Disclaimer : Tout l'univers de Saint Seiya que vous reconnaîtrez aisément appartient à Masami Kurumada. Je ne retire aucun profit de son utilisation si ce n'est le plaisir d'écrire et d'être lue. Les personnages de la mythologie appartiennent à tout le monde et les autres, ceux que vous ne connaissez pas, sont à moi.
Genre : Univers Alternatif Heroic Fantasy Médiéval Fantastic.
Aventure/Romance/Surnaturel. Certains couples sont très inhabituels. Het, Yaoi et lemon bien sûr.
Rating : M ou NC-18
Les Royaumes du Sanctuaire et d'Asgard, alliés indéfectibles, mènent une guerre contre le Royaume des Océans depuis plus de cent cinquante ans. Au moment où débute cette histoire, les raisons de cette guerre ont été oubliées. Non loin, le Royaume des Ténèbres se relève doucement d'une guerre de succession qui l'a laissé exsangue. Après avoir été ennemis, ils finiront par unir leurs forces pour faire face à une menace bien plus grande encore. De l'action, de la romance, du complot politique, de la magie et des créatures surnaturelles sont au rendez-vous avec de nombreuses références aux mythologies grecque et celtique ainsi qu'au manga original de Masami Kurumada. Het, Yaoi et lemon bien sûr.
Note de l'auteur : ce chapitre ne sera pas en ligne sur mon site Antarès avec la musique et les photos car je n'y ai pas accès pour l'instant. Je fais de mon mieux pour régler ce problème.
N'hésitez pas à donner votre avis et s'il vous plait, ne mettez pas l'histoire en suivi ou en favori sans expliquer pourquoi vous le faites. C'est important pour les auteurs de connaitre les raisons de votre choix. Merci.
Bonne lecture.
Chapitre 23-01
Année 10219 de la Licorne, début du mois de mai, Royaume du Sanctuaire, Égide…
Ce qui, au départ, n'était qu'une sensation diffuse, devint en peu de jours, quelque chose de beaucoup plus insistant et de presque impossible à ignorer. Aliandro décida de s'en ouvrir à Shion qu'il trouva, comme d'habitude, au dispensaire. Il en profita pour prendre des nouvelles de Kieran, qui l'entoura de ses bras avec sur le visage un sourire éblouissant. Il avait encore de grosses douleurs liées à son amputation mais les potions et onguents du Médecin Royal et sa volonté instinctive propre à son jeune âge, lui avaient permis de faire de grands progrès. Désormais, il n'avait plus besoin de sa canne pour s'aider à marcher et le Maitre Bucheron éclata d'un rire tonitruant en voyant le gamin gambader joyeusement malgré sa claudication.
Shion se retourna et sourit. Leurs yeux se croisèrent et ce fut suffisant pour que les deux hommes se retrouvent dans la cour extérieure, où séchaient des dizaines de draps et de linges de toutes tailles, utilisés pour les soins, loin d'oreilles indiscrètes.
- Il est incroyable ! s'exclama le géant en guise bonjour.
- Ces parents recommencent à le réprimander pour qu'il se tienne un peu plus tranquille, c'est bon signe. Tu voulais me voir ?
- Oui… il m'arrive quelque chose d'étrange que je pense liée à notre statut. C'est persistant et ça m'inquiète un peu.
- Que ressens-tu ?
- C'est comme si j'entendais un appel. Une sorte de grondement qui s'est intensifié depuis deux ou trois jours. Et lorsque je me tourne vers l'ouest, j'ai l'impression que je vais y trouver des réponses.
- Mais ce n'est pas le cas et ça te frustre, sourit Shion en levant les yeux vers son compagnon.
- Exactement. Et je veux en avoir le cœur net. Il faudrait que j'aille voir par là-bas s'il y a peut-être un début de réponse.
- C'est curieux… Aïoros est venu me voir hier et il m'a dit quelque chose de semblable.
- Ah bon ? Tu crois que c'est lié à la Magie ?
- J'en suis persuadé. Il y a beaucoup trop d'agitation dans les Flux en ce moment pour que je ne prenne pas au sérieux tout ce qu'on me dit, en particulier si ça vient de vous.
- Je devrais peut-être aller le voir, non ?
- J'allais te le suggérer. Et s'il le faut, vous partirez vers l'ouest. Je vous donnerai un talisman qui vous permettra de revenir très vite si nous avons besoin de vous ici.
- J'ai aussi une sensation d'urgence, c'est très désagréable. Je vais passer voir Aïoros et je te tiendrai informé.
Shion regarda son ami s'éloigner et resta quelques instants, perdu dans ses pensées avant de retourner à son travail. Aliandro franchit les remparts d'Égide et se dirigea vers la grande plaine où s'entrainaient les archers et les conducteurs de chars. La journée était belle, il commençait à faire vraiment chaud et la petite brise rafraichissante était la bienvenue. Il arriva derrière Marine et la regarda un instant. Elle encocha une flèche, banda son arc et lâcha son trait qui se ficha un peu à côté du centre de la cible, quelque deux cents mètres plus loin.
- Joli tir, Capitaine ! la complimenta le colosse.
- Aliandro ! s'exclama la jeune femme en souriant. Quel plaisir de te voir ! Tu viens t'entrainer ?
- Non, je cherche Aïoros. Tu sais où il est ?
- Là-bas ! fit-elle en pointant un doigt vers les auriges. Il s'entraine avec Capella.
Ils observèrent un instant les deux hommes. L'un conduisait un char de guerre, l'autre, grimpé derrière lui, tirait sans discontinuer sur les cibles placées sur leur chemin. Neuf tirs sur dix touchaient au cœur. Ils firent demi-tour pour recommencer quand le Maitre Archer aperçut son ami. Capella fit tourner les chevaux et se dirigea vers Marine et Aliandro.
- Vous êtes impressionnant tous les deux ! s'écria le Maitre Bucheron. Sur un champ de bataille, votre association serait redoutable.
- Merci mon ami. Capella, on reprendra plus tard, fit-il à l'attention de l'aurige qui s'éloigna. Comment vas-tu ? lui demanda Aïoros en posant son arc et son carquois sur un support.
- Marchons un peu…
Ils s'éloignèrent et Marine les vit qui discutaient. Elle avait l'étrange impression que certains des hommes qui venaient parfois s'entrainer cachaient quelque chose. Et c'était encore plus fort lorsqu'elle voyait son fiancé et son cousin ensemble. Elle les surprenait parfois à échanger des regards chargés de sous-entendus et de mystères. Elle ne posait aucune question, estimant que ça ne la regardait pas, mais elle espérait qu'un jour Aïolia se confierait à elle.
- Si Shion est d'accord, alors il ne faut pas hésiter, disait Aïoros alors que les deux hommes revenaient vers le terrain des archers.
- Je prendrai le talisman. On se retrouve avant l'aube ?
- Très bien. À demain. Capella ! cria le Chevalier de Sagittarius. On recommence !
Aliandro s'éloigna en souriant. Aïoros était un bourreau de travail. Il ne s'arrêtait jamais, visant toujours la perfection. Comme eux tous. La matinée était bien avancée. Il fit le chemin en sens inverse, passa chez lui prendre ses outils et repartit dans la forêt qui retentit bientôt de ses puissants coups de hache.
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La chambre n'était que faiblement éclairée par les lueurs du feu mourant dans l'âtre. Dans le lit, blottis sous les fourrures, deux corps étaient encore endormis. Un bruit de galop dans la rue fit bouger l'un des deux. L'homme ouvrit les yeux et passa ses mains sur son visage pour en chasser le sommeil. Il se tourna vers la femme qui dormait encore à ses côtés et sourit. Sa main glissa jusqu'au ventre qui commençait à s'arrondir et le caressa tendrement. Il espérait que ce serait un garçon. Son fils. Celui qui reprendrait peut-être sa charge un jour. Celui qui hériterait de tous les biens d'Aquarius. Il laissa échapper un léger rire, songeant qu'il fallait déjà que l'enfant vienne au monde et grandisse un peu. Son attention fut de nouveau attirée par ce bruit de galop qui s'éloignait. Qui pouvait bien partir si tôt ? Son intuition lui souffla que ce n'était pas une patrouille. Il se leva sans déranger sa compagne et gagna la salle d'eau. Rafraichi et réveillé, il s'habilla rapidement, but une infusion tonique et mangea une tranche de pain avec du fromage. Il retourna auprès du lit et s'assit sur le rebord. Ses doigts caressèrent tendrement la joue de la jeune femme dont les yeux frémirent et s'ouvrirent lourdement.
- Tu es déjà debout ? marmonna-t-elle en attrapant ses doigts pour les porter à ses lèvres.
- Je ne vais pas tarder à aller retrouver mes élèves, chuchota-t-il. Fais attention à toi, ajouta-t-il en posant à nouveau la main sur son ventre.
