Disclaimer : Tout l'univers de Saint Seiya que vous reconnaîtrez aisément appartient à Masami Kurumada. Je ne retire aucun profit de son utilisation si ce n'est le plaisir d'écrire et d'être lue. Les personnages de la mythologie appartiennent à tout le monde et les autres, ceux que vous ne connaissez pas, sont à moi.
Genre : Univers Alternatif Heroic Fantasy Médiéval Fantastic.
Aventure/Romance/Surnaturel. Certains couples sont très inhabituels. Het, Yaoi et lemon bien sûr.
Rating : M ou NC-18
Les Royaumes du Sanctuaire et d'Asgard, alliés indéfectibles, mènent une guerre contre le Royaume des Océans depuis plus de cent cinquante ans. Au moment où débute cette histoire, les raisons de cette guerre ont été oubliées. Non loin, le Royaume des Ténèbres se relève doucement d'une guerre de succession qui l'a laissé exsangue. Après avoir été ennemis, ils finiront par unir leurs forces pour faire face à une menace bien plus grande encore. De l'action, de la romance, du complot politique, de la magie et des créatures surnaturelles sont au rendez-vous avec de nombreuses références aux mythologies grecque et celtique ainsi qu'au manga original de Masami Kurumada. Het, Yaoi et lemon bien sûr.
Note de l'auteur : les chapitres qui n'étaient pas en ligne sur mon site Antarès vont l'être bientôt. Vous pourrez ainsi voir les photos qui s'y rattachent. Malheureusement pour les musiques, je n'ai pas encore réussi à résoudre le problème mais je garde espoir.
N'hésitez pas à donner votre avis et s'il vous plait, ne mettez pas l'histoire en suivi ou en favori sans expliquer pourquoi vous le faites. C'est important pour les auteurs de connaitre les raisons de votre choix. Merci.
Chapitre 24
Année 10219 de la Licorne, mois de mai, Royaume des Océans…
Le lever de soleil devait être certainement magnifique. Du moins, c'est ce que le Comte de Sirène aurait pu se dire dans d'autres circonstances. Depuis l'enlèvement de sa sœur, il avait du mal à trouver le sommeil et la fatigue, qui se faisait chaque jour plus lourde, se voyait sur son visage. Il avait les traits tirés, sa silhouette n'avait plus ce port altier qui le caractérisait. Il était vouté, ses yeux cernés étaient fuyants, souvent baissés comme s'il craignait que quelqu'un ne découvre, à travers son regard, le terrible secret qu'il cachait.
Comme il ne parvenait pas à dormir, il était descendu sur la plage et s'était assis sur un petit rocher. La mer était calme, le bruit des vagues s'échouant doucement sur la grève était doux et apaisant. C'était quelque chose qu'il appréciait en général mais là, c'était à peine s'il l'entendait. Tout juste était-ce une information qu'il engrangeait dans son esprit et qui le renseignait sur ce qui l'entourait. Son regard se perdit vers le large et il passa une main fatiguée sur son visage. La lassitude était devenue son quotidien comme la culpabilité qui le rongeait. Envers Thétis, qu'il n'avait pas su protéger pour exaucer l'un des derniers vœux de son père mourant, envers son Roi qu'il savait trahir en ne lui révélant rien de son dilemme. Que ne donnerait-il pas pour remonter le temps ? Repartir des années en arrière où il n'était qu'un jeune garçon jouant sur la plage avec sa petite sœur. Rentrer à la nuit tombée, les vêtements mouillés, du sable de partout et tremblants de froid. Entendre encore les reproches de leur mère qui houspillait les servantes afin qu'elles se hâtent de préparer des bains chauds pour que les deux enfants n'attrapent pas la mort. Faire de longues promenades à cheval avec leur père quand celui-ci rentrait chez eux. Revivre sans fin toutes ses années d'insouciance et de bonheur auprès de leurs parents… Avant que leur mère ne fasse une chute mortelle dans un escalier… avant que la maladie ne terrasse leur père… avant que Thétis ne lui soit ravie…
Une légère brise marine se leva, jouant avec les mèches parme de sa chevelure. Il respira profondément. Il ne savait plus quoi faire. Combien de temps parviendrait-il à donner le change à son entourage ? Et ce bourdonnement incessant dans sa tête ! À devenir fou ! Il devrait en parler à Antée. Le Médecin Royal saurait peut-être quelque chose à ce sujet…
- Alta Elyfis Maris(1).
- Qui est là ? s'écria-t-il en regardant de tous les côtés.
L'aube était assez avancée maintenant pour lui révéler si quelqu'un se trouvait sur la plage. Mais où qu'il regarde, il n'y avait personne. Soudain, un bruit d'éclaboussures attira son attention vers l'eau. Là, il distingua deux ombres. Pensant qu'il s'agissait de dauphins qui s'étaient trop approchés du bord, il les regarda s'ébattre. Le ballet qu'ils offraient était très beau et peu d'hommes avaient eu la chance de les surprendre ainsi au point du jour. Ils jouaient, sautaient l'un par-dessus l'autre, s'éloignant dressés sur leur queue pour revenir taquiner leur partenaire. Un léger sourire vint se poser sur les lèvres de Sorrento. Il fut soudain pris d'une irrésistible envie de se joindre à eux pour s'amuser lui aussi. Cela faisait si longtemps que ça ne lui était plus arrivé.
- Oui… viens avec nous…
Il se figea alors qu'il venait de mettre les pieds dans l'eau. Il regarda encore autour de lui, mais il n'y avait toujours personne. Il était tout seul sur cette plage. Pourtant, il entendait des voix, des rires. Alors une fois qu'il eut éliminé toutes les possibilités, que restait-il, aussi improbable que cela pût être ? Allons ! Les dauphins, ça ne parle pas ! C'est alors que les deux silhouettes s'approchèrent de lui. Et là il eut le désir irrépressible de s'enfuir en courant très vite et en hurlant comme un dément. Mais il était tétanisé par la peur. Aussitôt les deux êtres prirent chacun une main. Sous le poids, il tomba à genoux dans l'eau. Les créatures étaient à moitié humaines mais elles n'avaient pas de jambes. Leurs corps se terminaient par de longues queues de poisson ornées d'ondoyantes nageoires translucides et pleines de grâce.
- Mais qu… qui… qui êtes-vous ? bégaya-t-il, d'une voix effrayée.
- Ne crains rien, dit en souriant celle qui avait un buste de femme. Nous venons nous mettre à ton service…
- Tu sais ce que tu dois faire, poursuivit celle qui ressemblait indéniablement à un homme, sans pour autant répondre à la question. Tu comprendras tout…
Bien que son esprit soit fatigué, Sorrento n'hésita pas. C'est comme s'il avait perçu un chemin lumineux dans sa tête et s'était mis à le suivre. D'instinct, il savait qu'il pouvait avoir confiance et ce qu'il devait faire fut clair. À sa ceinture, il empoigna sa dague et la sortit du fourreau. Les deux Créatures présentèrent leur main ouverte que Sorrento entailla sans la moindre hésitation avant de couper la sienne. L'eau de mer piqua la blessure et il grimaça mais poursuivit le rituel. Il mit en contact sa plaie avec les deux autres, fasciné par la lueur bleue qui entoura leurs mains.
- Je me nomme Agénor(2) et voici ma compagne, Ligéia(2)
- Nous sommes les Elfes des Mers et tu es notre Seigneur. Désormais, tu entendras nos voix dans ta tête et tu pourras nous appeler où que tu sois.
- Je ne comprends pas… Qu'est-ce que cela signifie ?
- Laisse la Magie Ancienne t'enseigner tout ce que tu dois savoir, reprit l'homme. Ouvre ton esprit…
L'avait-il décidé ? Y avait-il été obligé ? Il sentit se déverser dans sa tête une somme colossale d'informations toutes centrées sur les Créatures qu'il avait devant lui. Ce qu'elles étaient. Ce pour quoi elles existaient. Qui il était pour elles, quels étaient leurs pouvoirs. Les siens. Et tout cela était lié à la Magie Ancienne et aux Dieux.
- Pourquoi ? fit-il en pensée.
- En résumé, disons que de grands bouleversements approchent et que tu auras besoin de nous, expliqua Ligéia.
- Et avant que tu ne poses la question, nous ignorons de quoi il s'agit. Mais nous ne serons pas les seuls, poursuivit Agénor.
- D'autres Créatures comme vous ?
- Oui.
- N'êtes-vous que deux ?
- Non, sourit la femme. Huit en tout, mais Agénor et moi sommes les seuls avec qui tu peux communiquer. Un dernier détail… Si nous pouvons tous les deux agir dans la mer…
- … Ligéia est la seule à pouvoir intervenir dans les eaux douces des lacs et des rivières avec les autres femelles.
- Pourquoi ?
- Ainsi l'ont voulu les Dieux, répondit Ligéia. Nous savons aussi ce qui te ronge…
À cette phrase et devant l'air compatissant de la jeune femme, Sorrento eut d'abord peur. Une peur panique. Et brusquement, il éclata en sanglots et couvrit son visage de ses mains. Agénor entoura ses épaules d'un bras tandis que sa compagne entamait un chant doux et apaisant qui finit par calmer le Comte. C'était comme si cette mélodie le réchauffait de l'intérieur et lui redonnait de l'espoir. Comme si elle lui faisait entrevoir un avenir beaucoup moins sombre qu'il ne l'imaginait lui-même. Alors il se confia à eux, il leur raconta l'enlèvement de Thétis et le chantage d'exerçait sur lui le Roi Hadès. Il parla aussi de la promesse faite à son père et de la culpabilité qu'il éprouvait à ne pas l'avoir honorée. Les deux Elfes échangèrent un regard.
