Disclaimer : Tout l'univers de Saint Seiya que vous reconnaîtrez aisément appartient à Masami Kurumada. Je ne retire aucun profit de son utilisation si ce n'est le plaisir d'écrire et d'être lue. Les personnages de la mythologie appartiennent à tout le monde et les autres, ceux que vous ne connaissez pas, sont à moi.
Genre : Univers Alternatif Heroic Fantasy Médiéval Fantastic.
Aventure/Romance/Surnaturel. Certains couples sont très inhabituels. Het, Yaoi et lemon bien sûr.
Rating : M ou NC-18
Les Royaumes du Sanctuaire et d'Asgard, alliés indéfectibles, mènent une guerre contre le Royaume des Océans depuis plus de cent cinquante ans. Au moment où débute cette histoire, les raisons de cette guerre ont été oubliées. Non loin, le Royaume des Ténèbres se relève doucement d'une guerre de succession qui l'a laissé exsangue. Après avoir été ennemis, ils finiront par unir leurs forces pour faire face à une menace bien plus grande encore. De l'action, de la romance, du complot politique, de la magie et des créatures surnaturelles sont au rendez-vous avec de nombreuses références aux mythologies grecque et celtique ainsi qu'au manga original de Masami Kurumada.
N'hésitez pas à donner votre avis et s'il vous plait, ne mettez pas l'histoire en suivi ou en favori sans expliquer pourquoi vous le faites. C'est important pour les auteurs de connaitre les raisons de votre choix. Même un message privé sera le bienvenu. Merci.
Chapitre 26
Année 10219 de la Licorne, fin mai début juin, Royaume des Océans
Toute la Cité d'Atlantis semblait comme métamorphosée. Des guirlandes de fleurs pendaient aux barrières et aux balcons des maisons. Sur les places, il y avait des estrades décorées pour les musiciens et de grands bûchers avaient été constitués pour brûler pendant trois jours. Dans les rues l'humeur des gens était joyeuse. Après la Fête de l'Eté serait célébré le mariage de leur Prince et cela voulait dire encore des festivités. Sur l'esplanade qui avait servi de point de départ et d'arrivée à la Course des Trois-Rivières, des gradins avec un baldaquin pour le Roi avaient été montés pour qu'il assiste aux joutes. Plusieurs de ses Ministres entreraient en lice dont Bian Marquis de SeaHorse, Kanon Duc de SeaDragon et Krishna Baron de Chrysaor. Les joutes étaient ouvertes à tous. Mais il était rare de voir un paysan ou un marchand les remporter. Ils n'avaient pas l'entraînement des soldats.
Le cortège partit de la porte principale des remparts de la Cité pour rejoindre un très vieil olivier dont le tronc noueux était si large qu'il fallait dix hommes pour en faire le tour. Sur la route de pierre, de jeunes danseuses jetaient des fleurs au sol sous les pieds de la jeune vierge qui portait les offrandes. Une fois ceci fait, elle allumerait le bûcher et la Fête de l'Été pourrait alors commencer.
Au Palais les cuisines étaient sollicitées jour et nuit et d'appétissantes odeurs s'en échappaient. Kanon regagnait ses appartements lorsqu'il fut interpellé par Sorrento.
- Je vais tout dire au Roi, déclara le Premier Ministre. Veux-tu bien m'accompagner ?
- Quoi ? Maintenant ? Je croyais que tu voulais attendre que le mariage du Prince soit terminé.
- N'es-tu pas content que je me décide à le faire ? s'énerva Sorrento.
- Si, bien sûr que si, sourit le Duc pour calmer son ami bien qu'il ne s'attende pas à une telle révélation.
- Je n'ai pas le choix. Et tant pis si je gâche cette Fête. Je ne peux plus le regarder en face après ce que j'ai fait. Allons-y pendant que j'en ai encore le courage.
Poséidon fut surpris de voir ses deux Ministres et interrompit l'enseignement qu'il prodiguait à Julian concernant justement les loisirs pour le peuple. Sorrento resta debout, tête basse, et raconta d'une traite les tourments avec lesquels il se débattait depuis plusieurs semaines. Il n'omit aucun détail. Une fois qu'il eut terminé, un grand silence s'abattit dans la pièce. Le Prince s'était tourné vers la grande fenêtre et le Roi avait fermé les yeux. Kanon les observait, mais ne parvenait pas à deviner leurs pensées.
- Tout ceci doit rester entre nous quatre, finit par dire le Souverain. Sorrento, tu aurais dû m'en parler immédiatement.
- Je sais, Sire, mais j'avais peur qu'Hadès ne l'apprenne et qu'il ne tue Thétis. Et plus le temps passait et moins j'avais le courage de vous le dire.
- Je comprends, mais si nous l'avions su, nous aurions peut-être pu négocier avec lui, découvrir les raisons de son geste. Que cherche-t-il ?
- Je l'ignore, Sire. Les informations que je lui ai fournies ne sont pas si importantes que ça. À part peut-être le mariage de votre fils.
- Ce n'est pas un secret. Kanon, que penses-tu de tout ceci ?
- Antée a-t-il plus de précisions concernant les étoiles ?
- Pas à ma connaissance, il m'en aurait informé.
- Alors je ne sais pas moi non plus, Sire. Je ne vois pas en quoi l'enlèvement de Thétis peut lui être utile. J'ai beau retourner ça dans tous les sens, je n'y vois aucun intérêt pour lui. S'il avait enlevé Julian, j'aurais compris qu'il essaie de vous forcer à quelque chose, mais, sans minimiser la valeur de la vie de Thétis, ne vous méprenez pas sur mes paroles, Julian serait pour lui un otage plus précieux.
- Je suis bien d'accord, affirma Sorrento. Pourquoi ma sœur ?
- Tu es le Premier Ministre, tu détiens des informations importantes, déclara enfin Julian qui n'avait rien dit jusqu'à présent.
- Oui, mais il ne m'a rien demandé de très secret.
- L'effectif de l'armée ? Les patrouilles frontalières ? Tu trouves que ce n'est pas important ? En ayant des réponses à ces questions, il peut déterminer si une invasion de sa part a de bonnes chances ou pas de réussir.
Sorrento accusa le coup. Le raisonnement du Prince était solide. Poséidon croisa le regard de Kanon qui approuva d'un infime signe de la tête.
- J'ai pris le risque de mentir sur notre effectif, se défendit le Premier Ministre, mais il accusa le coup.
- Bien. Kanon, tu vas renforcer les patrouilles à la frontière avec les Ténèbres. Tous les royaumes fêtent l'Été et je doute qu'Hadès choisisse ce moment pour attaquer.
- Ce serait au contraire le meilleur moment, contra le Duc, mais moi aussi j'en doute.
- Sorrento, ce que tu as fait est très grave et relève de la haute trahison. Je déciderai de ta sentence après la Fête, avant le mariage de Julian. Même si je comprends tes raisons et que je sais ton dévouement au Royaume sans faille, je ne peux pas laisser passer un tel acte.
- Je subirai mon châtiment, Majesté. Fut-il la mort.
- Personne d'autre ne doit connaître ceci, conclut le Roi. Sorrento, pour l'instant tu es consigné dans tes appartements. Nous dirons que tu es souffrant.
- Oui, Sire.
Sorrento comprit que la discussion était terminée en ce qui le concernait et sortit pour rentrer chez lui. Il était effondré, mais également soulagé. Il n'était vraiment pas fier de ce qu'il avait fait, mais il assumerait les conséquences. Dans le bureau du Roi, les trois hommes étaient silencieux. Kanon savait que Poséidon allait lui reprocher de ne lui avoir rien dit, mais curieusement il n'en fit rien.
- C'est surtout Isaak qui ne doit rien découvrir, révéla Kanon.
- Pourquoi ?
- Thétis et lui ont une liaison, Sire. Pour l'instant, il croit qu'elle est au château des Sirène pour des raisons d'intendance.
- Il ne manquait plus que ça, soupira le Prince. Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons pas nous passer de Sorrento, finit par dire Julian. Ne serait-ce que parce qu'il est le Seigneur des Elfes des Mers et que nous allons avoir besoin de ces Créatures ainsi que du Dragon des Mers de Kanon.
- Julian a raison. Nous pourrons compter sur lui, appuya le Duc.
- Je le sais, et je n'ai aucun doute, répondit Poséidon. Je suis certes, contrarié, mais je n'arrive pas à être en colère contre lui. C'est à Hadès que j'en veux ! finit-il par s'écrier en tapant du poing sur la table. Que lui est-il passé par la tête ? Que veut-il ?
- Il faudrait un espion infiltré très près de lui pour essayer de le découvrir, dit Kanon en changeant de position sur son fauteuil.
- Giudecca et le Palais d'Ébène sont une véritable forteresse et les contrôles se font à tous les niveaux, expliqua le Roi qui tenait ses informations de Kassa. Du simple chasseur aux serviteurs des Ministres et du Roi.
- Je sais que le cœur n'y est pas, reprit Julian, mais il faut nous rendre aux festivités. Le peuple nous attend.
- C'est vrai, tu as raison mon fils. Tâchons de faire bonne figure, fit le Roi d'une voix qui manquait terriblement d'entrain.
Poséidon et son fils rejoignirent la tribune réservée aux gens du gouvernement et leur famille tandis que Kanon gagnait sa tente où il retrouva Ethain qui l'aida à mettre son armure. L'entrée en lice des premiers concurrents avait commencé et le public encourageait ses favoris. Soudain une immense clameur s'éleva lorsque la foule reconnut le Marquis de SeaHorse. Il s'avança aux côtés de son adversaire et tous deux inclinèrent leur lance devant leur Roi et leur Prince puis Bian présenta la sienne à son épouse qui attacha sa faveur avec un grand sourire. Les deux cavaliers se placèrent à chaque bout du terrain. Leurs chevaux sentaient qu'il allait se passer quelque chose et ils étaient nerveux. Les deux hommes baissèrent la visière de leur casque, empoignèrent leur lance et firent bondir leurs destriers à toute vitesse. Les deux chevaliers se croisèrent dans un tonnerre de sabots, de métal heurté et de bois fracassé. Le Marquis fit tomber son adversaire et remporta le duel sous les applaudissements de la foule. Sur les autres lices, Kanon sortit également vainqueur tout comme Krishna. Le tirage au sort désigna Bian comme adversaire de Krishna et Kanon affronta un homme à la solide carrure, le Chevalier Cycnos de Colone (1)
La première passe entre Bian et Krishna vit les deux lances brisées sans chute. A la deuxième passe, après avoir pris de nouvelles lances, Bian se retrouva sonné dans le sable. Kanon remporta sa joute à la première passe, mais chuta face au Baron de Chrysaor qui fut le grand vainqueur de cette journée. Liadan rejoignit son époux dans sa tente où Ethain l'aidait à ôter son armure.
