Bonjour à tous, voici une histoire déjà publiée sur HPF. Pour celles et ceux qui ne l'auraient pas lue, n'hésitez pas. C'est une enquête policière mêlée d'amour. Il y a un côté glauque puisque c'est policier, je préviens donc immédiatement qu'on y trouvera : des meurtres, des viols, de la pédophilie, de la nécrophilie. Jamais détaillés mais évoqués.
Par ailleurs, nous retrouvons dans cette histoire les journalistes et les Résistants présents dans « Au détour d'une rencontre ». Si vous n'avez pas lu cette fic, je vous conseille de commencer par là.
Bonne lecture !
2 mai 1999
Ils en avaient fait un jour férié, pour ne pas oublier. C'était ce qu'ils disaient. Harry n'avait pas vraiment d'avis là-dessus. A part peut-être le fait qu'il trouvait assez déplaisant de se dire qu'il allait devoir se rappeler cette date durant le reste de sa vie. Chaque année, chaque 2 mai, le monde sorcier dans son intégralité se mettrait en pause pour repenser au jour glorieux où il avait vaincu Lord Voldemort. Au jour glorieux où les braves avaient combattu contre le Mal et avaient gagné. Au jour glorieux où de si nombreux innocents avaient perdu la vie en défendant leurs convictions. Au jour glorieux où Harry avait couru comme un aveugle dans Poudlard pour trouver un diadème poussiéreux, où il avait perdu des gens qu'il aimait, où il avait appris avec consternation que l'un des hommes qu'il détestait le plus avait aimé sa mère et avait tenté de le maintenir en vie au prix de la sienne, où il avait découvert avec horreur qu'il devrait mourir pour sauver les autres, où il avait marché, terrifié, dans une forêt sombre, où il était mort. Alors, tout bien réfléchi, Harry avait un avis sur la question.
Il avait horreur de ce jour férié. Et au lieu de s'en souvenir chaque année, il aurait préféré l'enfoncer très loin au fond de son cerveau et l'oublier complètement.
Pire encore que ce jour férié, il y avait la cérémonie officielle qui l'accompagnait. Les représentants du Ministère avaient décidé de se réunir avec les grandes figures de l'Ordre du Phénix et de célébrer la paix. C'était la première année qu'ils le faisaient, évidemment, mais Harry pressentait que cela allait durer. C'était parfait pour polir l'image du Ministère et conserver l'unité de la communauté. Kingsley Shacklebolt était justement en train de poser devant un photographe tout en serrant la main du professeur McGonagall, actuellement directrice de Poudlard. Harry ne remettait pas en cause la sincérité de Kingsley, mais il n'était pas dupe non plus de la bonne publicité que cela lui faisait.
Harry avait vraiment songé à ne pas y aller mais Hermione l'avait fait changer d'avis. Elle non plus n'était pas très emballée par cette cérémonie officielle mais elle avait dit à Harry d'un ton sage et désabusé :
- Si tu ne viens pas, les journaux parleront de ton absence et les journalistes te harcèleront pour savoir pourquoi tu n'es pas venu. Si tu viens, tu n'auras qu'à poser une fois, boire quelques verres et serrer quelques mains.
Elle l'avait convaincu mais pour une fois, elle s'était trompée. Kingsley lui avait demandé de dire quelques mots, qui seraient soigneusement retranscrits dans la Gazette du lendemain. Devant l'air horrifié de Harry, le Ministre avait été rassurant.
- Juste quelques mots, pas un long discours, ne t'inquiète pas.
Cela n'avait pas réconforté Harry. Il se retrouvait donc là, souhaitant de tout cœur être ailleurs, même s'il ne savait pas trop où, pour être honnête. Le seul point positif de cette assemblée était qu'il se trouvait avec des gens qu'il appréciait. Ginny n'avait pas lâché sa main depuis qu'ils étaient entrés dans l'imposante maison de feu Rufus Scrimgeour où se déroulait la cérémonie. L'ancien ministre n'ayant ni femme ni enfant ni héritier proche, le ministère avait récupéré sa demeure pour en faire un lieu propice à toute sorte de réunions officielles de ce genre. Cela était de toute façon bien égal à Harry. Ils auraient pu se trouver n'importe où que ça n'aurait pas changé grand-chose. La main de Ginny dans la sienne était toutefois réconfortante. Elle affrontait les appareils photos et les sourires avec une expression affable et fière tandis qu'il se cachait presque derrière elle. Un observateur naïf aurait presque pu penser que c'était elle la célébrité et non lui.
Ils retrouvèrent Ron et Hermione à l'intérieur et restèrent groupés. Ils sourirent avec sincérité à Kingsley qui vint serrer chaleureusement la main de Harry, à Hagrid qui faillit renverser un buffet en venant les saluer, à Minerva McGonagall ou encore à Dedalus Diggles. Plusieurs directeurs des principaux départements du Ministère vinrent souhaiter la bienvenue à Harry mais ils n'eurent droit qu'à des salutations polies et distantes. Plus loin, Molly et Arthur Weasley bavardaient avec Hestia Jones. Finalement, Harry songea que l'ambiance était plutôt amicale, cela aurait pu être pire. Il y avait bien sûr des personnes dont l'absence crevait les yeux mais la douleur se faisait moins vive qu'avant. Après tout, la guerre remontait déjà à un an et certaines choses devenaient plus faciles à supporter. Certaines ne l'étaient pas.
Ron alla chercher des choses à grignoter et Harry se servit avec reconnaissance. Manger l'occupait et l'aidait à penser à autre chose.
- J'espère que ça ne va pas durer trop longtemps, dit Ron en croquant dans un feuilleté au jambon. Pour une fois qu'on a un jour de congé, il faut qu'on vienne le passer ici…
Harry sourit devant le ton exaspéré et indigné de son meilleur ami. Il compatissait. Leur formation d'Auror était prenante et fatigante ; Harry aurait préféré en profiter pour se reposer, lui aussi.
- Je suis heureuse qu'ils nous aient laissé sortir de Poudlard, déclara Ginny. J'avais peur qu'ils nous interdisent de venir.
- Oh oui, cela aurait été tellement dommage de manquer cette cérémonie, ironisa Ron en souriant.
- Moi je voulais vraiment venir, rétorqua Hermione.
- Tu serais venue de toute façon, tu es Hermione Granger, répondit Ron. Ginny, par contre, elle ne voulait venir que pour voir Harry.
- Evidemment, dit Ginny comme si c'était la chose la plus normale du monde.
Les règles de Poudlard avaient changé depuis un an. Après la guerre, les parents et les familles avaient trouvé douloureux et difficile d'être séparées aussi brutalement et les élèves qui le souhaitaient pouvaient rentrer chez eux tous les weekends par le réseau de Cheminette. Ginny avait donc l'occasion de voir Harry le weekend et ils en étaient très satisfaits. Ne pas se voir de décembre à juin aurait été une véritable torture. Ron et Hermione partageaient totalement leur avis, peut-être même un peu plus. Hermione semblait toujours bouleversée au moment de repartir à Poudlard où elle terminait sa dernière année. Cela avait étonné Harry au début car Hermione n'était pas particulièrement émotive en temps normal.
- On a passé un an ensemble tous les jours, avait expliqué Ron. Moi aussi je trouve ça dur d'être séparés d'un seul coup.
L'attention de Harry fut attirée par la voix de Molly Weasley qui se plaignait de l'absence d'Andromeda. Cela lui aurait fait plaisir de la voir aujourd'hui, mais elle devait garder Teddy. Harry savait que ce n'était qu'une excuse, ce n'était pas pour cela qu'Andromeda avait refusé de venir. Ils avaient tous refusé, tous les membres de la Résistance. Quelques mois après la guerre, Rita Skeeter avait publié un article sur les braves de la guerre, sur ceux qui, dans l'ombre, avaient œuvré pour sauver des Nés-Moldus et leur épargner des sorts terribles. Ils étaient une dizaine, travaillant soit au Ministère, soit à la Gazette, certains ne travaillant pas. Ils avaient utilisé leurs talents et leurs métiers pour effacer le nom des Nés-Moldus des listes, pour leur donner de fausses attestations de filiation sorcière, pour les aider à fuir en France ou aux Pays-Bas. Ils étaient des héros et tout le monde le savait. Ces héros-là, cependant, ne répondaient pas aux interviews et ne venaient pas aux cérémonies. Ils ne voulaient ni gloire ni célébrité. Enfin, pas de cette manière.
Harry les admirait et les enviait en même temps. Il aurait aimé pouvoir se soustraire à cette obligation lui aussi, pouvoir refuser et dire qu'il préférait rester anonyme. Bien sûr, c'était complètement impossible. Il était le héros de la lumière, celui dont tout le monde prononçait le nom et c'était exactement cela qui étouffait Harry jour après jour. D'ailleurs, puisqu'il y pensait, il se mit à se sentir nerveux et angoissé. Il lâcha la main de Ginny, alla prendre un verre sur l'une des tables et le vida rapidement. C'était ce qui l'aidait le mieux à se détendre. Il rejoignit ses amis, un deuxième verre à la main et intégra la conversation qui parlait des cours de Ginny et Hermione. Il écouta sans vraiment participer pendant que le regard de Ron glissait sur son verre et revenait vers lui avec une expression de pitié et d'inquiétude qui donna la nausée à Harry.
Il y eut un imperceptible mouvement de foule vers la porte d'entrée et Harry ne put s'empêcher de tourner la tête comme les autres pour regarder ce qui avait attiré leur attention. Sur le seuil, il aperçut la grande silhouette de Theodore Nott, marchant à côté de Pansy Parkinson. Derrière eux, plus en retrait et l'air beaucoup moins en état de grâce, il y avait Gregory Goyle et Drago Malefoy. Harry détourna le regard et croisa celui méprisant de Ron. Après la guerre, on avait admis que Theodore et Pansy n'avaient rien à voir avec les agissements de leurs parents. On avait également admis que Drago et Gregory avaient été entrainés là-dedans à leur insu et contre leur volonté. On s'était sincèrement demandé à quel âge un adolescent était en mesure de dire oui ou non et de penser réellement ce qu'il disait. On leur avait donc donné une seconde chance, la seule et unique, à eux de ne pas la gâcher. Si leurs parents avaient été assigné à résidence et avaient disparu de la vie publique, renonçant à certains de leurs droits, les enfants n'avaient reçu qu'une seule peine : celle d'assister pendant cinq ans à la cérémonie du 2 mai. C'était à la fois indulgent et cruel. Indulgent car cela ne leur coûtait pas beaucoup, cruel car cela leur coûtait bien plus qu'il y paraissait.
