Sunny : Merci pour ta suis contente de voir que cette fic te plait toujours. C'est vrai qu'après vous avoir présenté les autres Royaumes plus cléments, les glaces d'Asgard peuvent surprendre.

Coriolys San : Merci de suivre toujours cette histoire. Asgard est certainement l'arc de l'anime qui m'attire le moins et mon inspiration s'en ressent parce que j'ai plus de mal à écrire dessus que pour les autres. Le suspens ira en s'épaississant pendant encore un bon moment. Je suis aussi très contente que tu aies pris le temps d'aller sur Antarès pour découvrir les musiques et surtout que ça te plaisent.

Shiryu : D'après ce que je lis, tu en es encore à la découverte de ce manga et de ses personnages. J'espère en tout cas que tu apprécieras encore plus le manga grâce à L4R.

Il y aura tous les personnages principaux que l'on connait. Certains seront plus présents que d'autres, mais ils seront là. C'est le choix que j'ai fait.

Un grand merci à tous les lecteurs qui sont discrètement passés lire cette fanfiction. Et pour ceux qui se demandent quelles sont les raisons de la cadence plutôt lente des mises à jour, je dirais qu'il n'y a pas de cadence établie étant donné que cela dépend de la disponibilité de mes bétas que je remercie encore du fond du cœur.

Vous retrouverez bientôt ce chapitre sur Antarès, dès que j'aurai mis les musiques.

Voici la suite. Bonne lecture.


Chapitre 08

Année 10219 de la Licorne, Royaume d'Asgard, cité de Walhalla, début février…

Le second mois de l'année n'était vieux que de trois jours lorsque Pandore et Zelos franchirent les portes de la capitale du Royaume d'Asgard. Ils accusaient un retard de près d'une semaine sur leurs prévisions et devraient en avertir le Duc de Wyvern et le Roi Hadès. Lorsqu'ils avaient passé la frontière nord du Sanctuaire, des chutes de neige les avaient considérablement ralentis. Sur un regard de "sa sœur", le Chevalier d'Amphibis rentra dans le chariot. Il sortit un morceau de parchemin, une plume et un encrier.

- Arrête de rouler ! cria-t-il de l'intérieur de l'habitacle.

- Quoi encore ? rétorqua la jeune femme, d'un ton excédé.

- Comment veux-tu que j'écrive lisiblement si ce truc avance ?

- Dépêche-toi !

Il griffonna quelques mots puis roula le parchemin et le glissa dans l'étui de cuir qu'il attacha à la patte du pigeon avant de le lancer dans les airs. L'oiseau partit vers le sud.

- J'espère que la magie du Seigneur Queen ne va pas s'évaporer en cours de route, marmonna l'homme difforme.

- Ton manque de foi est consternant.

- Je me méfie de la magie, c'est tout.

- Pourquoi ? Parce que ta mère t'as toujours dit qu'elle était responsable de ta laideur ? Comment peux-tu savoir que c'est la vérité ?

- Parce qu'elle me l'a dit !

- Et si elle n'avait cherché qu'un responsable en dehors d'elle-même ? Ou de ton père ? Tu ne l'as jamais connu. Peut-être était-il affublé d'une tare qu'il t'a transmise.

- Ferme-la espèce de garce ! Tu ne sais rien de moi alors inutile d'inventer n'importe quoi ! Démarre !

- Oh ça va ! Moi c'que j'en dis…

D'une secousse sur les rênes, elle fit repartir les chevaux. Ils arrivèrent à un poste de garde.

- D'où venez-vous ? leur demanda le soldat.

- Du sud du Sanctuaire, répondit Pandore, un air triste et fatigué sur le visage. Nous sommes des marchands. Y a-t-il un endroit où nous pourrions nous installer ?

- Le marché se trouve un peu plus loin, sur votre droite. Il doit encore rester des places, mais il vous faudra dormir dans votre roulotte en attendant qu'on puisse vous attribuer des places dans un bâtiment.

- Merci beaucoup, mon brave, murmura Zelos en donnant un coup de coude à sa compagne pour qu'elle démarre avant que le garde ne pose d'autres questions.

Walhalla avait une architecture commune à beaucoup de places fortes. Elle était entourée de deux remparts. Le premier qui protégeait le Palais et ses dépendances, le second capable de résister à un assaut de grande envergure avec son pont-levis, ses herses, ses chemins de rondes à créneaux, encerclait la colline. Entre les deux, la ville s'était développée avec ses échoppes, ses tavernes, son marché, ses maisons.

Suivant les indications, les deux espions arrivèrent sur un vaste espace occupé par un certain nombre de chariots et de roulottes comme le leur. Les marchands avaient déjà installé leurs étals et regardèrent les nouveaux venus avec une certaine défiance. Voir arriver un éventuel concurrent, n'est jamais très agréable. Pandore et Zelos répondirent par des sourires et des bonjours auxquels certains de leurs voisins se contentaient de répliquer du bout des lèvres. Ils ouvrirent le panneau latéral de leur charriot et montèrent les tréteaux nécessaires à l'exposition de leur marchandise. Pour la plus grande partie, il s'agissait de bijoux en argent et en cuivre. Il y avait également des aumônières en cuir teinté de fort belle facture, des flacons d'essences de plantes, des baudriers pouvant porter une épée et des dagues.

- Regarde ce chariot ! s'exclama Pandore. Il n'a pas de roues !

- J'en ai vu quand on est arrivé en ville. Ils étaient attelés de chiens et de chevaux.

- Mais comment ils avancent ?

- On dirait qu'ils glissent sur la neige et la glace.

- Ce sont de beaux objets que vous avez là, fit une femme édentée, d'un certain âge et l'œil suspicieux qui s'était approchée d'eux. Vous les avez faits vous-même ?

- Euh… non, nous les avons achetés pour les revendre, expliqua brièvement Pandore en rejetant en arrière la capuche de son manteau. C'est tout ce qui nous reste.

- D'où êtes-vous ?

- De Lindos(1), répondit Zelos à son tour. Ma sœur et moi étions en voyage quand nous avons appris qu'on ne pourrait pas rentrer chez nous. Alors nous avons décidé d'aller le plus loin possible de la guerre.

- C'est où Lindos ?

- C'est un petit village situé tout près de la frontière avec les Océans, pas très loin de la Cordillère du Zodiaque. C'est ici que le marché a lieu ?

- Oui, ma belle. Tous les jours. Et il arrive même que la Reine en personne vienne s'y promener, ajouta la femme avec un clin d'œil complice.

- Elle vient seule ?

- Bien sûr que non, elle a une escorte. Mais parfois, elle est accompagnée de personnes nobles.

- Et vous, d'où êtes-vous ? demanda la jeune femme, se disant qu'il fallait au moins se montrer aussi curieux.

- Tégée(2). Un petit village à la pointe est de la Cordillère du Zodiaque. Il a été détruit et nous avons dû fuir. Soyez les bienvenus à Walhalla.

- Merci, murmura Pandore, un peu surprise par l'attitude pour le moins déconcertante de la femme.

- C'est bizarre comme endroit, maugréa Zelos en boitillant vers les chevaux pour les détacher.

- Comment ça ?

- D'abord, on te regarde de travers, on te soumet à un interrogatoire et ensuite on t'accueille aimablement.

- Ça n'a aucune importance. L'essentiel c'est de savoir que parfois, des nobles viennent au marché.

- Mouais…

Tandis que Zelos gardait la roulotte, Pandore partit à la découverte de la ville. Celle-ci n'avait rien d'exceptionnel vu d'en bas. Du Palais, les choses devaient être beaucoup plus intéressantes. Mais pour monter là-haut, il fallait une autorisation qu'elle n'était pas prête d'obtenir. Elle passa la porte nord et s'aventura sur la lande enneigée qui précédait la falaise. Elle avait vu beaucoup de choses déjà, malgré son jeune âge. Ses différentes missions l'avaient emmenée aux quatre coins du monde(3) mais jamais elle n'avait vu de paysage plus majestueux. Les falaises qui enserraient le fjord avaient des hauteurs vertigineuses. L'eau, très loin en bas, était noire et insondable. Elle aperçut des bateaux avec des pavillons étrangers. Elle reconnut un navire marchand des Plaines et un autre des Voiles. Asgard commerçait avec les Royaumes voisins pour se procurer les produits qui lui faisaient défaut comme des céréales ou des tissus qu'il ne pouvait fabriquer.

La jeune femme comprit d'où venaient alors les vêtements aux couleurs chatoyantes de certains habitants de la Cité. Elle vit également des bateaux de pêche qui rentraient au port et d'autres qui partaient en mer. Une violente rafale de vent glacial la fit frissonner. Elle rabattit la capuche de son manteau sur ses longs cheveux corbeau et repartit vers le marché.

- J'ai vendu une aumônière, clama fièrement Zelos en la voyant arriver.

- C'est bien, murmura-t-elle d'une voix à peine audible.

- Qu'est-ce que tu as découvert ?

- Il faudra qu'on reparte par où on est entré. Là-bas, il n'y a que des falaises et la mer.

