenir une réponse affirmative. Ce qu'il vit le laissa sans voix. A l'entrée de la salle, en haut des marches, se tenait une femme d'une beauté époustouflante. Il allait faire des envieux. Elle lui sourit en croisant son regard et aussitôt il alla vers elle. La robe bleue qu'elle portait avait de larges manches et le laçage de la taille mettait son buste aux rondeurs généreuses, en valeur. La ceinture faite de disques en argent gravés soulignait la finesse de sa taille et ses longs cheveux blonds bouclés tombaient librement sur ses fines épaules et son dos. A son front, un diadème en argent s'ornait de trois lapis-lazuli ovales taillés en cabochon.
Le Duc s'inclina devant elle et baisa les doigts qu'elle lui tendait. Là, il remarqua un large bracelet en argent et sur sa gorge un pendentif lunaire accroché à un torque très fin. Elle était la grâce incarnée et les regards de toutes les personnes présentes étaient tournés vers le couple.
- Ma chère, vous êtes éblouissante. Je suis heureux que vous soyez venue, lui dit Minos en l'entraînant vers le groupe que le Duc de Wyvern formait avec le Duc de Garuda, les Comtes de Dream et de Death à qui il la présenta.
- Notre Royaume recèle des trésors insoupçonnés, déclara Hypnos, un éclat charmeur dans les yeux.
- Comment un rustre tel que notre Minos a-t-il pu réussir à vous convaincre d'assister à ce banquet ? s'enquit Rhadamanthe, un rien espiègle.
- C'est un homme qui a des arguments convaincants, Messeigneurs, rétorqua la jeune femme avec un doux sourire qui acheva de les conquérir tous. Et je n'aurais raté cet évènement pour rien au monde. Il est porteur de tant de signification pour nous tous.
- La Vicomtesse n'a certainement pas les mêmes critères de jugement que les vôtres, se défendit bravement le Duc en couvant son invitée du regard.
- Le Seigneur Queen, Marquis d'Alraune, annonça Markino. Sa Majesté Hadès, Souverain des Ténèbres.
Le Marquis entra le premier et alla se poster au coté de Myu et de Sylphide. Hadès arriva enfin. Il s'arrêta en haut des marches, surplombant ses invités, les écrasant de sa présence et de son charisme. Deux jeunes filles défaillirent et perdirent connaissance à la vue de cet homme qui dégageait un magnétisme intense. Aussitôt, elles furent prises en charge par leurs parents et des servantes qui les conduisirent dans un boudoir à l'écart. Un rictus souleva un coin de la bouche royale. Il s'avança, la foule s'ouvrit devant lui, comme par magie et chacun s'inclina avec une déférence non feinte. Certains avaient même dans les yeux une lueur d'adoration pour cet homme qui avait rebâti leur Royaume. Il marcha jusqu'aux tables positionnées en U et se tourna vers ses invités.
- Mes chers amis, commença-t-il d'une voix profonde et chaude, je suis heureux ce soir de vous avoir à ma table pour ce dernier jour de cette année du Loup Garou. Depuis que j'ai repris mon trône, je me suis employé à faire des Ténèbres un pays où il fait bon vivre malgré les difficultés rencontrées. Mais cela n'aurait pas été possible sans votre aide ni celle du peuple. Je crois que nous sommes parvenus à un résultat plus qu'honorable qu'il nous faut fêter. A l'heure où je vous parle, dans toutes les villes du Royaume, j'ai ordonné une distribution de nourriture et l'organisation de festivités qui doivent avoir déjà commencées.
- Ce soir, les Ténèbres se réjouissent, poursuivit le Roi, ce soir, les Ténèbres s'amusent et festoient. Je vous invite à prendre place à table pour déguster la cuisine de Giudecca et profiter du spectacle que mes troubadours vous offriront tout au long du repas. Que la fête commence !
Ces derniers mots déclenchèrent une véritable ovation. Les "Vive le Roi !" fusaient de tous cotés et les coupes pleines de vin de levaient pour se vider dans les gorges assoiffées. Pasiphaé trempa les lèvres dans la sienne lorsqu'elle sentit une main saisir délicatement son coude.
- Venez ma chère, nous serons assis près du Roi.
- Quel homme extraordinaire ! s'exclama-t-elle. Je comprends mieux la dévotion et la loyauté qu'il vous inspire, mon cher Duc. En sa présence, on se sent prêt à soulever des montagnes !
- Je vais être jaloux si vous continuez à le couvrir d'éloges, répondit Minos, une moue boudeuse sur les lèvres qui fit sourire la Vicomtesse.
- Vous n'avez aucune raison de l'être…
Tout en parlant, Minos les avaient guidés jusqu'à leur place. Effectivement, entre Hadès et eux, il n'y avait que le Marquis d'Alraune et le Comte de Dream. Sur un regard du Roi, Markino lança le premier plat et fit percer les tonneaux de vin qui accompagnerait le repas. Remises de leurs émotions, les deux damoiselles qui s'étaient évanouies purent se joindre au banquet. Les regards furtifs qu'elles lançaient à Hadès le faisaient sourire ainsi que Rhadamanthe et Eaque, à ses côtés. Queen, lui, semblait plutôt contrarié.
Des pages entrèrent, chargés d'aiguières et de bassins en bronze qu'ils présentèrent successivement aux convives afin qu'ils se rincent les mains. Puis le défilé des plats commença avec la musique et le spectacle des troubadours. Il y eut d'abord des salades, pour ouvrir l'appétit et un numéro de jonglage avec des balles d'abord puis avec de petites torches enflammées qui recueillit force compliments. Minos admira la dague dont se servait Pasiphaé. Elle la lui confia à sa demande. L'objet avait une lame ondulée, parfaitement aiguisée et une garde représentant un serpent. En la lui rendant, leur doigts se frôlèrent et la jeune femme rougit légèrement en baissant la tête.
Suivit un potage de jus de viandes et de légumes, tandis que la ravissante danseuse charmait l'assistance avec ses mouvements souples et sensuels sur une musique relativement rythmée.
