Disclaimer : Tout l'univers de Saint Seiya que vous reconnaîtrez aisément appartient à Masami Kurumada. Je ne retire aucun profit de son utilisation si ce n'est le plaisir d'écrire et d'être lue. Les personnages de la mythologie appartiennent à tout le monde et les autres, ceux que vous ne connaissez pas, sont à moi.
Genre : Univers Alternatif Heroic Fantasy Médiéval Fantastic. Aventure/Romance/Surnaturel. Certains couples sont très inhabituels. Het, Yaoi et lemon bien sûr.
Rating : M ou NC-18
Résumé : Complots, romance, magie et créature surnaturelles, comment les histoires de ces Quatre Royaumes vont-elles se mêler et se démêler ?
Les Royaumes du Sanctuaire et d'Asgard, alliés indéfectibles, mènent une guerre contre le Royaume des Océans depuis plus de cent cinquante ans. Au moment où débute cette histoire, les raisons de cette guerre ont été oubliées. Non loin, le Royaume des Ténèbres se relève doucement d'une guerre de succession qui l'a laissé exsangue. Après avoir été ennemis, ils finiront par unir leurs forces pour faire face à une menace bien plus grande encore. De l'action, de la romance, du complot politique, de la magie et des créatures surnaturelles sont au rendez-vous avec de nombreuses références aux mythologies grecque et celtique ainsi qu'au manga original de Masami Kurumada. Het, Yaoi et lemon bien sûr.
Sunny : Merci de ton commentaire et de ta fidélité à cette histoire. Julian est un enfant capricieux. Il veut tout, tout de suite. Et Kanon tente de lui faire rentrer dans le crâne que ça ne marche pas comme ça. La rencontre des jumeaux est encore assez lointaine, mais elle aura bien lieu.
Coriolys San : Merci également pour ta review et ta fidélité à L4R. Oui, Kanon m'inspire toujours, je l'adore ! ^^ Io est un personnage que j'aime bien. J'ai beaucoup aimé son combat contre Shun dans l'arc Poséidon. Et les choses continuent à se mettre en place. Voici le chapitre qui se déroule à Asgard, j'espère qu'il te plaira.
Chapitre 07
Année 10219 de la Licorne, Royaume d'Asgard, Palais de Glace, mois de janvier…
Après douze jours d'une chevauchée épuisante, Okko franchit la herse des remparts de la Cité de Walhalla. Depuis presqu'une semaine, il voyageait dans le froid, la neige et la glace. Le Royaume d'Asgard était situé à l'extrême nord du continent et l'hiver, tout était d'une blancheur aveuglante. Le vent glacial soufflait en fortes rafales, le soleil n'apparaissait que rarement. Il fit valoir son statut de héraut auprès du garde qui l'arrêta. Un garçon d'écurie vint prendre son cheval et lui fut conduit au Palais de Glace. Avant tout, on le mena aux cuisines où il put manger une soupe bien chaude accompagnée d'un morceau de pain. Puis il fut guidé dans un dédale de couloirs et de corridors avant d'arriver devant une lourde porte en frêne.
Il fut introduit dans un boudoir où il attendit un bon moment. Il était venu à plusieurs reprises dans ce lieu, mais il n'avait jamais fait attention à ce qui l'entourait. Curieux, il passa la main sur le mur et sursauta. C'était réellement de la glace ! Tout le château était bâti en blocs de glace taillés. Pourtant, il n'avait pas froid. Il faut dire que par rapport à l'extérieur, dedans, il faisait presque chaud. En s'approchant de la fenêtre qui donnait sur une mer grise et déchaînée, charriant d'énormes montagnes de glace, il sentit un courant d'air chaud. En levant la tête, il découvrit dans le mur, une grille qui cachait un trou. L'air sortait de là. Mais d'où venait-il ?
- Sa Majesté, la Reine Hilda va vous recevoir, fit la voix d'un garde derrière lui. Veuillez me suivre.
Le messager fut introduit dans un vaste bureau clair, aux fenêtres garnies de tentures blanches et grises. Derrière la table, un feu brulait dans une gigantesque cheminée. Okko songea qu'il fallait bien qu'elle ait cette taille pour chauffer une pièce aussi grande. Il s'agenouilla et attendit que la Reine lui adresse la parole la première comme le voulait la coutume dans ce Royaume.
- Soit le bienvenu, messager, l'accueillit la Souveraine, assise près de la cheminée dans un confortable fauteuil, en compagnie de l'un de ses collaborateurs.
- Mes respects, Majesté. Mon Souverain, le Roi Mitsumasa vous adresse ses salutations. Son Conseiller, le Seigneur Shion, m'a donné cette lettre avec l'ordre formel de vous la remettre en main propre. Je dois également attendre votre réponse.
Elle se leva et s'approcha du héraut en tendant la main.
- Relève-toi, je t'en prie. Voyons voir ce courrier.
Elle prit le rouleau de parchemin que lui tendait Okko et brisa le sceau de cire. Tout en marchant en direction de la fenêtre, elle le déroula et en prit connaissance. Puis elle revint vers la cheminée et le donna à l'homme qui était assis, silencieux.
- Il semble que cela confirme vos propres déductions, fit-il après avoir lu le courrier.
- Effectivement. Comment te nommes-tu ? demanda-t-elle au héraut.
- Okko, votre Majesté.
- Messager Okko, tu vas rester ici le temps que je puisse donner une réponse au Seigneur Shion. Garde ! Que l'on prépare une chambre à cet homme. Qu'il puisse se reposer et se laver. Il va rester ici quelques jours. Veillez à ce qu'il ne manque de rien.
- Oui, Altesse.
- Merci, Majesté, remercia Okko en s'inclinant puis il sortit du bureau derrière le garde qui referma la porte.
- C'est plutôt surprenant que le Seigneur Shion fasse une telle requête, observa l'homme, toujours assis.
- Non, pas vraiment. Je vais faire ce qu'il me demande. Il a vraiment l'air inquiet et je suis la seule à pouvoir l'aider.
- Tu vas observer les étoiles ce soir ? demanda-t-il, usant du tutoiement puisqu'ils étaient à nouveau seuls.
- Si le ciel est dégagé, oui. En attendant, je vais prier Odin de faire disparaître ces vilains nuages, minauda-t-elle en s'asseyant sur les genoux de son compagnon.
Elle posa ses lèvres sur les siennes avec la légèreté d'un flocon de neige. Aussitôt, il enlaça sa taille et l'attira contre lui. Elle se laissa faire en soupirant de bien-être.
- Depuis quand pries-tu les Anciens Dieux ?
- Depuis qu'ils t'ont offert à moi…
- Parce que tu as prié pour m'avoir ?
- Oui, absolument…, ronronna la jeune femme.
- Je suis flatté…
- Et amoureux ?
- J'aime ma Reine, mais je ne suis pas amoureux d'Hilda…
- Syd, tu voudras bien m'accompagner ce soir, si le temps est clair ?
- Tu vas tenter une transe ?
- C'est possible. Shion semble vraiment très anxieux et ce n'est pas son genre. Je le sens derrière ses mots.
- D'accord. Tu devrais prévenir l'Ambassadeur, peut-être.
- Non. Je n'informerai le Seigneur Hyoga que lorsque j'aurai quelque chose de concret… si j'ai quelque chose…
- Comme tu veux. Tu as encore beaucoup de travail ?
- Oui et non. Disons que je suis à jour pour le plus urgent. Il me reste encore à décider où nous allons bien pouvoir loger la nouvelle vague de réfugiés.
- Quand je pense qu'à Egide, ils sont au moins quatre à cinq fois plus nombreux que chez nous… murmura Syd, songeur.
- Il y a une sorte de petit marché qui s'est développé dans la grande cour du bas. Le troc va bon train.
- C'est une bonne chose que les gens vivent un peu en oubliant les raisons de leur présence chez nous. De plus notre climat n'est pas des plus accueillants…
- C'est pour cela que nous devons faire de notre mieux pour leur apporter un peu de réconfort et de bien être…
- Je suis tout à fait d'accord pour t'apporter du bien-être, souffla Syd dans le cou de la Souveraine qui sourit.
- Mon cher Duc, comment puis-je résister à une telle proposition ?
Le couple s'enlaça un instant avant de se séparer. Syd sortit et la Reine gagna son appartement, contigu à son bureau. Elle soupira d'aise. Elle se sentait bien. Dehors, le vent soufflait en tempête et n'avait fait que se renforcer depuis le matin. Elle ôta son chaud manteau et le posa sur le dossier d'un fauteuil. Dans sa chambre, elle constata avec plaisir qu'un bon feu réchauffait la pièce en plus des conduites qui soufflait un air chaud dans tout le Palais, directement capté des sources souterraines d'eau chaude. Elle remplit deux coupes en argent d'un vin léger et s'assit sur la fourrure d'ours blanc devant l'âtre. Son regard se perdit dans la danse des flammes. Elle s'en voulut de n'avoir pas consulté les étoiles depuis si longtemps et elle craignait ce qu'elle allait découvrir. Si Shion y avait vu une menace, elle qui avait une vision beaucoup plus sensible que la sienne, qu'allait-elle bien lire dans les cieux ?