- Hmm… Alors on fera avec…

Ooooo00000ooooO

Deux jours plus tard, après avoir ouvert leur étal, Zelos et Pandore s'étaient pris au jeu des marchands. Ils haranguaient la foule pour inciter les gens à acheter leurs breloques et la jeune femme n'avait pas son pareil pour charmer les passants de son beau regard améthyste. Contrairement à Zelos qui lui, inspirait plus la pitié et la compassion… Et ils ne s'y prenaient pas trop mal. La qualité de leurs produits faisait briller les yeux des badauds. Certains achetaient une babiole, conquis par la jeune femme, persuadés que leur générosité leur vaudrait peut-être les faveurs de Pandore, et d'autres pensaient faire un geste charitable envers un pauvre infirme. Mais les deux espions se fichaient pas mal des raisons pour lesquelles on leur achetait leur marchandise. Ils étaient surtout en train de se dire qu'ils allaient encore perdre une journée, lorsqu'ils entendirent des cris.

- La Reine ! C'est la Reine !

Ils se regardèrent et échangèrent un sourire mauvais. Ils virent approcher un groupe de gardes qui semblaient encadrer d'autres personnes. Les gens se pressaient sur leur chemin pour apercevoir la Souveraine d'Asgard et ceux qui l'accompagnaient.

- C'est l'Ambassadeur du Sanctuaire, le Seigneur Hyoga, dit une femme à côté de Zelos qui se soulevait sur la pointe des pieds pour tenter d'apercevoir quelque chose.

- Qui est l'autre jeune femme ? hasarda Pandore, imitant l'attitude de ses voisins.

- Dame Freya de Megrez, lui répondit un homme à qui il manquait une oreille. Son frère est Ambassadeur au Sanctuaire.

Le regard qu'échangèrent les deux espions était sans équivoque. Ce serait peut-être leur seule chance d'accomplir leur mission. La Reine s'arrêtait de temps à autres pour échanger quelques mots avec les réfugiés. Pandore se jeta devant la Souveraine.

- Que puis-je faire pour toi ? demanda Hilda d'une voix douce.

- Rien, Majesté. En nous accueillant mon frère et moi, dans votre Royaume, vous avez déjà fait beaucoup. Pour vous remercier, veuillez accepter ce modeste présent.

Elle tendit un bracelet en turquoises polies et baissa humblement la tête.

- Il est magnifique, s'extasia la Reine. Je te remercie.

- Mon frère a également un cadeau pour votre Dame de compagnie. Permettez ?

- Bien sûr. Freya ?

Zelos s'avança à son tour et mit un genou à terre, feignant quelques difficultés. Aussitôt, la jeune femme se porta à ses côtés.

- Inutile de t'agenouiller devant moi, je ne suis pas une personne royale.

- Merci ma Dame. Ma difformité me pose parfois de petits soucis. Acceptez ce présent pour votre gentillesse.

De sa poche, Zelos sortie le bracelet en argent(4), prit délicatement la main de Freya et referma le bijou sur son poignet.

- Srel im shimash slevtlen(5), murmura-t-il en portant le dos de la main de la jeune femme à son front.

- C'est un très beau bijou, j'en prendrai grand soin.

- Seigneur Ambassadeur, s'écria Pandore. Votre baudrier(6) est usé. Peut-être vous plaira-t-il d'en porter un neuf ? Venez donc voir ceux que nous avons ! fit-elle souriante, en l'invitant de la main à la suivre.

- Eh bien… effectivement le mien commence à être vieux et celui-ci est… remarquable ! Merci, dit-il en observant d'un œil expert, celui qu'il venait de choisir.

- Ces deux-là savent comment s'attirer les bonnes grâces, maugréa un homme au regard méprisant.

La Reine et sa suite poursuivirent leur visite. La foule qui entourait les deux espions se dispersa rapidement. Discrètement, la tête basse, ils regagnèrent leur chariot.

- Ecris vite au Roi ! pressa la jeune femme.

- On va devoir attendre encore...

- Nous enverrons un autre pigeon quand nous quitterons Walhalla. Il faut combien de temps pour que la magie opère ?

- Queen a dit deux ou trois jours, répondit Zelos, songeant qu'ils allaient encore devoir rester dans ce pays glacial jusqu'à ce que les choses se déroulent comme prévues.

L'oiseau s'envola lui aussi vers le sud, guidé par la Magie.

Ooooo00000ooooO

Royaume des Ténèbres, Palais d'Ebène, début février…

Le Seigneur Queen terminait de remplir une petite fiole avec une potion contre les congestions pulmonaires, fréquentes en cette saison, lorsque un roucoulement caractéristique attira son attention. Il se rendit au pigeonnier qui jouxtait son laboratoire et vit un oiseau avec un étui de cuir attaché à la patte. Il le détacha et déroula le parchemin avec beaucoup de délicatesse. Un sourire fendit son visage à la lecture du message. Il plaça le pigeon dans une petite cage où il pourrait se reposer et manger puis se précipita dans les couloirs jusqu'au bureau du Roi. Celui-ci était en réunion avec Minos et Myu.

- Queen ? Qui y a-t-il de si urgent que tu nous interrompes ?

- Un nouveau message. C'est fait !

- Messieurs, remettons cette réunion à cet après-midi. Markino ?

- Oui, Sire ? fit le Chambellan en laissant passer les deux hommes qui venaient d'être congédiés.

- Convoque le Seigneur Rhadamanthe. Qu'il vienne immédiatement !

- Bien, Sire.

- Montre-moi le message.

Queen donna le petit bout de parchemin au Roi qui s'empressa de le lire.

Objet remis. Attendons réaction. P & Z

- Combien de temps faut-il à un pigeon pour faire le voyage à ton avis ?

- Plusieurs jours. Ce qui veut dire que la réaction qu'ils attendent a déjà eu lieu à cet instant.

- Excellent. J'espère que leur retour sera plus rapide que leur voyage à l'aller. Il faut donc informer le Marquis de Megrez que sa sœur est entre nos mains et que nous lui enverrons des instructions bientôt.

- Cube ne devrait pas tarder à arriver à Egide. Il sera notre contact avec l'Ambassadeur, fit la voix du Duc de Wyvern qui venait d'entrer.

- Que va-t-il se passer désormais ? demanda le Souverain.

- Eh bien, la jeune dame n'aura qu'une idée en tête, se rendre au Mont Elysion. Pour elle il s'agira d'une question de vie ou de mort. Elle va les pousser à voyager vite.

- Et comment le sortilège se brisera-t-il ? interrogea Rhadamanthe.

- Je suis le seul à pouvoir le faire, répondit Queen.

- Nous allons donc attendre encore quelques jours avant d'envoyer un pigeon à Cube, conclut le Duc de Wyvern en se levant pour partir.

- Où en es-tu ?

Rhadamanthe se tourna vers Hadès, comprenant parfaitement à quoi celui-ci faisait allusion. Il détourna son regard, conscient que sa réponse ne plairait pas à son Souverain.

- J'en suis toujours aux préparatifs. Je ne veux rien laisser au hasard. L'enjeu est beaucoup trop important. Mais j'ai bien avancé.

- D'accord. Merci.

Le Duc s'inclina et laissa les deux hommes seuls.

- Tu as confié une mission importante à Rhada ?

- Capitale. Mais je ne veux pas en parler tant qu'elle ne sera pas couronnée de succès.

- Es-tu si certain qu'elle va l'être ?

- Je te trouve bien négatif, Queen. Que se passe-t-il ?

- Les étoiles confirment leur message. Nous allons au devant d'un conflit majeur et l'une de tes décisions nous sauvera ou nous condamnera.

- Charmant. Rien de tel pour me remonter le moral.

- Tu aurais préféré que je me taise ?

- Tu sais bien que non, répondit Hadès en entourant de ses bras la taille de son amant. Mais je ne veux pas me laisser abattre. Le message de nos deux espions me rassure et c'est à cette bonne nouvelle que je veux penser.

- Tu as raison. Désires-tu que l'on déjeune ensemble ou bien es-tu très occupé ?

- Déjeunons. Minos et Myu ne reviendront que plus tard. Nous avons le temps de manger et de…

Queen sourit lorsque les lèvres d'Hadès se perdirent dans son cou. Il l'enlaça à son tour.

- D'abord, on mange…

- Non… d'abord, je t'aime…

- J'ai faim, moi…, protesta le Magicien en souriant doucement.

- Moi aussi…

Hadès avait poussé Queen contre le mur et de sa main passée entre leur corps, il s'employait à le faire changer d'avis.

- J'ai faim de toi…, lui susurra-t-il à l'oreille avant de prendre ses lèvres pour un baiser sulfureux. Laisse-moi te déguster…

- Hnn… Oui, dévore-moi ! gronda le Magicien, vaincu dans son corps, en serrant le Roi dans ses bras, à l'étouffer.

Ooooo00000ooooO

Année 10219 de la Licorne, Royaume d'Asgard, cité de Walhalla, début février…

Une nouvelle averse neigeuse accompagnée de vent fit rentrer les gens dans leurs demeures. La Reine Hilda regagna aussi son bureau, accompagnée de l'Ambassadeur Hyoga et de Dame Freya. Elle ordonna qu'on leur apporte des boissons chaudes en attendant le déjeuner.