- Agénor, tu surveilleras les côtes tandis que j'essaierai de remonter autant que possible les rivières qui coulent aux environs de la Cité de Giudecca. Peut-être arriverai-je à obtenir des informations.
- Allez-y à plusieurs, conseilla Agénor. Vous irez plus vite.
- Vous feriez ça ? Pour moi ? s'étonna Sorrento, éperdu de gratitude et immensément soulagé d'avoir pu en parler à quelqu'un, même s'il s'agissait d'étranges inconnus.
- Bien sûr, Agénor, moi, et les autres Elfes des Mers sommes prêts à tout pour toi, Seigneur. Je te contacterai si j'apprends quelque chose…
- Et même si tu ne découvres rien, insista le frère de Thétis.
- Nous allons te laisser, maintenant, sourit Agénor. Et… le moment venu, appelle-nous…
- Oui… appelle-nous…
Elles s'éloignèrent vers le large et disparurent dans les profondeurs sombres de l'océan. Sorrento, encore dans l'eau, commença à se demander s'il n'avait pas rêvé tout ce qui venait de se passer. Mais la cicatrice de l'entaille dans sa main était encore visible et un peu sensible. Il réalisa qu'il avait des milliers de questions qui se bousculaient dans sa tête et qu'il n'avait pas eu la moindre occasion d'en poser une seule. Les deux Créatures avaient orienté la conversation sans lui laisser la plus petite chance d'en découvrir davantage. Mais à bien y réfléchir, il savait tout ce qu'il y avait à savoir. Du moins, de son point de vue... Il sortit de l'eau et regagna son appartement au Palais de Corail qui commençait à s'éveiller. Il croisa deux servantes qui le regardèrent surprises de sa mise mouillée et à qui il demanda de lui préparer un bain bien chaud.
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Quelque part, au fond de la mer…
Agénor et Ligéia nageaient très vite vers leurs congénères qui les attendaient, curieux d'en savoir un peu plus sur leur Seigneur. Ils racontèrent leur entrevue puis tous se dirigèrent vers le massif corallien qui leur servait de refuge. Alors qu'ils s'en approchaient, une ombre immense les surplomba. Surpris, ils s'arrêtèrent.
- J'ai envie de dire "quel plaisir de vous revoir" mais ce serait déplacé vu qu'à chaque fois que les circonstances nous réunissent, c'est pour nous battre encore, fit une voix grave et résonnante.
- Rinjin ! s'exclama Ligéia en nageant vers lui.
- Bonjour petite Elfe !
Les autres s'approchèrent de l'énorme Dragon des Mers et tourbillonnèrent autour de lui en guise de salut.
- Nous battre encore et mourir, compléta tristement Agénor. Ton Seigneur t'a invoqué ?
- Non, la Magie, tout comme vous.
- C'est d'autant plus inquiétant, intervint un autre Elfe. Nous allons certainement affronter des Créatures que nous avons déjà combattues.
- Nous allons au-devant d'une guerre comme il y en a eu très peu…, fit le Dragon des Mers énonçant là une certitude.
- Nous ne pouvons qu'attendre, déclara Agénor, une lueur de fatalisme dans ses yeux d'argent. De plus, notre Seigneur a de gros soucis.
Ligéia raconta au Dragon des Mers les ennuis dans lesquels Sorrento était empêtré. La Créature plissa les yeux puis les baissa.
- C'est bien si vous pouvez l'aider, si vous pouvez trouver quelque chose à quoi il pourra se raccrocher. Il doit avoir l'esprit serein si nous voulons qu'il soit efficace le moment venu. Rien ne doit le faire hésiter dans ses décisions.
- Si tu l'avais vu, soupira Ligéia, il est anéanti.
- Moi aussi de mon côté je tendrai l'oreille… Qui sait ce que je pourrais entendre… Bien. Je dois retourner dans la Mer des Cyclopes.
- Et nous surveillerons les côtes ici. À bientôt Rinjin.
Le Dragon des Mers s'enfonça dans les profondeurs sombres des eaux et augmenta sa vitesse. Il lui fallait faire le tour du Royaume d'Amazia pour rejoindre la Mer des Cyclopes. Il repensait à ce que lui avaient raconté ses amis à propos de leur Seigneur. De toute évidence, le Comte n'avait pas vraiment pris conscience de ce qu'impliquait pour lui le réveil des Elfes des Mers. Alors Rinjin prit une décision dont il ignorait pour l'instant, si les conséquences seraient bonnes ou mauvaises.
- Kanon, j'ai quelque chose à te dire…
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Poséidon avait ordonné de grands travaux de réfection d'Atlantis et de ses alentours, en particulier de la route qu'allaient emprunter la Princesse Saori et sa suite pour atteindre le Palais de Corail. Les bâtiments étaient décrépits et même délabrés pour certains. Alors depuis quelques jours, la Cité bourdonnait comme une ruche. Le retour du front des soldats commençait à se faire sentir. Une partie d'entre eux avait déjà été libérée de ses obligations militaires et il n'était pas rare de voir, sur les chemins s'éloignant de la Cité dans toutes les directions, des hommes, à pied ou bien à cheval, lourdement chargés de leurs effets personnels qui partaient rejoindre les foyers qu'ils avaient laissés avant d'être enrôler dans l'armée.
De gros chariots faisaient des voyages incessants entre les plages où ils étaient remplis de galets et les routes où ils étaient vidés pour boucher les ornières et égaliser la surface. Et en attendant les travaux de pavement avec des dalles en pierre, les galets feraient l'affaire pour redonner un aspect entretenu.
Les habitants aussi faisaient de leur mieux pour réparer leurs maisons. Du moins, la façade qui était visible de la route. Les volets étaient changés ou réparés ainsi que les portes, les vitres cassées remplacées. Les petits jardins étaient déblayés même s'il n'y poussait pas beaucoup de choses. Les caniveaux étaient nettoyés. Plus on approchait du Palais, plus les maisons étaient hautes. Certaines comportaient jusqu'à trois étages et des échafaudages avaient été construits pour accéder aux fenêtres. À l'entrée d'Atlantis, un groupe d'une dizaine de déserteurs, qui avaient été capturés, était en train de reconstruire une partie d'un mur d'enceinte qui s'était écroulé. Le Roi avait approuvé l'idée de Kanon d'utiliser des prisonniers pour ce genre de travaux. Alors, c'était sous les cris, les insultes et parfois les coups de fouet que les hommes accomplissaient leur travail en râlant contre les soldats qui les surveillaient sans montrer la moindre compassion à leur égard.
Dans l'enceinte du Palais, des serviteurs dégageaient les mauvaises herbes des jardins à l'abandon depuis trop longtemps. Et à l'intérieur des dizaines de personnes s'employaient, jour après jour à laver les sols de marbre, à cirer les planchers. Les tentures des fenêtres étaient décrochées pour être lavées. Les tapis n'avaient pas été battus depuis si longtemps que la cour où ils avaient été pendus était recouverte d'un nuage de poussière qui en faisait éternuer plus d'un. Les décorations murales, elles aussi, avaient droit à un nettoyage en règle. Des femmes, armées de longs balais, traquaient les toiles d'araignées dans les moindres recoins. Et lorsque les plafonds étaient trop hauts, elles appelaient quelques hommes qui montaient un échafaudage pour atteindre les voutes et les ogives. Les vitres étaient raclées pour décoller la couche de poussière et de suie qui émanait des cheminées. Le travail à accomplir avant l'arrivée de la Princesse était colossal.
Alors qu'il se dirigeait vers le bureau de son père, le Prince Julian s'arrêta devant une porte ouverte. Il leva les yeux vers le linteau et reconnut, gravé dans la pierre, le Trident. Sauf que là, il y en avait deux entrelacés. Il n'y avait jamais fait attention jusqu'à ce jour. Il entra dans la pièce et s'arrêta, étonné. Elle était immense. Son regard passa lentement sur tout ce qui s'y trouvait. D'abord les trois larges fenêtres ouvertes qui laissaient entrer la lumière de cette fin de matinée ainsi que la douce tiédeur d'une légère brise. La cheminée était gigantesque. Six hommes auraient pu se tenir de front et debout dans le foyer. Accrochées au plafond, trois roues en fer forgé venaient de faire peau neuve et de nouvelles bougies avaient été installées. Derrière des paravents de bois blanc en moucharabieh(3), un grand bassin vide en marbre d'un gris bleuté pouvait aisément accueillir trois ou quatre personnes. Le Prince haussa un sourcil, se demandant si cela avait déjà été le cas. Contre le mur, deux hippocampes servaient à amener l'eau par leurs bouches. Le Prince admira le remarquable travail de sculpture des deux statues dont la précision des détails les faisait presque paraitre vivantes. De grosses perles noires avaient été incrustées dans le marbre et donnaient à leurs regards une étrange profondeur. Comme s'ils détenaient des secrets millénaires…
Au milieu de la pièce, entre les deux premières fenêtres, il y avait une table basse ovale assez grande entourée de plusieurs fauteuils larges en bois travaillé et recouvert de cuir blanc et de fourrure de loutre. Les accoudoirs représentaient des dauphins plongeants et les pieds avant, une gueule de requin ouverte. Et au centre, juste derrière les meubles, il y avait une fontaine en marbre bleu. Simple mais chargée de symbole. La vasque principale devait faire trois mètres de diamètre et était encastrée dans le parquet. En son centre s'élevait un pilier cintré qui supportait une seconde vasque plus petite couronnée de trois Tridents disposés en triangle. L'eau jaillissait des pointes centrales et retombait en créant un son reposant. Julian mit sa main dans l'eau et lécha son doigt. Salée. Toutes les décorations aquatiques du Palais étaient alimentées par de l'eau de mer grâce à un système ingénieux et complexe de pompes et de vases communicants.
