Disclaimer : Tout l'univers de Saint Seiya que vous reconnaîtrez aisément appartient à Masami Kurumada. Je ne retire aucun profit de son utilisation si ce n'est le plaisir d'écrire et d'être lue. Les personnages de la mythologie appartiennent à tout le monde et les autres, ceux que vous ne connaissez pas, sont à moi.

Genre : Univers Alternatif Heroic Fantasy Médiéval Fantastic. Aventure/Romance/Surnaturel. Certains couples sont très inhabituels. Het, Yaoi et lemon bien sûr.

Rating : M ou NC-18

Les Royaumes du Sanctuaire et d'Asgard, alliés indéfectibles, mènent une guerre contre le Royaume des Océans depuis plus de cent cinquante ans. Au moment où débute cette histoire, les raisons de cette guerre ont été oubliées. Non loin, le Royaume des Ténèbres se relève doucement d'une guerre de succession qui l'a laissé exsangue. Après avoir été ennemis, ils finiront par unir leurs forces pour faire face à une menace bien plus grande encore. De l'action, de la romance, du complot politique, de la magie et des créatures surnaturelles sont au rendez-vous avec de nombreuses références aux mythologies grecque et celtique ainsi qu'au manga original de Masami Kurumada. Het, Yaoi et lemon bien sûr.

Résumé des évènements précédents : Kanon et Liadan se sont mariés. Le Duc va tenir sa promesse envers son Prince qui s'est résolu à son union avec la Princesse Saori. Mais la menace venant des Ténèbres est toujours là et va franchir un nouveau cap à travers le Comte de Sirène.

Note de l'auteur : je tiens à remercier toutes celles et ceux qui suivent cette histoire. Voici un nouveau chapitre que vous pouvez également lire en musique sur mon site Antarès. J'espère que ça vous plaira.


Chapitre 17

Année 10219 de la Licorne, mois de mars, Royaume des Océans…

Duchesse de SeaDragon.

Liadan avait encore du mal à réaliser. Désormais, elle avait des serviteurs sous ses ordres. Mais elle n'en avait pas l'habitude et chacune de ses demandes se terminait par un "s'il vous plait" qui faisait doucement sourire les hommes et les femmes à son service. Ce n'était pas pour leur déplaire que quelqu'un se montre plus aimable envers eux. De toute façon, même sans cette formule de politesse qui ne coûtait rien à être prononcée, ils auraient obéi.

Trois jours s'étaient écoulés depuis qu'elle avait échangé ses vœux avec Kanon. Un instant qu'elle n'oublierait jamais. Comme toute la cérémonie et la petite fête qui lui avait succédée. Thétis, la jeune sœur de Sorrento, avait tout organisé. Oh, bien sûr, ce n'était pas un mariage en grandes pompes, mais Liadan s'était retrouvée prise dans un tourbillon qui l'étourdissait encore. Les membres du gouvernement avaient été avertis de l'évènement et y avaient assisté avec leurs épouses et leurs enfants pour certains. Quelques jours plus tôt, la jeune femme avait entraîné la future mariée dans ses appartements où l'attendait son couturier pour lui montrer quelques robes. Liadan fut émerveillée devant les toilettes plus belles les unes que les autres et regrettait presque que celles-ci ne soient portées qu'à cette unique occasion. Elle choisit une robe en satin ivoire, presque blanc, à l'encolure arrondie. Les larges manches étaient doublées d'une dentelle bleue turquoise. La jupe n'avait qu'une petite traîne et le corsage lacé mettait sa taille fine en valeur. Thétis avait insisté pour la coiffer elle-même. Elle avait tressé deux grosses mèches qui partaient des tempes pour se rejoindre derrière la tête et se confondre avec les boucles de la chevelure d'un gris ciel d'orage. Ensuite, la jeune femme avait placé un diadème frontal en argent ornée de perles bleues avec une chaînette qui pendait sur chaque tempe et terminée par deux mêmes perles. Elle ne portait aucun autre bijou, sauf maintenant, la bague que Kanon lui avait passé à l'annulaire de la main gauche et qui la désignait comme la Duchesse de SeaDragon. Lui-même portait une tunique du même bleu et un pantalon en cuir noir. Lors de leur entrée dans la salle, ils avaient tous les deux la même cape qu'ils ôtèrent ensuite, pour être plus à leur aise.

La petite réception qui avait suivie avait tout simplement été exquise. Liadan faisait de son mieux pour être à la hauteur de son rang. Elle ne voulait sous aucun prétexte, mettre son époux dans l'embarras. Aussi lui fut-elle reconnaissante de rester auprès d'elle. Mais la sœur du Premier Ministre était également attentive à ce que la jeune femme ne se sente pas trop perdue. Tous connaissaient ses origines modestes et durent convenir qu'elle semblait digne de son mari, bien qu'elle soit de basse naissance. Elle charmait sans le vouloir avec sa gentillesse, son amabilité, sa retenue qu'on aurait presque pu qualifier de timidité. Lorsqu'elle se sentait un peu seule, elle reportait son attention sur Kynan qui était à des lieues de toutes ces considérations pour s'amuser avec les autres enfants qu'il avait connus en commençant à fréquenter l'école du Palais.

Et le soir même, Kanon l'avait honorée, comme tout bon époux se doit de le faire pour consommer son mariage. Elle avait retrouvé toute la douceur et la passion dont elle le savait capable et, au souvenir du plaisir qu'il lui avait donné, elle ne put retenir le délicieux frisson qui lui parcourut la peau. Pourtant, elle avait bien remarqué le regard furibond du Prince Julian lorsque le Duc lui avait tendrement pris la main pour l'entraîner dans leurs appartements. Elle connaissait le penchant de Kanon pour les hommes et elle n'était pas tombée de la dernière pluie. De toute évidence, le Prince héritier était fortement attiré par le Général de son père. Peut-être même en était-il amoureux. Et voir une femme à la place qu'il convoitait, à savoir les bras de Kanon, devait particulièrement lui déplaire et le mettre en colère. D'un autre côté, si cela la mettait mal à l'aise, elle n'y était pour rien. Elle n'avait rien fait pour se faire épouser. Mais elle ne pouvait s'empêcher d'éprouver une certaine crainte, même si elle savait que jamais le Prince ne s'abaisserait à s'en prendre à elle ou à Kynan en aucune façon. Le mieux qu'elle avait à faire, c'était de l'ignorer et de se montrer aimable avec lui si leurs chemins se croisaient. Et ça ne lui serait pas bien difficile parce que, contre toute attente, elle aimait bien Julian. Elle le trouvait touchant. La façon qu'il avait de couver le Général des yeux était adorable. Mais elle ne devait pas se laisser attendrir. Elle était la Duchesse de SeaDragon. Et à défaut de pouvoir garder son mari dans son lit, elle entendait bien tenir son rang. Il n'était pas question qu'elle se laisse intimider par qui que ce soit.

Mais depuis sa nuit de noces, Liadan commençait à espérer que les choses allaient peut-être se passer autrement mieux qu'elle ne l'avait tout d'abord pensé. En effet, cela faisait maintenant trois nuits que Kanon lui faisait l'amour et qu'il dormait avec elle. Il se montrait tendre et attentionné et lui expliquait toutes les subtilités de la vie au Palais. Assise devant la fenêtre du salon de leur appartement, à manier l'aiguille sur la tapisserie qu'elle avait commencée, elle soupira. Elle ne doutait pas d'avoir pris la bonne décision en acceptant d'épouser le Duc, ne serait-ce que pour leur fils, mais avait-elle bien mesuré toutes les conséquences que cette décision aurait sur leur vie à tous les deux ? Et elle ne pensait qu'aux bons côtés tels que l'éducation, la position sociale, l'assurance d'une existence sans souci matériel. Kanon lui avait assuré qu'il n'y avait pas d'endroit plus sûr que le Palais de Corail, mais aucun de ses habitants n'était à l'abri de brimades de toutes sortes s'il n'était pas apprécié par un ou plusieurs des membres les plus influents des lieux. Après, ce serait sa parole contre la leur. A nouveau, elle soupira. Elle pesta contre son esprit trop méfiant, mais elle pensait avant tout à son fils. Et pour lui, elle devait se montrer forte, et surmonter toutes les difficultés qui pourraient se présenter. Puis l'idée qu'elle commençait à devenir paranoïaque lui traversa l'esprit. Surtout pas. Surtout ne pas se méfier de tout et de tout le monde, ne pas imaginer des complots inexistants, sinon sa vie allait devenir un enfer alors que pour l'instant, elle avait tout du paradis. Elle n'avait vraiment aucune raison de s'inquiéter. Peut-être était-ce simplement cette vie nouvelle et inconnue qui l'effrayait un peu.

- Maman ! Maman !

Les cris de Kynan la sortirent de ses idées lugubres. Elle sourit à son fils et son cœur fit un bon en voyant son père derrière lui.

- Père a dit qu'il allait commencer à m'apprendre à monter à cheval ! débita le petit garçon tout excité.

- C'est vrai ? demanda-t-elle, ravie de voir que Kanon s'investissait, comme il le lui avait dit, dans l'éducation de son enfant.

- Tout à fait. Et pas plus tard que cet après-midi.

- C'est merveilleux, mon chéri. Mais as-tu bien écouté à l'école, ce matin ?

- Oui. On a lu et on a écrit et le précepteur nous a raconté l'histoire des Océans. Enfin le début…

- Tu devrais aussi venir avec nous, lui proposa son époux. Si tu apprends à monter, tu pourras sortir avec Thétis et faire des promenades.

