Disclaimer : Tout l'univers de Saint Seiya que vous reconnaîtrez aisément appartient à Masami Kurumada. Je ne retire aucun profit de son utilisation si ce n'est le plaisir d'écrire et d'être lue. Les personnages de la mythologie appartiennent à tout le monde et les autres, ceux que vous ne connaissez pas, sont à moi.

Genre : Univers Alternatif Heroic Fantasy Médiéval Fantastic. Aventure/Romance/Surnaturel. Certains couples sont très inhabituels. Het, Yaoi et lemon bien sûr.

Rating : M ou NC-18

Résumé : Complots, romance, magie et créature surnaturelles, comment les histoires de ces Quatre Royaumes vont-elles se mêler et se démêler ? Résumé plus complet à l'intérieur.

Les Royaumes du Sanctuaire et d'Asgard, alliés indéfectibles, mènent une guerre contre le Royaume des Océans depuis plus de cent cinquante ans. Au moment où débute cette histoire, les raisons de cette guerre ont été oubliées. Non loin, le Royaume des Ténèbres se relève doucement d'une guerre de succession qui l'a laissé exsangue. Après avoir été ennemis, ils finiront par unir leurs forces pour faire face à une menace bien plus grande encore. De l'action, de la romance, du complot politique, de la magie et des créatures surnaturelles sont au rendez-vous avec de nombreuses références aux mythologies grecque et celtique ainsi qu'au manga original de Masami Kurumada. Het, Yaoi et lemon bien sûr.


Résumé du chapitre 10 au Royaume du Sanctuaire.

Milo, le Maitre de Traque est blessé par des loups. Il se retrouve au dispensaire où Shion le soigne. Mais il devra attendre d'être guéri avant de pouvoir repartir en forêt. Contraint de rester chez lui, au Palais, il reçoit la visite du Colonel Albior qui va lui faire un peu oublier sa mise au repos forcée.

Le Roi reçoit enfin la lettre qu'il attendait avec impatience. La réponse du Roi Poséidon qui accepte le mariage de son fils Julian avec la Princesse Saori pour mettre un terme à la guerre qui oppose leurs pays depuis si longtemps. Il en informe l'Ambassadeur d'Asgard, Albéric de Megrez, qui voit là une opportunité d'informer Hadès qui a enlevé sa sœur Freya.

Alors que Saori et ses Dames de compagnie sont au dispensaire pour aider à soigner les malades et les blessés, la Princesse est appelée par son Père. Quand celui-ci lui annonce son prochain mariage, elle perd connaissance sous le choc.

Le Roi se confie à Shion lors d'un entretien privé et lui fait part des craintes et des doutes qui l'ont assaillis alors qu'il a pris seul la décision d'envoyer cette offre de paix à Poséidon et combien il a eu peur que la réponse soit négative. Shion le rassure autant qu'il le peut et l'assure de sa confiance et de sa loyauté. Le soir venu en rentrant chez lui, il se détend dans un bain quand Dohko le rejoint…

Vous pouvez lire ce chapitre sur Antarès avec les musiques.

Et maintenant la suite. Bonne lecture.


Chapitre 13

Année 10219 de la Licorne, début du mois de mars, Royaume du Sanctuaire…

Shion arriva bon dernier. Les soins n'en finissaient plus et il désespérait pouvoir rejoindre ses amis dans la grotte, sous le Palais de Marbre. Tous étaient là en tenue d'entraînement. Dohko avait anticipé son retard en commençant les exercices. Le bruit des lames s'entrechoquant résonnait sous la voute de pierre. Le Médecin se changea rapidement et les rejoignit. Il constata avec plaisir que la blessure à la main d'Angelo ne le gênait pas pour mettre Shaka en mauvaise posture même si celui-ci n'y mettait pas toute sa force, ni celle de Milo au mollet pour bloquer Aïolia avec une clé de bras alors qu'il avait entouré son corps avec ses jambes dont le chasseur aurait pu se défaire s'il l'avait vraiment voulu. Ils semblaient tous en pleine possession de leurs moyens et parfaitement en forme.

Il commença par quelques étirements pour s'échauffer puis il affronta Saga. Ensuite les deux hommes prirent leurs épées pour un duel en bon et due forme. Dohko, en bon Maître d'Armes, observait attentivement, rectifiant une position ou un geste, donnant un conseil. La fatigue commença à se faire sentir. Les mouvements étaient moins précis, les armes se faisaient plus lourdes et les risques de blessures plus élevés. Shion décida d'arrêter cette séance. Et surtout, il devait les informer de certaines choses.

- Il y a longtemps que nous ne nous sommes pas tous retrouvés au grand complet. Beaucoup de choses se sont passées et c'est pour que nous ayons tous les même informations que j'ai attendu jusqu'à présent. Gabriel, si tu veux bien ?

Tous les regards se tournèrent vers le représentant de la Maison d'Aquarius. Le jeune homme se leva et fit quelques pas devant l'assemblée de ses pairs, inconscient de l'émoi qu'il suscitait chez l'un d'entre eux. Deux prunelles d'un bleu assombri par la lumière des torches détaillaient la silhouette élancée et élégante.

- Il y a quelques semaines, commença Gabriel en appuyant nonchalamment sa main sur la garde de son épée, un patrouilleur a rapporté que les terres frontalières au Royaume des Ténèbres étaient à nouveau occupées et exploitées. Le Roi a ordonné une enquête discrète. Il voulait être certain qu'il s'agissait bien de ses sujets.

- Ce ne serait pas le cas ? questionna Saga, devançant à peu près tout le monde.

- Eh bien… j'ai émis l'hypothèse qu'il pourrait s'agir de fermiers des Ténèbres, expliqua Gabriel.

- Pourquoi prendraient-ils le risque de s'installer chez nous ? demanda Aïoros en écartant les mains d'incrédulité devant l'idée de son ami.

- Lorsque j'ai appris ça, j'ai eu… un pressentiment.

Gabriel se tut, laissant ce mot faire son chemin dans l'esprit de ses compagnons. Il était bien connu que ses intuitions s'avéraient bien souvent fondées. Trop souvent pour que ce ne soient que de simples coïncidences.

- Le Ministre Dégel m'a donc confié la mission de m'en assurer. Et je n'ai rien trouvé qui soutienne mon hypothèse.

- Pourtant, tu doutes toujours, fit Mikael, assis tout à côté de Saga.

- Je les ai abordés en me faisant passer pour un blessé de guerre qui rentrait chez lui, faute de ne plus pouvoir se battre. J'ai demandé un peu de nourriture et de l'eau. J'ai posé quelques questions, mais les réponses, si elles n'étaient pas vraiment évasives, n'étaient pas non plus très précises. Je n'ai pas poussé plus loin pour ne pas éveiller leurs soupçons. Mais j'ai toujours… Par les Dieux ! Pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt ! s'écria Gabriel en frappant du pied parterre.

- De quoi parles-tu ? l'interrogea Shion.

Le jeune homme se tourna vers lui et le cloua de son regard glacé où la colère brillait.

- L'étendue des champs.

- Explique-toi, parce que je crois qu'on est tous perdu, lui demanda Aliandro en levant son immense carcasse pour se dégourdir les jambes.

- Je n'ai vu qu'une trentaine de personnes et quelques bêtes. Mais les champs qu'ils labouraient pour les semailles étaient bien trop grands pour leurs seuls besoins. S'ils gardent cette récolte pour eux, il leur sera inutile de semer l'an prochain, ni le suivant avec les réserves qu'ils auront.

- Qu'est-ce que tu en conclues ? demanda Dohko, se faisant le porte-parole de tous les hommes.

- Qu'une grande partie de la récolte va alimenter les greniers des Ténèbres. Le Roi n'a ordonné aucun retour dans cette région, ni dans aucune autre. Ce sont des fermiers des Ténèbres !

- Ton pressentiment était donc juste, une fois encore, sourit Milo. Tu saurais nous dire quel temps il va faire demain ?

Le regard meurtrier que lui lança Gabriel faillit bien tomber à plat quand il croisa les yeux rieurs et gentiment moqueurs du Maître de Traque car il faillit sourire à ce visage espiègle.

- Je ne suis pas devin, Milo, tenta-t-il de répondre avec sérieux avant de se détourner pour cacher son amusement.

- Qu'en pense le Roi ? voulut savoir Mû qui rengaina sa dague.

- Il ignore ce détail, parce que je viens seulement de m'en souvenir.

- Voilà qui est fâcheux, murmura Shion.

- Tu peux être plus clair ?

- J'y viens, Mikael. Voici l'autre raison de votre présence ici. La guerre est terminée.

Il leur fallut un certain temps pour réaliser les paroles de Shion. Ils vivaient avec ce conflit depuis leur naissance comme bien des générations avant la leur. Ils n'avaient jamais rien connu d'autre que les combats, la restriction de nourriture, la lutte pour survivre, l'arrivée incessante de réfugiés. Comment imaginer une chose qui avait toujours été une idée abstraite ? Comment réagir face à une notion qui, si elle ne leur était pas étrangère dans son concept, leur était inconnue dans sa réalité ?