Et contre le mur du fond, il y avait un lit. Un lit aux dimensions stupéfiantes. Julian n'en avait jamais vu d'aussi grand. Si le bassin pouvait accueillir quatre personnes, le double aurait tenu dans le lit. Le baldaquin était en soie bleue claire brodée d'un grand Trident. Les différentes nuances des fils donnaient une impression de relief au symbole du Royaume des Océans.
Sur la tapisserie murale qui surplombait la tête, une fresque marine mettait en scène des créatures appartenant aux contes et aux légendes que les parents racontaient aux enfants. Le Prince reconnut une pieuvre géante, un Dragon des Mers, des Elfes des Mers chevauchaient des hippocampes, des dauphins sautaient et au-dessus de la scène un homme et une femme nus, d'une beauté invraisemblable, semblaient veiller sur tous ces êtres imaginaires. Des voiles arachnéens d'un blanc virginal terminaient le baldaquin. Ils étaient si fins que Julian se demanda à quoi ils pouvaient bien servir. Certainement pas à préserver l'intimité de la couche. Puis il remarqua un second jeu de rideaux beaucoup plus épais de la même couleur. Il n'y avait pas de draps. Il avisa un serviteur.
- Quelle est cette chambre ? lui demanda-t-il.
- C'est la Chambre Nuptiale, Altesse. Elle est préparée pour votre nuit de noces.
- Il n'y a pas de draps ?
- Le tisserand vient seulement de les commencer. Ils ne seront utilisés que pour cet évènement, comme le veut la tradition.
Julian jeta un dernier regard à la pièce et sortit. La Chambre Nuptiale. Il n'en avait jamais entendu parler. Son père en saurait davantage, sans aucun doute. Il croisa Liadan qui s'inclina devant lui. Il échangea quelques mots avec elle puis repartit vers le bureau du Roi en songeant que Kanon n'allait plus tarder à rentrer. Il était curieux de savoir ce qu'il avait découvert sur sa véritable identité. Son père l'accueillit en souriant et ne cacha pas sa surprise quand son fils lui demanda des précisions sur cette chambre.
- Elle est le berceau de notre famille. Tu as été conçu dans ce lit. Tout comme moi ainsi que mon père et tous les souverains des Océans.
- Cela veut dire que je dormirai là avec… avec ma femme… jusqu'à ce qu'elle soit enceinte ?
- Oui, c'est la tradition, mon fils.
- Les traditions sont faites pour être changées. Elles sont une source d'immobilisme et un état qui n'évolue pas est condamné à disparaitre.
- Mais elles sont aussi nécessaires à la stabilité de cet état. Elles sont le point commun qui unit le peuple. On ne change pas les traditions ou les coutumes, on les améliore. Elles font partie de la culture et de l'histoire d'un royaume. Respecter les traditions ne veut pas dire refuser de progresser.
- Mmh… Qu'allez-vous m'apprendre aujourd'hui, père ?
Poséidon eut un petit sourire. Julian changeait de sujet car il ne trouvait plus d'argument à opposer à ceux du Roi.
- Comment améliorer une loi qui protège l'intérêt commun et individuel dans les échanges commerciaux internes. C'est un travail long et complexe en collaboration avec les Ministres de la Justice et du Commerce…
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À cette distance et sous la lumière de ce soleil de printemps, le Palais de Corail semblait briller comme une perle fine. Kanon eut un sourire et un soupir de soulagement. Il n'était pas mécontent d'en terminer avec ce voyage. Les découvertes qu'il avait faites suffiraient à tenir sa femme et son fils éveillés pendant de longues soirées. Au loin, sur une large route qui venait de l'ouest, il entrevit une colonne de soldats qui rentraient du front. Une preuve de plus que cette guerre était bien terminée. Le Duc était content d'arriver tôt. Ainsi il aurait tout le temps de se décrasser dans un bon bain et surtout, de se détendre. Son voyage de retour lui avait permis de penser longuement à tout ce qu'il avait appris. Mais il n'arrivait pas encore à appréhender tout ce que cela allait changer dans sa vie. Il était né sur les terres du Sanctuaire, ennemi juré des Océans depuis des dizaines d'années, et par le plus grand des hasards, il s'était retrouvé à commander l'armée qui luttait contre leur voisin. Hakurei lui avait assuré dans la lettre qu'il avait laissée avant son décès que sa famille vivait de la pêche. Il n'avait aucun sang noble dans les veines et pourtant aujourd'hui, il était Duc. La vie est parfois bien surprenante…
Puis, il songea à sa mère. Savait-elle que les Ducs de SeaDragon étaient les Seigneurs d'une créature fantastique ? Glaucos lui en avait-il parlé ? Jamais elle n'y avait fait allusion devant lui. Tout du moins, ne s'en souvenait-il pas. Il faudrait qu'il en parle à Antée. Le Magicien aurait peut-être d'autres informations à lui fournir. Le genre que seul un Magicien justement peut détenir. Il tapota affectueusement l'encolure de Golden et le mit au petit trop. Il franchit les remparts et se dirigea immédiatement vers les écuries. Il confia son destrier à un palefrenier avec des instructions précises pour les soins de l'animal qui avait bien mérité d'être dorloté après un tel voyage.
Lorsqu'il entra dans son appartement, celui-ci était vide. Il appela deux servantes pour se faire préparer un bain. Il se dévêtit et donna ses vêtements à nettoyer avec ceux qu'il avait dans son sac. Il laissa échapper un gémissement de plaisir quand il entra dans l'eau chaude. Il posa la tête sur le rebord du baquet et ferma les yeux. Rapidement la somnolence le gagna. Bien qu'il soit un soldat rompu à la vie en plein air, il appréciait son confort. Il frissonna et appela pour qu'on lui porte encore des seaux d'eau chaude. Au serviteur qui entra, il lui demanda de lui frotter le dos et où était sa famille et son écuyer. Kynan avait fini l'école et il continuait à apprendre à monter à cheval avec sa mère sous les conseils avisés d'Ethain. C'est propre et détendu que le Duc se rendit chez le Roi. Ce dont il devait discuter avec son Souverain était d'une priorité absolue. Et puis, il préférait profiter encore un peu d'un calme relatif. Kynan allait certainement le harceler de questions.
Poséidon accueillit Kanon avec une joie sincère et Julian le serra dans ses bras, visiblement ravi. Il leur raconta en détail son périple et les deux hommes reconnurent bien volontiers que se retrouver devant sa propre tombe devait vraiment être déstabilisant. Lorsqu'il arriva à sa rencontre avec Rinjin, il s'arrêta et demanda la présence d'Antée. Curieux d'une telle requête et devinant qu'elle était véritablement nécessaire, Poséidon accepta.
- Sire, commença Kanon une fois qu'Antée les eût rejoints, puis-je suggérer que nous nous installions confortablement. Ce que j'ai à vous révéler risque de vous surprendre.
De plus en plus intrigué, le Roi accepta. Ils s'assirent tous les quatre autour de la table basse du salon et le silence s'imposa dans l'attente du récit du Duc.
- J'ai fait une étrange rencontre lors de mon voyage de retour. Une rencontre liée à la Magie. Je ne pense pas que Julian en ait entendu parler, mais peut-être que vous Sire, ou toi Antée, pourrez m'apporter des informations.
- Cesse de tergiverser, Kanon, s'impatienta Poséidon. De quoi s'agit-il ?
- Je…, hésita-t-il encore une fois. J'ai rencontré un Dragon des Mers, finit par lâcher d'une traite.
Julian eut un petit rire et se demanda combien de pintes de bière le Général avait bues pour voir ce genre de chose. Mais son sourire retomba bien vite quand son regard se posa sur son père et le Magicien. Poséidon avait mis une main devant sa bouche comme s'il voulait retenir un cri, quant à Antée, ses yeux étaient clos et son teint était brusquement devenu blême.
- Raconte-moi tout, murmura ce dernier.
Kanon lui expliqua comment il avait découvert Rinjin sans omettre le moindre détail. À mesure qu'il parlait, Antée reprenait des couleurs mais son malaise restait profond.
- Père, tu savais que les SeaDragon cachaient un tel secret ? demanda le Prince.
- Oui, bien sûr. Mais chaque Souverain espère de toutes ses forces que ces Etres ne seront pas invoqués de son vivant.
- Pourquoi dis-tu "ces Etres" ? Il n'y a qu'un seul Dragon des Mers.
- Non… Un autre homme commande aussi à des Créatures Magiques. Et il est certain qu'elles ne tarderont pas non plus à s'éveiller comme ce… Rinjin, si ce n'est déjà fait.
- Qui ? firent Kanon et Julian dans un parfait ensemble.