Le léger bruit du bois que l'on frotte sur un autre, lui tira un sourire. Le Duc de Mizar s'était changé et venait d'entrer dans son appartement. Elle le sentit s'asseoir derrière elle et lui tendit une des coupes.
- Tu sembles bien songeuse, lui murmura-t-il en chatouillant son cou du bout du nez.
- Plus je réfléchis à ce message et plus il m'angoisse. J'ai hâte que la nuit tombe…
- Et si le ciel est couvert ?
- Il faut que la nuit soit claire… Sinon, il me faudra attendre un jour entier encore. J'ai l'impression que chaque instant est important… Le Duc vida sa coupe, la posa sur la petite table.
- L'important, c'est maintenant…, murmura-t-il tout contre les lèvres de la Reine.
Le baiser fut tendre, mais bien vite, il gagna en intensité et en ardeur. Rapidement, ils se retrouvèrent nus devant la cheminée. Les soupirs et les gémissements ne furent bientôt plus que le seul langage que les amants utilisèrent. Syd plongea son regard ambre dans les deux lacs limpides de sa maîtresse. Il lui sourit, elle baissa les paupières, toute à son plaisir. Le Duc avait parfaitement conscience de son statut privilégié de favori et depuis plus d'un an, il faisait tout ce qu'il pouvait pour le conserver. Le fait d'être le Premier Ministre ne garantissait pas qu'il reste favori. Si la Reine avait besoin de ses compétences gouvernementales, elle pouvait parfaitement se lasser de lui, comme cela était arrivé avec son confrère Siegfried de Dubhe, Ministre de l'Armée.
Il savait pertinemment qu'Hilda n'éprouvait aucun sentiment amoureux à son égard. Ce qu'elle aimait, c'était son corps. Le plaisir qu'elle pouvait obtenir en s'offrant à lui était la seule chose qui intéressait la Reine d'Asgard. Et ses amants le savaient. Lorsqu'elle se séparait d'eux, ce n'était jamais avec rancœur. Les choses étaient claires dès le départ. "Je t'offre mon corps, et je me sers du tien. Ne tombe pas amoureux de moi, car je ne t'aimerai jamais." Et trois ans plus tôt, le Duc de Dubhe s'était brulé les ailes. Lorsqu'elle avait mis un terme à leur relation, il avait sombré dans une profonde déprime dont il avait mis du temps à se sortir.
Il sentit le plaisir ultime lui embraser les reins alors que la jeune femme s'arquait entre ses bras en laissant échapper un râle de jouissance pure.
- Je ne connais pas de meilleur moyen pour passer le temps, lui chuchota-t-elle quelques instants plus tard, confortablement blottie contre son torse.
- Regarde, il fait nuit…
- Je vais me préparer. Tu devrais faire de même.
Ooooo00000ooooO
Le vent soufflait encore très fort, mais ce n'était plus le blizzard. La plus haute tour du Palais de Glace était une esplanade ouverte sur les quatre horizons. Loin de toute lumière, le ciel offrait son plus beau spectacle. Revêtue d'une épaisse robe de laine et emmitouflée dans un manteau en fourrure d'otarie, la capuche rabattue sur sa tête, la Reine Hilda gravit les marches qui menaient au sommet, suivit du Duc de Mizar, lui aussi chaudement habillé. Elle lui fit signe de rester en retrait tandis qu'elle s'avançait jusqu'aux créneaux. Levant son beau visage vers la voute céleste, elle ferma les yeux quelques instants. Le bruit des vagues qui se fracassaient avec une force inouïe aux pieds de la falaise en haut de laquelle se dressait le Palais, était comme les battements irréguliers d'un cœur. Hilda devinait plus qu'elle ne voyait, la mer déchainée, l'eau glaciale et noire.
Elle se laissa lentement envahir par l'immensité du ciel. Petit à petit, elle la sentit la posséder. Elle rassembla son énergie et la lança vers les étoiles, la sentant pulser au rythme des vagues. Son esprit abandonna son corps et elle dériva très vite vers les points lumineux. Elle passait près d'eux, contemplant leur beauté, leur lumière.
Presqu'aussitôt, elle trouva le message parlant du Roi Hadès. "Vaincu mais pas perdant" était comme écrit en lettre de feu. Il était impossible de ne pas le voir. Elle se concentra sur d'autres alignements, tentant de les interpréter. Son esprit fut envahi de crainte. Ce qu'elle découvrit en direction de l'étoile Sirius lui confirma qu'un danger indéterminé menaçait le monde qu'elle connaissait. Il s'agissait d'une guerre encore plus meurtrière que celle qui les opposait, Asgard et le Sanctuaire, aux Océans depuis des décennies. Ces trois étoiles rouges qui pulsaient lentement en étaient la preuve. Mais lorsque son esprit pivota, c'est comme si l'enfer venait de s'ouvrir devant elle. Le cri qu'elle poussa alerta le Duc qui se précipita pour la rattraper dans ses bras alors qu'elle s'écroulait, sans connaissance. Il la souleva et regagna la chambre royale avec son précieux fardeau.
Allongée sur son lit, tremblant encore au souvenir de ce qu'elle avait vu, la Reine serrait la main de Syd dans la sienne.
- Il faut que j'écrive immédiatement ce que j'ai vu, murmura-t-elle, avant que cela ne s'estompe de mon esprit.
- Tu es épuisée. Attend un peu…
- Non. C'est trop important. Donne-moi mon écritoire(1), s'il te plait.
A contre cœur, Syd obéit. Hilda se calla contre les coussins et posa l'objet sur ses jambes. Elle l'ouvrit et en sortit le flacon d'encre, une plume d'oie et une feuille de parchemin. Ne faisant plus du tout cas de la présence de son amant, elle commença à rédiger sa lettre.
A l'attention de Shion, Chevalier de Jamir, Médecin et Conseiller Privé de Sa Majesté Mitsumasa, Souverain du Royaume du Sanctuaire.
Chevalier,
Votre courrier me trouve en excellente santé et j'espère qu'il en va de même pour le Roi Mitsumasa, ses proches ainsi que vous.
J'ai pris acte de votre demande et j'ai observé les étoiles. Votre inquiétude est malheureusement plus que justifiée. J'ignore encore pourquoi le Roi Hadès tient une place si importante dans le ciel, mais vous aviez bien perçu la menace plus grande qui s'approche. Ce que je peux dire, c'est qu'elle révèlera sa nature dans les mois qui viennent
Par contre, j'ai entrevu un drame qui va frapper votre Royaume dans les prochaines semaines. Je ne peux être plus précise et c'est bien la première fois que cela se produit. D'ordinaire, j'arrive à déterminer de quel évènement il s'agit, mais là, les étoiles sont muettes. C'est comme si l'avenir était trop incertain pour qu'elles me le dévoilent clairement. Et cela ne m'inquiète que d'avantage.
Je vous demande d'être très prudent et très attentif aux signes précurseurs qui pourraient vous avertir de l'imminence du danger. Une chose est certaine, nos deux Royaumes vont trouver un allier inattendu. Peut-être s'agit-il du Roi Hadès et ce serait la raison de sa présence dans le message des étoiles, mais je n'en ai aucune certitude.
Je vous envoie ma réponse par l'entremise d'un faucon. C'est un oiseau rapide et intelligent. Je suggère que désormais, nous correspondions de la sorte pour gagner du temps. Notre magie fera le reste, je sais que vous me comprenez. Votre messager arrivera certainement plusieurs jours après le faucon.
Assurez le Roi Mitsumasa de mon amitié et de mon soutien inconditionnel. Je vais poursuivre mes observations et je vous tiendrai informée s'il y a du nouveau.
Hilda de Polaris, Souveraine du Royaume d'Asgard.
Syd apporta une bougie et un bâton de cire rouge à la Reine. Elle imprima son sceau dans la goutte qu'elle fit couler au bas de la lettre, puis la roula avant de la sceller de la même façon.
- Tu peux attendre demain pour l'envoyer, non ?
- Je ne devrais pas mais je suis trop fatiguée pour invoquer mes pouvoirs. Je crains de manquer de puissance ou de précision. Et c'est trop important pour que je prenne ce risque.
- Veux-tu que je t'apporte quelque chose ? demanda le jeune homme en caressant du bout des doigts le front et la joue de sa maîtresse.
- Non, c'est gentil. Je veux juste dormir maintenant.
- D'accord, murmura-t-il en déposant un tendre baiser sur les lèvres encore glacées de la Souveraine. Je serais dans le salon si tu as besoin de quelque chose.
- Merci. Il va falloir que je songe à nommer un nouveau Chambellan, sourit-elle. Tu ne peux pas être en permanence à mes côtés.
- Et pourquoi pas ?
- Parce que tu as autres choses à faire. Tu dois assumer ta fonction.
- Ne t'inquiète pas de cela. Allez, dors maintenant. Demain matin, je serai là et nous irons appeler un faucon ensemble.