Le vin coulait à flot, les rires s'élevaient autour de la table, Hadès souriait. Il était pour l'instant satisfait du déroulement du repas. De temps à autre, sa jambe touchait celle de Queen qui lui jetait un coup d'œil discret. Il mourrait d'envie de se lever pour l'embrasser avec fougue mais cela aurait été bien trop déplacé et toutes ces jeunes filles, qui rêvaient secrètement de s'attacher le Roi, seraient désespérées. Qui sait, peut-être même iraient-elles jusqu'à commettre un acte définitif. Le Marquis ne broncha pas à cette idée. A vrai dire, ça l'aurait débarrassé de ces donzelles qui ne savaient que battre la paupière et tourner de l'œil à la vue d'un homme beau et viril.
Il devait bien reconnaître que le Roi avait particulièrement soigné sa tenue. Il avait son habituel pantalon de cuir noir assorti à ses bottes, mais à la place de son pourpoint, il n'avait qu'une simple chemise ample en soie noire dont l'échancrure profonde et fermée par un lacet de soie croisé, descendait presque jusqu'à sa ceinture aux maillons en argent. Il avait quand même passé son baudrier où pendaient sa dague et son épée. Les manches de la chemise étaient prises dans deux bracelets canon en cuir qui lui montaient jusqu'aux coudes. Et dès qu'il s'était assis, il avait ôté la cape en velours aux épaules et au col recouvert de fourrure de loup. Il était absolument magnifique aux yeux du Magicien et pas seulement aux siens.
Les troubadours venaient de s'installer pour une chanson. L'une des femmes tenait un luth, la seconde d'un cromorne, une flute en forme de J, alors que leurs compagnons s'étaient armés l'un d'une cornemuse et l'autre d'un tambour.
Pourquoi le prononcer ce nom de la patrie ?
Dans son brillant exil, mon cœur en a frémi ;
Il résonne de loin dans mon âme attendrie,
Comme les pas connus ou la voix d'un ami.
Montagnes que voilait le brouillard de l'automne,
Vallons que tapissait le givre du matin,
Saules dont l'émondeur effeuillait la couronne,
Vieilles tours que le soir dorait dans le lointain.
Dès les premiers vers et les premières notes, chacun se tut, écoutant avec respect la voix de la chanteuse sur une mélodie mélancolique et les paroles qui parlaient si bien à leur cœur, en particulier à ceux qui avait vécu loin de leur pays.
Murs noircis par les ans, coteaux, sentiers rapides,
Fontaine où les pasteurs accroupis tour à tour,
Attendaient goutte à goutte une eau rare et limpide,
Et, leur urne à la main, s'entretenaient du jour.
Chaumière où du foyer étincelait la flamme,
Toit que le pèlerin aimait à voir fumer,
Objets inanimés, avez-vous donc une âme
Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ? (2)
L'ovation qui s'en suivit et le sourire nostalgique du Roi rassurèrent les musiciens quant au choix de leur chanson. Hadès les avait en grande estime, cela ne faisait aucun doute et il eut une pensée pour Markino d'avoir choisi si judicieusement cette troupe.
Les troubadours poursuivirent avec quelques numéros d'équilibres. Puis, la jeune danseuse demanda à quelques invités de lui confier un petit objet personnel. Après avoir pris une tourterelle, elle lui fit rendre l'objet à son propriétaire sous les acclamations étonnées et admiratives des invités.
Le vin aidant, l'ambiance se fit détendue et grivoise à souhait. La danseuse se lança dans un numéro beaucoup plus langoureux et sensuel, propre à alimenter l'atmosphère qui s'installait doucement. Minos se penchait vers Pasiphaé qui riait de bon cœur et répondait aux œillades enflammées qu'il lui lançait. Eaque sentait poindre la jalousie, aussi tentait-il de l'oublier en répondant aux provocations de Myu, Valentine murmurait à l'oreille de Dinya qui rougissait.
Thanatos discutait avec la ravissante fille d'un riche exploitant de minerai sous les yeux ravis de ce dernier et de son épouse, quant au Marquis de Basilic, il paraissait plus intéressé par le fils de ces derniers, un charmant jeune homme de deux ans de moins que lui, bien fait de sa personne, avec de long cheveux gris remontés en queue de cheval et de grands yeux violets.
Chacun s'accorda pour dire que le ragout d'ours était divin. Certains reprirent deux fois des parts de tourtes à la viande et de pâtés. Markino fit recharger pour la quatrième fois les tréteaux qui portaient les tonneaux de vins. A nouveau, les troubadours se mirent en place pour une chanson. La voix d'un homme au ton espiègle, s'éleva.
Le rideau de ma voisine
Se soulève lentement.
Elle va, je l'imagine
Prendre l'air un moment.
On entr'ouvre la fenêtre :
Je sens mon cœur palpiter.
Elle veut savoir peut-être
Si je suis à guetter.
Mais hélas ! ce n'est qu'un rêve ;
Ma voisine aime un lourdaud,
Et c'est le vent qui soulève
Le coin de son rideau. (3)
Les rires emplirent la salle. Les hommes eurent des commentaires compatissants pour le pauvre voisin énamouré et les femmes louèrent la vertu de cette voisine fidèle à son lourdaud de mari. Mais les esprits et les sens s'échauffaient et les têtes se penchaient de plus en plus lourdement vers leurs voisins ou voisines, glissant un mot coquin ou deux.
Après une pause où les convives se levèrent pour se dégourdir les jambes, les desserts furent servis accompagnés d'un vin pétillant qui acheva de faire tourner les têtes de ceux qui avaient encore un peu de tenue. Bientôt, les moins résistants furent raccompagnés à leur chambre où ils pourraient cuver leur vin tranquillement jusqu'au lendemain. Ceux qui arrivaient encore à mettre un pied devant l'autre vaquèrent à des occupations d'alcôves bien plus libertines et excitantes.
- C'est assez surprenant de trouver une terrasse comme celle-ci au deuxième étage du Palais, observa Pasiphaé laissant sa main dans celle de Minos que celui-ci avait pris pour la guider à l'extérieur.
- Lorsque le Roi l'a trouvé peu de temps après sa prise de pouvoir, il a immédiatement ordonné qu'elle soit remise en état.
- C'est un peu comme un jardin sur un toit. En journée, ce doit être bien agréable…
- Ça l'est. Vous n'avez pas froid ?
- Non, ça va. Et vous ? Vous n'avez qu'une chemise sur le dos.