La paix.

- C'est… Comment ? Comment ça la guerre est finie ? s'étonna Shaka en écarquillant les yeux de surprise, reflétant parfaitement celle de ses compagnons.

- Comment le Roi est-il parvenu à ce miracle ? demanda Aliandro.

- Il a proposé de marier la Princesse Saori et le Prince Julian. Le Roi Poséidon est d'accord. Dans quelques semaines, cette paix sera définitivement établie.

Saga fut le premier à reprendre ses esprits.

- Encore une génération de Chevaliers de la Caste d'Or qui n'aura servi à rien, dit-il avec amertume.

- Tu préfèrerais qu'il en soit autrement ? cingla vivement Dohko, le regard flamboyant de colère.

- Bien sûr que non, mais je me demande si l'Ordre de la Chouette a encore des raisons d'exister. Surtout maintenant.

- Tant que le Sanctuaire aura un Roi ou une Reine, nous nous devrons de les protéger. C'est notre devoir !

La voix de Shion avait claqué sous la voute de pierre qui répercuta le dernier mot à l'infini. Lorsque l'écho mourut, un silence gêné s'installa.

- Que fait-on pour les fermiers du sud ?

- Chaque chose en son temps, Angelo. S'ils ne sont pas de chez nous, on ira les déloger. Je suis sûr que tu te feras un plaisir de t'en charger, sourit malicieusement le Médecin qui connaissait bien l'ardeur du jeune homme au combat.

- Et comment ! Tu peux compter sur moi !

- Il ne faudrait pas qu'au moment des réjouissances, une nouvelle guerre nous tombe dessus, murmura Shaka en secouant la tête.

- Le mariage n'aura pas lieu avant plusieurs semaines, reprit Shion. D'ici là nous aurons eu le temps de savoir qui sont ces fermiers. J'aimerais profiter aussi de cette occasion pour vous suggérer de chercher un apprenti qui vous succèdera le moment venu.

- Tu crois qu'on se fait vieux ? plaisanta Shura en sautant souplement au bas de son promontoire de pierre.

- Non, mais notre savoir ne doit pas se perdre. S'il nous arrivait un accident, qui formerait notre successeur ?

- Nos archives sont très bien tenues.

- C'est vrai. Et c'est à toi que nous le devons Shaka, mais vous savez tous que rien ne vaut l'apprentissage avec un Maître. Alors songez-y sérieusement. Quelqu'un à encore quelque chose à dire ? Non ? Bien. Et essayez d'aller plus souvent aux entraînements avec les instructeurs. Ils vont finir par venir vous chercher eux-mêmes !

- Les Castes d'Argent et de Bronze ne font et ne feront jamais le poids face à nous ! rétorqua doctement Milo en s'enveloppant dans sa cape.

- Prétentieux, va… le chambra Aïolia en souriant.

Aussi discrètement qu'ils étaient entrés, ils ressortirent de ce lieu secret pour regagner leurs appartements. Alors qu'il allait s'engouffrer dans la nuit, Mikael se sentit tiré en arrière. La dernière torche s'éteignit et il se retrouva dans le noir total. Il fut repoussé doucement en arrière et son dos heurta le mur Une bouche exigeante se posa sur la sienne. Le baiser était tendre, mais ferme. Un frisson dévala son échine jusqu'au creux de ses reins.

- Cette fois je n'ai pas bu, et je sais parfaitement ce que je fais, murmura une voix grave à son oreille.

- Tant mieux, s'entendit-il répondre avant de chercher à nouveaux les lèvres pleines et chaudes.

Il les trouva sans peine. Le baiser fut plus langoureux, les souffles s'accélérèrent, les sens s'embrasèrent, mais le lieu n'était pas du tout propice à la frivolité.

- Je te dois un diner, reprit Mikael en effleurant des lèvres la joue rappeuse contre la sienne.

- Tu ne me dois rien…

- Saga, j'avais dit que je t'inviterai, mais nous n'avons pas eu le temps. Demain soir ? Chez moi ?

- D'accord. Dis au Chef Pryce que tu viens de ma part. Il fera des merveilles…

- Au fait, j'ai des hommes pour t'aider aux travaux des champs. Je viendrai te voir demain matin pour en parler.

- D'accord…

Les deux hommes rirent doucement, un peu gênés mais heureux et s'embrassèrent encore. Mais ils durent se séparer, ivres de désir et de frustration.

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A l'extérieur des remparts de la Cité, une vaste plaine servait de lieu d'entraînement à certaines disciplines comme le combat à cheval ou le tir à l'arc. Ce matin-là, il faisait beau, même s'il faisait encore froid. Les archers s'étaient retrouvés pour parfaire la précision de leur tir sur des cibles fixes. Situés à environ deux cent mètres, ces tireurs d'élite faisaient mouche à presque tous les coups. Shura et Angelo avaient convenu la veille d'une séance de tir. Ils retrouvèrent d'autres Chevaliers des Castes de Bronze et d'Argent. Seiya et Shiryu étaient certainement les plus doués. Shun et Ikki décochaient leurs traits avec sérieux et concentration. Marine et Shaina écoutaient les conseils de Capella, l'instructeur en conduite de char de guerre. Il se devait d'être un excellent archer car il lui fallait utiliser cette arme tout en roulant. Son enseignement était donc précieux.

Un galop de cheval leur fit tourner la tête à tous. Lancé à toute allure, Aïoros arrivait comme un démon, son arc tendu, encoché de trois flèches. Sans ralentir l'allure, il tira. La cible située à plus de deux cents cinquante mètres vacilla vers l'arrière sous l'impact puis se stabilisa. Les trois flèches étaient plantées en plein centre. Tout le monde cria et applaudit. Il n'était pas le Maître Archer pour rien. Il se dirigea vers ses amis et mit pied à terre.

- Ça t'amuse de nous ridiculiser ? l'apostropha Angelo, vexé.

- Absolument ! répondit fièrement le jeune homme. C'est pour vous motiver à vous entraîner encore plus !

- Ouais ? Ben moi j'ai des chevaux qui m'attendent ! grommela Shura en passant son arc en bandoulière.

- Et moi j'ai des peaux à tanner !

- Allez ! Soyez beaux joueurs ! sourit Aïoros. Je ne sais pas dresser un cheval aussi bien que toi, Shura. Ni faire des cuirs aussi magnifiques que les tiens. Alors acceptez que je puisse être meilleur que vous dans ma discipline.

- Je crois que Capella aimerait bien que tu l'aides, fit malicieusement le Maître Palefrenier. Je suis sûr qu'un certain capitaine serait ravi de profiter de ton enseignement.

- Je suis bien d'accord, répondit le représentant de la Maison Sagittarius avec un sourire.

Il laissa ses deux amis, non sans leur avoir conseillé de poursuivre l'exercice, et se dirigea vers Capella.

- Besoin d'aide ? proposa-t-il avec un sourire enjôleur destiné au Capitaine à côté d'eux.

- Shaina manque de précision et n'arrive pas à s'améliorer, expliqua Capella.

- Et j'enrage ! s'écria cette dernière.

- Montre-moi.

Shaina était une femme forte et fière. Si Marine avait progressé, il n'était pas question qu'elle ne puisse pas faire de même. Elle prit une flèche dans son carquois, l'encocha, tendit la corde vers l'arrière jusqu'à ce qu'elle touche son nez, bloqua sa respiration et tira. Le projectile se ficha un peu à côté du centre.

- Pas mal, estima Aïoros, et mortel huit fois sur dix. Ce n'est pas ta précision qui est en cause.

- C'est quoi ?

- Tu es trop nerveuse et trop exigeante avec toi-même. Ma présence te gêne parce que je suis le Maître Archer. N'importe qui s'estimerait heureux d'avoir un tir pareil !

- Eh bien pas moi ! Que dois-je faire à ton avis ?

- Prends ton cheval et va faire un tour pour te détendre. Ensuite, nous recommencerons. Capella ? Où en sont tes hommes ?

Shaina obéit et s'éloigna au petit trot. Bien sûr qu'elle était nerveuse. La présence d'Aïoros lui faisait perdre tous ces moyens. Comment voulait-il qu'elle progresse s'il était là à la regarder ? Pourtant, elle devait vaincre ce trouble qui l'envahissait à chaque fois qu'elle le voyait pour améliorer son tir. L'arc n'était pas son arme de prédilection. Elle préférait de loin l'épée. Son agilité et sa rapidité compensait le manque de puissance de ses coups. Manque de puissance parce qu'elle était une femme, rien d'autre. Et à cette arme, elle faisait jeu égal avec les meilleurs bretteurs du Royaume. Sauf peut-être contre Dohko qui s'était souvent vanté auprès de Shion d'avoir une élève aussi douée. Mais jamais il ne l'aurait dit à la jeune femme. Il fallait qu'elle croie pouvoir encore progresser pour toujours être au meilleur niveau. Et elle voulait tout autant réussir au tir à l'arc. Mais on ne pas être doué pour tout.

Elle revint vers les archers après un long moment. Marine s'approcha d'elle et la regarda avec compassion.