Il ne sut si elle entendit la fin de sa phrase. La Reine avait déjà les yeux fermés et sa respiration était profonde et régulière.
Ooooo00000ooooO
… deux ombres venaient vers elle. Leurs visages étaient flous. Elles étaient plus petites qu'elle et s'avançaient, mais sans jamais parvenir à l'atteindre. Derrière les deux silhouettes, une troisième, plus grande se détacha. Elle tendait un bras dans sa direction, comme si elle encourageait les deux plus petites à aller vers elle…
La Reine Hilda s'éveilla en sursaut. Rapidement et à voix haute, elle résuma son rêve pour elle-même avant qu'il ne disparaisse de sa mémoire. Se rallongeant avec un soupir, elle tourna la tête vers la fenêtre. Il faisait encore nuit, mais à cette époque de l'année l'aube ne rosissait l'horizon que tard dans la matinée. En sortant de son lit à contre cœur, elle frissonna. Le feu de la cheminée était encore allumé, mais les buches étaient presqu'entièrement consumées. Elle passa sa robe de chambre en laine épaisse et chaude et alla voir dans son salon. Syd était endormi sur la peau d'ours devant l'âtre pour ne pas la déranger dans son sommeil. Elle eut un sourire plein de tendresse.
Elle entendit des bruits venant du couloir et alla ouvrir la porte. Deux servantes portant une pile de draps discutaient. Elles s'arrêtèrent et s'inclinèrent devant leur Souveraine qui devina que si les deux jeunes femmes étaient là, alors certains de ses conseillers étaient déjà réveillés et au travail.
- Pour qui est ce linge ? leur demanda-t-elle.
- Pour le Seigneur Thor et l'Ambassadeur Hyoga, s'empressa de répondre l'une d'elle.
- Ils sont déjà debout ?
- C'est le milieu de la matinée, Majesté.
- Demandez aux cuisines qu'on m'apporte un en-cas pour deux.
- Bien, Majesté.
Le Reine referma la porte et revint auprès de son amant. Enroulé dans son manteau, il dormait profondément. Elle passa le dos de ses doigts sur la joue rappeuse puis sur le front. Le Duc ouvrit lentement les yeux et vit deux perles d'un gris bleuté qui l'observaient avec bienveillance.
- Il est déjà tard, il faut te réveiller, lui dit-elle d'une voix douce.
- Comment te sens-tu ? demanda le Duc en s'asseyant sur la peau.
- Je vais bien, mentit-elle, car son rêve la taraudait et l'inquiétait. J'ai demandé qu'on nous apporte un en-cas.
- Il faut que j'aille chez moi me changer.
- Tu iras après… Je dois réécrire le courrier pour Shion.
- Pourquoi ?
- Il faut qu'il soit plus petit pour être porté par un oiseau. Sur le moment, je n'y ai pas songé, pourtant j'en parle dans la lettre.
- Je vois…
Quelques coups discrets frappés à la porte les interrompirent. Un page entra et posa un grand plateau sur la table du salon de l'appartement de la Reine et se retira. Hilda et Syd s'attablèrent, mangèrent de bon appétit les tourtes au poisson à peine sorties du four et burent une infusion tonifiante qui les réchauffa. Le Duc abandonna sa Souveraine pour faire un brin de toilette tandis qu'elle faisait de même. Elle rédigea à nouveau la lettre pour Shion, et roula le parchemin très serré avant de le glisser dans un petit étui en cuir. Elle fixa sa cape sur ses épaules, passa un épais gant de fauconnier et sortit sur la terrasse de sa chambre. Le jour naissait à peine. Levant le regard vers le ciel qui recommençait à se charger de lourds nuages, elle se concentra.
- Rendul ul me Horulus !(2)
Elle n'attendit pas longtemps avant d'entendre le glatissement d'un rapace. Sur le gris des nuages, elle vit la silhouette fine d'un oiseau qui planait, haut dans le ciel. Puis il replia ses ailes et se laissa tomber comme une pierre vers la Reine avant de les redéployer pour freiner sa chute et venir se poser avec grâce sur le point ganté qu'elle lui tendait. Leurs regards se fondirent l'un dans l'autre comme s'ils parlaient le même langage. Elle fixa l'étui de cuir à la serre du faucon et invoqua la magie.
- Gedbal ria paralin ! Vlanek Shion ! Ioline, arta im ! (3)
Elle lança son bras vers le haut et l'oiseau prit son envol. Il s'éleva dans le ciel pour atteindre les vents dominants qui le porteraient, lui faisant économiser ses forces. Sous l'influence de la magie, il prit la direction du sud. La Reine l'observa aussi longtemps qu'elle le put, priant pour qu'il atteigne son but. Bientôt, il ne fut plus qu'un point minuscule qui finit par disparaître. Hilda rentra et convoqua Okko dans son bureau où il fut introduit quelques instants plus tard.
- Ma réponse pour Shion étant très urgente, j'ai utilisé un faucon pour la lui faire parvenir. Je vais dire au Seigneur Hyoga que tu es là. Peut-être aura-t-il des courriers à te confier pour ton Souverain ?
Le messager se retira sans avoir prononcé une parole. Ce n'était pas ce qu'on lui demandait et il le savait. La Reine voulait juste le mettre au courant. Elle appela un garde pour qu'il aille chercher l'Ambassadeur du Sanctuaire. Celui-ci arriva rapidement et accepta la coupe de vin chaud que lui fit servir la Reine.
- Un messager du Sanctuaire est là, l'informa-t-elle. Il va repartir. Avez-vous des courriers à lui confier ?
- Puis-je savoir si les nouvelles qu'il apporte sont bonnes ? s'enquit le blond Chevalier.
- Les habituels rapports concernant les mouvements de populations. Sujets que vous connaissez aussi bien que moi, mon ami.
- Malheureusement, oui. Je vais effectivement lui donner des lettres pour diverses personnes.
- Je le fais appeler.
Okko entra à nouveau dans le bureau royal et s'inclina une fois de plus. Il portait sa tenue de voyage et il était prêt à reprendre la route.
- Est-ce que tout va bien au Sanctuaire ? lui demanda le Seigneur Hyoga en plissant les yeux.
- Aussi bien que possible étant donné les circonstances, Ambassadeur.
- Tu avais du courrier pour la Reine ?
- Oui, Monseigneur.
Okko se tut et Hyoga comprit qu'il n'en tirerait rien de plus. Il connaissait le messager de réputation et il savait qu'il serait inutile de le questionner davantage. Il ne dirait rien. Quoiqu'il entende, un héraut avait prêté serment de confidentialité.
- Accompagne-moi, je vais te donner des lettres pour diverses personnes au Sanctuaire.
- Je les leur remettrai le plus vite possible.
Plus tard, Hyoga le laissa partir à contre cœur. Il regagna le bureau de la Reine et s'assit sur un fauteuil qu'elle lui désigna.
- Majesté, rassurez-moi. Rien de grave n'est arrivé chez moi ?
- Non, Seigneur Hyoga. Ne soyez pas inquiet. De toute façon, quoi qu'il se passe vous seriez le premier informé, vous le savez.
- Oui, bien sûr. Mais je ne peux m'empêcher d'être anxieux.
- Voulez-vous vous faire remplacer auprès de moi ?
- Non, je n'en suis pas là. Et pardonnez-moi si je vous ai donné l'impression de ne pas être bien ici.
- Ce n'est rien et je vous comprends. Ceux qui vous sont chers vous manquent…
- C'est vrai, je l'avoue…
- Déjeunons ensemble, nous nous tiendrons compagnie, lui proposa-t-elle en souriant.
- Avec plaisir, Majesté…
- Mais j'y pense… Dame Freya, la jeune sœur de mon Ambassadeur, le Seigneur Albéric pourrait également profiter de ce messager pour écrire à son frère.
- Tous deux seraient certainement ravis de cette opportunité, acquiesça le Seigneur Hyoga avec un sourire de circonstances.
Il n'était pas dupe et avait bien compris que la Reine faisait tout ce qu'elle pouvait pour ne pas que leur sujet de conversation tourne autour de la situation au Sanctuaire.
- Angus ?
Un homme d'une quarantaine d'années, à la beauté sculpturale entra et s'inclina. Hilda prit le temps de le détailler comme elle le faisait à chaque fois qu'elle le voyait. Il avait des épaules larges, un regard noir et brillant sous des boucles de cheveux tout aussi noirs. Sa peau était légèrement hâlée et son visage, empreint de gravité. Un accident de cheval lorsqu'il était jeune l'avait privé de l'honneur de faire partie des Guerriers Divins du Royaume d'Asgard qui formaient la garde rapprochée de la Reine et lui avait valu une légère claudication. Mais son poste de secrétaire lui convenait puisque de cette manière il était proche d'Hilda et la servait avec tout le dévouement dont il était capable.
- Va dire à Dame Freya que je souhaite la voir.
- Bien, Majesté.
- Si elle veut écrire à son frère, elle pourra le faire ici, reprit Hilda à l'attention de l'Ambassadeur.
- J'ai le projet de faire un voyage au Sanctuaire lorsque le temps sera plus clément.
