Disclaimer : Tout l'univers de Saint Seiya que vous reconnaîtrez aisément appartient à Masami Kurumada. Je ne retire aucun profit de son utilisation si ce n'est le plaisir d'écrire et d'être lue. Les personnages de la mythologie appartiennent à tout le monde et les autres, ceux que vous ne connaissez pas, sont à moi.

Genre : Univers Alternatif Heroic Fantasy Médiéval Fantastic. Aventure/Romance/Surnaturel. Certains couples sont très inhabituels. Het, Yaoi et lemon bien sûr.

Rating : M ou NC-18

Résumé : Complots, romance, magie et créatures surnaturelles, comment les histoires de ces Quatre Royaumes vont-elles se mêler et se démêler ? Résumé plus complet à l'intérieur.

Les Royaumes du Sanctuaire et d'Asgard, alliés indéfectibles, mènent une guerre contre le Royaume des Océans depuis plus de cent cinquante ans. Au moment où débute cette histoire, les raisons de cette guerre ont été oubliées. Non loin, le Royaume des Ténèbres se relève doucement d'une guerre de succession qui l'a laissé exsangue. Après avoir été ennemis, ils finiront par unir leurs forces pour faire face à une menace bien plus grande encore. De l'action, de la romance, du complot politique, de la magie et des créatures surnaturelles sont au rendez-vous avec de nombreuses références aux mythologies grecque et celtique ainsi qu'au manga original de Masami Kurumada. Het, Yaoi et lemon bien sûr.


Résumé chapitre précédent au Royaume des Ténèbres : A Asgard, Zelos et Pandore parviennent à remettre le bracelet ensorcelé à Freya, la sœur de l'Ambassadeur d'Asgard au Sanctuaire, Albéric de Mégrez. Celle-ci sous l'effet du sortilège s'enfuit en compagnie des deux espions qui la livre au Roi Hadès dont elle est désormais la prisonnière. Et c'est ainsi que le Souverain va obtenir des informations importantes que lui livre Albéric pour préserver la vie de sa sœur.


Chapitre 14

Année 10219 de la Licorne, mois de mars, Royaume des Ténèbres…

Le Duc de Wyvern avait convoqué le Chevalier d'Amphibis dans son bureau et attendait qu'il arrive. Depuis que le Roi lui avait confié qu'il avait deux fils et qu'il voulait les récupérer, il avait réfléchi à un moyen de le faire sans mettre en danger la vie des enfants. Ce n'était pas chose aisée. Il n'était pas facile d'entrer à Amazia sans se faire repérer. Peut-être que la stratégie d'Asgard pourrait marcher à nouveau. Il avait d'abord préféré en parler avec son espion. L'homme n'était pas forcément très rusé, mais il était redoutablement efficace et n'hésitait pas à tuer si c'était nécessaire. Et si Hadès lui ordonnait de protéger ses fils, il donnerait sa vie pour obéir. On toqua à sa porte.

- Entrez !

- Vous m'avez fait appeler mon Seigneur ?

- Oui, assieds-toi. J'ai une autre mission à te confier. Peut-être faudra-t-il que tu travailles encore avec Pandore, mais rien n'est encore fait.

- Je suis à vos ordres, Seigneur Rhadamanthe.

- Ce que je vais te dire, tu ne devras pas le répéter même sous la torture.

Zelos ne sourcilla même pas. Ce genre de phrase ne l'effrayait pas du tout, étant donnée la vie qu'il avait eue. De toute façon, il était dévoué corps et âme au Duc. Encore plus qu'au Roi. Et pour cause. C'est le Seigneur Rhadamanthe qui l'avait sauvé de la mort, trois ans plus tôt. Il n'avait que vingt-deux ans…

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Ce matin-là, Zelos se réveilla une fois de plus en entendant les cris de peur et de douleur de sa mère. Il descendit du grenier où il dormait sur une paillasse et dans la cuisine, il vit le patron de l'auberge où il travaillait, en train de frapper une femme avec un nerf de bœuf. Elle ne bougeait plus. Zelos bouscula l'homme gras et se précipita sur sa mère. Du sang s'écoulait de sa tête. Elle avait le crâne défoncé. Morte. Avec un cri inhumain Zelos se jeta sur l'aubergiste et le poussa en arrière. Il tomba, le jeune homme lui sauta dessus, agrippa sa tête par les oreilles et la cogna contre le sol.

Soudain, il se sentit soulevé et emmené. Dehors, des gens s'étaient rassemblés en entendant les cris. Une femme hurla.

- Il a tué Embreis !(1)

- C'est un monstre !

- Pendez-le !

- Assassin !

- Monstre !

On lui attacha les mains dans le dos. Sa difformité rendait la chose douloureuse. Il fut hissé sur un cheval et une corde, sortie d'on ne sait où, fut passée autour de son cou. Sur la place, ombrageant la fontaine, un chêne semblait se trouver là bien à propos. La corde fut passée sur une branche, tendue et attachée. Un homme s'apprêtait à fouetter la croupe de l'animal…

- Cessez immédiatement ! gronda une voix puissante.

Aussitôt, tous se figèrent et regardèrent l'homme qui venait de parler. Ses vêtements étaient aussi noirs que la robe de son cheval qui piaffait d'impatience. La foule dégageait une odeur agressive et inquiétante. Il n'aimait pas ça et son cavalier avait du mal à le tenir. Derrière lui, les chevaux des deux soldats qui accompagnaient l'homme étaient tout aussi agités.

- Libérez cet homme !

- Mais… Seigneur, il a tué l'aubergiste ! s'écria un homme.

- Il a tué ma mère ! hurla le prisonnier.

- Depuis quand un homme est-il condamné par autre chose qu'un tribunal dans ce Royaume ? dit l'homme en faisant signe aux deux soldats de se poster devant l'auberge.

- Mais c'est inutile de perdre du temps ! intervient une femme. Ce monstre est coupable !

- Libérez-le ! répéta le Duc en laissant son cheval faire quelques pas menaçants vers la foule qui recula prudemment.

Comme personne ne bougeait, il sortit un poignard de sa ceinture et le lança. Avec une précision diabolique, la lame trancha la corde et se planta dans le tronc de l'arbre. Il s'approcha et attrapa la longe du cheval sur lequel Zelos était assis.

- Si par malheur, vous osez encore vous substituer à la Justice du Roi, c'est moi qui viendrai vous pendre. Sans procès. Et que personne n'entre dans l'auberge. Maintenant, dispersez-vous !

Rhadamanthe avait entraîné Zelos derrière lui. Arrivé dans un endroit plus calme, il coupa ses liens et lui donna sa gourde. Il regarda l'homme. De toute évidence, c'était un pauvre bougre affublé d'une tare physique qui lui courbait le dos, le faisant paraître légèrement bossu. Pas étonnant que les gens s'en prenaient à lui. Par les mots et par les gestes.

- Dis-moi ce qui s'est passé, lui demanda doucement le Duc.

- Elle est morte, sanglota Zelos en essuyant sa bouche d'un revers de main.

- Ta mère ?

- Ça devait arriver un jour ou l'autre…

- Pourquoi ?

- Embreis n'arrêtait pas de la frapper. Et moi aussi.

- Pour quelle raison faisait-il cela ?

- Elle avait dû refuser de… enfin… il voulait sûrement…

- J'ai compris. Quel est ton nom ?

- Zelos Amphibis. Mais pour tous, je suis… le monstre…

- Pourquoi ça ?

- A cause de mon dos… Ma mère m'a toujours dit que si je suis né ainsi, c'est parce qu'une sorcière lui a jeté un mauvais sort.

- Tient donc ? Et pourquoi une sorcière ferait-elle ça ? sourit Rhadamanthe.

- Je l'ignore, mais moi je pense qu'elle était déjà battue quand elle était grosse.

- C'est beaucoup plus plausible que le mauvais sort. Que s'est-il passé tout à l'heure ?

- J'ai entendu des cris, je suis descendu à la cuisine. Elle était parterre et lui il continuait de frapper. Je l'ai bousculé et j'ai vu qu'elle était morte. Alors je me suis jeté sur lui. Je sais qu'elle ne m'a jamais aimé, mais elle était la seule à être gentille avec moi.

- Je te crois, Zelos, déclara le Duc après un moment de silence durant lequel il avait jugé la situation. Retournons à l'auberge. Il faut que tu prépares les funérailles de ta mère.

- Je ne… je ne sais pas ce que je dois faire, mon Seigneur.

- Dans ce cas, je m'en chargerai.

- Je ne pourrais jamais vous rembourser ni vous remercier assez.