- Quels curieux marchands que ces deux là, s'étonna Hyoga en aidant Freya à se débarrasser de son manteau.

- Ils sont reconnaissants, leur geste est… touchant, dit la jeune femme en s'asseyant sur un fauteuil.

- Il faut avouer que c'est pour le moins inhabituelle comme démarche. En tout cas, ce bracelet est très beau, reconnut la Reine en détaillant les pierres qui ornaient son poignet.

- Et ce baudrier est de première qualité. Regardez ces finitions !

- J'aime beaucoup la finesse de la gravure de mon bracelet. Celui qui a fait ça est un artiste, c'est indéniable.

Des coups frappés discrètement à la porte, les interrompirent dans leur conversation.

- Oui, Angus ?

- Un héraut vient d'apporter deux messages pour vous, Majesté. Des Ducs de Dubhe et d'Alcor.

- Ah ! Je vais peut-être enfin savoir ce qu'il se passe là-bas.

Tandis qu'elle prenait connaissance du contenu des missives, le Seigneur Hyoga avait pris la main de Freya et observait le bracelet.

- C'est vraiment un très beau bijou, disait-il en le tournant sur le poignet fin.

- Oui. Je l'aime beaucoup. L'orfèvre qui a fait ça est vraiment très talentueux.

- Et très inspiré… dit l'Ambassadeur à mi-voix pour que la Reine n'entende pas. On dirait qu'il a été fait pour vous…

La jeune femme rougit et détourna les yeux du regard perçant que Hyoga posait sur elle. Freya n'était pas insensible au charme du jeune homme, et bien qu'elle soit timide, s'il venait à lui faire la cour, elle se sentirait flattée et honorée.

- Ça alors ! s'écria la Souveraine en frappant la jupe de sa robe avec la main qui tenait le parchemin.

- De mauvaises nouvelles, Majesté ? s'enquit l'Ambassadeur.

- Rien de grave, j'espère, renchérit Freya.

- Oui et non. Le château de Mizar menace de s'écrouler et ils ont trouvé une grotte avec des pierres portant le sceau de la Maison de Dubhe. Du coup, après avoir fait des recherches dans les archives de sa famille, Siegfried me demande de poursuivre ses investigations dans celles des Polaris. Je n'ai malheureusement pas plus de détails.

- Ils devraient venir ici pour vous informer d'avantage.

- C'est dans ce sens que je vais répondre au Duc de Dubhe, Seigneur Hyoga. Je veux bien leur ouvrir les archives Royales mais, ils doivent m'en dire plus. Dame Freya, vous vous sentez bien ?

- Vous êtes toute pâle, s'inquiéta l'Ambassadeur.

- Ce n'est rien, un léger étourdissement…

- Vous devriez retourner chez vous pour vous reposer, conseilla la Souveraine.

- Venez, je vais vous raccompagner, proposa l'Ambassadeur en aidant la jeune femme à mettre son manteau.

- Seigneur Hyoga, confiez-la aux soins d'Angus. Et s'il le faut, j'appellerai le Seigneur Fenrir, mon Médecin.

- Bien Majesté. Venez Freya…

Angus avait demandé à une servante d'aider la jeune femme à se déshabiller et à se mettre au lit. Il lui fit promettre d'envoyer la chambrière, qui resterait près d'elle, le prévenir si elle se sentait plus mal. Freya s'endormit paisiblement, songeant à ce brusque accès de fatigue.

Elle galopait à brides abattues. Le danger la poursuivait. Si seulement, elle pouvait atteindre la montagne avant d'être rejointe, elle serait en sécurité. La montagne… Elle commença à gravir les contreforts. Elle devait l'atteindre, sa vie en dépendait. Il n'y a que là qu'elle serait à l'abri…

Freya s'éveilla en sursaut et reteint un cri de justesse. Quel horrible cauchemar. Cette sensation d'être poursuivie sans connaître la nature du danger, était tout simplement épouvantable. Un frisson la ramena à la réalité. A la faible lueur du crépuscule, elle devina la chambrière endormie sur un fauteuil, à son chevet et surtout elle vit que le feu était éteint. Une flambée de colère la traversa.

- Dis donc toi ! s'écria-t-elle, réveillant la pauvre fille. C'est comme ça que tu prends soin de moi ? Le feu est éteint !

- Pardon ma Dame, je me suis assoupie un instant.

- Un instant ? Il faut plus qu'un instant pour qu'un feu s'éteigne ! Rallume-le et laisse-moi.

Mortifiée, la servante obéit, la tête basse, les larmes aux yeux. Si jamais Dame Freya rapportait sa négligence, elle allait se faire drôlement réprimander par Angus et il n'était pas commode lorsqu'il s'agissait du bien être des habitants du Palais de Glace ainsi que de celui de ceux qui y travaillaient. Quand les bûches craquèrent et que les flammes dansèrent joyeusement dessus, elle quitta la pièce sans demander son reste. De son côté, Freya fut surprise de son agressivité. Ce n'était pas dans ses habitudes. Elle, d'ordinaire si douce et si prompte à trouver des excuses au moindre manquement, la voilà qu'elle se comportait presque comme un tyran. Elle sortit dans le couloir et avisa un garde.

- Va me chercher une servante.

- Oui, ma Dame.

Quelques instants plus tard, une femme d'un certain âge toquait à la porte.

- Prépare-moi un bain et ensuite tu me feras monter un repas.

La femme s'exécuta avec une célérité qu'elle devait à son expérience. Freya se détendit un très long moment dans l'eau chaude. Elle avait tenté d'ôter son bracelet pour ne pas le mouiller mais elle dut se rendre à l'évidence. Le fermoir devait être bloqué. Elle sourit. A quoi fallait-il s'attendre d'une breloque de marché ? Demain, elle demanderait au bijoutier de la Reine de le réparer. Ça ne devait pas être bien grave…

Une idée à laquelle elle ne pensa plus du tout…

Ooooo00000ooooO

Après avoir rangé leurs étals, les marchands se retrouvaient le soir, dans les deux tavernes non loin du marché. Pandore et Zelos étaient attablés dans l'une d'elles devant un grog bien chaud. L'ambiance était détendue, les spéculations allaient bon train sur la situation dans le sud du Sanctuaire. Chacun y allait de son avis, se vantant d'avoir des informations de première main. Par-dessus tout ce brouhaha, une musique s'éleva. Deux hommes, l'un armé d'un luth, l'autre d'une cornemuse, entamèrent une mélodie rythmée qui entraîna quelques couples au milieu des tables, sous les applaudissements des spectateurs.

- Ça fait deux jours et elle n'est pas là, marmonnait le Chevalier d'Amphibis. Je savais bien que la magie ne servirait à rien.

- Tu m'énerves, Zelos. Queen a dit deux ou trois jours, alors on attend.

- Y a rien qui vaut un bon coup sur la tête et un saucissonnage dans les règles.

- Eh bien c'est ce que nous ferons si jamais ça tarde trop.

- Ah ouais ? Et comment tu comptes t'approcher de la fille ?

- On verra le moment venu…

- C'est ça… Comment j'ai pu me laisser embarquer dans cette mission sans un plan de rechange ?

- Allez ma belle ! Viens danser !

Un homme venait d'attraper Pandore par la main et l'entraînait dans une danse sautillante. La jeune femme se laissa faire avec un sourire de convenance. Après tout, quitte à attendre, autant le faire de façon agréable. Zelos grimaça, vida son verre et sortit de la taverne. Estimant avoir fait preuve d'une politesse suffisante, l'espionne remercia son cavalier, laissa un baudrier neuf pour payer les grogs et rejoignit sa roulotte. En s'approchant, elle entendit des voix. Sa main se resserra sur la dague qu'elle portait à la ceinture. Sans faire le moindre bruit elle se glissa jusqu'à l'arrière et écouta.

- … je dois y aller. Je vous en prie.

Le sang de la jeune femme ne fit qu'un tour. Elle ouvrit la porte et trouva Zelos face à Freya qui tentait de le convaincre de la laisser faire le voyage avec eux.

- Vous êtes sa sœur ? Je vous en prie, vous devez le convaincre de me laisser venir avec vous.

- Mais où voulez-vous aller ma Dame ?

- Je dois me rendre au Mont Elysion. Il n'y a que là-bas que je serai à l'abri !

- Vous êtes menacée ici ?

- Je préfère ne pas en parler… pour votre propre sécurité. S'il vous plait…

La jeune femme était au bord des larmes alors que ses deux interlocuteurs échangèrent un regard complice qui en disait long.

- Vous avez pris des affaires ? demanda encore Pandore.

- Oui, j'ai un sac sur mon cheval.

- Votre cheval… vous avez pensé à tout. Mais pourquoi n'y allez-vous pas toute seule ? Pourquoi avez-vous besoin de nous ? s'enquit Zelos à son tour.