- Il vous faudra attendre encore un peu alors, mais je ne peux que vous encourager à le faire, mon ami. Cela vous permettra de vous ressourcer auprès des vôtres. Je reconnais bien volontiers que votre charge n'est pas des plus aisées. Loin de l'affection de vos proches, exilé dans un pays rude, presque agressif je dirais, pour qui n'en est pas natif, ce doit être parfois difficile à supporter.
- La mission qui est la mienne et votre présence m'aident à trouver le courage qui parfois menace de me faire défaut.
- Ne soyez pas gêné de m'avouer une telle chose, sourit la Reine, je comprends tout à fait. Entrez !
Une jeune femme passa la porte avec un sourire éblouissant aux lèvres.
- Dame Freya, l'accueillit la Reine. Joignez-vous à nous.
- J'ai été surprise par votre invitation, Majesté, fit-elle en prenant place sur le siège voisin de celui de Hyoga.
- Un héraut est arrivé du Sanctuaire et va bientôt repartir. L'ambassadeur lui a confié des lettres. Peut-être souhaitez-vous écrire à votre frère ?
- Bien sûr ! Je serais ravie de profiter de cette opportunité. Majesté, comment vous remercier ?
- Allons, ce n'est rien. Vous pouvez utiliser mon bureau pour rédiger votre missive. Mais faites vite. Le messager est pressé de prendre la route.
Okko fut à nouveau convoqué et n'emporta pas moins de six courriers. La Reine convia Dame Freya à déjeuner avec le Seigneur Hyoga et elle-même. Ils terminaient de manger lorsque le Duc de Mizar demanda à être reçu.
- Ma Reine, je dois me rendre d'urgence dans mon duché. Il semble qu'un accident se soit produit qui requiert ma présence.
- Rien de grave, j'espère.
- Je n'ai malheureusement pas plus de détails à vous donner.
- Ne perdez pas de temps. Faites vite et soyez prudent.
- Le Duc est un homme clé du gouvernement, observa Freya lorsqu'il fut sorti. Ne va-t-il pas vous manquer ?
- A l'évidence. Mais je préfère qu'il soit rassurer concernant son domaine et me priver de ses compétences quelques jours plutôt que de devoir travailler avec un homme qui n'aura pas totalement la tête à ce qu'il fait. J'espère que votre frère se porte bien, termina-t-elle en regardant Freya.
- Moi également, Majesté. Il me manque beaucoup.
- Pourquoi ne l'avez-vous point accompagné ? demanda Hyoga en essuyant d'un geste élégant les coins de sa bouche avec une serviette, espérant par-là camoufler le trouble que la jeune femme faisait naître en lui à chaque fois qu'il se retrouvait en sa présence.
- Notre père ne peut rester seul. Et bien que j'aie confiance en nos serviteurs, je ne peux me résoudre à le laisser à leurs soins. C'est à moi à m'occuper de lui.
- Et comment se porte-t-il ? s'enquit Hilda, faisant montre d'un intérêt tout particulier à l'égard d'un homme qui avait si bien servi son père.
- Eh bien… Parfois, il sait qui je suis, à d'autres moments il me prend pour ma mère. Il me demande des nouvelles d'Albéric, et quand c'est moi qui lui en parle, il ignore de qui il s'agit, il… il oublie qu'il a un fils. La plupart du temps, il reste devant la fenêtre de sa chambre à observer le lac, sans prononcer un mot.
- C'est bien triste, ma chère. Ce ne doit pas être facile tous les jours…
- Il m'arrive parfois de souhaiter que son calvaire prenne fin rapidement, murmura-t-elle, horrifier de son audace.
- Ne vous sentez pas coupable d'avoir de telles pensées, reprit l'Ambassadeur. Elles sont compréhensibles. Je crois que je vivrais assez mal de ne plus avoir toute ma tête ou de ne pas reconnaître ceux que j'aime. Ce doit être un supplice pour lui.
- Si vous avez besoin d'aide, je veux que vous veniez m'en parler, Freya. Est-ce bien clair ?
- Oui, merci Majesté. Les séjours que je fais régulièrement auprès de vous me permettent de reprendre courage. Lorsque je retourne chez moi, je suis plus forte… pour mon père et mon frère qui me l'a confié.
- Tiens, si dans quelques jours le temps nous le permet, que diriez-vous de nous rendre vous et moi dans ce petit marché qui semble s'être installer dans la basse-cour du Palais ? Peut-être trouverons-nous quelques babioles inutiles qui vous mettront du baume au cœur.
- Majesté… souffla la jeune femme plus que stupéfaite par la proposition de la Reine. Je ne sais pas quoi dire…
- Juste "Oui, Majesté, avec plaisir" sera suffisant.
La sœur de l'Ambassadeur observa sa Souveraine et éclata de rire face au sourire espiègle que celle-ci arborait.
- Oui, Majesté, avec plaisir, finit-elle par dire.
- A la bonne heure. De toute façon, je crois que cela me fera beaucoup de bien à moi aussi de sortir prendre l'air. Nous pourrions aussi faire une promenade à cheval.
- Pourrais-je me joindre à vous à cette occasion ? demanda Hyoga qui devait bien s'avouer qu'une chevauchée ne serait pas pour lui déplaire.
- Fort bien ! s'écria Hilda. Dès que le temps le permettra, nous dégourdirons les sabots de nos chevaux. Les pauvres bêtes doivent aussi être nerveuses à force de rester enfermées.
Lorsque la Reine se retrouva seule, elle réalisa que l'absence de Syd se faisait déjà sentir. Elle retourna à l'étude des rapports qui attendaient sur son bureau mais son esprit fut accaparé par son rêve de la nuit. Ces trois silhouettes qui venaient vers elle… Qu'est-ce que cela pouvait bien signifier ? Elle s'approcha de la fenêtre. Dehors, il ne neigeait plus mais le vent soufflait très fort. Il était glacial et faisait souffrir hommes et bêtes, même s'ils y étaient habitués. Aussi loin que remonte ses souvenirs, elle avait toujours vu un soleil bas sur l'horizon. Lors de ses quelques visites au Roi Mitsumasa, elle n'avait pu s'empêcher d'envier ce pays où l'astre du jour brillait si fort et si haut dans l'azur.
Depuis la nuit des temps, les hommes d'Asgard avaient appris à apprivoiser cette nature blanche et rude. Ils avaient inventé des vêtements, trouvé la nourriture, su comment bâtir des maisons résistant aux blizzards. Puis, la découverte des sources chaudes souterraines leurs avaient donné l'idée de capter la chaleur pour adoucir l'intérieur de leurs habitations. Ils avaient réussi à exploiter leurs quelques terres arables et leurs ressources pour apprivoiser cette région désertique.
Et elle, Hilda, était à la tête de ce peuple si digne de louanges et qui avait montré un courage exemplaire face à la Nature impitoyable. Elle veillait à ce que les ressources ne soient pas épuisées par une trop grande exploitation. Les peaux, les fourrures, la graisse de baleines et de phoques étaient régulièrement envoyés au Sanctuaire qui, en échange, fournissait du bois, du vin et des céréales. Asgard était désespérément dépourvu de forêts et les récoltes ne suffisaient pas à nourrir le peuple. Alors, il fallait bien trouver un complément à tout ce que la mer pouvait leur offrir ainsi qu'un matériau solide pour les bateaux de pêche couplé aux squelettes des grands mammifères marins. En effet, la courbure de certains os était parfaite pour constituer des coques solides, mais le bois était indispensable à la finalisation d'une embarcation.
Puis survint la guerre. Nul ne sait ce qui la provoqua, mais Asgard resta un allier inconditionnel du Sanctuaire. Sans se mêler directement des combats, ce petit Royaume du nord était comme un support arrière sur qui le Sanctuaire avait toujours pu s'appuyer. Sans lui, Hilda était presque sûre que les Océans aurait été vainqueurs. Elle retirait une certaine fierté du fait que les Souverains qui l'avait précédée avaient contribué à faire de leur voisin et ami, un bouclier. Mais d'un autre côté, elle savait que si l'Armée des Marinas était arrivée jusqu'à Asgard, le climat auquel les soldats n'étaient pas du tout habitués aurait été un précieux allié.
Dans le ciel, elle vit des goélands et des cormorans qui tournoyaient probablement au-dessus d'un banc de harengs. Les oiseaux plongeaient régulièrement et reprenaient leur envol avec un poisson dans le bec. C'était un ballet magnifique dont Hilda ne se lassait pas. Parfois, elle rêvait de la liberté accordée à ces animaux. Rien ne leur était inaccessible, aucune partie du monde. Elle était même persuadée qu'ils connaissaient des endroits magnifiques dont les hommes ne soupçonnaient pas l'existence.
- Angus ? appela-t-elle en se détournant de la fenêtre.
Son secrétaire avait un bureau juste à côté du sien et passait une bonne partie de son temps à recopier des documents pour les archives du Palais. Activité peut réjouissante et qui ne devait pas lui apporter beaucoup de distraction. Mais il accomplissait son devoir avec célérité et avait une très belle écriture.