Il était évident, à la crispation dans la mâchoire de Theodore, à la pâleur de Pansy, à la nervosité de Gregory et au regard fuyant de Drago que cela leur faisait mal d'être là. Déjà parce qu'ils s'y savaient étrangers et indésirables. Ensuite parce qu'ils devaient fêter la chute de leurs parents, de leurs privilèges et de leur règne et qu'ils en avaient bien conscience. Mais c'était exactement ce que Kingsley avait recherché : les faire venir pour leur rappeler que les temps anciens étaient révolus et qu'ils n'avaient pas intérêt à reproduire les erreurs de leurs parents. Une fois que tout ceci était dit, Harry devait admettre qu'il ne ressentait aucune pitié pour eux et que leur sort était le cadet de ses soucis.
L'apparition de la secrétaire de Kingsley vint interrompre la discussion entre Ginny et Hermione qui déclaraient qu'elles se seraient bien passées de voir Malefoy et toute la clique en un jour comme celui-ci. Harry et Ron étaient d'accord avec elles, aucune personne saine d'esprit n'aurait envie de les voir.
- Le Ministre va parler, Mr Potter. Ce sera votre tour ensuite.
Il balbutia un merci qui était l'exact opposé de ce qu'il pensait et se précipita vers une troisième coupe de mousseux pour se donner du courage. Il n'avait aucune envie de parler devant tous ces gens, absolument aucune. Il était mauvais pour ce genre de chose, il le savait parfaitement. Hermione lui avait assuré que c'était faux, qu'il était très bon pour motiver un groupe, il ne la croyait pas. Ginny lui serra la main, l'embrassa rapidement et le poussa un peu vers le pupitre où se trouvait Kingsley.
- Allez, courage, ça va bien se passer, dit-elle en souriant.
Il marcha jusqu'au pupitre et y déposa la feuille de son discours. Ses mains tremblaient tellement qu'il eut du mal à la mettre droite puis il eut du mal à se concentrer dessus. Il leva les yeux, ce qui fut une totale erreur. On voyait toujours plus facilement le fond d'une salle que le premier rang quand on était sur une estrade. Et au fond, il y avait Theodore, Pansy, Gregory et Drago qui le fixaient avec des visages profondément exaspérés, les bras croisés, l'air de s'ennuyer déjà. Harry se sentit encore plus nul qu'il l'était déjà, eut envie de disparaitre de cette estrade et de rentrer chez lui en courant. Il jeta malgré lui un coup d'œil angoissé à la porte du fond puis se mit une gifle imaginaire. Il n'allait tout de même pas fuir devant Malefoy, c'était n'importe quoi. Il finit par se sentir en colère et la colère le poussait toujours. Retrouvant un peu de courage, Harry lut correctement sa feuille, remercia les gens présents, rappela pourquoi ils étaient là, rendit hommage aux morts, répéta qu'il n'avait pas gagné seul, etc, etc, jusqu'à la fin du discours. Il y eut des applaudissements sincères et chaleureux. Au fond, les quatre Serpentard applaudissaient mollement, sans grande conviction.
Ce fut avec plaisir que Harry rejoignit ses amis et se dirigea vers le buffet. Maintenant que c'était terminé, un verre ne serait pas de refus. Il ignora le regard réprobateur d'Hermione, il n'avait pas besoin de leçon maintenant. Autour d'eux, tout le monde discutait, souriait ou essuyait discrètement une larme émue. Molly et Arthur recevaient beaucoup de poignées de mains amicales, pour compatir avec la perte de leur fils. Cela faisait un an jour pour jour, c'était difficile. Harry fut harponné par Hagrid qui le remercia pour son discours. Harry était content de le voir, il n'en avait pas beaucoup l'occasion. Hagrid lui parla de Poudlard, des cours qu'il y donnait.
- Ce n'est plus vraiment pareil sans vous, avoua Hagrid. Heureusement, il y a encore Hermione qui vient souvent me rendre visite. Quand elle partira aussi, je n'sais pas ce que j'ferai…
Harry aurait aimé avoir pitié de lui mais ses sentiments avaient tendance à s'engourdir depuis un bon moment maintenant. Et la tête lui tournait un peu. Il avait peut-être trop bu. Il répondit obligeamment aux questions que Hagrid lui posa sur sa formation d'Auror. Cela lui plaisait, oui, il s'en sortait bien. Il était sûr de lui, oui, c'était le métier qu'il voulait faire.
- Et à part ça, demanda Hagrid en baissant la voix. Comment vas-tu Harry ?
- Ça va…
- Non, comment ça va, vraiment ?
- Ça va, répéta Harry en fuyant son regard.
- Tu dors mieux la nuit ? Tu fais encore des cauchemars ?
- Parfois. C'est mieux qu'avant.
- Bon, tant mieux… maugréa Hagrid.
Il n'était pas dupe, il n'était pas stupide, il voyait parfaitement que Harry mentait mais il ne voulait pas l'obliger à parler, surtout pas ici dans un tel endroit. Il donna à Harry une tape affectueuse qui manqua lui faire recracher tout ce qu'il avait bu et s'éloigna. Comment allait Harry, vraiment ? C'était la question qu'ils se posaient tous et à laquelle il ne répondait jamais. Comment allait-il, vraiment ? Il n'en savait rien lui-même.
Il regarda autour de lui, constata que ses amis avaient disparu et les chercha parmi la foule.
- C'était un charmant discours, Potter, dit une voix trainante dans son dos.
Harry se retourna pour faire face à Drago qui était seul, lui aussi. Visiblement, il avait abandonné sa troupe de déchus pour venir le voir. Trop aimable.
- On voit que tu y as mis du cœur, ça m'a presque ému.
Il n'y avait pas vraiment d'hostilité dans les paroles de Drago, simplement une moquerie persistante.
- Tu ne viens me parler que pour te moquer de moi ou il y a une raison particulière ? demanda Harry.
- On ne s'est pas vu depuis un an, tu pourrais être un peu plus chaleureux, rétorqua Drago en souriant.
- Et ça m'allait très bien comme ça. Je n'avais pas spécialement envie de te voir aujourd'hui.
- Crois-moi Potter, nous sommes deux, répondit Drago d'une voix glaciale. A vrai dire, j'aimerais bien ne plus jamais te revoir.
- Alors pourquoi est-ce que tu viens me parler ? soupira Harry, plus lassé qu'énervé.
- Je ne sais pas, parce que je m'ennuie et que tu es divertissant ?
Malefoy haussa les épaules d'un geste fataliste et Harry sentit la colère revenir. Il était divertissant, vraiment ? Il pressentait que ce n'était pas un compliment. Il faillit répliquer quelque chose de méprisant mais Drago se détourna légèrement.
- Bon, je retourne auprès de mes amis, pour apprécier l'ambiance délicieuse de cette cérémonie.
Il y avait une amertume évidente dans cette phrase et Drago n'attendit pas de réponse. Il s'éloigna le long des tables, au moment où Ron, Hermione et Ginny rejoignaient Harry. Ce dernier comprit que Malefoy était parti pour les éviter.
- Que voulait Malefoy ? demanda Ron.
- Rien, se moquer de mon discours, je ne sais pas, avoua Harry.
A vrai dire, il n'avait jamais vraiment su ce que Malefoy lui voulait mais il devait admettre qu'il n'était pas vraiment surpris d'avoir eu cet échange stérile avec lui. C'était toujours comme ça, à chaque rentrée, Drago venait lui parler pour des raisons que lui seul connaissait. Aujourd'hui, il n'y avait plus de rentrée mais il y avait la cérémonie du 2 mai et Drago était venu lui parler, encore une fois. Harry n'essayait même plus de comprendre.
- Vous avez pu discuter un peu ? demanda Hermione, curieuse.
- Discuter de quoi ? s'étonna Harry.
- Eh bien de… je ne sais pas, de la guerre, de… de ce qui s'est passé quand on était chez lui ou quand on était dans la Salle-sur-demande.
- Non et je n'ai aucune envie d'en parler, répondit sèchement Harry.
Elle n'insista pas et la fête continua de se dérouler comme elle avait commencé. Harry savait qu'il était ivre mais il parvint à se contrôler et à ne rien laisser paraitre jusqu'à ce qu'il soit l'heure de partir. Heureusement, la cérémonie ne dura pas très longtemps. Il fallut serrer les mains de tout le monde, dire au revoir, à bientôt, prenez soin de vous, j'ai été ravi de vous voir. Harry enfila sa veste et sortit dans les premiers, la main de Ginny toujours dans la sienne. Un peu avant le portail, ils croisèrent Nott et ses amis, échangèrent un signe de tête raide et poursuivirent leur chemin. Malefoy ralentit le pas et se retourna une dernière fois avant de transplaner.
- Tu sais Potter, je trouve que tu bois trop, dit-il simplement.
Harry lui jeta un regard glacial que l'autre n'eut pas vraiment le temps de voir. La main de Ginny se serra autour de la sienne et elle transplana avec lui jusqu'au Terrier.