- Ne crois pas ça… répondit laconiquement Rhadamanthe. Nous allons retourner là-bas et je te confierai à l'un de mes hommes. Suis-le sans crainte.

Rhadamanthe entra dans l'auberge et se dirigea vers la cuisine. Sur le sol gisaient les corps d'une femme et d'un homme, tous deux le crâne fracassé. Quelque chose le poussait à croire la version de Zelos. Pourquoi aurait-il tué le tavernier qui leur offrait à lui et sa mère, un toit et de la nourriture, même si le prix à payer était élevé ? En ressortant, une foule dense s'était massée devant la porte. Il dévisagea les curieux. Une femme d'un certain âge semblait au bord des larmes.

- Ne vous avais-je pas ordonné de vous disperser ?

Au ton rauque et agressif, les gens commencèrent à s'éloigner. Il suivit la femme et l'attrapa doucement par le bras. Elle se tourna, effrayée.

- Ne crains rien. Pourquoi es-tu si triste ? Tu la connaissais ?

Elle hocha la tête.

- Que sais-tu d'elle et de son fils ?

- Je connais Zelos depuis qu'il est né, là, à côté, dans cette écurie. J'ai aidé sa mère à le mettre au monde et je les ai hébergé tous les deux quelques temps. Je travaillais ici, avant, à l'auberge. Quand je suis partie, j'ai dit à Embreis que je connaissais quelqu'un qui pourrait me remplacer. Je savais que ce n'était pas un cadeau que je leur faisais à tous les deux mais, ils n'avaient nulle part où aller. Il a accepté. C'était un homme violent et cruel. Zelos n'a levé la main sur lui que parce qu'il a tué sa mère, sinon, il n'aurait jamais rien fait. Il avait trop conscience que c'était la mendicité qui les attendait tous les deux s'il les mettait à la porte. Il a agi sous le coup de la colère et du chagrin. Embreis a frappé une fois de trop. Et cette pourriture a payé !

La femme avait craché ses derniers mots à défaut de pouvoir réellement le faire sur le cadavre. Le Duc la remercia et la laissa partir. Ce qu'il venait d'apprendre ne faisait que le conforter dans ce qu'il soupçonnait déjà. Un drame de ce genre. Il rentra au Palais d'Ebène et donna des ordres pour les funérailles. Puis il rejoignit Zelos qu'il savait trouver aux cuisines.

- J'ai fait le nécessaire pour l'enterrement de ta mère, lui dit-il.

Le jeune homme se jeta à ses pieds et pleura doucement. Rhadamanthe le releva et ordonna qu'on lui donne un bain et des vêtements propres. A partir de ce jour, Zelos travailla pour le Duc. Il estimait que sa dette envers lui était immense et que la seule façon de la rembourser était de le servir de son mieux. Il accepta de devenir un espion. Il apprit à lire et à écrire et suivit un entraînement spécifique où il se révéla être particulièrement doué. Lorsqu'il passait dans le quartier où il avait vécu, les gens le reconnaissaient. Il chevauchait sa monture fièrement, la tête haute et portant des vêtements taillés sur mesure et prenant en compte son dos déformé. Et même s'il savait qu'on médisait derrière lui, il pensait qu'il était bien mieux loti que tous ceux qui avaient voulu le pendre. Il agissait pour la sécurité du Royaume et donc, la leur. Mais ces ingrats ne le sauraient jamais. Et même s'ils l'apprenaient, ils n'iraient certainement pas le remercier. Zelos se targuait d'être dans l'entourage immédiat du Roi, lui le tueur d'aubergiste, de connaître des secrets, de peser un peu dans les décisions que pouvait prendre le Souverain parce qu'il lui ramenait des informations sûres. Comme quoi le destin peut réserver bien des surprises… même celle d'être adoubé Chevalier.

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- Tu as des questions ? demanda le Duc après avoir donné toutes les informations qu'il estimait nécessaires à son espion.

- Nous partons du principe que les enfants ignorent qui est leur père, mais peut-être qu'Antiope le leur a dit, avança Zelos en tapotant son genoux de son index.

- Le Roi pense que ce n'est pas le cas. Elle n'y a aucun intérêt pour l'instant. Qui sait comment les gamins réagiraient ? Ils pourraient revendiquer un certain statut alors qu'en les maintenant dans l'ignorance de leurs origines, elle s'assure d'avoir des esclaves soumis et qui ne font pas de vague. De plus, Hadès lui a dit qu'il ne ferait jamais rien qui mette en danger la vie de ses fils.

- Voyons voir… Nous ignorons où ils sont. Il va donc falloir d'abord fouiller une certaine zone sans éveiller les soupçons et ensuite nous assurer, si nous trouvons ces enfants, qu'ils sont bien les fils du Roi. Après, nous n'aurons plus qu'à les enlever et à revenir ici, en traversant les Océans avec les Amazones aux fesses !

Zelos avait un ton presque moqueur. Voilà une mission qui était vouée à l'échec avant même d'avoir commencé.

- C'est exactement ça, murmura le Duc.

- Pardonnez-moi ma brutalité, mon Seigneur, mais c'est du suicide.

- Oui…, mais j'ai donné ma parole au Roi que je lui ramènerai ses fils.

- Je comprends… peut-être qu'avec du temps et une excellente préparation nous pourrions avoir une petite chance.

- J'aimerais que tu y penses, que tu réfléchisses à un moyen d'y parvenir. Je vais mettre à ta disposition tous les renseignements que nous avons sur les Amazones. Veux-tu que je dise à Pandore de t'aider ?

- Non, mais par contre j'aimerais avoir l'autorisation d'interroger les Amazones qui sont détenues dans la prison du Tartare.

- Tu penses qu'elles vont te parler ?

- Si je leur fais miroiter une possible remise de peine… ou une amélioration de leurs conditions de détention… Pourquoi pas ? Vous savez à quel point elles sont prêtes à tout pour montrer que même en position de faiblesse, elles peuvent avoir une certaine force.

- Ce n'est pas bête… Zelos, je te laisse carte blanche sur cette affaire. J'aurais volontiers travaillé avec toi, mais je ne peux pas être de partout à la fois.

- Ne vous en faites pas, Seigneur Rhadamanthe. Le temps ne joue pas contre nous et Antiope ne se doute de rien.

- Tiens-moi au courant de tes avancées.

Cette phrase tenant lieu de congédiement, Zelos quitta le bureau. Le Duc se laissa aller en arrière dans son siège et croisa les doigts, les coudes en appui sur les accoudoirs...

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Depuis la fenêtre de la chambre dans laquelle elle était enfermée, Dame Freya voyait le sommet du Mont Elysion couronné en permanence d'un panache de fumée, signe de son activité incessante. Sur les flancs, par les crevasses de la roche, elle observait l'écoulement d'une lave fluide d'un jaune orangé vif qui alimentait les douves aux pieds des remparts de Giudecca. Depuis qu'elle avait été enfermée là, elle dépérissait. Elle se serait volontiers laisser mourir de faim, mais le Roi Hadès lui avait bien fait comprendre que si elle faisait ça, c'est son frère Albéric qu'elle condamnait. Il se servait de lui contre elle et vice-versa. Deux fois par semaine, il lui rendait visite pour s'assurer qu'elle allait bien ou pour lui faire écrire une lettre. Il lui donnait aussi des nouvelles d'Albéric. De cette façon, il savait qu'elle deviendrait dépendante de ses petites bribes d'informations. Et c'était le cas. Elle attendait avec impatience les visites du Roi, mais comme il ne venait jamais à intervalles réguliers, elle était en permanence inquiète, tendue. Les seuls instants de calme qu'elle arrivait à trouver, c'était lorsqu'elle sortait dans le jardin.

C'était un vaste espace clos par quatre murs très hauts. Le seul accès était la porte qu'empruntait Freya. Au centre, il y avait un bassin avec une fontaine. L'eau était claire et tiède. Elle venait directement d'une source chaude. Autour, le chemin de gravier noir s'ouvrait sur quatre allées bordées de buissons impeccablement taillés. Aux extrémités s'élevaient des statues qui symbolisaient les quatre éléments. La première représentait une femme au corps recouvert d'un drapé ondoyant comme des vagues, assorti à sa longue chevelure. La seconde, toujours une femme au corps nu, avait les bras tendus vers le ciel, ces cheveux comme soulevés par la brise. Un homme nu également, un genou à terre, tenait une flamme entre ses mains et le quatrième avait des branches qui sortaient de ses bras et de sa tête, son corps sculpté comme l'écorce d'un arbre. Et à nouveau un chemin de gravier noir qui contournait ce jardin. De chaque côté de la porte, il y avait deux bancs de pierre sur lesquels Freya s'asseyait pendant des journées entières qui s'étiraient interminablement. Dans l'arbre qui se dressait dans l'un des angles, des oiseaux avaient fait leur nid et la jeune femme écoutait leur chant.