- Je ne peux le révéler avant que cela ne s'avère. Mais ça ne saurait tarder…
- Antée, le Dragon m'a-t-il vraiment dit la vérité ? N'a-t-il pas exagéré ? fit Kanon, coupant court à l'insistance dont il savait que Julian allait faire preuve envers son père, sachant parfaitement que le Roi n'en dirait pas plus.
- Malheureusement non. Il doit même être en dessous de la vérité. C'est une tempête colossale qui secoue les Flux Magiques depuis plusieurs semaines. Même si ces derniers temps ils semblent être plus ordonnés, ils n'en restent pas moins d'une puissance comme je n'en ai jamais ressenti.
- Et les étoiles délivrent toujours le même message ? s'enquit le Roi.
- Oui, mais une configuration gigantesque semble prendre forme. Il faudrait que je tente une transe pour essayer d'en savoir plus.
- Je sais que c'est un exercice dangereux, poursuivit le Souverain et que tu ne le fais qu'en cas d'absolue nécessité.
- Et nous sommes dans ce cas, Sire. De plus, j'ai la désagréable impression que les évènements se précipitent, comme si certaines choses devaient s'accomplir avant un moment précis, une date butoir, déclara-t-il en se levant. Je ferai ça ce soir.
Antée salua les trois hommes et se retira. À nouveau le silence écrasa la pièce. Chacun plongé dans ses pensées, ils réfléchissaient. À vrai dire, Kanon attendait la réaction de Poséidon et de Julian face au fait qu'il était natif du Sanctuaire. Il avait déjà remisé le Dragon des Mers dans un coin de sa tête et ne songeait plus qu'à ces titres et son statut sur lesquels il ne se sentait plus aucun droit.
- Kanon, dit enfin le Roi, quelle que soit ta naissance, ça ne change rien pour moi. Tu es mon Ministre des Armées, le Général en Chef des Marinas et le Duc de SeaDragon. Tout ceci t'appartient parce que tu t'en es toujours montré digne. Peu importe comment tu es arrivé dans la vie de tes parents. Leur sang ne coule peut-être pas dans tes veines, mais tu as su respecter leur enseignement. Tu rends hommage à leur éducation et à l'amour qu'ils t'ont porté toute leur vie. Tu t'es voué corps et âme aux Océans et ça, personne ne pourra jamais dire le contraire. Surtout, ne change pas. Reste celui que tu as toujours été, celui à qui j'ai confié une partie de l'éducation de Julian. Et quand je vois le résultat, je ne peux que me féliciter de mon choix.
- Je suis tout à fait d'accord avec mon père, enchaina le Prince. Je n'aurais pu avoir de meilleur instructeur ni… ni de meilleur ami.
Kanon sentit sa gorge se serrer. Les paroles du Roi et du Prince balayèrent une grande partie de ses inquiétudes et il était heureux. Mais malgré ce qu'ils venaient de lui dire, il n'était pas totalement certain que leur comportement à son égard ne changerait pas. Un doute subsistait. Il voulait y croire, se persuader que tout serait comme avant mais il était prudent et attendrait de voir de ses propres yeux que leurs agissements s'accordent avec leurs mots. Il les quitta et regagna son appartement. Liadan et Kynan seraient peut-être rentrés…
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Kynan courait dans les couloirs. En rentrant de sa promenade à cheval avec Ethain et sa mère, il avait bien vu que Golden était dans sa stalle. Il avait crié de joie et était parti comme une flèche vers le Palais. Liadan avait dû le menacer de le punir pour qu'il se calme. Après tout, un futur Duc doit savoir se tenir en toutes circonstances. Le petit garçon s'était mis à marcher devant eux, les faisant sourire. Mais arrivé dans le couloir où se trouvait leur appartement, il était reparti comme un démon.
Il entra dans le salon avec un "Papa !" retentissant qui fit sursauter Kanon qui s'était assoupi dans un fauteuil devant la cheminée. Il reçut son fils dans les bras et le garda contre lui tout en saluant son épouse et son écuyer.
- Alors ? As-tu fait des progrès à cheval ? lui demanda son père en replaçant une mèche de cheveux derrière la petite oreille.
- Oui. Maintenant je galope.
- Oui, quand je suis en croupe, précisa Ethain en souriant.
Kynan eut une moue boudeuse qui les fit rire. Il comptait garder cela secret jusqu'à ce qu'il soit prêt à galoper seul.
- C'est déjà bien, le complimenta son père, qui suivait des yeux son épouse qui allait et venait dans la pièce, en silence.
Il capta le regard d'Ethain et d'un léger mouvement de tête, il lui désigna Kynan. L'écuyer habitué à comprendre les moindres expressions et gestes de son Seigneur, appela le petit garçon, disant qu'il était temps de prendre son bain. Après avoir arraché à son père la promesse qu'il lui raconterait une histoire avant d'aller dormir, il obéit.
Liadan eut un soupir dont elle n'aurait su dire s'il était de soulagement ou de crainte. Parce qu'elle était bien décidée à faire valoir ses arguments. Elle finit par s'asseoir dans l'autre fauteuil et leva enfin les yeux sur son mari.
- Alors ? Comment s'est passé ton voyage ?
- Il a été instructif, répondit évasivement Kanon qui avait bien perçu la tension dans la voix de sa femme.
- Et c'est tout ? Qu'as-tu découvert ? insista-t-elle.
- Des choses surprenantes… comme le fait que je sois un enfant adopté…
- Adopté ? répété Liadan qui sentit brutalement sa détermination s'effilocher.
Kanon lui raconta comment il avait été recueilli par le Duc et la Duchesse de SeaDragon, qu'il n'avait aucun souvenir de sa vie avant ce qui était de toute évidence un naufrage, qu'il avait peut-être un frère jumeau encore en vie, mais il ne parla pas de Rinjin. La compassion qu'il lisait sur les traits de Liadan se serait certainement transformée en colère. Elle aurait pensé qu'il se moquait d'elle. Puis soudain, il vit son visage se fermer. Allons bon. Quoi encore ?
- Ta petite protégée est bien arrivée, commença la Duchesse d'un air pincé. Je l'ai prise en charge comme tu me le demandais dans ta lettre et je lui ai trouvé une place aux cuisines. Elle a aussi une petite chambre à l'étage des filles-mères. Comme ça tu sauras où la trouver.
C'était donc ça. Kanon sourit et son regard dériva vers les flammes de l'âtre. Liadan était jalouse et elle semblait bien décidée à obtenir des réponses à ses questions.
- Tu as bien fait, répondit-il doucement. Cette fille mérite mieux que ce qu'elle avait…
- Où l'as-tu rencontré ?
- Dans une auberge où j'ai passé la nuit. Elle faisait le service.
- J'imagine bien quel genre de service, grinça Liadan qui commençait à se mettre en colère.
- Oui, ce genre là aussi, ne démentit pas le Duc, mais contrainte et forcée la pauvre. C'était ça, ou bien la tôlière l'aurait renvoyée avec sa fille. Et elle n'avait nulle part où aller.
- Elle aurait pu rentrer chez elle, par exemple, et trouver un autre travail que… que celui-là.
- Elle n'a plus de chez elle.
- Et tu étais obligé de coucher avec elle ? cria la jeune femme, à bout de nerfs.
Kanon se tourna vers sa femme, le regard dur. Pendant un instant, elle crut qu'il allait la gifler pour avoir haussé le ton. Il plissa les yeux et lui raconta l'histoire de Fenella.
- Je suis responsable de la mort de son père. Je l'ai envoyé se battre.
- Non ! Ce sont les soldats du Sanctuaire qui l'ont tué ! C'est cette guerre absurde !
- Tu vois les choses comme elle, mais pas moi. Et je ne l'ai pas séduite. C'est elle qui est venue à moi.
- Et tu ne pouvais pas lui dire non ? s'entêtait Liadan, qui voulait absolument qu'il se sente coupable.
- Ma résistance a ses limites, même lorsque je suis fatigué.
- Tu n'as pas dû résister beaucoup !
- Dis-moi, reprit Kanon d'un ton calme mais où perçait l'agacement, qui crois-tu avoir épousé ? Un parangon de fidélité ? Où est-il écrit dans notre contrat de mariage que nous nous devons fidélité ?
- C'est une notion implicite du mariage, se défendit-elle au bord des larmes.
- Depuis quand ? Donne-moi le nom d'un seul homme qui n'ait jamais trompé sa femme. Je suis certain que ton ancien employeur doit s'en donner à cœur joie ! Remarque, avec la femme qu'il a, ce n'est pas surprenant. Et tu sais quoi, Liadan ? Même les femmes ne sont pas fidèles à leurs époux. Elles sont juste plus discrètes, c'est tout. C'est la seule chose que je te demande si tu décides de prendre un amant. La plus grande discrétion.
- Quoi ? s'étouffa-t-elle ? Tu voudrais que je te trompe ?
- Je n'ai pas dit ça. J'ai dit que je voulais que tu sois discrète si tu venais à le faire, c'est tout.
- Et tu ne dirais rien ? Tu accepterais que je m'offre à un autre ?
- Comment pourrais-je te reprocher ce que moi-même je fais ?
- Tu ne m'aimes pas… lâcha-t-elle dans un sanglot.