2 mai 2000
Il était ivre avant même d'arriver. Et il était trop ivre pour en avoir honte. La honte viendrait après, quand les effets de l'alcool se dissiperaient. Et pour échapper à cette honte, il faudrait boire à nouveau. C'était ce qu'était devenue sa vie mais il ne savait plus exactement à quel moment tout cela avait dégénéré. C'était arrivé petit à petit, sournoisement, et ça l'avait complètement envahi. La première chose qu'il fit en entrant dans la salle de fête fut de jeter un coup d'œil au buffet. Tant qu'il y aurait quelque chose à boire, tout irait bien. Il serra la main de quelqu'un, il ne savait même plus qui était cette personne. Le Directeur du Département de la Justice magique peut-être, il n'en était plus très sûr. Il essaya de répondre le plus dignement possible et fut heureux de voir Ron et Hermione arriver sur sa gauche.
Il était ivre mais il vit parfaitement le regard peiné qu'ils lui adressèrent en le voyant dans cet état. Harry détourna la tête et fit semblant de ne pas s'en rendre compte. Cela lui donnait encore plus envie de boire.
- Tu sais Harry, tu n'aurais peut-être pas dû venir, murmura Hermione avec inquiétude.
Cela lui coûtait de dire quelque chose comme ça, c'était évident. Ron préféra rester silencieux pour l'instant.
- Et pourquoi ne viendrais-je pas à la célébration d'une victoire que j'ai moi-même remportée ? demanda Harry avec un mélange d'agressivité et de cynisme.
Elle voulut lui répondre mais Ron posa une main sur son épaule pour l'arrêter. C'était inutile de discuter avec Harry quand il était dans cet état-là, ça n'engendrait que des disputes. Et Ron n'avait aucune envie de se disputer devant tout le monde.
Heureusement, il y avait les autres invités. Harry sourit aux gens qu'il était content de voir, échangea quelques mots avec eux. Il faisait particulièrement beau ce jour-là, ils avaient ouvert les grandes portes-fenêtres pour permettre aux gens de sortir sur la terrasse. Harry s'y rendit, prit un verre et rejoignit le professeur McGonagall qui venait d'arriver. Comment se portait Poudlard ? Avaient-ils enfin réussi à trouver un professeur de Défense contre les forces du mal prêt à rester plusieurs années ? La directrice lui répondit gentiment.
- Ça me manque un peu, admit Harry en fixant son verre. Poudlard me manque.
Elle lui lança un regard de pitié que, par chance, il ne vit pas. Harry pensait sincèrement ce qu'il disait. Depuis qu'il avait quitté Poudlard, il avait perdu une maison. Il ne se sentait chez lui nulle part, il se sentait menacé partout, il n'allait pas bien. Il aurait donné n'importe quoi pour y retourner, pour se laisser bercer par les heures de cours, par les repas dans la grande salle, par les discussions au coin du feu, les visites à Hagrid et les entrainements de Quidditch. Tout lui manquait, absolument tout. Et ça lui faisait mal.
- Et votre formation, est-ce que ça vous plait toujours ? demanda doucement le professeur McGonagall.
Il assura que oui, omettant sciemment de parler du fait qu'il avait été renvoyé chez lui à plusieurs reprises parce qu'il était trop saoul pour assister aux cours de pratique, ou qu'il s'endormait régulièrement pendant les cours théoriques. Il eut l'impression, au-delà du visage sévère qu'elle avait toujours, qu'elle savait parfaitement tout cela. Elle savait tout. Tout le monde savait. La Gazette ne s'était pas privée pour faire quelques petites allusions à ses penchants certains pour la boisson. Cela donnait à Harry l'impression d'être un déchet que tout le monde regardait avec un mélange de compassion et de mépris.
Le professeur McGonagall s'interrompit pour saluer Molly Weasley qui venait d'arriver à son tour. Harry aurait préféré ne pas la voir mais il ne pouvait pas y échapper. Elle le serra dans ses bras quelques secondes, comme elle le faisait toujours.
- Comment vas-tu mon chéri ?
C'était une question rhétorique, il ne répondit pas. Il essaya d'éviter son regard mais il n'y parvint pas. Elle ressemblait terriblement à Ginny, c'était effrayant. Elle avait le même regard rempli d'affection et de déception, d'inquiétude et de culpabilité. Elle s'efforçait d'être gentille avec Harry, non pas qu'elle ne l'était pas avant, mais cela s'était accentué quand Ginny l'avait quitté. Comme si Molly tentait de rattraper le geste de sa fille et de l'atténuer.
Ginny l'avait quitté, sans doute parce qu'il buvait trop et qu'il était franchement pathétique. Il ne pouvait pas vraiment lui en vouloir. Il lui en voulait à mourir. Elle l'avait quitté deux mois plus tôt et il ne s'en remettait toujours pas. Il n'était même pas sûr que ce soit Ginny qui lui manquât réellement, c'était plutôt l'idée rassurante de savoir que quelqu'un l'aimait et était là pour lui. Aujourd'hui, il n'y avait plus personne. Ginny avait rendu les armes, elle n'avait pas eu le courage d'affronter tout cela, elle n'avait pas eu la force de les supporter, lui, son angoisse, son alcoolisme et son amertume. Elle s'était enfuie et elle le laissait tout seul. Il la détestait.
Et plus encore, bien sûr, il se détestait d'avoir tout gâché, il se détestait d'être aussi nul, faible, méprisable. A la place de Ginny, il se serait quitté lui aussi. D'ailleurs, s'il avait pu se quitter, il l'aurait fait. Le pire dans tout cela, c'était peut-être la dernière dispute qu'ils avaient eue avant qu'elle ne s'en aille définitivement. Elle lui avait dit :
- Tu sais Harry, franchement, je me demande si tu m'as vraiment aimée.
Il aurait dû répondre que oui, évidemment qu'il l'avait aimée mais il n'avait pas réussi. Il s'était rendu compte qu'il n'était pas si sûr que cela de la réponse et ça lui avait brisé le cœur. Il avait été incapable de la retenir et elle l'avait quitté. Sorcière Hebdo en avait parlé, n'hésitant pas à dire qu'elle l'avait quitté à cause de son alcoolisme. Il avait déchiré l'article et avait jeté les morceaux de papier par terre. Puis il avait bu pour supporter sa peine.
Harry n'écoutait pas ce que Molly lui disait. Sa voix semblait lointaine et irréelle, comme si Harry s'était trouvé sous l'eau et elle à la surface. Il lui répondit par syllabes lapidaires, il n'était plus très sûr de ce qu'il disait non plus. Il la suivit sans protester à l'intérieur pour écouter le discours de Kingsley Shacklebolt puis l'intervention inédite de George Weasley, venu raconter son expérience de la guerre au sein de l'Ordre du Phénix. Cette année, personne n'avait demandé à Harry de faire un discours, tout d'abord parce qu'il avait clairement signifié à Kingsley que ce n'était absolument pas son rôle de faire ça et ensuite parce qu'il n'était de toute façon pas en état de parler publiquement. Cela aurait même été un désastre. George était un bien meilleur choix que lui. Il parla de la radio clandestine qu'ils avaient créée, son frère et lui, il parla de Remus Lupin, de Ted Tonks, il parla de Fred. Ce fut à la fois drôle et émouvant, comme George savait si bien le faire. Molly pleura, Ron eut l'air profondément ému, on l'applaudit bien fort.
Ce fut lors des applaudissements que Harry remarqua la présence des quatre enfants de Mangemorts, présents malgré eux au fond de la salle. Il ne les avait pas vu arriver, sans doute était-il encore sur la terrasse à ce moment-là. Ils avaient un peu changé, ils paraissaient moins abattus et timides que la dernière fois. Après les discours, Pansy dit quelque chose à Drago et cela le fit sourire. Harry les suspecta de se moquer de l'intervention de George. Un membre éminent du Ministère vint serrer la main de Theodore et s'éloigna un peu avec lui pour parler de seul Merlin savait quoi. Les petites affaires reprenaient, constata Harry avec mépris et fatalisme.
Il retourna sur la terrasse, c'était là qu'il était le mieux. Hermione était en grande discussion avec la Directrice du Département de régulation des créatures magiques, ce qui ne surprenait pas Harry outre mesure. Il se retrouva donc seul avec Ron à commenter le discours de George. Cela leur avait rappelé des souvenirs et ils évoquèrent quelques instants les moments marquants de cette année terrible où ils avaient cherché les Horcruxes dans tout le pays. A l'époque, cela paraissait normal et c'était la seule chose à faire. Aujourd'hui, Harry trouvait cela ridicule de se dire qu'ils avaient cherché comme des cons des objets aux quatre coins du pays sans avoir la moindre idée de l'endroit où ils pouvaient se trouver. C'était complètement absurde, il en voulait à Dumbledore pour ça, il en voulait à Rogue, à Voldemort, à la terre entière. Comment avait-on pu l'envoyer faire un truc aussi stupide et bancal ? Et dire que toute la réussite de l'opération reposait sur ça, sur sa faculté à décoder les codes de deux sorciers cinglés qui s'étaient pris pour des dieux. Car tout bien réfléchi, le comportement de Dumbledore le mettait parfois dans des colères noires.
- Tu veux quelque chose à manger ? demanda Ron. Je pars en expédition de nourriture si tu veux.
- Je veux bien des toasts au saumon dans ce cas, répondit Harry en souriant.
Ron acquiesça et rentra dans le bâtiment pour aller se servir au buffet. Harry lui était reconnaissant de faire cela, de ne pas l'obliger à le suivre, de comprendre qu'il restait là, dehors, pour fuir tout le reste. Sa reconnaissance fut de courte durée car la haute silhouette de Drago Malefoy se posta devant lui et baissa les yeux pour le regarder. Drago était plus grand que lui, cela agaçait Harry, il détestait être obligé de lever les yeux.
- Tu sens le Whisky Pur Feu jusqu'ici Potter, déclara Drago sans préambule.
- Je t'emmerde, répondit Harry, pas vraiment capable de trouver mieux.
Malefoy ne parut pas particulièrement perturbé par cette réponse puérile. Harry n'osait pas croiser son regard, il avait trop peur d'y lire du dégoût et de la haine. Il se dégoûtait déjà suffisamment lui-même, il n'avait pas besoin de Malefoy pour ça.