Dans d'autres circonstances, elle aurait trouvé ce lieu reposant et même agréable pour lire ou broder. Mais là, elle faisait le tour de ce jardin ou restait assise à penser à la tournure qu'avait prise sa vie. A Asgard, on avait dû s'apercevoir de sa disparition, mais personne n'irait imaginer qu'elle se trouvait si loin de chez elle. Ils allaient la chercher certainement, mais ils concluraient à un accident, que son corps avait été dévoré par les animaux. Invariablement, elle finissait en larmes. Elle s'inquiétait pour son père dont elle était sans nouvelle. Elle en parlerait dans sa prochaine lettre. Peut-être Albéric pourrait-il lui en donner ? Et lui ? Elle n'imaginait même pas dans quelle situation il se trouvait. Mentir à leur Reine, au Roi Mitsumasa tout en livrant des informations. Et tout cela sans éveiller les soupçons. Hilda l'avait certainement prévenu de sa disparition et il devait faire montre de tristesse pour être crédible.

- Bonjour Dame Freya, fit la voix du Roi derrière elle.

Elle ne se retourna, ni ne répondit. Comme à chaque fois.

- Je suis venu pour vous permettre d'écrire à votre frère, poursuivit-il sans se formaliser d'avantage.

- Et que voulez-vous que je lui dise ?

- Ce qu'il vous plaira, comme d'habitude. Et puis arrêtez de vous comporter comme un martyre. Que je sache, vous n'êtes pas maltraitée. Cette chambre ne ressemble pas du tout à une geôle.

- Mais son rôle est le même.

- Si vous n'êtes pas satisfaite de la façon dont on s'occupe de vous, je peux vous réserver une cellule au Tartare. Il suffit de demander.

Freya frissonna. Bien sûr elle était prisonnière, mais elle était effectivement bien traitée. Elle n'irait quand même pas jusqu'à se confondre en remerciement, mais, égoïstement, elle appréciait.

- Vous pourrez écrire ce que vous voulez, mais vous mettrez quand même une chose. Je veux que votre frère nous donne des informations un peu plus importantes que celles qu'il nous a faites parvenir jusqu'à présent.

- Il n'y a peut-être rien d'exceptionnel à dire, rétorqua-t-elle en venant s'asseoir derrière le bureau.

- Allons Dame Freya, vous avez séjourné au Palais de Glace, dans l'entourage immédiat de la Reine. Vous savez pertinemment qu'il se passe toujours des choses intéressantes au sommet de l'état.

- Non, je ne le sais pas. Je n'étais pas assez proche de ma Reine pour être dans la confidence des affaires du Royaume.

- Très bien, soupira le Souverain en s'asseyant dans un fauteuil. Maintenant écrivez cette lettre. Et n'oubliez pas d'écrire petit.

Freya ouvrit l'encrier, prit une plume, une feuille de parchemin et obéit.

Mon cher frère,

J'espère que tu es en bonne santé. De mon côté, je vais bien. Mon hôte souhaite que tu lui donnes des informations plus précises pour l'aider à maintenir le confort de ma situation.

Peux-tu me donner des nouvelles de notre père ? Je suis inquiète pour lui.

Avec tout mon amour, ta sœur.

Le Roi relut la missive et sourit. Freya avait bien respecté son ordre de ne rien écrire qui pourrait faire comprendre où elle était, qui elle était et à qui elle écrivait. Il quitta la jeune femme en lui souhaitant ironiquement une bonne journée. Il fallait se montrer aimable mais pas au point de faire oublier à Freya qu'elle restait un pion entre ses mains.

Comme à chaque fois, elle fondit en larmes quand elle fut seule. Mais quand donc allait-elle sortir de ce cauchemar ? Chaque jour, elle voyait le spectre de la folie se rapprocher d'elle, gagner du terrain, grignoter par petits morceaux sa raison. Elle se raccrochait désespérément à l'espoir infime de savoir Albéric vivant. Son cœur pleurait sur son frère. Ce qu'il devait endurer le rongeait certainement de l'intérieur. Elle n'enviait pas sa place, mais pour lui, elle endurerait son calvaire. Chacun porterait dignement sa croix dans l'espoir d'alléger un peu le fardeau de l'autre… Les Dieux jugeront… s'ils existent…

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Le Roi s'enferma dans son bureau sitôt redescendu du Manoir d'Elysion. Il n'aimait guère se rendre là-haut mais il n'avait pas vraiment le choix. Il relut attentivement la petite lettre de Freya puis la roula avant de la glisser dans un étui de cuir. Il se rendit dans le pigeonnier, au bout de la terrasse de son appartement et choisit un oiseau. Aussitôt il s'envola en direction du nord. Hadès le regarda un moment puis rentra. Il avait reçu du courrier et un en particulier avait retenu son attention. Il venait de Déméter, Souveraine du Royaume des Plaines, de l'autre côté de la mer. Il observa le cachet de cire. Deux épis de blé croisés sous une couronne. Les Plaines étaient leur principal fournisseur de céréales, mais c'était la première fois que la Reine lui écrivait. Il brisa le sceau et déplia la lettre.

A l'attention du Roi Hadès, Souverain du Royaume des Ténèbres.

J'espère que ce courrier vous trouvera en bonne santé.

A l'occasion de mes trente-cinq ans de règne, j'organise une grande fête le vingt-cinquième jour du mois d'avril. Je souhaite votre présence. Vous aurez ainsi le loisir de rencontrer d'autres têtes couronnées avec qui vous pourrez établir des liens et pourquoi pas des relations diplomatiques.

Si vous pensez que je me mêle de ce qui ne me regarde pas, vous n'aurez pas tort. Les rumeurs rapportées par les marins et les voyageurs entre nos deux états vous décrivent comme un Roi qui a su s'imposer avec douceur et fermeté et surtout qui a rebâti un pays en ruine, ravagé par la guerre civile. Un exploit en si peu de temps. J'ai hâte de rencontrer ce Roi.

J'espère sincèrement que nous aurons le loisir de reparler de tout cela de vive voix. Je compte sur votre présence pour fêter mon jubilé.

Déméter, Souveraine du Royaume des Plaines.

Le second feuillet ne contenait que des questions d'ordre pratique dans l'éventualité ou le Roi accepterait l'invitation.

Hadès relut trois fois le courrier. Voilà bien une chose à laquelle il ne s'attendait pas du tout. Il avait bien évidemment l'intention de nouer des relations diplomatiques avec certains partenaires commerciaux, mais il voulait attendre encore un peu. Puisque les choses venaient se présenter à lui, pourquoi les ignorer. Il demanda à Markino d'aller chercher le Comte de Death, son conseiller. De plus, le courrier semblait être écrit par la Reine en personne. Le ton était bien trop familier pour que ce soit rédigé par un secrétaire.

- Je ne m'y attendais pas moi non plus, fit Thanatos après avoir lu la lettre, mais à bien y réfléchir, ça ne me surprend pas plus que ça.

- Explique-toi.

- Comme Déméter l'a dit, ce sont les marins et les voyageurs qui propagent les rumeurs. Que les Ténèbres soient en plein essor n'est plus un secret. Tu vas être courtisé par nos voisins qui vont vouloir connaître celui qui a fait de notre Royaume une puissance commerciale et militaire avec qui il va falloir commencer à compter. La qualité de nos gemmes, de nos métaux et de nos armes n'est plus à démontrer.

- Tu penses que je dois accepter ?

- Bien évidement. Et je te suggère d'emmener Myu avec toi ainsi que moi-même.

- Je pensais à Rhadamanthe aussi.

- Non, pour deux raisons. D'abord, en ton absence tu vas confier le Royaume à mon frère. Il sera parfaitement secondé par Rhada. Ensuite, la présence d'un guerrier à tes côtés montrerait que tu te méfies de ton hôtesse. Une simple garde rapprochée composée de soldats d'élite fera l'affaire et sera logiquement acceptée et comprise. Mais rien ne t'empêche d'inclure des hommes à Rhada dans cette garde. On a toujours besoin de quelqu'un sachant espionner, n'est-ce pas ?

- Hmm… tes arguments sont tout à fait valables. Je n'avais pas vu les choses sous cet angle.