- Moi ? s'étonna-t-elle, légèrement anxieuse.

- Tu as peur des chevaux ?

- Non… enfin je ne crois pas. Je ne les ai jamais approchés d'assez près et encore moins, envisagés de les monter.

- Essaie, ça ne coûte rien, lui dit-il en l'embrassant tendrement.

- Père, je pourrai encore monter Golden avec toi ?

- Nous verrons, garnement ! Allons déjeuner ! Ensuite nous irons aux écuries.

Kanon fit seller Golden et deux autres chevaux très calmes pour sa femme et son fils. Liadan suivait scrupuleusement les conseils de son époux en le regardant lui en faire la démonstration sur son destrier tandis que Kynan faisait déjà marcher sa monture au pas dans l'enclos. La jeune épousée n'était pas très rassurée. Elle sentait que le support auquel elle se raccrochait n'était pas stable et cela la perturbait beaucoup. Entre ses cuisses, elle percevait les mouvements du cheval et le balancement l'effrayait un peu. Voyant cela, le Duc sauta en croupe et lui prit les rênes des mains.

- Bouge comme lui, lui murmura-t-il à l'oreille. Sers tes jambes et suis ses mouvements.

- J'essaie mais j'ai un peu de mal, se défendit-elle.

- C'est une habitude qui viendra avec la pratique. D'ici deux à trois jours, tu auras oublié comme était la vie avant d'apprendre à monter. Chevaucher te sera devenu aussi naturel que respirer. Accroche-toi.

Surprise par ces paroles, elle se cramponna à la crinière de l'animal tandis que le Duc talonnait ses flancs pour la mettre au petit trot. Liadan eut un petit cri de surprise et ferma les yeux.

- Non ! Regarde devant toi ! Accompagne ses mouvements avec ton corps… comme lorsque tu accompagnes les miens, termina-t-il dans son oreille en glissant malicieusement le bout de son nez juste derrière.

Liadan devint écarlate. Elle tourna son regard ensoleillé vers son mari qui lui souriait, amusé. Elle prit le parti d'en rire aussi et s'efforça d'appliquer les judicieux conseils. A la fin de l'après-midi, elle n'était plus ballotée comme un fagot de paille et elle avait réussi à trouver son équilibre. Maintenant, il allait falloir apprendre à diriger le cheval avec la voix, les rênes et les jambes. Elle ne doutait pas un instant que cela allait lui prendre un peu plus de temps. Mais elle avait relevé le défi. Elle était Duchesse de SeaDragon, que diable ! Elle ne pouvait faire moins que les autres dames de la noblesse.

- Maman ! Regarde !

Kynan faisait trotter son cheval, un sourire éblouissant aux lèvres et les joues rougies d'excitation. Il rayonnait. Vêtu d'un pantalon, d'un pourpoint de cuir et de bottes, il était un portrait miniature de son père.

- Eh bien ! Quel fier cavalier ! fit une voix claire et masculine.

Tous les yeux se tournèrent vers le nouveau venu qui souriait en regardant le petit garçon.

- Julian ! Quel bon vent t'amène ? s'exclama le Duc en dirigeant le cheval de Liadan en le poussant doucement avec Golden vers le Prince.

- Mon père a terminé de me torturer avec les subtilités de la diplomatie et je profite qu'il fasse une si belle journée pour faire une promenade à cheval. Tu m'accompagnes ?

- Pas aujourd'hui. Comme tu peux le voir, j'ai deux élèves qui doivent rattraper le temps perdu.

- Nous n'avons qu'à tous y aller, proposa le jeune homme.

- Kynan et sa mère ne sont pas encore assez aguerris pour nous suivre, répondit Kanon qui été descendu de cheval.

Il caressa le chanfrein de Tinos qui se laissa faire, reconnaissant la voix et l'odeur de l'homme. Il leva les yeux vers Julian qui le regardait étrangement. Kanon n'aurait su dire s'il était en colère ou résigné. Ces deux sentiments n'étaient pourtant pas semblables. Mais il comprit que le Prince essayait de lui dire quelque chose, de lui faire passer un message. Kynan continuait à trotter et Liadan à marcher tranquillement au pas. Soudain, pour une raison inconnue, deux chiens se jetèrent dans les jambes des chevaux en se bagarrant, grognant et aboyant férocement. La monture de Liadan hennit de frayeur et se cabra. La jeune femme cria et instinctivement se cramponna à la crinière. Mais l'animal partit au triple galop et sortit de l'enclos.

- Liadan !

- Maman !

- Yaah !

Julian talonna Tinos qui s'élança derrière le cheval fou. Kanon fit descendre son fils par précaution et enfourcha Golden d'un bond. Il poussa sa monture mais les deux autres étaient déjà loin devant lui. Liadan n'arrivait plus à penser. Elle criait, elle priait pour que le cheval s'arrête. Elle tenta de tirer sur les rênes, mais en vain. "Bouge comme lui… Sers tes jambes et suis ses mouvements…" Ces paroles résonnaient dans sa tête. C'est tout ce dont elle arrivait à se souvenir. Mais la peur la paralysait. Elle avait l'impression qu'à l' instant où elle lâcherait la crinière, elle ferait une chute mortelle. Elle hurlait le nom de Kanon. Sous les sabots endiablés, le sol défilait à une vitesse vertigineuse. Elle priait pour voir Golden à côté de son cheval.

Les cris de sa femme lui parvenaient et le Duc voyait Julian gagner du terrain. Enfin, il le vit attraper le mors et ralentir la course des deux bêtes. Il arriva à leur hauteur, démonta et se précipita pour prendre son épouse dans ses bras. Elle tremblait comme une feuille, gémissait de peur et pleurait.

- Tu n'as rien ? lui murmura-t-il en l'écartant de son torse pour la regarder.

- Je…, non…, ça va…

- Je me demande ce qui a pris à ces chiens ? questionna Julian sans vraiment attendre de réponse.

- Ils ont dû se disputer de la nourriture, fit Kanon pour apporter une explication à Liadan qui avait besoin de comprendre ce qui venait de se passer. Viens, on rentre.

Et alors qu'il la poussait vers son cheval, elle eut un geste de recul et la frayeur traversa son regard.

- Je t'aide à monter.

- Je… je préfère rentrer à pied, souffla-t-elle, visiblement terrifiée.

- Liadan, monte sur ce cheval.

La voix de Kanon avait claquée comme la lanière d'un fouet. Elle leva les yeux vers lui et fut surprise de voir à quel point son expression était dure et fermée.

- Kanon…, tenta de tempérer Julian, qui comprenait sa peur et compatissait.

- Si elle ne remonte pas maintenant, elle ne remontera jamais. Liadan, nous serons à tes côtés. Viens…

Elle regarda la bête qui broutait paisiblement et respira plusieurs fois profondément. Elle s'avança vers elle, caressa les naseaux et l'encolure comme elle avait vu si souvent faire les cavaliers.

- Tu vas être sage ? chuchota-t-elle. Tu vas rester tranquille et me ramener chez moi ?

Elle ne pouvait pas faire preuve de faiblesse. Surtout pas devant le Prince. Il fallait qu'elle surmonte sa peur pour montrer à tous qu'elle n'était pas si facilement impressionnable. Elle devait faire la preuve de sa force de caractère pour ne pas mettre son mari dans l'embarras.

- Aide-moi, dit-elle d'une voix qui se voulait ferme à Kanon qui s'approcha pour la hisser sur le dos de l'animal tandis que Julian lui passait les rênes qu'il tenait toujours.

- Altesse, je vous suis infiniment reconnaissante d'être venu à mon secours, déclara-telle en se redressant dignement sur le dos de l'animal. J'aurai pu faire une très mauvaise chute…

- Allons, n'en parlons plus, répondit celui-ci. Vous allez bien et c'est le plus important. Rentrons ! Votre fils doit être inquiet et impatient d'avoir de vos nouvelles.

Kanon remonta sur Golden et se porta à la droite de son épouse tandis que Julian chevauchait à sa gauche. Ainsi encadrée par les deux meilleurs cavaliers du Royaume, la Duchesse se sentit en sécurité.

Lorsqu'elle posa le pied à terre, elle prit conscience que tout le long du chemin, elle avait serré ses cuisses jusqu'à en avoir mal. Ses jambes la trahirent et elle tituba dans les bras de son mari.

- Maman !

- Elle va bien, le rassura son père. Elle a juste eu très peur.

- Ça va, mon ange. Heureusement que le Prince a réussi à me rattraper. Encore merci, Altesse.

- Alors je vais vous enlever votre époux pour ce soir, sourit Julian. Je dois parler avec lui de certaines dispositions que nous devons prendre concernant l'armée.

- Je vais les raccompagner chez nous et je viendrai te voir un peu plus tard, confirma Kanon.

Julian laissa Tinos aux mains du palefrenier et rentra au Palais. Le Général fit de même et, son bras autour de la taille de sa femme pour la soutenir, il regagna leur appartement suivit d'un Kynan plus silencieux que d'habitude et qui surveillait sa mère du coin de l'œil. Kanon, la confia aux soins de deux servantes et, avec l'aide d'Ethain, il s'occupa de donner un bain à son fils avant d'en prendre un lui-même. Liadan s'était endormie, épuisée par la peur. Il passa un mantel de laine par-dessus ses vêtements d'intérieur et confia son fils à son écuyer.

Il put enfin rejoindre les appartements de Julian. Celui-ci l'attendait, assis sur un large fauteuil, un verre de vin à la main.