- Tu vas bien ? Tu n'es pas blessé ? lui demanda-t-elle un peu inquiète.
- Seule ma fierté en a pris un coup, sourit le Duc. Je savais Krishna robuste, mais pas à ce point.
- Il y a des spectacles de troubadours cet après-midi, je voulais emmener Kieran.
- Bien sûr, nous irons tous les trois, sourit Kanon.
Un de ces sourires qui faisait violemment battre le cœur de sa femme. Après avoir déjeuné et prit un bain rapide, le Duc et sa famille allèrent se promener dans Atlantis pour profiter des festivités. Kynan voulait voir les jongleurs et entraîna ses parents devant une estrade où deux hommes se lançaient des torches enflammées. Le petit garçon resta en admiration devant eux et poussa un petit cri lorsqu'ils échangèrent les torches contre des épées. Derrière eux, des musiciens jouaient des morceaux joyeux et entraînants. Dans la foule, une farandole s'improvisa, les emportant avec elle. Tenant les mains de son père et sa mère, Kynan riait aux éclats. Après avoir parcouru quelques rues, la farandole se dispersa. Le petit garçon tomba devant une attraction de tir à l'arc. Il regarda son père qui inclina la tête.
L'homme qui s'occupait de ces jeunes archers lui tendit un arc à sa taille et une flèche. Kynan l'encocha, banda l'arme et lâcha son trait qui se planta au centre de la cible. Kanon et Liadan se regardèrent, surpris. Le Duc l'encouragea à recommencer. Le résultat fut le même. Au cœur de la cible.
- Il est doué, sourit l'homme à Kanon.
- J'envisageais de lui apprendre l'an prochain, mais de toute évidence il va falloir s'y mettre un peu plus tôt !
- Un talent, ça se cultive dès le plus jeune âge mon Seigneur.
- Je suis bien d'accord. Dès la fin des festivités, tu commenceras le tir à l'arc.
- Oui, père. Et à cheval ça doit être encore mieux.
Kanon éclata de rire avec l'archer.
- Commence par le début, jeune Seigneur !
- Oui, chaque chose en son temps. Merci mon brave…
Tous les ans, pendant trois jours, les enfants qui vivaient au Palais de Corail se retrouvaient pour manger dans une grande salle et dormir dans un dortoir commun sous la surveillance de servantes et de serviteurs qui n'étaient plus intéressés par les activités nocturnes de la Fête de l'Été. Après avoir dîné en tête à tête, Kanon et Liadan allèrent en ville. La nuit était tombée, les rues n'étaient plus fréquentées que par des couples qui s'échauffaient et s'adonnaient à des activités charnelles particulièrement plaisantes. Des auberges sortaient des musiques et des éclats de rire. Enveloppés dans des capes, le Duc et sa femme se rendirent dans une petite crique paisible.
- Que fait-on ici ? demanda Liadan en ôtant sa capuche. Et que portes-tu dans ce sac ?
- J'ai emporté une fourrure d'ours et une couverture, expliqua-t-il en étalant la peau sur le sable, à l'abri derrière un rocher.
- Mais pour quoi faire ?
- Parce que nous aussi on va célébrer la Fécondité au contact même de la nature, au son des vagues et avec les étoiles pour seules témoins.
- Kanon ! Mais…
- Oui ? Des objections ? murmura-t-il en enlaçant son épouse pour l'embrasser.
- Mmh… quelqu'un pourrait… anh… nous voir…
- Il fait noir… On ne nous reconnaîtra pas… Et cette nuit, c'est normal, non…
Liadan était incapable de résister à son mari lorsqu'il avait décidé de lui faire l'amour avec tendresse et passion. Il délassa sa robe, dégageant les épaules qu'il couvrit de baisers brûlants. Il sentit sa femme frémir et s'affaisser sur ses jambes. Il l'accompagna au sol où ils s'allongèrent. Il se débarrassa de son pourpoint et de sa chemise et continua à la déshabiller. Ils firent l'amour passionnément, avec lenteur. Liadan se laissa aller dans les bras de son époux comme jamais ça ne lui était arrivé. Elle prit des initiatives qui ravirent Kanon. À deux reprises, il s'épancha en elle, soupirant son prénom alors qu'elle-même n'était plus capable de parler. Fatigués, mais comblés, ils restèrent couchés sous la couverture, savourant la douceur de la nuit et les dernières ondes de volupté qui les quittaient lentement.
- On devrait faire ça plus souvent, murmura Liadan en se serrant davantage contre Kanon.
- Faire l'amour dans la nature ?
- Oui… c'est vraiment… spécial…
- Hmm… c'est vrai… Dis-moi, ne te vexe pas, mais j'ai l'impression que la vie à la cour te profite. Ton petit ventre rond est adorable.
- Ah… C'est vrai que la nourriture est excellente, mais cette adorable rondeur comme tu dis c'est parce que je suis enceinte.
- Quoi ? sursauta Kanon en se redressant sur un coude pour regarder sa femme. Tu es sûre ?
- Antée me l'a confirmé hier. Tu es fâché ?
- Fâché ? Comment le pourrai-je ? sourit le Duc. C'est la conséquence de l'accomplissement du devoir conjugal. Si je ne voulais pas que ça arrive, je ne t'aurais pas touché. Et c'est pour quand ?
- Début de l'année prochaine, répondit la Duchesse, soulagée de la réaction de Kanon.
- Kynan va avoir un petit frère ou une petite sœur, fit le Duc d'un air rêveur. Il va être fou de joie !
- Je l'espère…
- Il va falloir que tu arrêtes de monter à cheval et que tu prennes soin de toi.
- Ne t'inquiète pas, tout ira bien.
Ils s'aimèrent encore, Kanon fut plus délicat et passionné que jamais et Liadan ne l'en aima que davantage même si elle savait que ses sentiments n'étaient pas partagés de la même façon. Mais qu'importe. L'avenir de ses enfants était assuré et c'est tout ce qui comptait à ses yeux…
Le lendemain, Kanon participa au concours de tir à l'arc sur cible fixe et termina troisième, derrière Bian et Io. Avec qui il finit la nuit après l'avoir commencée avec sa femme. Quant à Julian, il avait décidé de s'étourdir de vin et de plaisir pour oublier que la seule personne qu'il désirait ne voulait pas de lui. À l'aube de la troisième nuit, il rentra au Palais et dormit les deux jours suivants… Comme beaucoup d'autres personnes…
Année 10219 de la Licorne, fin mai début juin, Royaume des Ténèbres
Rhadamanthe détestait au plus haut point se rendre en ce lieu. Au cœur de la roche du Mont Elysion, là où la seule lumière était celle des torches, la Prison du Tartare faisait courir ses tunnels au plafond arrondi et au sol inégal. Les murs étaient tièdes et suintants d'une humidité qui sentait le soufre. Elle comprenait cinq niveaux de trente cellules chacun. Mais toutes n'étaient pas occupées. L'espérance de vie dans cet univers coupé du monde n'excédait pas six ans. Aucun prisonnier n'avait tenu plus longtemps si l'on en croyait les registres qui remontaient à plus de quatre cents ans.
Les cachots n'avaient pas de fenêtre, seulement une grille en acier en guise de porte. En haut des murs, il y avait trois trous à peine plus gros qu'un œuf de poule pour faire circuler l'air. L'intérieur était équipé d'une paillasse posée sur des planches, d'une chaise, d'un sceau et d'une torche face à la grille, à l'extérieur pour la lumière.
À chaque niveau, il y avait trois postes de garde. Un à chaque extrémité du couloir qui longeait les cellules et le dernier vers le milieu. Zelos suivait son Seigneur, un étrange sourire satisfait aux lèvres. Il devait être la seule personne contente d'être là. En tant que prisonnier c'était un véritable enfer et pour les gardiens c'était presque pareil. Une des raisons pour laquelle Hadès avait voulu qu'ils soient bien rémunérés. Un groupe de servantes et de serviteurs étaient dévoués exclusivement à leur service pour rendre leur tâche moins pénible. Et cette marque de reconnaissance de la part de leur Souverain avait fait vibrer les cordes de la loyauté et du dévouement chez ces hommes. Ils appartenaient au bataillon des Hécatonchires. (2) Les gardiens de la Prison du Tartare.
Rhadamanthe et Zelos arrivèrent au troisième niveau et demandèrent au gardien de les conduire à la cellule trente-quatre. Allongée sur la paillasse, il y avait une femme qui se redressa. La crasse qui couvrait sa peau et ses vêtements était immonde. Elle n'avait le droit de se laver qu'une fois par mois lors de ses menstrues. Pour éviter que la vermine ne la dévore et pour qu'elle ne contamine pas les autres, ses cheveux étaient rasés. Elle avait peut-être été jolie avec ses grands yeux bleus et ses lèvres charnues. L'incarcération l'avait amaigrie et avait petit à petit, jour après jour érodée ses forces. Deux mois qu'elle pourrissait là, et pourtant une étincelle de défi et de fierté brillaient encore dans ses prunelles.
- Seigneur Rhadamanthe ? fit-elle d'une voix éraillée. C'est jour de fête ?
- Pas pour toi, tu vas vite t'en rendre compte, répondit-il d'une voix glaciale qui ne sembla pas impressionner l'Amazone.
- Quoi ? Vous allez encore m'interroger ? Vous savez pourtant que je ne dirai rien. Vous allez perdre votre temps, comme les fois précédentes.