- Ça va durer longtemps ? demanda Drago.
- De quoi ?
- Cette déchéance de héros incompris.
- Va te faire foutre, répondit Harry, hargneux.
- Être ivre ne te réussit pas Potter, tu deviens vulgaire et encore plus navrant que d'habitude.
Harry se sentit trembler de haine et de colère, parce que Drago ne lui disait que des choses qui lui faisaient mal et le touchaient exactement là où il était le plus sensible. A croire que Drago avait le talent caché de déceler ses moindres faiblesses et de les exploiter à la perfection. Il aurait aimé trouver une pique cinglante à répondre mais en vérité, son cerveau ne fonctionnait plus très bien. Malefoy en profita pour continuer son attaque dûment préparée.
- Tu crois qu'ils vont t'accepter chez les Aurors si tu continues comme ça ? Personne ne voudra d'un Auror alcoolique, ils vont te virer.
- La ferme.
- Tu as déjà perdu ta copine Potter, tu devrais peut-être te reprendre avant de perdre tout le reste.
- Je ne…
- Regarde-toi, tu ne pourras jamais plus aider personne dans cet état-là.
C'était trop pour Harry, Malefoy dépassait les bornes. De quel droit venait-il l'insulter comme ça ? L'insulter pour ne lui dire que des choses parfaitement exactes qui rendaient Harry furieux, en plus. Il sortit sa baguette d'un geste nerveux mais pas très vif, à cause de l'alcool. Malefoy eut tout le temps de sortir la sienne également. Autour d'eux, des murmures commençaient à s'élever, on avait remarqué qu'ils se disputaient. Quand Harry lança un premier sortilège à Drago, ce dernier le para facilement et des cris retentirent pour leur demander d'arrêter. Harry se sentit encore plus furieux et agacé. Quelqu'un sortit de la foule et s'approcha de Drago, sans doute pour le forcer à ranger sa baguette. Profitant de ce moment d'inattention, Harry cria :
- Expelliarmus !
Il y eut un moment de flottement pendant lequel Drago fixa Harry avec stupeur. Harry ne comprit pas immédiatement pourquoi Drago le regardait de cette manière puis il se rendit compte qu'il l'avait loupé. Drago tenait toujours fermement sa baguette et n'avait même pas semblé sur le point de la perdre. Harry vit sa main trembler autour de sa propre baguette.
- Mais comment peux-tu louper ce sortilège, Potter ? demanda Malefoy, avec quelque chose qui ressemblait à de la sincérité. Surtout toi, comment peux-tu en arriver là ?
- Ta gueule ! hurla Harry.
Il avait envie de pleurer. Il sentit qu'on lui arrachait sa baguette des mains et se retrouva face à Hermione qui paraissait à la fois énervée et consternée. Face à eux, Nott tenait le bras de Drago et essayait de l'entrainer plus loin.
- Ce n'est rien Mr le Ministre, assurait Theodore avec conviction. Une simple querelle amicale entre deux anciens camarades…
- Rangez votre baguette Mr Malefoy, ordonna froidement Shacklebolt.
- Harry a attaqué le premier, fit remarquer Pansy.
- Bon, allez, l'incident est terminé, tout va bien !
On lança des regards réprobateurs et méprisants à Drago, on glissa des regards un peu déçus et navrés à Harry puis on retourna à l'intérieur. Harry sentait les larmes lui monter aux yeux, il ne contrôlait plus ses émotions du tout. Il avait mal, il était triste, il avait peur, il avait honte. Malefoy se dégagea vivement de la main de Theodore et revint vers Harry, le visage dur et fermé.
- Reprends-toi Potter, tu deviens quelque chose de pathétique, on ne te reconnait plus.
- C'est bon Malefoy, ferme-la, rétorqua Ron avec exaspération.
Harry ne l'avait même pas vu revenir. Il ne put s'empêcher de lever les yeux vers Drago, des yeux rougis et larmoyants. Ils se fixèrent une seconde puis Harry détourna la tête et s'accrocha au bras d'Hermione.
- Je veux rentrer, supplia-t-il.
Elle hocha la tête et l'emmena vers le portail. Il n'arrivait même plus à marcher droit, cela devait donner un spectacle absolument misérable. Sur la terrasse, Drago, Theodore et les deux autres le regardèrent s'en aller avec des visages impassibles.
- C'est tellement triste que je n'arrive même plus à trouver cela drôle, commenta Pansy en croisant les bras.
2 mai 2001
Cette année, il pleuvait et il faisait presque froid, à cause du vent et de l'humidité. Tous les invités s'étaient lancés des sortilèges pour se sécher en entrant dans la grande maison. Ron râlait à cause de ses cheveux complètement décoiffés par la pluie. A côté de lui, Harry éclata de rire.
- C'est pour cette raison que je ne me coiffe pas, au moins, je ne suis jamais déçu.
- Je devrais faire comme toi, soupira Ron.
- Certainement pas, répliqua Hermione. Tu es bien plus séduisant avec des cheveux ordonnés, contrairement à Harry.
Ron sourit, retira sa veste, la tendit à l'homme qui s'occupait des vestiaires puis passa un bras autour des épaules d'Hermione.
- Redis-le que je suis séduisant, je n'ai pas bien entendu…
Hermione échangea un regard amusé avec Harry qui se débarrassait de son Trench et elle leva les yeux vers Ron.
- Tu es séduisant.
Il sourit largement, se pencha vers elle, l'embrassa furtivement puis ils entrèrent dans la grande salle où presque tout le monde les attendait. Ils étaient un peu en retard, à cause de Harry qui avait oublié l'heure. Son examen final pour devenir Auror était proche et il s'était endormi comme une masse au milieu de ses livres de cours. Il s'était heureusement réveillé à temps pour enfiler un pantalon repassé, une chemise propre et sa veste de costume bleu foncé. Il n'en avait qu'une, qu'il mettait pour toutes les grandes occasions. Pour l'anniversaire de Teddy, par exemple ou pour fêter la naissance de Dominique, la deuxième fille de Bill ou encore pour assister au mariage de Percy Weasley avec Audrey, une jeune fille moldue qu'il avait rencontrée grâce à une de ses collègues. Cette année avait été plutôt riche en émotions et en événements joyeux. Il n'y avait jamais trop d'événements joyeux.
A tous ces événements-là, on avait acheté du jeu de citrouille ou du jus de pomme pétillant pour Harry et on lui avait tendu les verres avec des sourires engageants, presque encourageants. Au début, cela l'agaçait et lui faisait honte. Maintenant, il en riait, c'était presque devenu une blague entre eux. George faisait semblant de se jeter sur les bouteilles de vin et de les cacher dès que Harry s'en approchait, Dean et Seamus disaient « On a fait chauffer le thé pour Harry ». Souvent, Hermione leur reprochait leur immaturité avec agacement mais Harry trouvait cela drôle. A vrai dire, ça rendait les choses plus confortables. Le pire aurait été de ne pas en parler, de faire comme si tout était normal, de garder des non-dits, de lui servir discrètement des verres de jus de fruit comme si c'était honteux. Harry aurait eu horreur de ça.
Il n'avait pas bu une goutte d'alcool depuis quatre mois et c'était une immense fierté pour lui. Il était suivi à Ste Mangouste pour cela, on lui avait donné des potions pour l'aider à arrêter de boire, on lui avait donné des potions calmantes pour l'aider à mieux dormir, on l'avait gardé plusieurs jours pour le sevrage. On lui avait proposé de parler à quelqu'un, il existait des guérisseurs qui écoutaient les gens en détresse, c'était un concept à la mode qui se développait depuis la fin de la guerre, à cause du nombre important de sorciers et sorcières traumatisés. Il avait refusé, il ne se sentait pas prêt, il n'avait pas envie de parler. Hermione avait insisté, même Ron s'y était mis. Harry avait finalement pris rendez-vous avec un guérisseur qu'il avait rencontré toutes les semaines pendant six mois. A la grande surprise de Harry, il s'était rendu compte que ce n'étaient pas les récits de la guerre qui étaient spontanément sortis de sa bouche. C'était le récit de son enfance chez les Dursley.
Cela avait été dur à admettre mais beaucoup de ses souffrances prenaient leur origine ici. Il avait tout raconté, le placard, son absence de place, le manque d'affection ; il s'était entendu dire que cela s'appelait de la maltraitance, il s'était entendu dire qu'il était victime et non coupable. Il avait arrêté de s'y rendre au bout de six mois. Il savait que certaines choses n'étaient pas réglées, il savait qu'il aurait peut-être dû continuer mais il en avait assez. Il était sobre, il allait mieux, il voulait vivre normalement sans ressasser perpétuellement le passé. En plus, il avait ses réunions avec les SA, les Sorciers Alcooliques. Le concept avait clairement été volé aux Moldus mais il fallait leur rendre justice, ils savaient mieux y faire que les sorciers pour toutes ces choses-là. Harry s'y rendait régulièrement, exprimait le fait que parfois, il avait tellement envie de boire qu'il avait l'impression de crever et que parfois, il se sentait parfaitement bien. Il gagnait des médailles à chaque étape de son abstinence. Il venait de recevoir celle des quatre mois, avec une sorcière qui levait le pouce en signe d'encouragement. Il espérait ne pas avoir à la perdre et recommencer à zéro. C'était déjà arrivé trois fois et ça avait toujours été une profonde souffrance.
- Je vais chercher à boire, déclara Hermione.
Harry hocha la tête et se retrouva seul avec Ron. Ils furent rejoints par Kingsley Shacklebolt qui leur serra joyeusement la main, assurant que cela faisait plaisir de voir Harry aussi en forme. Il avait l'air vraiment sincère et Harry lui sourit. Kingsley espérait que Harry réussirait ses examens et deviendrait Auror mais il n'en doutait pas. On lui avait dit beaucoup de bien de lui.
- Ah bon ? demanda Harry en rougissant.
- Mais oui, beaucoup de bien. Le directeur de la formation dit que tu es l'un des meilleurs éléments qu'il ait jamais eu et il est certain que tu feras un excellent Auror.