- Sers-toi, lui proposa-t-il en désignant la carafe d'un geste nonchalant. Comment va ta femme ?

- Ethain lui a préparé une infusion calmante. Elle s'est endormie. Merci pour ce que tu as fait…

- Allons… N'importe qui aurait fait la même chose…

- Alors ? Ton père va finalement faire rentrer l'armée ? demanda celui-ci en s'asseyant en face du Prince en portant sa coupe à ses lèvres.

- Oui, une grande partie des hommes sera réaffectée dans les fortins frontaliers à l'est et à l'ouest. Et il faudra reformer la Garde du Trident. Mais je sais que tu as déjà discuté longuement de tout ceci avec le Roi.

- De manière informelle. Et nos voisins ont l'air calme.

- Effectivement les Ténèbres et Amazia sont tranquilles. Mais il ne faut pas laisser nos frontières sans surveillance.

- En tant que Ministre des Armées, je ne peux qu'approuver sa décision.

- De plus, tu vas pouvoir reprendre ton rôle d'instructeur pour entraîner et sélectionner les soldats qui formeront la Garde du Trident justement.

- Il le faudra bien. La dernière fois que je me suis rendu sur le front, je n'ai pas vu beaucoup de soldats expérimentés. La plupart sont jeunes.

- Je pourrais peut-être t'aider entre deux leçons sur la législation.

- Tu en veux toujours à ton père ? demanda Kanon qui avait perçu le sarcasme dans la voix du Prince.

- Bien sûr ! Qu'est-ce que tu crois ? Que je vais oublier d'un claquement de doigt qu'il me vend à cette… cette fille ! Même si je me suis fait une raison, je ne suis pas prêt de lui pardonner !

- Tu as donc accepté ce mariage. C'est mieux que la dernière où nous en avons parlé.

- Je ne suis pas aussi irresponsable que j'en ai l'air, Kanon. Ce que je n'ai pas aimé, c'est la façon dont j'ai été mis au pied du mur. Mon père aurait dû m'en parler avant d'envoyer ce courrier. Je ne me serais pas systématiquement opposé à cette idée, mais au moins il aurait eu mon point de vue. C'est comme si je n'étais plus maître de ma vie.

- Parce que tu crois que tu l'as été un jour ?

- Que veux-tu dire ?

- Tu es un Prince, héritier d'un grand Royaume qu'il va falloir reconstruire. Crois-tu que tu vas mener ta vie comme bon te semble ou bien en fonction des besoins du peuple ? Tes désirs passeront-ils avant ceux de tes sujets ? Ou le contraire ?

- Tu connais la réponse.

- Malheureusement pour toi, du jour où tu es né, tu n'as jamais eu le contrôle de ton destin.

- Et on ne choisit pas sa famille ni son statut social. On fait ce que l'on nous apprend à faire. Un paysan est plus libre que moi.

- Serais-tu soulagé si tu étais un paysan ? Renoncerais-tu à ta vie ici pour être enfin maître de ton destin ? Abandonnerais-tu ton bain quotidien ? Le travail avec ton père pour les travaux pénibles des champs ? Echangerais-tu cette chemise de lin et le vin que tu bois pour une tunique en bure et une piquette de taverne ?

- Pourquoi faut-il toujours que tu voies les pires choses ?

- Parce qu'elles sont bien réelles. Et ce ne sont pas les pires. On ne choisit peut-être pas sa famille, mais le hasard n'a pas fait trop mal fait les choses en ce qui nous concerne.

Kanon avait murmuré les derniers mots sans se rendre compte de ce qu'il venait de dévoiler. Julian se leva et s'assit à ses côtés.

- Mon père m'a parlé de… de toi. Il m'a tout dit, comment tu es arrivé dans la vie de tes parents.

Le Duc eut un petit rire désabusé et se perdit dans la contemplation du liquide carmin qui ondoyait dans la coupe en argent qu'il tenait à la main. Il accusa le coup et aurait dû se douter que Poséidon en parlerait à son fils.

- Je n'ai peut-être aucun sang noble qui coule dans mes veines.

- La noblesse ne se transmet pas par le sang, Kanon.

- Alors, qu'est-ce que c'est pour toi ?

- Une somme de notions que l'on nous inculque dès notre enfance. Et lorsqu'on atteint l'âge d'appréhender ces notions, on fait le choix de les respecter ou pas.

- Comme quoi ?

- L'honneur, le respect de la parole donnée, la magnanimité, la loyauté, la fierté d'être ce que l'on est. Un paysan peut avoir plus de noblesse qu'un Roi.

- Je suis content de voir que tu fasses la différence entre le concept et le titre. Ce n'est pas le cas de tout le monde. Je suis peut-être le fils d'un bucheron, d'un pécheur, au mieux d'un marchand. Je ne suis Duc que par le plus grand des hasards.

- Les Océans n'ont pas perdu au change. J'ai eu pour mentor un homme à la droiture exemplaire, pétri de toutes ses notions qu'il s'est efforcé de m'inculquer quand la présence de mon père faisait défaut.

- Tu n'es pas déçu ?

- Par toi ? s'esclaffa Julian avec un grand sourire. Comment une telle idée peut-elle te traverser l'esprit ?

- Je ne sais pas… Depuis des années tu écoutes mes leçons sur l'honneur, le rang que tu dois tenir. Je t'ai souvent reproché ta trop grande insouciance alors que je ne suis peut-être pas à même de te dire tout ça. Comment le fils d'un simple paysan pourrait-il faire la morale à un Prince de sang ?

- Le vin t'est monté à la tête, mon ami. Tu divagues. La noblesse d'un homme ne se mesure pas à la richesse de ses vêtements, mais à celle de son cœur. Et tu es la personne la plus noble que je connaisse. Après mon père.

- Je ne suis pas sûr de mériter l'estime dans laquelle tu me tiens, mais j'apprécie.

- Kynan a de la chance de t'avoir pour père. Il aura lui aussi une âme belle et noble.

- Sa mère m'a bien facilité les choses. Elle l'a très bien élevé.

- Tu l'aimes ?

- J'ai beaucoup d'affection pour elle, mais je ne l'aime pas comme tu le sous-entends. Je suis déjà amoureux.

- Ah ? fit le Prince, son intérêt se ravivant soudainement. Et puis-je savoir de qui ?

- De quelqu'un dont je ne connais ni le nom, ni le visage. Quelqu'un dont je ne sais s'il est homme ou femme. Quelqu'un que je n'ai pas encore rencontré mais qui m'est destiné sans l'ombre d'un doute.

- Ce n'est donc pas de moi… soupira Julian en baissant la tête.

- Je suis désolé…

- Ne le sois pas. Le cœur est indomptable. Il va où il veut… Tu as passé toutes tes nuits auprès de ta femme depuis votre mariage, d'après les rumeurs de couloirs entre les serviteurs, poursuivit le Prince pour changer de sujet.

- Qu'y a-t-il d'étrange à cela ?

- Tu renonces aux hommes ?

Kanon sourit. Julian avait habilement mené la conversation là où il le voulait et le Duc n'avait rien vu venir. Les préoccupations de son esprit lui avaient caché la ruse du jeune homme. Il vida sa quatrième coupe de vin, la posa sur la table à côté de son fauteuil et leva le regard vers Julian. Le Prince plongea dans le vert de ces yeux qui scintillaient à la lueur des flammes de la cheminée. Il était captivé, fasciné et rempli d'espoir.

- Non, fut la réponse simple et chuchotée du Duc qui s'amusait du trouble qu'il provoquait chez le jeune homme.

- Es-tu prêt à tenir ta promesse ? demanda celui-ci sur le même ton en approchant son visage de Kanon.

- Es-tu prêt à donner ce que tu veux recevoir ?

- Oui… je le suis…

La suite ne fut qu'une lente ascension vers le plaisir ultime. Le Prince posa délicatement ses lèvres sur celles du Général qui ne tenta plus de temporiser. Il savait que ce moment viendrait, alors maintenant ou plus tard… Il fut agréablement surpris de constater que Julian, pour l'instant, semblait ne se préoccuper que de son bienêtre. Il était doux, caressant, presque tendre. Et Kanon avait bien du mal à garder son contrôle. Un baiser plus profond lui enflamma les reins. Il glissa sur le fauteuil et le jeune homme se lova d'avantage contre lui. Il essayait de ne rien entreprendre pour voir jusqu'où était effectivement prêt à aller le Prince.

Il sentit d'abord des doigts assez habiles déboutonner sa chemise jusqu'à la ceinture, puis une main, timide en apparence, se faufila sur son flanc. Elle était chaude, mais loin d'être douce. Les cals dus au maniement des armes râpaient légèrement sa peau, mais ça ne le gênait nullement. Il était en partie responsable de l'état de ces mains. Il soupira plus fortement, quand une langue humide se mit à jouer avec un téton puis remonta sur la clavicule pour mordiller le cou et enfin, le lobe de l'oreille. Le Duc finit par caresser tout doucement le dos et les épaules tendues, provoquant un fugace gémissement. La main se fit plus audacieuse et débuta un duel avec la ceinture du pantalon. Celle-ci résista avec vaillance, mais fut contrainte de capituler devant tant d'acharnement, laissant sans défense l'accès à un lieu stratégique particulièrement sensible et hautement convoité.