- C'est bien pour ça que tu as besoin d'un conseiller, sourit le Comte. Par contre, je trouve le ton un peu trop familier, poursuivit-il. Vous ne vous connaissez pas et elle se permet de te parler comme à un enfant. Tu es un Roi, un Souverain. Son égal par le titre, si ce n'est par l'expérience.

- Je n'en prends pas ombrage et ne te formalise pas. Elle a l'âge d'être ma mère.

- Mais elle ne l'est pas ! Son âge n'est pas une excuse pour employer un ton aussi…

- Aussi quoi ?

- Condescendant ! On dirait qu'elle te fait la leçon !

- Thana…, soupira le Roi, oublie cela, veux-tu ? J'ai peur que Myu ne tisse des liens autres que commerciaux, plaisanta Hadès, pour changer de sujet.

- Je croyais que tu avais un peu plus confiance en lui. Quand il s'agit de l'intérêt du Royaume, Myu sait se montrer à la hauteur de sa charge. Et tu le sais. C'est lui qui a négocié les prix des peaux avec l'envoyé de la Reine Artémis. Et on ne peut que s'en féliciter.

- C'est vrai, tu as raison. Mais tu connais Myu aussi bien que moi. Il ne sait pas résister à un bel homme.

- Fais-lui confiance, répéta encore Thanatos.

- Quel présent vais-je offrir à Déméter ? se demanda Hadès en grattant son front du bout de l'index.

- Justement, demande à Myu. Veux-tu que je commence à organiser notre voyage ?

- La Frégate Royale est-elle opérationnelle ?

- Bien sûr.

- Je te confie les préparatifs. Moi je vais voir Myu… et Queen.

Au nom du Magicien, Thanatos sourit. Il laissa Hadès seul, perdu dans ses pensées, ou plutôt en proie aux affres de l'hésitation. Comment annoncer à son amant qu'il allait s'absenter au moins deux semaines et qu'il ne l'emmenait pas avec lui ?

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Le Comte de Butterfly était plongé dans un livre de compte dont le cuir de la couverture était gravé d'une biche sous un croissant de lune(2) Il vérifiait que les prix des fourrures et des cuirs étaient bien conformes aux accords signés avec le Royaume d'Hyperborée. Régulièrement, le représentant de la Reine Artémis apportait un livre avec la modification des tarifs de ces produits en fonction de leur quantité à la vente. C'était long, fastidieux, mais le Ministre du Commerce se faisait un devoir d'être aussi précis et informé que possible pour pouvoir négocier pied à pied des prix préférentiels.

La plupart du temps, l'Hyperborée achetait des métaux ou directement des armes et plus rarement des gemmes et c'est là que Myu augmentait un peu leur valeur. Et il s'en sortait bien. Jusqu'à présent, Hadès n'avait rien à lui reprocher et chacune des parties semblaient y trouver son compte. Il fut tiré de son labeur par quelques coups donnés à sa porte.

- Entrez ! fit-il d'une voix forte.

- Bonjour Myu !

- Sire ! sursauta celui-ci en bondissant de son siège pour mettre un genou à terre.

- Assieds-toi ! Assieds-toi ! ordonna le Roi en prenant place lui-même sur l'un des fauteuils face à son Ministre qui faisait lui aussi partie des hommes qui avaient suivis Hadès dans la reconquête de son trône.

- Veux-tu que je nous fasse porter une collation ?

- Bonne idée.

Pendant que Myu interpellait une servante dans le couloir, Hadès laissa son regard parcourir la pièce. Tout n'était que chatoiement des couleurs. La plupart des gens se meublaient avec des nuances dans les mêmes tons, mais pas le Comte. Les lourdes tentures des fenêtres étaient d'un rouge foncé alors que celles qui couvraient les murs pour cacher la pierre brute était d'un bleu vif sur deux d'entre eux, et jaune pâle sur le troisième. Le quatrième était nu, orné d'un bouclier aux armoiries de la famille Butterfly entre deux lances croisées. Les sièges étaient recouverts de tapisseries aux couleurs diverses qui semblaient disparates mais tout ceci formait une certaine harmonie. Le lieu était chaleureux.

- Je ne te dérange pas ?

- Un Roi ne dérange jamais ses sujets. Comment puis-je t'aider ?

- En m'accompagnant le mois prochain à la fête du jubilé de la Reine Déméter.

- Déjà ?

- Quoi donc ?

- Trente-cinq ans de règne… murmura Myu d'un ton lointain. Elle est montée sur le trône alors que nous n'étions même pas nés…

- Ça a l'air de te troubler.

- Eh bien… Un peu, oui… le temps passe si vite…

- C'est bien pour cela qu'il faut en savourer chaque instant.

- C'est la ligne de conduite que je me suis fixé, répondit le Comte avec un sourire entendu pour son Roi qui répondit de la même façon.

- La fête aura lieu le vingt-cinquième jour, nous devrons y être un peu avant.

- Tu espères nouer des relations diplomatiques avec d'autres Souverains ?

- Pourquoi pas et toi tu feras l'éloge de nos produits.

- Fort bien. Qui d'autre nous accompagnera ?

- Thana et une garde d'élite dont quelques hommes à Rhadamanthe.

- Hmm… une délégation tout ce qu'il y a de pacifique en apparence.

- Pourquoi en apparence ?

- Pourquoi des hommes à Rhadamanthe ?

- Eh bien… C'est toujours bon d'avoir des yeux et des oreilles qui traînent un peu partout…

- C'est bien ce que je dis, pacifique en apparence. Mais c'est très bien.

- Crois-tu vraiment que les autres souverains n'ont pas infiltré Giudecca pour savoir qui je suis ?

- Si, bien sûr, mais Rhada ne les a pas encore trouvé.

- Aucune importance pour l'instant. De toute façon, je n'ai rien à cacher si ce n'est l'importance de mon armée. Et bien malin celui qui arrivera à le découvrir.

- Je suis bien d'accord, sourit Myu.

- J'ai aussi besoin de tes lumières. Il faut offrir un présent à la Reine. Que me conseilles-tu ?

- Elle nous achète des gemmes en petites quantités. J'en ai déduit qu'elle les garde pour elle ou pour un nombre restreint de personnes. Et de plus, elle achète aussi un peu d'or et d'argent.

- Tu me suggères un bijou ?

- Sois plus généreux, allons ! s'écria Myu avec un petit rire devant l'incompréhension de son Roi.

- Myu… gronda-t-il, vexé de se faire prendre en flagrant délit d'avarice

- Fais-lui faire une parure complète par ton orfèvre attitré. Elle sera notre meilleur ambassadeur. Que répondra-t-elle quand on lui demandera d'où lui vient une si magnifique parure ?

- Des Ténèbres, répondit Hadès ravi de l'esprit commercial du Comte. En or ou en argent ?

- Pourquoi pas les deux ? Nous ne manquons pas de métaux précieux.

- Sais-tu quelles pierres elle aime ?

- Sire, tu veux me vexer ? Bien sûr que je le sais. Elle commande de l'ambre, de la malachite, de la turquoise, du lapis lazuli et du jade assez souvent avec parfois d'autres pierres.

- Qu'est-ce que tu entends par parure ?

- Tout. Boucles d'oreilles, pendentif, collier, bracelet, bague et diadème frontal. Elle doit se souvenir de son jubilé… et de toi.

- Je vais mettre mon joaillier sur ce travail. Penses-tu que quelqu'un d'autre devrait nous accompagner ?

- Rune ? Il est toujours bon de connaître les lois chez nos voisins, histoire de ne pas faire de faux pas.

- C'est une bonne idée. Gordon le remplacera.

- Combien de temps serons-nous partis ?

- Les voyages d'aller et de retour plus notre séjour, il faut compter au moins deux semaines.

- Tu l'as dit à Queen ?

- Non. Il ne m'accompagne pas et je vais devoir le ménager.

- Pourquoi le laisses-tu ici ? s'insurgea Myu qui ne comprenait pas la décision du Roi.

- Je vais confier le Royaume à Hypnos. Rhadamanthe le secondera et en cas de besoin, ils pourront faire appel aux pouvoirs de Queen.

- Que crains-tu ? Nous n'avons pas d'ennemi. Personne ne nous cherche d'ennui !

- Je sais… mais c'est la première fois que je vais m'absenter du Royaume et…

- … et tu es comme une mère possessive qui laisse pour la première fois son enfant chez ses oncles et tantes, traduit le Comte avec un sourire tendre.

- Oui, c'est un peu ça, murmura Hadès dans un soupir. Et donc, je préfère qu'il soit bien entouré et protégé en mon absence.

- Je n'aimerais pas être à ta place quand tu l'annonceras à Queen. Il va être terriblement déçu.