Nous y voilà, songea le Général. L'amour. Il savait que Liadan était amoureuse de lui. S'il ne l'avait pas épousée, elle aurait continué à l'aimer sans rien attendre en retour. Mais peut-être avait-elle mal interprété ce mariage, ou bien s'était-elle persuadée inconsciemment qu'il l'avait faite Duchesse parce qu'il avait fini par l'aimer. Oui, Kanon avait beaucoup d'affection pour sa femme, ou plutôt il serait plus juste de dire pour la mère de son fils. Il appréciait beaucoup la jeune femme. Elle était douce, tendre et toujours disposée à accomplir son devoir conjugal lorsque lui en éprouvait le besoin même si elle n'initiait jamais leurs ébats. Mais il n'était pas amoureux d'elle. Et elle venait de le comprendre. Mais que vouloir de plus ? Elle était Duchesse, son fils avait une vie aisée. La paix qui allait s'établir ferait d'elle la maitresse d'un château et d'un immense domaine et un jour, tout serait à Kynan. Elle n'avait rien demandé mais les faits étaient là. Et elle venait de prendre douloureusement conscience que la seule chose qu'elle désirait, elle ne l'obtiendrait jamais. Elle le sentit s'accroupir devant elle et poser ses mains sur le tissu de sa robe.
- Bien sûr que je t'aime, pour toutes sortes de raisons. Mais je ne suis pas amoureux de toi. Je t'ai toujours dit que tu méritais quelqu'un qui saurait t'aimer comme tu le souhaites.
- Mais un tel homme n'aurait pas aimé Kynan comme toi tu l'aimes.
- C'est fort probable, mais il est mon fils et le nom qu'il porte le protège. Je sais que tu te sens blessée et je n'ai pas voulu ça. Mais il faut que tu sois plus forte. Mon père a trompé ma mère et peut-être qu'elle l'a fait aussi. Mais c'est ensemble qu'ils ont toujours affronté les épreuves. Encore une fois, je regrette que tu n'aies pas connu Maïa. Elle t'aurait appris tellement de choses, elle t'aurait aidé. Et elle t'aurait aimé, j'en suis sûr.
- Ça me fait tellement mal… sanglota Liadan, j'aurais encore préféré que tu nies tout, mais tu as avoué cela si facilement, si naturellement… Je crois que… Pour toi ça parait normal alors que pour moi, c'est… c'est une trahison.
- Plus les sentiments sont forts, plus c'est douloureux lorsqu'ils sont bafoués, je sais. Mais maintenant que tu sais à quoi t'en tenir, ne sois pas offusquée lorsque tu entendras des rumeurs de couloirs qui me mettent en cause. Personne ne se moquera de toi parce que ton mari est infidèle. Personne ne dira que c'est parce que tu ne le satisfais pas. C'est juste que les choses vont ainsi, c'est tout.
À travers ses larmes elle grimaça un piètre sourire en réponse à celui de Kanon qui caressait sa joue. Puis il l'embrassa tendrement. Mais bien vite, il prit possession de cette bouche qui répondit passionnément à la sienne. Le Duc savait comment se faire pardonner. Il avait su trouver les bons mots pour calmer la colère de son épouse et pour lui faire admettre qu'il n'avait rien fait de répréhensible. Tout juste si Liadan ne s'était pas sentie coupable de lui avoir fait une scène de jalousie. Et après avoir tenu sa promesse et raconté une histoire à Kynan, une bonne partie de la nuit, il s'évertua à lui donner l'illusion qu'elle était la seule femme qui comptait pour lui. En un sens, c'était vrai… Il dormit profondément sans se douter un seul instant que, cette nuit-là, l'un de ses pairs allait faire le même genre de rencontre Magique que lui…
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- Kanon, j'ai quelque chose à te dire…
La voix claqua dans son esprit et le réveilla en sursaut. Il s'assit sur le lit et regarda sa femme endormie à ses côtés. Il soupira et passa ses mains sur son visage. Quel rêve venait-il de faire ?
- Tu ne rêves pas, il faut que je te parle…
- Rinjin ? Mais… Le jour se lève à peine…
- Kanon, c'est de la plus haute importance.
- D'accord, un instant, répondit le Duc qui était maintenant bien réveillé.
Il se leva et enfila une robe de chambre. Encore un peu empêtré dans les brumes du sommeil, il gagna le salon. Là, il remua les braises du feu mourant et jeta deux grosses buches dedans. Rapidement une belle flambée crépita dans l'âtre. Il se laissa tomber sur un fauteuil, face aux flammes, une pomme à la main.
- Alors ? De quoi s'agit-il ?
Rinjin lui raconta tout ce que lui avaient révélé les Elfes des Mers. Il perçut très bien la stupeur dans l'esprit de son Seigneur. Stupeur qui se transforma en colère. Il considérait Sorrento comme un ami très proche et qu'il ne lui ait rien dit le décevait énormément.
- Ne sois pas si intransigeant, mets-toi à sa place…
- Je sais bien… Quel que soit notre dévouement au Royaume, notre famille est toute aussi importante.
- Que vas-tu faire ?
- Allez le voir. Le Roi m'a dit qu'il y avait un autre homme qui commandait à des Créatures Magiques. Mais j'étais loin d'imaginer que c'était lui. Et toi, tu le savais ?
- En ce qui concerne les Océans, oui. Mais je ne pouvais t'en parler avant qu'elles ne se manifestent. Pour celles que nous opposeront nos ennemis, elles sont nombreuses. Je ne sais pas qui elles seront.
- Merci Rinjin.
- À ton service…
Kanon sentit la présence dans son esprit s'estomper puis disparaitre complètement. Son regard se fixa sur le feu. Il ne savait que penser. Il essayait de mettre de l'ordre dans tout ce qu'il venait d'apprendre et surtout, il se demandait comment il allait aborder le sujet avec le Premier Ministre. Tous ici connaissaient Thétis et aimaient la jeune femme. Elle était pétillante et vive, toujours souriante et à l'entrainement plus d'un avait fait les frais de sa hargne au combat. Il décida de ne pas y aller par quatre chemins. Il s'habilla rapidement et gagna l'appartement de Sorrento qui se trouvait au même étage que le sien. Il frappa à la porte mais n'obtint aucune réponse. Il tourna la poignée, ce n'était pas verrouillé. Sans faire de bruit, il traversa le salon vers la chambre. Là, sous les fourrures il vit une forme et une touffe de cheveux parme qui dépassait. Aussi silencieux que possible, il raviva le feu et s'assit devant la cheminée. De là, il voyait le visage endormi de son ami. Endormi mais loin d'être serein s'il en jugeait par la ride profonde qui lui barrait le front et lui donnait un air soucieux. Mais il fallait qu'il le réveille.
- Sorrento, fit-il d'un ton calme mais d'une voix assez forte. Sorrento, répéta-t-il en ne voyant aucune réaction.
Légèrement agacé, il alla s'asseoir au bord du lit et secoua doucement l'épaule de son ami. Celui-ci gémit, ses yeux papillonnèrent et s'écarquillèrent de surprise lorsqu'il reconnut Kanon.
- Mais qu'est-ce que tu fais là ? Que se passe-t-il ? C'est le Roi ? s'inquiéta immédiatement le Premier Ministre.
- Le Roi va bien. Il faut que nous ayons une petite discussion toi et moi.
- Et ça ne pouvait pas attendre un peu ? grogna Sorrento en se redressant sur son lit.
- Je crois au contraire que tu as déjà trop attendu.
- Quoi ? rétorqua le Comte en fuyant le regard du Duc. Qu'est-ce que tu racontes ?
- Où est Thétis ? demanda brutalement Kanon, sachant qu'il valait mieux percer l'abcès de suite, même si c'était douloureux.
- Chez nous, au château de Sirène.
- C'est faux. Elle a été enlevée par le Roi Hadès depuis plusieurs semaines.
- Qu'est-ce que tu racontes ? s'écria le Premier Ministre en bondissant hors du lit et en enfilant sa robe de chambre. Où as-tu été chercher une idée pareille ?
- Je ne fais que répéter ce que tu as confié à tes Elfes des Mers.
Sorrento se tourna lentement vers Kanon. Son teint était livide et ses yeux ne reflétaient plus que de la colère et de la haine. Jamais le Duc ne l'avait vu ainsi. Il savait que physiquement, le Comte ne faisait pas le poids face à lui, bien qu'il soit un redoutable guerrier. Et c'est ce qui le rassura en voyant le meurtre dans les yeux roses qui le fixaient.
- Comment le sais-tu ? Tu étais sur la plage ? Si jamais tu en parles, je te…
- Quoi donc ? le coupa Kanon. Tu me tues ? Tu t'en crois capable ? De toute façon tu n'as pas le choix.
- Comment as-tu eu cette information ?
- Si je te réponds, me feras-tu confiance ? Laisse-moi t'aider, Sorrento.
- M'aider ? Et comment comptes-tu t'y prendre ? Ce que j'ai fait relève de la haute trahison. C'est la peine de mort qui m'attend.
- Je suis certain que le Roi comprendra.
- Oui, peut-être, mais il ne pourra pas laisser passer ça. Il devra me condamner sinon tout le monde fera tout et n'importe quoi. Tu le sais aussi bien que moi puisque tu as déjà exécuté des déserteurs sans leur donner la moindre chance de s'expliquer.
L'argument fit mouche. La forme était différente mais le fond restait le même. Sorrento se détourna et fit quelques pas dans le salon. Il était à bout de nerfs. Quand il sentit la main de son ami sur son épaule, s'en fut trop et il s'effondra en larmes dans les bras de Kanon. Celui-ci le réconforta du mieux qu'il put du geste et de la voix. Le Comte finit par se calmer. Il n'était plus seul à porter ce terrible secret, et si d'un côté il se sentait soulagé, d'un autre, il culpabilisait d'impliquer le Duc dans ses problèmes et il s'en excusa en se dégageant de ses bras.