- Puisque Syd est absent, je mangerai dans ma chambre ce soir. Ensuite, tu me feras préparer un bain.
- Bien, Majesté.
- Où en es-tu des copies des documents que je t'ai fait apporter ?
- Elles sont terminés et classées.
- Déjà ? s'étonna la Reine. Tu me surprendras toujours. J'aimerais que tu lises ceci et que tu me donnes ton avis.
- Je ne sais pas s'il sera aussi éclairé que celui du Seigneur Syd, ou l'un de vos Ministres, Majesté. Je n'ai pas leurs compétences, ni leur expérience.
- Justement. J'ai besoin d'un œil neuf. Viens, assieds-toi et prends ton temps.
Ooooo00000ooooO
Royaume d'Asgard, Duché de Mizar, mois de janvier…
Le Duc de Mizar arriva en vue de son château et son cheval accélérera l'allure comme s'il sentait l'écurie et la paille fraîche à laquelle il aurait droit. La nuit était presque tombée et Syd craignait de devoir finir sa route dans le noir. Mais sa monture avait mené un train d'enfer sans faiblir. Ils franchirent tous deux la herse et aussitôt un écuyer se chargea de l'étalon.
Syd entra dans le grand hall de la demeure et se dirigea vers l'office de son intendant.
- Dillon ! appela-t-il.
Un homme d'une cinquantaine d'année à la forte carrure de guerrier vint à sa rencontre. Il était vêtu comme un soldat avec un pantalon de cuir, un gambison et un baudrier portant une longue épée ainsi que deux couteaux dans leurs étuis. Sa barbe grisonnante était tressée et ses cheveux, réunis en catogan sur sa nuque.
- Monseigneur ! Enfin vous voilà !
- Que se passe-t-il ?
- Une partie de la falaise qui supporte l'aile nord du château c'est effondrée. Nous allons devoir condamner cet endroit. C'est beaucoup trop dangereux.
- Allons voir !
Les deux hommes se ruèrent dans les escaliers qui se faisaient de plus en plus étroits à mesure qu'ils les gravissaient. Syd poussa une lourde porte et eut un sursaut de stupeur de se retrouver à l'air libre en lieu et place d'un salon confortable. Il resta sur le seuil, interdit et effrayé.
- Il n'y avait personne ? demanda-t-il dans un souffle.
- Non ! La chance ou les Dieux, mais nous ne déplorons aucun accident.
- Je savais la falaise fragile mais pas à ce point…
- Nous avons eu une violente tempête, il y a trois jours et la foudre a frappé les rochers. Le sol a dû se fissurer et a fait perdre sa stabilité à l'édifice.
- Vous avez pu récupérer ce qu'il y avait ici ?
- En partie seulement. Mais il ne s'agissait que de meubles.
- Bien. L'escalier devra être condamné. Murez-le solidement. Nous allons reconstruire ce qui a été détruit de l'autre côté.
- Est-ce bien nécessaire, Seigneur ? Je veux dire que cette aile n'était pas utilisée. Elle ne va donc pas nous manquer.
- Et tu crois que je devrais mieux employer mes gens ?
- Je n'ai rien dit de tel….
- Mais tu l'as pensé si fort que je l'ai entendu… Et tu as parfaitement raison, comme toujours…
- Je me suis permis d'avertir votre frère également…
- Très bonne idée. Il n'est pas encore arrivé ?
- Il ne devrait plus tarder, du moins je l'espère. Il ne faudrait pas qu'il voyage de nuit avec ce temps instable.
- Je ne m'inquiète pas pour Bud…
Tout en parlant, les deux hommes avaient fait le chemin inverse et se retrouvèrent dans le grand hall. Dillon donna des ordres pour que les appartements du Duc et de son frère soient préparés au plus vite. C'est l'instant que choisi Bud d'Alcor pour faire son entrée. Les personnes présentes se figèrent, toujours surprises de voir les jumeaux face à face. Tous attendaient un sourire sur leurs lèvres, moment intense s'il en était, car c'est seulement là que les deux frères montraient l'affection qu'ils éprouvaient. Ensuite, c'était terminé. Le moment fort était passé. Ils se dirigèrent l'un vers l'autre et se donnèrent une franche et affectueuse accolade.
Ils se rendirent en courant dans les appartements de Syd où un serviteur raviva le feu de la cheminée et remplit deux coupes de vin.
- Cette vieillerie s'écroule ? plaisanta Bud en se laissant tomber sur un large et confortable fauteuil au dossier recouvert d'une fourrure de renard.
- J'en ai bien peur… Mais sans la foudre, rien ne serait arrivé !
- Tu n'en sais rien, Syd ! La dernière fois que je suis venu, je t'avais déjà montré des fissures dans cette partie du château. Mais tu ne m'as pas écouté.
- Si ! Je t'ai écouté. Mais si la foudre n'avait pas frappé la falaise, tout serait encore intact. J'avais prévu d'entamer des travaux de consolidation cet été.
- Mouais… Ben maintenant c'est trop tard. On pourrait aller voir dans quel état est la roche au pied, non ?
- J'allais te le proposer… Demain matin ?
- C'est d'accord.
- Et le duché d'Alcor ? demanda Syd, curieux.
- Il va bien. J'ai fait construire un quai plus long et plus large sur le fleuve pour les bateaux de pêche. En même temps il sert de digue pour protéger le port du courant trop fort.
- Bonne idée.
- Je crois que je vais te laisser. Je tombe de sommeil.
- Demain, nous irons au pied de la falaise. J'ai peur qu'elle ne soit plus endommagée qu'on ne le croit.
- Nous verrons cela demain. Bonne nuit.
- Bonne nuit, Bud…
Le lendemain matin, les deux Ducs se rendirent en haut d'un escalier taillé dans la roche et très escarpé. Le temps était calme, mais par grand vent ou lorsque la tempête faisait rage, il fallait descendre les marches en prenant soin de s'arrimer à la corde tendue entre des pitons plantés dans la pierre. Ils commencèrent leur descente avec une extrême prudence. Mais arrivée à la moitié du chemin, ils eurent la désagréable surprise de constater que la suite de l'escalier avait été emportée dans l'effondrement. Contraints de remonter, ils ne cachèrent pas leur déception.
- On pourrait y aller par mer, proposa Bud.
- Si le temps se maintient, on tentera ça cet après-midi.
Après un repas frugal, les deux frères embarquèrent sur un petit bateau avec six rameurs et un barreur qui manœuvrait le gouvernail. La houle était moyenne et le navire les mena sur la grève encombrée par les éboulis. D'énormes blocs de pierre parsemaient les lieux mêlés à des pans de murs et des morceaux de meubles. Syd et Bud escaladèrent les rochers, retrouvant çà et là des objets qui s'étaient trouvés dans les pièces écroulées. Une table, la toile d'un baldaquin, le chenet d'une cheminée. Syd fouilla les décombre tandis que Bud poursuivait sa montée. Arrivé devant la falaise, il leva la tête vers le sommet et aperçu les murs du château. Des yeux, il suivit les fissures dans la roche jusqu'à une excavation assez grande pour qu'un homme puisse entrer.
Il se glissa à l'intérieur, mais sans torche pour s'éclairer, il lui fallut bien vite faire demi-tour.
- Alors ? lui demanda Syd.
- La falaise entière est instable. Il y a une énorme fissure qui s'est ouverte dans la roche. On a besoin de torches.
- On verra demain, il commence à faire nuit.
Bud invectiva grossièrement ce pays froid où le soleil ne faisait que de trop brèves apparitions. Mais il ne prononça pas ses paroles à voix haute. De retour dans la chaleur du château, les deux Ducs s'octroyèrent une soirée paisible, discutant à bâtons rompus de ce coup du sort.
Au matin, ils refirent le même chemin. A l'entrée de ce qui ressemblait à une grotte, ils enflammèrent les torches qu'ils avaient emportées et s'aventurèrent à l'intérieur. Syd observa les parois de près. Quelque chose l'intriguait.
- On ne dirait pas que la fissure est récente, dit-il à son frère en élevant sa torche au-dessus de leurs têtes.
- Ça continue par là…
- Je n'aime pas cet endroit…
Ils s'engagèrent dans un boyau étroit où ils pouvaient tout juste se tenir debout. Après quelques mètres, ils débouchèrent dans une immense salle naturelle. Ce qu'ils avaient sous les yeux était tout bonnement incroyable. La roche reflétait la lueur des torches à l'infini et la caverne semblait s'être illuminée toute seule. Une lumière bleutée baignait l'endroit. Le bruit de chacun de leurs pas se répercutait sur les parois rocheuses. L'eau habitait les lieux dans des bassins aux fonds lisses et colorés, ou coulant dans des rigoles pour aller alimenter d'autres vasques. Les concrétions calcaires montaient du sol où tombaient du plafond. Ils avançaient toujours, regardant de tous leurs yeux cette grotte fascinante. Mais ils n'étaient pas au bout de leur surprise. Au centre, sur un sol qui paraissait fait de sable grossier, plusieurs pierres parfaitement rondes, reposaient là. Elles étaient si larges qu'ils n'auraient pu en faire le tour avec leur quatre bras.