Il se pencha pour l'embrasser et quitta la chambre. Il descendit l'escalier et au rez-de-chaussée, entra dans la salle de classe. Il jeta un coup d'œil circulaire au lieu. Sur la grande table, il vérifia qu'il y avait bien huit flacons d'encre, huit plumes d'oie parfaitement taillées, huit livres et huit feuilles de parchemin. Il remercia d'une pensée le père du Roi actuel pour avoir obligé les enfants à aller à l'école jusqu'à l'âge de dix ans. Malheureusement cette loi était mal appliquée et Gabriel savait que beaucoup de gamins aidaient leurs parents au lieu d'apprendre à lire et à écrire. Mais les temps de paix qui s'annonçaient lui faisaient espérer que bientôt, sa classe serait trop petite pour tous les accueillir. Il raviva le feu dans la cheminée et dans les deux braséros. Dehors la matinée s'annonçait belle, et il songea encore aux galops qui l'avaient réveillé. Parce qu'au bruit, il savait qu'il y avait au moins deux cavaliers, dont l'un particulièrement lourd. Mais il fut obligé de remettre ses réflexions à plus tard. Devant la porte, des cris attirèrent son attention. Il sortit et vit deux enfants se battre. Il les attrapa par le col de leurs vêtements en les soulevant presque du sol.
- Réda et Spica ! Encore vous ! gronda le précepteur. À la fin de la classe, vous nettoierez celle-ci de fond en comble. Et le premier que j'entends rouspéter aura des devoirs supplémentaires. Maintenant, rentrez.
Les élèves obéirent sagement et s'installèrent à leur place. Les deux petits bagarreurs firent de même en se jetant des regards noirs.
- Ouvrez vos livres à la page douze et lisez en silence.
Il marcha lentement autour de la table et alors qu'il s'approchait de la fenêtre, il croisa le regard d'Angelo qui passait et qui lui fit un signe de la tête. Il alla dans le hall et fit entrer son ami.
- Quelque chose ne va pas ? demanda immédiatement le Chevalier d'Aquarius.
- Je ne sais pas… Aïoros et Aliandro sont partis très tôt ce matin. Je tiens ça de Dohko que je viens de croiser qui le tient de Shion.
- Où sont-ils allés ?
- Vers l'ouest, mais je n'en sais pas plus. Je devais juste t'en informer.
- On se retrouve ce soir à la caverne ?
- Aucune idée. De toute façon, Shion nous le dira.
- Très bien… Merci.
Le Maitre Tanneur ressortit pour rejoindre son échoppe et Gabriel rentra dans la classe pour reprendre son cours de lecture.
- Nacchi, lis à voix haute le premier paragraphe.
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Après plusieurs jours de chevauchée, Aliandro et Aïoros ne savaient toujours pas où ils devaient aller. Ce bourdonnement dans leur tête était toujours bien présent et semblait augmenter lentement. Ils en avaient parlé à chacun de leur bivouac, mais n'avaient pas trouvé d'explication satisfaisante. Ils ignoraient combien de temps il leur faudrait pour atteindre leur destination, quelle qu'elle soit.
En milieu de matinée, ce jour-là, ils se retrouvèrent face à un obstacle. Ils étaient arrivés sur les berges d'une rivière qui semblait assez profonde et un peu plus loin il y avait un pont de bois.
- Il est en piteux état, observa le Maitre Archer en s'engageant sur les planches disjointes dont certaines étaient même pourries. Je ne sais pas si ton cheval va pouvoir passer.
- Je ne crois pas, et je ne prendrai pas le risque, soupira le colosse. Je peux peut-être le faire traverser dans l'eau en le guidant du pont. Passe le premier.
Aïoros s'engagea prudemment sur le pont qui fit entendre de sinistres craquements sous le poids du cheval et de son cavalier, mais ils arrivèrent sains et saufs à l'autre bout. Aliandro attacha une longe au harnais de Horn et le fit entrer dans l'eau alors que lui s'engageait sur le pont. Le Percheron (1) était un animal énorme mais il fallait bien une telle monture pour supporter le poids d'Aliandro. De plus, l'animal entrainé pour la guerre avait développé une musculature impressionnante. Très lentement, usant de la voix avec beaucoup de douceur et de persuasion, le Maitre Bucheron guida son cheval dans l'eau. Docile, Horn obéit et se mit à nager lorsqu'il ne toucha plus le fond de la rivière. De son côté, Aliandro tirait sur la longe pour l'aider à avancer plus vite afin qu'il ne reste pas trop longtemps dans l'eau glacée. Finalement, l'obstacle fut vaincu. L'homme marcha un bon moment aux côtés de sa monture jusqu'à ce que sa robe soit sèche. Il le harnacha à nouveau, l'enfourcha et les deux cavaliers reprirent leur route. Ils traversèrent des villages où ils s'arrêtaient parfois, pour faire un bon repas et passer une bonne nuit de repos dans une auberge.
Un jour, ils réalisèrent qu'ils connaissaient bien mal le Royaume où ils vivaient. Ne s'étant jamais éloignés d'Égide, ils purent admirer toute la beauté de leur terre natale. De profondes et immenses forêts très denses renfermaient des essences de bois rares aux dires du Maître Bûcheron. Le gibier foisonnait, les plaines qu'ils voyaient s'étendre à perte de vue étaient couvertes d'une herbe grasse d'un vert vif et profond piqueté de petites fleurs blanches, jaunes et bleues. Parfois, ils apercevaient un tapis rose fait de fleurs de trèfle dont les lapins raffolaient. Ils dormirent un soir à la belle étoile, après avoir dîné du fruit de la chasse d'Aïoros. Deux lièvres et trois lapins à qui il manquait un peu de graisse et de muscles, mais qui firent l'affaire. Le lendemain, ils s'arrêtèrent dans un hameau où ils se régalèrent d'un bon ragoût de mouton et de bière bien fraîche.
Ils poursuivirent leur voyage jusqu'à ce qu'ils arrivent finalement aux abords d'un lac. L'endroit était tout simplement féerique. Au nord, une cascade tombait depuis une barre rocheuse. L'écume s'élevait dans l'air, légère, et les rayons du soleil formaient un arc-en-ciel étincelant au-dessus du bouillonnement de l'eau. Au sud se dressait une forêt, et à l'est, là où ils se trouvaient, il y avait de vastes plaines. Par contre à l'ouest, c'était la presqu'île de Pallas et l'Océan des Pléiades qui s'étendait à perte de vue.
- J'ai l'impression qu'on est au bout du voyage, dit Aliandro en regardant de tous les côtés.
- J'ai une étrange sensation, murmura son compagnon. Quelque chose me dit qu'il faut continuer…
- Et où ça ? On plonge dans l'Océan ?
- Viens… Allons jusqu'à l'autre bout du lac.
- Regarde, fit le Bûcheron en indiquant une grosse pierre de la tête.
- Lac Genei (2). Tu sais ce que ça veut dire ? demanda Aïoros.
- Pas du tout. C'est peut-être de la Langue Ancienne…
Les deux hommes longèrent les rives s'extasiant devant la beauté de cette nature sauvage. Rien n'indiquait la présence de l'homme. Le dernier village où ils s'étaient arrêtés était à deux jours de voyage derrière eux. Ils virent des hérons et des grues dans les joncs et les roseaux. Un vol de flamands roses passa au-dessus de leur tête pour aller se poser à l'autre bout du lac. Des canards et des cygnes se déplaçaient gracieusement sur l'eau et quelques biches et leurs faons s'abreuvaient sur les berges. L'air était doux et le soleil couchant donnait au paysage une lumière extraordinaire.
- C'est incroyable, murmura Aliandro en souriant à son ami.
- Je crois que je n'ai jamais rien vu de plus beau…
- Regarde là-bas… Ce sentier n'était pas là, non ?
- Je ne sais pas… Je n'y ai pas fait attention… Ce doit être par là qu'on va à Pallas…
Les deux hommes s'engagèrent sur cet étrange chemin et furent bientôt enveloppés d'une brume épaisse. Ils ralentirent l'allure, s'attendant à tout instant à se retrouver au bord d'une falaise plongeant à pic dans l'océan. Ils débouchèrent devant une large langue de terre parcourue par une petite rivière s'écoulant du lac. Ils y engagèrent leurs chevaux, tous leurs sens en alerte. Mais leurs montures étaient calmes et l'on pouvait se fier aux animaux pour déceler un quelconque danger. Ils échangèrent un regard pour confirmer qu'ils éprouvaient la même chose. Le bourdonnement dans leur esprit s'était intensifié sans pour autant être insupportable. Lorsqu'ils atteignirent l'autre côté, le bruit s'arrêta. Par contre, ils entendirent une voix prononcer les mots suivants :
- Alta Kentaorys(3)
-Alta Menatres(3)
- Tu as entendu ? chuchota le Maitre Archer en prenant lentement son arc à la main.
- Très clairement, répondit Aliandro qui posa la main sur le manche de son épée.
Ils échangèrent un regard, se disant que puisqu'ils étaient venus jusque-là, autant aller au fond des choses. Ils talonnèrent leurs chevaux toujours aussi paisibles et avancèrent. Soudainement, la brume se dissipa, dévoilant à leurs yeux ébahis une immense vallée où continuait de s'écouler la rivière. Au loin, un petit lac brillait comme un saphir posé sur un écrin de verdure. C'est alors qu'apparurent des créatures extraordinaires.
Devant Aliandro s'avança un homme vraiment étrange pour autant que le terme "homme" puisse lui être appliqué. Il était presque deux fois plus grand que le Maitre Bucheron et sa musculature était spectaculaire. Son front était surmonté de deux cornes recourbées qui avaient la longueur d'un bras "normal". Les extrémités visiblement très affûtées prouvaient bien qu'elles n'étaient pas là pour faire beau. Son regard était sombre et agressif et la hache à double tranchant qu'il tenait à la main paraissait redoutable et devait certainement l'être. Contre toute attente, la Créature mit un genou à terre et s'inclina avec respect.