- Je crois que le vin me réchauffe.
- Venez…
La Vicomtesse s'assit sur un banc et ouvrit son épaisse cape en une invite à laquelle le Duc ne résista pas. Il s'installa contre elle et Pasiphaé les enveloppa du vêtement. Machinalement, pour être plus à l'aise, Minos passa ses bras autour de la taille fine. Il remarqua qu'elle portait des boucles d'oreille en forme de lune, comme son pendentif. A croire que l'astre nocturne tenait une grande place dans sa vie. Il respira profondément. Un parfum d'anis et de menthe lui parvint. Sans vraiment avoir conscience de la portée de son geste, il prit une mèche blonde et la huma, les yeux fermés et sourit.
- Ce parfum vous va si bien…, murmura-t-il rouvrant les yeux et plongeant dans ceux de la jeune femme.
- Merci… Vous avez moins froid ?
- Beaucoup moins… J'espère que mon attitude quelque peu cavalière ne vous choque pas trop alors que vous êtes encore en deuil.
- Rassurez-vous, il en faut plus que ça pour me choquer. Et puis, nous sommes seuls ici…
- En avez-vous encore pour longtemps à pleurer votre époux ?
- Pourquoi désirez-vous le savoir ?
- Eh bien… une femme aussi séduisante que vous devrait penser à refaire sa vie. Vous avez besoin d'aide pour gérer votre domaine.
- Mon intendant est très compétent, se défendit-elle.
- Je pense également que vous n'êtes pas faite pour un deuil prolongé.
- Et pourquoi donc ?
- Parce que vous êtes encore très jeune, vous êtes très belle et désirable. Je suis certain que vous pouvez faire à nouveau le bonheur d'un homme.
- Comment pourrais-je faire le bonheur d'un époux alors que j'ai été incapable de donner un héritier à mon défunt mari, souffla-t-elle d'un ton amer.
- Vous n'étiez peut-être pas responsable de cela…
- Vous seriez bien le premier homme que je rencontre qui ne rendrait pas sa femme responsable de la stérilité de son couple.
- Un homme pense que s'il ne peut engendrer, cela remet en cause sa virilité. Et vous savez combien nous sommes susceptibles quand il s'agit de celle-ci… Lorsque cela ne fonctionne pas, il nous faut trouver un responsable en dehors de nous même. Il y va de notre honneur, termina-t-il sur le ton de la plaisanterie, espérant faire sourire sa compagne.
- Et notre honneur à nous ? Que croyez-vous que l'on éprouve lorsque l'on ne peut être mère ? On ne sent même plus femme ! L'épouse est toujours la première incriminée ! s'insurgea-t-elle contre ce qu'elle considérait comme une injustice.
- Vous avez parfaitement raison. Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous blesser…
- C'est à vous d'excuser ma saute d'humeur, Seigneur Minos. J'ai beaucoup souffert de ne pouvoir enfanter et j'ai peur que cela ne continue.
- Il n'y a qu'une seule façon de le savoir…chuchota Minos en posant ses lèvres sur la tempe de Pasiphaé.
Il la sentit trembler contre lui et resserra son étreinte.
- Vous frissonnez… Voulez-vous que nous rentrions ?
- Je vous remercie… Je vais regagner ma chambre, il se fait tard…murmura-t-elle avec un sourire contrit pour excuser son emportement
- Me permettez-vous de vous raccompagner ?
- Avec plaisir, Seigneur Minos.
Ils regagnèrent la salle du banquet désormais vide où s'activaient servantes et serviteurs pour la remettre en ordre, puis longèrent les couloirs sombres du Palais d'Ebène jusqu'à la chambre qui avait été préparée pour la Vicomtesse. Elle ouvrit la porte et se retourna vers son chevalier servant.
- J'ai passé une très bonne soirée, lui dit-elle en le regardant droit dans les yeux.
- Dommage que ce soit déjà terminé. Le temps passe si vite lorsqu'on est en si délicieuse compagnie… Je vous souhaite une bonne nuit, très chère…
Il prit sa main dans les siennes et baisa les doigts fins sans la quitter des yeux. Un long frisson la parcourut au contact des lèvres douces et chaudes. Elle se laissa prendre au piège de ce regard d'or, presqu'hypnotique. Minos ne lâchait toujours pas sa main.
- La soirée est peut-être finie, commença-t-elle, mais pas la nuit…
- Vous mettriez un terme à votre deuil ? s'enquit le Duc, voulant être bien certain d'avoir compris ce que la jeune femme sous-entendait.
- A l'instant, murmura-t-elle en l'attirant à l'intérieur de sa chambre…
Ooooo00000ooooO
Année 10219 de la Licorne, mois de janvier, Giudecca, royaume des Ténèbres…
Depuis une dizaine de jours, des groupes de colons avaient entrepris de gagner les frontières des Ténèbres pour s'installer sur les terres plus riches des Océans ou du Sanctuaire. Par groupes de trois, les familles volontaires pour cet exode étaient escortées par une trentaine de soldats de l'armée des Spectres pour les protéger mais aussi pour être la main d'œuvre dont les fermiers auraient besoin afin d'exploiter ces terres. Le Duc de Wyvern avait joint deux de ses hommes à chaque groupe avec pour mission d'envoyer des rapports réguliers et surtout de les prévenir en cas danger.
Si les habitants avaient fui ces régions parce qu'elles ne pouvaient plus les nourrir faute de main d'œuvre justement, rien ne disait qu'ils n'en passaient pas de temps à autres à proximité. Et pour l'instant, le Roi avait bien insisté sur la discrétion de leur action. Plus longtemps ils pourraient exploiter ces terres tranquillement, plus ils pourraient faire de réserves en attendant qu'aux Ténèbres, l'assèchement de certains marais permette l'extension des terres arables. Hadès était assis derrière son bureau en compagnie des Comtes de Dream et de Death, du Duc de Wyvern et du Marquis d'Alraune pour finaliser le plan qui devait leur assurer une relative tranquillité.
- Pour cela nous aurons besoin de tes deux meilleurs espions, disait le Roi en regardant Rhadamanthe.
- Ils devront passer pour un frère et sa sœur qui fuient les combats et veulent s'installer le plus loin possible, expliqua Hypnos. Parce que passer pour un couple, même un aveugle n'y croirait pas !