- Je…, je ne sais pas… je sais que je peux vous faire confiance. Ce cadeau que vous m'avez fait, sans rien demander en retour prouve que vous êtes des gens généreux et foncièrement bons. Et c'est un voyage long et dangereux pour une femme seule.

Zelos se leva et fit semblant de ranger quelques coffres pour cacher son fou rire. Foncièrement bons ? Là, il n'avait plus aucun doute. C'était bien la magie du bracelet qui la faisait parler ainsi. Si seulement elle savait…

- Qu'en penses-tu, mon frère ? Après tout, le Royaume des Ténèbres est en paix, nous pouvons tout aussi bien nous établir là-bas.

- C'est juste. En plus, il y fait certainement moins froid qu'ici.

- Alors ? Vous voulez bien m'emmener ?

- C'est d'accord. Vous avez prévenu vos proches de votre départ ?

- Ou… oui… J'ai laissé une lettre à la Reine…

- Bien. Nous partirons demain à l'aube, décréta Zelos.

- Demain ? s'écria la jeune femme. Pourquoi pas tout de suite ?

- Mais il fait nuit noire ! répondit Pandore qui commençait à se demander jusqu'où la magie allait pousser la jeune femme.

- Le ciel est dégagé, c'est la pleine lune ! Nous y verrons suffisamment !

- Très bien ! trancha Zelos en faisant signe à sa complice de ne pas insister. Je vais attacher solidement votre cheval derrière la roulotte. Pendant ce temps, installez-vous à l'arrière. Vous devrez rester sous les peaux pour ne pas que le garde vous voit. Il pourrait vous reconnaître et il risquerait de poser trop de questions.

- Non. On doit me voir sortir de la ville. Dans la lettre, j'ai dit que je rentrais chez moi d'urgence. Le garde doit pouvoir dire qu'il m'a vu.

- D'accord. Toi, commence à atteler les chevaux, et vous venez m'aider à finir de charger nos affaires, fit-il à l'adresse des deux femmes et Pandore ne cacha pas sa surprise de voir cet homme difforme prendre les choses en mains avec autant d'efficacité.

Enfin prêts, Zelos donna une impulsion aux rênes et le chariot s'ébranla.

- Halte là ! Qui va là ? fit un des gardes en poste pour la nuit à la porte principale.

- Nous sommes des marchands, nous partons vers le sud, expliqua Pandore avec son plus beau sourire.

- En pleine nuit ? On dirait plutôt que vous partez comme des voleurs !

- Quoi ? Nous qui avons offert un cadeau à la Reine, à sa Dame de compagnie et à l'Ambassadeur Hyoga, vous osez nous traiter de voleurs ? s'insurgea l'espionne, jouant parfaitement l'outragée.

- Ah ? C'est vous qui avez fait ça ?

- Vous êtes au courant ? demanda Zelos.

- Tout la Cité le sait. Vous devriez attendre demain matin pour partir.

- Demain matin, il va encore neiger et nous ne voulons pas être bloqués. Pour l'instant, le ciel est dégagé et la lune nous éclairera.

- Comme vous voulez ! Et vous qui êtes-vous ? fit-il en se tournant vers la jeune femme.

- Je suis Dame Freya de Megrez. Je dois rentrer chez moi au plus vite.

- Ah, Dame Freya. Ne voulez-vous pas une escorte ?

- Non, ça ira. Je vais faire une partie du chemin avec ces personnes. Ensuite, je serais sur mes terres.

- Comme vous voulez… Bon voyage !

- Merci mon brave… Allez ! Fouette !

La roulotte repartit cahin-caha sur la route verglacée. Au bout d'un moment, le véhicule s'arrêta. Freya attacha son cheval à l'arrière et grimpa auprès des deux espions.

- J'espère que notre voyage ne sera pas trop long… murmura Freya, le regard perdu dans les flammes du petit poêle qui chauffait l'habitacle, assise près de Pandore.

- Pourquoi dites-vous que vous ne serez en sécurité qu'au Mont Elysion ? demanda celle-ci, un peu surprise par l'insistance de leur passagère.

Queen leur avait expliqué de façon simple quelles allaient être les réactions de la jeune femme une fois qu'elle aurait le bracelet. Mais Pandore, curieuse et méfiante, voulait s'assurer que c'était bien la Magie qui œuvrait. Le Marquis avait bien insisté sur le fait que rien ne pourrait rompre le sort, mais elle ne pouvait s'empêcher de se demander ce qui arriverait si Freya prenait conscience qu'elle était manipulée. Si tel était le cas, serait-elle capable de perturber le sortilège ou bien celui-ci était-il trop puissant ? N'y avait-il vraiment aucun risque ?

- Il y a là-bas un magicien qui pourra me protéger. Je sais qu'il existe une protection contre ce danger et je ferai tout pour qu'il veuille bien m'en faire profiter.

- Qu'est-ce qui vous menace ?

- Il vaut mieux que vous l'ignoriez… pour votre bien.

- Et la Reine ? C'est une puissante magicienne à ce qu'on dit. Ne peut-elle vous protéger ?

- Non ! Il n'y a que sur le Mont Elysion que ça fonctionnera !

Pandore n'insista pas. Elle échangea un regard avec Zelos qui haussa les épaules d'un air d'incompréhension. Mais Freya savait-elle par quoi elle était menacée ? S'agissait-il là, d'un des effets du sort de Queen ? Bah… quelle importance. L'essentiel, c'est que la mission était un succès. Enfin, à condition que personne ne se mette à leur poursuite.

- Prépare-lui une infusion pour qu'elle s'endorme, lui murmura le Chevalier d'Amphibis.

- Pourquoi ?

- Parce qu'on va s'arrêter jusqu'à demain matin. Les chevaux doivent se reposer et nous aussi. Je ne me vois pas en train de conduire toute la nuit. Et vu l'état dans lequel elle est, elle serait capable de prendre les rênes et de galoper jusqu'à Giudecca sans s'arrêter !

- Mouais, t'as pas tort…

Ooooo00000ooooO

Angus traversait les couloirs d'un pas rapide. Il s'inquiétait de ne pas avoir encore eu de nouvelles de Freya. La chambrière qu'il avait vue lui avait dit que la jeune femme l'avait renvoyée et qu'elle n'en savait pas plus. Il s'arrêta devant l'appartement de la sœur d'Albéric de Megrez et écouta un instant. Aucun son ne lui parvint de l'intérieur. Il frappa à la porte. Pas de réponse. Il cogna plus fort sans succès. Il se décida à entrer.

- Dame Freya ? appela-t-il en avançant dans la pièce, espérant ne pas tomber sur elle pendant qu'elle serait en train de s'habiller. C'est Angus, ma Dame. Etes-vous là ?

Il s'approcha de la table du salon, regardant de toute part. Les tentures étaient fermées. D'un grand mouvement, il les ouvrit. La lumière matinale inonda la pièce. Il vit le lit défait et posa une main sur les draps. Ils étaient froids. La jeune femme était donc levée depuis un bon moment. Se retournant, il avisa une lettre scellée sur la table. Elle était à l'attention de la Reine et il s'empressa de la lui porter.

- Un messager est venu la prévenir que l'état de son père s'était aggravé et elle est partie dans la nuit, expliqua Hilda à son secrétaire.

- Je vais vérifier le registre des hérauts. Si quelqu'un est bien venu, ce sera noté.

- Tu doutes de cette lettre ? demanda la Reine en haussant un sourcil.

- Je ne sais pas… Je trouve qu'il y a quelque chose d'étrange…

- Explique-toi.

- D'abord elle semble très fatiguée en rentrant du marché et voilà qu'elle disparaît en pleine nuit. Je trouve cela suspect.

- Il s'agit peut-être d'une simple coïncidence, hasarda la Souveraine. Mais tu as raison. Vérifie le registre. Et ensuite tu fouilleras sa chambre. Peut-être y trouverons-nous des indices qui expliqueront mieux son départ.

- Bien, Majesté.

A nouveau seule, Hilda songea à Syd. Il lui manquait depuis quelques jours. Son frère Bud et leur ami Siegfried attendait une réponse de sa part concernant leurs recherches dans les archives de la Famille Royale et elle se mit à écrire une réponse. Dehors le soleil brillait. C'était une belle journée hivernale et la Reine aurait bien aimé aller faire du cheval. Plus tard peut-être. Elle terminait le courrier quand son secrétaire revint.

- Il y a eu deux messagers cette nuit, lui dit-il.

- L'un d'eux était certainement pour elle, murmura Hilda, songeuse. Qui les a accompagnés ?

- N'importe quel serviteur de nuit aurait pu le faire.

- Et la nuit, la discipline est plus relâchée, gronda la Reine. Il faudra remédier à cela.

- Je vais fouiller sa chambre.

- Je t'accompagne !

Rien de concluant ne fut découvert dans les affaires de la jeune femme. Il manquait quelques vêtements, sa cape et son manteau, son baudrier ainsi que son épée et ses dagues. Les malles étaient encore pleines de robes.

- Elle semble n'avoir emporté que le strict nécessaire, observa Angus en tournant sur lui-même.