- Vous êtes le Seigneur des Minotaures. Je me nomme Astérion (4) et je suis le chef de mon peuple. Veuillez me suivre, nous avons beaucoup de choses à nous dire.
Aliandro qui n'avait pas encore récupéré l'usage de sa voix regarda en direction d'Aïoros, inquiet.
- Soyez tranquille, Seigneur, reprit le Minotaure. Votre ami ne craint absolument rien. Il est en parfaite sécurité.
Le Maitre Archer haussa discrètement les sourcils, l'air de dire qu'ils n'avaient pas trop le choix et vit son compagnon s'éloigner avec la Créature. Il reporta alors son attention sur celle qui se trouvait devant lui et qui s'agenouilla à son tour d'une manière un peu différente, mais gracieuse...
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Pendant ce temps, dans la Cité d'Égide…
Tous les matins en se rendant à son office, Shaka passait devait l'atelier du Maitre Forgeron, son ami Mû. D'ordinaire, ils se souriaient, se faisait un geste de la main et chacun continuait de vaquer à ses occupations. Mais ce matin-là, l'Écrivain Public fut surpris de trouver son compagnon assis sur tabouret, tirant sur la chaîne du soufflet de la forge sans même savoir ce qu'il faisait. Il avait les yeux fixes et le regard vide d'un homme qui est soit très fatigué ou bien qui vient d'apprendre une terrible nouvelle. Le visage reposé de Mû lui fit opter pour la seconde hypothèse. Il s'arrêta et entra sous l'auvent de l'atelier. Il se mit devant Mû et attendit. Le Forgeron n'eut aucune réaction.
- Mû ? appela-t-il. Mû ? Tu m'entends ? insista-t-il en posant une main sur son épaule.
Celui-ci sursauta et leva les yeux vers Shaka, surpris de le voir là. Il tourna la tête vers la forge et arrêta le soufflet.
- Bonjour Shaka. Je peux faire quelque chose pour toi ?
- Me dire ce qui te rend si pensif. Je t'ai appelé plusieurs fois, tu ne m'as pas entendu.
- Ah ? Je suis désolé… Je pensais à autre chose…
- Ça, je m'en doute, sourit l'Écrivain. Est-elle si exceptionnelle qu'elle accapare ainsi toutes tes pensées ?
- Tu ne crois pas si bien dire… Elle vient de me dire qu'elle est enceinte et que je vais être père dans quelques semaines…
Shaka ouvrit de grands yeux, puis l'instant de surprise passé, il se mit à sourire franchement, ce qui chez lui relevait presque du miracle. Effectivement, la dame en question était exceptionnelle pour Mû.
- Je ne voudrais pas paraître médisant, mais es-tu sûr que cet enfant est le tien ?
- Ce n'est pas une fille à la vertu exemplaire si c'est ce que tu sous-entends, mais même si ce n'est pas moi le père, j'ai envie d'y croire.
- Vous vous êtes… vu plusieurs fois ?
- Oui…
- Tu vas l'épouser ?
- Ce serait bien…
- Tu l'aimes ?
- Non, mais j'apprendrai…
- Mû, viens avec moi.
- Quoi ? Mais où ça ? J'ai du travail !
- Moi aussi, mais ça attendra. Allez viens !
Shaka entraîna son ami dans la première taverne qu'il trouva. Il le poussa à l'intérieur jusqu'à une table à l'écart et fit signe qu'on leur apporte deux bols de lait chaud. Encore sonné par la nouvelle qu'il venait d'apprendre, le Forgeron n'avait même pas eu le réflexe de résister à son compagnon.
- Alors ?
- Quoi ?
- De qui s'agit-il ?
- Qui donc ?
- De qui es-tu amoureux ? Et ne me dis pas que je raconte n'importe quoi parce que je te connais trop bien.
Mû fixa son interlocuteur de ses grands yeux verts, puis les reporta sur son bol avant de le prendre pour boire une gorgée de lait.
- On se connaît depuis qu'on est gamin, commença-t-il. Je savais bien que tu te douterais de quelque chose, mais pardonne-moi si pour une fois je ne me confie pas à toi.
- Pourquoi donc ? Ai-je fait quelque chose de mal pour que tu me retires ta confiance ? Et puis, si ton esprit est trop accaparé par cette personne, tu risques de perdre tes moyens au plus mauvais moment.
- Je sais bien et j'apprécie que tu te soucies ainsi de moi. Vraiment ça me touche beaucoup.
- Non, mais es-tu devenu idiot ou alors quoi ? Mû ! C'est moi, Shaka. Ton meilleur ami. Tu te rappelles ? Tu me remercies de me soucier de toi ? Tu ne crois pas que c'est normal ? Que c'est à ça que servent les amis ? Si l'on excepte qui nous sommes…, rajouta-t-il d'une voix plus basse.
- Non, je n'ai pas oublié… tu sais, je ne te dis pas tout… j'ai mon jardin secret… comme toi…
Mû avait toujours les yeux baissés sur son lait qui refroidissait. Il avait parlé d'une voix presque suppliante, lointaine et Shaka n'en fut que plus bouleversé. Il n'aimait pas voir son compagnon ainsi. Il avait l'air si triste et si perdu qu'il aurait fait n'importe quoi pour l'aider. Mais il était justement son ami et il devait respecter son choix. Mû avait peut-être besoin de temps et il finirait par venir lui parler. Il l'espérait en tout cas. De tout son cœur.
- Cet après-midi, je vais m'entraîner avec les Castes d'Argent et de Bronze. Tu veux qu'on y aille ensemble ? lui proposa l'Écrivain, se disant que ça leur changerait les idées à tous les deux.
- Bonne idée ! s'écria Mû. Je crois que j'ai besoin de me défouler.
- N'en fais pas trop, certains pourraient se poser des questions, murmura Shaka, heureux de revoir un petit sourire sur le visage du Forgeron.
- Après le déjeuner dans la grande cour ?
- J'y serai. Bien, il va falloir retourner travailler, quand même !
- Oui, tes lettres ne vont pas s'écrire toutes seules !
Les deux hommes regagnèrent la forge et Shaka laissa son ami pour rejoindre son office. Mû le regarda l'éloigner se sentant un peu coupable. Il aurait pu se confier, il avait confiance en Shaka, mais pour l'instant, il préférait garder ses états d'âme pour lui. Il poussa un profond soupir de lassitude et reprit le plastron qu'il avait commencé à travailler avant de se perdre de nouveau dans ses pensées.
Ils se retrouvèrent plus tard dans la grande cour d'entraînement à observer les soldats. Le Colonel Albior et les Capitaines Marine et Shaina supervisaient les exercices. Et ils ne faisaient aucun cadeau. Mû et Shaka s'approchèrent d'eux et les saluèrent.
- Cela fait bien longtemps qu'on ne vous a pas vu parmi nous. Je suis content que vous soyez là, les accueillit le Chevalier de Céphée.
Les deux hommes se placèrent à l'écart et sortirent leurs épées. Ils eurent un sourire complice et commencèrent leurs passes d'armes. Ils essayaient de maintenir un niveau acceptable, mais il n'était pas aisé de ne pas se laisser emporter par l'excitation du moment. Et se faisant, ils risquaient de dévoiler que leur maîtrise de l'escrime allait bien au-delà de ce que tous pensaient. Mais c'était sans compter sur l'arrivée du Maitre Palefrenier Shura et du Maitre Tanneur Angelo, tous deux revêtus comme les autres d'une cuirasse d'entraînement. Le Colonel Albior leur fit le même accueil, heureux de voir que ces hommes semblaient avoir un regain d'intérêt pour le maniement des armes. Aussitôt, les deux nouveaux arrivants se posèrent en adversaire de Mû et Shaka qui acceptèrent bien que le Maitre Forgeron semble marquer un temps d'hésitation face au dresseur de chevaux, particulièrement redoutable à l'épée.
Après un bon moment à échanger des coups d'épée, Albior ordonna à Seiya, Shun, Shiryu et Ikki d'être leurs adversaires. Ils étaient ses meilleurs Lieutenants et il voulait voir vraiment ce que valaient ces quatre hommes qui étaient considérés comme des Maîtres dans leur discipline, mais qui ne s'étaient pas exercés depuis longtemps. En tout cas, pas à l'épée, d'après ce qu'il venait de voir jusqu'à présent. Mais il sentait qu'ils avaient du potentiel et qu'il fallait juste leur donner la chance de pouvoir progresser. Les quatre hommes se sourirent comme s'ils avaient suivi les pensées d'Albior, mais ils se prêtèrent au jeu, amusés, sentant venir un bon moment de rigolade.
Le lieutenant Seiya se positionna en adversaire de Mû et lui sourit malicieusement en faisant tournoyer son épée. Le Forgeron le regarda un instant et se mit en garde, réprimant à grand-peine une forte envie de rire. Ce jeune freluquet semblait bien sûr de lui et son opposant décida de s'amuser un peu. Un rapide coup d'œil à ses compagnons lui fit comprendre qu'il n'allait pas être le seul à se divertir.
Brusquement, Seiya se porta en attaque. Mû esquiva et para aisément un autre coup. Il savait qu'il ne devait pas prendre à la légère le jeune homme, mais d'un autre côté, il ne pouvait pas non plus montrer trop ostensiblement sa maîtrise. Alors, il fit courir son adversaire dans tous les sens. Le Maitre Forgeron feintait, se fendait en défense, paraît avec un style qui paraissait pour le moins décousu et plutôt comique.