- Tu sais bien qu'il dit ça pour te motiver à te dépasser, lui murmura-t-elle pendant qu'elle attachait son cheval.

- Je le sais bien, mais c'est plus fort que moi. Si Aïolia t'emmenait chasser, tu crois que tu ramènerais beaucoup de gibier ?

- Non… je ne crois pas, éclata de rire la jeune femme. Allez, vas-y et montre-lui que tu es plus forte que ce qu'il éveille en toi.

- Je vais réessayer, fit Shaina d'une voix assurée en reprenant son arc.

- Vas-y, l'invita le Maître Archer en la regardant se positionner.

Elle se plaça de profile à la cible, les pieds légèrement écartés, le dos bien droit. Elle encocha la flèche, tira la corde, visa…

- Attends… Tu oublies une chose importante, fit Aïoros en s'approchant d'elle. Tu dois sentir ta respiration ventrale et la bloquer au moment où tu lâches ta flèche.

Disant cela, il avait entouré la taille de Shaina d'un bras et posé sa main sur le ventre recouvert du cuir de sa brigandine pour illustrer son explication. Shaina fut secouée d'un violent frisson en sentant son dos contre le torse de l'homme. Elle décida de transformer son trouble en force. Elle se sentait tellement bien contre lui.

- Vise encore… Suis le fût de la flèche, lui murmura-t-il dans l'oreille d'une voix intimiste. Regarde la pointe et prolonge jusqu'à la cible.

Shaina suivit les conseils à la lettre et juste avant de tirer, elle bloqua son souffle. La flèche se ficha au centre de la cible. Elle se retourna vers son instructeur, un sourire vainqueur aux lèvres et dans ses yeux verts, la fièvre d'une passion dévorante.

- Si on arrêtait de jouer au chat et à la souris ?

- Pardon ? s'étonna Aïoros qui ne comprit pas de suite ce que Shaina voulait dire.

Elle s'avança vers lui, attrapa sa nuque d'une main et l'embrassa à pleine bouche devant tout le monde. Loin de s'offusquer, le jeune homme enserra la taille fine et souple pour la courber contre lui.

- Ah ben là, elle a pas raté sa cible ! railla Seiya.

- Va t'entraîner au lieu de dire des idioties ! gronda Marine en lui lançant un regard noir.

Le couple était le point de mire de toutes les personnes présentent. Ils finirent par se séparer.

- Eh bien, murmura Aïoros en plongeant ses yeux dans ceux de la jeune femme, tu m'as devancé de peu.

- Tu avais dans l'idée de m'embrasser ?

- Peut-être pas, mais je t'aurais fait comprendre mes intentions.

- Tu voudrais me faire la cour peut-être ?

- Non, tu n'es pas ce genre de femme. Tu n'aimes pas ces petites attentions que tu trouves empruntées. Tu n'es pas du genre à tourner autour du pot. Tu vas droit à l'essentiel.

- Et… ça te déplait ? demanda-t-elle, mutine.

- Bien au contraire. Rendez-vous ce soir à la Fontaine du Gorgonéion(1)

- Et que ferons-nous ?

- Peut-être une promenade à cheval au clair de lune ou bien…

- Ou bien ?

- Ou bien peut-être t'entraînerais-je dans le foin d'une écurie pour te faire subir les derniers outrages, lui chuchota-t-il à l'oreille, lui arrachant un sourire amusée.

- Et… c'est censé me faire peur ? Rendez-vous à la Fontaine après le couché du soleil.

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La nuit était tombée et les rues d'Egide s'étaient vidées de leur population. Sur l'une des petites places de la Cité, se dressait un rocher qui émergeait du sol d'environ deux mètres de haut et autant de large. Venue d'on ne savait où, de l'eau sortait d'une anfractuosité du rocher. La légende disait que la fontaine était la première source de la ville et que c'est pour cela que son fondateur avait choisi cet endroit pour bâtir la cité. Plus tard, un sculpteur avait été choisi pour orner la source d'un visage effrayant dans le but d'éloigner les mauvais sortilèges et la magie noire. Il grava le visage d'une femme avec des dents de sanglier et d'innombrables serpents en guise de chevelure. Lorsqu'on lui demandait pourquoi il avait choisi ce motif, il répondait qu'il en avait entendu parler dans les récits des vieux conteurs.

A l'époque où les Dieux arpentaient la Terre aux côtés des hommes, une créature du nom de Gorgone(1) s'amusait à effrayer les bergers et se nourrissait des bêtes de leurs troupeaux. Un jour, un vaillant jeune homme se lança à sa poursuite. Il la traqua et lui coupa la tête. Actuellement, le jeune patrouilleur Argol de la Maison de Persée était le descendant de ce courageux pâtre et les armoiries de sa Famille représentaient la tête coupée d'une femme avec de grandes dents et des serpents sur la tête. Cette créature était si horrible qu'il fut facile de lui attribuer le pouvoir d'éloigner les mauvais esprits. Et quiconque voulait protéger un bien dessinait cette tête dessus.

La fontaine ornée de cette horrible mais non moins efficace protection, donnait une eau potable, claire et pure. Jamais jusqu'à présent elle ne s'était tarie ni n'avait diminué son débit. Une vasque recevait l'eau et le trop plein s'écoulait dans une rigole qui traversait la ville pour aller se jeter dans la rivière qui longeait Egide.

Une ombre se glissa dans le recoin d'un pilier. Elle se fondit dans la noirceur de la nuit et retint un cri quand deux bras puissants se refermèrent sur elle.

- Je ne croyais pas que tu viendrais…, murmura une voix tout contre l'oreille de Shaina.

- Tu crois que me retrouver seule avec toi me fait peur ?

- Non, mais qui sait… avec les femmes on ne sait jamais où on va…

Un léger coup de poing dans les côtes fit gémir et rire Aïoros. Il poussa la jeune femme contre le mur et l'embrassa presque sauvagement. Baiser auquel elle répondit de la même façon.

- Alors ? Tu m'as parlé d'une balade à cheval ?

- Viens…

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Une ombre furtive glissait dans les couloirs du Château sans un bruit. Rapide, souple, enveloppée dans un grand manteau de laine sombre, Saori courait à son rendez-vous. Elle traversa les cuisines désertes à cette heure de la nuit et en sortie en direction des écuries. Quelques minutes plus tard, elle entrait dans une remise où les palefreniers rangeaient le matériel qui leur servait à s'occuper des chevaux. Les rayons de la pleine lune entraient par les interstices entre les planches disjointes de la cabane, créant en alternance des traits clairs et sombres. Un chuintement d'étoffe la fit sursauter.

- Seiya, c'est toi ?

- Je suis là.

Elle se précipita dans ses bras et éclata en sanglots. Le jeune Chevalier ne dit rien et la serra doucement contre sa poitrine, lui communiquant sa chaleur et son réconfort. Après quelques instants, elle s'apaisa enfin.

- Pourquoi es-tu dans un tel état ? Que se passe-t-il ? lui demanda-t-il enfin, d'une voix douce.

- Seiya, si tu savais… C'est terrible ! gémit-elle contre sa poitrine.

- Calme-toi et explique-moi, murmura-t-il en caressant tendrement ses cheveux.

- Mon père… je… je vais bientôt partir !

- Partir ? Mais où ? Pourquoi ? s'écria-t-il, une pointe de panique dans la voix.

- J'ai voulu te l'annoncer moi-même. Je ne voulais pas que tu l'apprennes comme tous les autres.

- Saori, je t'en prie, explique-toi !

- La guerre est finie ! Mon père a conclu un accord avec le roi Poséidon. Je pars bientôt pour le Royaume des Océans. Je dois épouser le prince héritier !

Elle s'écroula contre le jeune homme, à nouveau en pleurs. Seiya n'eut aucune réaction, pas même celle de la prendre à nouveau dans ses bras. Il avait l'impression d'avoir reçu un coup de massue sur la tête. Aucun ne voyait le visage de l'autre, mais la jeune femme devinait les traits durs et fermés du Chevalier.

- Tu as accepté ? demanda-t-il d'une voix atone.

- Tu sais bien que je n'ai pas mon mot à dire. La raison d'état l'exige.

- La raison d'état ? Par les Dieux ! gronda-t-il, en colère. Pourquoi n'ai-je pas demandé ta main à ton père ? Pourquoi voulais-tu patienter ? Pourquoi t'ai-je écouté ?

- Nous ne pouvions pas imaginer un seul instant qu'il ferait une telle chose !

- Pardon ma mie ! Je m'emporte, mais je suis fou de rage ! Je tiens tellement à toi, et savoir que tu vas bientôt appartenir à un autre me rend ivre de colère et de tristesse.

- Moi aussi je suis triste. J'ai l'impression qu'on vient de m'arracher le cœur…

Ils restèrent encore longtemps dans les bras l'un de l'autre. C'était probablement la dernière fois qu'ils pourraient le faire et ils savouraient chaque seconde de cette douce étreinte. Puis Seiya revint à la raison.

- Il est tard, il faut que tu regagnes ta chambre.