- Qu'est-ce que c'est ? murmura Bud en s'approchant avec sa torche pour mieux voir ces sphères de roche.
- Je l'ignore, lui répondit son frère sur le même ton. Je ne connaissais pas l'existence de cette caverne sous mon château.
- Viens voir !
- C'est… le sceau de la Maison de Dubhe ! s'écria Syd, l'écho répétant violemment le dernier mot.
- Ce n'est pas un sceau. Il n'est pas gravé.
- Tu as raison. On dirait qu'il fait partie de la pierre elle-même.
- C'est à n'y rien comprendre !
- Inutile d'essayer ! Demain j'enverrai un messager à Siegfried. Il est le seul à pouvoir répondre à nos questions.
- Il a plutôt intérêt ! Quel toupet de mettre ces choses ici ! Il n'a qu'à les garder chez lui !
- Calme-toi, Bud ! Il n'est peut-être même pas au courant de cela. Ça semble très ancien…
- Peu importe ! Eh ! Regarde là-bas !
Dans le fond de la grotte, un passage indiquait la présence d'un autre boyau, beaucoup plus large et qui semblait s'enfoncer sous la falaise.
- Attendons l'arrivée de Siegfried, murmura Syd en posant une main apaisante sur le bras de son frère. Nous reviendrons avec lui.
- Tu as sans doute raison…
Ooooo00000ooooO
Le pigeon se posa sur le rebord de la fenêtre du bureau du Duc de Dubhe. Le roucoulement persistant finit par sortir l'homme de la lecture d'un rapport de pêche. Il se leva et ouvrit la fenêtre. Il vit immédiatement l'étui de cuir à la patte de l'oiseau et s'empressa de le détacher pour lire le petit message qu'il contenait. Aussitôt, le volatile repartit pour son pigeonnier.
- Que j'aille le plus vite possible au duché de Mizar ? fit-il à voix haute comme pour se convaincre qu'il avait bien comprit les mot rédigés sur le petit bout de parchemin.
Il était peu fréquent que les Guerriers Divins d'Asgard communiquent ainsi entre eux. Ils se retrouvaient tous régulièrement au Palais de Glace pour assister aux Conseils Royaux et discutaient de toutes les affaires en cours. Ou bien, ils envoyaient des messagers. Il devait se passer quelque chose de grave ou d'important pour que Syd ait recours à ce moyen pour l'avertir. Sans réfléchir plus avant, il se prépara à partir. En chevauchant raisonnablement pour ne pas épuiser sa monture, il lui faudrait environ trois jours pour rejoindre le château de Syd. Le temps était plus calme mais, il pouvait se dégrader à une vitesse effrayante. C'est pour cela que l'hiver, les déplacements étaient réduits au stricte nécessaire. Il prit la route en début d'après-midi et atteignit le duché de Mizar quelques jours plus tard.
Ooooo00000ooooO
- Le Duc de Dubhe vient d'arriver, annonça Dillon à Syd qui observait son frère faire les cent pas devant l'immense cheminée du salon dans lequel ils patientaient depuis des jours. Comme un seul homme, les jumeaux se ruèrent hors de la pièce pour aller accueillir leur ami.
- Enfin ! Te voilà ! s'écria Syd en donnant l'accolade au nouveau venu.
- Mais que se passe-t-il ? Bud ? Tu es là aussi ?
- Viens te réchauffer, nous allons tout te raconter. Dillon pouvez-vous faire préparer une chambre pour le Duc ?
- C'est déjà fait, Monseigneur.
Syd sourit en guise de remerciement. Dillon avait un peu remplacé leur père lorsque celui-ci était mort d'une congestion pulmonaire après être passé à travers la couche de glace qui recouvrait un petit lac. Il avait vu les jumeaux grandir et savait comment ils fonctionnaient.
Les trois Ducs s'installèrent dans le salon et Siegfried écouta attentivement le récit qu'ils lui firent. D'abord de l'effondrement de la falaise puis de leur découverte dans la grotte.
- Mon sceau ? Vous êtes sûrs ? insista le jeune homme, incrédule.
- Absolument, lui confirma Bud. Nous le connaissons, il est impossible que nous le confondions avec un autre. Une infime différence ne nous aurait pas échappé !
- J'avoue que j'ignore de quoi il s'agit et j'ai hâte de le découvrir.
- Nous nous y rendrons demain, le rassura Syd en lui resservant du vin.
Ils dinèrent ensemble, devisant de tout et de rien mais revenant toujours sur ces mystérieuses pierres rondes que contenait la caverne. Ils gagnèrent l'étage où se trouvaient leurs appartements et Syd les laissa devant sa chambre. Bud accompagna Siegfried jusqu'à la sienne.
- Que va faire ton frère pour le château ?
- Rien. Je me demande même s'il ne va pas falloir le reconstruire entièrement, plus loin de la falaise. Ça devient trop dangereux.
- Je suis d'accord, mais ça risque d'être un chantier gigantesque et les temps que nous traversons ne se prêtent pas vraiment à ce genre d'activité.
- Je sais, mais même si je serais ravi d'héberger mon frère et ses gens si ce tas de pierres venait à s'écrouler complètement, ce que je ne souhaite pas bien sûr, il ne supporterait pas longtemps de ne pas être chez lui.
- Je le comprends… On se voit demain…
- Bonne nuit Siegfried, lui souhaita Bud avec une tape amicale sur le bras.
Ooooo00000ooooO
Les trois Ducs s'étaient rendus dans la caverne avec de nombreuses torches qu'ils étaient en train d'allumer et de positionner de façon à avoir un maximum de lumière. Les lieux étaient toujours baignés de cette lueur bleutée, un peu irréelle. Ils avancèrent jusqu'à la vaste salle et firent face aux pierres rondes. Le Duc de Dubhe fut stupéfait devant cette vision. Il s'approcha tout doucement, sa torche levée bien haut et découvrit l'emblème dans la roche. Aucun doute n'était possible. Il voyait nettement le dragon stylisé et la feuille d'arbre dans un cercle.
- Alors ? fit la voix de Syd dans son dos, le sortant de ses réflexions.
- C'est bien le blason des Dubhe.
- Sais-tu ce qu'il fait là ? demanda Bud, tout en passant une main gantée sur la surface rugueuse.
- Je n'en ai pas la moindre idée. Il n'a pas été apposé sur… cette chose. Il en fait partie.
- C'est ce qu'on a remarqué, poursuivit le Duc d'Alcor.
- On peut raisonnablement en déduire que ces… pierres t'appartiennent, conclut Syd en rejoignant les deux hommes après avoir fait le tour des sphères.
- Je dirais que oui, commença Siegfried, mais je ne m'explique pas leur présence ici, sous ton château.
- J'ignorais même que cette caverne existait.
- A votre avis, où mène ce boyau ? demanda Bud en indiquant un large passage dans le fond de la caverne.
- Il n'y a qu'un moyen de le savoir, murmura le Duc de Dubhe en se dirigeant d'un pas décidé vers l'ouverture.
- Attends ! s'écria Bud. Tout peut s'écrouler !
- Non… C'est solide…
Le ton convaincu de leur ami les laissa perplexes, mais les deux hommes le suivirent. Il n'était pas question qu'il s'enfonce dans l'inconnu tout seul.
A mesure que la lumière des torches éclairait le lieu, le tunnel se parait de cette même lueur bleutée pour s'éteindre dès que les trois hommes s'éloignaient. Les parois étaient relativement lisses. Les arêtes étaient arrondies, usées par le temps et l'érosion de l'eau qui suintait le long de la roche. A vue d'œil, une dizaine d'hommes pouvaient marcher de front dans le passage et le double en hauteur, grimpés les uns sur les épaules des autres. A différents niveau, la roche semblait griffée. Des stries plus nettes, moins érodées en étaient la preuve, même si elles étaient également très anciennes.
Le silence était seulement troublé par le bruit des pas des trois hommes, répercutés à l'infini par l'écho. Ils ne parlaient pas, tous leurs sens aux aguets, prêts à faire face à un éventuel danger.
- Ça fait combien de temps que nous sommes là ? murmura Syd, les yeux levés vers le plafond.
- Aucune idée…, lui répondit son frère.
- Il fait plus froid, fit la voix de Siegfried devant eux. Ce doit être la sortie.
Ils débouchèrent sur un aplomb rocheux, à l'air libre. Au-dessus de leurs têtes brillaient les étoiles épinglées sur la soie noire du ciel de nuit.
- Où est-ce qu'on est ? s'étonna Bud en s'approchant du bord abrupt.
- On voit des lumières là-bas, indiqua Syd en regardant vers le nord.
- C'est Walhalla. On est au bord du Fjord de Walhalla. On entend la cascade d'Odin Tears(4), dit Siegfried.
- On a traversé sous la roche, de mon château au Fjord ? s'écria Syd, éberlué.
- Les hommes qu'on a laissés de l'autre côté doivent croire qu'on est mort, déclara Bud d'une voix lugubre.