Ils éclatèrent tous de rire en songeant effectivement que Zelos, Chevalier d'Amphibis, homme difforme et repoussant, ne pourrait jamais se faire passer pour le mari de qui que ce soit.
- Même pour une mission ordonnée par le Roi, Pandore n'en voudrait pas ! confirma le Duc qui avait du mal à contenir son fou rire. Mais ne vous y fiez pas. Ils sont les meilleurs éléments que j'ai. Ils sont redoutables et n'ont aucun scrupule.
- Alors c'est parfait, intervint le Magicien. C'est simple, ils devront se débrouiller pour que la jeune femme prenne ce bracelet. Le moment venu, la magie dont je l'ai chargé fera le plus dur pour nous. Ensuite, tes espions n'auront qu'à la récupérer et l'amener ici.
- Ça parait simple comme ça, mais il y a beaucoup de choses qui peuvent changer. L'ambassadeur peut être remplacé après que le bracelet ait été donné, par exemple, releva Thanatos.
- Je ne le pense pas, intervint le Roi. D'après notre espion, il vient d'être nommé. Il doit faire ses preuves et pour cela, il doit rester un moment en poste. Nous devons nous assurer de sa coopération. Rhadamanthe, tu les informes de leur mission. Qu'ils partent le plus vite possible. Il va leur falloir au moins vingt jours pour atteindre la ville de Walhalla et le Palais de Glace. Ils seront ralentis par le chariot et peut-être le temps lorsqu'ils atteindront Asgard. Sans parler du temps qu'ils vont mettre à donner le bracelet. Ne comptons donc pas que ce soit fait avant un bon mois au bas mot. Ce délai vous semble-t-il raisonnable ?
Des hochements de têtes approuvèrent et prenant cela comme la fin de cette réunion, les hommes sortirent du bureau du Roi.
- Rhadamanthe ? appela le Roi avant que celui-ci ne referme la porte.
Il lui fit signe de revenir d'un geste de la main. Pas vraiment surpris, le Duc revint s'asseoir face à son Souverain.
- Il y a quelque chose dont il faut absolument que je te parle…
- Nous y voilà, songea le Chef des Renseignements. Il était temps… Je t'écoute…
- Crois-tu qu'il soit possible de retrouver deux personnes qui vivent chez les Amazones ?
- La difficulté réside dans le fait de ne pas se faire repérer. Sinon, retrouver des gens n'est pas compliqué.
- Ça pourrait l'être bien plus que tu ne le crois…
- Majesté, si tu me disais tout, ça me permettrais mieux évaluer la difficulté de cette mission…
Hadès se leva et alla se planter, solidement camper sur ses jambes légèrement écartées, les bras croisés sur son torse, devant la fenêtre qui donnait sur le Mont Elysion à gauche et la plaine de la Caïna à droite. Depuis quelques jours, en fin de nuit, dès que le ciel se couvrait à nouveau de nuages, une neige fine et douce tombait, recouvrant les terres d'un linceul blanc qui disparaissait dès que le vent tiède se mettait à souffler. Il était encore tôt et des tâches blanches résistaient, de ci, de là, dans les creux et les sillons les moins exposés.
Il raconta d'une traite à son ami, sa vie chez les Amazones. Il avait évoqué à maintes reprises certains détails, mais jamais il ne l'avait ainsi relaté dans sa totalité. Rhadamanthe fut plus d'une fois tenté de poser des questions mais, il se retint, préférant avoir tous les éléments pour juger de la situation.
- C'est donc pour cela que tu penses que tu peux éviter de te marier ?
Le Roi sourit. Une fois encore, Rhadamanthe en arrivait à faire des suppositions qui s'avéraient être exactes, alors qu'Hadès n'avait, à aucun moment, fait allusion au mariage.
- Oui. Qui plus est, Queen le vivrait très mal et pour rien au monde je ne veux le faire souffrir. Ça, c'est hors de question !
- Que veux-tu que je fasse ?
- Déjà, les localiser. Ensuite, nous aviserons… Si tu pouvais t'en charger toi-même…
- Je vais voir comment je peux m'organiser, mais de toute façon, si ce n'est pas moi ce sera quelqu'un en qui j'ai toute confiance. Tu as conscience que nous devrons les enlever ? Les arracher à la seule vie qu'ils aient connue ?
Rhadamanthe avait parlé d'un ton grave, légèrement désapprobateur, comme s'il voulait convaincre le Roi que son idée n'était pas vraiment réaliste. Mais il sentait aussi qu'il ne pourrait pas le faire changer d'avis. Tout au plus, le faire réfléchir.
- Mais que crois-tu que soit leur vie ? Ils ne sont que des esclaves !
Le Duc n'insista pas devant l'éclat de colère qui brillait dans les yeux de son Roi alors que celui-ci venait de se retourner vivement vers lui. Il ne l'avait jamais montré, mais le fait d'avoir abandonné ses fils lorsqu'il avait quitté le Royaume d'Antiope avait été un déchirement. Les Ténèbres avaient déjà des héritiers, même si le sang des Amazones coulait dans leurs veines. Un sang royal y était aussi mêlé. A parts égales. Et cela donnait à ces deux enfants, le droit de revendiquer le trône à sa mort. Encore fallait-il qu'ils soient au courant. Mais connaissant Antiope, il ne faisait aucun doute que si Hadès venait à mourir, elle se ferait une joie et un devoir de dire aux deux garçons qui était leur père. Ainsi, par leur intermédiaire, elle aurait la main mise sur leur royaume. N'était-ce pas là ce qu'elle désirait accomplir en lui jetant sa fille dans les pattes, il n'y a pas si longtemps ?
- Je vais réfléchir à un plan d'action, capitula le Duc non sans penser qu'il pourrait faire traîner un peu les choses, avec le fol espoir qu'Hadès ne soit pas trop pressé.
- Nous en reparlerons... Merci mon ami…
- Ne crois pas que je veuille te dissuader, mais ne serait-il pas plus simple que tu choisisses une épouse et qu'elle te donne un héritier et…
- Tu voudrais que je les abandonne aux mains de ces… de ces sorcières ? s'insurgea le Roi, n'en croyant pas ses oreilles.