- Gardiens…
Trois gaillards bien costauds s'approchèrent. L'un ouvrit la cellule, le second y entra avec un fouet à la main et le troisième le suivit avec des chaînes qu'il referma sur les poignets frêles. La jeune femme n'avait pas bougé sachant trop bien qu'il ne valait mieux pas provoquer ses hommes qui ne demandaient qu'à punir les prisonniers récalcitrants.
- Emmenez-la dans la salle du premier.
- C'est quoi cette salle ? demanda-t-elle avec une pointe de crainte dans la voix.
- Tu découvriras bientôt à quel point j'ai fait preuve de gentillesse avec toi.
- Oh ! Mon Seigneur est trop bon ! railla l'Amazone alors que le gardien la poussait sans ménagement dans le couloir.
Rhadamanthe et Zelos les suivirent en leur laissant quelques pas d'avance.
- Vous voyez comme elle pense avoir encore une quelconque valeur ? murmura le chevalier d'Amphibis.
- Elle peut avoir encore quelque chose à dire.
- Ce qu'elle savait quand elle a été arrêtée n'est peut-être plus valable
- Nous verrons bien. Je te fais confiance. Prends ton temps et sois efficace.
- Bien mon Seigneur.
Les hurlements de l'Amazone retentirent dans tout le Tartare jusqu'en début de soirée. Mais lorsque Zelos quitta la salle de tortures, il avait un sourire satisfait sur le visage. Il alla voir Rhadamanthe à qui il fit son rapport, ce qui lui valut des félicitations. Il en apprécia la grande valeur sachant son Seigneur avare en compliments. Celui-ci se rendit immédiatement dans les appartements de son Roi qu'il trouva en bonne compagnie avec un bébé dans les bras.
- Ah ! Te voilà ! s'exclama Hadès. Viens donc voir mon filleul ! ajouta-t-il en montrant fièrement le nourrisson.
Dans le salon se trouvaient Rune et son épouse qui semblait bien fatiguée, Hypnos, Thanatos, Eaque et Endéis, Minos et Pasiphaé dont la grossesse était nettement visible, Alcmène et bien sûr, Queen. Tous semblaient réjouis et Rhadamanthe se força quelque peu à sourire pour ne pas gâcher la petite réunion. Mais d'un regard, il fit comprendre à son Souverain qu'il devait lui parler rapidement. Celui-ci rendit le bébé à sa mère et alors que les conversations se poursuivaient, il prit son ami à l'écart.
- Alors ?
- Il semble qu'Antiope ait prévu une action pour ces jours-ci, mais cette fille ignorait de quoi il s'agissait, expliqua rapidement Rhadamanthe.
- Tu es sûr qu'elle ne savait rien de plus ?
- C'est Zelos qui s'est chargé d'elle, dit le Duc.
- Je vois… Pourrais-je lui poser quelques questions également ?
- Je suis désolé Sire, mais elle n'a pas survécu.
- Mmh… Bien. Nous en reparlerons lorsque ses dames se seront retirées.
Lorsqu'ils se retrouvèrent entre hommes, Rhadamanthe répéta ce qu'il avait dit. Il y eut un long silence. Hypnos fut le premier à réagir.
- Tout ce que nous pouvons faire, c'est renforcer les patrouilles et les contrôles à l'entrée de Giudecca et surtout du Palais.
- S'attendre à quelque chose sans savoir de quoi il retourne ! C'est horripilant ! s'écria Thanatos. Je préférerais encore affronter une armée de dragons. Je saurais à quoi m'en tenir au moins !
- Nous pensons tous la même chose, fit Eaque plus calmement. Sire ? Que comptes-tu faire ?
- Je suis comme vous. Et je pense qu'Hypnos à raison. Nous ne pouvons rien faire de plus à part être encore plus vigilants que d'ordinaire ces prochains jours. Minos, tu renforces les patrouilles et les contrôles dans le Palais. Eaque, tu fais venir cinq cents soldats dans la ville pour faire la même chose. Rhadamanthe, tu dis à tes hommes d'ouvrir leurs yeux et leurs oreilles et de faire parler leurs informateurs.
- Je t'aurais bien dit d'imposer un couvre-feu, commença Hypnos, mais avec la Fête de l'Été, ça va être difficile et ça mécontenterait les gens. De plus il va y en avoir beaucoup qui vont venir de loin pour profiter des festivités à Giudecca.
- Dans d'autres circonstances, je t'aurais dit que je me fiche de leur mécontentement, répliqua Hadès. Mais tu n'as pas tort et pas pour cette célébration. Faisons donc ainsi. Nous n'avons pas vraiment le choix. Je connais l'esprit retors d'Antiope et il faut s'attendre à tout et au pire avec elle. Croyez-moi, ça ne me rassure pas du tout. Queen, tu voulais ajouter quelque chose ?
- Malheureusement je ne vais pas vous être d'un grand secours pour cette affaire. Par contre j'ai finalisé notre plan pour notre troisième captive, dit-il avec un petit sourire.
- Enfin une bonne nouvelle ! fit Minos en frappant dans ses mains.
- Nous t'écoutons, dit Hadès.
- J'ai reçu, il y a quelques jours un message de notre contact au Sanctuaire. Il m'a fait parvenir les lieux de bivouac de notre cible tout au long de la route. J'ai pu étudier le trajet et j'ai choisi l'endroit le plus sûr pour agir.
- Comment ? demanda Rhadamanthe.
- Je vais avoir besoin d'une centaine de tes meilleurs soldats, Eaque. Nous serons sur place avant le passage du convoi et nous agirons lorsqu'ils s'arrêteront pour la nuit.
- Quand tu dis "nous", dois-je comprendre que tu vas y aller ? l'interrompit le Roi, alarmé.
- Il le faut. C'est la Magie qui nous livrera notre prisonnière, asséna Queen en clouant le Roi du regard. Eaque il faudra que tu m'accompagnes pour tenir tes hommes. Tout devra se faire dans le plus grand silence et ils doivent le comprendre. Le premier qui fera le moindre bruit, je le tue.
Tous les regards se braquèrent sur le Magicien. Aucun d'eux ne l'avait jamais vu si sérieux. Et c'est là qu'ils prirent la pleine mesure de l'importance de la parfaite exécution de ses directives.
- Je serai avec toi, déclara le Duc de Garuda d'une voix douce qui, l'espérait-il, apaiserait un peu la gravité des mots de Queen.
- Il y aura une Pierre de Boji dans la cour du Manoir d'Elysion pour assurer notre retour. Là aussi, Eaque, tes hommes devront être rapides.
- Pourquoi ne pas revenir de la même manière ? demanda Minos.
- J'ignore si un Magicien fera partie ou pas de l'escorte. Et je n'ai pas envie de prendre le risque qu'il contre un de mes sortilèges et que nous nous retrouvions avec leurs soldats à nos trousses.
- C'est un bon argument, commenta Hypnos.
- Et… quand partez-vous ? s'enquit Hadès, visiblement inquiet et contrarié, incluant Eaque dans sa question.
- Si mes informations sont justes, ce dont je ne doute pas, et mes calculs corrects en fonction de celles-ci… dès que les festivités seront terminées.
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Assis devant la cheminée, Queen sirotait une coupe de vin. Bien qu'il soit fatigué, il savait qu'Hadès allait faire irruption dans ses appartements d'un instant à l'autre. Il l'avait contrarié, il lui avait tenu tête devant tous avec des arguments inébranlables et son amant n'allait pas manquer de lui en faire le reproche. Il entendit frapper à sa porte puis celle-ci s'ouvrir et se referma.
- Je ne te dérange pas ?
- Tu sais bien que non. Je t'attendais.
Le Roi s'assit dans le second fauteuil, les coudes sur les genoux, la tête basse. Il cherchait ses mots. Il était en colère, mais ne voulait pas s'emporter.
- N'y a-t-il personne qui puisse te remplacer dans cette mission ?
- Je ne connais personne d'assez puissant pour accomplir ce que je vais faire. Tu as donc si peu confiance en moi ?
- Ce n'est pas ça et tu le sais… C'est juste que…
- Hadès, regarde-moi !
Le ton était autoritaire et le Roi leva vivement la tête. Les yeux de Queen étaient durs et le Souverain en fut ébranlé. Il ne se souvenait pas d'avoir vu une telle expression dans ce regard que les voiles du plaisir avaient si souvent troublé.
- De quoi as-tu peur ?
- De te perdre… si quelque chose se passe mal… avoua-t-il dans un murmure.
- Donc tu n'as pas confiance en moi.
- Mais bien sûr que oui ! se défendit Hadès.
- Suis-moi.
- Où ?
- Viens !
Et sans attendre, Queen se leva et sortit de chez lui, le Roi sur les talons. Ils longèrent les couloirs et arrivèrent dans la salle d'armes. Hadès observa le Magicien s'équiper d'une cuirasse d'entraînement.
- Mais que fais-tu ?
- Je vais te prouver que tu peux me faire confiance parce que je sais exactement ce que tu redoutes. Habille-toi !
Le Roi s'exécuta, toujours sans comprendre à quoi rimait cette comédie. Queen prit une épée et en lança une à Hadès qui l'attrapa au vol.
- Tu veux qu'on se batte ?
- Ces épées ne sont pas aiguisées, mais elles peuvent laisser quelques belles estafilades. En garde !
- Queen !
Et sans plus d'avertissement, le Magicien fit tournoyer son arme en s'approchant de son adversaire pour l'attaquer avec une surprenante rapidité. Hadès para sans difficulté, mais ne s'attendait pas à être obligé d'éviter la pluie de coups qui s'abattit sur lui. Il se décida à être plus sérieux tout en restant très prudent. Il attaqua à son tour. Queen se fendit en défense, évita un balayage aux jambes en sautant puis il se recula pour éviter la lame qui venait vers son visage. Le bruit des chocs métallique se répercutait dans la salle à un rythme irrégulier, preuve que chacun des deux bretteurs savait parfaitement qu'il fallait éviter la même cadence pour tenter de surprendre l'adversaire. Les deux lames glissèrent l'une contre l'autre jusqu'à la garde et d'un vicieux coup de pied dans la cheville, Queen fit tomber Hadès. Il s'assit sur son ventre, la lame émoussée sous sa gorge.