- Il ne s'agit pas d'un problème qui te concerne uniquement. Nous sommes tous concernés. Attendons de voir ce que tes Elfes pourraient apprendre. On ne sait jamais…
- D'accord… merci… Au fait, tu ne m'as pas répondu.
- A quoi ?
- Comment sais-tu tout cela ? Je te fais confiance, à ton tour.
- Les Elfes des Mers ont dû te dire qu'il existait d'autres Créatures Magiques.
- Effectivement…
- Je suis le Seigneur du Dragon des Mers. Il se nomme Rinjin.
- C'est donc cela que je ressens…, murmura Sorrento après avoir accusé le coup. Tu sembles avoir… je ne sais pas comment dire… une sorte de présence un peu étrange…
- Magique ?
- Je crois que c'est le mot le plus adapté, oui.
- Je perçois la même chose à ton égard.
- Et… où est ce… Dragon ?
- Quelque part en mer.
- Tu… il te parle… là ? demanda Sorrento en pointant son index vers son front.
- Oui, sourit le Duc, oui il me parle dans mon esprit. Le Roi, Julian et Antée savent pour Rinjin et Poséidon sait que tu es le Seigneur des Elfes des Mers.
- Quoi ? Mais comment ? s'affola à nouveau le Comte.
- Il m'a expliqué que les Souverains des Océans savent que des Créatures Magiques existent pour protéger le Royaume. Tous espèrent qu'elles ne seront pas invoquées de leur vivant. Mais il sait que ta lignée protège ce secret comme il savait pour les SeaDragon. Il ne m'a pas dit que c'était toi, mais il s'attend à ce que tu lui en parles d'un jour à l'autre.
- Évidemment puisqu'il sait pour ton Dragon, soupira le Premier Ministre.
- Dis-le lui sans parler de l'enlèvement de Thétis pour l'instant. On va réfléchir toi et moi à une solution.
- Crois-tu que je n'ai pas déjà retourné tout ça dans tous les sens pour la trouver la solution ? s'énerva Sorrento.
- Je me doute que oui, mais un nouveau point de vue est toujours utile. J'irai avec toi voir le Roi quand tu lui diras pour les Elfes. Antée devra aussi être là. Il est le plus au fait de ces phénomènes qui relèvent de la Magie.
- D'accord, finit par capituler le Comte qui s'affaissa sur lui-même comme si un énorme rocher venait de lui tomber sur les épaules.
- Bien. Que dirais-tu de manger un morceau pendant que nous discutons de tout cela ? proposa le Duc qui sentait son estomac se tordre douloureusement. Et je ferai dire à ma femme que je suis en réunion avec toi.
- Si tu veux, murmura Sorrento qui s'enferma dans le cabinet d'aisances pour assouvir un besoin naturel.
Kanon appela un serviteur qui s'empressa de répondre à ses désirs. Il revint un peu plus tard suivi de deux servantes avec des plateaux chargés de galettes de miel et de fruits secs. Ils s'attablèrent et si le Duc mangea de bon appétit, le Comte ne faisait que grignoter du bout des lèvres.
- Ton épouse est venue me demander où était Thétis, lui confia Sorrento. Je lui ai dit qu'elle avait dû se rendre sur nos terres pour une question d'intendance.
- Tu fais bien de me le dire que je ne commette pas d'impair si elle m'en parle.
- Par contre, il va falloir faire attention à Isaak.
- Pourquoi ?
- Thétis et lui ont une liaison.
- Ça n'a pas l'air de te réjouir, sourit Kanon en buvant une gorgée de vin.
- Elle est trop bien pour lui.
- Mmh… je vois… tu aurais préféré qu'elle épouse un homme… comme moi ?
- Je l'avoue… mais maintenant tu es marié.
- Isaak est quelqu'un de très bien. Ces terres sont parmi les plus vastes et les plus fertiles du Royaume.
- Il manque de maturité, il n'a pas le sens des responsabilités.
- Rappelle-moi quelle est sa charge déjà ? demanda Kanon, un sourire en coin.
- Ministre de la Just…, s'interrompit Sorrento, comprenant que son ami venait de se moquer gentiment de lui.
- Et pour proposer des lois, les régir et les faire appliquer avec impartialité, tu crois qu'il n'a pas le sens des responsabilités ?
- Ce n'est pas ce genre de responsabilités dont je parle.
- C'est ça… Tu es en train de te chercher des excuses. Isaak et Thétis forment un très beau couple et que ça te plaise ou pas, ils ont une liaison. Et ta sœur est suffisamment mature et intelligente pour ne pas se laisser abuser par les beaux discours du premier venu qui ne voudrait que la mettre dans son lit.
Sorrento poussa un soupir de résignation. Bien sûr Kanon avait raison, il le savait. Mais alors où était le problème ? Son regard tomba sur la petite étoile de mer en or qu'il avait laissée sur son chevet. Le pendentif de Thétis. Sa petite sœur. Elle avait grandi, tout simplement. Lui voyait encore une petite fille insouciante, toujours à rire et à s'amuser. Elle était devenue une belle jeune femme en âge d'être amoureuse et d'être aimée. Le temps avait-il accéléré sa course ? Il avait l'impression que c'était hier qu'ils s'amusaient tous les deux dans les étangs proches du Château de Sirène, sur les plages au pied de la bâtisse. Un sourire mélancolique adoucit ses traits fatigués. Il reprit pied dans la réalité lorsqu'il vit devant ses yeux une coupe de vin que lui tendait Kanon. Il lui sourit franchement.
- Ne t'inquiète pas. On va la retrouver et on fera payer Hadès pour ça, fit ce dernier en terminant sa boisson.
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Poséidon venait de lire une lettre du Roi Mitsumasa où celui-ci l'informait du retard du voyage de la Princesse Saori. Son trousseau n'était pas terminé et elle tenait beaucoup à le finir avant de partir. Son départ serait reporté après la Fête de l'Été. Le Souverain des Océans eut un sourire de compréhension et s'avoua que cela l'arrangeait. Ainsi, cette fête pourrait être dignement célébrée. Depuis fort longtemps, il ne s'agissait que de quelques festivités, juste pour dire que la coutume avait été respectée, mais là il y avait beaucoup de choses à commémorer. La Fête de l'Eté en elle-même, la fin de la guerre et ces festivités seront suivies du mariage de Julian et Saori. Ce serait une année mémorable, sans aucun doute. Et ce retard permettrait d'organiser tout ça au mieux. Le Roi voulait que tout soit fait en grand. Depuis trop longtemps, le peuple était privé de ce genre de célébrations. Il n'y avait plus que la Course des Trois Rivières qui méritait de porter encore le nom de fête. Et elle ne durait qu'une journée.
La Fête de l'Été, c'était autre chose. Trois jours de réjouissances sans aucune limite. Il y avait les rituels incontournables qui consistaient à faire des offrandes de lait, de miel et d'épis de blé de l'année précédente à la terre pour lui demander d'offrir de la nourriture en abondance. De grands feux étaient allumés, les musiciens se retrouvaient pour faire danser les gens, des farandoles s'improvisaient autour des buchers, des cochons, des volailles, des moutons et du gibier étaient rôtis et le vin et la bière coulaient à flots. La nuit venue, les esprits étaient échauffés et les corps s'entremêlaient dans des étreintes rapides et intenses ou bien plus langoureuses et très tendres. La légende disait que les enfants conçus lors de ces trois nuits seraient bénis des Dieux. Et tous les royaumes faisaient leur possible pour célébrer ces jours uniques dans l'année. Même les moins riches.
Le Roi nota qu'il lui faudra en parler à la prochaine réunion du Conseil Royal. Il s'octroya une pause avec une coupe de vin doux, le regard perdu sur la mer des Titans qui s'étendait à perte de vue depuis les fenêtres de son bureau. De l'autre côté se trouvaient des Royaumes et des Souverains qu'il allait falloir reconquérir. Les diplomates auraient fort à faire avec cette prochaine paix qui s'annonçait. Il termina son vin quand un page l'informa que le Duc de SeaDragon et le Comte de Sirène souhaitaient le voir. Il fronça les sourcils, imaginant une mauvaise nouvelle. Les deux hommes pénétrèrent dans la pièce et s'inclinèrent avant de prendre place sur les sièges que leur indiquait Poséidon. Dès que Sorrento l'informa de l'éveil des Elfes des Mers, le Roi fit appeler Antée.
- C'est donc bien plus grave que nous ne le pensions Sire, fit ce dernier avec un profond soupir de lassitude.
- La transe t'a-t-elle révélé de nouvelles choses ? demanda Kanon qui s'inquiétait vraiment de la tournure que prenaient les choses.
- Malheureusement oui, répondit le Magicien. Le message concernant le Roi Hadès est toujours bien présent et il semble qu'un conflit avec lui soit inévitable. Mais ce qui m'effraie davantage, c'est la configuration qui se met en place. Elle est gigantesque. Jamais je n'ai vu une telle chose et elle semble annoncer également une bataille. Une nouvelle guerre, j'en ai bien peur.
- Cela remet-il en cause le mariage du Prince ? demanda le Roi qui avait du mal à cacher son inquiétude.
- J'ai aperçu les étoiles qui semblaient le concerner, mais ça ne m'a pas paru plus grave que ça. Alors je dirais que son mariage n'est pas menacé. Tout au plus sera-t-il retardé par les évènements.