- Je sais… Mais il comprendra… Bon. Je vais allez voir Rhada et Eaque pour qu'ils forment ma garde rapprochée. Et le joaillier. Et Rune.

- Et Queen !

- Queen, j'attendrai ce soir.

Le sourire que lui renvoya Myu disait bien que les deux hommes s'étaient compris. Il serait plus facile d'amadouer le Magicien s'il organisait un dîner en tête à tête.

Ooooo00000ooooO

Suivit par quatre soldats de sa garde rapprochée, le Roi Hadès gagna le quartier des artisans de Giudecca. Sur son passage, les gens s'inclinaient respectueusement. Il n'était pas rare de croiser le Souverain dans la ville, mais à chaque fois, c'était un évènement. Certains allaient même jusqu'à se jeter devant lui, un genou à terre pour lui dire quelques mots, le remercier de ce qu'il faisait depuis quatre ans pour son peuple.

Et toujours, Hadès prenait le temps de relever la personne et de lui adresser quelques paroles d'encouragement, de répéter inlassablement que sans son peuple, il n'aurait rien pu faire. Pour ses sujets, il était plus qu'un Roi, il était un Dieu.

Lorsqu'il entra dans la boutique du joaillier, il eut droit au même rituel. L'homme s'agenouilla avec son apprenti.

- Relevez-vous, messieurs. J'ai besoin de votre talent !

- Ordonnez, Sire et nous obéirons.

- Mon cher Kaereg(3), je vais avoir besoin de tout ton savoir-faire !

- Majesté, je ferai de mon mieux, comme toujours.

- Je n'en doute pas. J'aimerais que tu crées deux parures complètes. L'une en or et lapis-lazuli(4) l'autre en argent et malachite(5). C'est destiné à une Reine.

- Une Reine, Sire ?

- Oui. La Reine Déméter. C'est une femme qui doit avoir presque soixante ans, donc il faut un bijou qui convienne à son âge. Quelque chose de noble, de travaillé mais de sobre à la fois et surtout qui ne laisse pas indifférent.

- Je vois tout à fait ce que vous voulez dire, Sire. Je vais m'atteler à cette tâche immédiatement.

- Je n'en espérais pas moins. Ce présent aura certainement une influence dans les rapports que les Plaines et les Ténèbres entretiendront à l'avenir. Penses-tu pouvoir terminer avant le quinze du mois prochain ?

- Je travaillerai jours et nuits s'il le faut, Majesté.

- Fais-moi savoir si tu rencontres des difficultés et quand tu auras fini. La récompense sera à la hauteur de ma satisfaction.

- Merci Majesté.

Lorsque le Roi sortit, le bijoutier se laissa tomber sur une chaise. Son apprenti s'approcha de lui, un jeune homme d'une vingtaine d'années qui apprenait ce métier depuis près de trois ans maintenant.

- Maître, vous vous sentez bien ?

- Oui, Gleann(6), oui… ça va… Tu as terminé la commande du Comte de la Harpie ?

- J'aurai fini demain dans la journée…

- Parfait. Je vais mettre en attente les autres commandes et aller choisir les pierres. Demain matin, avant de venir, passe au comptoir des métaux et demande qu'on te remette un lingot d'or et un d'argent. N'oublie pas mon sceau. Sinon, ils ne te donneront rien.

- Bien Maître. C'est… ça me fait un peu peur cette parure pour le Roi.

- Moi aussi, mais s'il vient à moi c'est qu'il estime que mon travail est le meilleur. Je dois être à la hauteur.

- Je suis fier d'apprendre auprès vous. J'espère qu'un jour je serai digne de votre enseignement.

- Tu le seras, n'en doute pas. Tu es naturellement doué, c'est pour ça que j'ai accepté que tu sois mon apprenti.

- Merci, murmura le jeune homme en regagnant son établi pour poursuivre la fabrication de la bague commandée par le Comte de la Harpie pour sa future épouse, Dinya.

C'était la première fois que son Maître lui confiait la fabrication d'une pièce pour un personnage aussi important du Royaume. Pour lui, c'était le signe que Kaereg estimait son travail, son sérieux, son talent. Le jeune homme sourit, fier de lui.

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Hadès décida de rentrer chez lui. La matinée avait été plutôt chargée et il commençait à avoir faim. Il demanda à Markino de lui faire porter un repas et alors qu'il se mettait à table, on frappa à sa porte.

- Vous déjeunez avec moi ? demanda-t-il à Thanatos et Rhadamanthe qui entrèrent et le saluèrent.

- Un déjeuner de travail ? Excellente idée ! approuva le Conseiller.

- J'ai les hommes pour ta garde, déclara le Duc de Wyvern en s'asseyant. Eaque ne peut pas se joindre à nous, il devait voir Minos pour la sécurité des colonies frontalières.

- Et moi j'ai donné des ordres pour que ta Frégate soit préparée. Nous pourrons même faire une promenade en mer.

- Très bien. J'ai commandé le cadeau de Déméter et il ne reste plus que Rune à voir.

- Et Queen ? s'enquit le Duc.

- Je lui parlerai ce soir…

Après ce déjeuner, le Roi demanda qu'on aille chercher le Comte de Balrog, mais le serviteur revint bredouille. Apparemment, personne ne savait où se trouvait le Ministre de la Justice. Hadès savait que parfois, Rune se réfugiait dans le jardin en terrasse. C'était un lieu qu'il affectionnait particulièrement et lorsque rendre des jugements ou réfléchir à des lois lui pesait un peu trop, il sortait prendre l'air en ce lieu. Mais là non plus, il n'y avait personne. Il fit un détour par les cuisines, songeant que son Ministre avait peut-être eu faim et était allé lui-même chercher de quoi se sustenter tout en se dégourdissant les jambes. Ne le trouvant pas là non plus et alors qu'il allait partir, par l'une des fenêtres, il vit un groupe de chasseurs pénétrer dans la cour.

- Phlégyas ! s'écria-t-il en sortant.

- Sire ?

- Alors la chasse a été bonne ?

- Assez. Nous ramenons trois cerfs, deux sangliers et quelques lapins. Nous avons raté un ours.

- Comment s'en sort ce… Gigant ?

- C'est un traqueur hors pair. C'est lui qui a levé les sangliers et les lapins. Depuis qu'il est avec nous, nous ramenons plus de gibier.

- Où est-il ?

- Là-bas, répondit le Chevalier du Lycaon en désignant l'homme trapu du doigt.

Le Roi le remercia d'un sourire accompagné d'une tape sur l'épaule et se dirigea vers le traqueur. Il se souvenait encore de la biche que celui-ci lui avait offerte.

- Gigant ?

- Majesté ! s'écria l'homme en posant un genou à terre.

- Relève-toi ! Alors ? Comment s'est passée ton arrivée à Giudecca ?

- Eh bien… commença l'homme visiblement impressionné par son Souverain et surpris qu'il s'intéresse à lui. Très bien, Sire. Ma femme n'arrête pas de louer votre générosité et mes fils aiment beaucoup ce qu'ils apprennent avec leur précepteur.

- Ont-ils appris à lire et à écrire ?

- Oui, ils ont commencé.

- Et toi ? As-tu pris le temps de t'instruire ?

- Je…, non…, je suis très pris avec les chasseurs.

- Tu devrais prendre le temps pour ça. C'est important. Je dirai à Phlégyas de te laisser deux après-midi par semaine.

- Mais Sire…

- C'est un ordre ! Grâce à ta présence, le Palais d'Ebène mange mieux. Tu dois être récompensé pour ça.

- Merci, Sire.

Gigant regarda son Roi parler au Maître de Chasse et vit celui-ci hocher la tête en signe d'assentiment. Il bénissait le jour où cette biche s'était retrouvée au bout de sa flèche… Un Roi qui s'enquiert du sort du plus humble de ses sujets, comment ne pas l'adorer ? Le vénérer ? L'aduler, tel un Dieu ?