- Je n'ai pas envie de te quitter…

- Moi non plus, mais il le faut. Nous devons faire notre devoir. Chacun de nous protège notre terre et notre peuple à sa manière. Moi en combattant nos ennemis, toi en épousant un homme qui deviendra notre allié. J'admire ton courage…

- J'ai une faveur à te demander.

- Laquelle ?

- Ne dis rien à personne concernant la fin de la guerre. C'est à mon père de l'annoncer.

- Tout comme ton mariage, gronda-t-il.

- Promet-le moi… Je t'en prie…

- Je te le promets, déclara-t-il après une longue hésitation.

- Oh Seiya…

Ils échangèrent un baiser fougueux et désespéré. Se quittant à regret, chacun regagna son lit, seul.

Aïoros et Shaina étaient immobiles de stupeur. Ils étaient rentrés de leur promenade à cheval et venaient de finir de déharnacher leurs montures. En entendant du bruit, ils s'étaient cachés, pensant à un voleur. A la faveur de la lumière de la lune, ils avaient reconnu le Chevalier de Pégase. Mais lorsqu'ils virent arriver la Princesse Saori, Shaina eut toutes les peines du monde à retenir son compagnon qui aurait massacré le jeune homme pour avoir compromis l'honneur de la Princesse. Shaina, plus pragmatique attendit de connaître la fin de leur conversation. Et elle eut raison.

- Qui aurait cru que ces deux-là…

- Tu es aveugle alors, se moqua gentiment la jeune femme. N'as-tu jamais remarqué comment ils se regardent lorsqu'ils sont en présence l'un de l'autre ?

- J'avoue que je n'y ai jamais fait attention.

- Ah ! Les hommes ! soupira la représentante de la Maison de Cobra. Qu'on vous donne un ennemi à combattre et vous ne le ratez pas. Mais dès qu'il s'agit de la subtilité des sentiments, vous êtes aussi myopes que des taupes !

- Tu veux voir si je suis myope ?

Disant cela, il fit un croche-pied à sa compagne qui tomba dans la paille. Il plongea son visage dans son cou et sema des baisers brulants qui allumèrent un brasier dans le corps souple qui se tendait vers le sien. Dans le secret de l'écurie, ils se donnèrent l'un à l'autre avec une ardeur et une tendresse que seul un amour naissant peut inspirer.

- Pourquoi ne m'as-tu pas laissé intervenir, tout à l'heure ? demanda Aïoros en regardant la jeune femme dans ses bras.

- Parce que je ne doutais pas de la vertu de Saori. Elle sait très bien que toutes les femmes ne sont pas vierges le jour de leur mariage mais plus tu montes dans le statut social et plus la virginité est préservée. Même si après elles sont aussi infidèles que leurs maris, il reste le premier. Par contre si les choses avaient dégénéré, je serais intervenue avec toi.

- Estimes-tu donc ton statut si bas que je ne sois pas le premier ?

- Non. Je n'ai simplement pas eu le choix.

- Comment ça ?

- Je n'ai pas connu mon père, il est mort à la guerre. Ma mère a épousé un autre homme qui m'a trouvé à son goût quand j'ai eu treize ans. A quatorze, je lui ai échappé en devenant écuyère puis finalement Chevalier.

- Et où est-il aujourd'hui ? Que je le tue !

- Calme-toi, sourit-elle tendrement et touchée de sa réaction. Il est mort il y a quatre ans lors de l'épidémie de dysenterie.

- Oui, je m'en souviens.

- Comme quoi, il y a peut-être un Dieu compatissant qui entend les prières des petites filles…

- Tu as prié pour qu'il meure ?

- Oui… Et dans les pires souffrances. Ma mère m'a dit que ça avait été horrible…

- Tu ne pardonnes rien, hein ?

- Tu peux pardonner ce genre de choses, toi ?

- Non, bien sûr que non… Mais je me dis que sans lui, tu ne serais pas devenu Chevalier et nous ne nous serions pas rencontrés…

Shaina se redressa sur un coude et chercha le regard de son amant qu'elle trouva à la faveur d'un rayon de lune.

- Je crois que si deux personnes sont destinées l'une à l'autre, alors peu importe le chemin qu'elles empruntent. Elles se croiseront inévitablement.

- C'est une jolie pensée… Euh… Shaina ?

- Oui ?

- Ce que nous venons d'apprendre à propos de la fin de la guerre, gardons-le pour nous. Le Roi a certainement prévu de faire une annonce officielle, lui suggéra-t-il bien qu'il fût déjà dans la confidence.

- D'accord. Inutile de propager des rumeurs si jamais les choses ne se passent pas comme prévues.

Après une nouvelle étreinte où Aïoros laissa Shaina prendre l'ascendant, ils se séparèrent mais avec la ferme intention de ne pas cacher leur relation. Ils n'étaient plus des enfants et la jeune femme ne l'aurait pas supporté longtemps. La seule chose qui le gênait un peu, c'était de devoir lui cacher qu'il appartenait à l'Ordre de la Chouette. Il relégua cette idée au fond de sa tête en se disant qu'il y ferait face le moment venu. Si le moment venait…

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Ce deuxième jour du mois de mars allait être gris. Dès les premières lueurs de l'aube, le ciel était resté obstinément couvert. Un petit vent frais agitait les arbres et se glissait vicieusement dans les ouvertures des vêtements, faisant désagréablement frissonner les gens. Saga ouvrit les yeux, réveillé par le froid qui régnait dans l'étable. A ces côtés, Tegwen remua. Le jeune homme se redressa vivement sur la paille et chercha dans le compartiment voisin, la silhouette de la vache qui leur avait fait une belle frayeur.

La veille, la bête s'était couchée, sentant venir le moment où son veau allait naître. Mais les choses ne se passèrent pas bien. Le petit se présentait mal et la mise-bas s'annonçait compliquée. Saga avait même fait appeler Shion. Mais finalement, Tegwen plongea la main dans le ventre de la vache et tourna le veau. La pauvre bête beugla de douleur mais enfin le petit sortit. Saga l'avait tiré de toutes ses forces par les pattes et s'était retrouvé avec une masse sanguinolente dans les bras. Le Médecin et son intendant souriaient mais un début d'hémorragie les rappela à l'ordre. L'un des sabots du veau avait déchiré les chairs de sa mère. Shion intervint puis voyant que la blessure ne saignait plus, il était rentré chez lui.

Saga et Tegwen s'étaient écroulés de fatigue dans la paille alors que le veau tétait sa mère qui s'était déjà relevée.

Le jeune homme observa la vache qui ruminait paisiblement alors que le nouveau-né dormait. Il sourit et passa une main lasse sur son visage. Il s'approcha de son intendant et le réveilla doucement. Puis ils rentrèrent dans la maison en parlant de la nuit. Une servante leur apporta de quoi se caler solidement l'estomac. La veille, il devait dîner avec Mikael, mais Saga lui avait envoyé un messager pour décommander. Il allait certainement venir aujourd'hui et le bruit d'une troupe de chevaux qui arrivaient le conforta dans cette idée. Son cœur s'emballa et une étrange sensation à l'estomac le fit sourire.

- J'ai eu ton message ! s'écria le représentant de la Maison de Piscès. Comment va ta vache ?

- La mère et l'enfant se portent bien… mais on a eu chaud, répondit Saga sans quitter le jeune homme des yeux qui lui rendit son sourire. Vous mangez quelque chose ?

- On l'a fait avant de partir. Alors ? Par quoi commence-t-on ?

Tout au long de l'année, avec patience et dégoût, il faut bien l'avouer, les déjections animales étaient stockées dans une fosse immense en superficie mais peu profonde. Saga conduisit ses paysans et les pécheurs de Mikael jusque-là. Aux abords de la fosse, une dizaine de chariots étaient alignés et des hommes avaient déjà commencé à les remplir. Aussitôt, les nouveaux arrivants se joignirent à eux. Une fois pleins, les chariots étaient conduits au bord des champs et roulaient à l'intérieur. A l'arrière, deux hommes armés de pelles jetaient le fumier sur la terre. Et vu l'étendu des champs, il faudrait plusieurs jours pour arriver au terme de ce labeur puant mais nécessaire.

Dans l'un des chariots, Mikael monta avec Saga. Depuis la fin de la réunion dans la caverne, ils ne s'étaient plus vus. Et la façon dont ils se dévisageaient et s'observaient était révélatrice de l'attirance qu'ils éprouvaient l'un pour l'autre.

Une fois cette phase achevée, il faudrait labourer la terre pour qu'elle se mélange au fumier et l'assimile. Une petite averse de pluie serait la bienvenue pour aider et accélérer le processus mais même Shion, tout puissant Magicien qu'il était, n'avait pas le pouvoir de commander aux éléments. Tout au plus, s'en servait-il. Ensuite viendrait le temps des semailles. Saga avait prévu du blé, de l'orge, de l'avoine, du maïs ainsi que du lin pour les tisserands. Et il pensait déjà à l'année suivante. Si effectivement la guerre était finie, les fermiers pourraient retourner dans le sud-ouest exploiter à nouveau les rizières. Et en tant que Maître Agriculteur, c'est lui qui serait chargé de superviser toutes ces cultures aux quatre coins du Royaume.