- Je sais que tu n'as pas donné tout ce dont tu es capable, murmura le vainqueur tout près du visage de son Roi. J'aurais pu me vexer, mais il se trouve que moi non plus.
- Tu… tu te bats bien, bredouilla Hadès, très surpris et non moins fier de son amant.
- Que crois-tu que je fasse en sortant du dispensaire ? Je viens ici et je m'entraîne aussi souvent que je le peux. Je ne suis peut-être pas aussi fort que toi ou Eaque ou Rhadamanthe, mais ne me sous-estime surtout pas. Ce dont tu as peur c'est que je ne sois pas un assez bon combattant pour accomplir une mission dangereuse. Lève-toi.
Hadès obéit. Encore une fois. Jamais Queen ne s'était montré si impérieux avec lui. Ils rangèrent leurs épées et se débarrassèrent de leur cuirasse puis remontèrent dans les appartements du Médecin. En silence. Dans la salle d'eau, chacun se rafraîchit. Un bain aurait été plus agréable, mais ni l'un ni l'autre n'y songea un seul instant. C'eût été inapproprié.
- Alors ? Tes craintes sont-elles apaisées ?
- Tu sais très bien que je m'inquiéterai toujours pour toi, répondit le Roi avec beaucoup de douceur.
- Et moi pour toi. C'est difficile, mais nos sentiments ne doivent pas entrer en ligne de compte. Il y a quelque chose de plus important, de plus grand que toi et moi. Que nous ! Le Royaume ! Et nous sommes tous les deux prêts à donner nos vies pour lui.
- Tu as raison, avoua le Roi après un long silence. Excuse-moi si je t'ai blessé.
- N'en parlons plus, sourit le Magicien. Allons dormir. Les jours qui viennent ne vont pas nous laisser le loisir de nous reposer beaucoup.
- C'est vrai… La Fête commence demain…
- Je pensais plutôt à la menace que représente Antiope.
- Ah… Je l'avais presque oubliée celle-là…, sourit tristement Hadès…
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À l'extérieur des remparts de Giudecca, une foule immense s'était amassée le long du chemin qu'allait emprunter la Procession de la Fécondité jusqu'à un lieu déterminé. Ce n'était pas très loin et n'importe quel coin de terre aurait fait l'affaire. Mais il fallait que ce soit symbolique. La route qui passait devant le pont des douves avait été pavée, mais sur son tracé poussaient cinq vieux grenadiers qui tous les ans donnaient des fruits juteux que tout le monde appréciait. Aussi fût-il décidé de séparer la voie en deux pour les contourner et une petite barrière de bois les entourait pour les protéger. Au pied du plus gros s'élevait la statuette stylisée d'une femme au ventre rond et aux seins proéminents qui représentait la fécondité.
Au loin, encore à l'intérieur de la cité, les musiciens commencèrent à jouer et à avancer. Derrière eux, sur une plateforme de bois décorée de fleurs et de lierre portée par quatre hommes, se tenait une jeune fille de tout juste treize ou quatorze ans. Elle était vêtue d'une robe blanche toute simple. Coiffée d'une couronne de fleurs multicolores, ses longs cheveux roux étaient lâchés et retombaient gracieusement sur ses épaules et son dos. Devant ses pieds nus était posé un panier qui contenait du lait, du miel, trois épis de blé et un œuf. La cadence était lente, ainsi tout le monde pouvait la voir passer et lui adresser des prières de prospérité pour eux-mêmes, leur famille, le Royaume.
Derrière elle, il y avait des danseuses suivies de la plateforme qui portait le jeune garçon habillé d'un unique pantalon de toile blanche. Lui devait apporter l'eau et le feu. Il était devant une vasque entre deux torches éteintes. La procession se terminait par d'autres musiciens. Le cortège avança doucement jusqu'aux grenadiers que les musiciens et les danseurs entourèrent. Devant la statuette, un trou avait été creusé. La jeune fille fut posée délicatement au sol et elle s'approcha des arbres avec son panier. Elle déposa chaque offrande dans le trou après l'avoir élevée devant la représentation de la Terre Nourricière. Une fois que ce fut fait, elle les recouvrit de terre. Puis elle se releva et se plaça juste à côté. Ce fut au tour du garçon qui s'approcha avec la vasque dans les mains. Il versa l'eau sur le sol à l'endroit où les offrandes étaient enterrées puis il fixa les deux torches dans leurs supports de chaque côté de la statuette et les alluma.
De cette façon, le blé pousserait et le feu cuirait les aliments et réchaufferait les maisons et les hommes. Le garçon s'écarta et les deux adolescents levèrent leurs mains vers le ciel. La Fête de l'Été était officiellement ouverte. Partout dans le pays, les bûchers festifs furent allumés. Pendant trois jours, dans tout le Royaume, il y aurait des danses, des jeux, des concours, des joutes et des mariages. Et à la nuit tombée, les couples se formeraient pour honorer la fécondité et la vie à travers le plaisir des corps jusqu'à épuisement. Bien qu'Hadès et ses hommes soient sur le pied de guerre, cela ne les empêcha pas de s'octroyer des moments intimes avec leurs épouses ou leurs amants. Et les deux à la fois en ce qui concernait Minos et Eaque. C'est à cette occasion que Myu réalisa ses sentiments pour Rune et y répondit. L'épouse de ce dernier était retournée sur leur terre avec leur fils et les deux hommes s'étaient retrouvés autour d'un verre de vin. L'un par dépit amoureux, ne sachant plus quoi faire, l'autre parce qu'il avait brusquement réalisé qu'il n'y avait qu'une seule personne avec qui il voulait profiter de cette Fête. Ils discutèrent un bon moment dans le salon du Ministre du Commerce, buvant peut-être un peu trop, avant que les choses ne se concrétisent. Qui alla vers l'autre ? Peu importe. Ce qui compta, ce fut cette première nuit qu'ils passèrent ensemble. Leur mémoire serait à jamais marquée d'images magiques. Des sensations d'une rare intensité les firent crier et gémir jusqu'au petit matin. Quant à Minos et Eaque, une fois leurs épouses endormies, ils se retrouvèrent dans la chambre de Queen qui avait rejoint Hadès.
Ce fut pendant la troisième nuit, celle où tout le monde serait le plus fatigué, que Penthésilée exécuta le plan de sa mère. Depuis qu'elle était arrivée à Giudecca avec son groupe, d'autres membres les avaient rejoints. Amazones et servants avaient eu le temps de s'infiltrer dans plusieurs auberges dont les employés offraient leurs corps moyennant des avantages. C'était à cette seule occasion que des femmes et des hommes de petite vertu étaient autorisés à entrer dans la Prison du Tartare pour apporter un peu de réconfort aux gardiens. Une quinzaine d'Amazones dont Blodwyn et cinq servants s'y rendirent. Peu de temps après, une fois que les gardes furent bien excités et concentrés sur leurs partenaires, cinq d'entre elles et un servant se rendirent au cinquième niveau, où là aussi les gardiens étaient agréablement occupés. Ayant subtilisé un trousseau de clés, Blodwyn et un homme se faufilèrent jusqu'à la dernière cellule. Là, ils trouvèrent un homme âgé de soixante-dix ans environ, mais relativement en forme malgré les conditions de détention.
- Votre nom ? demanda Blodwyn en approchant une torche de la grille.
- Qui cela intéresse-t-il ? s'enquit l'homme d'une voix faible, mais où perçait une certaine autorité.
- Vous voulez sortir d'ici ?
- Je me nomme Pontos. Pourquoi ?
- Parce que quelqu'un souhaite vous voir, répondit la jeune femme en ouvrant le cachot.
- Qui donc ?
- Vous le saurez bien assez tôt. Donnez vos vêtements à cet homme et mettez les siens.
Ce qui fut rapide. Une chemise et un pantalon. Le servant avait un physique ressemblant au prisonnier, décrit avec précision par une espionne introduite dans les cuisines de la prison, et il allait remplacer Pontos dans sa cellule pour que l'évasion ne soit pas découverte trop tôt. De toute évidence, l'esclave n'était pas rassuré, mais il n'avait pas le choix. Le sort de ses deux frères restés à Amazia dépendait de sa capacité à tromper les gardiens pendant au moins dix jours. Plus, s'il le pouvait.
Les Amazones quittèrent la prison vers la fin de la nuit comme elles y étaient entrées, feignant l'ivresse et riant à des jeux de mots grivois lorsqu'elles passaient devant des gardes à l'extérieur qui leur souriaient, espérant peut-être eux aussi, un peu de compagnie. Une fois hors des remparts, elles gagnèrent une petite crique au bout de la Baie de Giudecca où une chaloupe les attendait. Personne ne les arrêta. Un groupe d'hommes et de femmes qui riait lors d'une des nuits de la Fête de l'Été, ça n'avait rien d'étrange. Elles y firent monter Pontos et regardèrent l'embarcation s'éloigner vers l'ouest ou une frégate attendait d'embarquer son précieux passager. Puis le groupe regagna la maison de Phorcys. Blodwyn fit son rapport à Penthésilée qui fut satisfaite. Le lendemain, elle envoya un message à sa mère pour lui signaler que la première partie de leur plan était accomplie.
Les festivités étaient terminées. Elles avaient eu beaucoup de succès. Il y avait eu des morts malheureusement. Des personnes qui avaient trop bu et qui étaient tombées dans les douves de lave, ou leur tête avait heurté un rocher dans leur chute. Malgré la vigilance dont tous firent preuve, rien n'avait attiré leur attention. C'était incompréhensible. La seule explication qui leur venait à l'esprit, c'était qu'Antiope avait remis ses plans à plus tard, ou bien qu'elle y avait renoncé. Mais Hadès n'était pas vraiment convaincu. Il la connaissait bien et son instinct lui disait qu'elle n'avait pas abandonné. Il était persuadé qu'elle avait reporté ses projets pour une raison inconnue.
Au matin du quatrième jour, le réveil fut rude et les remèdes de Queen contre les maux de tête et de ventre eurent beaucoup de succès. En entrant dans ses appartements, le Roi vit son amant en train de préparer un sac. Il avait complètement oublié son départ avec Eaque et soupira.
- Je n'aime toujours pas cette idée, lui dit encore Hadès en s'asseyant sur le lit.