Julian s'assit à califourchon sur les cuisses musculeuses et commença à ouvrir sa chemise. Kanon lui prit les mains et poursuivit la tâche jusqu'à ce qu'il le débarrasse du vêtement. Son regard parcourut le torse fin et ciselé, découvrant des mains ce que ses yeux gourmands jugeaient tout à fait à leur goût. Car pour l'instant, c'était bien de cela qu'il s'agissait. Une découverte. Autant pour l'un que pour l'autre. Et la première constatation de Kanon était le manque d'hésitation de Julian. Irait-il vraiment jusqu'au bout ?

- Tu es moins effarouché que la dernière fois, murmura le Général en embrassant l'épaule à sa portée.

- Parce que tu penses que je suis quelqu'un qui s'effraie facilement ? rétorqua Julian sur un ton aguicheur. Non… J'ai compris qu'une fois encore, tu avais raison. Alors j'ai décidé de… donner… en commençant par toi…

- Je suis certain que tes prochains amants seront enchantés…

- Kanon…

Le Prince s'était troublé à ces mots. Il noya son regard dans celui du Duc qui y découvrit bien plus de choses qu'il ne l'aurait voulu. Il savait que Julian était violemment attiré par lui, mais là, il constatait avec surprise et amertume que les sentiments du jeune homme étaient bien plus profonds qu'il ne l'avait cru. Il avait toujours pensé qu'il ne s'agissait que d'une attirance passagère, que Julian passerait à autre chose en voyant qu'il ne lui cédait pas. Mais lorsque qu'il menaça de s'offrir au premier venu, Kanon n'avait pas pu rester sans réagir. Il savait que le Prince risquait de s'attacher encore plus à lui, mais il valait mieux un cœur brisé qu'un honneur irrémédiablement sali. On se remettait de l'un, pas de l'autre.

- Même ta future épouse sera comblée d'avoir un époux aussi attentionné…

- Crois-tu que ce soit le bon moment pour parler de ça ? protesta le Prince en le bâillonnant de ses lèvres. Je ne veux penser qu'à toi pour le moment, qu'à nous…

Disant cela, il reprit ses caresses, glissant ses mains toujours plus bas, vers l'entrejambe sensible qu'il sentait gonflé de désir contre son ventre. Ainsi donc Kanon avait envie de lui. Ou bien n'était-ce là que la réaction naturelle à une stimulation charnelle ? Qu'importe… Il préférait penser que le Duc le désirait.

Et il ne se trompait pas. Kanon avait toujours trouvé Julian très beau, plein de charme avec une personnalité redoutablement séduisante qui ne fit que s'affirmer au fil des années. Et pour cause, il était celui qui l'avait entraîné au maniement des armes et au combat au corps à corps. Il l'avait vu grandir et se transformer pour devenir ce charismatique jeune homme à qui rien ni personne ne pouvait résister. Même lui tomba sous le charme, mais les sentiments n'étaient pas au rendez-vous. Une attirance physique, un désir charnel, oui. Mais rien de plus. Ce n'était pas pour autant que son respect ou son affection en était amoindrie. Il soupira plus fortement lorsqu'il sentit une chevelure soyeuse glisser sur son ventre et son sexe libéré de son pantalon. Il ne put retenir sa main qui alla se perdre dans cet océan d'azur, l'encourageant par-là à poursuivre.

Le reste de ses réflexions fut vite mis au second plan alors qu'une vague de plaisir lui arrachait un adorable gémissement, quand il se vit disparaître dans cette bouche vierge et inexpérimentée. Il se sentit lentement partir à la dérive dans un monde de sensations surprenantes par leur intensité. Il en vint à douter que Julian faisait ça pour la première fois. Mais après tout, qui mieux qu'un homme peut connaître les points sensibles d'un autre ? Il s'allongea complètement sur le canapé et se laissa planer au cœur de son plaisir tel un aigle dans les airs. Il ne cherchait pas à retenir ses gémissements qui encourageaient Julian. Ils le guidaient dans sa découverte du don. Le Prince donnait, offrait sans rien attendre en retour. Et ça lui plaisait. Ou bien ce plaisir qu'il en retirait ne s'était-il éveillé que parce qu'il s'agissait de Kanon ?

Le Duc se redressa soudainement et dans les yeux de son jeune amant, il lut la crainte. Celle d'avoir mal fait, peut-être ? Il lui sourit et s'approcha pour l'embrasser. Il caressa les lèvres tendres du bout de la langue et le Prince eut un soupir plaintif qui résonna dans sa poitrine. Leurs langues s'escrimaient, se goûtaient, se cajolaient et leurs mains exploraient la peau brulante, rajoutant à la fournaise qui dévorait leurs corps.

Kanon poussa le Prince en arrière et lui ôta son dernier vêtement qui échoua silencieusement sur le sol. En le voyant ainsi, complètement abandonné, il se demanda encore s'il avait le droit de faire ça. Mais si cela lui était interdit, alors personne d'autre ne devait cueillir ce fruit mûr. Et cette crainte balaya ces dernières réticences.

- Tu as assez donné pour l'instant, murmura-t-il sur les lèvres tremblantes.

- C'est maintenant que je récolte ce que j'ai semé ? sourit doucement le jeune homme.

Le Général se déchaîna sur lui avec délicatesse et agressivité sensuelle. Julian sombra dans un univers qu'il ne connaissait pas. Il sombra sans désir d'être sauvé. Ses plaintes lascives et essoufflées se transformèrent en petits cris lorsque Kanon le prépara à le recevoir. Mais il hésita encore.

- Es-tu bien certain de ce que tu veux ? chuchota-t-il contre son oreille.

- Je… je veux que tu sois le premier… je veux être à toi… complètement…

Kanon le prit. Il força les chairs étroites avec une infinie douceur. Julian grimaça, émit une plainte de douleur, mais à aucun moment il n'eut de sursaut de recul.

- Continue, souffla-t-il en gémissant.

Le plaisir inonda son corps et son esprit comme un raz-de-marée. Il éclata en lui en une myriade d'éclairs éblouissants quand Kanon entama ses mouvements de hanches. Lui-même était sur le point de perdre le contrôle. La violence de son désir l'avait surpris, mais il n'avait pas envie de réfléchir. Il se laissa emporter par ces sensations et guider par son instinct. Julian voulait connaître le plaisir qu'on éprouve à être soumis à son amant ? Soit. Mais qui est réellement soumis ? Celui qui donne ou bien celui qui reçoit ? Le Général n'était-il pas en train d'écouter et de suivre les directives de son Prince ? Plus vite ! Encore ! Doucement ! Plus fort ! Embrasse-moi ! Caresse-moi ! Celui qui donne est à l'écoute de celui qui reçoit pour ne pas dire à ses ordres. Le cri de plaisir que poussa Julian le ramena à ce qu'il faisait. Sous lui, le corps tendu comme un arc de guerre, le Prince déversait sa jouissance entre leurs corps. Il suffoquait presque mais Kanon était maintenant incapable de ralentir la cadence de ses coups de reins. A l'instant ultime, il enfouit son visage dans le cou chaud et ruisselant de sueur du jeune homme qui le serra contre lui avec une force inouïe. Il étouffa son cri quand il se libéra à son tour. L'aigle cessa de planer et finit par se poser majestueusement, satisfait.

Après leur troisième étreinte, ils somnolèrent un long moment, tendrement enlacés. Kanon avait rarement éprouvé un tel plaisir à la fois fait de douceur et de violence. Il était heureux que Julian ne se soit pas jeté à la tête du premier venu.

- La prochaine fois, on essaiera le lit, marmonna le Prince en déposant quelques baisers sur le torse du Duc. C'est tout de même plus confortable qu'un canapé ou un tapis…

- Julian… commença le Duc, que ces mots avaient brutalement ramené à la réalité.

- Oui, oui, je sais… il n'y aura pas de prochaine fois. Dommage… j'ai adoré…

- Tu trouveras quelqu'un…

- … qui m'aimera pour moi-même et non pas pour ce que je suis. Ça aussi je le sais. Tu me l'as déjà dit.

Kanon n'était pas dupe. Derrière son ton résigné, Julian éprouvait une grande tristesse de n'avoir pas réussi à le séduire, à se l'attacher. Mais le Prince était bien trop fier pour laisser ses émotions transparaître. Le Duc sentit son cœur se serrer, et il réprima un geste tendre qui serait certainement mal interprété.

- Et tu vas bientôt te marier, ne l'oublie pas.

- Aucun risque ! Tout le monde semble s'être donné le mot pour me le rappeler à tout bout de champ ! Vivement mes noces pour ne plus vous entendre !

- Il faut dormir, reprit le Duc. Je vais rentrer.

- Tu ne termines même pas la nuit avec moi ?

- Inutile d'alimenter les rumeurs de couloirs, elles le seront bien assez demain matin.

- Tu vas rejoindre ta Duchesse ? grinça le jeune homme.

- Oui et je vais dormir.

- Eh bien bonne nuit alors…

Tout en parlant le Général s'était plus ou moins rhabillé et alors qu'il allait ouvrir la porte, il se retourna pour regarder son… ex-amant ?

- Je vais bientôt partir vers le nord. Je vais tenter d'en savoir un peu plus sur… sur qui je suis…

- Tu seras absent longtemps ?

- Je l'ignore. Ça dépendra de ce que je vais trouver… S'il y a quelque chose à trouver… Julian, reprit le Duc en baissant la tête, ce qui s'est passé ne changera rien pour moi. Tu es mon Prince et je t'aime.

- Je sais…

Comme un somnambule, Julian gagna son lit. Il se blottit sous les fourrures et une larme coula sur joue.