Vers midi, il ordonna une pause. Dans la cour, devant les dépendances de la ferme, les serviteurs dressèrent rapidement une table sur des tréteaux et apportèrent à manger et à boire. L'ambiance était joyeuse, chacun se taquinant sur qui sentait le plus mauvais. Assis sur un ballot de paille, les deux Chevaliers observaient leurs hommes.

- J'ai tellement envie de leur dire que la guerre est finie, murmura Mikael en mordant avec plaisir dans une cuisse de poulet.

- C'est au Roi de faire cette annonce par l'intermédiaire des hérauts.

- Je sais… Non d'un chien ! Qu'est-ce que tu pues ! râla Mikael en agitant la main devant son nez.

- T'es face au vent, idiot ! Et toi aussi tu sens mauvais ! rétorqua Saga en le regardant du coin de l'œil.

- Je crois que je préfère encore l'odeur des poissons !

- Petite nature ! se moqua le fermier.

- Répète un peu ? Viens pêcher avec moi et on verra combien de temps tu supporteras l'odeur de la marée ! Surtout quand elle est basse et que le soleil est chaud !

- Je t'ai dit l'autre fois que ça n'arrivera pas, murmura Saga en redevenant brusquement sérieux.

- Si tu me disais pourquoi tu détestes autant la pêche ?

- Je ne t'ai jamais dit comment j'ai perdu mon frère ?

- Non…

- Mon père était pêcheur. Ce jour-là, il nous avait emmené Kanon et moi. On riait, on plaisantait, on disait que ma mère allait faire une délicieuse soupe. On est parti… il y a eu un terrible orage. Le bateau s'est retourné. Mon père et moi avons fini par échouer sur une plage… Il nous a fallu deux jours pour rentrer chez nous… sans mon frère…

- Je suis désolé, souffla Mikael en baissant la tête. Je comprends mieux, effectivement…

- Depuis ce jour, mon père ne m'a plus jamais emmené à la pêche et il a voulu que je devienne fermier pour ne pas approcher la mer.

- On ne peut pas lui en vouloir…

- Et je ne lui en veux pas. Alors je veux bien t'aider à décharger tes cales et vider les poissons, mais je n'irai pas en mer avec toi.

- C'est réglé. Je ne t'en parlerai plus.

Saga sourit à son ami. Il était étonné de la facilité avec laquelle il venait de se confier. Mais ça lui avait fait du bien. Un pas de plus vers cet avenir dont ils avaient déjà parlé lors de leur premier dîner.

L'après-midi s'écoula au rythme des chariots et des pelletées de fumier. Le soleil était bas lorsque Saga décida qu'il était temps d'arrêter. Fourbus, les hommes regagnèrent la ferme. C'est là que commença une séance de décrassage. Les servantes avaient placé des baquets dans la cour même où ils avaient mangé. Entièrement nu, chaque homme se plongea avec délice dans l'eau chaude parfumée. Les commentaires salaces allaient bon train, et les femmes claquaient régulièrement sur les mains qui tentaient de les agripper pour les entraîner dans l'eau.

- Je vais rentrer pour dire au Chef Pryce de nous préparer quelque chose et prendre un bon bain.

- On pourrait le prendre ensemble, murmura Saga en attrapant entre ses doigts une mèche turquoise qui flottait au vent, un regard brillant de désir.

- Pourquoi pas… mais on va quand même se décrasser un peu, non ? répondit le Maître de Pêche sur le même ton. Sauf si tu arrives à supporter ton odeur jusque là…

- Non, tu as raison. Mais ce soir, le bain quand même !

- Absolument !

Puis il tourna les talons pour se rendre à l'écurie, récupérer son cheval. Il ne vit pas le sourire radieux de Saga.

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Depuis que le Roi lui avait annoncé qu'elle allait se marier, la Princesse Saori avait perdu le sourire. Plus rien n'arrivait à effacer la tristesse de son regard. Avec ses dames de compagnie, elle avait commencé à préparer son trousseau. Toute la journée, elle brodait ses initiales sur ses vêtements. Un S et un K entrelacés au fil de soie à l'intérieur des armoiries de la Famille Kido.

Pas un n'y échapperait. Du simple mouchoir à sa robe de mariée qui n'était même pas encore cousue. Saori faisait traîner les choses. A deux reprises déjà, le Maître Tisserand était venu la voir pour qu'elle choisisse le tissu et prendre ses mesures, mais elle avait temporisé prétextant une fatigue quelconque. Cette fois-ci, Shion vint avec l'homme et la Princesse ne put se dérober. Le Médecin savait comment lui parler et l'amener à obtempérer, mais il voyait bien qu'elle dépérissait. Elle finit par choisir du velours damassé d'un blanc virginal et de la soie d'un bleu turquoise profond, rappelant la couleur des mers du sud en l'honneur de son futur époux. Le Tisserand fit ensuite de nombreuses propositions à la Princesse pour la forme de la robe et les différentes enjolivures. Elle accepta tout sans même discuter. Quelle importance que la robe lui plaise ou pas. Elle ne la mettrait qu'un jour et ensuite, songea-t-elle, elle la brulerait. Pas question qu'elle la garde en souvenir comme l'avait fait sa mère.

Alors qu'elle en avait terminée avec ce choix, le temps des essayages viendrait plus tard, Shion la mena jusqu'aux jardins de l'est. Ils n'étaient malheureusement plus entretenus fautes de jardiniers, mais malgré tout, s'y promener était toujours agréable.

- Si tu me disais pourquoi tu es si triste ? lui demanda le Médecin alors qu'elle s'asseyait sur un banc en pierre.

- Comme si tu ne le savais pas… soupira-t-elle.

- Parler fait parfois du bien…

- Rien ne peut me faire du bien. Je vais être donnée à un homme que je ne connais pas, dans un pays que je ne connais pas, au milieu de gens que je ne connais pas !

- Tu apprendras à les connaître…

- Pourquoi faire ?

- Pour les apprécier et peut-être… les aimer.

- Une princesse ne réalise pas vraiment quel sera son destin jusqu'à ce que celui-ci devienne brutalement une réalité. Jamais je ne me suis demandé quel serait mon avenir. Il était tout tracé pour moi. Je succèderai à mon père, je deviendrai Reine du Sanctuaire, j'épouserai un homme que j'aime, nous aurions des enfants et la vie continuerait…

- Et vous feriez encore la guerre aux Océans. Ça fait aussi partie de cet avenir que tu voyais ?

Saori baissa les yeux, un peu honteuse. Dans son énumération, elle n'avait pensé qu'à elle. Pas un seul instant, elle n'avait songé à son peuple. Quelle piètre Reine elle aurait fait.

- Ne vois-tu pas les raisons qui ont poussées ton père à faire ce choix ?

- Bien sûr que si ! Me crois-tu donc si stupide ? Je comprends parfaitement pourquoi il a fait ça, et c'est la raison pour laquelle j'aurais préféré naître bourgeoise ou même paysanne. J'aurais eu plus de chance d'épouser un homme selon mon cœur.

- Tu sembles exclure la possibilité de tomber amoureuse de ce Prince. Pourquoi ?

- Je ne le connais pas ! Comment pourrais-je l'aimer ?

- Tu finiras par le connaître…

- J'espère qu'il n'est pas d'une laideur repoussante.

- Tu sais qu'il doit se poser les mêmes questions à ton égard ?

- C'est normal, tu ne crois pas ? A mon âge, une princesse est bien souvent déjà mariée. Et lui ? Pourquoi est-il encore célibataire ? Il doit être si laid que son père doit avoir bien du mal à lui dénicher une épouse.

- Et où voudrais-tu qu'il la trouve ? répliqua le Magicien d'un ton où perçait l'agacement. Nos deux pays n'ont plus de relations diplomatiques avec nos voisins depuis fort longtemps à cause de cette guerre. Comment toi et lui, pourriez-vous rencontrer d'autres princes et princesses ?

- Oooh Shion ! Tu m'ennuies avec toutes ces questions ! Je n'ai pas envie de réfléchir. Je n'ai plus envie de rien.

- Pas même de retrouver dans les écuries celui qui fait battre ton cœur ?

Saori leva vivement la tête vers Shion qui la regardait tendrement. Sa réaction était plus parlante que si elle lui avait tout avoué de vive voix. Aïoros s'était empressé de prévenir le Médecin, pour faire surveiller la Princesse et éviter toutes mauvaises surprises.

- Pensais-tu vraiment que tes escapades nocturnes passeraient longtemps inaperçues ? reprit-il.

- Je suis espionnée ?

- Non, mais surveillée. Et cela depuis que tu es toute petite. Tu es si habituée aux gens qui t'entourent que tu ne fais même plus attention à leur présence.

- Tu sais que je pourrais compromettre mon mariage, fit-elle avec une lueur de défi dans les yeux.

- Je ne te le conseille pas, gronda Shion, soudain inquiet.

- Il suffirait que je me donne à celui que j'aime.