- J'ai une mission de la plus haute importance à te confier, fit le Magicien sans relever la remarque.
- Laquelle ?
- Tu dois placer cette pierre dans la cour du Manoir d'Elysion, expliqua-t-il en tendant l'objet à son Roi. J'en ai parlé, tu t'en souviens ?
- Bien sûr. Celle qui vous ramènera ?
- Oui. Assigne des gardes à sa surveillance jour et nuit. Personne ne doit la déplacer. C'est primordial.
- Queen, je…
- Arrête. On en a assez parlé. Tu sais très bien que je suis le seul à pouvoir le faire.
- Je sais, mais je pourrais t'accompagner.
- Avec la menace que fait planer Antiope ? Pas question. Tu la connais mieux que quiconque et tu es le seul à pouvoir la contrer le cas échéant.
- Mais comment ? Il ne s'est strictement rien passé !
- Réfléchis un instant. Un détail qui nous paraîtrait anodin pourrait être parlant pour toi.
L'argument était valable. Hadès baissa la tête et s'apprêtait à dire encore quelque chose lorsqu'on frappa à la porte.
- Entrez !
- Queen ? Tu es prêt ? fit Eaque en pénétrant dans la pièce.
- Oui. Allons-y.
Il se tourna vers son Roi et l'embrassa tendrement.
- Je serai bientôt de retour, lui murmura-t-il. Je t'aime…
Il se détourna et sortit de chez lui, le Ministre de l'Armée sur les talons.
- Eaque, appela le doucement le Roi. Je te le confie. Veille sur lui comme sur la prunelle de tes yeux.
- Compte sur moi, Majesté. Aie confiance, tout ira bien.
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Dans le boudoir adjacent au bureau de Rhadamanthe, Violate de Béhémoth marchait de long en large tandis que Kagaho du Bénou, vautré sur l'un des fauteuils, se curait les ongles avec sa dague.
- Tu ne peux pas faire ça avec une brosse ? C'est dégoûtant !
- Tu en as une sur toi ? rétorqua le Chevalier.
- Non, mais je devrais si on doit travailler ensemble. Ou t'obliger à en avoir une sur toi !
- M'obliger ? rétorqua Kagaho qui s'était levé d'un bond et avait coincé la jeune femme contre le mur. J'adorerais que tu m'obliges à faire quelque cho… Humpff ! ! !
- Ne sois pas si impulsif, railla Violate alors qu'elle venait de frapper le bas-ventre de son compagnon du genou. La prochaine fois, je te les arrache.
- Avant de t'en être servi ? grimaça Kagaho. Tu ne sais pas de quoi tu te priverais.
Violate eut un petit rire et s'assit. Le Chevalier du Bénou prit place dans l'autre fauteuil, encore légèrement plié en avant. Le silence s'installa. Mais ça ne semblait pas les gêner. Sans le savoir, ils se posaient la même question. Pourquoi le Seigneur Rhadamanthe les avait-il choisis pour travailler ensemble sur une mission si importante ? Il savait qu'ils ne s'entendaient pas. Alors pourquoi ? Violate se promit de lui poser la question. La porte s'ouvrit brusquement et le Duc de Wyvern leur fit signe d'entrer de la tête.
- Alors ? fit-il sans détour.
- Nous allons reprendre l'idée de Pandore et Zelos et nous faire passer pour des marchands, expliqua Kagaho, mais nous serons mari et femme pour me protéger des Amazones.
- Nous attellerons nos propres chevaux au chariot, continua Violate et dans un coffre caché sous le fond, nous y mettrons nos armes. Nous pourrons ensuite parcourir les routes sans nous faire trop remarquer.
- Sachant où sont censés se trouver les enfants, nous irons par le chemin le plus rapide. Et avec de la chance au retour, nous pourrons peut-être voler deux chevaux supplémentaires pour les garçons, reprit le Chevalier de Bénou.
- Je ne suis pas convaincu, finit par dire Rhadamanthe. Il faut que ce soit plus rapide que ça. Le chariot va vous ralentir et nous n'allons pas encore abandonner des biens. Non, vous allez vous y rendre le plus vite possible en voyageant de nuit. La traversée des Océans ne devrait pas vous poser de problème si vous êtes prudents. Une fois à Amazia, ça deviendra plus dangereux. La moindre femme que vous croiserez pourra avertir les soldats.
Les deux espions se regardèrent, un peu décontenancés. Ils savaient que le Roi était pressé de récupérer ses fils, mais pas à ce point.
- Comment allons-nous nous diriger la nuit s'il n'y a pas de lune ? remarqua Violate qui semblait être la plus réticente.
- Vous savez vous diriger avec les étoiles, ça devrait suffire, répliqua le Duc.
- Je ne parle pas ça, mon Seigneur, mais de visibilité. Dans le noir total, ce sera très dangereux. On peut se retrouver en bas d'une falaise sans même en avoir vu le bord.
- Attends Violate, intervint Kagaho. Les routes que nous allons emprunter ne sont pas risquées puisqu'elles servent à tout le monde. C'est juste que de nuit, on ne croisera personne. Et si c'est le cas, eh bien… tant pis pour ces gens-là.
- Vous ferez passer ça pour une attaque de brigands, le soutint Rhadamanthe.
- Bon, très bien. Faisons comme ça, capitula la jeune femme après quelques instants de réflexion. Mon Seigneur, j'aurais une dernière question.
- Quelle est-elle ?
- Pourquoi nous avoir choisi Kagaho et moi pour cette mission ? Vous savez très bien que nous ne nous supportons pas. Cela augmente les risques d'échec, non ?
- C'est très simple. Parce que vous êtes les mieux armés pour cela. Vous irez là-bas, vous trouverez les enfants et les ramènerez de gré ou de force et vous éliminerez tous les obstacles qui se dresseront sur votre route. Sans état d'âme, sans réfléchir. Vous agirez, c'est tout. Et je vous suggère de commencer à faire des efforts sur la qualité de votre entente et de votre collaboration. Le mot échec ne fait pas partie du vocabulaire de cette mission. Est-ce clair ? Et n'oubliez pas que leur vie est plus importante que la vôtre.
- Mon Seigneur, reprit Kagaho, j'ai peut-être une autre idée qui pourrait nous faire voyager de jour et très vite.
- Laquelle ?
- Emportons des fanons de hérauts. Personne n'arrêtera un messager même lorsque nous aurons atteint Amazia. Et si c'est le cas, je dirai que je viens des Océans et Violate du Sanctuaire, que nous avons un message urgent pour la Reine et que nous nous sommes rencontrés sur la route. Nous nous séparerons des fanons un peu avant d'agir pour ne pas nous faire remarquer.
- Il vous faudra des missives avec les sceaux que vous pourrez montrer pour être crédibles pour le cas où vous seriez arrêtés.
- Ils sont faciles à reproduire. Et c'est rapide, insista Kagaho.
- Violate ? fit Rhadamanthe en se tournant vers la jeune femme qui regardait son acolyte avec surprise.
- Comment ta cervelle de moineau a-t-elle pu imaginer un plan pareil ?
- Violate !
- Pardon, mon Seigneur. Je... Ça me coûte de le dire, mais… l'idée est bonne. Je suis d'accord.
- Moi aussi. C'est donc décidé, vous serez des messagers.
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Année 10219 de la Licorne, fin mai début juin, Royaume du Sanctuaire…
Le Maître Tisserand Arachnée finissait d'ajuster la robe blanche que devait porter Saori lors de la Procession de la Fertilité. Shunrei lui avait ôté les sandales en cuir et Seika fixait les fleurs dans ses cheveux mauves. Aucun sourire, aucun entrain ne transparaissaient dans le regard bleu de la Princesse. Juste du détachement. Un peu comme si elle n'était pas là et que ce n'était que son corps qui bougeait seul. Elle se sentait de plus en plus étrangère à tout ce qui l'entourait. Elle s'éloignait de plus en plus du Sanctuaire. Pour se rapprocher des Océans ? Dans quelques jours, ça ne serait plus une impression, mais une réalité. Son départ pour le Royaume de son futur époux se ferait deux jours après la fin des festivités. Elle savait que son escorte avait déjà été choisie et que les chariots qui transporteraient ses affaires attendaient d'être chargés. Il n'était plus question de prendre du retard. De toute façon, elle n'en avait plus envie. Désormais, elle ne souhaitait qu'une seule chose : que tout ceci se termine le plus vite possible. Elle s'était résignée. Elle avait compris qu'elle n'avait pas le choix et les paroles de Seiya le lui avaient bien fait comprendre. Elle se sacrifiait pour son peuple. C'était la seule idée réconfortante à laquelle elle se raccrochait encore. Que d'horribles paroles lui avait-elle dites ! Elle n'en revenait toujours pas de les avoir prononcées. Certes, elle pouvait mettre cela sur le compte de sa colère du moment, mais ce ne serait pas honnête. Parce que pendant ces quelques instants, elle avait pensé tout ce qu'elle avait dit. Maintenant, elle s'en voulait terriblement, surtout qu'elle n'aurait peut-être pas l'occasion de s'excuser. Quel affreux souvenir garderait-il d'elle…
Vint enfin le moment. Saori sortit de sa chambre, la tête haute, le regard vide. Shunrei la suivit avec deux jeunes filles qui portaient les offrandes que la Princesse déposerait dans la terre. Elles parcoururent les couloirs et les escaliers qui les menèrent à l'entrée principale du Palais de Marbre. Là, aux pieds des marches, une grande foule s'était amassée et une immense clameur s'éleva lorsque l'héritière de Mitsumasa apparut. Le chemin qu'elle allait emprunter était bordé de petites barrières de bois décorées de guirlandes de fleurs. La musique s'éleva, les danseuses vêtues d'étoffes vaporeuses entamèrent un ballet devant la Princesse en répandant des pétales de fleurs sous ses pas. Saori prit les offrandes et se mit en marche. Lentement, au rythme lancinant du tambour. Un léger vent faisait onduler sa robe et soulevait ses cheveux tressés de longues branches de lierre.