- Non ! Ne te méprends pas sur mes paroles. Je pense juste que si Antiope apprend que tu as des enfants, elle sera peut-être moins vigilante. Tes fils, là-bas, seront moins surveillés, parce qu'ils le sont, c'est certain, et cela me facilitera la tache. Et il est évident que l'aîné resterait ton successeur.
Les deux hommes s'affrontèrent du regard. L'idée du Duc, bien que tirée par les cheveux, n'était pas dénuée d'intérêt. Elle fit lentement son chemin dans l'esprit du Roi dont les yeux de glace se plissèrent.
- Je pourrais juste faire courir le bruit que j'ai un héritier. Il n'est pas si facile d'entrer dans mes appartements privés pour vérifier qu'un lardon dort dans un berceau à coté du lit que je suis sensé partager avec sa mère. Les espionnes d'Antiope ne pourront que lui ramener la rumeur.
- Tu vois… quand tu te donnes la peine de réfléchir un peu, tu arrives même à améliorer mes propres idées, sourit Rhadamanthe.
Un sourire qui s'effaça bien vite lorsqu'il vit Hadès blêmir.
- Et si elle décidait de les éliminer ? Ils ne lui seraient plus d'aucune utilité ! Elle est tout à fait capable de les tuer pour se venger d'avoir ruiné ses plans !
- Tu ne sais même pas si elle a un tel plan, alors calme-toi. De plus, tu l'as persuadé que tu ne ferais rien pour les récupérer, elle n'a donc aucune raison de se méfier de quoi que ce soit. Nous sommes en train de mettre la charrue avant les bœufs. Je vais d'abord les localiser et voir comment ils sont traités, ensuite, nous aviserons. Fais-moi confiance. Je ne ferai rien qui mette en danger la vie de tes fils !
Hadès fut sensible au ton apaisant et rassurant de Rhadamanthe. Il poussa un soupir de résignation forcée. Il fallait attendre que le Duc ait encore une idée dont il avait le secret pour pouvoir espérer raisonnablement.
Ooooo00000ooooo
Eaque se dirigeait vers les appartements de Minos, Ministre de l'Intérieur de son état, pour une réunion à deux qu'ils avaient programmée quelques jours plus tôt. Il frappa à la porte. Personne ne lui intima d'entrer. Il recommença, sans plus de succès. Il souleva le loquet de bois et passa la tête par l'entrebâillement.
- Minos ?
Il entra lentement, cherchant des yeux l'occupant des lieux.
- Minos, tu es là ?
Il trouva son ami debout la fenêtre de son salon qui lui servait également de bureau. Vêtu d'une tenue pour le moins décontractée, il semblait perdu dans la contemplation du paysage qui s'étendait aux pieds de Giudecca. Une vaste plaine grise, coupée par la plaie du canyon de l'Achéron et plus loin encore, la mer.
- Minos ? murmura Eaque sans oser s'approcher d'avantage.
Le visage fermée, l'air soucieux, Minos était à des lieux de là. Pourtant, le bruit d'un fauteuil déplacé par quelqu'un qui s'assoit dessus le tira de ses réflexions.
- Qu'est-ce que tu fais là ? demanda-t-il d'un ton où perçait l'agacement.
- J'ai frappé plusieurs fois mais tu n'as pas entendu. Nous devons parler de la sécurité des colons, tu te rappelles ?
- Excuse-moi, je pensais à tout autre chose…
- Je m'en doute…Tu veux en parler ?
- Je ne sais pas si tu es la bonne personne pour écouter ce que j'ai à raconter…
- Essaie toujours, on verra bien.
- Lors de la fête de fin d'année, j'ai passé la nuit avec Pasiphaé…, commença le Duc de Griffon après de longue secondes de silence.
- Je sais… Je t'ai attendu, mais j'ai fini par m'endormir, rétorqua le Duc de Garuda, amer.
- Je suis désolé, Eaque… Mais tu connais mes plans la concernant…
- Et alors ? Tu as regretté de ne pas être avec moi, j'espère…
- Non… enfin si… et tu le sais. Ce n'est pas ça…
- Alors qu'est-ce donc pour que tu te mettes dans des états pareils ?
- Eaque… elle était vierge !
La foudre se serait abattue à cet instant sur le bureau qui séparait les deux hommes qu'elle n'aurait pas eu autant d'effet. Le Duc de Garuda regarda son ami, les yeux écarquillés, cherchant sur son visage s'il ne lui faisait pas là une plaisanterie de fort mauvais goût.
- Tu sais qu'elle a été mariée plusieurs années, quand même, parvint-il à dire d'un ton qu'il souhaitait sérieux malgré le fou rire qu'il sentait poindre.
Une partie de lui s'amusait des déboires de son amant, une autre était curieuse de connaître la suite. Il était très mal à l'aise, mais il ne voulait rien montrer. Surtout qu'il commençait à se demander si ce n'était pas de la jalousie qu'il éprouvait. Bien que connaissant les raisons de Minos de s'encombrer de cette femme, il n'arrivait pas à l'accepter complètement.
- Evidement et c'est justement ce qui me fait réfléchir depuis des jours. Tu sais ce que ça fait de dépuceler une femme.
- Même un homme…
- Eaque !
- D'accord. Je suis désolé…, fit-il en levant une main apaisante.
- J'ai éprouvé la même sensation…
- Tu veux dire que tu as… tu as senti… une résistance ?
- Exactement. Le lendemain, le drap était taché. Je l'ai changé pendant qu'elle faisait ses ablutions Je ne voulais pas la mettre mal à l'aise…
- Tu lui as fait mal ?
- Oui… Elle a crié quand je l'ai prise. J'ai même eu l'impression qu'elle a été… étonnée.
- Tu sais que c'est très désagréable de t'entendre parler de ta nuit avec quelqu'un d'autre que moi ? bougonna le Duc de Garuda en s'intéressant à ses ongles.
- Je t'ai dit que tu n'étais pas le mieux placé pour entendre ça, mais c'est toi qui as voulu savoir !
- C'est vrai.
- Si c'est le cas, ce n'est pas étonnant qu'elle n'ait jamais eu d'enfant.