- Ah, c'est… je… eh bien merci beaucoup, balbutia Harry.
Ce n'était pas le genre de Harry de rechercher les éloges mais en tout honnêteté, cela lui faisait plaisir. Kingsley s'éloigna pour saluer de nouveaux arrivants et Hermione revint avec trois verres de jus de fraise. Ron regarda le sien avec déception.
- Pourquoi est-ce que tu me donnes du jus de fraise ? demanda-t-il piteusement.
- Parce que c'est très bien, on boit tous du jus de fraise et puis voilà.
- Tu sais, vous pouvez boire du vin, assura Harry en souriant. Ça ne me dérange pas.
- Peu importe, on te soutient, je trouve ça important.
Il était évident que Ron n'avait guère envie de le soutenir de cette façon et il se força à avaler sa boisson en soupirant. Il irait se prendre un verre de champagne dès qu'il le pourrait.
- Ça ne m'étonne pas ce que Kingsley t'a dit à l'instant, dit Ron. Tu as toujours été bon dans ces choses-là.
Ils racontèrent à Hermione ce que le ministre venait de dire à Harry et elle hocha la tête, d'accord elle aussi. Elle lui faisait entièrement confiance pour réussir.
- Tu ne regrettes pas d'avoir laissé tomber ? demanda Harry à Ron.
- Non, pas du tout. Honnêtement, je suis beaucoup plus heureux depuis que je travaille à la boutique avec George. Les combats, les enquêtes, le danger, j'en ai assez eu dans ma vie, je préfère m'en passer.
- Je peux comprendre, répondit Harry en souriant.
- Le principal c'est de faire quelque chose que tu aimes, assura Hermione.
Harry passa de groupe en groupe, discuta longuement avec Hagrid et le professeur McGonagall qui étaient ravis de constater qu'il allait beaucoup mieux. Kingsley fit son éternel discours, on accueillit un membre du Ministère qui était là sous le règne de Voldemort et raconta à quel point c'était horrible, à quel point les choses avaient changé et à quel point il en était heureux. C'était de la publicité et de la propagande peu subtile pour le Ministère mais c'était tout de même suffisamment galvanisant et émouvant pour susciter de vifs applaudissements. Instinctivement, Harry se tourna vers les gens qui devaient bien s'apercevoir de l'objectif grossier de cette manœuvre et qui devaient la trouver exaspérante. Comme il s'y attendait, Drago Malefoy applaudissait en poussant un soupir blasé et Theodore Nott affichait un sourire ironique.
Nott portait une robe de sorcier traditionnelle qui était quasiment démodée. Les jeunes sorciers n'en portaient plus, ou seulement dans l'office de leur fonction. Ils avaient tous admis que cela n'était ni très seyant ni très pratique. Maintenant, on s'habillait différemment, un peu à la mode moldue mais pas tout à fait. La robe de Molly Weasley aurait pu être portée par une Moldue, à ceci près que les fleurs des motifs n'auraient sans doute pas passé leur temps à s'ouvrir et se refermer comme elles le faisaient. Harry n'était cependant pas très étonné que Nott reste conservateur au sujet de ses vêtements, ça lui allait bien. Drago, lui, s'adaptait plus facilement. Il avait un costume sobre et élégant et avait renoncé à la robe de cérémonie traditionnelle.
Harry regarda Drago un instant, perdant le fil de ce qui se disait sur l'estrade. On portait un toast et il leva son verre machinalement, sans vraiment y penser. Il se souvenait parfaitement de sa dernière altercation avec Drago, un an auparavant. Il aurait été abusé de dire que c'était grâce à cela que Harry avait décidé de demander de l'aide à Ste Mangouste mais il ne pouvait pas nier que ça l'avait motivé. Au fond, même si cela lui faisait mal de l'admettre, Malefoy avait eu raison à cette époque-là. Il devait se reprendre. Il n'allait pas à ses réunions des SA pour Malefoy, il n'était pas sobre pour Malefoy, il ne pensait d'ailleurs quasiment jamais à lui. Mais aujourd'hui qu'il était là, il avait envie de lui dire qu'il n'avait pas sombré comme l'autre l'avait annoncé.
Harry marcha jusqu'au groupe des quatre Serpentard d'un pas assuré. Malefoy lui tournait le dos mais il se retrouva face à Theodore qui le fixa une seconde avant de dire :
- Drago, il y a quelqu'un pour toi.
Drago se retourna vivement et tressaillit en voyant Harry si près de lui. Pendant une seconde, son visage perdit son impassibilité, fut traversé par une panique fugitive puis se reprit. Harry ne remarqua rien de tout cela, il ne connaissait pas assez Drago pour lire tout cela dans ses yeux.
- Que nous vaut l'honneur, Potter ?
- J'anticipe le moment fatidique où tu viendras me voir pour me rappeler à quel point tu me détestes.
- A vrai dire, je ne comptais pas venir te voir aujourd'hui, je suis lassé de ce petit jeu, répondit Malefoy d'un air hautain.
- Tant mieux, assura Harry.
Pansy se mêla de la conversation et adressa à Harry un sourire moqueur.
- Tu as l'air mieux que la dernière fois. Il parait que tu es allé te faire soigner à Ste Mangouste.
- Merci de ta sollicitude, répondit sèchement Harry. Ceci dit, je pense que c'est en partie grâce à Drago que j'ai réussi à me reprendre. Pour une fois que tes insultes sournoises servent à quelque chose… Qui l'aurait cru ?
Drago fixa Harry sans répondre pendant quelques secondes, avec un regard indéfinissable qui perturba un peu Harry puis sa bouche reprit son pli méprisant.
- Qu'est-ce que ça peut bien me faire ? demanda-t-il. Ta vie ne m'intéresse pas Potter, je me fiche complètement de t'être utile ou non.
- Est-ce que ça va durer encore longtemps ? répliqua Harry d'un ton calme.
- Quoi donc ?
- Cette hostilité puérile entre nous. Tu vas être détestable comme ça jusqu'à ta mort ou tu penses pouvoir grandir un jour ?
- Je ne vois aucune raison d'être aimable avec toi.
- Non, aucune en effet… Je regrette presque d'avoir essayé.
Disant cela, Harry se détourna et s'éloigna d'eux en poussant un soupir dépité. La prochaine fois, il ne se fatiguerait pas à aller les voir, c'était complètement inutile. Perdu dans ses réflexions, il faillit se heurter à la femme qui voulait visiblement lui parler. Elle avait des cheveux châtains assez courts, un air sérieux sur le visage, un peu comme le professeur McGonagall mais son sourire était franc. Il la connaissait, il l'avait déjà croisée. Elle était journaliste au Sorcier Libre, le nouveau journal qui faisait concurrence à la Gazette. Il existait depuis deux ans et il rencontrait un vif succès. Le journal n'était pas à la solde du Ministère, il n'était pas soumis à la censure et prônait des idées très arrêtées sur les changements qui seraient nécessaires à la communauté. En général, Harry était d'accord avec toutes les positions du journal. Ce qui faisait son succès, en plus de ça, c'était qu'il était dirigé et essentiellement composés par des membres de la Résistance, ces mêmes héros qui avaient sauvé des Nés-Moldus et échappaient aux pompeuses cérémonies publiques.
- Bonjour Miss Bones, dit aimablement Harry.
- Appelez-moi donc Mrs Bones si ça ne vous dérange pas, renchérit la journaliste.
- Vous vous êtes mariée ? s'étonna Harry.
- Non, Mr Potter mais je déteste passer pour une petite demoiselle quand je parle à quelqu'un de plus jeune que moi. Quand je parle à quelqu'un de plus vieux aussi, d'ailleurs.
Elle avait six ans de plus que lui, il le savait parce qu'elle avait fait partie de la promotion de Charlie Weasley. Harry sourit largement, sans pouvoir se retenir
- Parfait, répondit-il.
- Avez-vous quelques minutes à me consacrer ?
- Uniquement parce que c'est vous, répondit Harry, souriant toujours.
- Vous me draguez ?
- Non, pas du tout. Le fait est que je vous aime bien. Vous et votre journal m'êtes bien plus sympathiques que les vautours de la Gazette.
- Je vois, je le prends comme un compliment, dit Edith Bones en souriant à son tour. Je voulais vous demander votre avis sur l'annonce du Ministère concernant les Détraqueurs d'Azkaban. Ils vont s'en débarrasser, qu'en pensez-vous ?
2 mai 2002
Harry avait enfilé le nouveau costume qu'il s'était acheté peu de temps auparavant pour remplacer l'autre, devenu trop petit après un lavage raté. Parfois, Harry loupait ses sortilèges domestiques, il ne pouvait exceller partout… Il avait sincèrement hésiter à enfiler sa veste d'Auror, bleu marine avec des boutons argentés, que portaient tous ses collègues mais il y avait renoncé. Il avait eu peur de paraitre trop prétentieux. Après tout, il n'était pas obligé de porter son uniforme un jour férié, c'était surtout pour les cérémonies officielles et le travail quand ils n'étaient pas en mission d'infiltration. Oui mais, après tout, c'était une cérémonie officielle, n'est-ce pas ?
Harry retira son costume, revêtit son uniforme d'Auror avec fierté et transplana. Il était à l'heure, de façon tout à fait miraculeuse. Il arriva en même temps que son patron, le chef des Aurors et le salua cordialement. Il était heureux d'avoir réussi la formation, il savait que peu y parvenaient, qu'elle était dure et sélective. Cela le réconfortait de voir que ses efforts avaient payé. Maintenant, il faisait le métier qu'il avait toujours voulu faire et c'était un accomplissement en soit. Tout comme sa médaille des dix mois était un accomplissement également.
Harry n'avait pas spécialement envie d'être là mais cette année, c'était moins pénible que les autres fois, surement parce qu'il allait mieux. Ce fut donc avec bonne humeur qu'il se laissa enlacer par Molly, qu'il subit l'étreinte de Hagrid, qu'il retrouva Ron et Hermione.