Tout au long du parcours à intervalles réguliers, le Colonel Albior avait posté des soldats qui devaient protéger la procession d'éventuels mouvements de foule. Mais le peuple avait bien trop de respect à l'égard la Famille Royale pour se permettre un geste déplacé. Tous s'inclinaient au passage de Saori. Derrière elle, il y avait également des danseuses, des acrobates et encore des musiciens. Le soleil montait dans le ciel et promettait une journée radieuse. Les hirondelles survolaient les lieux en lançant leurs cris stridents. Les tourterelles passaient en couple puis se posaient sur les toits des maisons où l'on entendait leurs roucoulements. Tout semblait être réuni pour faire de cette journée une fête inoubliable. Ce qui était de bon augure pour les suivantes.
Saori avançait, mais rien ne retenait son attention. Elle ne garderait qu'un vague souvenir de ce cortège. Elle reprit pied dans la réalité en arrivant au Bosquet des Cinq Chênes où aurait lieu la cérémonie. Elle vit son père entouré de sa garde rapprochée et croisa le regard de Seiya où elle lut une profonde tristesse qui lui déchira un peu plus le cœur. Mais son devoir l'appelait et elle dut se détourner de ses pensées. Les danseuses et les acrobates se placèrent devant elle, un genou au sol, en une haie d'honneur. Tout autour des Cinq Chênes, un vaste espace avait été aménagé pour la cour et le peuple. C'était à cette seule occasion que les gens osaient s'approcher de ce lieu dont ils étaient persuadés qu'il était empreint de Magie. Après tout, ce n'était certainement pas pour rien qu'il avait été choisi pour ce rituel, non ? Le peuple avait une pensée si simpliste…
Sacrifiant à la coutume, Saori prit les offrandes et les présenta aux quatre points cardinaux. Elle commença par la coupelle contenant les grains de blé avant de la vider dans le trou. Puis elle prit le petit pot en terre cuite rempli de miel. Elle effectua les mêmes gestes et recouvrit le blé. Et enfin, elle arrosa le tout de lait de nourrice. Quelques gouttes recueillies le matin même et recouvrit le tout de terre. Elle prit enfin une torche pour allumer l'immense bûcher installé plus loin, sur un espace dégagé. L'embrasement s'accompagna d'un formidable cri de la foule. La Fête de la Fécondité pouvait commencer. Des joutes, des jeux, des spectacles de troubadours, des festins, des danses et des farandoles improvisées commencèrent dans la Cité d'Égide et au-delà des remparts.
Saori repartit comme elle était venue, avec son cortège et s'enferma dans sa chambre. Seika et Shunrei l'accompagnèrent pour l'aider à se dévêtir et passer des vêtements plus confortables.
- Voulez-vous que nous allions nous promener en ville pour voir les animations ? proposa Seika, espérant que sa Princesse sortirait un peu de sa léthargie.
- Non, je n'en ai pas envie, répondit-elle, mais allez-y toutes les deux si vous le dési…
Elle fut interrompue par des coups frappés à la porte.
- Eh bien ma chère, s'écria la Reine Hilda en faisant irruption dans les appartements. Vous n'avez pas souri de la matinée. La procession est un moment de réjouissance.
- Majesté, je suis heureuse de vous voir, fit Saori en esquissant un léger sourire. Mais vous savez que j'ai du mal à profiter de la fête. J'ai fait au mieux…
- Allons en ville, vous verrez que cela vous fera du bien… Les Chevaliers de votre père participent aux joutes. Ça devrait être amusant !
Comment cette femme s'y prenait-elle pour convaincre les gens autour d'elle ? À la surprise de ses Dames de Compagnie, Saori accepta.
Shion et Dohko retrouvèrent Aïoros, Shaina, Shura et Aliandro devant l'espace de concours de tir à l'arc. Les enfants jusqu'à douze ans en avaient terminé et maintenant les adultes s'affrontaient.
- Tu ne te présentes pas ? demanda le Bûcheron à l'Archer.
- Ce ne serait pas juste pour eux Aliandro. À cette distance, je fais mouche les yeux fermés, sourit le jeune homme.
- Je crois que Saga, Milo et Aïolia sont inscrits pour les combats à l'épée, dit Shaina. On pourrait aller les voir.
Les cinq hommes se regardèrent. La même pensée leur traversa l'esprit. Qu'est-ce que ces trois-là avaient en tête ? Shion comprenait la frustration de ses hommes à qui il était interdit de faire montre de leurs capacités, mais même si les joutes étaient une occasion de se libérer un peu, il ne fallait surtout pas qu'ils en fassent trop. Et en arrivant à l'espace réservé, les trois hommes virent le regard d'avertissement que le Médecin et le Maître d'Armes leur lancèrent. De leur côté, Gabriel et Shaka participaient au concours du meilleur conteur qui se déroulait sous une grande tente. Ils étaient installés sur une estrade et de nombreuses personnes, en particulier des enfants étaient assis sur des bancs, devant eux et leurs yeux brillaient de fascination.
Dans toutes les rues, sur toutes les places, troubadours, danseurs et acrobates improvisaient de petits spectacles. Le Colonel Albior avait déployé ses troupes pour parer à toute éventualité. C'était la première Fête de la Fécondité qui se déroulait sous un ciel de paix depuis bien longtemps et il ne voulait pas qu'elle soit gâchée par des bagarres d'ivrognes ou quoi que ce soit d'autre.
L'espace réservé aux joutes était le plus grand. Dans la tribune royale, installés sous un dais, le Roi, la Princesse, la Reine Hilda et les membres du gouvernement regardaient la compétition avec un plaisir évident. Seiya et Shun se présentèrent et comme le voulait la coutume, ils inclinèrent leurs lances devant le Roi puis chacun présenta la sienne à une jeune femme qui accrocha sa faveur. Le Chevalier de Pégase choisit Dame Miho et Shun Dame June, son amie d'enfance. Saori baissa la tête pour cacher les larmes qui lui montaient aux yeux, mais la main de la Reine sur la sienne la réconforta. Les deux Chevaliers se placèrent à chaque bout de la lice et s'élancèrent. Seiya balaya Shun au premier passage. Sur une autre lice, la surprise fut de taille. C'est le Lieutenant Orphée qui désarçonna le Colonel Albior. Mais face à Ikki, personne ne fut de taille. Peut-être était-ce son récent mariage qui lui donnait une force incroyable, toujours est-il qu'il remporta la joute.
Un peu plus loin, sur une vaste étendue d'herbe rase très plate, les cavaliers se préparaient pour les préliminaires de la course de chevaux sur mille mètres dont la finale entre les huit vainqueurs se déroulerait le dernier jour. Shura et son neveu Tsubaki ainsi que Milo et Mikael se qualifièrent sans difficulté alors qu'ils avaient volontairement perdu le combat à l'épée. Et chose surprenante, mais qui ravit ses compagnons, Hyoga était également finaliste.
Une fois n'est pas coutume, le Roi et sa suite regagnèrent le Palais de Marbre en flânant dans les rues. Mitsumasa fit même une halte au dispensaire et félicita Shion qui était passé pour voir si tout aller bien. Il redécouvrait sa Cité nettoyée des stigmates d'une guerre qui avait bien trop duré. Et cela lui gonfla le cœur de bonheur. Même la perspective de quitter sa fille n'arrivait pas à entamer la joie qu'il éprouvait à l'idée de redonner à Égide sa splendeur d'antan.
La première journée tirait à sa fin et les festivités nocturnes allaient commencer. Elles débuteraient par un grand festin égayé par des musiciens et des troubadours. Le vin et la bière couleraient abondamment et des activités plus voluptueuses prendraient le relais dans les alcôves. Mais également dans les champs et les forêts. À partir de seize ans, tous les hommes et toutes les femmes participaient à ces nuits de plaisirs des corps. Et la superstition disait que les enfants conçus lors de cette Fête seraient bénis des Dieux. Ils naîtraient vers la fin du mois de mars, à la fin de l'hiver et au début du printemps, comme le signe du renouveau de la vie.
Tout autour du Lac Tirynthe, des bûchers avaient été allumés. Des silhouettes sombres dansaient au rythme lancinant et hypnotique des tambours. Des corps se mêlaient et parfois on entendait les éclaboussures d'une chute dans l'eau suivie d'éclats de rire. Shura sortit du sous-bois et s'approcha de la rive. Soudain il vit une ombre et reconnut son ami Mû.
- Tu n'es pas avec la mère de ton fils ?
- Oh ? Tu es là ? Non, elle ne veut pas se mêler à la fête. Elle s'occupe du petit.
- Tu n'as pas l'air heureux.
- Cet enfant est le mien je n'ai aucun doute. Il a ma marque de naissance. Mais elle ne veut pas que nous vivions ensemble. Elle dit qu'elle a bien assez à faire à s'occuper d'un bébé sans avoir un homme sur les bras.
- Tu l'as reconnu ?
- Oui, bien sûr. Mais j'avais espéré faire un peu plus partie de sa vie. Et peut-être lui transmettre mon savoir.
- Laisse-lui le temps de grandir, sourit le Maître Palefrenier. Ce n'est pas demain qu'il forgera une armure.
- Non, tu as raison. Tu cherchais quelque chose dans le coin ? demanda innocemment le Forgeron.
- Probablement la même chose que toi, répondit énigmatiquement Shura en plantant ses yeux dans ceux de Mû.
- Un peu de compagnie pour la nuit…
- C'est ça…
- Et… tu as trouvé ?
- Je te dirais ça dans un instant…
Sans aucune hésitation dans les gestes, le plus naturellement du monde, Shura s'approcha de Mû, passa un bras autour de sa taille et l'attira doucement à lui. Il pencha la tête et déposa un léger baiser sur les lèvres légèrement tremblantes. Il se recula pour observer son compagnon avec un infime sourire qui donnait à ses traits habituellement durs et racés, une incroyable tendresse.
- Tu m'as ouvert les yeux… murmura-t-il en caressant la joue du Forgeron du dos des doigts.
- J'avais fini par me résigner, répondit Mû en l'embrassant à son tour, mais c'est bien la preuve qu'il ne faut jamais perdre espoir…
- Non… Jamais…
À l'abri d'un buisson de mûres sauvages, sur un lit d'herbe tendre, bercés par la musique, ils se donnèrent l'un à l'autre avec fougue et passion. Le plaisir les emporta sur ses ailes voluptueuses vers les plus hauts sommets de la jouissance.