- Prendrais-tu le risque de faire exécuter Seiya pour t'avoir déshonorée ?

- On pourrait s'enfuir ensemble… Aller vivre… chez les Amazones ou bien en Eleusis ou auprès du Roi Hadès.

- Ton père te ferait rechercher, personne ne vous accueillerait parce que pour tout le monde, une princesse doit faire son devoir sans chercher à s'y dérober. De plus, quand ton père te retrouverait il t'enfermerait dans un donjon et ton beau Chevalier aurait été exécuté pour crime de lèse-majesté.

- Et qui donc succèderait à Mitsumasa, hein ?

- Il aurait désigné son successeur après ça, et la Maison Kido aurait définitivement perdu le trône du Sanctuaire et aurait vu son honneur traîné dans la boue et sali à tout jamais à cause du caprice de sa Princesse héritière. Je vais détacher des hommes supplémentaires à ta surveillance.

- Quoi ? Tu n'as pas le pouvoir de faire ça ! Seul mon père le peut !

- C'est vrai, tu as raison. Mais rien ne m'empêche de lui rapporter ce que tu viens de me dire !

Saori devint blême. Si jamais le Roi apprenait qu'elle avait des rendez-vous secrets avec Seiya, il finirait aux fers et elle, elle épouserait malgré tout le Prince Julian. Et encore plus vite que prévu.

- Inutile d'en arriver là, se radoucit-elle. Tu sais très bien que je ne ferai jamais une chose pareille.

- Le simple fait que cela te soit venu à l'esprit ne me rassure pas du tout. Je vais simplement dire au Roi que je te trouve très abattue et que je crains que tu n'attentes à tes jours.

- Shion, s'il te plait, ne fais pas ça. J'ai déjà l'impression d'être en prison.

- Pourquoi ne viendrais-tu pas plus souvent dans la salle de garde m'aider à soigner les gens ? Les ouvriers ont fait du bon travail et bientôt le dispensaire sera opérationnel.

- Même ça je n'en ai plus envie…

Une rafale de vent les fit frissonner tous les deux. Saori se leva de son banc et ils repartirent vers le Château, d'un pas lent.

- Comme tu veux, mais quoique tu fasses, tu te marieras.

- Je sais… Au fait, sais-tu quelle date a proposé mon père au Roi Poséidon ?

- Non, mais je pense que ça fera quand la belle saison sera bien installée. Peut-être ou début ou mi-juin…

La Princesse compta mentalement. Il ne lui restait que trois mois tout au plus avant de passer d'une prison à une autre. La chape de tristesse qui enveloppait son cœur se fit plus lourde encore…

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Dans les appartements de la princesse, Seika rangeait du linge dans une grande malle. Elle était taciturne et son beau visage ne reflétait qu'une grande tristesse. Elle s'approcha de la fenêtre et son regard glissa jusqu'à la cour où s'entraînaient les soldats. Une vague de souvenirs bien agréables lui traversa l'esprit. Combien de fois avait-elle vu le bras du Chevalier Ikki venir à son secours ? Pour monter à cheval, pour descendre d'un carrosse… Et il n'y a pas si longtemps, lors d'une promenade, il l'avait rattrapé alors qu'elle avait failli tomber à l'eau en franchissant un petit gué. Elle sentait encore autour d'elle, l'étau de ses bras, la force avec laquelle il l'avait maintenue contre lui jusqu'à ce qu'elle soit en lieu sûr. Elle avait éprouvé quelque chose de bien étrange, mais également de bien agréable. Pourquoi tremblait-elle à chaque fois qu'elle entendait sa voix ? Pourquoi avait-elle subitement chaud lorsqu'elle croisait son regard bleu, dur et tendre à la fois ? Elle secoua la tête pour chasser toutes ces idées de son esprit. Ce n'était pas digne d'une jeune fille vertueuse d'avoir de telles pensées.

Elle revint à la malle et continua à la remplir quand Shunrei entra dans la pièce.

- Regarde ce que j'ai pour toi, fit-elle, malicieuse et taquine.

Elle tenait un mouchoir de dentelle, brodé aux armoiries de la Maison de Phénix.

- Qui te l'a donné ? demanda-t-elle, presqu'agressive.

- C'est lui ! Je l'ai croisé dans le grand hall. Il m'a donné un message pour toi.

- Shunrei ! cria-t-elle au bord de la crise de nerf.

- Il aimerait te voir, en ma présence, se hâta-t-elle d'ajouter, car il a quelque chose à te demander.

- Que me veut-il ?

- Il ne me l'a pas dit. Mais c'est ce soir, dans le jardin de l'est. J'ai l'impression que c'est urgent.

- Ça a peut-être un rapport avec notre départ… fit Seika, songeuse.

- Je l'ignore, et il n'est pas encore au courant. Mais je lui ai dit que tu serais à l'heure, après le souper.

- Tu m'accompagneras ?

- Oui. C'est lui qui l'a exigé !

- Crois-tu qu'on doive en parler à la princesse ?

- Attendons de savoir ce qu'il te veut…

La nuit était totale. Les deux jeunes femmes avançaient à la lueur des torches qu'elles avaient pris soin d'emporter. Le jardin de l'est avait été, autrefois, un lieu paisible aux allées entretenues. Les ménestrels y venaient pour s'inspirer des lieux dans leurs mélodies et leurs chansons. Aujourd'hui, les jardiniers avaient troqué leurs râteaux et leurs bêches pour l'épée et le bouclier. Mais bientôt, les massifs de roses refleuriraient et il ferait à nouveau bon de flâner à l'ombre des chênes centenaires.

De loin, Dame Seika aperçut une lueur. Son cœur se mit à battre la chamade. Elle regarda Shunrei qui lui sourit et ralentit le pas, la laissant poursuivre son chemin. Elle resta à bonne distance sans pour autant la perdre de vue. Les mœurs ne souffraient pas qu'on laisse une jeune fille de rang élevé seule avec un homme.

Ikki la vit à son tour. Il portait ses cuissardes, un pantalon de velours bleu nuit et un pourpoint en brocart brodé au fil d'or. Il était enveloppé d'une lourde cape noire au col et aux épaules doublées de fourrure de martre. Seika en eut le souffle coupé. Il dégageait tant de présence, tant de charme qu'elle fut prise d'un léger vertige. Il fit quelques pas vers elle.

- Dame Seika, merci d'être venue, dit-il doucement, d'une voix grave.

- Seigneur Ikki… Dame Shunrei m'a dit que vous souhaitiez me voir…

A la lueur des torches, les yeux d'Ikki avaient pris une couleur violette. Ils paraissaient encore plus profonds que dans les souvenirs de la jeune femme. Elle ne pouvait s'en détacher.

- J'ai… quelque chose d'important à vous dire… Quelque chose qui va certainement bouleverser nos vies…

- Vous m'inquiétez…

- Je suis un soldat, pas un érudit. Je ne connais pas les mots qui pourraient rendre cet instant plus… solennel. Aussi j'espère que vous ne m'en voudrez pas trop de mon manque de délicatesse.

- Seigneur Ikki, j'avoue avoir du mal à comprendre où vous voulez en venir…, murmura-t-elle, complètement perdue.

- Je… je vous observe vivre auprès de notre Princesse depuis longtemps et…

- Et ? l'encouragea-t-elle voyant qu'il avait vraiment du mal à trouver ses mots

- Vous avez capturé mon cœur, Dame Seika. Vous m'avez vaincu. Je suis votre prisonnier ! lâcha-t-il d'une traite comme s'il venait de se souvenir subitement d'un texte qu'il avait répété maintes et maintes fois.

La jeune femme ouvrit la bouche de stupéfaction. Deux larmes glissèrent sur ses joues qu'elle essuya d'un geste gracieux avec le mouchoir en dentelle d'Ikki. La joie qui gonflait son cœur menaçait de le faire exploser à tout instant. Le Seigneur Ikki de la Maison Phénix venait de lui déclarer son amour.

- On ne retient pas prisonnier un homme tel que vous, finit-elle par dire en espérant que, si la pénombre avait caché son trouble, sa voix ne la trahirait pas non plus. Et si vous pensez que j'ai pris votre cœur, en échange, je vous ai donné le mien ! Je serai votre plus fidèle alliée, Seigneur Ikki.

- Par les Dieux ! Seika ! s'écria-t-il presque en faisant fi des convenances et prenant la jeune femme dans ses bras pour l'embrasser.

Elle répondit à ce baiser qui embrasa ses sens pour la toute première fois. Elle retrouvait la force de ses bras, la chaleur de son corps. Elle perdait la tête. Au loin, Shunrei souriait, heureuse et jalouse à la fois. Aurait-elle la même chance, elle aussi ?

- J'ai quelque chose pour vous, dit-il en s'écartant d'elle. Il sortit un petit objet de sa poche. Cette bague appartient à ma famille depuis de nombreuses générations. Ce sont toujours les femmes qui la portent et qui la donnent à leur premier fils pour qu'il l'offre à sa future épouse. Mais mère me l'a donnée et, aujourd'hui, elle est à vous.