- J'ai reçu un courrier qui m'annonce que le voyage de la Princesse est reporté, dévoila Poséidon. Pour des raisons mineures mais qui semblent lui tenir à cœur.
- Est-ce cela que tu as vu ? s'enquit Sorrento qui tremblait qu'Antée n'ait quelque chose se rapportant à Thétis.
- Non, mais sans que j'aie pu déterminer de quelle façon, elle est en grave danger.
- Saori est menacée, nous allons au-devant d'un conflit contre Hadès mais une guerre plus grande encore se profile si j'ai bien tout compris, résuma Kanon.
- C'est en tout cas, ce que je peux interpréter pour l'instant, confirma Antée en regardant son Roi comme s'il voulait se faire pardonner de ces mauvaises nouvelles.
Poséidon se leva et fit quelques pas vers la fenêtre. Il faisait une très belle journée. Le soleil brillait sur la Mer des Titans qui miroitait. Une légère brise agitait la végétation luxuriante. Tout était si calme qu'il était difficile de concevoir que la violence et la cruauté d'une guerre allaient encore s'abattre sur le pays.
- Nous reparlerons de tout ceci au Conseil Royal cet après-midi. Je vous remercie, messieurs.
Il ne manquait que le Marquis des Lyumnades au Conseil. Le Roi, qui semblait connaitre les raisons de son absence, fit taire les questions auxquelles il ne répondit pas. Après avoir informé les Ministres présents du retard de la Princesse Saori, il révéla l'éveil des Créatures Magiques. Kanon et Sorrento répondirent de leur mieux aux interrogations de leurs pairs qui prirent à leur tour la mesure du danger.
- Antée, intervint le Baron de Kraken, sait-on si ce conflit se déclenchera bientôt ? Ou bien a-t-on un peu de temps devant nous ?
- C'est difficile à dire, répondit le Magicien Royal. Mais je pense qu'il se produira avant la fin de l'année. Je ne peux pas être plus précis.
- Alors il faut nous organiser dès à présent, déclara Kanon. Les soldats sont de plus en plus nombreux à revenir du nord. Ils comptaient certainement rentrer chez eux mais je vais devoir encore les garder dans les casernes.
- Pourquoi ne pas utiliser les engagés volontaires ? Avec les hommes de ma police, ils seront bien assez nombreux pour défendre Atlantis si c'est nécessaire.
- Oui, mais nous devons aussi protéger les villes et les villages, argumenta le Général de SeaDragon en regardant son ami.
- Nous confierons cette défense aux hommes qui rentrent chez eux. La plupart sont des paysans, mais ils savent aussi manier une épée maintenant. Et de toute façon, quel que soit notre ennemi, sa cible première sera Atlantis.
Kanon écarta les mains en signe d'assentiment. Krishna avait raison. C'était une règle élémentaire de la guerre : affaiblir, voir même détruire le centre de commandement. Il fut donc décidé que les hommes qui avaient été recrutés deviendraient les protecteurs de leur ville ou village sous forme de milice armée.
- Bien, pour finir sur des choses plus réjouissantes, fit le Roi, pensons à la Fête de l'Eté qui approche. Malgré cette menace, je veux qu'elle soit célébrée. Le moral du peuple doit être au plus haut. Je vais envoyer des hérauts dans tout le pays pour l'annoncer et inviter tous les artistes qui voudront bien se produire. Ici, je souhaite que cela soit bien plus mémorable que les années précédentes. Établissez des lieux suffisamment vastes pour les festivités. Et de plus, nous réutiliserons tout cela pour le mariage du Prince. Et là, je veux que cela soit encore plus grandiose. C'est un évènement d'une importance capitale qui doit marquer les esprits et l'Histoire des Océans. Seigneur Sorrento, je vous charge de la gestion de tout cela. Vous me tiendrez informé de l'avancement régulièrement.
- Bien, Majesté, déclara le Premier Ministre, qui était resté muet durant tout le Conseil.
Il croisa le regard de Kanon qui lui fit les gros yeux comme pour lui dire que son attitude risquait de mettre la puce à l'oreille de certains.
- Heureusement que Kassa n'était pas là, lui glissa-t-il alors qu'il sortait de la grande salle. Il aurait vu immédiatement que tu n'es pas dans ton état normal.
- Il doit déjà se douter de quelque chose, répondit Sorrento. Je l'ai croisé à plusieurs reprises depuis l'enlèv… depuis.
- Alors raison de plus pour ne pas apporter davantage d'eau à son moulin. Je dois me rendre auprès des soldats, mais je passerai te voir ce soir.
En fin d'après-midi, le Marquis de Lyumnades pénétra dans le bureau du Roi après s'être fait annoncer. Il était absent depuis presque deux semaines et Poséidon fut soulagé de le voir.
- Alors ? As-tu obtenu des réponses aux questions que nous nous posions ?
- Sire, Giudecca est pleine d'espionnes Amazones. Je l'ai constaté de mes propres yeux. J'ignore ce qu'elles préparent, mais je suis surpris que le Duc de Wyvern les laisse libres de leurs agissements.
- C'est peut-être pour mieux savoir ce qu'elles manigancent, suggéra le Roi.
- C'est aussi ce que je pense… C'est un homme particulièrement efficace dans son domaine et s'il est comme moi, il préfèrera recueillir un maximum d'informations avant d'intervenir.
- Autre chose ?
- Il y a une activité suspecte dans l'un des quartiers de la ville. Après avoir surpris des conversations, mes hommes en sont arrivés à la conclusion qu'il s'agit d'un groupe de sympathisants du Prince Pontos.
- Pontos ? s'exclama Poséidon. Il est enfermé dans la plus profonde cellule de la prison du Tartare. Que croient-ils pouvoir faire ?
- C'est la question, Sire. Ils peuvent essayer de le faire évader et tenter un coup d'État pour le remettre sur le trône.
- C'est complètement absurde ! Le peuple des Ténèbres a trop souffert sous son joug pour le suivre s'il reprenait le trône d'Inferno. Jamais il ne le suivra. Je le vois plutôt se soulever contre lui que de subir à nouveau sa politique.
- Et je suis bien d'accord. Jamais les habitants des Ténèbres ne lâcheront Hadès. Il est non seulement l'héritier légitime du trône, mais il a rebâti son Royaume en redonnant l'espoir au peuple. Si nous devons combattre les Ténèbres, nous affronterons une armée dont on ignore totalement l'effectif mais également tout un peuple. Hadès est un héros pour eux tous. C'est un bouclier humain qui se dressera devant nous.
- Je vois que tu as lu le procès-verbal de la réunion de cet après-midi, sourit Poséidon.
- Oui, avant de venir vous voir et ce que j'ai découvert ne fait que conforter ce que j'ai appris. J'ai ordonné à mes hommes de tenter d'infiltrer ce groupe de sympathisants. J'espère qu'ils pourront nous en apprendre un peu plus.
- J'espère surtout qu'ils ne se feront pas attraper, corrigea Poséidon.
- C'est un des risques du métier d'espion, Sire.
- Dans le cas où ton hypothèse se confirme, que viennent faire les Amazones dans cette histoire ?
- Des alliées qui ont un intérêt à les aider…, fit Kassa d'un ton vague.
- Un intérêt ? Les possibilités sont multiples. Garde un œil sur eux. Ça ne me dit rien qui vaille. Et concernant Asgard et le Sanctuaire ?
- Aucune activité suspecte qui pourrait nous concerner. Le Magicien de Mitsumasa est très… comment dire… agité. Il a dû lire lui aussi dans les étoiles. Il est fort occupé par le dispensaire où il officie, il sort également la nuit peut-être pour se rendre à des réunions secrètes. Mais ce n'est qu'une hypothèse. Nous n'avons aucune preuve.
- Kanon et Sorrento nous ont appris que leurs Créatures les avaient informés de la présence d'autres comme elles sans savoir lesquelles, reprit le Souverain en posant ses coudes sur son bureau. Il est donc logique de supposer que le Royaume des Ténèbres et le Sanctuaire en possèdent également.
- C'est tout à fait logique en effet. Tout comme Éleusis, Amazia, les Plaines, l'Hyperborée… Chaque Royaume est en mesure de faire appel à ces Créatures créées par les Dieux.
- Tu crois cette légende ? sourit le Roi.
- Pas vous Sire ? J'en sais peu sur la Magie. Je sais qu'elle parcourt notre monde.
- Rien ne dit que se sont les Dieux qui sont responsables de tout ceci. Peut-être est-ce la Magie elle-même tout simplement.
- Et qui a créé la Magie ? Ne sont-ce pas les Dieux ?
- Et si les Dieux avaient été créés par la Magie ?
Les deux hommes s'observèrent un instant avant de se sourire. Quel que soit le sens dans lequel on prenait la chose, si l'existence de la Magie était clairement prouvée, celle des Dieux ne l'était pas. Les ruines des temples qui jalonnaient les plaines et les collines et où des cultes étaient rendus à une très lointaine époque ne voulaient pas dire que les Divinités avaient d'une quelconque manière habitées ces lieux ou bien exaucé les prières des hommes. Chacun avait ses croyances, ses certitudes ou ses doutes, sa foi.
- Fort bien, conclut Poséidon. Tu as fait du très bon travail, comme d'habitude. Félicite tes hommes et va te reposer. Tu en as grandement besoin.