- Soit le mari avait une petite clé et n'arrivait pas à atteindre le fond de la serrure, soit il ne trouvait pas la serrure, soit il n'utilisait pas la bonne serrure. Tu en as parlé avec elle ? rajouta-t-il rapidement en voyant l'exaspération dans les yeux de Minos qui ne semblait pas goûter ses jeux de mots.
- Oui, un peu… Je me suis excusé de lui avoir fait mal. Elle m'a dit que jamais son mari ne lui avait fait éprouver de telles sensations et qu'à chaque fois, son ventre était poisseux de sa semence.
- C'est donc qu'il n'a pas trouvé la serrure, conclut Eaque, sûr de lui.
- Maintenant que tu le dis, c'est effectivement la seule explication. Mais comment peut-on être aussi idiot ?
- C'est ce que je me demande. Je ne croyais que ça pouvait être possible… Tu as aimé ?
Cette question avait franchi ses lèvres sans qu'il puisse la retenir. Il semblait aimer retourner le couteau dans cette plaie qu'avait ouverte Minos avec son récit. Mais cette désagréable sensation le confortait dans sa position d'amant trompé. Après tout, c'est d'abord entre ses bras que le Duc de Griffon avait pris son plaisir. Pas dans ceux de Pasiphaé. Elle aurait toujours la seconde place.
- Quoi donc ?
- Coucher avec elle ?
- C'était très agréable… même si elle manque d'expérience, ce qu'on ne peut lui reprocher vu les circonstances. Elle est très active…
- Je vois…
- … mais je préfère ton corps.
- C'est vrai ? roucoula Eaque, le regard mutin.
- Si nous en avions le temps, je te le prouverais sur le champ, sur ce bureau…
La voix de Minos s'était faite plus rauque, chargée de désir. Son regard caressa lentement la silhouette d'Eaque avec envie.
- Nous n'avons malheureusement pas le temps, mais ce soir, j'exigerai des preuves, rétorqua celui-ci, espiègle.
- Je t'en fournirai autant que tu en voudras…
Tout en parlant, Minos s'était approché et se pencha sur les lèvres offertes qu'il captura avec avidité. Son amant lui répondit tout aussi férocement, mais le travail les attendait et ils durent se contrôler à regret.
- As-tu songé que tu l'as peut-être engrossée ? lui dit Eaque en tournant la tête pour regarder son amant.
- Ce serait formidable… Je n'aurai ainsi plus besoin de l'honorer jusqu'à ce que ce soit le cas. Alors qu'as-tu à me dire concernant les colons ?
- Les choses se passent plutôt bien mais j'ai reçu des rapports qui font état de petits groupes de civils aux abords des terres que nous exploitons. Il s'agissait plus des vagabonds que de gens organisés pour voyager.
- Et alors ?
- Ils ont été éliminés pour éviter qu'ils ne donnent l'alerte, mais je pense que tu devrais renforcer mes troupes avec les tiennes. Après tout, tu es le Ministre de l'intérieur et nous devons considérer ses territoires comme faisant partis du Royaume. Les hommes de ta police ressemblent plus à des civils que mes soldats. On y gagnerait en discrétion.
- Le Roi est au courant ? s'enquit encore le Duc de Griffon.
- Non, mais on peut aller le voir. On devrait aussi le dire à Hypnos.
- Je suis d'accord. Et pour les hommes, Giudecca est parfaitement sécurisée et beaucoup de mes troupes se contentent de s'entraîner à longueur de journée. Et encore c'est parce qu'ils ont peur que je ne vienne voir ce qu'ils font, sinon, ils se souleraient du matin au soir.
- Tu veux dire que tu es en sureffectif ?
- Oui et non. Il y a encore des régions assez reculées du Royaume que j'aimerais mieux sécuriser, mais ce n'est pas urgent.
- Bien. Je vais voir si je peux te donner une estimation des besoins des colonies. Et si Hadès peut nous recevoir, je viendrais te chercher.
- D'accord.
- Et n'oublie pas ce soir !
- Quoi donc ?
- Je veux des preuves !
La porte se referma sur le sourire aguicheur du Duc de Garuda. Minos replongea aussitôt dans ses rapports, mais il eut un peu de mal à se concentrer. Pasiphaé ne quittait pas ses pensées. Il fallait qu'il en ait le cœur net. Il fallait qu'il ait une discussion franche avec elle. Il fallait qu'il sache… Oui, il fallait…
Dans le couloir, Eaque marchait vite pour rejoindre son appartement et son bureau. Sa cape virevoltait derrière lui, ses talons claquaient rageusement sur le sol. Ce que Minos venait de lui apprendre l'avait mis en colère, mais il n'arrivait pas à lui en vouloir. Non. C'est à elle qu'il en voulait. Elle qui s'était trouvée là, avec son château, son hospitalité, sa gentillesses, sa beauté, sa solitude. Il claqua violemment la porte de son appartement et se laissa tomber dans le fauteuil derrière son bureau. Une rage sourde coulait dans ses veines. Il se leva et se servit une coupe de vin. S'il s'enivrait, peut-être lui trouverait-il des circonstances atténuantes ? Non. Ce n'était pas une bonne idée. Il devait réfléchir à tout ça calmement, l'esprit clair et de façon objective. Cette pensée le fit sourire. Etre objectif. Voilà bien une chose dont il était incapable parce que son amant était impliqué dans cette histoire. Histoire complètement farfelue, soit dit en passant. Comment une femme mariée pendant plusieurs années pourrait-elle encore être vierge ? Pourtant les explications de Minos ne sauraient être mises en doute.
Et puis, pourquoi réagissait-il de façon si intense ? Minos allait épouser cette femme. Ce n'est pas comme s'il le trompait. Ils étaient amants désormais, certes, mais ils ne s'étaient rien promis. Alors pourquoi était-il en colère ?
- Serais-je jaloux ? murmura-t-il en souriant, comme s'il se moquait de lui-même. Bêtise ! La jalousie, c'est bon pour les femmes et leur esprit romanesque.
Il tapotait sur la table avec ses doigts dont le pouce s'ornait d'une bague en argent gravée d'arabesques. Non, la jalousie n'était pas pour les hommes.