- Je ne sais pas pourquoi mais j'ai toujours l'impression que tu crânes quand tu portes cet uniforme, dit Ron en souriant.
- Absolument pas, répondit Harry en se passant une main dans ses cheveux.
Ron ne semblait pas très convaincu mais il n'insista pas. Il savait que son ami était fier de sa profession et il aimait le taquiner à ce sujet.
- Vous ne pensez pas qu'on pourrait manquer la cérémonie l'année prochaine ? demanda Ron d'un air sérieux. Ça commence un peu à me gonfler.
- Nous verrons bien mais ça ne me gênerait pas de ne plus venir, admit Hermione. J'ai vraiment autre chose à faire que venir boire du champagne et être prise en photo.
- C'est le devoir de mémoire, répliqua Harry d'une voix faussement sage.
Elle haussa les sourcils et Harry eut une moue désolée, pour signifier que ce n'était pas sa faute s'ils devaient se taper cette comédie tous les ans. Surtout que c'était toujours la même chose, ou presque. Les sourcils d'Hermione se haussèrent davantage quand elle se tourna vers la porte et Harry se retourna pour voir Drago et Theodore entrer. Ils n'avaient rien de particulier, ce n'était pas cela qui avait interpelé Hermione. C'était Pansy et Gregory, derrière eux, qui pénétrèrent dans la salle en se tenant la main. Ron fit semblant de vomir.
- Quel couple absolument charmant, ironisa-t-il. J'espère que Malefoy n'est pas trop déçu, j'aurais plutôt parié que Pansy sortirait avec lui.
- Malefoy n'a jamais aimé Pansy, répondit immédiatement Harry, presque malgré lui.
- Ah bon ? Comment tu le sais ?
- Je ne sais pas, ça se voyait, il se servait simplement d'elle.
Hermione avait l'air de partager son avis. Ils médirent un instant sur le couple Goyle-Parkinson, puis Harry poussa un profond soupir.
- C'est quand même affligeant de constater qu'un type comme Goyle peut se trouver une copine et que j'en suis parfaitement incapable, dit-il d'un air désespéré.
C'était vrai, il n'y arrivait pas. Depuis Ginny, il n'avait pas vraiment eu de relation sérieuse. Il avait fréquenté plusieurs filles, rencontrées au travail ou à des soirées mais ça n'avait jamais marché. Il avait conscience que cela venait de lui, que quelque chose clochait chez lui, qu'il passait à côté de quelque chose d'essentiel. Il n'avait aimé aucune de ces filles et il avait le sentiment déplaisant qu'il ne pourrait jamais en aimer aucune. Cela l'effrayait un peu.
- Ne dis pas ça, vieux, le réconforta Ron. Parfois ça prend du temps, c'est tout. Et puis on n'a que vingt-deux ans, tu as largement le temps de trouver une copine.
Ça ne l'aidait pas vraiment. Non pas qu'il veuille à tout prix sortir avec quelqu'un mais tout de même, la solitude était un peu pesante. Il aurait aimé avoir quelqu'un à voir le weekend, quelqu'un à qui parler le soir, quelqu'un à serrer dans ses bras quand il en avait besoin.
- Je suis certaine que tout ira bien Harry, déclara Hermione avec sérieux. Maintenant que tu vas mieux et que tu as réglé pas mal de choses, tu vas pouvoir être plus disponible pour une relation amoureuse. Tu vas finir par rencontrer une fille que tu aimeras vraiment. Une fille, ou un garçon…
Il y eut un moment de latence pendant lequel Ron regarda Hermione comme si elle avait dit une énormité. Harry, lui, regarda également Hermione, mais pas de la même façon.
- Pourquoi est-ce que tu lui dis ça ? demanda Ron. Harry n'aime pas les garçons.
- Je ne sais pas, à lui de le dire, répliqua Hermione d'une voix sereine.
- Pourquoi est-ce que tu me dis ça ? demanda Harry.
Sa question n'avait pas le ton de reproche qu'avait eu celle de Ron. Elle contenait plutôt une certaine avidité qu'Hermione perçut parfaitement.
- Je me faisais simplement la réflexion que toutes les figures auxquelles tu t'étais accroché dans ta vie étaient des hommes. Je veux dire, Dumbledore, Sirius, Remus. Comme si, tu sais, tu recherchais plutôt l'affection et l'attention d'un autre père. Symboliquement bien sûr, mais tu vois… Tu vas me dire que tu n'y es pour rien si tu as rencontré les amis de ton père et c'est vrai mais… ta mère avait certainement des amies elle aussi, des amies qui auraient été ravies de te rencontrer. Tu n'en as jamais parlé, tu n'as jamais eu l'air intéressé par cette idée. Toi, tu avais surtout besoin qu'un homme veille sur toi. Alors, je ne sais pas, puisque tes histoires avec les filles ne fonctionnent jamais vraiment, je me demandais, tu sais… si ce n'était pas plutôt un garçon qu'il te faudrait.
Harry et Ron la fixèrent, bouche bée, complètement sidérés. Ron se reprit le premier et éclata de rire.
- Hermione, ma puce, tu ne crois pas que tu vas un peu trop loin et que ta théorie est un peu tirée par les cheveux ? Ce n'est pas parce qu'il galère avec les filles qu'il est forcément gay, c'est un peu rapide comme conclusion…
- Ce n'est pas parce qu'il galère avec les filles que je dis ça, c'est à cause de tout ce que j'ai expliqué avant. Mais si je me trompe, oublie ça Harry, c'était peut-être totalement déplacé.
Harry la fixa sans répondre. Il n'avait toujours rien dit et les mots ne sortaient pas de sa gorge. Il n'avait absolument rien à répondre, il se sentait un peu assommé. Les explications d'Hermione lui semblaient incongrues, d'autant qu'il pouvait voir qu'elle s'en voulait d'avoir déclaré tout cela. Elle n'avait pas résisté à l'envie de briller par une théorie époustouflante mais c'était le genre de théorie qu'il aurait mieux valu garder pour un moment plus privé. Il ressentit l'envie de rire, parce que ce qu'elle avait dit était absurde. Et puis soudain, il eut irrésistiblement envie de boire.
- Ça ne fait rien Hermione, ne t'inquiète pas, répondit Harry en souriant. Je vais me chercher à boire.
Il marcha d'un pas résolu vers le buffet, sous le regard un peu inquiet de ses deux amis et contempla les verres de champagne avec délectation. Il savait qu'il ne devait pas, il savait qu'il allait le regretter. Il savait qu'il allait avoir honte devant Ron et Hermione. Il tendit le bras et se cogna à l'homme qui voulait se servir également. Harry voulut s'excuser mais il constata que c'était Malefoy. Il se sentit mal et honteux et resta figé devant la table du buffet. Drago se prit un verre de champagne puis attrapa un verre de jus de citrouille frais qu'il tendit à Harry. Ce dernier rougit franchement.
- Merci, murmura Harry du bout des lèvres.
- Ça te va bien cet uniforme Potter, il ne faudrait pas tout gâcher, répondit Malefoy sans le regarder.
- …
- Il parait que tu as déjà fait quelques arrestations brillantes depuis que tu es en poste. C'est vraiment incroyable cette manie que tu as d'être performant dans tout ce que tu entreprends…
Harry songea que si Malefoy connaissait les détails de sa vie amoureuse, il changerait de discours. Pour l'instant, il n'arrivait pas à savoir si Malefoy lui disait quelque chose de gentil ou s'il se foutait de lui. C'était désagréable.
- Il parait aussi que tu as gardé cette manie désastreuse d'agir seul sans attendre les renforts malgré le danger.
- Comment est-ce que tu sais ça ? s'écria Harry, surpris et énervé.
- Aucune importance. Toujours aussi suicidaire à ce que je vois.
Sur cette constatation, Malefoy lui tourna le dos et disparut dans la foule. Harry resta immobile, son verre de jus de citrouille à la main, un peu sonné. Il ne savait plus si c'étaient les insinuations d'Hermione ou les provocations de Drago mais il se sentait complètement perdu. Et il avait failli boire du champagne. Une réunion lui ferait le plus grand bien.
2 mai 2003
Au début, Harry, Ron et Hermione avaient prévu de ne pas y aller. Ils auraient très bien pu ignorer l'invitation et ne pas venir. Les journaux en auraient certainement parlé mais moins qu'avant. Ils ont donc décidé de déroger à la tradition mais une nouvelle les a fait changer d'avis. Pour fêter les cinq ans de la victoire, les membres de la Résistance ont accepté de faire le déplacement et de venir à la cérémonie. Les journaux s'en délectent, disant que ce sera une rencontre historique entre l'Ordre du Phénix et la Résistance, les deux groupes officiels ayant combattu activement Voldemort. On a hâte de prendre des photos et de voir ça. Sincèrement, on est un peu ému. Après tout, ces gens sont la fierté de la communauté. Donc, à cause de cet imprévu, Harry, Ron et Hermione ont finalement décidé d'y aller.
Harry n'a pas mis son uniforme d'Auror cette fois-ci, la magie des débuts commence à se faner un peu. Il est toujours très heureux de faire partie du bureau des Aurors mais il ne ressent plus le besoin de se pavaner dans son uniforme bleu marine. Et puisqu'il fait chaud, il n'a mis qu'une chemise blanche parfaitement banale. Il a quand même pris soin de tailler soigneusement sa barbe, à cause des photos. Les premières années, il se moquait bien de l'apparence qu'il avait sur les photos de presse mais maintenant, il ne veut pas donner l'impression d'être négligé. Il sait que les rumeurs repartent immédiatement s'il a l'air trop fatigué, trop débraillé, on le suspecte d'avoir recommencé à boire. C'est surtout Sorcière Hebdo qui fait cela et c'est insupportable. Il devrait leur coller un procès.