- Liadan a dû beaucoup recevoir de toi pour qu'elle aille jusqu'à te donner un fils, murmura-t-il pour lui-même, fataliste, juste avant de s'endormir.

Kanon demanda comment son épouse allait et les deux servantes à qui il l'avait confié, lui dirent qu'elle ne s'était pas réveillée et qu'elle dormait paisiblement. Il regarda son fils dans la chambre voisine en compagnie de son écuyer qui s'était assoupi sur un fauteuil. Il le couvrit avec une fourrure et se coucha dans son propre lit. Il le trouva froid et se sentit seul…

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Le bateau s'était approché des côtes en fin de journée et avait jeté l'ancre dans une minuscule crique. Aussitôt, des hommes avaient mis trois canots à l'eau. Deux s'étaient dirigés vers la grève, puis les marins avaient gravi la falaise dès qu'ils eurent mis le pied à terre. Le troisième contournait l'aplomb rocheux au-dessus des eaux sombres et voguait vers une plage bien plus grande, juste derrière. Ils échouèrent la barque sur le sable et la cachèrent dans les rochers. Maintenant, il allait leur falloir attendre jusqu'au lendemain après-midi. Ce serait certes long, mais l'idée de ce qu'ils allaient recevoir en retour leur aurait fait prendre racine s'il avait fallu. Une récompense mirobolante. Et pour un travail simple et facile, d'après le capitaine du bateau, qui lui avait été proposé trois semaines plus tôt.

Ville de Léthé, Royaume des Ténèbres, trois semaines plus tôt…

C'était était un port commercial avant tout, mais certains capitaines louaient leur navire et leur équipage moyennant une rémunération conséquente, pour accomplir toutes sortes de transports. Il suffisait d'être discret et à la limite de l'illégalité pour ne pas attirer l'attention de la police du Roi. Bien que parfaitement informé des activités douteuses de Léthé, le Duc de Griffon laissait faire. Après tout, cela faisait marcher le commerce et tant que ça ne nuisait pas à l'état, il ne voyait pas de raison de mettre un terme à cette activité. Il gardait, malgré tout, un œil attentif sur les différents ports du Royaume, prêt à intervenir si cela s'avérait nécessaire.

Bordant les quais, les tavernes, gargotes et autres bordels étaient les établissements les plus nombreux et aussi, les plus fréquentés. Le capitaine du Scarabée était un honorable citoyen des Ténèbres qui avait décidé de faire carrière en tant que mercenaire. Ça payait bien et rubis sur l'ongle. Il avait un équipage de coupe-jarrets sans scrupule, mais loyaux et fidèles envers lui. C'était sans doute son impressionnante stature qui jouait un rôle non négligeable dans la terreur qu'il inspirait à ses hommes. Mais jusqu'à présent, il avait fait leur fortune. Fortune qu'ils s'empressaient d'ailleurs de dilapider avec les putains des bordels ou à s'enivrer de bière tiède.

Alors qu'il dégustait un alcool fin, importé du Royaume des Muses et valant les yeux de la tête, il le vit entrer. Un homme élégant, un peu précieux, de toute évidence un aristocrate, pas du tout à sa place en ce lieu, mais quelque chose en lui attestait une assurance non feinte. Sur ses gardes, le capitaine l'observa du fond de la salle, buvant son verre par petite gorgée.

- Vous êtes le capitaine du Scarabée ? demanda l'homme qui s'était approché et assis en face de lui.

- Je ne crois pas vous avoir invité, répondit-il calmement.

- Etes-vous le capitaine Stand ? insista l'intrus, un rictus aux lèvres.

- Ça dépend pour qui.

- Qui je suis n'a aucune importance. Par contre ce qui en a, c'est ce que je peux vous payer pour vos services.

- Combien ?

- Vous ne voulez pas d'abord savoir ce que vous aurez à faire ?

- Si c'est bien payé, je m'en fous. Sauf s'il faut engager des navires supplémentaires. Combien ?

- Votre bateau suffira. Vous recevrez deux coffres remplis d'or, d'argent, de pierres précieuses, de soies et de fourrures. Vous pourrez revendre le tout et vous faire un joli magot. Le premier dès que vous serez d'accord, le second, lorsque vous aurez accompli votre travail.

- C'est quoi le boulot ?

- Un enlèvement. Sur une plage du Royaume des Océans…

L'homme lui donna tous les détails dont il avait besoin et le contrat fut conclu d'une poignée de main et d'une parole donnée. Rien d'écrit. Ça pouvait laisser des traces. Le capitaine sortit de la taverne à la suite de son commanditaire et le suivit jusqu'à une voiture où il lui montra la récompense. Satisfait, le mercenaire fit signe à l'un de ses hommes qui l'avait discrètement suivi, de réunir l'équipage pour un appareillage le surlendemain. Il fit porter le coffre sur le Scarabée, dans sa cabine, puis redescendit vers cet homme mystérieux.

- Vous livrerez votre colis au port de Giudecca en faisant en sorte qu'il ne soit pas trop remuant, lui précisa-t-il.

- Comment saurez-vous que nous sommes revenus ? Comment dois-je vous prévenir ?

- Je le saurai. Et surtout, ne vous avisez pas de me doubler. Vous ignorez à qui vous avez à faire, mais soyez sûr qu'à la moindre tentative de trahison de votre part, vous aurez la police du Duc de Griffon sur le dos. Et si vous prêtez un tant soit peu attention aux rumeurs qui courent sur sa réputation, vous ne voudrez jamais l'avoir à vos trousses. Parce que croyez-moi, le monde ne sera pas assez vaste pour vous cacher.

- Ça fait vingt ans que je fais ce métier. Si je suis encore là, c'est que je n'ai jamais trahi mes employeurs.

- Il y a un début à tout comme on dit… Alors je préfère vous prévenir…

- Avez-vous donc le bras si long pour vous permettre de me menacer de la sorte ? s'énerva le mercenaire qui commençait à en avoir plus qu'assez de la suffisance de cet avorton.

- Bien plus long encore. Combien de temps va-t-il vous falloir pour faire le voyage ?

- En partant de Léthé, à l'aller nous aurons des courants et des vents contraires. Comptons trois semaines. Le retour sera plus rapide.

- Tablons donc sur cinq semaines.

- Au bas mot…

- Fort bien. A dans cinq semaines alors…

Le capitaine Stand regarda l'homme remonter dans sa voiture qui s'ébranla en direction de la sortie de la ville. Il se demandait qui pouvait bien être ce type. Pas que cela ait une importance capitale pour faire le travail, mais là, il était curieux. Son sixième sens s'affola et lui conseilla d'être honnête et de remplir sa part du contrat.

Pharys de la Maison de Sphinx souriait. Il se savait intouchable. Hadès, Queen, Rhadamanthe et Minos savait où il était et Phlégyas, le Maître de Chasse du Roi, avait été désigné pour l'accompagner. C'est lui qui conduisait la voiture et après quelques kilomètres, ils s'arrêtèrent dans un relais pour y passer la nuit.

Ils dinèrent dans un coin de la salle, à l'abri des oreilles indiscrètes. On leur servit un ragoût de mouton et du vin. La soirée était avancée et les quelques voyageurs qui s'étaient arrêtés dans cet établissement, étaient déjà couchés.

- Si c'est pas du gâchis de donner un tel trésor à ces pirates ! bougonna Phlégyas en leur resservant du vin.

- Mercenaires. Les pirates pillent et tuent.

- C'est la même chose ! Ils ne valent pas mieux les uns que les autres. Si tu les paies, les mercenaires aussi pillent et tuent.

- L'essentiel est d'en retirer plus que ce que cela nous coûte.

- Je dois avouer que je suis plutôt flatté que l'on fasse appel à moi pour t'escorter.

- Ne te méprends pas. C'est ce coffre que nous escortons tous les deux, mon ami. Et Hadès t'a donné une grande preuve de confiance en t'informant des détails de cette mission.

- Je le sais bien et j'apprécie. D'un autre côté, je suis son meilleur assassin.

- Effectivement… Qui croirait que sous couvert d'un excellent Maître de Chasse, se cache un homme qui tue sur ordre sans se poser de question ? Finalement, tu es un peu comme eux.

- Si je ne te connaissais je pourrais me sentir insulté et tu ne sortirais pas d'ici vivant. J'ai le sens de l'honneur contrairement à ces mercenaires. Je dois la vie à Hadès. Il a tué deux hommes qui m'auraient occis sans hésitation. C'est comme ça qu'on s'est rencontré. Tuer pour survivre ne m'a jamais posé de problème. Mais si je peux rembourser ma dette en mettant mon talent à son service, alors peut-être que dans quelques vies, je ne lui devrai plus rien.

- Crois-tu vraiment qu'on pourra lui rendre tout ce qu'il a fait pour nous ? Pour notre honneur ? Et tout ce qu'il continue à faire ?

Le Chevalier de Lycaon eut un sourire effrayant, et retourna à son deuxième plat de ragoût, pendant que Pharys prenait sa harpe et en caressait les cordes, créant une douce mélodie. Le lendemain, ils décidèrent de laisser la voiture et prirent des chevaux pour voyager plus vite.

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Année 10219 de la Licorne, mois de mars, Royaume des Océans…

Le vent soufflait assez fort et malgré le soleil, il faisait encore froid. D'énormes vagues se fracassaient au pied des falaises, éclaboussant la roche en d'immenses panaches blancs d'eau écumante. Sur la plage, les mercenaires s'étaient mis à l'abri dans les rochers. Ceux qui étaient montés au sommet n'avaient pas signalé l'approche d'une quelconque personne, à pied ou à cheval.