Face à Ikki, Shaka faisait de même. Il tentait de faire croire que ses parades et ses attaques qui étaient toujours à deux doigts de faire mouche, ne tenait que du pur hasard. Le représentant de la Maison de Phénix commençait à sérieusement s'énerver et les harangues du Colonel Albior n'arrangeaient pas les choses.
De nombreux soldats s'étaient regroupés autour de l'espace de combat. La jeune recrue, le Chevalier d'Andromède, pointa son épée vers le Maitre Palefrenier et sourit. Celui-ci le regarda avec une grimace et haussa les épaules, résigné. Shun l'attaqua sans préambule et Shura dut reculer pour ne pas se faire tailler en pièces. Il ne s'attendait pas à une telle rapidité aussi prit-il le parti de miser sur sa propre agilité. Il se mit à courir dans tous les sens, bondissant sur un tas de bois, courut en équilibre sur le rebord d'un abreuvoir et sauta par-dessus une barrière. Mais c'était sans compter sur la persévérance du jeune homme qui ne le lâchait pas. Il fut contraint de lui faire face et de l'affronter. Simulant toujours des mouvements maladroits, il sentit son adversaire qui commençait à fatiguer.
- Que dirais-tu que l'on s'affronte, Albior ? fit une voix que le Colonel aurait reconnue entre des centaines.
- Maitre Dohko, ce sera un plaisir et un honneur pour moi !
L'attroupement avait attiré l'attention d'autres Chevaliers. Saga et Mikael se tenaient accoudés à une barrière et attendaient avec impatience de voir ce combat. Mais l'attention générale fut accaparée par un Maitre Tanneur qui semblait fuir devant le Chevalier Shiryu qui finit par partir d'un grand rire.
- Maitre Angelo ! s'esclaffa-t-il. Arrêtez de courir ainsi ! Je promets d'être gentil ! Allez ! Venez m'affronter !
- Gentil ? Me crois-tu donc incapable de te tenir tête ? Approche un peu, jeune présomptueux ! déclara le Maitre Tanneur avec emphase, faisant rire les spectateurs présents.
Il sauta du toit bas sur lequel il avait trouvé refuge et se redressa fièrement pour faire face à son adversaire. Le combat s'engagea, mais Angelo ne le prenait pas au sérieux. Il y déployait trop de dextérité. Un rappel à l'ordre déguisé de la part de Shaka le fit grimacer. Il n'aimait pas devoir jouer la comédie comme ça. Mais il fallait rester prudent et humble.
De l'autre côté de la cour, Dohko sortit son épée et se mit en garde devant Albior. Le Maître d'Armes était connu pour n'avoir aucune pitié. Lorsqu'il ne fabriquait pas de lames ou de pointes de flèches, il entraînait les soldats. Albior savait donc parfaitement à qui il avait à faire. Et affronter celui qui lui avait tout appris du combat à l'épée le faisait toujours autant jubiler. Il était fier aussi que celui-ci l'ait désigné pour le seconder quand il n'était pas disponible. Le Chevalier de Céphée était son digne apprenti et le plus indiqué pour lui succéder le moment venu.
Les deux hommes se mirent en garde et commencèrent à tourner l'un autour de l'autre. Leurs yeux ne se quittaient pas, guettant l'infime lueur qui leur indiquerait que leur adversaire passerait à l'attaque. Albior bougea le premier avec une rapidité surprenante. Dohko para aisément et le repoussa. Ils s'observèrent encore. Le Maître d'Armes fit des moulinets avec son arme en approchant du Colonel. De cette façon, il était impossible de savoir d'où viendrait le prochain coup. Le Chevalier de Céphée contra la lame, mais ne vit pas venir le coup de pied qui l'envoya au sol, trois mètres plus loin. Dohko le laissa se relever et se remit en garde. Sur cette troisième passe, ils échangèrent plusieurs coups. Ils se retrouvèrent garde contre garde. Albior plus massif que son adversaire voulut utiliser sa force pour le repousser, mais sa jambe d'appui fut balayée et il se retrouva encore par terre.
- Ça devient difficile de te tenir tête, lança le Maître d'Armes, ménageant ainsi la fierté d'Albior devant les soldats.
- J'ai progressé, mais pas encore assez pour vous battre.
- Un jour, tu me vaincras, n'en doute pas.
Dohko s'approcha pour l'aider à se relever, mais le Colonel mit son pied sur son ventre, tira sur la main qu'il tenait et projeta son instructeur par-dessus sa tête. Celui-ci atterrit sur le dos, resta un instant surpris et vif comme un chat, il se remit debout, en éclatant de rire.
- Tu veux encore jouer ?
- Oh oui ! C'est si rare de vous affronter que je ne vais pas bouder mon plaisir !
- Tant pis pour toi, Albior !
Dohko était le seul qui pouvait montrer ses capacités au grand jour. Et il ne se gêna pas, même s'il ne fit pas étalage de toute sa science. Après un bon moment, Albior finit sur le dos, les bras et les jambes en croix, un immense sourire sur les lèvres. Tout autour de l'espace de combat, les soldats applaudirent. Dohko lui tendit la main pour le remettre sur pied, mais lui lança un regard méfiant avant de le tirer.
- Ça m'a fait un bien fou ! déclara-t-il en regardant rapidement quelques-uns de ses compagnons qui comprirent le sous-entendu.
- Venez plus souvent, lui dit le Chevalier de Céphée qui époussetait sa tenue. Cela remonte le moral des hommes et ça les motive aussi.
- Avec la paix qui s'annonce, je n'aurai plus besoin de fabriquer autant d'armes. J'aurai plus de temps… Les troupes reviennent du front et c'est la première chose dont nous devons nous réjouir. Continue Albior, continue comme ça…
- Reprenez l'entraînement ! cria-t-il aux soldats qui obéirent, en souriant.
Les compagnons de Dohko s'éclipsèrent discrètement et retournèrent à leurs activités. La journée tirait à sa fin quand les chasseurs rentrèrent. Milo vit Gabriel qui rentrait chez lui et lui fit un geste de la main auquel son ami répondit par un hochement de tête. Shaina interpella Aïolia pour lui demander où était son cousin, mais le jeune homme feignit l'ignorance et l'arrivée de Marine lui donna le prétexte pour couper court aux questions que la jeune femme n'allait pas manquer de continuer à lui poser. Elle regarda le couple s'éloigner, à la fois triste et en colère qu'Aïoros n'ait pas daigné lui dire où il allait.
Ooooo00000ooooO
Le Maitre Archer regarda son ami s'éloigner en compagnie de cet Astérion non sans une certaine appréhension. Il reporta son attention sur les Créatures devant lui et comme il n'était pas tout à fait idiot, il supposa à juste titre que lui-même devait être le Seigneur de celles-ci.
- Tu dois être le Chef de ton peuple, n'est-ce pas ? demanda-t-il d'une voix teintée d'une certaine autorité.
- Oui, Seigneur, répondit la Créature en se redressant. Je me nomme Chiron (5) et je commande à la Horde des Centaures.
D'un geste, il invita Aïoros à le suivre. Il talonna Thunder et Chiron se porta à ses côtés, légèrement en retrait. Ils chevauchèrent un moment dans la forêt puis traversèrent une vaste plaine où Aïoros découvrit, ébahi, quelques dizaines de Centaures et de Centauresses en train de s'ébattre dans l'immense prairie. Il s'arrêta, époustouflé.
- Voici mon peuple, Seigneur. Nous sommes à votre service.
Il fut conduit au pied d'une barre rocheuse creusée de grottes. Là, deux femmes ou femelles, Aïoros ne savait pas encore comment les appeler, venaient d'allumer un feu et une couche de feuilles sèches avait été préparée.
- Un endroit où vous pourrez vous reposer, si cela vous convient, lui dit Chiron.
- Eh bien… Oui… C'est parfait… Merci…
- Inutile de nous remercier, nous ne faisons que notre devoir. Si je puis me permettre, peut-être devriez-vous déharnacher votre monture pour qu'elle se repose.
- Oh… oui, bien sûr…
Aïoros démonta et aussitôt, un jeune mâle s'occupa de Thunder. Le Maitre Archer se trouva soudainement tout petit face à Chiron. Il fut obligé de lever la tête pour le regarder et le Centaure sourit comme s'il avait suivi ses pensées. Il lui tendit la main et d'un bond, l'homme enfourcha la Créature. Celle-ci fit demi-tour et partit au petit trot. Surpris, Aïoros s'accrocha aux épaules dont il sentit la puissance sous ses doigts. Chiron se dirigea vers la plaine et harangua son peuple pour lui présenter son Seigneur. D'un même mouvement, tous s'agenouillèrent avec cette grâce particulière et baissèrent la tête. Puis elles se redressèrent et repartirent.
- Vous vivez ici depuis longtemps ? Personne n'a jamais fait mention de votre présence sur la presqu'île de Pallas, demanda Aïoros dont la curiosité était à son comble.
- Et pour cause. Nous n'apparaissons que lorsque notre Seigneur ou la Magie nous réveillent.
- Comment cela ?
- Nous sommes des Créatures Magiques créées par les Dieux dans le seul but de venir en aide aux humains quand cela est nécessaire.