C'est dans de telles dispositions d'esprit que Harry pénètre dans la grande salle, toujours la même. Il y a toutefois plus de monde, évidemment. Harry connait déjà plusieurs membres de la Résistance, surtout les journalistes du Sorcier Libre à qui il avait accordé des interviews durant les dernières années et Andromeda, bien sûr. Il va d'ailleurs directement vers elle et la salue poliment. Il n'arrive jamais à être complètement détendu en sa présence, elle l'impressionne et l'intimide. Peut-être à cause des pertes qu'elle a subies, ou du fait qu'ils s'étaient retrouvés à aimer Teddy tous les deux alors qu'ils se connaissaient à peine. Cela les a rapprochés mais tout de même, il y a entre eux une distance qui ne passe pas.
Andromeda lui sourit en retour et prend de ses nouvelles spontanément, avec sincérité. Il pose surtout des questions sur Teddy qui a eu cinq ans le mois dernier. A cause de son travail qui lui demande beaucoup de temps et d'énergie, Harry n'a pas le temps d'aller voir son filleul autant qu'il le souhaiterait.
- Je suis sur une grosse enquête en ce moment, avoue Harry. Et… ça piétine un peu.
- N'oublie pas de dormir quand même, rétorque Andromeda en souriant.
- Eh bien, c'est vrai qu'il m'arrive d'oublier, répond Harry en soupirant.
Ils sont rejoints par Molly qui embrasse Andromeda sur les deux joues puis serre Harry dans ses bras. Les deux femmes commencent à discuter et il en profite pour s'échapper. Où son Ron et Hermione ? Ah, enfin, il les repère à l'entrée. Il marche vers eux, souriant, mais son sourire s'atténue quand il les rejoint. Il y a une ambiance tendue entre ses deux amis, comme s'ils venaient de se disputer. Ce n'est pas nouveau mais Harry n'a pas spécialement envie de se retrouver au milieu d'une querelle de couple. Ignorant Ron, Hermione enlace Harry et jette un regard autour d'elle.
- Seamus n'est pas venu ? demande-t-elle.
Son ton sonne la déclaration de guerre et Harry se crispe.
- Non, il n'est pas venu.
- Pourquoi ?
- Tu sais très bien pourquoi, répond Harry avec agacement.
- Vous êtes ensemble depuis six mois quand même, il pourrait songer à t'accompagner et à prendre ses responsabilités.
- Fiche-lui la paix, dit sèchement Ron.
Hermione se mord la lèvre et détourne le regard. Harry sait qu'elle a du mal à supporter la lâcheté de Seamus qui veut absolument garder leur relation cachée mais cela ne la concerne pas. Et il n'a aucune envie d'en discuter maintenant.
- Tu sais très bien que Seamus craint de faire la une des journaux si on s'affichait ensemble et je le comprends.
- C'est un peu lâche, commente Hermione.
- Je ne crois pas que tu sois bien placée pour juger de ça, rétorque froidement Harry.
- Pardon Harry, soupire Hermione. C'est juste que… j'ai l'impression qu'il… je ne sais pas, qu'il pourrait faire un peu plus d'efforts pour toi. Et je ne parle pas forcément de venir à la cérémonie mais…
« Mais il n'est pas assez bien pour toi et tu le sais » disent les yeux d'Hermione. Harry fait semblant de ne pas comprendre et fixe le sol. Il devine qu'elle est énervée contre Ron et que c'est Seamus qui prend à sa place. Et par ricochet, c'est Harry qui prend.
- Honnêtement Hermione, il est peut-être un peu lâche, mais regarde autour de toi, tout le monde l'est. Tu en vois beaucoup, dis-moi, des couples d'hommes ou de femmes qui viennent ensemble ? Non. Et je ne peux pas reprocher à Seamus d'avoir peur de cela. Quant à toi, tu n'en as pas le droit.
- Je sais, excuse-moi Harry, j'étais un peu à cran.
- On a remarqué, murmure Ron d'une voix glaciale.
- Mais je dois te contredire sur un point, dit Hermione en ignorant Ron. Certains couples d'hommes viennent ensemble.
- Ah oui ? Et qui donc ? demande Harry d'un air blasé.
- Eux.
Hermione fait un signe vers les hommes qui discutent avec Andromeda et Harry ne peut s'empêcher de les fixer. Ce sont les fondateurs du Sorcier Libre, Harry les connait, comme tout le monde. L'un des deux a de longs cheveux châtains bouclés qu'il a noués en un chignon faussement négligé, des yeux sombres, des lunettes rondes et dorées. C'est sans conteste l'un des hommes les plus séduisants que Harry ait jamais rencontrés. Il a eu l'occasion de lui parler une fois, lors d'une interview. Il a dû faire des efforts pour ne pas trop le regarder et répondre aux questions d'un ton détaché. L'autre homme, Harry ne l'a jamais rencontré personnellement. Il est moins séduisant, même s'il reste tout de même avenant. Il a les cheveux blonds, courts et une barbe tout aussi blonde. Ses yeux bleus sont ce qu'il a de plus beau, assurément. Harry les observe pendant qu'ils parlent avec Andromeda, comme de vieux amis. Il y a quelque chose sur le visage du blond, quelque chose qui attire l'œil de Harry. C'est peut-être la gentillesse profonde qu'il peut y lire, une gentillesse comme on en rencontre peu. Andromeda dit quelque chose et l'homme blond sourit. Quand il sourit, son regard s'illumine, comme un enfant, avec une pureté un peu désarmante. Finalement, quand il sourit, il est presque aussi attirant que l'autre.
Harry se détourne et fixe Hermione en haussant les épaules.
- Comment sais-tu qu'ils sont ensemble ? Ce n'est parce que Black a les cheveux longs qu'il est forcément gay et rien n'indique qu'ils forment un couple.
Ron et Hermione regardent Harry comme s'il était un véritable extraterrestre. Ils retrouvent presque leur complicité pour se moquer de lui.
- Non mais Harry, répond Hermione avec consternation. Ils sont ensemble, tout le monde le sait, je veux dire… ce n'est pas un secret.
- Tu devrais peut-être sortir un peu le nez de ton travail et te tenir informé de la vie, ricane Ron avec une raillerie amicale.
Harry pousse un soupir. Il n'en a rien à faire des rumeurs, des potins et des médisances de Sorcière Hebdo, il ne lit jamais ça et il ne va surement pas s'y mettre. Harry jette un nouveau coup d'œil en direction des fondateurs du Sorcier Libre. D'une certaine façon, savoir qu'ils sont ensemble les rend plus attirants encore. Harry s'afflige lui-même et détourne le regard.
Heureusement, c'est l'heure de la prise de parole du Ministre. Il parle longtemps, il remercie les membres de la Résistance d'être venus, il rappelle leur courage. Puis il parle de l'Ordre du Phénix et rappelle leurs exploits. Harry avoue qu'il est un peu touché. Il observe Agatha et Elliott Greengrass, remarque que leurs deux filles les ont accompagnés et qu'elles bavardent avec Theodore et Drago. Tiens, Harry les avait presque oubliés. Andromeda Tonks et son mari Ted, tragiquement parti pendant la guerre. Edith Bones et son frère Peter, décédé lui aussi. Oliver Fudge, bien plus audacieux que son oncle. Harry songe qu'il ira saluer tous ces gens après les discours, il a envie de les rencontrer.
Les applaudissements ont pris fin et on se dirige spontanément vers le buffet. Harry n'a pas faim mais il est reconnaissant de boire le jus de citrouille frais que lui a tendu Ron. Il aimerait aller parler aux journalistes du Sorcier Libre et il les cherche du regard. Quand il les aperçoit enfin, il hésite une seconde, un peu intimidé. Puis il se rappelle qu'il est quand même Harry Potter et qu'il peut tout à fait aller dire bonjour à un homme comme Leo Black. Harry avance, traverse une partie de la salle et se fige quand quelqu'un lui barre brusquement la route. Harry tressaille et lève les yeux vers Malefoy. Il n'a absolument aucune envie de subir ses provocations maintenant et il s'apprête à le refouler sèchement. La voix de Drago l'en empêche.
- Potter, est-ce qu'on… est-ce qu'on pourrait aller parler en privé. Je… je voudrais te dire quelque chose.
Harry le fixe, hébété, presque choqué par la déclaration puis il se reprend.
- Oui, si tu veux.
C'est plus fort que lui, Harry est curieux. La demande est trop inattendue, trop étrange, il veut savoir ce que Malefoy a à lui dire. Il le suit à travers la salle, s'engage dans un couloir et regarde Malefoy essayer d'ouvrir au hasard les portes qui se présentent devant eux. La troisième s'ouvre et ils entrent dans ce qui devait être un salon. Tous les meubles sont recouverts de draps pour les protéger de la lumière et donnent à la pièce un aspect plutôt lugubre. Aspect plus lugubre encore quand la porte se referme derrière eux et que Harry se retrouve seul avec Drago.
- Alors, qu'est-ce que tu voulais me dire ? demande Harry d'un ton vaguement indifférent.
- C'est la dernière année où je dois venir à cette cérémonie, dit Malefoy. Donc… je pense qu'on ne se verra plus. Et je voulais en profiter pour dire quelque chose.
Malefoy s'arrête et un silence pesant tombe sur la salle. Harry observe Drago avec attention et ne prend conscience que maintenant de quelque chose d'absolument fondamental et d'absolument angoissant : Drago est nerveux, mal à l'aise, pâle, bégayant et clairement stressé. Clairement un peu saoul aussi, Harry sait détecter cela. Avec horreur, il se demande si Malefoy ne va pas lui demander pardon pour tout, ou quelque chose dans ce goût-là. Ce serait affreusement embarrassant. Il ne saurait pas quoi lui répondre.
- Tu as l'air d'avoir un peu trop bu, Malefoy. Peut-être que ce n'est pas le bon moment pour…
- J'ai bu pour me donner la force de faire ça, déclare Drago sans le regarder.
C'est encore pire que ce que Harry imaginait. Maintenant, il se sent aussi nerveux que Drago.