- Capitaine, demanda l'un des hommes, vous êtes sûr que c'est pas un piège ?

- Non, mais si c'est pour se débarrasser de nous, cet idiot a payé fort cher.

- Quelqu'un au bout de la plage… chuchota un autre marin.

- Tu vas réussir avec ton truc ? demanda le capitaine Stand à l'homme à ses cotés qui préparait une sarbacane.

Elle était taillée dans un long roseau creux. A une extrémité, il introduit une fine aiguille en os et porta l'embout à ses lèvres. Sa peau sombre et ses yeux noirs pétillants et plissés dénotaient une origine bien lointaine et le capitaine n'était pas surpris que son matelot connaisse des techniques un peu étranges. Il avait expliqué que là où il était né, les hommes chassaient de grands oiseaux avec cette arme et que l'aiguille était enduite de poison. Alors une cible aussi grosse et presqu'immobile, il ne risquait pas de la rater.

- Je suis dans le sens du vent, expliqua-t-il. Il n'y a que le cheval qui saura que je suis là.

- Dans quoi t'as trempé ça ?

- Un puissant somnifère et j'en ai un autre pour le cheval s'il s'agite un peu trop.

- A toi de jouer, mais attends qu'elle soit plus près.

Le mercenaire obéit. La cavalière n'était plus qu'à une trentaine de mètres de leur cachette, lorsqu'elle vit un homme se dresser derrière un rocher et porter un objet long à sa bouche. Presqu'aussitôt, elle sentit une piqûre douloureuse dans son bras. Elle vit l'aiguille qui avait transpercée le tissu de son vêtement et la retira d'un mouvement vif, mais soudain sa vue se brouilla, la tête lui tourna et elle glissa de son cheval.

Les marins sortirent de leur cachette et allèrent vers le corps allongé. Ils l'observèrent un instant, faisant quelques réflexions grivoises sur la beauté délicate de la jeune femme puis sur un ordre de leur capitaine, ils la hissèrent dans leur canot. D'autres attachèrent le cheval à l'embarcation et commencèrent à ramer vers le large. Une fois assez loin, l'un d'eux transperça la gorge de l'animal avec une dague et coupa la corde. La pauvre bête coula à pique. Les deux autres bateaux transportaient les hommes qui avaient fait le gué et tous regagnèrent le navire qui leva l'ancre aussitôt.

- J'ai rarement fait une mission aussi simple et aussi bien payée, plaisanta le second de Stand après avoir relayé ses ordres à l'équipage.

- Hmm… J'espère que ça ne cache rien de néfaste pour nous, bougonna le capitaine, les yeux rivés sur le large.

Après s'être éloigné de la côte, le Scarabée fila à toute vitesse vers la baie de Giudecca, porté par les vents et les courants. Mais le voyage de retour ne fut pas aussi calme que l'aller. En effet, une certaine jeune femme avait décidé de leur crever les tympans par ses cris stridents et incessants jusqu'à ce que le capitaine la menace de la livrer nue à ses hommes. L'effet fut immédiat et le Scarabée retrouva son calme…

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Année 10219 de la Licorne, mois de mars, Royaume des Ténèbres…

Arrivé en vue du port de Giudecca, un peu plus de cinq semaines après son entretien avec son commanditaire, le capitaine Stand fit jeter l'ancre dans la rade. Un gros canot fut mis à l'eau et vogua vers la jetée. Quatre hommes descendirent une malle qu'ils déposèrent sur le sol. Le Capitaine du port s'approcha pour vérifier la cargaison puisque c'était son rôle mais d'une voiture, le Baron de Sphinx descendit et lui fit signe que c'était inutile. Connaissant le noble, le Capitaine obtempéra sans discuter. Pharys se fit ouvrir le coffre discrètement pour constater que le capitaine avait bien rempli sa mission. Un autre homme l'accompagnait qui confirma que c'était bien la bonne personne. D'un signe de la main, il indiqua aux marins le coffre posé à côté de leur voiture. Le Capitaine Stand vérifia son contenu et il fut porté dans le canot. Ils regagnèrent le Scarabée qui déploya ses voiles et fit route vers le grand large.

- Quelle est la suite ? demanda Pharys à celui qui l'accompagnait.

- Les ordres sont clairs, tu le sais aussi bien que moi. Malheureusement pour le Scarabée et son équipage.

- C'est-à-dire ?

- D'ici peu, le sortilège que j'ai jeté sur le coffre va se déchaîner et ce navire coulera avec tous ses hommes. Il ne veut prendre aucun risque.

- Ça nous aura coûté bien cher…, marmonna le jeune Baron.

- Rien du tout. Ceux qui ont approchés les coffres ont été sous l'influence d'une puissante magie. Ce que tu y as vu à l'intérieur n'était qu'une illusion. Ils ont même cru toucher réellement ce qu'il y avait dedans.

- Par tous les Dieux, tu es effrayant…

Les deux hommes hissèrent la malle dans la voiture et Pharys prit les rênes en direction du Mont Elysion.

Deux jours plus tard, le Scarabée sombrait corps et biens dans les profondeurs insondables de la mer, quelque part entre Giudecca et Léthé…

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Année 10219 de la Licorne, mois de mars, Royaume des Océans…

Dans son bureau du Palais de Corail, le Comte de Sirène était occupé à prendre connaissance du courrier arrivé dans la nuit et qui lui était adressé tout en picorant le repas qu'il s'était fait apporter. Il avait mal dormi, se réveillant à plusieurs reprises sans aucune raison. De fait, il s'était levé plus tard que d'ordinaire et la lumière du soleil qui entrait joyeusement par la fenêtre, lui indiquait que c'était la mi-journée. Une missive attira son attention parce qu'il n'en reconnut pas le sceau. Il le brisa, déploya la feuille et la lut. Il blêmit soudainement et regarda, incrédule, la chaine en or et le pendentif joints. Dans sa main tremblante, le médaillon en forme d'étoile de mer brillait à la lumière du jour. Il l'avait offert à sa sœur pour son seizième anniversaire et elle ne le quittait jamais.

Dans sa poitrine, son cœur battait à tout rompre. Il relut la lettre et décida d'en avoir le cœur net. Il monta au pigeonnier et vit un oiseau qu'il ne connaissait pas avec une bague rouge à la patte. Non. De toute évidence, ce n'était pas une plaisanterie. Il redescendit à son bureau et se laissa lourdement tomber sur son fauteuil. La tête entre les mains, il essayait de réfléchir. Mais ce n'était pas chose aisée. Sa sœur, Thétis, la prunelle de ses yeux avait été enlevée. Il n'arrivait toujours pas à y croire. Il se précipita aux écuries où un palefrenier lui confirma que la jeune femme était sortie comme tous les jours et qu'elle n'était pas encore rentrée.

- Vous pouvez peut-être la retrouver sur la plage où elle a l'habitude d'aller.

- Non, elle… elle s'est rendue chez nous. Je lui enverrai un message, improvisa-t-il. Sellez mon cheval. J'ai envie de faire une promenade.

Il alla sur la plage où il savait qu'elle avait l'habitude de rejoindre Isaak, il ne la trouva pas. En fait, il ne trouva rien. Les lieux avaient leur aspect habituel. Du sable, des galets, des rochers, des bris de coquillages, et au pied de la falaise, la grotte où elle avait des rendez-vous secrets avec le jeune Baron de Kraken. Il ne l'aimait pas beaucoup, mais en cet instant, il aurait mille fois préféré les surprendre dans une situation compromettante plutôt que de se dire que ce courrier relatait la vérité. Il réfléchit à toute allure. Personne ne devait savoir avant qu'il n'ait plus d'informations. Il regagna les écuries, laissa son palefroi(1) et rejoignit l'appartement de sa sœur. Il avisa la chambrière et lui expliqua que Thétis s'était rendu au château familial pour régler un problème d'intendance. Il fallait déjà couvrir son absence subite en lui donnant une raison valable.

De retour dans son bureau, il se versa un verre de vin et se planta devant la fenêtre. Il fallait absolument qu'il se remette à réfléchir calmement et efficacement. L'affolement et l'inquiétude n'étaient certes pas les meilleurs conseillers en pareilles circonstances. De toute évidence, ce n'était pas une plaisanterie. Le pendentif et le pigeon inconnu en étaient bien la preuve. Qui avait enlevé Thétis ? Le pourquoi était clairement expliqué dans la lettre. Il devait livrer des informations sur le Royaume des Océans en se servant de ce pigeon. Faute de quoi, Thétis serait tuée. Mais à qui ces informations pourraient-elles bien servir ? Il s'assit dans son fauteuil et ferma les yeux. Un flot de souvenirs remontant à douze ans se déversa dans son esprit sans qu'il puisse l'endiguer.

Depuis plusieurs mois, Tristan de Sirène ne quittait plus son lit ou presque. Il était atteint d'une maladie qui ôtait aux muscles toute leur force et les médecins étaient incapables de le guérir. Le Comte se savait condamné, aussi décida-t-il un jour de parler à son fils de leur avenir à lui et sa sœur. Il fit promettre à Sorrento de protéger Thétis envers et contre tout. Il lui ordonna également de bien suivre l'enseignement de son précepteur pour pouvoir un jour prendre sa succession auprès du Roi Poséidon.