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Le Comte de Balrog avait horreur d'infliger une sentence lui-même. S'il approuvait le concept du châtiment quel qu'il soit, il préférait qu'un autre se charge de l'exécuter. Malheureusement, là il s'agissait d'un serviteur directement sous ses ordres qui avait été surpris en train de boire le vin qui lui était destiné. La faute en elle-même n'était pas grave, mais il ne pouvait pas laisser passer un tel acte. Sinon, c'était la porte ouverte à tous les petits délits qui finiraient par en entraîner de plus grands. Dans la cour des cuisines, il avait fait attacher le coupable et lui avait asséné cinq coups de fouet. Ce n'était pas tant la lanière de cuir tressé qui infligeait la souffrance que la bille d'acier enserrée à l'extrémité. Pas plus grosse qu'une perle d'huitre, lorsqu'elle claquait sur la peau, des ecchymoses violacées, presque noires, faisaient immédiatement leur apparition. La douleur occasionnée à ces endroits durait plusieurs jours sans que la peau ne puisse être touchée. De plus, le Comte savait très bien comment lancer son fouet pour que la bille frappe aux endroits les plus sensibles. C'était un châtiment qu'on n'oubliait pas. Il enroula son arme, l'accrocha à sa ceinture et prit la direction des écuries où il fit seller Fire Whip(7). Il flatta l'encolure du cheval et l'enfourcha d'un bon souple et aisé. Sa cape recouvrit la croupe de l'animal et il partit en direction du canyon de l'Achéron, ou plus exactement vers l'un des bras du fleuve qui se jetait dans la Baie de Giudecca.

C'était un des lieux qu'il aimait beaucoup. Le lit à sec de la rivière était encaissé entre de hautes falaises sur la plus grande partie de son parcours. Sur la fin, il s'élargissait et devait se jeter en une cascade grandiose, bouillonnante et assourdissante dans la mer à l'époque où l'eau coulait encore. Depuis qu'il s'était tari, la roche nue avait été dévoilée et d'innombrables oiseaux de mers avaient fait leur nid dans la gigantesque paroi rocheuse. Un chemin escarpé longeait le canyon jusqu'au bout. Sur chaque rive poussaient des pins et une garrigue rase, seules plantes capables de résister à la violence des vents qui soufflaient avec une formidable puissance pendant les tempêtes.

Rune descendit de cheval et l'attacha à une branche basse. Il poursuivit à pied jusqu'au bord de la falaise qui surplombait la mer. Il s'assit dans un creux de la roche et s'enroula dans sa cape. Ses longs cheveux d'un gris très clairs battaient son visage au gré des rafales du vent joueur. Le soleil ne brillait jamais en plein jour sur les Ténèbres, mais à travers les nuages, on pouvait deviner sa position.

Le Comte laissa son regard parme se perdre bien loin sur l'horizon gris. Le bruit des vagues qui se fracassaient à ses pieds, une bonne centaine de mètres plus bas, lui parvenait en même temps que les cris des oiseaux. Des mouettes, des macareux, des sternes, des goélands par dizaines, plongeaient dans les eaux sombres pour attraper leur subsistance puis revenaient reprendre des forces dans les nids qui, d'une année sur l'autre, étaient remis en état pour accueillir la nouvelle génération. Ce n'était que le début du mois de mars et la saison des amours allait bientôt commencer. La saison des amours… Rune sourit. Il songea que lui aussi il devrait peut-être préparer un petit nid douillet pour la personne qui faisait battre son cœur, avec le secret espoir qu'elle le regarde enfin, qu'elle s'aperçoive de son existence. Marié depuis plus d'un an à une jeune femme douce et aimante qui allait bientôt lui donner un héritier, il n'avait jamais éprouvé d'amour pour elle. Il avait juste fait ce qu'il fallait pour que sa lignée ne s'éteigne pas avec lui. Il avait fait son devoir. Mais son cœur battait pour quelqu'un d'autre.

Au large, trois bateaux de commerce battants pavillon étranger faisaient voiles vers le port de Léthé. Plus près de la côte, des bateaux de pêche rentraient lentement vers Giudecca. Toute la nuit, les poissons seraient vidés et préparés avant d'être fumés ou salés puis expédiés vers les villes du Royaume où ils seraient vendus sur les marchés.

Rune ferma les yeux et se laissa bercer par les bruits de la mer et les cris des oiseaux. Lorsqu'il les rouvrit, la luminosité avait nettement baissé. Il se leva d'un bon, furieux contre lui-même de s'être laissé piéger par la quiétude qui régnait en ce lieu. Il se hâta vers Fire Whip et galopa jusqu'au Palais d'Ebène.

- Seigneur Rune ! l'interpella Markino visiblement agité. Mais où étiez-vous donc ? Sa Majesté vous cherche partout. Ça semble urgent !

- Je vais le voir. Merci.

Il grimpa le grand escalier de l'immense hall d'entrée du Palais et s'engouffra dans un couloir. Il gravit un autre escalier en colimaçon qui déboucha sur… un autre couloir deux étages plus haut. Conscient qu'Hadès serait mécontent, il prépara mentalement l'explication qu'il allait devoir lui fournir. Et s'il lui disait la vérité ?

- Rune ! Entre et assieds-toi !

- Tu me cherchais, Majesté ?

- Oui, j'ai une chose à… Mais où étais-tu donc passé ? Markino a fouillé le Palais du fin fond du Tartare au plus haut donjon !

- Je… Pardonne-moi. Je n'étais pas là. Je suis sorti à cheval…, avoua le Ministre de la Justice d'une petite voix.

- Sorti ? Mais où ça ?

- La falaise de l'Achéron, en haut de la Baie…

- Que faisais-tu là-bas ?

- C'est un lieu qui m'apaise…

- Tu avais besoin d'apaisement ?

- J'ai eu à… à infliger une sentence, et tu sais que je n'aime pas ça. Je suis parti pour… reprendre mes esprits et je me suis assoupi.

- Oh, je vois... J'ai cru que c'était plus grave que ça, sourit Hadès devant la mine pitoyable de son collaborateur. Comment va ton épouse ?

- Bien… Elle devrait accoucher dans les jours qui viennent. D'ailleurs à ce propos, j'ai une faveur à te demander…

- Je t'écoute.

- Me ferais-tu l'honneur d'être le parrain de mon enfant ?

Hadès eut un sursaut de surprise, écarquilla les yeux et un large sourire fendit son beau visage.

- C'est moi qui suis honoré, mon ami. J'en serai ravi.

- J'espère que ce sera un garçon.

- Aucune importance. L'essentiel c'est qu'il ou elle soit en bonne santé. Et ta femme pourra encore te donner des enfants.

Le Comte détourna le regard le temps d'un battement de cil, mais le Roi s'aperçut de son trouble.

- Rune ? Que se passe-t-il ?

- Rien… c'est…personnel.

- Tu vas être père, tu devrais être heureux, mais ça n'a pas l'air d'être le cas. Dis-moi ce qui te tracasse.

- Tu te souviens, commença le Ministre après un moment d'hésitation comme s'il cherchait ses mots, il y a quelques semaines, lors d'un Conseil Royal, tu nous as parlé de la nécessité d'assurer notre descendance. Je ne me suis pas senti concerné puisque ma femme était déjà enceinte.

- Je ne vois pas où tu veux en venir.

- Depuis qu'elle m'a annoncé sa grossesse, je ne l'ai plus touchée. C'est pour cela que j'espère que ce sera un garçon.

- Tu veux dire que… tu ne l'aimes plus ?

- Je ne l'ai jamais aimé. Je sais que l'avenir des Ténèbres passe par la naissance d'une nouvelle génération de nobles qui te seront loyaux et fidèles. Dévoués à toi et à tes héritiers. J'ai… j'ai anticipé une idée que je savais que tu aborderais un jour ou l'autre.

- J'apprécie les hommes qui font preuve d'anticipation, mais… je suis désolé d'apprendre que tes sentiments ne sont pas ceux que je croyais. Si c'est une fille, il faudra bien que tu regagnes le lit de ta femme.

- Je n'y arriverai pas, souffla le Gardien de la Loi en couvrant ses yeux d'une main tremblante.

- Rune !

Hadès fit le tour de son bureau et s'assit dans le fauteuil à côté de son Ministre. A l'évidence, le Comte avait besoin de parler, de se confier mais il ne savait pas comment s'y prendre.

- Rune, reprit-il avec douceur. Te souviens-tu du jour de notre rencontre ? Dans cette auberge ?

- Bien sûr… Comment pourrais-je l'oublier ? C'est l'un des plus beaux jours de ma vie.

- Minos, Myu et toi vous êtes immédiatement ralliés à moi, sans même me connaître. Nous avons tous remis notre vie entre les mains des trois autres, tout en sachant que nous avions les leurs entre les nôtres. Aujourd'hui, une grande amitié nous unis, les mêmes idéaux pour notre terre. Mais j'ai aussi de l'affection pour vous. Ne peux-tu oublier un instant que je suis ton Roi et voir en moi un ami à qui tu peux tout dire ?

- Sire, je…, bégaya Rune en plongeant son regard malheureux dans celui de son Roi, plein de compassion. Je suis amoureux de quelqu'un d'autre.