- Comment ? murmura Shura tandis qu'il enroulait une mèche mauve autour de son doigt.
- Je ne sais pas… J'ai toujours aimé te voir avec tes chevaux, cette façon que tu as de les dresser, les gestes très doux que tu as envers eux… Je me disais que ça devait être bien agréable d'être entre de telles mains. Ils ne semblaient pas s'en plaindre alors…
- Alors ?
- Alors une femme ou un homme aurait beaucoup de chance d'être dans tes bras… Et je crois que sans vraiment m'en rendre compte, je suis tombé amoureux, c'est tout… Et toi ? Tu as dit que je t'avais ouvert les yeux.
- Le soir où tu es venu manger à la maison avec mes neveux, tu étais là quand Tsubaki a dit qu'ils me considéraient comme leur père. Ça m'a bouleversé et tu m'as réconforté. J'ai réalisé alors que je n'aurais pas voulu que ce soit quelqu'un d'autre…
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Une grande partie de l'après-midi du lendemain fut consacrée aux mariages. Et ils étaient nombreux. Aïolia passa la bague familiale à tête de lion au doigt de la jeune femme et ils échangèrent leurs vœux. Et alors que l'évènement tirait à sa fin, tous virent arriver le Maître Archer en tenue d'apparat. Il descendit de son cheval et s'approcha de Shaina qui avait été le témoin de Marine.
- Épouse-moi ! dit-il devant toute l'assemblée.
- D'accord, répondit-elle sans la moindre hésitation.
Lui aussi offrit une bague aux armoiries de la Maison de Sagittarius et ce fut le dernier mariage de la journée. Les festins et les banquets furent encore plus nombreux que la veille. Dans tous les coins de la ville, on fêtait les unions. Et plus la nuit tombait, plus les gens s'éclipsaient dans des endroits discrets. Si Milo fut content de participer aux festivités dans la journée, le soir, il rentra chez lui, au Palais. Ce qui ne lui était pas arrivé depuis bien longtemps. Il marchait dans la rue lorsque le vent lui apporta une odeur qu'il avait déjà rencontrée. Il s'arrêta un moment, le nez en l'air et la sentit à nouveau. Il sourit. Il connaissait ce parfum et songea que sa nuit ne serait peut-être pas si ennuyeuse. Il continua à avancer et au détour d'une maison, il se cacha dans le renfoncement de la porte. Une ombre passa près de lui et à la silhouette, il sut qu'il ne s'était pas trompé. Il se glissa sans bruit derrière la personne puis brusquement la ceintura de ses bras. Un cri échappa à la jeune femme, mais elle fut bâillonnée d'une main ferme.
- Je t'avais dit que puisque j'avais senti ton odeur, je serais capable de te retrouver n'importe où, lui murmura-t-il à l'oreille. Même si dans le cas présent c'est toi qui me suivais. Et pourquoi faisais-tu cela ?
- Je… je rentrais chez moi, balbutia la jeune fille après que Milo eut ôté sa main de devant sa bouche.
- Menteuse…, dit-il en souriant tout en avançant vers elle.
- Non ! C'est la vérité ! s'écria-t-elle en reculant.
- Ton odeur a changé… Ce n'est pas de la peur, mais tu crains quelque chose…
- Que pourrais-je bien craindre ? le défia-t-elle.
- Moi…
- Vous allez me faire du mal ?
- Oh non, ma toute belle… Que du bien… Et c'est ce que tu espérais en me suivant, avoue.
- Je ne sais pas…
- Quel âge as-tu ? demanda-t-il sans cesser de chatouiller de son nez les joues et les oreilles de sa proie.
- Bientôt… dix-huit ans, soupira-t-elle.
- Tu n'as jamais participé aux nuits de la Fête de la Fécondité ? demanda-t-il encore toujours en tournant autour de son visage.
- Non… souffla-t-elle.
- Il y a un début à tout. Et pour toi, ce sera ce soir…
- Qu'allez-vous faire ? s'enquit-elle, mais elle connaissait la réponse.
- Tu sais ce qui se passe entre un homme et une femme lorsqu'ils sont attirés l'un par l'autre, non ?
- Vous ne m'attirez pas ! nia-t-elle encore.
- Un autre mensonge, murmura Milo tout contre son oreille.
Le souffle chaud la fit frissonner de la tête aux pieds. Elle gémit presque en sentant une main caresser simplement son bras.
- Viens… suis-moi, dit-il en lui tendant la main, lui laissant ainsi la possibilité de fuir à toutes jambes. Ce qu'elle ne fit pas.
- Comment t'appelles-tu ?
- Aisleen (3)
À la lueur des torches qui éclairaient les rues d'Égide de loin en loin, ils arrivèrent jusqu'à la porte principale du Palais. Soudainement, la jeune fille s'arrêta.
- Qu'y a-t-il ? demanda Milo, craignant un peu qu'elle se ravise.
- Nous ne pouvons pas rentrer là, répondit-elle un peu effrayée.
- Et pourquoi pas ?
- Eh bien… je…
- Je suis le Maître de Traque, tu te souviens ? J'ai un appartement ici.
- Oh…
- Allez, viens…
Aisleen fut bien obligé de le croire puisque le peu de personnes qu'ils croisèrent dans les couloirs s'adressèrent à Milo en l'appelant Seigneur. C'était la première fois qu'elle pénétrait dans le Château et elle regardait de tous ses yeux, fascinée par l'immensité du lieu. Ils atteignirent le second étage, un peu essoufflés. Le représentant de la Maison de Scorpio ouvrit la porte et se retourna vers la jeune femme.
- Si tu entres, je ne te laisserai pas ressortir, lui dit-il d'une voix douce, lui donnant encore la possibilité de changer d'avis.
Sans lâcher Milo des yeux, elle entra dans l'appartement à reculons. Elle était sous le charme de cet homme. Elle l'avait été dès leur première rencontre alors qu'il était blessé et se déplaçait encore avec sa béquille. Depuis, il ne s'était pas écoulé un jour sans qu'elle ne pense à lui. Certes, il était plus âgé qu'elle, mais curieusement ça ne la gênait pas comme avec d'autres hommes qui avaient tenté de la courtiser. Leurs manières étaient plus vulgaires et elle n'aimait pas ça. Milo l'avait fait rire et lui avait volé son premier baiser sans insister, sans rien vouloir de plus. Il la suivit et referma la porte. Une jeune fille était entrée, une jeune femme sortirait.
Le premier soir Hyoga et Seiya le passèrent à boire et à rire dans une taverne puis Shiryu les rejoignit. Le descendant de la Maison du Dragon comprit bien vite que ses deux compagnons tentaient d'oublier comme ils le pouvaient que leurs cœurs étaient en morceaux. Il les invita chez lui pour dormir. Ainsi il pourrait garder un œil sur eux. Et c'est bien ce qu'avait compris Shion en voyant les trois hommes s'éloigner. Lui-même gagna l'appartement de Dohko au Palais où celui-ci l'attendait allongé sur son lit.
Même si cette Fête était un moment de réjouissance pour le peuple, tout le monde n'avait pas le cœur à s'amuser, mais essayait tant bien que mal d'y trouver un peu de plaisir. La Reine Hilda entraîna Saori dans les rues de la ville pour voir les animations. Acrobates, jongleurs, musiciens, montreurs d'animaux semblaient bien plus motivés que les années précédentes. Plus nombreux aussi. Shunrei les avait suivies en compagnie d'Angus, tandis de Seika avait rejoint son mari.
Mime de son côté, avait retrouvé Orphée sur les bords du Lac Tirynthe et les deux hommes s'étaient mêlés à une troupe de musiciens. Des hommes et des femmes plus ou moins échauffés par le vin et la bière se mirent à danser. Ce n'est que plus tard dans la nuit que la fatigue et le sommeil emportèrent tout ce monde. Les deux joueurs de lyre trouvèrent une petite clairière au sol tapissé de mousse sur laquelle ils s'aimèrent jusqu'à ce que les premiers rayons du soleil fassent pâlir l'horizon.
La ville s'éveilla plus tard que d'ordinaire et le dispensaire vit défiler pas mal de personnes qui souhaitaient obtenir un remède contre les maux de tête ou d'estomac. Shion lui-même était en retard. Lorsque Milo s'éveilla, il était seul. Aisleen semblait être partie. Il sourit au souvenir de sa nuit. Bien que sans expérience, la jeune fille ne s'était pas montrée trop timide ni craintive. Il avait fait montre de beaucoup de douceur et de tendresse et avait énormément apprécié. Bien qu'il préférât les hommes, une jeune vierge n'était pas pour lui déplaire. Il se leva, se rafraîchit rapidement et descendit aux cuisines où il chaparda deux pilons de poulets et un morceau de tourte à la viande. Il se rendit sur l'espace de tir à l'arc où il s'était inscrit pour passer la deuxième journée du concours qui lui permettrait de participer à la finale. Il ne doutait pas de gagner. Il était le Maître de Traque et après Aïoros, il était certainement le meilleur archer du Royaume. Il avait emporté son arc fabriqué en bois d'if et non pas celui dont il se servait à la chasse qui était plus court et moins encombrant. Celui-ci lui permettrait d'être beaucoup plus précis et de s'assurer la victoire.
L'après-midi de cette seconde journée était en grande partie réservée aux enfants avec des courses de sacs, ou de relais à trois jambes. Il y avait aussi le lancer de fer à cheval et les quilles. Mais cette fois, la Reine Hilda n'avait pas réussi à convaincre la Princesse de sortir de sa chambre. Elle la laissa donc avec ces Dames de Compagnie et rejoignit le Roi qui avait décidé d'une chasse au cerf. Aïoros les accompagnait bien sûr ainsi que le Maître de Chasse son cousin Aïolia avec la meute de chiens et quelques Ministres. Marine et Shaina furent invitées à servir d'escorte à la Reine en plus de Bud d'Alcor et de Mime de Bénétnash.
La petite troupe revint avec pas moins de deux cerfs et trois sangliers. L'un des cerfs avait été tué par Bud dont la flèche avait transpercé le cœur en passant entre deux côtes. Aïoros le félicita pour son adresse que le Chevalier d'Asgard qualifia plutôt de chance incroyable. Le repas du soir fut riche et les restes furent apportés au dispensaire pour les malades qui ne pouvaient pas se divertir.