- Je… J'ai le pouvoir de vous appeler ?
- Oui, mais là, c'est la Magie qui nous a invoqués. De graves évènements se préparent et notre intervention sera indispensable. Mais avant tout, nous devons accomplir le rituel qui va nous lier.
- Et qui est ?
- Mêler nos sangs.
Le Centaure sortit une dague du fourreau qu'il portait à la ceinture. Il referma le poing sur la lame et tira d'un geste brusque. Il ouvrit sa main ensanglantée et la tendit à Aïoros qui comprit qu'il devait faire la même chose. À son tour, il s'entailla la paume et prit la main de Chiron. Aussitôt, une lueur bleutée enveloppa leur poigne.
- J'ai du mal à comprendre, fit le Maitre Archer en regardant sa main qui cicatrisait déjà.
- Tout va vous être expliqué. Mais je pense qu'il vaut mieux que vous vous reposiez. Votre voyage a été long et certainement fatigant.
- J'avoue qu'être arrivé à destination est un soulagement. Même s'il va y avoir le voyage de retour…
Le Centaure sourit et indiqua la direction à suivre d'un geste de la main. Aïoros s'engagea sur le chemin, Chiron juste derrière lui. Le soleil se couchait et paraît les lieux d'une lumière féerique. La brise était tombée, tout semblait immobile. Ils arrivèrent devant une sorte de caverne pas très profonde où une paillasse de feuilles mortes avait été improvisée et qui lui servirait de lit. Autour du feu, deux Centauresses s'affairaient à faire chauffer de l'eau pour une et l'autre découpait des fruits.
- Il est tard pour chasser un gibier, mais j'espère que cela vous conviendra, expliqua Chiron.
- C'est parfait, merci.
- Tenez, Seigneur. Ces fruits sont mûrs à point.
Il leva les yeux vers la Créature et fut frappé par la délicatesse de ses traits. En particulier par la couleur ambrée de ses yeux qui semblaient scintiller dans la pénombre. Les yeux d'un prédateur, songea-t-il. Il la remercia d'un sourire et fit un sort aux mûres, framboises, fraises et pommes sauvages qui avaient été découpées avec soins et présentées dans une large feuille de renouée (6). Il but ensuite l'infusion que lui tendit l'autre Centauresse et s'endormit au son d'une lyre.
Lorsqu'il s'éveilla le lendemain, la lumière lui indiqua que la matinée était bien avancée. Il salua de la main des Créatures non loin de là et se dirigea vers un ruisseau qui coulait à proximité. Il se mit torse nu et fit quelques ablutions dans l'eau froide pour chasser les derniers vestiges du sommeil. De retour dans la caverne, il but une infusion offerte par une Centauresse et vit le Chef de la horde qui approchait.
- Désirez-vous chasser votre déjeuner ?
- Avec toi ? Sur ton dos ? demanda Aïoros en répondant au sourire de Chiron.
- Nous allons voir si vous méritez votre titre de Maitre Archer, le provoqua la Créature.
- Personne ne surpasse un Centaure au tir à l'arc ! se vanta une jeune femelle en lui tendant son arc et son carquois.
- Eh bien… pourquoi pas ? Je suis probablement le meilleur archer du Royaume, mais il y a bien longtemps que je ne me suis pas mesuré à un adversaire aussi bon, sinon meilleur que moi ! Allons chasser !
- Et pendant notre repas, je vous dirai tout ce que je sais !
Chiron cabra, Aïoros se cramponna de toutes ses forces et la horde partit au galop dans la plaine. Il sentit monter en lui une euphorie qu'il n'avait jamais éprouvée. Il avait envie de hurler sa joie. Instinctivement, son corps s'adapta aux mouvements de Chiron. Entre ses cuisses, il sentait les puissants muscles du dos se contracter et se détendre à chaque foulée. Il ressentait le martèlement des sabots de tous les autres dans chaque fibre de son être et son cœur battait à l'unisson au rythme du galop. Un frisson d'excitation intense le parcourut tout entier. Il s'aperçut aussi que la vitesse des Centaures était nettement supérieure à celle de chevaux ordinaires. Leurs corps étaient plus massifs et leurs réflexes plus vifs. Au loin, il vit un sanglier, un mâle énorme avec de redoutables défenses recourbées. Comme s'il l'avait entendu, Chiron se dirigea vers l'animal qui détala dans le sous-bois.
- Ça, c'est de la coordination ! s'écria-t-il en riant.
- Non, c'est le rituel qui nous permet de communiquer par la pensée, fut la réponse qu'il entendit dans son esprit.
Après l'instant de surprise passé, il sourit. Aïoros prépara son arc et encocha une flèche. Le Centaure prit le sanglier en chasse. Il se décala pour se placer sur son flanc. Le Maitre Archer banda son arc et décocha son trait avec une formidable précision. L'animal s'écroula, la flèche plantée en travers de la gorge. Et Aïoros remercia son entraînement avec Capella et son char.
- Pas mal pour un humain, sourit Chiron.
Un jeune Centaure hissa le sanglier sur le dos d'un second et la Horde reprit le chemin de la grotte au petit trot. À nouveau Aïoros observa les Créatures. Son regard fut particulièrement attiré par les femelles. Comme les mâles, elles étaient torses nus et leur musculature, même si elle était moins visible, n'en était pas moins puissante. Leur corps était plus fin, mais toujours plus volumineux que celui de Thunder. Au bord du lac, il vit ce qu'il pensa être un couple qui s'ébattait. La femelle se mit à galoper, suivit par le mâle qui la rattrapa, ou bien se laissera-t-elle rattraper. Elle cabra, menaçant son poursuivant de ses sabots, mais il les évita et réussit à l'enlacer avec ses bras avant de l'embrasser.
- C'est un rituel d'accouplement ? demanda Aïoros.
- Pas vraiment… Ils sont attirés l'un par l'autre et vont simplement partager les plaisirs de la chair, expliqua Chiron.
- C'est très beau…, murmura son cavalier, on dirait qu'ils dansent…
- Nous ne vivrons pas très longtemps cette vie, aussi en profitons-nous pour en savourer tous les plaisirs.
- Comment ça ? sursauta Aïoros qui s'en voulut d'avoir déjà oublié les raisons de sa présence ici.
- Notre éveil est subordonné à un conflit qui s'annonce dans un futur plus ou moins proche. Nous n'en reviendrons pas tous…
- Je suis désolé… C'est injuste…
- Mais c'est ainsi. Nous ne maudissons pas notre destin, après tout quand vous n'aurez plus besoin de nous, nous nous rendormirons jusqu'à la prochaine guerre.
- Vous êtes immortels en un sens, dit le Maitre Archer.
- En un sens… Mais cette immortalité nous coûte cher en souffrance physique lorsque nous sommes blessés et morale quand nous voyons l'un des nôtres mourir. Même si nous savons que nous le retrouverons, cela ne diminue pas pour autant la tristesse et la douleur de sa perte.
- Je crois que je comprends, même si j'ai du mal à appréhender cette idée.
- Nous voici arrivés. Katinga ! Il faut préparer ce sanglier pour notre Seigneur.
- Oui, Chiron.
- C'est ta compagne ? demanda Aïoros qui était de plus en plus subjugué par la beauté des Centaures et des Centauresses.
- Si l'on veut… C'est avec elle que je partage le plus souvent le plaisir des corps. Mais il n'y a rien d'exclusif.
Chiron s'allongea auprès du feu et Aïoros s'assit à ses côtés sur une grosse pierre. D'autres Créatures les rejoignirent. Le sanglier avait été découpé et l'odeur de la viande grillée s'éleva dans la grotte, mettant l'eau à la bouche de tous.
- Vous mangez comme les hommes ?
- Oui, mais nous faisons rarement cuire la viande. Nous la préférons crue. C'est en votre honneur que nous mangeons comme vous.
- J'apprécie le geste, sourit le Maitre Archer en mordant à pleines dents dans un morceau juteux. Alors Chiron, que dois-je savoir en ce qui concerne ma présence ici et le fait que vous me considériez comme votre Seigneur ?
Le Centaure sourit. Il vit ses compagnons se rapprocher pour entendre également ce qu'il avait à dire. Certains restèrent debout, d'autres s'installèrent comme lui.
- Nous sommes des Créatures Magiques créées par les Dieux pour venir en aide aux hommes quand des conflits, où la Magie va intervenir, s'annoncent. Si nous sommes là aujourd'hui, c'est que votre ennemi fera aussi appel à Elle.
- Qui est-il ?
- Je l'ignore, mais nous le saurons bien assez tôt. L'équilibre entre le Bien et le Mal ne doit pas être perturbé. Que la balance penche trop d'un côté ou de l'autre et ce monde disparaîtra.
- Tu veux dire que si le Bien domine, ce n'est pas une bonne chose ? s'étonna Aïoros.
- Le Bien ne peut exister sans le Mal. La nuit n'existe que parce qu'il y a le jour. C'est ainsi que les Dieux ont voulu que les choses soient.
- Et moi ? Quel est mon rôle dans tout ça ?
- Les Dieux, toujours eux, ont voulu que les hommes gouvernent ce monde. Mais il arrive parfois que la nature humaine, sa jalousie, sa duplicité, sa méchanceté, son orgueil la poussent à mettre cet équilibre en péril en faisant appel à la Magie. Celle-ci n'est ni bonne ni mauvaise. Elle est ce que les hommes en font. Et il semble que quelqu'un ait décidé de s'en servir pour perturber cet équilibre. Donc, pour le rétablir, des Créatures comme nous, ou les Minotaures que vous avez vus en arrivant ici, ainsi que d'autres, sont réveillées pour vous aider.