- Voyons au poste de garde. Si quelqu'un est sorti, ils le sauront.

Le garde, en faction la nuit précédente, fut réveillé et confirma qu'il y avait eu plusieurs sorties. Trois cavaliers et un chariot. Et il y avait bien une Dame Freya qui affirmait qu'elle rentrait chez elle d'urgence.

- Il semble que nous nous soyons inquiétés pour rien, finalement, conclut la Reine en marchant lentement au côté de son secrétaire.

- Quelque chose me gêne pourtant… je ne saurais dire quoi…

- Dans quelques jours j'enverrai un messager prendre des nouvelles de son père. On verra bien si elle est là-bas.

- Très bonne idée, ma Reine.

Ooooo00000ooooO

Lorsque Freya ouvrit les yeux, elle se demanda pendant un instant où elle se trouvait. Elle était couchée sous des fourrures dans ce qui semblait être l'habitacle d'un chariot. Autour d'elle, il y avait des coffres de voyage. Dans un coin, un brasero diffusait une douce chaleur et pendue à l'un des arceaux, une lampe à huile éclairait l'intérieur. Puis tout lui revint en mémoire. Le danger, sa fuite avec les marchands. Mais au fait, où étaient-ils ? Elle s'extirpa de sa couche et souleva le pan de la bâche en cuir. Il faisait froid. Une bourrasque de vent la fit frissonner. Elle entendit des voix et sortit. A l'arrière de la roulotte, ses deux compagnons de voyage s'occupaient des chevaux.

- Bonjour, leur dit-elle.

- Bonjour Dame Freya, répondit la jeune femme. Avez-vous bien dormi ?

- Oui, je crois. Je ne me souviens pas m'être endormie.

- Vous étiez si fatiguée, qu'à peine vous êtes-vous allongée que vous avez sombré dans un profond sommeil, expliqua le jeune homme.

- Je viens de réaliser quelque chose, poursuivit-elle avec un doux sourire. Je ne connais même pas vos noms.

- Je me nomme Pandore et lui c'est Zelos, mon frère.

- Ravie de faire votre connaissance. Que faites-vous ?

- Eh bien, vous nous avez semblé assez pressée, aussi nous étions en train de voir comment nous pourrions faire pour voyager plus vite, lui expliqua Zelos en fixant un sac à la selle d'un des chevaux.

- Nous allons charger un maximum de choses sur les bêtes et laisser le chariot, expliqua Pandore.

- Vous allez abandonner une partie de vos biens pour moi ? Non ! Il ne faut pas !

- Ne vous inquiétez pas, la rassura l'espion. Ce que nous avons vendu compense largement la valeur de ce que nous allons laisser.

- Venez manger quelque chose, lui proposa Pandore en la prenant par le bras pour l'emmener devant le feu.

Zelos avait chargé les trois chevaux avec des sacs contenant surtout de la nourriture. Tant qu'ils n'auraient pas franchi la frontière du Sanctuaire, ils ne pourraient pas se permettre de perdre du temps à chasser. Quant au chariot, il avait déjà repéré un ravin qui ferait parfaitement l'affaire pour faire croire à un accident si jamais des hommes s'étaient lancés à leur recherche en s'apercevant de la disparition de la jeune femme. De toute façon, même sans elle, si leur mission avait échoué, ils avaient prévu de s'en débarrasser pour rentrer au plus vite. Il attela son cheval à la roulote quasiment vide et partit.

- Où va-t-il ?

- Le mettre dans un lieu sûr. Peut-être pourrons-nous revenir chercher les quelques affaires que nous avons laissés…

- Pandore, pourquoi faites-vous cela pour moi ?

- Eh bien, nos routes vont dans la même direction. Alors pourquoi ne pas voyager ensemble ?

- Oui, mais je ne m'attendais pas à ce que vous vous sépariez d'une partie de vos biens pour aller plus vite. Cela ne concerne que moi. Je n'aurai pas dû vous entraîner dans cette histoire. Je vous dédommagerai généreusement. Les Megrez paient toujours leurs dettes.

- Ne vous inquiétez pas de cela. Si nous n'avions pas voulu le faire, nous serions restés en ville. Mais Zelos et moi ne restons jamais longtemps dans un même endroit depuis que notre village a été détruit. Nous n'arrivons plus à nous attacher à un lieu.

- Je suis désolée. J'ignore ce que cela fait de perdre tout ce que l'on a, une maison, des amis, des parents… Cette guerre n'en finira donc jamais…

- Il le faudra bien un jour ou l'autre.

Pandore éteignit le feu en jetant de la neige dessus et enfourcha son cheval d'un bond souple. Les trois voyageurs reprirent leur route vers le sud au petit trop après que Zelos les aient rejoints

A mesure qu'ils approchaient de la frontière, le temps se radoucissait. Le vent était moins glacial et les chutes de neige s'étaient transformées en pluie. Ils pénétrèrent dans le Royaume du Sanctuaire après avoir traversé le Comté de Benetnash. Le paysage changeait lentement. Ils passèrent au large de la Ville d'Egide et de la Colline de Star Hill et poursuivirent vers la pointe est de la Cordillère du Zodiaque. Ils traversaient de vastes plaines qui auraient pu donner des belles récoltes si elles avaient été préparées et ensemencées. Parfois, ils franchissaient un cours d'eau, une rivière. Un jour, ils virent une étrange construction de laquelle ils s'approchèrent, poussés par la curiosité. A l'évidence, il s'agissait des ruines d'un ancien temple(7) situé au sommet d'une excroissance rocheuse sortant de la terre comme une verrue sur le nez d'une sorcière.

- On va passer la nuit ici, décréta Zelos en dirigeant son cheval vers les ruines.

Ils trouvèrent un passage qui les conduisit au centre du temple. Sur le sol, il y avait des morceaux de colonnes effondrées depuis fort longtemps. Certaines étaient encore debout et supportaient les chapiteaux sur lesquels devait reposer le toit. Au fond, une pierre de granit parfaitement lisse avait dû servir d'autel. Les rigoles creusées sur les bords canalisaient le sang de l'animal sacrifié aux Dieux et qui était certainement récupéré dans un vase sacré. Zelos, loin de ces pensées-là, commença à préparer le foyer pour faire un feu tandis que les deux jeunes femmes posaient les sacs et les fourrures pour décharger les chevaux.

- A quel dieu est dédié ce temple, à votre avis ? demanda Freya en s'asseyant près du feu en frottant ses mains glacées l'une contre l'autre.

- Je ne sais pas, répondit Pandore qui mettait de l'eau à chauffer.

- La Déesse Athéna, dit Zelos. Puis tendant le doigt vers une pierre au sol : " C'est écrit là."

- Vous lisez la Langue Ancienne ? s'étonna la jeune femme.

- Non, mais j'ai souvent vu ce mot et un jour j'ai demandé qu'on me le traduise.

- Vous parlez de la Déesse de la Sagesse ? s'enquit encore la sœur d'Albéric.

- Oui, elle-même.

- J'ignorais qu'il restait des temples comme celui-ci, murmura-t-elle. Ça devait être très beau.

- Il en reste beaucoup dans ce Royaume. L'histoire raconte que dans les Temps Anciens, la Déesse s'est battue contre les autres Dieux pour protéger cette contrée et que les habitants lui vouaient un culte d'une rare ferveur. La légende dit aussi qu'elle combattait avec des guerriers qu'elle choisissait parmi les plus valeureux et les plus braves. Chaque homme espérait qu'un jour, il serait choisi pour faire partie des Chevaliers de la Déesse.

- C'est une jolie légende, Zelos. Vous aimez l'histoire ?

- J'aime savoir quels sont les mythes et les contes qui ont en partie, façonnés un pays. Je trouve que c'est intéressant.

- Et vous ? demanda Pandore à Freya en lui tendant un morceau de hareng salé.

- Je connais les légendes de mon pays…

- Racontez-nous en une, insista Zelos, les yeux brillant d'intérêt.

- Eh bien, on dit que depuis la nuit des temps, le Royaume d'Asgard est sous la protection du Dieu Odin et que celui-ci a fait don de son armure et de son épée à notre peuple. Mais tout le monde ignore où elles se trouvent et elles sont protégées par des créatures fantastiques. La légende prétend que lorsque l'amure et l'épée seront retrouvées, le temps des Dieux sera à nouveau là et qu'ils reviendront sur terre pour guider et protéger les hommes. Et ces créatures seront à leur service pour les aider dans leur tâche.

- C'est une belle histoire, sourit Pandore.

- Mais ce n'est qu'une légende, reprit Freya.

- Dans tout conte, il y a une part de vérité, déclara doctement Zelos et remuant les braises. Ce qui est intéressant, c'est de la trouver.

- Nous devrions dormir, conseilla Pandore. Ces nuages ne me disent rien qui vaille.

En effet sur l'horizon ouest, le ciel se chargeait et devenait d'un gris presque noir. Demain serait une journée pluvieuse, à n'en pas douter.