Shion regagna l'appartement de Dohko et après avoir pris un bon bain, les deux hommes se livrèrent à leur tour à la frénésie des corps jusqu'à épuisement.
… des flammes… partout… un brasier… des cris… une ombre… des flammes immenses… intenses… violettes… une silhouette…
- Shion… réveillez-vous… c'est un rêve…
- Saori ! cria le Magicien en s'éveillant en sursaut.
- Eh… que t'arrive-t-il ? demanda Dohko d'une voix ensommeillée.
- Je… un mauvais rêve… rendors-toi…
- Venez chez moi…
Quelques instants plus tard, après s'être assuré que son amant s'était rendormi, Shion frappa à la porte de la Reine Hilda. Elle vint elle-même lui ouvrir. Elle le fit entrer et lui offrit un siège et un verre de vin doux.
- Ce devait être un sacré cauchemar pour que votre angoisse me réveille, lui dit-elle sans détour.
- Veuillez me pardonner, Majesté…
- Hilda, je vous l'ai déjà dit lorsque nous sommes entre Magiciens.
- Il est vrai que c'était… terrifiant… J'ai ressenti de la chaleur, une très grande chaleur… Je voyais des flammes…
- Était-ce dans un lieu particulier ? Avez-vous pu le reconnaître ?
- Non… Il y avait une silhouette… Je suis presque certain qu'il s'agissait de Saori.
- Lorsque j'ai interrogé les étoiles, il y a quelques mois, j'ai vu un gouffre enflammé s'ouvrir, révéla la Reine. C'était terrifiant…
- Vous pensez que mon rêve a un lien avec votre vision ?
- Shion, je doute fort que ce soit un rêve. Pour moi il s'agit plus d'une prémonition. Et la Princesse s'en va dans trois jours.
- Cela pourrait donc advenir pendant son voyage.
- Comment le savoir… Les voies de la Magie sont parfois si difficiles à comprendre. Rien n'est jamais clair. Nous avons reçu un don qui est aussi une malédiction puisqu'il nous faut interpréter ce que nous voyons. Mais comment être sûr que notre interprétation est la bonne jusqu'à ce que les évènements surviennent.
- C'est là que nous devons faire preuve d'anticipation. Mais comment ? soupira Shion en plongeant son regard dans les flammes de la cheminée.
- Peut-être pourrions-nous lui donner une amulette pour la protéger, suggéra la Reine qui ne savait pas non plus quoi faire.
- Oui, peut-être… Malheureusement ni vous ni moi ne pouvons l'accompagner.
- Ce qui aurait été encore le plus simple, je le reconnais. N'y a-t-il personne dans sa garde qui aurait quelques notions de Magie.
Shion ignorait si dans l'escorte de la Princesse se trouverait un de ses compagnons aussi préféra-t-il ne pas s'avancer.
- Non, les gens comme nous ne sont pas nombreux…
- C'est juste… Il ne nous reste plus que l'amulette… Voulez-vous que je m'en charge ?
- Votre Magie est plus puissante que la mienne et…
- Mais vous y adjoindrez la vôtre mon ami, pour renforcer son pouvoir.
- Très bien.
- Je ferai ça sous la forme d'une bague que je lui présenterai comme un cadeau de mariage de ma part.
- Je viendrai dès que vous serez prête. Je crois que nous devrions essayer de nous reposer encore un peu, avant que tout le monde ne s'éveille, dit Shion en se levant.
- Vous avez raison. Tâchons de ne pas trop déprimer, ceux qui nous connaissent bien pourraient s'en apercevoir.
- Oui, c'est juste… À plus tard, Hilda… Merci beaucoup…
La dernière journée des festivités fut consacrée en grande partie à la course de chevaux sur mille mètres qui vit le Maître Palefrenier Shura en grand vainqueur, suivit de son neveu Tsubaki et Hyoga termina en troisième position. Gabriel fut élu meilleur conteur, Saga remporta le combat à l'épée sans avoir à trop montrer ses capacités et Milo gagna le concours de tir à l'arc.
Toute la Fête s'était bien déroulée. Il y avait eu quelques rixes entre des hommes qui avaient un peu trop bu, mais les soldats du Colonel Albior avaient eu vite fait de calmer tout le monde. Quelques blessés sans gravité s'étaient présentés au dispensaire et les aide-soignants s'en étaient occupés sans avoir eu besoin de déranger Shion.
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Le jour du départ était arrivé. Devant l'entrée du Palais de Marbre, il y avait un chariot imposant qui servirait à la Princesse et à sa Dame de Compagnie. L'intérieur était équipé de tout le confort possible. Deux couchettes recouvertes de peaux de cerfs et de loups, un brasero au centre, plusieurs lampes à huile suspendues aux arceaux qui soutenaient la toile huilée pour la rendre étanche à la pluie. Quatre Frisons étaient attelés et deux conducteurs se relaieraient pendant le voyage.
Dans sa chambre, Saori finissait de se préparer. Elle agissait comme dans un rêve ou plutôt un cauchemar où elle n'avait le contrôle sur rien. On frappa à sa porte ce qui eut pour effet de la sortir de ses sombres pensées.
- Reine Hilda ?
- Ma chère enfant, dit celle-ci en la serrant dans ses bras. Je sais que vous redoutiez ce jour, mais il ne faut pas. Regardez. J'ai un présent pour vous.
- Un présent ?
- Oui, pour votre mariage. Tenez.
Dans la main ouverte de la Souveraine, la Princesse découvrit une bague en or ciselée (4). La surprise lui arracha un léger sourire. Elle prit le bijou et le passa à son annulaire droit.
- J'ai peur qu'elle ne soit un peu grande, sourit la Reine, essayez de la mettre au pouce.
Et la bague s'ajusta parfaitement. Dans un élan de tendresse, la Princesse serra Hilda dans ses bras puis se mit en route. Devant le Palais, tous les membres du gouvernement étaient là pour lui souhaiter un bon voyage. Shion l'embrassa et l'émotion lui fit monter les larmes aux yeux. Il avait vu grandir sa Princesse et maintenant elle devenait une femme. Mais une femme en danger. Quand le Roi la prit dans ses bras, tous crurent qu'il ne la lâcherait jamais. Elle se dirigea finalement vers le chariot. Elle souleva l'avant de sa robe en coton blanc pour gravir les marches de l'escabeau. Une fois en haut, elle se retourna et fit un dernier geste de la main à tous ceux qui la regardaient partir puis elle s'engouffra dans l'habitacle. Shunrei la suivit. L'escabeau fut retiré et le chariot s'ébranla. Un peu plus loin, une escorte d'une cinquantaine d'hommes se plaça devant et derrière l'attelage.
Jusqu'aux remparts et même après dans la ville et plus loin dans la campagne, les gens saluèrent leur Princesse qui leur répondait de la main, à l'arrière du chariot dont la toile était encore ouverte. Lorsqu'il n'y eut plus personne, Shunrei la fit retomber et Saori s'écroula en larmes. Heureusement que Shion avait eu la bonne idée de donner à la jeune femme quelques préparations calmantes. La Princesse but le breuvage et ne tarda pas à s'endormir.
Dohko avait failli s'étouffer lorsqu'il avait appris qu'il ferait partie de l'escorte. Loin de Shion pendant si longtemps allait le rendre fou. Quant à Seiya, il se demandait pourquoi il n'avait pas refusé cette mission. Il aurait pu, mais il ne l'avait pas fait. Marine et Shaina chevauchaient côte à côte, Aïoros était en tête de convoi avec le Colonel Albior tandis que Dohko était à l'arrière. Shiryu avait accepté le poste d'Ambassadeur du Sanctuaire aux Océans et avait passé les deux dernières semaines à apprendre les subtilités de sa charge auprès de Hyoga. Shun avait sous ses ordres un petit bataillon chargé de la chasse tout au long du voyage pour éviter de trop puiser dans les réserves. Aussi, ses hommes et lui n'étaient pas dans la colonne, mais dans les bois environnants.
L'histoire était en route et le destin de chacun sur le point de s'accomplir…
A suivre...
Le prochain chapitre vous emmènera dans les royaumes du Sanctuaire, des Océans et des Ténèbres.
J'espère que vous avez aimé.
(1) Cycnos de Colone : c'est le fils de Poséidon et de Calycé. Il est roi de Colone.
(2) Hécatonchires : Je n'ai utilisé que le nom et leur fonction de Gardiens du Tartare. Dans la mythologie grecque, les Hécatonchires (en grec ancien Ἑκατόγχειρες / Hekatónkheires, « qui a cent mains », de ἑκατόν / hekatón, « cent » et de χείρ / kheír, « main ») ou, dans la mythologie romaine, les Centimanes (en latin Centimanūs, « qui a cent mains », de centēnus, « cent » et de manŭs, « main ») sont les trois fils d'Ouranos (le Ciel) et de Gaïa (la Terre). Ils se nomment Cottos, Gyès (ou Gygès) et Briarée (ou Égéon). Ils ont chacun cent bras et cinquante têtes qui crachent du feu, et sont les frères des Titans et des Cyclopes. Ils sont usuellement représentés comme des divinités marines.
Rejetés par leur père (qui craignait leur force) dans le Tartare, ils en sont sauvés par Cronos. Ils l'aident ensuite à renverser Ouranos. Mais de nouveau, Cronos les enferme dans le Tartare, et ils sont délivrés cette fois par Zeus, qu'ils assistent dans la Titanomachie. Les Titans, vaincus, sont précipités au Tartare, dont les Hécatonchires deviennent les gardiens.
Par la suite on les retrouve mêlés (notamment Briarée) à plusieurs légendes où ils interviennent pour restaurer l'ordre sur l'Olympe.
Briarée est l'un des cinq géants cités par Dante dans la Divine Comédie[], enchaînés dans les Enfers, il y est représenté comme malfaisant, alliant la ruse et la raison à la force.
(3) Aisleen : prénom originaire de Cornouailles qui signifie rêve ou vision
(4) Bague en or ciselée qu'Hilda offre à Saori.