- C'est donc ça ? fit le Roi, doucement, en prenant les mains de son Ministre. Je ne vois pas où est le problème. Si tu as une fille, tu chevauches ton épouse jusqu'à ce qu'elle tombe enceinte, mais rien ne t'empêche de vivre ton histoire avec celle que tu aimes. Nous ne sommes pas astreints à la fidélité parce que nous sommes mariés. Ce qui importe, c'est d'être heureux.

- C'est d'un homme dont je suis amoureux, et depuis fort longtemps.

- Encore une fois, je ne vois pas où est le problème.

- Eh bien, d'abord, il ne connaît pas mes sentiments pour lui, et si jamais nous devions vivre notre histoire, je ne voudrais pas coucher encore avec ma femme si notre premier né est une fille. J'aurais l'impression de lui être infidèle et… cette idée m'est insupportable.

- Je comprends… et c'est tout à ton honneur. Mais ne risques-tu pas de passer à côté du bonheur à cause de cette notion ?

- Je l'ignore… Ça peut paraitre idiot, mais c'est ainsi que je le ressens. Le cas échéant, je sais que Queen a des potions efficaces, mais…

- Très bien, n'en parlons plus, fit le Roi voyant que son ami faisait des efforts pour lui parler. Et puis-je savoir de qui il s'agit ? demanda-t-il malicieusement.

- Majesté, euh… je ne…

- Très bien ! Je n'insiste pas. Si tu ne veux rien dire, je respecterai ton choix. Bien, que dirais-tu de faire un petit voyage ?

- Sire ?

Le Roi lui parla de l'invitation et la lui fit même lire. Il lui dit ensuite qui devait les accompagner. Rune marqua un temps d'arrêt comme s'il réfléchissait, mais convint qu'Hadès avait choisi judicieusement. Le conseil, le commerce, la loi, c'était bien pensé pour débuter des relations avec de nouveaux royaumes.

Les deux hommes se séparèrent, se souhaitant une bonne soirée.

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Lorsque Queen regagna son appartement, il n'avait qu'une idée en tête : prendre un bain. Il avait passé la journée au dispensaire de la Cité pour soigner les rhumes qui touchaient énormément de monde. Les journées commençaient à être plus douces mais les nuits restaient encore fraîches. Forcément, il était facile de tomber malade. Il avait perdu le compte des tisanes, décoctions et autres infusions contre la fièvre et la toux qu'ils avaient préparées et administrés. La vie d'un médecin n'était vraiment pas de tout repos. L'idée d'Hadès de prendre un apprenti lui revint à l'esprit. Ce qu'il avait fait aujourd'hui n'importe qui aurait pu le faire. Comment faisait les gens dans les autres villes du Royaume et les campagnes ? Pour la plupart, ces médecines étaient connues de nombreuses femmes qui ne faisaient pas toujours appel à un guérisseur pour soigner leurs proches. Elles s'en chargeaient elles-mêmes. Et la préparation de ces traitements faisait même partie de l'apprentissage des jeunes filles en âge de se marier. Queen avait l'impression de perdre son temps. Il préférait cent fois se consacrer à la recherche de filtres et de potions qui pouvaient l'aider dans la pratique des sortilèges. Oui. C'était décidé, il allait prendre un apprenti en médecine. Pour la Magie, il verrait plus tard.

Alors qu'il se déshabillait devant le baquet d'eau chaude et parfumée, il songea qu'il n'avait pas vu le Roi depuis le matin. Ils s'étaient réveillés dans les bras l'un de l'autre dans le lit d'Hadès après une nuit voluptueuse. A ce simple souvenir, les reins du Magicien s'échauffèrent. Ils avaient pris une rapide collation ensembles et chacun était parti vaquer à ses occupations. Et maintenant, alangui par la chaleur de l'eau, il laissait son esprit vagabonder vers son amour. Un feu de brindille enfla dans son corps pour bientôt devenir un brasier. Ses mains se mirent à caresser son corps. Un gémissement lui échappa lorsqu'il frôla son sexe.

- Tu veux de l'aide ?

Queen sursauta. Il allait répliquer mais une bouche possessive s'empara de la sienne. Ce parfum, cette saveur n'appartenaient qu'à une seule personne. Hadès. Un petit cri sortit de sa gorge quand le Roi posa sa main sur son désir durement dressé en haut de ses cuisses pour le caresser avec une lenteur délicieusement frustrante. Il écarta les jambes et le Roi glissa sa main sous l'eau. Le Magicien se mit à haleter sous les lèvres gourmandes et insatiables. Le corps en feu, il cherchait son souffle. Soudain, il se sentit abandonné. Son amant s'était redressé et commençait à se dévêtir avec une lenteur calculée, sous ses yeux voilés d'un désir violent. Hadès, une fois nu, revint vers le baquet. A la hauteur du visage du Magicien, une magnifique virilité pulsait doucement avec une effronterie dont elle seule était capable. Il s'en empara avec délicatesse et l'attira vers lui.

Hadès gronda de plaisir en se voyant disparaître dans cette bouche chaude et moite. Il se mit à balancer paresseusement les hanches, la tête rejetée en arrière, les yeux clos, l'esprit et le corps entièrement tournés vers cette sensation brulante qui irradiait du bas de son ventre pour se répandre langoureusement dans tout son corps. Se contrôlant au prix d'un violent effort, il quitta la bouche accueillante et alla s'asseoir sur la chaise où Queen avait posé ses vêtements. Les deux hommes se regardèrent. Les mots n'étaient pas utiles. Le Magicien sortit de son bain et s'approcha de son Roi sans même prendre la peine de se sécher. Il s'assit sur les genoux d'Hadès et prit leurs deux membres dans sa main pour les caresser ensembles.

Ce fut une mélodie de soupirs, de gémissements et d'halètements, qui remplit la pièce pendant un très long moment. Puis un cri. Suivit de deux râles d'extase. Depuis quand n'avaient-ils pas joué ainsi ? Ils n'étaient pas tombés dans la routine mais leurs étreintes se ressemblaient. Alors parfois, lorsque les choses prenaient une autre tournure, ils en profitaient tout leur soûl. Comme cette fois, dans la petite clairière, au bord du Lac Pyriphlégéton. Queen, le pied en appui sur le rebord de l'assise de la chaise se laissait tomber brutalement à chaque mouvement. Hadès se mordait les lèvres de plaisir. Il cria quand le Magicien roula ses tétons entre ses doigts sans délicatesse. Voulait-il punir son royal amant de l'avoir délaissé toute la journée ? Qu'allait-il lui faire subir alors, lorsqu'il apprendrait qu'ils allaient être séparés pendant deux semaines ? Jamais encore, ça ne leur était arrivé.

Hadès regardait son amant se déhancher sur lui. Il était si beau. Mais il commençait à s'en vouloir de faire passer cette mauvaise nouvelle en usant de ce stratagème. Jamais il ne s'était servi de leur relation pour forcer la main à Queen. Et là, il lui semblait que c'était exactement ce qu'il était en train de faire. Mais il était trop tard pour avoir des scrupules. Pris d'un désir incontrôlable, il se dégagea de lui et le fit s'allonger sur le ventre contre la table. Il le prit ainsi, avec une passion décuplée. Ses mains parcouraient les reins cambrés de plaisir et qui se creusaient à chacun de ses retours, glissant entre eux puis se retirant à un rythme toujours plus rapide, toujours plus brutal.

Le Magicien l'encourageait de ses gémissements, de ses cris, de ses mots. Il allait de lui-même vers cette lance de chair incandescente, perdant toute retenue. Il se redressa pour embrasser son bourreau et lui souffler sur les lèvres un "Encore !" dévastateur.

Hadès étouffa son cri de plaisir en mordant l'épaule de Queen qui glapit de douleur et de surprise. Et alors que les dernières vagues de jouissance montaient en lui, le Roi le libéra pour s'agenouiller à ses pieds. Le Magicien, incrédule, se focalisa sur la bouche et la langue qui menaçaient sa santé mentale. Incapable de tenir sur ses jambes tremblantes, il finit par se laisser choir sur le sol, son amant toujours plongé entre ses cuisses. L'orgasme le foudroya avec une puissance incommensurable. Dans un réflex, il avait agrippé la tête d'Hadès et s'était projeté au plus profond de sa gorge. Celui-ci attendit que le corps sous le sien arrête de trembler et que le Magicien retrouve une respiration presque normale avant de le libérer. Immédiatement, il rampa sur Queen et le prit dans ses bras. Il couvrit son visage et son cou de baisers, lui murmurant des "Je t'aime" enflammés et si doux.