Au matin, ils furent réveillés par une pluie fine et glaciale. L'idée de chevaucher toute la journée avec un temps pareil ne les enchantaient guère. En particulier Zelos et Pandore qui auraient préféré attendre l'arrêt de l'averse à défaut du retour du soleil. Mais Freya était déjà à cheval et les encourageait à se dépêcher. De guerre lasse, ils enfourchèrent leurs montures à contre cœur et se mirent en route.

La grisaille et le léger brouillard qui les accompagnèrent toute la journée rendaient les paysages qu'ils traversaient ternes et moroses alors qu'à la lumière du soleil, nul doute qu'ils auraient pu en apprécier la beauté.

Leur voyage devenait monotone. Des plaines, des vallées, des collines, des temples en ruines jalonnaient la route qu'ils empruntaient. Un jour, ils tombèrent sur ce qui avait dû être un champ de bataille. Le sol était jonché de cadavres d'hommes et de chevaux dans un état de décomposition avancée. L'odeur putride était insupportable. Des lances et des épées couvraient le sol. Des boucliers fracassés étaient encore tenus par des mains squelettiques. Des vautours et toutes sortes de charognards, qui s'étaient éloignés à leur approche, revenaient prudemment vers leur butin si facilement conquis. Freya reconnut les bannières de plusieurs bataillons de soldats du Sanctuaire et ceux qu'elle ne connaissait pas, elle devina sans peine qu'ils devaient appartenir à l'Armée des Marinas.

Ils laissèrent ce spectacle de désolation derrière eux mais ce ne fut que pour tomber sur un autre, le lendemain. Au loin, la Cordillère du Zodiaque emplissait tout l'horizon. Ils bifurquèrent imperceptiblement vers l'est pour la contourner. Ils avaient quitté Walhalla depuis presque trois semaines lorsque ce soir là, ils montèrent leur campement aux pieds de la montagne, sur le versant sud.

- Nous devons voyager plus vite, murmura Zelos à sa compagne, après avoir vérifié que Freya dormait profondément.

- Je sais, répondit-elle de la même façon. Ça fait presque deux mois que nous sommes partis. Le Roi ne doit plus tenir d'impatience.

- J'avoue que je serai bien content quand on la leur remettra…

- Tu es déjà lassé de cette mission ?

- Je pense qu'une mission ne doit pas s'inscrire dans la durée. Si on est bien préparé et efficace, ça doit se passer très vite.

- Je suis d'accord, mais dans le cas de celle-ci, c'est la distance qui rallonge son temps d'exécution.

- C'est pour ça que je dis qu'on doit aller plus vite.

- Partir à l'aube et s'arrêter au crépuscule ? suggéra Pandore en rivant son regard violet à celui de son complice.

- Exact. Chasser en cours de route et faire un feu le soir. Dans la journée, si on a faim, on a encore de la viande séchée.

- Moi, ça me va. Et je pense qu'elle sera ravie, vu son empressement à arriver au Mont Elysion.

- On vient de passer Tégée. En forçant l'allure, on devrait être en vue de Giudecca dans sept ou huit jours.

Avant même le levé du soleil, le lendemain matin, les trois cavaliers étaient déjà en selle. De par la proximité de la frontière, ils voyaient parfois s'élever des fumées à l'est, témoignages de combats, ou de buchers funéraires. Lorsqu'ils en avaient le temps, les soldats donnaient une rapide sépulture à leurs compagnons défunts. Ce n'était pas toujours le cas comme avaient pu le constater Freya, Pandore et Zelos lorsqu'ils étaient tombés sur les ruines de champs de batailles jonchés de cadavres.

Pour aller encore plus vite, Pandore suggéra à Zelos de couper tout droit, à travers une partie du territoire des Océans avant d'entrer définitivement sur les terres des Ténèbres. Là aussi, ils passèrent à l'est des contreforts du Massif des Lamentations et quand ils franchirent le Canyon de l'Achéron, ils se sentirent enfin chez eux. Soudain, au loin, quelque chose de familier leur tira un sourire.

- Regardez ! cria Zelos à Freya, en tendant son doigt devant lui.

- Qu'est-ce que c'est ?

- Giudecca et derrière… le Mont Elysion !

La jeune femme eut un sourire éclatant et tout trois forcèrent l'allure de leurs montures. Ils arrivèrent aux portes de la ville en début d'après-midi et laissèrent leurs chevaux aux écuries pour monter à pieds jusqu'au Palais d'Ebène.

- Le Magicien vit donc là ? demanda Freya, impressionnée par l'écrasante forteresse.

- C'est ce qu'on dit, répondit l'espion qui était resté avec elle, pendant que Pandore avait été voir un garde pour qu'il annonce sa visite au Duc de Wyvern.

Elle les rejoignit et ils attendirent qu'on vienne les chercher.

- Ne pourrait-on nous recevoir à l'intérieur ? s'enquit encore la jeune femme qui, se sentant si proche du but, ne tenait plus d'impatience.

Un garde s'approcha et leur fit signe de le suivre. Il les conduisit jusqu'à une pièce qui devait faire office de salle à manger pour le personnel du Palais où, quelques instants plus tard, leur fut portée une collation.

- Quand verrons-nous le Magicien ? s'enquit Freya de plus en plus nerveuse.

- Un messager a été dépêché pour le prévenir. Il va vous falloir patienter. Si vous avez besoin de quoique ce soit, n'hésitez pas à en faire la demande, un garde est posté devant la porte, à votre service.

Zelos et Pandore prirent leur mal en patience sachant pertinemment que dès que le Duc de Wyvern serait informé de leur présence, il viendrait les voir. Ils prirent place à table et dégustèrent les plats qui venaient de leur être apportés. Freya se décida à faire de même. Depuis un mois, ils n'avaient pas eu de repas digne de ce nom, aussi apprécièrent-ils les mets à leur juste saveur. Et puis, c'était une façon comme une autre de passer le temps.

Une fois n'est pas coutume, les Comtes de Death et de Dream s'étaient accordés une après-midi de détente. Bien que possédant chacun un domaine, ils n'en étaient pas moins issus de la même famille. A leur naissance, leur père avait scindé ses terres en deux afin de leur offrir un héritage équitable. Ils étaient jumeaux et devaient tout partager. C'est ainsi que leurs parents, Nyx et Erèbe, Comte et Comtesse d'Elée(8), voyaient les choses. Peut-être pensaient-ils que c'était aussi un bon moyen d'éviter un conflit entre les jumeaux, quand le temps de leur succéder serait venu. Et ils firent bien. Elevés dans cet esprit, les deux frères ne se disputèrent jamais une chose que l'autre possédait. Le partage était une valeur élevée au rang de vertu dans leur famille. Erèbe mourut au service de Cronos en défendant son Roi contre l'usurpateur et Nyx le suivit quelques années plus tard, terrassée par une forte fièvre, après avoir mis leurs fils à l'abri, à Eleusis. Ensemble, ils avaient entretenu l'espoir qu'un jour, ils pourraient revenir chez eux et reprendre possession de leurs terres.

C'était sans compter sur le destin qui leur fit rencontrer Hadès, qui rentrait chez lui. Ils se rallièrent à lui et leurs capacités à comploter et gérer, rapidement décelées par le futur Roi, leurs donnèrent l'opportunité d'occuper les postes de Premier Conseiller pour Thanatos et de Premier Ministre pour Hypnos. Mais le temps leur fit partager bien plus que le pouvoir.

Ils longeaient un cours d'eau. Le paysage qui les entourait ne faisait que les conforter dans leur plan d'expansion des terres arables. Et que le Roi les approuve confirmait qu'ils avaient bien fait de lui soumettre cette idée. Elle aurait pu rester dans leur esprit, ne jamais en sortir, mais quelque chose leur avait soufflé que c'était ce qu'il fallait faire. Et à cet instant, ils étaient à mille lieues d'imaginer quelles seraient les conséquences d'un tel plan. Pour le moment, la seule chose qui importait était de se détendre un peu avant de replonger dans le travail.

- Ce paysage serait très beau sous le soleil, dit Hypnos, d'un ton rêveur.

- Pourquoi donc en sommes-nous privés ? Ce Royaume aurait-il commis une terrible faute à la face des Dieux pour qu'ils l'aient plongé dans l'ombre ?

- Ma connaissance de l'Histoire des Ténèbres est immense mais je n'ai pas souvenir qu'un jour, notre peuple ait offensé qui que ce soit pour mériter un tel châtiment.

- Par contre j'apprécie la tiédeur de l'air, fit Thanatos en rejetant les pans de sa cape sur ses épaules.

- Moi aussi. Les hivers ne sont pas trop froids et les étés, chauds juste ce qu'il faut.

- Où va-t-on ?

- J'avais pensé à la petite plage plus loin, dans le coude de la rivière…

- Bonne idée…

Arrivés à destination, les deux frères attachèrent leurs chevaux aux branches d'un arbre et étalèrent leurs capes sur le sol herbeux, sur lesquelles ils s'allongèrent. Ils restèrent un bon moment à écouter le bruissement du vent dans les feuilles, les chants des oiseaux, le bruit de l'eau. Hypnos se retourna sur le ventre et surplomba son frère qui avait les yeux fermés, un léger sourire flottant sur ses lèvres.