- Je ne comprends toujours pas ce que je fais là…
- Nous ne pouvons agir de notre propre initiative. Nous avons besoin de quelqu'un qui nous guide, sans cela nous sommes impuissants. Et ce rôle a été donné aux hommes. Du moins, à certains d'entre eux.
- Tu veux dire que… que ce sera à moi de vous mener au combat ?
- Exactement.
- Mais… Mais imaginons un instant que je sois une personne qui perturbe l'équilibre, vous me suivriez quand même ?
- Oui. Nous ne pouvons pas refuser de vous obéir. C'est ainsi.
- Mais vous êtes pourtant capable de faire la différence entre le Bien et le Mal ! s'écria Aïoros. Pourquoi accepteriez-vous de m'obéir si je vous disais, je ne sais pas… si je vous disais d'aller massacrer tout un village avec des femmes et des enfants innocents ?
- Parce que nous n'avons pas d'autre choix que de vous obéir, je vous l'ai dit. Nous avons été créés comme ça. C'est ce que les Dieux ont voulu. Si nous avions la possibilité d'agir par nous-mêmes, plus personne n'aurait de contrôle sur nous. Nous pourrions asservir les hommes et régner sur ce monde à votre place. Et nous ferions sans cesse la guerre aux autres Créatures qui sont des guerriers comme nous. C'est notre nature profonde. Les Dieux ont tous pouvoirs. Ils ont tout créé, tout réglementé, légiféré. Nous sommes les pions d'un jeu dont nous ignorons les règles. Et vous aussi.
Aïoros se perdit dans la contemplation des flammes du foyer devant lui. Les Dieux. La Magie. Mais que se passait-il donc ? Jusqu'à présent, il avait vécu une vie faite de devoirs envers son Roi. Il avait été élevé dans cet esprit de dévouement, de sacrifice et avait fait de son mieux pour s'y conformer. Bien sûr, il n'avait connu que la guerre avec tous ces maux. Et alors que la paix semblait enfin à leur portée, un moment que jamais il n'avait pensé vivre, voilà qu'il se découvrait Seigneur de Créatures Magiques parce qu'un nouveau conflit pointait à l'horizon. Alors jamais les hommes ne pourraient vivre en paix ? Y aura-t-il toujours une nouvelle guerre à mener ?
- C'est injuste, mais nous n'y pouvons rien, fit la voix de Chiron dans sa tête. Votre nature vous pousse toujours à vous combattre. Vous pensez qu'en écrasant votre voisin vous serez satisfait, mais il n'en est rien. Alors vous recommencez, encore et encore. Mais ce que vous ne comprenez pas, c'est que jamais vous ne serez apaisés. Il y aura toujours un homme qui en voudra plus. Le Bien et le Mal se côtoient en vous.
- Tous les jours, nous luttons contre le Mal en nous et il faut également que nous luttions contre celui qui se cache dans nos ennemis. Quand comprendrons-nous ?
- Peut-être jamais… mais il ne faut pas abandonner. Si vous baissez les bras, le Mal, l'obscurité, la haine, l'injustice régneront sur cette terre et dans vos cœurs. Même si vous ne serez jamais victorieux, vous devrez lutter en permanence pour sauvegarder cet équilibre.
- Empêcher l'autre d'être vainqueur sans jamais l'être soi-même… Il n'y a rien de plus frustrant…
Aïoros poussa un soupir de lassitude et de résignation. Il se demanda si Aliandro avait le même genre de conversation avec Astérion. Probablement.
- Avez-vous déjà combattu par le passé ? Je veux dire, y a-t-il eu un autre Seigneur des Centaures avant moi ?
- Oui, un de vos ancêtres. Cela s'est déroulé il y a environ mille ans.
- Mille ans ? Et depuis…
- Nous nous sommes rendormis au cœur de la Magie en attendant la venue du prochain. Vous.
- Tout cela est… c'est incroyable. J'ignorais qu'un tel pouvoir était détenu par la Maison de Sagittarius.
- C'est pour cela que votre blason représente un Centaure, sourit Chiron.
- Je croyais que c'était parce que mes prédécesseurs étaient les meilleurs archers à cheval.
- C'est aussi parce que vous possédez ce talent. Mais surtout parce que vous êtes nos Seigneurs.
- Les Dieux nous ont manipulés de tout temps. Nous ne sommes que des jouets entre leurs mains, gronda Aïoros qui commençait vraiment à prendre conscience que sa vie ne lui avait peut-être jamais appartenu.
- Ils sont des Dieux. Ce seul mot suffit à résumer tout ce qu'ils sont capables de faire pour tromper leur ennui.
- Comment ça ?
- Lorsqu'on est immortel, la vie peut s'avérer ennuyeuse au bout d'un moment. Alors ils cherchent un moyen de se divertir. Et ils le font au détriment des mortels que vous êtes. Et comme cela ne leur suffit pas, ils créent des êtres comme nous. Ils inventent aussi la Magie qui parcoure le monde et qui l'influence. Et ils observent et s'amusent.
- Qu'ils soient maudits ! hurla Aïoros faisant sursauter tous les Centaures autour de lui.
- Ne parlez pas comme ça, Seigneur, s'inquiéta l'un d'eux. S'ils vous entendent…
- Eh bien qu'ils m'entendent ! Ma vie n'est pas la mienne ! Celle de mes amis n'est pas la leur ! Les hommes n'ont jamais eu leur destin en main ! Que peuvent-ils nous faire de plus ? Je les maudis, mais ça les fera rire parce qu'ils savent qu'ils sont intouchables ! Ce sont des lâches !
Chiron comprenait très bien la fureur de son Seigneur et il ne trouvait pas les mots pour l'apaiser. Il savait par expérience qu'il n'y avait qu'une chose à faire. Se soumettre et accepter que les choses soient ainsi. Pourtant Aïoros avait tort sur un point, ou du moins n'avait-il pas conscience de cela. Il était parfaitement le maître de son destin dans la vie qu'il menait tous les jours. S'il décidait de s'entraîner jusqu'à épuisement, ce n'était pas dû à l'influence d'une quelconque Divinité, mais bien son désir profond.
Après, qu'il soit désigné pour mener la Horde de Centaures au combat, là c'était effectivement parce que les Dieux l'avaient voulu ainsi. Mais il renonça à lui expliquer cette nuance. Aïoros n'était pas en état de la comprendre. Il était trop en colère et encore sous le choc de ce qu'il avait découvert au cours de cette journée. Ainsi passa l'après-midi et le soir venant, ils mangèrent tous à nouveau autour du feu. Aïoros bâilla. Il avait besoin d'une bonne nuit de sommeil. D'un regard à Katinga, Chiron lui fit comprendre que leur Seigneur devait dormir paisiblement.
- Tenez Seigneur, une infusion qui vous aidera à digérer. Nous avons fait un repas copieux.
- Merci…, fit-il en plongeant son regard de celui de la Centauresse qui lui souriait d'un air qu'il aurait qualifié de maternel.
Peu après avoir bu la préparation, il sombra dans un profond sommeil. Sans effort apparent, Katinga le souleva dans ses bras et le déposa délicatement sur la couche de feuilles qui lui avait été préparée. Elle le couvrit avec sa cape en fourrure et s'allongea un peu plus loin. Chiron vint s'installer près d'elle et la prit dans ses bras. Ensemble, ils le regardèrent dormir.
- C'est un homme fort, murmura-t-elle.
- Et emporté.
- Il est jeune et manque d'expérience, mais avec toi à ses côtés, il s'aguerrira.
- De toute façon, il n'a pas le choix, tout comme nous.
- On dirait que tu le regrettes, fit-elle en se serrant davantage contre le Centaure.
- Non, c'est ainsi, comme je dis toujours. Il faut l'accepter.
- Tu as sans doute raison…
Ils échangèrent un baiser très tendre et finirent par s'endormir à leur tour…
Ooooo00000ooooO
Quand Aïoros s'éveilla, il faisait jour. Il s'assit et fourragea dans ses cheveux avant de passer ses mains sur son visage pour finir d'en chasser le sommeil. Devant la grotte, deux Centauresses étaient en train de se coiffer. Comme tous les autres, elles nattaient leurs longs cheveux de petites tresses qu'elles attachaient ensuite ensemble. Un mâle s'approcha et leur demanda de refaire quelques-unes des siennes. Il les observa un long moment, admirant leur beauté irréelle. Oui, les Centaures étaient beaux. Leurs traits étaient fins et délicats pour les femmes, virils et racés pour les hommes. Ils avaient une élégance naturelle qui forçait l'admiration. Quelle injustice que d'aussi magnifiques créatures doivent vivre si peu de temps et mourir au service de la folie des hommes.
Il regarda autour de lui et se demanda comment il était arrivé jusque-là. La seule chose dont il se souvenait de la veille, c'était le sourire de Katinga quand elle lui avait offert cette infusion. Il eut un petit rire. Il s'était fait avoir. Nul doute que la boisson ne l'avait pas seulement aidé à digérer, mais aussi à dormir. Il la remercia par la pensée. Ils étaient tous aux petits soins avec lui. Puis il se remémora tout ce qu'il avait appris la veille et son humeur s'assombrit quelque peu. Mais à bien y réfléchir, qu'y pouvait-il ? Rien. Tout comme ces Créatures Magiques qui n'avaient d'autre choix que de lui obéir aveuglément, il ne pouvait aller à l'encontre de son destin. S'il le devait, il les mènerait au combat. Sauf qu'il n'avait pas la moindre idée de la manière dont il fallait s'y prendre.