- Merci, Majesté. Nous n'avons fait que notre travail.
Dans les jours qui suivirent le Conseil Royal, il y eut un regain d'activité à Atlantis. Chacun voulait se rendre utile pour préparer la Fête de l'Été et le mariage du Prince qui suivrait. L'ambiance était aux rires et cela faisait bien longtemps que les bruits de la Cité n'avaient été aussi gais. Les gens ne tardèrent à remarquer que les sites où se dérouleraient les festivités étaient d'abord à l'extérieur d'Atlantis. Autour des remparts mais également dans les plaines environnantes. Le bruit que le Roi pensait d'abord à ses sujets ne tarda pas à circuler. Bien sûr, à l'intérieur du Palais les servantes et les serviteurs s'activaient tout autant. Les anciens jardiniers qui étaient partis sur le front retrouvèrent leurs parcs en piteux état, certes, mais ils prirent leur courage à deux mains et se mirent au travail.
Sur les différentes places de la ville, on montait des estrades pour les musiciens et les saltimbanques qui feraient danser la foule et la divertiraient par leurs acrobaties. Kanon et Krishna organisèrent des patrouilles pour assurer la sécurité de tous et les soldats et les policiers n'hésitaient pas à aider ceux qui en avaient besoin. Les travaux de rénovation de la Cité avaient déjà commencé à l'annonce du mariage du Prince et de l'arrivée de sa future épouse et cela aidait bien les préparations festives. Les gens avaient une raison de plus de se réjouir et ils le montraient.
Dans le Palais, la Duchesse de SeaDragon, la Comtesse de Scylla et la Baronne de Chrysaor avaient, d'un commun accord, pris chacune la tête d'un bataillon de servantes et de serviteurs qui allaient rejoindre ceux déjà en train de s'occuper de la remise en état des pièces qui accueilleraient les invités de haut rang pour le mariage. Tout le monde mettait la main à la pâte. Le dernier jour serait réservé à la confection de guirlandes et bouquets de fleurs qui orneraient les lieux. Les chasseurs et les pêcheurs n'étaient pas en reste. Il allait falloir nourrir une population qui allait presque doubler pendant trois jours et les denrées apportées par les paysans risquaient de ne pas être suffisantes. Jusqu'à présent, la guerre avait privé les champs et les vergers de leurs agriculteurs. Et tout le monde avait bien conscience de cela. Dans la ville, des charrettes faisaient d'inlassables va-et-vient entre les tavernes et les entrepôts de bière et de vin pour les approvisionner en tonneaux.
Deux jours avant la fête, Kanon rentra chez lui assez tôt. Le soleil éclairait encore l'horizon ouest. Quelle ne fut pas sa surprise de trouver Liadan endormie dans le fauteuil où elle avait l'habitude de s'asseoir pour broder, son ouvrage sur les genoux. Il sourit tendrement et lui ôta la broderie des mains qu'il posa délicatement sur la table. Il l'observa un long moment et la trouva plus belle que jamais. Il aurait voulu être amoureux d'elle. Ils auraient sans aucun doute été très heureux. Malheureusement son cœur était resté fermé aux sentiments de la jeune femme. Quelque part, il le regrettait un peu, elle méritait vraiment d'être aimée. Mais il n'était pas cet homme qu'elle espérait. Tout ce qu'il pouvait faire pour elle, c'était lui offrir une vie aisée et toute la tendresse dont il était capable. Il s'approcha et la pris dans ses bras.
- Kanon ? marmonna-t-elle dans les brumes de son sommeil.
- Chut… Rendors-toi…
Il la déposa délicatement sur son lit et la couvrit d'un épais plaid. Kynan devait être encore à l'étude et ne tarderait plus. Quant à Ethain, il n'avait pas la moindre idée où son écuyer avait disparu. Peut-être un rendez-vous galant, sourit le Duc.
Assis devant la cheminée avec une coupe de vin doux à la main, Kanon repensait à l'entrevue qu'il avait avec Sorrento après le Conseil Royal, quatre jours plus tôt. Celui-ci lui avait révélé qu'il avait reçu un nouveau message d'Hadès et le lui avait fait lire. Le Souverain des Ténèbres lui demandait, pour ne pas dire qu'il lui ordonnait, de lui expliquer à quoi rimait toute cette agitation qui avait été observée à Atlantis.
- S'il est informé, c'est qu'il a des espions chez nous, en avait conclu Kanon.
- Et qu'ils doivent communiquer avec des pigeons, peut-être même des faucons pour tout savoir aussi vite, renchérit Sorrento. Je ne sais pas quoi lui répondre.
- J'ai une drôle d'impression… On dirait qu'il sait pour le mariage de Julian.
- Si c'est le cas, je ne peux pas le lui cacher. Ça mettrait Thétis en danger.
- Oui, c'est certain… Attends, j'ai une idée…
Kanon ferma les yeux et appela Rinjin. Le Dragon des Mers n'avait rien vu ou entendu qui pourrait les aider. Sorrento fit de même avec Ligéia. Et là…
- J'ai entendu des gardes parler de prisonnières aujourd'hui. J'étais assez loin et je n'ai pas tout compris. Elles seraient plusieurs mais je n'ai pas pu rester trop longtemps. Les torrents qui dévalent le Mont Elysion sont peu profonds. Je comptais vous en parler demain car il est tard.
- Ligéia, tu es formidable ! s'écria le Comte de Sirène dans son esprit provoquant un petit rire de l'Elfe.
- Rien ne dit qu'il s'agit de Thétis, fit Kanon avec un regard compatissant. Ce sont peut-être des Amazones.
- Je sais bien, mais je ne peux m'empêcher d'espérer.
- Bon. Supposons que ces gardes parlaient de Thétis. On ne sait toujours pas où elle se trouve exactement et donc c'est impossible d'échafauder un plan pour la récupérer.
- Et il se pourrait qu'elle ne soit pas seule. Et je ne me vois pas emmener ma sœur et laisser derrière moi des femmes qui pourraient se trouver dans la même situation que Thétis.
- C'est plutôt mince comme indice, fit le Duc avec une petite moue.
- C'est un point de départ, rétorqua Sorrento qui refusait de replonger dans le désespoir.
- Ce qui me chiffonne, c'est de savoir qu'il y a un espion des Ténèbres à Atlantis. Peut-être même plusieurs.
- Les trouver c'est le travail de Kassa.
- Justement. Et tu sais comme moi à quel point il est doué pour faire avouer les gens. Il ne faudrait pas qu'il apprenne pour Thétis avant que tu n'en aies parlé au Roi. De plus, je pense que cet espion te surveille toi.
- Pourquoi ?
- Pour voir si tu te conformes bien aux directives d'Hadès et lui confirmer que tu t'enfonces un peu plus chaque jour dans la peur de perdre ta sœur. Pour Hadès, c'est la preuve qu'il te tient à la gorge et que tu feras tout ce qu'il veut. N'y a-t-il personne de nouveau dans ton entourage ? Une servante ou un serviteur ? Un page ? Un garçon d'écurie que tu ne connais pas ?
- Après réflexion, j'aurais plutôt tendance à te dire non, mais je ne connais pas tous les gens qui travaillent au Palais ou ses dépendances.
Les deux hommes restèrent un long moment silencieux. Ils tentaient d'organiser leurs pensées dans le fol espoir que surgisse la solution. En vain, malheureusement. Kanon se pencha en avant et posa ses coudes sur ses genoux. Il garda la tête baissée puis leva les yeux vers son ami.
- Sorrento, il va vraiment falloir que tu parles au Roi, lui dit-il d'une voix douce mais ferme.
- Je sais, répondit celui-ci dans un murmure à peine audible. J'aimerais autant faire ça après la Fête de l'Été. Je ne veux pas leur gâcher les festivités.
- C'est gentil de ta part, mais après il y aura le mariage de Julian. Tu vas encore repousser ce moment ?
- Je ne sais pas, soupira lourdement Sorrento en passant une main lasse devant ses yeux. Pour l'instant je me demande surtout ce que je vais répondre à Hadès.
- Dis-lui la vérité. Dans le cas où il le sait déjà, ça ne fera que le lui confirmer et il n'apprendra rien de nouveau. De toute façon, que peut-il faire ?
À suivre… Le Prochain chapitre vous emmènera au Royaume du Sanctuaire avec l'arrivée de visiteurs du Royaume d'Asgard.
(1) Alta Elyfis Maris : Seigneur des Elfes des Mers en Langue Ancienne.
(2) Photo Ligéia est la fille du dieu-fleuve Acheloos et de la muse Calliope.
(2) Agénor dans la mythologie grecque est un roi phénicien de Tyr. Il est le fils de Poséidon et de Libye, ce qui fait de lui le frère de Bélos (qui est son jumeau) et de Lélex.
Originaire d'Égypte, il se rend en Phénicie où il devient roi et épouse Téléphassa. Il en a plusieurs fils (Cadmos, Phénix et Cilix) et une fille, Europe (que certains auteurs considèrent cependant comme la fille de Phénix, et donc sa petite-fille). Certaines traditions lui attribuent aussi d'autres fils : Phinée, Thasos et Céphée. Lorsqu'Europe est enlevée par Zeus, il envoie ses fils la chercher avec ordre de ne pas revenir tant qu'ils ne l'auraient pas retrouvée. Leurs recherches restant vaines, ils s'établirent dans diverses régions de Grèce. Source Wikipédia
(3) Photo Paravent en moucharabieh blanc.
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