- Il y a autre chose mon fils, que je veux que tu saches, haleta son père. Ta sœur est la seule à pouvoir donner un héritier à notre lignée.

- Mais…

- Je sais tout… le coupa le Comte. Je sais que tu préfères les hommes aux femmes. Je ne te le reproche pas. Moi-même je n'ai pas toujours été fidèle à votre mère et il m'est arrivé de passer la nuit dans le lit d'un homme… ou d'une femme. A moins que tu ne te forces à épouser une jeune femme qui te donnera des enfants, Thétis est notre seul espoir de ne pas voir notre lignée s'éteindre.

- Je suis désolé, père, fit le jeune homme de dix-huit ans à peine, en baissant la tête.

- Ne le sois pas. Les désirs de la chair sont forts et nous font perdre la tête. S'y opposer est un combat presque toujours perdu d'avance. Maintenant, promets-moi que tu veilleras sur ta sœur.

- Je vous le promets. Je la protègerai de toutes mes forces.

- C'est bien… Tu es un bon fils et je suis fier de toi.

Quelques jours après cette conversation, le Comte Tristan de Sirène rendait l'âme dans des souffrances horribles, faute de ne plus pouvoir respirer. Les muscles de sa poitrine n'avaient plus de force pour faire entrer l'air dans ses poumons. Il s'éteignit dans un râle, dans les bras de Sorrento. Après avoir longuement pleuré, il quitta la chambre, laissant les serviteurs s'occuper du corps. Il entra en silence dans celle de sa petite sœur, qui dormait paisiblement. Il s'approcha du lit et la regarda longuement, se forgeant la volonté inébranlable de tenir la promesse faite à leur père. Quelques années plus tard, après avoir démontré des capacités de gestionnaire assez exceptionnelles, il fut nommé Premier Ministre par le Roi. Une place qu'il occupait depuis maintenant quatre ans. Et jusqu'à présent, il avait réussi à tenir sa promesse. Jusqu'à présent…

Il se retrouvait devant un dilemme de taille. Prendre le risque de sacrifier Thétis pour ne pas trahir les Océans et le Roi, ou bien tout faire pour protéger sa sœur et devenir un traitre à la Couronne. Crime puni de la peine mort si sa culpabilité était prouvée. Il s'effondra en larmes sur son bureau, serrant dans sa main la petite étoile de mer en or.

Il finit par se calmer. Pour l'instant, il avait réussi à gagner un peu de temps auprès des personnes qui ne manqueraient pas de s'apercevoir de l'absence de la jeune femme comme les chambrières, les servantes et serviteurs qui étaient directement sous ses ordres. Il ne fallait pas oublier la Duchesse de SeaDragon que sa sœur avait prise sous son aile pour lui apprendre les subtilités de la vie à la cour. Mais il se sentait de taille à lui mentir. Elle ne le connaissait pas encore assez bien pour déceler le mensonge chez lui. Kanon ce serait plus compliqué. Cet homme était plus rusé qu'un renard. Quant à Kassa, il allait falloir faire en sorte de le croiser le moins souvent possible et surtout ne rien changer dans ses habitudes ou ses attitudes. Rien ne devait éveiller les soupçons de l'espion du Roi. Rien. Il ne fallait pas oublier le Baron de Kraken. Oh bien sûr, il ne viendrait pas lui demander ouvertement où était Thétis, mais il se renseignerait discrètement, cela ne faisait aucun doute. Mais que pouvait bien lui trouver sa sœur ? Sorrento le trouvait arrogant et immature. Non, il n'était pas un bon parti pour Thétis. Le Comte avait caressé le rêve un peu fou de lui faire épouser Kanon, mais désormais c'était impossible. Il frappa son front dans ses paumes. A quoi était-il donc en train de penser ? Il passa une main lasse sur son visage. Ses beaux yeux roses se fermèrent, frêle barrière contre les larmes qui menaçaient de couler encore. Il se sentait vidé, impuissant. Il ne savait pas quoi faire. Abandonner sa sœur et trahir une promesse faite à un mourant ? Trahir son Roi ? Au mieux, si le Roi était magnanime, il le bannirait du Royaume et confisquerait ses biens et titres. Au mieux…

Il envisagea de donner sa démission à Poséidon. Il en informerait alors les ravisseurs de sa sœur et peut-être la lui rendraient-ils ? Rien n'était moins sûr. Et cela l'obligerait à chercher et à donner des explications que le Marquis de Lyumnades ne prendrait pas pour argent comptant, loin de là. Surtout ne pas éveiller les soupçons de Kassa…

Il avait beau retourner le problème dans tous les sens, il n'arrivait pas à imaginer sacrifier Thétis, sa précieuse Thétis, pour la sécurité des Océans. Il frappa durement son bureau du plat de la main. Bon Sang ! Il devait bien exister une solution ! Il reprit la lettre et regarda le sceau qu'il avait brisé. Un faux, probablement. Pris d'une soudaine inspiration, il descendit au poste de garde et demanda qui était de service ce matin. Un homme s'approcha.

- Reconnais-tu ce sceau ? l'interrogea-t-il.

- Non Seigneur Sorrento.

- Tu souviens-tu du messager qui l'a apporté ?

- Ah ça oui ! Il est arrivé comme un fou. Il n'a même pas pris le temps de signer le registre criant que c'était pour le Comte de Sirène et qu'il avait un autre courrier urgent pour Eleusis et il est reparti comme s'il avait un démon à ses trousses !

- L'avais-tu déjà vu ?

- Non, mon Seigneur. Mais d'autres gardes le connaissent peut-être. Voulez-vous qu'on leur demande ?

Ils interrogèrent trois hommes qui étaient là, et seul l'un d'eux pensa avoir déjà aperçu ce messager mystérieux.

- Mais je peux me tromper. C'est qu'il est arrivé si vite qu'on a à peine eu le temps de le voir. En plus, il portait une cape avec une capuche.

- Il n'y a pas un détail qui vous aurait frappé ? demanda encore le Premier Ministre.

Les hommes réfléchirent un instant puis secouèrent la tête. Sorrento les remercia et regagna ses appartements.

Année 10219 de la Licorne, mois de mars, Royaume des Ténèbres…

Thétis ouvrit les yeux. Il faisait sombre, la lumière du jour naissant commençait à peine à éclairer les fenêtres. Elle resta immobile tentant de percevoir des bruits. Les souvenirs lui revinrent brutalement. La plage, la douleur dans son bras, sa perte de connaissance, le bateau, à nouveau son évanouissement. Elle ne savait pas où elle était, ni pourquoi elle avait été enlevée. Elle s'assit tout doucement sur son lit. A première vue, elle n'était pas blessée. Elle constata que sa couche était confortable et qu'elle ne semblait pas se trouver dans une cellule froide et humide. Au contraire, la pièce avait l'air d'être spacieuse et meublée. Dans la cheminée, les braises d'un feu mourant rougeoyaient encore. Elle s'approcha, avisa le panier de buches et en jeta une dans l'âtre. Quelques instant plus tard, une belle flambée crépitait et éclairait un peu mieux les lieux.

La jeune femme frissonna et l'angoisse lui serra le cœur. Les souvenirs s'embrouillaient dans son esprit, mais elle parvint à en retirer une trame. Ce qu'elle ignorait, c'était combien de temps s'était écoulé depuis sa promenade sur la plage et où elle se trouvait exactement. Toute à ses réflexions, elle s'était approchée de la fenêtre. Celle-ci avait l'air de donner à l'ouest pour ce qu'elle pouvait en voir. En guise de paysage, elle n'apercevait qu'une montagne immense qui semblait proche et lointaine à la fois. La roche était noire, comme calcinée. Le bleu du ciel commençait à se voiler d'une épaisse brume de mer. Elle entrouvrit la vitre, un air tiède et humide balaya son visage. Ce n'était que le mois de mars, mais il ne faisait pas froid. En levant la tête vers le sommet, elle fut déçue. L'endroit où elle se trouvait était trop près pour qu'elle puisse voir la cime.

Elle retourna vers le lit, arracha la couverture et s'enroula dedans. Elle s'assit sur une chaise et attendit. Elle prit son mal en patience. Elle savait que tôt ou tard, quelqu'un allait venir. Ne serait-ce que pour lui porter à manger. Si elle était là, c'est qu'elle avait une certaine valeur et donc, qui que soient ses ravisseurs, ils ne la laisseraient pas mourir de faim ou de soif. Bientôt, elle aurait des réponses à ses questions. Elle se raccrocha à cette idée et se calma un peu.

Elle sentit qu'on la secouait doucement. Elle sursauta et releva vivement la tête. A l'évidence, elle s'était endormie. Une femme d'un certain âge se tenait devant elle et lui montra un plateau chargé d'un plat rempli d'une sorte de ragout à l'odeur fort alléchante, d'un morceau de pain, d'une pomme ainsi que d'un verre et d'une carafe d'eau.

Elle réalisa alors qu'elle mourrait de faim. Elle se serait jetée dessus si sa bonne éducation ne lui avait pas permis de contrôler sa pulsion. Elle sourit à la femme, prit le temps de s'attabler correctement et commença à manger.

- Attendez ! fit-elle alors que la servante allait sortir de la pièce. Pouvez-vous me dire où je suis ?

La femme la regarda et porta sa main à sa bouche en secouant la tête de droite à gauche. Il fallut un instant à Thétis pour comprendre.

- Vous êtes muette ?