- Pourquoi suis-je si impatient d'être à ce soir ? dit-il encore à voix haute comme s'il voulait rendre plus réels ses états d'âmes. Pourquoi quand je pense à lui, mon désir s'embrase-t-il ? Et quand je pense à elle, j'ai envie de la tuer ? Après tout, ce n'est pas bien méchant. Ce ne sera que le temps qu'elle tombe enceinte. Ensuite, Minos passera le plus clair de son temps à Giudecca.
Et lui-même devait également penser à assurer sa descendance. Par la fenêtre, il voyait les mouettes partir en mer pour se nourrir. Les animaux ne s'embarrassaient pas de sentiments. Ils trouvaient un partenaire, s'accouplaient, procréaient et ça s'arrêtait là. Ensuite, ils passaient à un autre et le cycle recommençait. Pourquoi les hommes devaient-ils avoir des sentiments ? Des états d'âmes ? La vie serait tellement plus simple.
Il finit par reléguer ses réflexions dans un coin de son esprit pour se consacrer à son travail. Pour l'instant, il devait s'occuper des affectations des nouveaux soldats qui avaient été jugés aptes à rejoindre l'Armée des Spectres…
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Quelques jours plus tard, après avoir été reçu par le Roi avec Eaque et Hypnos, Minos galopait rapidement vers le château de Thalamée. Sous les sollicitations de son cavalier, Thread filait comme le vent. Le Duc n'arrivait plus à penser à autre chose qu'à cette nuit avec Pasiphaé et ce qu'il était presque certain d'avoir découvert.
Parti le matin même très tôt, il arriva en vu du château en début de soirée. La bâtisse ressemblait à Giudecca mais en moins massive. Les tours à créneaux et les donjons aux toits pointus rappelaient la forteresse d'Hadès. En pénétrant dans le domaine, il parcourut un immense parc visiblement entretenu. La Vicomtesse lui avait bien dit qu'elle avait un intendant compétent. Mais il ne poussa pas plus loin ses observations. Plus il approchait, plus son cœur battait.
Il mit pied à terre devant l'entrée principale. Un écuyer prit immédiatement Thread en charge et le mena aux écuries où il serait traité avec les plus grands égards. Un majordome l'invita à entrer et le fit patienter dans un grand salon sobrement meublé tandis qu'il allait avertir la maîtresse des lieux qu'elle avait un visiteur et pas des moindres.
- Seigneur Minos ? fit-elle en entrant. Que me vaut le plaisir de votre visite ?
Sans réfléchir, il marcha vers elle, la prit dans ses bras et l'embrassa. Elle s'abandonna avec plaisir à cette étreinte dont elle rêvait depuis des jours.
- Je devais vous voir, lui murmura le Duc avant de l'embrasser à nouveau.
- Votre ardeur m'inquiète…
- Y a-t-il un endroit plus… tranquille où nous pourrions discuter ?
- Venez…
Elle ordonna qu'on ne la dérange pas et le guida dans un labyrinthe de couloirs éclairés par des torches. Contrairement à Giudecca qui avait su capter la chaleur du volcan pour se chauffer, Thalamée était glaciale. Seules les pièces les plus fréquemment utilisées, bénéficiaient d'un feu de cheminée permanent et rigoureusement entretenus par les serviteurs.
Elle fit entrer Minos dans ses appartements privés et l'invita à s'asseoir sur un large et confortable fauteuil alors qu'elle-même prenait place dans un autre, face à lui.
- Désirez-vous vous restaurer ? Je peux vous faire amener quelque chose.
- Avec plaisir… J'ai chevauché toute la journée sans m'arrêter, ou presque, juste le temps pour mon cheval de reprendre des forces.
La Vicomtesse appela une servante à qui elle demanda de porter un repas chaud et du vin. Revenant près de Minos, ses yeux étaient emplis d'une certaine anxiété.
- Eh bien, Seigneur Minos, pour quelle raison vous êtes-vous tant hâté jusqu'ici ? Quelle importance peut bien avoir mon domaine pour que vous vous déplaciez en personne ?
- Ce n'est pas tant votre domaine que vous, ma chère. Il faut que je vous demande certaines choses… Des choses qui ont un rapport avec… avec la nuit que nous avons passée ensemble… hésita-t-il tout en mangeant.
- Vous venez m'annoncer que vous ne comptez pas poursuivre notre relation, c'est bien ça ? souffla Pasiphaé, d'une voix à peine audible, les joues écarlates.
- Bien au contraire… Mais il y a des questions auxquelles je me dois de trouver des réponses, sans quoi je vais devenir fou. Et vous seule pouvez m'éclairer.
- Je ferai de mon mieux pour y répondre, affirma-t-elle, les yeux brillants d'un espoir qu'elle ne voulait pas voir trop gonfler par crainte d'être déçue.
- Elles sont d'une nature assez intime et je ne voudrais pas vous mettre dans l'embarras. Aussi, je comprendrai que vous ne vouliez pas répondre à toutes.
Il lut de la gratitude dans ses beaux yeux bleus. Elle lui était reconnaissante de lui accorder le droit de taire certains détails si ceux-ci la gênaient trop.
- Nous avons partagé la plus grande intimité qui soit entre un homme et une femme, Seigneur Minos. Je n'ai plus rien à vous cacher.
Alors, avec beaucoup d'hésitation, cherchant ses mots pour ne pas la choquer, le Duc posa ses questions. La Vicomtesse fut effectivement surprise, mais elle répondit, parfois en souriant, parfois en rougissant mais toujours en baissant les yeux pudiquement.
Bien plus tard, au terme d'une étreinte qui les laissa sans force, elle lui avoua n'avoir jamais rien ressenti de tel. Et surtout, elle lui confirma qu'aucune douleur ne lui avait déchiré le corps. Comprenant alors qu'elle n'était en rien responsable de l'infertilité de son mariage, elle s'endormit paisiblement dans les bras de l'homme dont elle était amoureuse.