Un frisson les sortit de leur bienheureuse torpeur. A contre cœur, ils se levèrent et se couvrirent.

- Cela faisait bien longtemps que nous n'avions pas fait l'amour ainsi, murmura Queen en déposant un léger baiser sur les lèvres d'Hadès./

Cette phrase fut comme un poignard en plein cœur. Il allait maintenant falloir revenir à des préoccupations plus désagréables, mais inévitables.

- C'est vrai… on devrait faire ça plus souvent, sourit le Souverain.

- Tu as faim ?

- Je meurs de faim.

- Je nous fais porter quelque chose.

Alors qu'ils étaient à table, Queen perçut le malaise du Roi. Il le connaissait si bien.

- Vas-tu te décider à me dire ce pourquoi tu es venu ?

- Je suis avant tout venu pour te voir parce que tu m'as manqué toute la journée. Mais c'est vrai que j'ai quelque chose à te dire. Et tu ne vas pas aimer du tout.

- Laisse-moi juger.

- Tiens.

Queen lut la lettre de la Reine Déméter et haussa un sourcil.

- Je ne vois ce qui te gêne. Tu dois t'y rendre.

- Oh, mais j'en ai bien l'intention. Le problème c'est que… tu ne vas pas pouvoir m'accompagner.

- Et je m'en garderai bien, répondit le Magicien à la surprise du Roi.

- Je pensais que tu voudrais venir, fit-il un peu désarçonné par la réaction de son amant.

- Et qui va veiller sur ton trône en ton absence ? Laisse-moi deviner. Tu mets Hypnos à la tête des Ténèbres et… voyons…, réfléchit-il un doigt sur les lèvres et les yeux au plafond, qui d'autre que Rhadamanthe pour le seconder avec la police de Minos et l'armée d'Eaque. Et moi et mes sortilèges pour leur venir en aide si c'est nécessaire.

C'est un regard plein de tendresse qu'il croisa. Hadès était éperdu d'amour pour cet homme. Il le comprenait si bien et tout comme lui, il avait à cœur le Royaume et ses intérêts. Queen aimait les Ténèbres au moins autant que lui.

- Qui t'accompagne ?

- Myu, Rune et Thanatos. Dans ma garde, il y aura des hommes à Rhada.

- Je ne t'aurais pas mieux suggéré.

- Queen ! s'exclama enfin le Roi. Ça ne te fait rien ? Je vais être absent pendant au moins deux semaines ! Deux semaines sans te voir, rien que d'y penser, je deviens fou ! Et toi tu restes stoïque. On dirait que la perspective de cette séparation ne te fait rien !

- Comment peux-tu dire ça ! s'écria Queen en foudroyant Hadès du regard. Bien sûr que ça me… ça me rend fou moi aussi, termina-t-il dans un souffle en baissant les yeux sur son assiette. Mais je comprends aussi la nécessité d'un tel voyage. Et de toute manière, que veux-tu que je fasse là-bas ? Myu, Thana et Rune seront bien plus utiles que moi.

- Mais toi tu es l'eau que je bois, l'air que je respire. Comment vais-je faire sans toi pendant tout ce temps ? murmura le Roi avec une infinie tristesse dans la voix et le regard.

- Tu feras des réserves, rétorqua le Magicien d'un ton qui en disait long sur les idées qu'il avait en tête pour cela. Et je te ferai une amulette contre les mauvais sorts. Comme ça même loin de toi, je te protègerai.

- Tous les jours, je remercie les Dieux de t'avoir mis sur ma route, déclara le Souverain en prenant la main de son amant par-dessus la table. Si tu savais à quel point je t'aime, lui dit-il en embrassant les doigts qu'il tenait.

- Si tu m'aimes autant que je t'aime, alors j'en ai une petite idée…

La mèche de la dernière bougie encore allumée grésilla lorsque la flamme s'éteignit enfin. Jusque-là, Hadès avait regardé Queen dormir. Le Magicien s'était rapidement endormi après leur dernier corps à corps, épuisé par sa journée et par son amant. Le Roi n'en revenait toujours pas de cet amour qu'il éprouvait. Lui qui avait tenu des femmes splendides dans ses bras, il aimait un homme plus que sa propre vie.

Parce qu'il savait que si jamais Queen se retrouvait un jour en danger, il s'interposerait sans la moindre hésitation, quitte à y perdre la vie. Il mourait pour que Queen vive, même si sa mort lui causerait la plus horrible des souffrances, que sa tristesse et son chagrin remplirait un puits sans fond. Il caressa tendrement les boucles bordeaux qui parsemaient son torse et resserra un peu son bras autour du corps chaud, endormi contre le sien. Il ne se souvenait plus comment il avait compris ses sentiments, mais il se rappelait parfaitement de leur premier baiser et de la nuit qui avait suivie…

Depuis plusieurs semaines, Hadès trouvait tous les prétextes pour voir Queen. Soit il allait le voir dans son laboratoire pour s'enquérir de son travail ou pour lui demander d'observer les étoiles, soit il le convoquait dans son bureau pour le questionner sur les possibles usages de la Magie pour telle ou telle chose. Et quand un soir, l'esprit un peu échauffé par le vin d'un repas copieux, il était allé dans le donjon du Magicien, il lui avait demandé s'il connaissait un filtre d'amour efficace, Queen l'avait regardé, dubitatif.

- Pourquoi aurais-tu besoin d'un tel filtre ? Tu es bien assez séduisant pour mettre qui tu veux dans ton lit, avait répondu le jeune homme.

- Vraiment qui je veux ?

- Bien sûr. Tu es un homme à qui personne ne peut résister lorsqu'il a décidé de séduire.

- Personne ? Pas même toi ?

L'absence de réponse fut l'éloquence même. Hadès avait pris le visage de Queen entre ses mains et lui donna un baiser à leur couper le souffle. Et alors qu'il s'écartait pour voir sa réaction, le Magicien l'embrassa à son tour avec une fougue que démentait son attitude habituellement distante. Il ne se permettait pas la familiarité de Rhadamanthe ou des jumeaux dans les gestes ou les paroles. Il savait où était sa place et il s'était résigné depuis longtemps à aimer son Roi dans le secret de son cœur.

Ils n'avaient pas réussi à atteindre la chambre et s'étaient aimés sur le tapis, devant la cheminée. La passion avec laquelle Queen s'était donné à lui avait été bien plus parlante que toutes les déclarations d'amour. Depuis, ils dormaient dans le même lit. Si Markino ne trouvait pas Hadès dans sa chambre, il savait qu'il le trouverait dans celle de Queen. Et les rares fois où ils avaient été séparés, ça n'avait été que pour une nuit tout au plus parce que l'un ou l'autre s'était absenté du Palais d'Ebène pour les affaires du Royaume.

Hadès finit par s'assoupir. La nuit été avancée et il savait qu'il n'allait pas beaucoup dormir. Markino n'était pas quelqu'un qui se laissait facilement amadouer parce que le Roi avait passé la nuit à faire des folies de son corps. Et s'il le comprenait parfaitement, il n'était pas question que les Ténèbres pâtissent des amours de leur Souverain. Pour le Chambellan, le Royaume devait tenir la première place dans le cœur et l'esprit de tous les membres du gouvernement, à commencer par Hadès. Ensuite, il convenait volontiers que Queen y tienne aussi une grande place, mais la seconde.

Avant de sombrer définitivement dans les bras de Morphée, deux questions traversèrent l'esprit du Roi. Comment Markino faisait-il pour se réveiller tous les matins si tôt ? Demandait-il à un garde de nuit de le réveiller avant que celui-ci ne laisse sa place à son collègue pour la relève ? Hadès souriait quand le sommeil l'emporta enfin…

A suivre…

Le prochain chapitre vous emmènera au Royaume d'Amazia et au Royaume des Ténèbres.


(1) Embreis : forme bretonne du prénom Ambroise lui-même dérivé d'Ambrosios qui signifie "immortel". L'ambroisie était le nectar des Dieux mais je n'ai retenu que le côté "boisson" ce qui collait très bien à un tavernier.

(2) La biche est l'un des animaux favoris d'Artémis et le croissant de lune un de ses attributs.

(3) Kaereg : signifie "magnifique" en Celtique

(4) Photos visibles sur mon site. Pendentif en lapis lazuli poli et morceau brut.

(5) Photos visibles sur mon site. Pendentif en malachite poli et morceau brut

(6) Gleann : prénom d'origine Celtique signifiant pays ou terre.

(7) Photo visible sur mon site. Anglo-arabe bai brun parce que les crins et le bas des membres sont noirs. Fire Whip : fouet de feu. Attaque de Rune.