- Le moment venu, vous saurez comment faire, Seigneur, fit la voix grave et rassurante de Chiron dans son esprit.
- Dis donc, tu peux suivre ainsi toutes mes pensées ? songea Aïoros, pas très content de la chose. Ne puis-je en garder certaines pour moi ?
- C'est parce que votre esprit est ouvert aux quatre vents ! éclata de rire le Centaure. Rassurez-vous, je suis le seul à vous entendre. Je vous apprendrai comment verrouiller vos pensées. C'est assez simple.
- J'ai faim.
- Je sais, répondit encore Chiron, un léger rire dans la voix.
- Bonjour Seigneur, fit Katinga en entrant dans la grotte. Il reste de la viande, mais elle est froide. Désirez-vous une infusion chaude ?
- Volontiers, mais une qui réveille, pas qui endorme, rétorqua Aïoros, taquin.
La Centauresse lui rendit son sourire et s'activa.
- Vous aviez besoin de dormir, se défendit-elle, et nous devons prendre soin de vous.
- Je sais, je ne vous reproche rien. Et ça m'a fait du bien.
Chiron arriva à cet instant et le salua. Le Maitre Archer remarqua qu'il était mieux coiffé que la veille. Lui aussi semblait avoir refait ses tresses. Il portait aussi une cuirasse ainsi que son arc et son carquois.
- Que va-t-on faire aujourd'hui ?
- Je vais vous enseigner comment me fermer votre esprit. C'est simple et ensuite vous le ferez sans même y penser. Et nous pourrons aussi tirer à l'arc. Voudriez-vous essayer le mien ?
Aïoros regarda l'arme que portait Chiron. Elle avait une forme différente du sien. L'arc du Maitre Archer était fin, courbé de haut en bas alors que celui du Centaure était beaucoup plus épais.
- Quel bois avez-vous utilisé ? lui demanda le Centaure en désignant l'arme du doigt.
- De l'if. Et toi ?
- De l'aubépine.
Chiron emmena son Seigneur jusqu'à une petite cascade qui tombait dans un bassin. Le bruit de l'eau n'était pas assez fort pour être dérangeant. Il lui demanda de s'asseoir sur un rocher à sa hauteur et s'approcha de lui.
- Trouvez une position confortable et fermez les yeux. Respirez calmement et essayez de faire le vide dans votre esprit en vous concentrant uniquement sur la cascade. N'entendez qu'elle.
Aïoros s'appliqua. Après un moment, il n'entendait plus rien que l'eau qui tombait. Ni les trilles des oiseaux ni les coups de sabot, pourtant légers et involontaires de Chiron, juste l'eau.
- Vous entendez encore ma voix dans votre esprit.
- Oui…
- Imaginez-la recouverte par le bruit de la cascade… Il est plus fort que ma voix…
- D'accord…
- …ndez… voix… ou que… scade…
- Comment ?
- …
- Chiron ?
- Oui, Seigneur ?
- Tu m'as dit quelque chose ?
- J'ai dit "Entendez-vous encore ma voix ou que le bruit de la cascade ?"
- Je n'ai saisi que quelques syllabes et puis plus rien.
- Je vous ai encore parlé de la beauté et de la tranquillité de ce lieu, des nuages dans le ciel et du rouge-gorge sur la branche tout près de vous.
- Ah ? Je n'ai pas entendu.
- Parce que vous avez réussi à couvrir ma voix avec la cascade.
- Et maintenant, pourquoi est-ce que je t'entends à nouveau ?
- Parce que vous l'avez décidé, que vous avez besoin de communiquer avec moi. D'instinct, vous n'écoutez plus la cascade et vous vous concentrez à nouveau sur ma voix.
- C'est vrai que c'est assez simple, sourit Aïoros en ouvrant les yeux.
- Faites cet exercice plusieurs fois par jour, et dans quelque temps vous n'y penserez même plus.
- Mais dis-moi… je vais repartir à Égide. Si vous ne venez pas avec moi, comment vais-je faire pour te dire que j'ai besoin de vous, que le moment est venu ?
- Où que vous soyez sur cette terre, j'entendrai votre appel. C'est le lien que nous avons créé en mêlant nos sangs.
- Je vois… Mais pourquoi ne viendriez-vous pas avec moi ?
- Nous effraierions les populations. Et les Minotaures bien plus encore. Notre existence fait partie des mythes, des contes et elle doit le rester.
- Mais quand nous combattrons, vous serez découverts.
- Oui, mais ce sera dans le cadre d'une guerre. Il n'y aura que des soldats sur le champ de bataille. C'est par leurs récits que nous demeurerons une légende.
- Si tu le dis… Je trouve ça dommage… Nous gagnerions à vivre à vos côtés.
- Pour vous Seigneur, qui commencez à nous connaître, vous savez que nous sommes pacifiques, mais le peuple aura peur de nous. Il nous craindra. Il y a des histoires terribles qui courent à notre sujet. Le Centaure qui enlève les femmes ou le Minotaure violeur de vierges…
- Ont-elles un fondement ?
- Non, mais chaque belle histoire a forcément une version beaucoup plus sombre…
- Pourrais-tu vivre parmi les hommes ?
- Vous voulez m'atteler à une charrue ?
- Loin de moi une telle idée !
- Nous n'existons que pour combattre et rien d'autre.
- Je comprends… Une existence plus douce et calme pourrait tuer l'instinct guerrier en vous.
- C'est possible… Voulez-vous recommencer l'exercice ?
- Oui, recommençons…
Effectivement, Aïoros constata qu'à chaque tentative, la chose devenait plus aisée, plus naturelle. Chiron mit un terme à cet apprentissage et ils reprirent le chemin de la plaine. Pendant leur absence, les autres Centaures avaient installé des cibles à divers endroits et s'entraînaient au tir à l'arc. Ils se mêlèrent à eux et le Chef de la horde dut admettre que leur Seigneur était vraiment doué. Chaque trait touchait au centre.
- Ton arc est fait dans quel bois déjà ?
- De l'aubépine. Il faut qu'il résiste à ma force, expliqua le Centaure.
- Je peux ?
Chiron lui tendit son arme. Aïoros le regarda de tous les côtés, le soupesa, tira un peu sur la corde pour éprouver sa tension. Il prit une flèche, l'encocha et banda l'arc. Il comprit vite ce que Chiron avait voulu dire par "résister à ma force" Il eut beaucoup de mal à le maintenir en position de tir pour viser la cible et encore ne réussit-il pas à le bander totalement. Lorsqu'il lâcha la flèche, le choc du bois qui reprend sa forme d'origine se répercuta durement dans son bras. Son trait se ficha un peu à côté du centre de la cible.
- Vous êtes vraiment doué, le complimenta un jeune Centaure nommé Pholos (7).
Chiron reprit son arc et lorsqu'Aïoros le vit tirer dessus sans effort apparent, il prit la pleine mesure de la force physique de ces Créatures. À côté d'eux, Katinga s'entraînait également. Elle se servait du même genre d'arc que Chiron. La force des femmes était tout aussi impressionnante. Le Maitre Archer enfourcha son cheval et le monta à cru. Il apprécia sa chevauchée, mais il ne retrouva pas les sensations enivrantes qu'il avait éprouvées sur le dos de Chiron. Monter un Centaure était une expérience à nulle autre pareille et il était conscient de la chance qu'il avait eue.
Le soir, il y eut un cerf au repas, mais certains mangèrent la viande crue. Cela ne gêna pas leur Seigneur. Il les acceptait tels qu'ils étaient et de toute façon, il n'avait pas le choix. Et puis, il commençait à les aimer. Ils s'étaient montrés si accueillants, si gentils et attentionnés que l'idée que cette prochaine guerre fasse des morts parmi eux le révoltait de plus en plus. Un Centaure prit une lyre et entama une mélodie un peu mélancolique. Une Centauresse se mit à chanter. C'était certainement de la Langue Ancienne car Aïoros ne comprit pas un traître mot. D'autres chansons suivirent, créant une ambiance douce et chaleureuse autour du feu. Puis certains commencèrent à s'éloigner, cherchant un coin pour dormir ou s'aimer. Chiron s'approcha de son Seigneur.
- Prenez ceci, lui dit-il en lui tendant une pierre.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Une pierre de Boji (8). Elle a des pouvoirs Magiques. En réalité, elles vont par paire.
- Elle ressemble à celle que j'ai.
- Qui vous l'a donné ?
- Le Magicien Royal. Il a gardé la seconde. Il m'a dit que s'il avait besoin que je revienne rapidement, il s'en servirait. Mais j'ignore comment elles fonctionnent.
- Grâce à une incantation, on peut créer un passage entre les deux pierres. Si vous la prononcez en la posant au sol, un chemin s'ouvrira jusqu'à moi et la Horde l'empruntera pour vous rejoindre, où que vous soyez.
- J'en vois tout l'intérêt, murmura Aïoros à qui Shion n'avait rien expliqué par manque de temps. Mais comment vais-je les reconnaître l'une de l'autre ?