De son coté, le Duc se demandait maintenant comment il allait annoncer la nouvelle à son amant. Parce qu'il devait bien admettre qu'il éprouvait de tendres sentiments pour cette femme qu'il sentait forte et fragile à la fois. Certes, ils étaient beaucoup moins intenses que ceux qu'il avait pour le Duc de Garuda mais, il ne pouvait les ignorer. S'il épousait la Vicomtesse, il devrait la garder près de lui jusqu'à ce que la nature et ses bons soins fassent leur œuvre dans son ventre. Après, il la renverrait à Thalamée pour qu'elle y élève leur enfant et lui serait libre de vivre sa passion avec Eaque. Mais en attendant, étant donné le caractère jaloux que semblait avoir ce dernier, les choses risquaient d'être mouvementées. Et il ne voulait pas que Pasiphaé apprenne que son cœur était déjà pris alors qu'elle venait de lui offrir le sien avec toute la générosité dont elle était capable. Et encore moins que son rival était un homme…
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Ce même jour Rhadamanthe avait convoqué Dame Pandore d'Heinschtein, adoubée Chevalier depuis quelques mois par le Roi, et Zelos, Chevalier d'Amphibis. Le plan ayant été arrêté, il fallait maintenant l'appliquer dans les plus brefs délais. Le Duc avait été droit aux faits et ses deux espions réfléchissaient aux problèmes qu'ils pouvaient rencontrer dans l'accomplissement de leur mission.
- Et si jamais elle perdait le bracelet ? demanda Pandore en regardant avec crainte et méfiance l'objet posé sur le bureau de son supérieur.
- Impossible, lâcha calmement le Magicien qui assistait aussi à l'entrevue. Lorsqu'elle le refermera sur son poignet, le sort le verrouillera. Il ne pourra plus s'ouvrir sauf si je brise le sortilège.
- Vous êtes bien certain que nous ne devrons pas l'attacher ou je ne sais quoi pour la ramener ici ? s'enquit à son tour Zelos plus que prudent avec la magie qui lui valait sa difformité et sa laideur à en croire ce que lui avait raconté sa mère.
- C'est même elle qui vous sommera de l'amener le plus vite possible jusqu'ici.
- Avez-vous déjà une idée de la façon dont vous allez vous y prendre ? les interrogea le Duc redevenant plus pragmatique.
- J'ai une idée, si Zelos est d'accord, fit Pandore en jetant un coup d'œil à son "frère". Votre idée de réfugiés m'a inspirée.
- Nous t'écoutons.
- Nous pourrions nous faire passer pour des marchands de breloques en tout genre. Il nous faudrait un chariot équipé de toute sorte d'objets à vendre dont des bijoux. Une fois que nous aurons passé les portes de la ville jusqu'au marché, il ne nous restera plus qu'à savoir à quoi ressemble cette fille et lui passer le bracelet au poignet.
- A t'écouter ça semble simple, railla le Chevalier d'Amphibis en reniflant avec mépris.
- Si tu as une autre idée, nous sommes toutes ouïes ! rétorqua la jeune femme, sarcastique.
- Non, je n'en ai pas…
- Alors arrêtons là ! gronda Rhadamanthe, inquiet quant à l'alliance entre ces deux là et agacé par leur attitude l'un envers l'autre.
Pourtant, il les savait parfaitement capable de mener à bien cette mission. Ni l'un, ni l'autre n'hésitait devant le danger. Ils savaient très bien se battre et tuaient de sang froid si cela était nécessaire.
- Demain vous aurez votre chariot équipé. Pendant ce temps, faites vos bagages. Ne prenez que l'indispensable. Des vêtements très chauds et des armes que vous pourrez dissimuler aisément.
- Par contre Seigneur Rhadamanthe, reprit Pandore, nous allons être ralenti par le chariot justement. Donc, il va falloir rallonger un peu notre délai pour agir.
- Ne t'inquiète pas de ça. J'y ai pensé. Autre chose ?
Les deux espions se regardèrent, haussèrent un sourcil de compréhension et se tournèrent vers le Duc, sans ajouter un mot.
- Bien. Au travail !
Une fois seuls, les deux hommes laissèrent passer quelques instant, certains qu'ils allaient revoir l'un ou l'autre très bientôt. Effectivement, Zelos passa la tête par l'entrebâillement de la porte, entra sur un signe de son chef et avec un piteux sourire d'excuse, prit le bracelet qu'ils avaient oublié avec Pandore.
- Tu es vraiment sûr qu'on peut compter sur eux ? demanda Queen, dubitatif.
- Les yeux fermés. Tu peux me croire, il n'y a pas meilleur qu'eux comme comédiens pour faire avaler des couleuvres à qui a le malheur de les écouter. Et ce sont des assassins comme tu n'en rencontreras probablement jamais. Zelos est capable d'égorger un homme tout en comptant fleurette à une jolie fille sans même que celle-ci s'en aperçoive.
- Tu n'exagères pas un peu ?
- A peine… sourit le Duc. Au fait, je suis curieux de savoir comment ton bracelet ensorcelé va agir sur notre cible.
- Tu ne veux quand même pas que je te dévoile mes petits secrets, répondit le Marquis, avec un rictus énigmatique. Mais rassure-toi. Lorsqu'elle l'aura au bras, elle ne voudra plus qu'une chose, voir le Mont Elysion. Ce besoin enflera en elle rapidement et en moins de trois jours, elle voudra partir avec nos deux marchands de breloques. Elle gardera jalousement ce petit secret et même sous la torture, elle n'en dira rien.
- Rappelle-moi de ne jamais t'avoir comme ennemi, fit le Duc avec un léger rire.
Queen sourit et laissa Rhadamanthe à ses occupations pour rejoindre les siennes. L'hiver était rude et les malades avaient bien besoin de ses soins médicaux…
A suivre…
J'espère que vous avez aimé. Dans le prochaine chapitre, vous découvrirez le Royaume du Sanctuaire.
(1) Dans les Enfers, le Pyriphlégéton est un lac de sang. D'après Kurumada et sa vision des lieux, il est situé dans la première vallée de la sixième prison. Je n'ai bien sûr retenu que le nom. . pour plus de détails.
(2) Milly ou la terre natale, Alphonse de Lamartine (1790 - 1869) J'ai trouvé que ce texte s'accordait bien au vécu de la plus part des convives du banquet. Même si c'est un poème, il pourrait tout à fait être mis en musique.
(3) Le rideau de ma voisine, Alfred de Musset (1810 - 1857) Un texte léger, plein de sous-entendus sans être trop direct, que je pense être adapté à la scène. Il suggère juste ce qu'il faut.