- Vous aviez déjà remarqué ce trou dans la falaise ? s'enquit encore le Duc de Dubhe.
- Non, répondit Bud en regardant son frère qui secoua la tête.
- On devrait repartir, suggéra le Duc de Mizar en frottant ses mains sur ses bras. Il fait moins froid dedans.
- Les torches sont mortes, constata Siegfried en jetant la sienne par-dessus le précipice.
- On devrait peut-être se reposer un peu, non ? Nous n'avons ni eau ni nourriture, déclara Syd.
- Si on reste là, on va mourir de froid et le vent se lève, répondit son frère. Siegfried ? Ou vas-tu ?
Le Duc de Dubhe avait fait demi-tour pour retourner dans le tunnel. Il avançait sans lumière, mais ça ne semblait pas le gêner.
- On y voit à l'intérieur… venez…
Les jumeaux se regardèrent, un peu décontenancés par ces paroles, puis emboitèrent le pas de leur ami. Celui-ci leur tendit les mains.
- Ne me lâchez pas. J'y vois assez pour nous ramener de l'autre côté.
- Comment ça, t'y vois assez ? demanda Bud en s'arrêtant, forçant les deux autres à faire halte.
- Vous ne voyez pas cette lumière bleutée ?
- Non.
- Moi non plus.
- Allez, on y va. Ne lâchez pas mes mains.
D'un accord muet, les deux frères s'en remirent à leur ami. Ils parcoururent le chemin en sens inverse.
- Messeigneurs ! Les Dieux soient loués ! Vous êtes vivants !
- Dillon ? Que faites-vous là ?
L'intendant, suivit de deux serviteurs armés de torches, venaient d'apparaître devant les trois Ducs qui poussèrent un soupir de soulagement.
- Vous êtes partis depuis hier après-midi. Ça fait un jour entier. On ne vous voyait pas revenir, alors j'ai pris la décision d'aller vous chercher. Je sais que vous nous aviez dit de rester à l'entrée, mais…
- Ne t'inquiète pas, sourit Syd. Vous avez bien fait. Nous n'avions plus de torches et nous avancions à l'aveuglette.
- Et nous mourrons de faim ! s'exclama Bud.
- Nous ne sommes plus très loin de l'entrée de la caverne, Monseigneur.
Siegfried fermait la marche. Depuis qu'ils étaient à nouveau rentrés dans le boyau, une sensation étrange lui étreignait la poitrine et l'esprit. Il avait l'impression d'entendre des murmures que les autres ne percevaient pas, sinon, ils en auraient immanquablement fait la remarque. Des soupirs graves, des grondements lui traversaient la tête et cela s'intensifiait à mesure qu'il approchait de la grande salle.
- Mais il fut un temps où le duché de Mizar était à la place du duché d'Alcor et celui de Dubhe entourait complètement le Domaine Royal, disait Syd. Siegfried ?
- Oui, c'est juste. Mon ancêtre a offert une partie de nos terres pour la création du duché d'Alcor.
- C'est écrit dans nos Chroniques également. Alors il est possible que tout ça appartienne à ta famille, mais quand les frontières ont été modifiées, personne n'a songé à déplacer ces pierres, poursuivit le Duc de Mizar.
- C'est très certainement ce qui s'est passé, mais tout ça remonte à plus de mille ans, précisa le Duc de Dubhe qui sentait son malaise augmenter.
- Que s'est-il passé à cette époque ? demanda Bud en voyant Siegfried blêmir. Tu te sens mal ?
- Ce n'est rien, ça ira mieux quand j'aurai mangé un morceau. Il faudrait que je regarde dans les archives de ma famille pour te répondre plus précisément. Je ne connais pas cette affaire en détails.
- Tenez, Monseigneur, fit Dillon en lui tendant un morceau de viande de phoque séchée.
- Nous allons rentrer au château, prendre un repos bien mérité et je t'accompagnerai chez toi pour t'aider dans tes recherches, déclara Bud.
Les hommes avaient dressé un camp de fortune dans l'entrée de la caverne autour d'un bon feu pour passer la nuit. Alors que tous dormaient, Siegfried, lui, n'arrivait pas à trouver le sommeil. Il quitta ses fourrures et retourna dans la vaste salle où se trouvaient les pierres rondes. Il s'avança entre elles, entendant toujours ces bruits dans sa tête. Sans même faire attention à son geste, il passa sa main nue à la surface de l'une d'elle. Un crépitement et un choc la lui fit vivement retirer.
- Alta Drakys(5)… entendit-il clairement alors que jusqu'à présent, ce qu'il percevait était incompréhensible.
Il caressa une autre sphère et le même phénomène se reproduisit. Un petit éclair blanc et un choc désagréable dans la main. Et à chaque fois, les mêmes mots. Il recommença sur chacune des pierres. En retournant se coucher, il avait l'impression d'être proche d'une découverte. Quelque chose que se trouvait à la lisière de son esprit, quelque chose de familier qu'il aurait dû comprendre, mais ça lui échappait dès qu'il tentait de se concentrer dessus, un peu comme un rêve que l'on essaie de se rappeler au réveil et qui fuit inexorablement.
Lorsqu'il ouvrit de nouveau les yeux, il vit Dillon qui ravivait le feu. Les hommes s'éveillèrent et après avoir bu une infusion chaude et mangé un morceau, ils commencèrent à plier le camp. Dans le bateau qui les ramenait au Château de Mizar, Siegfried faisait de son mieux pour cacher son trouble. Il y parvint, personne ne lui posa de question sur son attitude silencieuse et légèrement pensive.
Siegfried et Bud quittèrent le duché de Mizar pour celui de Dubhe en début d'après-midi. Syd leur promit de les tenir informé de l'évolution de l'état de la falaise. Trois jours plus tard, ils entraient dans le Château de Dubhe et après s'être restaurés, Siegfried invita Bud à se détendre dans un bassin d'eau chaude venant directement d'une source située sous la bâtisse.
- Ces sources sont un don des Dieux, murmura Bud, somnolent.
- Un petit confort bienvenu dans un pays comme Asgard, renchérit le maître des lieux en faisant signe à un serviteur de lui donner un drap pour sortir de l'eau. Viens te faire masser et seulement ensuite tu pourras te dire que tu as atteint Ynys Afallach(6) !
En riant, les deux hommes s'abandonnèrent aux mains expertes des serviteurs qui s'employèrent à dénouer leurs muscles fourbus par trois jours de chevauchée. Le lendemain matin, après une nuit d'un sommeil sans rêve, vêtus d'habits d'intérieur élégants et confortables, ils entrèrent dans l'immense bibliothèque où étaient conservés tous les documents importants de la famille de Dubhe depuis que le parchemin avait été inventé.
- J'espère qu'il y a une certaine organisation dans le rangement, fit Bud en voyant les milliers de livres et de rouleaux entassés sur des étagères qui atteignaient le plafond de l'immense pièce.
- Heureusement, sinon je ne serais même pas rentré, lui répondit Siegfried en souriant. Les plus anciens documents sont là-haut, lui expliqua-t-il en montrant une étagère sous les poutres, à gauche. Tu longes l'étagère jusqu'au bout, tu descends sur celle d'en dessous et tu recommences dans l'autre sens.
- Tu fais des S.
- C'est ça. La modification des frontières date d'environ mille ans... Ça doit se trouver… par là.
- Les documents sont mélangés ?
- C'est-à-dire ?
- Les rapports de conflits côtoient les rapports de voiries par exemple ?
- Euh… j'en ai bien peur…
- Qu'est-ce qu'on cherche exactement ?
- Un document portant le sceau des Polaris. Seul le Souverain a le pouvoir de redistribuer les terres ou d'approuver un don. Dubhe a fait don d'une partie de ces terres pour la création de ton domaine. Le parchemin doit donc avoir la signature du Roi ou de la Reine de l'époque.
- Bien… déjà ça limite…
Ils déjeunèrent et dinèrent dans la bibliothèque et allèrent se coucher sans avoir rien trouvé. Le jour suivant, ils se remirent à la tâche dans un silence concentré et studieux. Pendant les repas, Bud interrogeait Siegfried sur l'histoire de sa famille, curieux mais aussi, espérant que dans les réponses qu'il obtenait, il décèlerait un indice qui pourrait les mettre sur la voie.
- Que dirais-tu de faire une pause cet après-midi ?
- Que me proposes-tu ?
- On pourrait s'entraîner un peu au combat…
- Ça te manque de ne pas manier une épée ? plaisanta Bud, le regard brillant d'excitation à l'idée d'affronter un homme de son niveau.
- Non, mais ça nous changerait un peu…
- D'accord. On termine cette pile et je suis ton homme !
Ils consultèrent encore des parchemins poussiéreux pendant un long moment quand Bud interpella son ami.
- C'est le document approuvé par le Roi de l'époque du don des terres du duché de Dubhe pour la création du duché d'Alcor.
- Effectivement. Mais je serais curieux de savoir ce qui a motivé mon ancêtre ? Peut-être que dans les Chroniques Familiales…
Le Duc se dirigea vers un autre coin de la pièce et laissa son regard courir sur les rayonnages. Il se saisit d'un énorme livre et commença à le feuilleter.