- Leur couleur. Chaque paire de pierres de Boji possède une couleur différente. Celle-ci, la nôtre, tire sur le vert, alors que l'autre a des nuances dorées.
- C'est vrai, même à la simple lueur du feu, on peut les distinguer. Dommage que je ne connaisse pas l'incantation, nous serions rentrés plus vite avec mon compagnon.
- Je peux vous l'apprendre, mais le passage risque de s'ouvrir à un mauvais endroit. L'ouverture ne peut se faire qu'à quelques mètres de la seconde pierre. Si votre Magicien se trouve chez lui, je ne crois pas qu'il verra d'un bon œil que vous débarquiez dans sa chambre à cheval.
- Non, je ne crois pas non plus, rit Aïoros. Ce n'est pas grave, nous voyagerons aussi vite que possible.
- Chiron, nous avons trouvé ce faucon, fit une Centauresse en tournant sa croupe où l'oiseau s'était posé. La Magie le possède, ajouta-t-elle.
- Il a un étui à la patte, fit le Maitre Archer.
- Ne le prenez pas sans gant. Ces serres vous arracheraient la main, le prévint la jeune femme.
Chiron s'avança et détacha le petit rouleau de cuir qu'il tendit à Aïoros. Celui-ci l'ouvrit et en sortit un morceau de parchemin qu'il déroula. Il sourit après l'avoir lu.
- Cet homme n'arrêtera jamais de me surprendre, fit-il en tendant le massage au Centaure qui sourit également.
- Vous vous demandiez comment rentrer au plus vite ? Voici votre réponse. Et il est certain que votre ami en a reçu un également.
La soirée tira à sa fin et tous allèrent dormir. Aïoros eut un peu de mal à trouver le sommeil, préoccupé par le message de Shion. Comment ce diable d'homme pouvait-il savoir où il se trouvait exactement ? Il n'était pas Magicien pour rien, à l'évidence. Il finit par s'endormir en songeant à son départ pour le lendemain matin. Il ne faisait aucun doute qu'Aliandro et lui auraient beaucoup de chose à se dire. Mais il était peu probable qu'ils aient beaucoup de temps pour ça. Shion utiliserait la Magie des pierres de Boji lorsque le soleil serait à son zénith. Les deux hommes devraient donc être prêts.
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Aïoros se dirigeait vers le sentier qu'ils avaient emprunté avec Aliandro en arrivant. À ses côtés, Chiron marchait, silencieux. Et derrière eux, une grande partie de la horde suivait. Ils arrivèrent au début du chemin ombragé par de grands chênes. Le Maitre Archer mit pied à terre. Il s'accroupit pour prendre une poignée de terre qu'il glissa dans une petite bourse en cuir qu'il avait sortie de sa veste.
- Ce geste a-t-il une signification particulière ? demanda Chiron, curieux.
- Non, pas vraiment. C'est juste… un souvenir. Quelque chose que je garderai précieusement lorsque… lorsque tout ceci sera fini…
- Voilà votre ami.
Aliandro arrivait sur Horn, encadré par un grand nombre de Minotaures. Ils se sourirent, se comprenant sans dire un mot. Astérion attrapa l'avant-bras de Chiron et les deux Créatures échangèrent un regard complice.
- Seigneur Aïoros, commença le Centaure, je vous offre mon cor d'appel, dit-il en lui tendant l'objet. Il a été taillé dans la corne d'Astérion.
- Mais… Il a les deux ! s'étonna le Maitre Archer.
- Elle repousse immédiatement, expliqua le Minotaure en riant. Le Seigneur Aliandro en a un également. Sur le champ de bataille, ils vous serviront à appeler ceux avec qui vous ne communiquez pas par l'esprit. Chacun à un son différent qu'ils reconnaîtront.
- Merci Astérion, nous en prendrons grand soin, fit Aliandro en posant une main amicale sur l'avant-bras musculeux de la Créature.
- Nous attendrons votre appel, reprit celui-ci en s'appuyant nonchalamment contre le flanc de Chiron.
Les deux hommes talonnèrent leurs montures et s'engagèrent sur le chemin qui allait les ramener au Lac Genei. À plusieurs reprises, ils se retournèrent, faisant un signe de la main. Ils chevauchèrent jusqu'aux abords du lac en silence. Maintenant qu'ils repartaient, ils se demandaient s'ils avaient vraiment vécu pendant deux jours avec des Centaures et des Minotaures. Ça paraissait tellement incroyable. Pourtant, le cor que chacun portait à ceinture était bien réel. Il était la preuve qu'ils n'avaient pas fait un rêve. Cette corne taillée ressemblait à n'importe qu'elle autre venant d'un taureau ordinaire.
- Alors ? fit enfin Aïoros en regardant son ami avec un sourire amusé.
- Je suppose que les mêmes choses nous ont été révélées, répondit le Maitre Bucheron sans détourner le regard de la route.
- Certainement. Comment se sont déroulés ces deux jours pour toi ?
Aliandro posa les yeux sur son ami, un sourire commença à naître sur ses lèvres puis il partit d'un grand éclat de rire qui secoua son immense carcasse.
- Tu veux vraiment savoir ?
À suivre…
Le prochain chapitre se déroulera encore au Sanctuaire
(1) Horn, le Percheron d'Aliandro. Voici une photo de l'animal monté pour vous donner une idée de sa taille en comparaison de l'adulte sur son dos.
(2) Genei : après quelques recherches, j'ai trouvé ce terme japonais qui peut être traduit de diverses façons : chimère, illusion, mirage, fantasmagorie, fantasme. J'ai choisi "mirage". Il s'agit donc du Lac des Mirages. Il est écrit Gen'ei, mais j'ai simplifié l'orthographe pour des raisons pratiques.
(3) Alta Kentaorys : Seigneur des Centaures en Langue Ancienne.
Alta Ménatrès : Seigneur des Minotaures en Langue Ancienne.
(4) Le mot "Minotaure" est issu du grec ancien Μινώταυρος / Minotốauros, qui signifie "le taureau de Minos". Ce mot est formé étymologiquement de Μίνως (Minos) et du substantif ταύρος (Tauros, soit "taureau"). Le taureau était connu en Crète sous le nom de "Astérion", un nom qu'il partage avec Astérion, le père nourricier de Minos. Source Wikipédia.
Mes Minotaures directement inspirés du magnifique personnage de Darkness (photo de la figurine) du film "Legend" de Ridley Scott de 1985. Je leur donne quand même une musculature plus massive et donc moins harmonieuse que celle de Darkness.
(5) Chiron : Dans la mythologie grecque, Chiron est un centaure, fils de Cronos et de l'Océanide Philyra, qui vivait dans une grotte sur le mont Pélion, en Thessalie. Réputé pour sa grande sagesse et ses nombreuses connaissances contrairement aux autres représentants de son espèce, il se vit offrir l'immortalité par les dieux et se fit confier par les hommes l'éducation de nombreux héros qui devinrent ses disciples, notamment Achille et Esculape. Héraclès tua Chiron par erreur, lors d'une bataille contre de nombreux centaures, il reçut une flèche empoisonnée par le sang de l'hydre de Lerne dans le genou. La blessure étant inguérissable et Chiron immortel, il demanda aux dieux le retrait de son immortalité pour cesser de souffrir. Zeus le transforma en constellation. Source Wikipédia.
Centaures et Centauresses.
(6) Renouée du Japon : La Renouée du Japon ou Renouée à feuilles pointues (Fallopia japonica, autrefois aussi nommée Polygonum cuspidatum ou encore Reynoutria japonica) est une espèce de plante herbacée vivace de la famille des Polygonaceae originaire d'Asie orientale, naturalisée en Europe dans une grande diversité de milieux humides[].
Cette plante herbacée très vigoureuse est originaire de Chine, de Corée, du Japon et de la Sibérie[]. Elle est cultivée en Asie où elle est réputée pour ses propriétés médicinales. Naturalisée en Europe et en Amérique, elle y est devenue l'une des principales espèces invasives ; elle est d'ailleurs inscrite à la liste de l'Union internationale pour la conservation de la nature des 100 espèces les plus préoccupantes[]. L'arbre atteint mètres de haut et ses feuilles mesurent entre 15 et 20 cm
(7) Pholos est un centaure dont la sagesse était comparée à celle de Chiron.
(8) Les pierres de Boji. Elles sont utilisées par paires, une pierre représente le principe masculin, soit le Soleil ou le Yin, l'autre pierre représente le principe féminin, soit la Lune ou le Yang. En tenant une pierre de chaque dans chaque main et en les rapprochant lentement l'une de l'autre, on sent nettement l'effet d'aimant produit par les deux polarités. Le Boji le plus lisse du duo est masculin, le plus rugueux, féminin. Excellent protecteur du corps physique, le Boji a le pouvoir de régénérer les tissus endommagés. Il renforce nos défenses contre les maladies transmises par les animaux et les plantes. Il comble la polarité manquante dans le corps et diminue malaises ou mal-être.
Pierres d'équilibre, elles harmonisent l'ensemble des chakras pour créer un pont entre les forces cosmiques et la terre mère.
Dans cette histoire je donne à ces pierres le pouvoir magique d'ouvrir des portails dimensionnels entre elles. Ainsi, Aïoros et Aliandro pourront revenir plus vite à Égide puisque Shion a gardé l'autre pierre.
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