- Ikki ! s'écria Seika en le regardant lui passer l'anneau d'or serti d'une opale(2) couleur de feu au doigt.

- Dame Seika, me ferez-vous l'honneur de devenir ma femme ?

- Elle est magnifique. C'est moi qui suis honorée. Je me ferai un devoir d'être digne de la Maison Phénix.

- Que diriez-vous de célébrer notre union pendant la Fête des Moissons ? On dit que c'est un gage de bonheur et de prospérité.

- C'est… Oui, bien sûr, répondit la jeune femme, en tentant de sourire avec sincérité.

Tout en regagnant ses appartements en compagnie de Shunrei, Seika songeait qu'elle commençait bien mal sa relation avec le Seigneur Ikki. Quand arriverait la Fête des Moissons elle serait déjà partie avec Saori. Elle ne lui avait rien dit pour le mariage de leur Princesse, conformément aux ordres du Roi. Seuls les Ministres, l'Ambassadeur d'Asgard, Shaina par un concours de circonstances, Shion et ses compagnons, étaient informés de ce fait ainsi que Seika et Shunrei. Mais il s'agissait là de la raison d'état. Ikki comprendrait. Et peut-être pourraient-ils avancer leurs noces.

Le sourire de Saori fut un soulagement pour les deux jeunes femmes. Ainsi leur Princesse savait encore se réjouir. Elle serra Seika dans ses bras et toutes les trois commencèrent à discuter à bâtons rompus de la cérémonie jusqu'à tard dans la nuit.

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A mesure que Saga avançait dans le couloir qui le menait à l'appartement de Mikael, il sentait son estomac se nouer. Ça le faisait sourire tout comme l'odeur qu'il savait laisser derrière lui bien qu'il se soit un peu rafraichi. Devant la porte il s'arrêta, respira profondément à plusieurs reprises et toqua.

- Entre, lui dit le maître des lieux. Pose ta cape sur la chaise.

- Merci. Alors ? Qu'est-ce que le chef Pryce nous a concoctés ?

- Je n'en ai aucune idée, murmura le jeune homme en s'approchant de son invité. Pour l'instant, je ne pense pas à ça.

Ils s'embrassèrent avidement. Saga referma ses bras autour de la taille de son ami qui se cambra contre lui. Avec beaucoup de lenteur et de tendresse, ils se goûtèrent. Leurs mains frôlaient leurs vêtements, essayant de deviner ce qui se cachait dessous, attisant leur désir. Mikael rompit le contact et se noya dans les yeux verts et brillants qui le regardaient avec une passion naissante.

- Je crois qu'on va prendre ce bain avant de manger, murmura-t-il contre sa bouche.

- Bonne idée. Il serait dommage que cette odeur nous coupe l'appétit, répondit Saga de la même façon.

Dans la salle d'eau, un grand baquet recouvert d'un drap et rempli d'eau chaude parfumée les attendait. De nombreuses torches murales éclairaient la pièce. La lumière chaleureuse des flammes donnaient une atmosphère intime. Mikael s'éloigna de son compagnon et lui tournant le dos, il commença à se dévêtir. Saga déglutit difficilement. Il avait la bouche sèche, son cœur battait la chamade, ses mains tremblantes étaient moites. Nu, Mikael tourna la tête pour le regarder. Il n'y avait rien de provoquant dans ce geste mais l'insolence que ce grain de beauté sous l'œil gauche donnait à son regard, fut comme un coup de fouet sur les sens du jeune homme.

Mikael entra dans l'eau. Il eut la pudeur de ne pas regarder pendant que Saga se déshabillait à son tour. Ou bien était-ce peut-être de la timidité ? Face à face, ils se regardèrent enfin. En fait, ils ne savaient pas quoi faire. Saga prit un linge en lin et le trempa dans un bol posé sur une desserte à côté du baquet. Le liquide odorant moussa immédiatement.

- Tourne-toi, murmura-t-il.

Mikael obéit. Il releva ses cheveux et sentit sur sa peau la chaleur de l'eau et le parfum de la saponaire. Avec beaucoup de douceur, Saga lava consciencieusement la peau claire sous laquelle il voyait rouler les muscles fins mais puissants. Il remonta dans le cou, puis il attira Mikael contre lui pour pouvoir laver son torse. Celui-ci se laissa aller contre son ami avec un soupir de bien-être.

- Je n'imaginais pas que les choses se passeraient ainsi, fit-il en reversant la tête en arrière pour regarder son compagnon.

- Et qu'imaginais-tu ?

- Je ne sais pas… Nous éprouvons du désir l'un pour l'autre… un violent désir et je nous voyais nous assouvir sans attendre plutôt que de prendre notre temps.

- Je ne sais pas si… nous ruer l'un sur l'autre serait très digne. Nous ne sommes pas des animaux poussés par l'instinct.

- Mais la passion peut parfois faire perdre toute retenue, alors je trouve que nous faisons preuve d'une grande maîtrise.

- Souhaites-tu qu'il en soit autrement ? demanda malicieusement Saga.

- Peut-être… mais quand je t'aurai lavé…

Alors à son tour, Saga se laissa faire avec un plaisir évident. Après avoir rajouté de l'eau chaude à plusieurs reprises, ils terminèrent en se lavant la tête. Mikael sortit le premier du baquet, s'enveloppa dans un grand drap en coton et alla s'asseoir devant la cheminée pour sécher ses cheveux. Ils passèrent des vêtements propres. Saga avait rempli un sac avec un pantalon, une chemise et un manteau d'intérieur sans manche sans oublier ses chaussons. Il rangea ses vêtements sales dans le même sac pour les donner à laver.

Mikael ouvrit la porte et avisa un serviteur en poste à l'étage pour demander qu'on leur porte leur repas. Ils découvrirent une soupe de légumes et un civet de lièvre certainement rapporté par un chasseur. Quelques pommes de terre garnissaient la plupart des repas. C'était un tubercule qui se conservait assez bien et qui poussait facilement. Et comme la fois précédente, le dessert était une tarte aux pommes. Le vin était frais mais ils ne burent que très peu, comme s'ils voulaient garder leurs esprits.

Assis devant la cheminée, ils terminaient leurs coupes de vin en silence, leurs regards perdus dans les flammes qui crépitaient. Mikael jeta un œil discret à son compagnon. Son cœur se remit à battre vite. Cet homme le fascinait. Il savait qu'il avait perdu son frère et ses parents, mais jusqu'à présent Saga n'était pas entré dans les détails. Qu'il lui raconte la disparition de Kanon était la preuve qu'il lui faisait confiance. Peut-être que s'il lui posait d'autres questions…

- Tu me répondrais si je te demandais comment tes parents sont décédés ?

- Ma mère s'est suicidée quelques mois après notre naufrage en avalant une décoction de plantes et mon père a fait un arrêt du cœur quelques années plus tard.

Le ton était détaché, presque froid. Comme si Saga parlait de personnes qu'il ne connaissait pas, ou peu. Mikael regretta sa question.

- Je suis désolé. Je t'oblige à repenser à tout ça…

- Ce n'est rien… J'y pense en permanence, mais je souffre beaucoup moins.

- En tout cas, tu peux compter sur moi… Si tu as besoin de parler…

- Merci… Mais ce soir, je ne veux penser qu'à nous…

Ils se regardèrent tendrement, un doux sourire aux lèvres. Après s'être mis en sourdine le temps du repas, le désir revint les tarauder. Troublé par ces yeux qui le dévisageaient, Mikael détourna les siens pour les reporter sur les flammes. Du coin de l'œil, il le vit se lever et s'approcher de lui. Une main apparut devant lui. Il leva la tête, le visage de Saga était fermé, son regard infiniment tendre. Il prit la main et se leva à son tour. Un bras l'attira contre son invité qui captura ses lèvres avec incroyable délicatesse. Il se sentit défaillir et se raccrocha aux épaules larges.

Saga aussi fut pris d'un vertige. Il y avait si longtemps qu'il ne s'était pas senti désiré. Et ça n'avait rien à voir avec les femmes ou les hommes de petite vertu qui vendaient leur corps pour améliorer leur ordinaire. Comme ses compagnons, il les fréquentaient de temps à autres, mais jamais il n'avait senti qu'ils éprouvaient du désir pour lui. Il n'était qu'un client comme un autre. Mais là, il ressentait le désir de Mikael et ça ne faisait qu'attiser le sien. Oh, il n'en fallait pas beaucoup ! Il avait toujours trouvé Mikael particulièrement beau et séduisant et qu'il lui plaise en retour relevait du miracle pour lui.

Le baiser devint plus profond, ils soupiraient le plaisir que cet échange leur procurait. Saga laissa ses mains dériver jusqu'aux hanches et attira Mikael contre lui. S'ils hésitaient encore sur leur désir, le doute n'était plus permis. Un gémissement leur échappa. Tout doucement à petits pas, le représentant de la Famille Piscès entraîna son futur amant vers sa chambre. Là, il se sépara de Saga, ôta son mantel et grimpa au milieu du lit. A genoux, il tendit les mains.