- Bud ! Viens lire ça ! l'appela-t-il au bout d'un moment.
Le Duc d'Alcor parcourut les pages rapidement et ouvrit de grands yeux.
- Nous sommes parents, murmura Siegfried, abasourdi. La Duchesse de Mizar, qui était veuve et sans enfant, a eu une liaison avec le Duc de Dubhe à l'époque où son mari est mort et a donné naissance à des jumeaux. Tout le monde a cru qu'il s'agissait des descendants du Duc de Mizar. Et là, plus loin, il a écrit que pour assurer l'avenir de ses enfants illégitimes, le Duc de Dubhe a fait don d'une partie de ses terres pour créer un second duché, le mien, donnant comme raison à son geste l'immense estime qu'il portait à mon ancêtre et qu'il le considérait presque comme un frère.
- Il le tient en haute estime et il couche avec sa femme ? railla Bud. Et tout le monde a cru cette histoire. Mais ton aïeul a relaté la vérité dans les Chroniques Familiales.
- Tu sais aussi bien que moi que la passion amoureuse est une chose contre laquelle il est presque impossible de lutter, déclara Siegfried, d'un ton où perçait une pointe de fatalité.
- Tu ignorais ces détails ?
- Complètement. Depuis mille ans, c'est une histoire qui, si elle a fait partie de l'éducation des descendants de Dubhe, a fini par être oubliée. C'est un geste très noble de mon aïeul.
- Ce n'est pas moi qui vais m'en plaindre, mais je me demande d'où vient mon nom alors ? Alcor ? Et pourquoi le duché de Mizar a-t-il été transféré ?
- Je pense que la réponse se trouve dans les archives des Polaris.
- La famille Royale ? s'écria Bud. Mais comment justifier une telle recherche auprès de la Reine ?
- En lui disant la vérité, tout simplement. Hilda ne s'y opposera pas.
- Tu viendras avec moi ?
- Si tu penses que ma présence est nécessaire… je t'accompagnerai, soupira Siegfried après un temps d'hésitation.
Quand il avait perdu son statut de favori auprès de la Reine, le Duc de Dubhe avait plongé dans une profonde déprime. Il avait été très amoureux d'Hilda et pendant des mois, il avait été sur la corde raide. Mais grâce à la présence de ses amis et de son personnel qui l'avaient beaucoup entouré, il avait réussi à sortir de sa torpeur. Il avait recommencé à assister aux Conseils Royaux et, petit à petit, il s'était fait une raison. Mais il évitait d'être en présence de la Reine si cela n'était pas indispensable. Lorsque Syd avait pris sa place auprès de la Souveraine, il avait été content pour son ami mais inquiet aussi. Il espérait de toutes ses forces que le Duc de Mizar ne commettrait pas la même erreur que lui, tomber amoureux.
- Nous savons ce qu'il nous faut chercher. A deux, ça ira plus vite.
- Très bien. Et si maintenant nous allions fêter notre découverte avec un bon combat ?
Dûment équipés, les deux hommes se faisaient face dans la salle d'armes. Ils s'observaient, se jaugeaient, évaluant autant que faire se peut, le potentiel de l'adversaire. Ils ne s'étaient jamais affrontés. Soudain, avec une rapidité incroyable, Siegfried passa à l'attaque. Son épée semblait animée d'une vie propre et Bud eut du mal à éviter les coups. Puis, il se reprit et attaqua à son tour. Le Duc de Dubhe se fendit en défense tout en lançant des coups menaçants. Les deux hommes se souriaient. Ils avaient enfin un adversaire à leur taille. Bien sûr, chacun avait un maître d'armes mais leur niveau était si élevé que leurs professeurs respectifs n'avaient plus rien à leur apprendre. Ils s'entraînaient pour ne pas perdre la main et conserver leur rapidité, leur ruse, leur force. Alors quand ils avaient l'occasion d'affronter un combattant inconnu capable de leur résister plus longuement, ils en profitaient avec un plaisir non dissimulé. Bud cria et s'affaissa au sol. Aussitôt son compagnon se porta à ses côtés.
- Fais-moi voir, dit-il en écartant la main du Duc d'Alcor de sa joue.
- Ce n'est rien, une estafilade. Dans quelques jours, il n'y paraîtra plus.
- Viens par-là, il faut quand même désinfecter.
Bud suivit le maître des lieux vers un coin de la salle. Sur une table, il y avait des linges propres, une aiguière et son bassin et des sachets de plantes. Siegfried versa de l'eau claire dans un récipient en fer qu'il posa sur un brasero(7) et jeta un mélange d'herbes sèches qu'il fit infuser. Pendant ce temps, il essuya le visage de Bud avec un linge propre et estima la gravité de l'entaille sur la pommette.
- Je suis désolé, mais je crois que tu garderas une légère cicatrice.
- Ne t'inquiète pas, ce n'est pas ta faute. J'avais qu'à être plus rapide…
Le Duc de Dubhe plongea un tampon de tissu dans la préparation à base de thym, directement importé du Royaume du Sanctuaire, et commença à nettoyer la plaie. Le Duc d'Alcor grimaça sous le picotement.
- Dis-moi si je te fais mal…
- Ça va… On dirait que tu as fait ça toute ta vie, plaisanta Bud en tournant les yeux vers son ami.
- J'ai souvent vu mon maître d'armes le faire sur moi…
- Je suis sûr qu'il n'avait pas la main aussi douce…
- Tu trouves ?
Un silence étrange s'installa, pendant lequel les deux hommes s'observèrent à la dérobée, détournant le regard dès qu'il rencontrait celui de l'autre. Bud se sentit envahi d'un trouble étrange. La limpidité des yeux de Siegfried le mettait mal à l'aise et le fascinait en même temps. Jamais il n'avait eu l'occasion de les voir d'aussi près. Il fut surpris de constater à quel point ils étaient d'un bleu clair un peu gris, brillants d'intelligence et de noblesse.
- Je crois que tu peux arrêter, non ? fit-il en stoppant la main de son ami.
Il ne la lâcha pas pour autant, son regard planté dans celui de Siegfried. Puis la magie de l'instant s'en fût, loin.
- Tu devras désinfecter la plaie plusieurs fois par jour pour éviter qu'elle ne s'infecte et te laisse une vilaine cicatrice.
- D'accord. Tu le feras ? Moi je ne verrai pas ce qu'il faut faire…
L'un comme l'autre savaient que c'était un mensonge éhonté. Il suffisait pour cela de se placer devant un miroir.
- Si tu veux… Après tout, c'est moi qui t'ai blessé, je peux bien faire ça pour me faire pardonner…
- Tu tiens tant que ça à obtenir mon pardon ? demanda Bud, un sourire malicieux aux lèvres.
- Il y va de mon honneur de Guerrier Divin, rétorqua Siegfried sur le même ton.
- Il y a d'autres moyens pour ça…
- A quoi penses-tu ?
- Nous en rediscuterons le moment venu. Pour l'instant j'ai faim et j'ai besoin d'un bain.
- Vos désirs sont des ordres, mon Seigneur !
Les deux hommes regagnèrent les étages en riant. Dans le salon, un repas chaud les attendait auquel ils firent un sort après s'être changés. Puis ils descendirent dans la salle d'eau et se délassèrent dans un bassin rempli d'une eau chaude et cristalline, vêtu d'un simple drap en lin noué autour de leurs hanches…
A suivre…
J'espère que ça vous a plus. Le prochain chapitre se déroulera également à Asgard.
(1) Photo : Ecritoire. Le couvercle se soulève et la boite renferme des feuilles de parchemin, des plumes, un flacon d'encre et parfois un bâton de cire qui sert à signer et à sceller un courrier sur lequel l'expéditeur appose son sceau. La surface inclinée permettait d'écrire même allongé dans un lit. C'est un objet de valeur, souvent fabriqué dans un bois précieux et richement décoré.
(2) Viens à moi Horus !
(3) Porte mon message ! Trouve Shion ! Eole, guide-le !
(4) Photo : Haut de la cascade d'Odin Tears que les trois Ducs entendent lorsqu'ils surplombent le fjord.
(5) Seigneur des Dragons.
(6) Ynys Afallach, le paradis celtique.
(7) Photo : Brasero en fer forgé à l'intérieur duquel on faisait un feu pour chauffer certain endroits d'un château. On pouvait aussi y mettre de l'eau à bouillir. Celui-ci est décoratif, les cendres passeraient entre les lamelles de fer. Dans le cadre d'un objet utilitaire, le fût était une sorte de grosse bassine de forme identique percée de trous qui permettaient au feu de ne pas s'étouffer.
Photo : C'est un peu à cela que ressemble la caverne découverte par Syd et Bud sous le château. La voute est nettement plus haute et le sol est parcouru de filets d'eau pure et limpide.
Photo : Voici l'idée que j'ai en tête lorsque j'imagine le Palais de Glace. Il faut rajouter plus de tours, de donjons et d'étages au Château de la Reine Hilda, mais cette image est une bonne source d'inspiration.