La femme approuva et lui sourit avant de sortir. C'était bien sa veine. La première personne qu'elle rencontrait ici et il fallait que celle-ci soit incapable de répondre à ses questions. Elle poussa un soupir de résignation. Patienter. Son pire ennemi pour le moment, c'était l'ennui. Elle regarda la pièce autour d'elle. La lumière du matin lui permettait de nettement mieux la distinguer. Elle était vaste, mais sobrement meublée. Il n'y avait qu'un lit, une table avec deux chaises, deux fauteuils devant la cheminée, une armoire et une commode. Dans un recoin, elle aperçut un pot de chambre, un baquet et des draps de bains pliés sur un tabouret. La fenêtre n'avait aucune tenture et elle avait entendu la clé tourner dans la serrure de la porte lorsque la servante était sortie. Elle était en prison, de toute évidence, mais sa cellule était relativement confortable.

Le temps passait. L'ennui la gagna ainsi que l'impatience. Soudain elle entendit des pas et retourna s'asseoir dans un des fauteuils de la cheminée. La porte s'ouvrit. Deux hommes, des soldats à en juger par leurs vêtements, portaient un coffre qui semblait assez lourd et le posèrent devant l'armoire. Ils ressortirent aussitôt laissant entrer un homme. Un noble si l'on se fiait à sa vêture. Il lui sourit et vint prendre place à ses côtés, dans l'autre fauteuil.

- J'espère que vous m'excuserez de vous avoir fait attendre si longtemps, j'ai été retenu par des affaires urgentes, déclara-t-il, aimable.

- Qui êtes-vous ? Où suis-je ?

- Vous êtes au Manoir d'Elysion.

- Elysion ? Vous voulez dire… le Mont Elysion ? Au Royaume des Ténèbres ?

- Je suis ravi de constater que l'on enseigne la géographie de mon pays à l'extérieur de nos frontières.

- Votre pays ?

- Je suis le Roi Hadès.

Thétis écarquille les yeux. Ainsi donc ce Souverain à la réputation de héros pour tout un peuple se trouvait devant elle. Un jeune Roi qui, en quatre ans de règne, avait reconstruit ou presque un pays en ruine. Un Roi remarquable mais dont elle semblait être la prisonnière, à l'évidence.

- Pourquoi suis-je ici ? assena-t-elle d'une voix dangereusement basse.

- J'ai besoin que votre frère, le Comte Sorrento de Sirène, me livre des informations sur les Océans. Et le meilleur moyen de l'obliger à le faire est de vous menacer directement.

- Qu'importe vos menaces ! Il ne vous dira rien ! Jamais il ne trahira le Roi Poséidon !

Elle avait crié ces derniers mots. Une colère sourde bouillonnait en elle. Si elle s'était écoutée, elle aurait sauté à la gorge de ce Roi qui soudainement, à ses yeux, n'avait plus rien d'héroïque.

- En êtes-vous bien sûre ? la provoqua-t-il d'une voix mielleuse. L'étoile de mer en or qui pendait à votre cou lui a été laissée avec un courrier d'instructions précises à suivre scrupuleusement s'il veut vous revoir en vie. J'attends sa réponse sous peu.

Machinalement, Thétis porta la main à sa gorge. Son pendentif ne s'y trouvait plus. Son regard plein de haine et de colère se mit à briller de larmes contenues. Oh non ! Elle ne lui ferait pas se plaisir. Elle ne verserait pas une larme devant ce monstre.

- Vous n'obtiendrez rien ! siffla-t-elle. Il sait que je préfère mourir plutôt que de trahir notre Roi.

- La torture pourra vous faire changer d'avis. Vous lui décrirez votre enfer par le détail et je suis certain qu'il cèdera.

- Jamais !

- En attendant, je vous suggère de vous reposer. Je vais être magnanime et vous permettre de rencontrer une autre prisonnière. Ainsi, vous pourrez vous soutenir mutuellement… ou vous faire peur aussi en imaginant tout ce qui pourrait vous arriver à toutes les deux si je n'obtiens pas ce que je veux.

Hadès se leva, alla vers la fenêtre et observa le volcan.

- Et inutile de parler aux gardes où aux serviteurs, reprit-il avant de se diriger vers la porte. Ils sont tous muets. Et extrêmement loyaux.

Il lui fit son plus beau sourire et quitta la pièce. Aussitôt la clé tourna dans la serrure. Thétis fixait la porte sans la voir. C'était un cauchemar. Elle allait se réveiller chez elle, dans son lit et tout ça n'aurait été qu'un horrible rêve. Mais elle pleura en silence. Elle savait bien que tout ceci était réel. Comment allait-elle se sortir de là ? Hadès avait parlé d'une autre prisonnière. Peut-être qu'à elles deux, elles pourraient échafauder un plan pour s'enfuir ? Mais qui était-elle ? Certainement la sœur, la fille ou l'épouse d'un homme influent d'un autre Royaume. Mais lequel ?

A nouveau, on entra dans sa chambre. La servante, suivie de deux hommes qui portaient des seaux d'eau chaude, se dirigea vers le coin de toilette et entreprit de lui préparer un bain. De toute évidence, elle serait bien traitée. Curieuse, elle avisa le coffre et l'ouvrit. Elle en sortit une très belle robe en coton et satin jaune or qui se mariait parfaitement avec ses cheveux. Son œil aiguisé reconnut là un vêtement d'excellente qualité aux finitions impeccables. Quand les hommes furent sortis, la servante lui fit signe de s'approcher du baquet et alors qu'elle voulut commencer à l'aider pour se déshabiller, Thétis l'arrêta.

- Je vous remercie, dit-elle. Je vais faire cela moi-même. Vous pouvez me laisser.

La femme sortit. Thétis ne savait trop si elle avait envie ou pas de prendre un bain mais le temps qu'elle avait passé en mer ne lui avait pas permis d'avoir une hygiène irréprochable. Elle se laissa donc convaincre par l'eau chaude et odorante qui lui faisait de l'œil. Et bien lui en prit. Elle se délassa et toute la peur, la crainte et la tension accumulée se firent moins lourdes sur ses épaules et son esprit. Elle eut honte d'apprécier autant ce moment alors que son frère devait se faire un sang d'encre pour elle. Il devait être mort d'inquiétude et elle prenait un bain. Mais à bien y réfléchir, se morfondre et se tordre les doigts de désespoir en se lamentant ne l'aiderait en rien. Elle devait plutôt penser posément à sa situation. Qu'est-ce que Kanon disait souvent ? "Le devoir de tout prisonnier est de chercher à s'évader." Eh bien elle allait appliquer cette consigne. La faire sienne. Y penser nuit et jour, se laisser habiter par cette idée et peut-être finirait-elle par trouver la faille. Et qui sait, l'autre prisonnière pourrait l'aider. A deux, on a deux fois plus d'idées.

Alors qu'elle était assise sur son lit, ses bras entourant ses genoux, le soleil couchant fit une brutale incursion par la fenêtre. C'était déjà la fin de sa première journée de captivité et elle n'avait pas réussi à échafauder un plan d'évasion qui tienne la route. Peut-être devrait-elle attendre de rencontrer cette autre personne ? Une fois de plus, le cliquetis de la clé dans la serrure la fit sursauter. La servante entra et lui fit signe de la suivre. Thétis ne se fit pas prier. Elle allait enfin voir à quoi ressemblait ce château en dehors de sa chambre. Mais sa déception fut grande. Des couloirs de pierre noire éclairés régulièrement par une torche, des escaliers qui montaient, une autre porte. Elle entra dans une vaste pièce au centre de laquelle se trouvait une longue table avec des chaises. La cheminée était flanquée de quatre fauteuils. Là aussi, la lumière du couchant entrait généreusement par les grandes fenêtres. Elle entendit la porte qu'on refermait derrière elle.

Et alors qu'elle s'approchait de l'âtre, une silhouette apparut brusquement, se levant d'un des fauteuils.

- Qui êtes-vous ? lance-t-elle d'un ton brutal et prête à défendre chèrement sa vie.

- Je suis prisonnière ici, tout comme vous, je pense. Je me nomme Freya de Megrez. Et vous ? Quel est votre nom ?

La douceur de Freya était désarmante. Thétis sentit toute son agressivité retomber. A l'évidence, la jeune femme qui lui faisait face n'avait pas l'air bien dangereux mais elle préféra rester méfiante et ne pas baisser sa garde.

- Je suis Dame Thétis de Sirène, répondit-elle avec hauteur en redressant la tête.

- Oh ! Vous êtes parente avec le Premier Ministre du Roi Poséidon ?

- Je suis sa jeune sœur. Vous connaissez mon frère ?

- J'ai entendu la Reine Hilda prononcer parfois son nom. J'ai aussi un frère aîné qui est Ambassadeur d'Asgard auprès du Roi Mitsumasa. Pourquoi êtes-vous là ?

- Pour les même raisons que vous je suppose, fit Thétis, évasive.

- Par les Dieux ! Je suis seule depuis si longtemps ! Si ce n'étaient les circonstances qui nous placent face à face, je dirais presque que je suis heureuse de vous rencontrer !

Freya se mit à sangloter, le visage dans ses mains. Thétis tendit la main et la posa sur le genou de Freya qui s'était laissée retomber sur le fauteuil. La jeune femme releva la tête et la regarda à travers ses larmes.

- Racontez-moi tout…, lui demanda-t-elle sur un ton doux.

A suivre…

J'espère que ça vous a plu


(1) Palefroi : un palefroi est, durant le Moyen Âge, un type de cheval de grande valeur utilisé pour la selle, par opposition au destrier qui est une monture de guerre.

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