- Viens… viens près de moi, chuchota-t-il.

Saga prit le temps d'observer ce qui l'entourait. Tout dans la chambre se déclinait en nuances de bleu. Les tentures en velours des fenêtres, le revêtement des sièges, le drap sous les fourrures du lit, les coussins dessus, les rideaux du baldaquin. Il réalisa que les vêtements de Mikael étaient également de cette couleur. Elle lui allait tellement bien. Il se débarrassa de ses chaussons et de sa robe de chambre. Il avait sous les yeux un homme d'une incroyable beauté, d'une douceur et d'une gentillesse que ne laissait pas supposer sa délicate virilité. Et ces bras tendus en une invite sensuelle… Comment ne pas succomber à la tentation ? Il s'assit sur le lit et regarda son ami.

- Quelque chose ne va pas ? demanda celui-ci en s'approchant.

- Non… Au contraire… c'est presque trop beau pour être vrai, répondit-il en caressant la joue ombrée d'une barbe naissante très douce.

- Tu n'arrives pas à croire que nous sommes là, tous les deux, et que ce qui va suivre va être magnifique ?

- C'est un peu ça… J'ai peur que…, hésita-t-il en retirant sa main, j'ai peur que demain il n'en reste rien…

- Comment ça ? Que veux-tu dire ?

- Eh bien… je me demande si demain tu voudras encore de moi… Parfois lorsqu'on obtient ce que l'on désire, la chose perd tout intérêt.

- Saga ! Comment peux-tu avoir une idée pareille ? Je pourrais dire la même chose te concernant.

- Je suis désolé… Je ne voulais pas te blesser…

- Mais non ! Ce que tu ne comprends pas, c'est que… je tiens beaucoup à toi. J'ai la prétention de te connaître un peu mieux que les autres et tu n'as pas eu une vie facile. Tu as le droit d'être heureux et… si je peux t'aider à ça…

- Tu as pitié de moi ? C'est ça ?

Le regard de Saga était devenu dur et glacé comme l'acier. Il ne voulait pas de la pitié des autres. Surtout pas de celle de Mikael. Il se sentit blessé et insulté et ne le supporta pas. Il se leva pour partir.

- Non ! Saga ! Attends ! bondit le jeune homme pour le retenir. Ce n'est pas la pitié qui me pousse vers toi…

Il hésita. Devait-il lui avouer ses sentiments au risque de l'effrayer et de le faire fuir encore plus vite ? Il plongea son regard d'un bleu surprenant dans celui de son compagnon. Il y lut de la tristesse et de la fierté. Advienne que pourra.

- J'éprouve… des sentiments… pour toi… Je ne voulais pas te les dévoiler avant de savoir ce que… si… si toi aussi tu… tu m'appréciais, mais je t'assure que ce n'est pas de la pitié. Je veux juste que tu sois heureux… avec moi… même si ce n'est que pour une nuit…

Les mots s'insinuèrent dans l'esprit et le cœur de Saga. Ils lui ouvrirent les yeux sur ces propres sentiments. Il y avait autre chose que le simple désir d'un corps. Il désirait également un cœur et une âme. Et pas que pour une seule et unique nuit.

Il attrapa le visage de Mikael et l'embrassa fougueusement. Celui-ci s'accrocha à lui et répondit à l'identique. Sans trop savoir de quelle façon, ils se retrouvèrent à nouveau sur les fourrures du lit. Leurs deux corps se pressaient l'un contre l'autre, leurs bouches ne se quittaient plus. Saga glissa ses mains sous la chemise pour toucher cette peau si douce qu'il avait lavée plus tôt et qui avait affolée ses sens. Le gémissement qu'il recueillit gonfla son cœur de joie. Il se redressa sur les genoux et ôta sa cotte(3) en lin noir. Il regarda Mikael faire la même chose puis il se pencha sur lui pour l'embrasser à nouveau. Inévitablement, leurs corps finirent par se toucher. Un violent tremblement s'empara d'eux et le gémissement qu'ils eurent acheva de les conforter dans leur décision de poursuivre cette étreinte enfiévrée.

Ils sombrèrent rapidement dans un univers qui n'appartenait qu'à eux. Plus rien n'existait que l'autre. Plus rien ne comptait que le plaisir qu'ils voulaient se donner. Saga réussit à se détacher de cette bouche délectable pour s'aventurer dans le cou chaud. Sous ses lèvres, il sentait battre le sang dans les veines gonflées. Il poursuivit son exploration du torse. Sa langue trouva deux tétons durs qu'elle excita, provocant des râles profonds. Il lécha le ventre, mordilla les flancs. Il fit glisser le pantalon et le jeta au sol. Descendant encore plus bas, il découvrit un sexe de belle taille qui pulsait contre sa joue. Il l'ignora pour savourer la peau tendre de l'intérieur des cuisses et de l'aine.

Mikael avait plongé ses mains dans la chevelure violine et tentait de l'amener vers la partie la plus sensible et désespérément tendue de son corps. Le désir lui broyait les reins, la folie guettait son esprit. Il cria de surprise quand enfin il sentit une chaleur humide l'envelopper complètement. Dans un réflex, il lança ses hanches en avant et s'enfonça dans la bouche taquine jusqu'à la garde. Saga eut un hoquet de surprise mais il se contrôla pour mener son amant jusqu'à la jouissance. Sa respiration était saccadée, des larmes perlèrent au coin de ses paupières. Le bonheur se déversa dans son cœur qui l'absorba comme la terre desséchée absorbe l'eau d'un orage.

Saga ne s'arrêta pas là. Sans laisser à Mikael le temps de reprendre ses esprits, il glissa sa langue jusqu'à son intimité. A nouveau son ouïe fut charmée par les gémissements et les soupirs lascifs. Lui-même n'était pas loin de la rupture. Tout ceci l'avait excité comme jamais auparavant. Il se demandait s'il résisterait assez longtemps pour amener encore son amant jusqu'au plaisir ultime. Brusquement, celui-ci se redressa et l'embrassa à pleine bouche. Puis il s'allongea sur le ventre, remonta une jambe et souleva ses hanches. L'invitation était on ne peut plus claire. Et irrésistible.

Saga ne se fit pas prier. Il y avait bien longtemps qu'il avait perdu la notion de tout ce qui n'était pas Mikael. Tout ce qui allait représenter désormais sa vie et là, sous ses yeux, entre ses bras. La prise de conscience était brutale, mais infiniment délectable. Avoir quelqu'un pour qui il allait vivre était un sentiment qu'il ne connaissait pas. Ou plutôt, qu'il avait oublié depuis la mort de son père. Son cœur se gonfla d'une sensation de plénitude qui l'apaisa et le calma. Il s'allongea sur le dos de Mikael qu'il couvrit de baisers et de caresse. Il unit enfin leurs corps. Son amant tremblait de plaisir sous lui et donna un coup de hanches involontaire. Saga l'imita. Alors commença une fabuleuse ascension vers le plaisir, une quête vers la communion parfaite du corps, du cœur et de l'esprit. La frénésie du début fit place à la recherche du plaisir le plus durable et le plus intense possible. Mais Mikael s'emballait et ne se maîtrisait plus. Saga le suivit pour ne pas le frustrer et il ne put résister à la jouissance de son amant qui l'entraîna avec lui dans ce puits de délices des sens. A bout de souffle, il s'écroula sur son dos. Ils restèrent ainsi longtemps, savourant ce moment unique où l'esprit réintègre le corps après s'en être échappé pour atteindre le paradis. Tout doucement, la réalité réapparut autour d'eux.

Mikael se retourna et attira Saga dans ses bras. Leurs corps étaient en sueur, leurs souffles encore un peu courts. Il regarda son amant qui avait les yeux fermés. Il les pensa très fort, mais il ne prononça pas ces mots à haute voix. Saga n'était pas encore prêt à les entendre.

- Saga, laisse-moi nous couvrir, murmura-t-il en rabattant les fourrures sur leurs deux corps encore brulants.

- Mikael…

- Hmm ?

- Je t'aime…

- Pardon ? sursauta-t-il. Qu'est-ce que tu viens de dire ?

Mais Saga s'était déjà endormi. Peut-être n'avait-il même pas conscience des mots qui venaient de lui échapper. Mikael s'exhorta au calme. Inutile de prêter trop d'importance à des paroles prononcées dans un état de demi-sommeil. Des mots qui ne vaudraient que s'ils étaient répétés en toute connaissance de cause. Pourtant, il ne pouvait s'empêcher d'espérer que ses sentiments étaient partagés et qu'avec cette paix qui se profilait à l'horizon, Saga et lui avaient une chance de vivre une très belle histoire.

Leur histoire…

A suivre…

Le prochain chapitre vous emmènera au Royaume des Ténèbres…


(1) Gorgonéion : il a beaucoup de chose concernant ce terme. Le mieux c'est de lire sur Wikipédia. J'ai choisi la version d'Homère qui ne parle que d'une seule Gorgone.

(2) La bague qu'Ikki offre à Seika. Photo visible sur mon site Antarès (adresse sur mon profile)

(3) Cotte : chemise.