- Tu as l'air d'apprécier, murmura-t-il en observant le beau visage de son jumeau.

- J'ai l'impression d'être hors du temps, répondit celui-ci en soupirant de bien-être. Je voudrais que ça dure toujours…

- Tu finirais par t'ennuyer à n'avoir que moi pour seule compagnie.

- Jamais ! sursauta Thanatos, en plongeant l'argent de ses yeux dans l'or de ceux de son frère. Jamais ta présence ne me gênera ou ne m'incommodera. Au contraire, elle me rend plus fort, plus vivant.

- Tu dis n'importe quoi ! Si tu étais avec une femme, je crois que je serais de trop ! plaisanta le Comte de Dream avec un petit rire.

- Non, je la partagerais avec toi, murmura Thanatos, une étrange expression dans le regard.

Intrigué, Hypnos vrilla ses yeux à ceux de son frère. Celui-ci le soutint sans ciller. Pour une obscure raison, un frisson lui parcourut l'échine, mais ce n'était pas désagréable, au contraire.

- Tu partagerais une conquête ? Voilà qui est intéressant… Que dirais-tu d'essayer sur la prochaine ? s'écria Hypnos d'un air de défi, en donnant une petite tape affectueuse sur le torse de son frère.

Thanatos, se redressa sur ses coudes et regarda son jumeau avec une telle intensité que le sourire de ce dernier s'effaça.

- D'accord. Homme ou femme, je t'invite dans mon lit…

Il passa ses doigts sur la joue fraiche de son double, la même expression rêveuse dans les yeux que lorsqu'il regrettait l'absence de soleil alors qu'ils chevauchaient encore.

- Pourquoi ne puis-je jamais te dire non ? murmura le Comte de Dream, interdit par cette caresse.

- Parce qu'on partage tout… et que je suis ton frère… et que tu m'aimes… comme je t'aime…

- Tu as sûrement raison, admit Hypnos. Même Hadès ne peut rivaliser avec toi dans mon cœur.

Et sans qu'il s'y attende, Thanatos joignit ses lèvres aux siennes en un baiser doux et timide. Hypnos ferma les yeux et savoura cet instant d'éternité comme le plus précieux de tous les trésors du monde.

- Une déclaration d'amour ça se scelle par un baiser, non ? plaisanta gentiment son frère en s'éloignant à peine de son visage.

- Bien sûr… Mais n'oublie pas que nous sommes frères, objecta Hypnos sans grande conviction.

- Comment oublier une chose pareille ? Comment oublier que tu détiens ma force ? Comment oublier que sans toi, je ne suis rien ? Comment oublier que tu es celui qui me connait le mieux ? Qui sait si bien tempérer mes ardeurs ? Qui me complète à la perfection ? Comment pourrai-je oublier tout ça ? Si tu te coupes, je saigne. Si tu es triste, je pleure…

Le Comte de Dream avait du mal à saisir les paroles de son frère. Il comprenait les mots, mais pas leur sens profond. Qu'essayait-il de lui dire ? De toute évidence, il ne voulait pas interpréter la lueur qu'il voyait briller intensément dans ses yeux. Il avait peur de se tromper et d'être affreusement déçu. Pourtant, c'était bien là, au fond de ces prunelles d'argent, scintillantes comme des étoiles. Il posa sa joue sur le torse de son frère qui s'était rallongé. Thanatos n'attendait pas de réponse aussi sourit-il lorsqu'il sentit le poids sur sa poitrine : "Tu y viendras, Hypnos. Tu l'admettras et alors nous partagerons vraiment tout…"

Une bourrasque de vent plus frais leur fit lever la tête simultanément. Le ciel était toujours aussi plombé. L'après-midi touchait à sa fin et il fallait songer à rentrer au Palais. Sans un mot, ils ramassèrent leurs capes et s'enveloppèrent dedans avant de remonter à cheval. Le chemin jusqu'à Giudecca se fit en silence.

A peine avaient-ils franchi les portes du Palais qu'un serviteur vint les avertir que le Roi les attendait dans son bureau où ils se rendirent sans perdre de temps.

- Ah ! Entrez ! Asseyez-vous ! J'ai besoin de vos avis sur quelques détails.

Les deux hommes prirent place dans les fauteuils face au bureau royal comme ils avaient l'habitude de le faire. Aussitôt, le Roi leur tendit des rapports qu'ils parcoururent avec beaucoup d'attention.

- Tout cela me semble excellent, s'exclama Hypnos. Je vais voir avec Minos comment nous allons pouvoir renforcer la sécurité des colonies tout en leur fournissant la main d'œuvre dont ils ont besoin.

- Thanatos ? Ton avis ? s'enquit Hadès en se tournant vers son Conseiller.

- Tu me connais, Majesté, je suis de nature plutôt emportée. J'ai tendance à foncer d'abord et à réfléchir après. Mais là, je vais faire tout le contraire. Rhadamanthe ne t'a rien dit au sujet des rapports qu'il a reçus ?

- A quels propos ?

- Il semble qu'aux alentours des colonies du Sanctuaire, des hommes soient venus traîner et poser des questions. Il ne m'en a informé qu'hier et je pensais qu'il t'avait prévenu.

- Non. Je dois le voir après notre entrevue. Je vais lui demander de venir. Markino ?

- Sire ? fit le Chambellan quelques instants après, en pénétrant dans la pièce.

- Fais envoyer chercher le Duc de Wyvern. C'est urgent ! Poursuis donc Thanatos.

- Eh bien à cause de ces rapports, j'aurais tendance à conseiller la prudence. La plupart de ces étrangers ont été éliminés, mais au moins un a réussi à repartir sans être inquiété.

- Peut-être parce qu'il ne représentait vraiment aucun danger, hasarda son frère.

- Hypnos, les ordres étaient d'éliminer toutes sources susceptibles d'informer Egide de notre présence sans distinction.

- Thanatos a raison, confirma Hadès. Voilà un manquement qui pourrait nous coûter cher. Mais je ne vais pas punir tout un bataillon pour ça.

- Je suis assez d'accord pour que Minos et Hypnos renforcent les colonies avec des troupes, mais surtout, il faut qu'elles ressemblent un peu plus à des villageois. Nous devons construire des maisons et faire acheminer du bétail. Les travaux de printemps arrivent à grands pas et nous devons continuer à protéger les fermiers.

- Soit. Je suis d'accord. Hypnos ?

- Moi de même. Je vais voir avec Minos comment nous pouvons organiser tout ça.

- Mais que fait Rhadamanthe ? s'impatienta le Roi quand Markino entra dans le bureau.

- Sire, il a été appelé à l'entrée du Palais. Il semble qu'une jeune Dame souhaite rencontrer le Seigneur Queen.

- Va le chercher ! cria le Roi.

Hadès bondit de son fauteuil, ordonnant aux jumeaux de le suivre. Ils traversèrent le château en courant, descendant les marches des escaliers quatre par quatre, manquant de se rompre le cou à chaque saut. Ils débouchèrent dans l'immense hall d'accueil essoufflés et surexcités. De loin, le Roi reconnut la silhouette du Duc qui semblait discuter avec une jeune femme.

- Que se passe-t-il ? s'écria Queen qui termina sa course dans les bras de son Roi.

- Il semble que notre invitée soit là, chuchota Hadès dans un murmure essoufflé. Rhadamanthe s'en occupe, ajouta-t-il avec un mouvement du menton vers l'entrée.

Les quatre hommes restèrent dans l'ombre d'une colonne alors que le Duc passait devant eux, non sans leur avoir lancé un regard complice assorti d'un imperceptible sourire en coin. Trottinant derrière lui pour ne pas se faire distancer, une jeune femme chaudement vêtue d'une tenue de voyage poussiéreuse et humide, le suivait. Il la fit entrer dans une pièce et referma la porte.

- Mission accomplie, Majesté ! sourit-il en rejoignant les quatre hommes qui trépignaient d'impatience.

- C'est elle ? s'enquit Queen, comme s'il était soulagé d'avoir réussi, comme s'il avait douté de la force de son pouvoir, de ses compétences.

- En chair et en os ! Pour l'instant, je l'ai confié à une servante. Elle a besoin d'une bonne nuit de sommeil.

- Elle ne voudra pas dormir avant de m'avoir vu, déclara le Magicien.

- Et pourquoi ? demanda le Roi.

- Parce qu'elle se croit menacée et qu'elle pense que je suis le seul à pouvoir la protéger. Après seulement, elle acceptera de se reposer.

- Queen, tu m'impressionnes ! le félicita Thanatos en posant une main chaleureuse sur son épaule.

- Que dois-je faire alors ?

- Mon cher Duc, sourit le Magicien en le prenant par le bras pour repartir en direction des escaliers qui menaient aux étages, tu devras l'amener dans mon donjon. J'y vais de ce pas. Majesté, veux-tu te joindre à moi ?

- Comment peux-tu me poser la question ! Hypnos, Thanatos, vous vous chargez de ce dont on a parlé !

- A tes ordres ! répondit Hypnos en entraînant son frère à sa suite.

- Allons dans ton antre !

- Pourquoi appelles-tu ainsi mon lieu de travail ?

- Parce que c'est encore plus inaccessible que la prison du Tartare ! s'esclaffa le Roi. Tes espions devront être remerciés et récompensés, poursuivit-il à l'attention du Duc. Ils ont fait de l'excellent travail.

- Je le leur ai déjà dit. Ils viendront nous faire un rapport complet dès qu'ils seront un peu reposés. Je vous rejoins avec elle dans quelques instants.

Hadès et Queen gagnèrent le donjon du Magicien aussi vite qu'ils le purent. Le Roi n'entrait que très rarement dans ce lieu. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, il n'était pas sombre et poussiéreux. Deux larges fenêtres laissaient entrer la lumière du jour. Une porte en bois donnait sur une petite terrasse qui conduisait au pigeonnier. Une grande cheminée occupait un mur tandis que les deux autres étaient couverts d'étagères pleines de parchemins et de grimoires. Au centre de la pièce, disposés sur une longue table, il y avait des flacons contenant des liquides de différentes couleurs. Contre le mur, derrière, une multitude de petits tiroirs constituaient une sorte d'armoire.

- Que contiennent-ils ? demanda le Roi, qui ressemblait à un enfant à qui on vient d'offrir sa première épée en bois.

- Des herbes, des œufs de crapauds, des griffes de chauve-souris, toutes sortent de choses qui me servent à préparer mes potions.

Queen disposa deux fauteuils devant la cheminée tout en répondant aux questions du Roi. Il avait mis de l'eau à chauffer et s'affairait à la mise au point d'un breuvage qu'il administrerait à Freya pour qu'elle ne leur saute pas à la gorge lorsqu'elle apprendrait la vérité. Il en profita pour voir si certaines potions étaient prêtes et les transvasa dans de petits flacons qu'il rangea soigneusement dans un meuble fermé à clé.

- Il y a de violents poisons là-dedans, répondit Queen au regard interrogateur d'Hadès. Tu n'auras qu'à rester dans le cabinet de toilette pendant mon entrevue. Je te ferai signe lorsque tu pourras venir.

- Tu as raison. Il vaut mieux ne pas effrayer cette Damoiselle. Je vais récompenser Zelos et Pandore, mais… toi aussi tu mérites toute ma reconnaissance, murmura Hadès en s'approchant de son Magicien, une lueur gourmande dans les yeux.

- Hmm… Et à quoi penses-tu ? répliqua Queen, sur le même ton.

- Je vais te faire passer la nuit la plus exceptionnelle que tu n'aies jamais connue… fit Hadès avant de l'embrasser à pleine bouche.

Nul doute que cette fameuse nuit promise aurait commencé immédiatement s'ils n'avaient pas entendu des pas dans l'escalier. Le Roi se glissa dans le cabinet de toilette et Queen ouvrit la porte. Rhadamanthe se décala pour laisser Freya passer.

- Soyez la bienvenue, ma Dame. Je suis Queen, Marquis d'Alraune et Magicien du Roi.

- Dame Freya de Megrez. Je suis soulagée de vous rencontrer enfin.

- Venez donc vous asseoir. Vous allez me raconter ce qui vous a poussé à entreprendre un si long et si périlleux voyage uniquement pour me rencontrer, d'après ce que m'a dit le Duc de Wyvern.

- Merci, Seigneur Queen, le remercia-t-elle en acceptant la tasse d'infusion qu'il lui tendait.

Elle y trempa les lèvres et ferma les yeux. Elle se sentait bien, enfin en sécurité. Les deux hommes l'observait, attendant qu'elle ait fini le breuvage, ce qu'elle semblait vouloir faire avant de fournir une quelconque explication.

- Un grand danger me menace et je sais que vous êtes le seul à pouvoir me protéger avec un sortilège.

- J'ai bien peur ma Dame que vous ne fassiez fausse route.

- Comment cela ?

- Permettez que je vous ôte ce bracelet ? fit Queen en lui prenant doucement le poignet alors qu'elle commençait à ressentir les effets de la potion.

- Le ferm… fermoir est bloqué… balbutia-t-elle alors que sa vue se brouillait.

- Voyons voir ça… Srel im amtulis ya conscanium (9)

Un cliquetis se fit entendre et le bracelet s'ouvrit. Freya écarquilla les yeux, son regard à allant du Magicien au bijou.

- Comment…

- La Magie, ma chère. Vous ne devriez pas tarder à recouvrer vos esprits.

- Je ne… je ne comprends pas…

- Vous aurez toutes les réponses aux questions que vous vous posez, un peu de patience…

Ce fut comme si un voile se déchirait dans sa conscience. Sa crainte de ce danger imaginaire disparut, elle réalisa à quoi elle s'était exposée durant ce voyage alors que son frère, sa Reine, la croyaient chez elle, auprès de son père. Mais comment avait-elle pu imaginer une absurdité pareille ? Pourquoi s'était-elle crue menacée et s'était-elle persuadée que seul ce Magicien pouvait la protéger ?

- Tout simplement parce que ce bracelet était ensorcelé, lui expliqua Queen. C'est lui qui vous a fait imaginer tout cela et pousser jusqu'ici.

- Mais pourquoi ? s'étrangla-t-elle, blême et au bord du malaise.

- Parce que je le lui ai demandé, fit une voix derrière elle.

Freya se retourna et vit un homme entièrement vêtu de noir qui semblait directement sorti de l'enfer.

- Qui êtes-vous ? Vous n'avez pas le droit de me retenir ici ! cria-t-elle de plus en plus terrifiée.

- Je suis le Roi Hadès. Et j'ai besoin de votre aide, termina-t-il avec un sourire malsain qui ne trompa pas la jeune femme.

- Ne comptez pas sur moi ! Vous m'amenez ici contre mon gré et vous voudriez que je vous aide à je ne sais quoi ?

- J'ai deux témoins qui jureront que c'est vous qui les avez pressé pour arriver ici le plus vite possible.

- Mais c'est à cause de votre bracelet…

- Quel bracelet ? demanda Queen qui fit disparaître l'objet en claquant des doigts sous les yeux éberlués des trois autres.

Car, il faut bien le dire, jamais le Magicien ne faisait étalage de sa science devant témoins. Pour la première fois, Hadès et Rhadamanthe prenaient pleinement la mesure de l'étendue des pouvoirs de Queen. Quant à la pauvre Freya, son esprit aurait irrémédiablement sombré dans la folie, si d'un geste vif de la main devant ses yeux, le Magicien ne l'avait pas endormie. Seul le sommeil lui permettrait d'assimiler tous ces évènements. A son réveil, elle serait plus lucide…

- N'aurait-on pu la maintenir sous l'emprise du sort ? demanda le Roi, qui n'avait pas envie d'avoir une hystérique folle de rage lorsqu'elle se réveillerait.

- L'utilisation de la Magie demande une grande prudence. Elle est sous son emprise depuis plusieurs semaines et j'ignore quels pourraient être les effets sur son esprit. Ne prenons aucun risque. Ce n'est pas comme si elle était un monstre dangereux. Ce n'est qu'une jeune femme terrifiée

- Bien, fit Hadès, satisfait de cette explication. Maintenant, il faut nous occuper de l'autre...

A suivre…

Le prochain chapitre vous emmènera à nouveau dans le Royaume des Océans. J'espère que vous avez aimé...


Pandore regarde une vue semblable à celle-ci. Un fjord sous la neige.

(1) Photo : Lindos. Ville de l'ile de Rhodes où les Doriens avaient construit un sanctuaire à Athéna.

(2) Tégée. Autre ville où était rendu un culte à Athéna dans un sanctuaire également.

(3) Par monde, j'entends bien sûr le continent sur lequel se trouvent les Quatre Royaumes.

(4) Photo : J'ai choisi de changer le motif de l'ours par celui de fleurs stylisées. Mais il me fallait avant tout un bracelet qui se ferme.

(5) Que la magie agisse.

(6) Photo : Le baudrier est une sorte de ceinture sur laquelle vient se fixer le fourreau d'une épée ou d'une ou plusieurs dagues. Certains se portent sur le côté, attaché autour de la taille, d'autre en bandoulière sur le flanc ou bien dans une position dorsale.

(7) Photo : Il s'agit d'une capture d'écran du film "Le Seigneur des Anneaux – La Communauté de l'Anneau" Ce sont les ruines de la forteresse d'Amon Sûl (Colline du Vent en sindarin dans l'œuvre de Tolkien) dans les Monts Venteux. C'est là où Frodon est blessé par un Nazgûl avant qu'Arwen ne l'emporte à Fondcombe. C'est à cela que ressemble les ruines que voient les trois voyageurs.

(8) Nyx (la Nuit) et Erèbe (les Ténèbres) sont la mère et le père d'Hypnos et Thanatos selon la mythologie grecque. Elée est une ville grecque près du golf de Salerne où Thanatos faisait l'objet d'un culte.

(9) Que le sortilège se brise !

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