- Bon, quoi ? Tu vas réussir à le dire ou pas ? Si tu veux t'excuser pour le passé, ce n'est pas la…
- Ce n'est pas ça, coupe Drago.
- Ah bon, répond Harry un peu sèchement. Oui, j'aurais dû me douter que tu n'allais pas t'excuser, je veux dire, ce n'est pas vraiment ton…
- Je suis amoureux de toi, Potter.
- …style.
Silence. Drago a les joues en feu et Harry ne s'en sent pas très loin. Le nouveau silence est absolument irrespirable. Harry ne peut s'empêcher de reculer imperceptiblement.
- Quoi ? murmure-t-il.
- Je suis amoureux de toi, je l'ai toujours été. Ou enfin pas toujours mais depuis très longtemps.
Finalement, c'est encore pire que ce que Harry n'imaginait pas. C'est au-delà des mots. Et c'est tellement au-delà de tout que ça énerve Harry.
- C'est une blague, c'est ça ? demande-t-il sèchement.
- Non, c'est…
- C'est forcément une blague Malefoy. Tu ne vas quand même pas me faire croire que tu m'aimes après tout ce que tu m'as fait. Et alors quoi ? Tu m'aimes et c'est pour cela que tu viens m'insulter chaque année à chaque cérémonie ?
- Je ne t'ai jamais insulté, rétorque Drago.
- Quoi ? Tu te fous de moi ou quoi ? Tu m'as traité d'alcoolique, tu as dit que je ne serai jamais Auror !
- J'ai dit que tu ne serais jamais Auror si tu ne te reprenais pas. Tu t'es repris, c'est bien.
- Quoi ? bafouille Harry. L'année dernière, tu as dit… tu as…
- J'ai dit que ton uniforme d'Auror t'allait bien et que tu avais fait des prouesses.
- D'accord, stop, tais-toi.
Harry a mal à la tête tout à coup. Sa gorge est bizarrement sèche. Il ne peut s'empêcher de penser que Malefoy se moque de lui. Ça ne peut pas être vrai. En plus, il n'a absolument aucune envie que ce soit vrai. Malefoy fait un pas vers lui et Harry se tend de tous ses muscles.
- Ecoute Potter, je sais que… c'est dur à croire mais… je t'aime depuis toujours, depuis que nous sommes enfants. Je n'ai jamais cessé de… J'ai essayé de ne pas t'aimer, vraiment. Parce que c'était perdu d'avance, parce que je n'avais pas le droit, parce que… J'ai essayé de te détester, vraiment et j'ai plutôt bien réussi mais plus je te détestais et plus je… C'était plus facile de te détester, tu comprends ? J'ai voulu… j'avais envie de te détruire parce que tu… parce que ça aurait été plus simple que tu n'existes pas. Si tu n'avais pas existé, je n'aurais jamais… Mais ça ne s'en va pas et je n'arrive plus à te détester comme avant. Tu as gagné la guerre, tu as survécu, tu as tué Tu-Sais-Qui et tu m'as sauvé et je… c'est devenu trop fort, je ne peux plus… Voilà, j'ai assisté à mes cinq cérémonies et maintenant, je ne te verrai plus. C'est très bien, je vais pouvoir t'oublier. Mais avant, je voulais que tu le saches. Je voulais juste que tu comprennes, je voulais… te le dire au moins une fois.
Il a parlé d'une traite, bafouillant à la moitié des phrases mais pourtant très sûr de lui. De toute évidence, il avait répété, il avait même dû apprendre sa déclaration par cœur, se la réciter devant son miroir avant de venir. Cela aurait pu être un peu émouvant mais Harry n'en ressent aucune indulgence et aucune reconnaissance. A vrai dire, chaque mot de Drago lui fait mal et l'agresse, plus encore que ses provocations et que ses insultes. Cela le rend en colère comme il l'a rarement été.
- Tu espères que je te réponde quoi ? demande-t-il sèchement.
- Rien, tu n'as rien à répondre, je voulais juste…
- Tant mieux, parce qu'évidemment, je ne peux pas te dire que je t'aime aussi. En fait, je ne t'aime pas, je ne t'ai jamais aimé. Tu me balances que tu m'aimes après toutes ces années ? Va te faire foutre ! Tu m'as détesté parce que tu m'aimais ? Tu m'as fait mal parce que tu m'aimais ? Tu as voulu me détruire parce que tu m'aimais ? Et tu crois que ça efface tout ? Tu crois que c'est une excuse ? Tu crois que je vais te pardonner ? Tu as bien veillé à rendre mes années à Poudlard les plus pénibles possibles, tu m'as insulté, tu t'es moqué de mes amis, tu t'es moqué de mes douleurs, tu as ri de la mort de mes parents, tu as souhaité la mort des gens que j'aimais, tu as même essayé de les tuer. D'ailleurs, tu y as même plus ou moins réussi. Je te déteste Malefoy, tu es lâche, tu es faible, tu es méchant, cruel et tes idées sont méprisables ! Et là tu me dis que tu m'aimes ? De quel droit ? C'est facile de dire ça après tout ce que tu m'as fait. Tu m'aimes ? Quelle blague ! Tu n'as pas le droit de me dire ça. Alors oui, j'espère qu'on ne se reverra pas. Parce que moi je ne t'aimerai jamais.
Harry se tait, essoufflé d'avoir crié. Toute la haine qu'il avait accumulée envers Drago vient de lui échapper maintenant. Après tout, déclaration pour déclaration, puisque c'est la dernière fois qu'ils se voient, autant aller jusqu'au bout. Harry ne sait pas si cela lui fait du bien d'avoir sorti toute la vérité à Drago. Ce qu'il sait en revanche, c'est que l'expression sur le visage de Drago est l'une des plus tristes qu'il ait vues. Si jamais Harry doutait encore de sa sincérité, il ne doute plus. Drago ne pourrait jamais simuler un désespoir comme celui-là. Il ressemble à quelqu'un qui vient de se faire poignarder dans le dos. Par la personne qu'il aime.
- Eh bien, dit Drago d'une voix raide. Ça a le mérite d'être franc. Je pense qu'on va en rester là. Au revoir Potter.
Drago avance vers Harry et le dépasse pour atteindre la porte. Harry est soudain pris d'une pensée et d'un doute persistants qui l'angoissent complètement. Et si Drago rentrait chez lui et se suicidait ? Parce que ses pas résignés et déterminés qui le conduisent jusqu'à la porte, son visage figé et son cœur brisé lui donnent l'aspect d'un condamné à mort marchant vers la potence. Et sincèrement, n'importe qui aurait envie de mourir après avoir entendu une telle déclaration de la personne aimée. Harry réalise, avec un peu de retard et de regret, qu'il a peut-être été trop dur. Malefoy ne devait pas s'attendre à recevoir beaucoup de compassion mais sans doute ne s'attendait-il pas à recevoir quelque chose d'aussi haineux.
Harry se retourne et lui attrape le bras.
- Malefoy, attends, je n'aurais pas dû dire tout ça, je suis désolé, c'était un peu exagéré, dit précipitamment Harry.
Drago se retourne à son tour, fixe Harry une seconde puis prend brusquement son visage entre ses mains et l'embrasse tout aussi brusquement. Harry se fige de stupeur puis le repousse d'un geste rageur.
- Mais putain qu'est-ce que tu fais, t'es fou ou quoi ?!
- Pardon, murmure Drago en le lâchant.
Sans rien ajouter et sans laisser à Harry le temps de répondre, Drago ouvre la porte et quitte le salon. Harry reste pétrifié sur place, incapable de bouger. Par Merlin, que vient-il de vivre ? Cela ressemble à un drôle de cauchemar absurde. Un cauchemar plutôt réaliste malheureusement car Harry a encore le goût et l'humidité des lèvres de Malefoy sur les siennes. Il s'essuie maladroitement la bouche avec la manche de sa chemise et parvient enfin à amorcer un mouvement. Il sort du salon, traverse le couloir et arrive dans la grande salle. Il cherche Malefoy du regard mais ne le voit nulle part. Sans doute est-il parti, c'est ce qu'il pouvait faire de mieux. Harry avance droit devant lui, comme un somnambule, encore choqué de ce qui vient de se passer. Il se sent mal, il a besoin d'air. Changeant brusquement de cap, il atteint les portes-fenêtres et sort sur la terrasse.
L'air lui fait du bien et il reprend un peu ses esprits. Sur la terrasse, il n'est pas seul. Il y a les deux fondateurs du Sorcier Libre qui fument une cigarette en discutant. Harry aurait préféré être seul mais tant pis. Il ne doit pas avoir l'air en forme car le blond se tourne vers lui, l'air inquiet.
- Tout va bien ? demande-t-il.
- Oui, ça va, ment Harry.
L'homme hésite puis se rapproche un peu. Sur son visage, il y a une sincère inquiétude et une bienveillance inconditionnelle qui bouleverse Harry.
- Non, ça ne va pas très bien mais ça va passer, corrige Harry.
L'homme blond sourit, de ce sourire qui illumine ses yeux bleus, un sourire d'une douceur presque douloureuse. Derrière lui, Leo Black attend, mal à l'aise, pas trop sûr de savoir si Harry Potter a envie d'être dérangé ou non.
- Tu sais, si tu veux t'enfuir d'ici, nous ne dirons rien, assure l'homme en faisant un clin d'œil.
Harry est un peu surpris de la proposition puis répond sincèrement à son sourire, parce que c'est la première fois que quelqu'un semble le comprendre aussi bien et a le courage de lui dire ces mots qu'il a toujours voulu entendre.
- Merci, euh…
- Philip, achève l'homme aux cheveux blonds. Je suis Philip Morrison.
Harry hoche la tête et serre la main de Philip. Il se sent étrangement mieux, plus calme et moins choqué.
- Je vais rejoindre mes amis et je pense que je m'enfuirai juste après.
- Sage décision.
- Laisse donc Mr Potter, il a peut-être envie d'être seul, intervient Leo Black pour la première fois.
- Non, ça va, assure Harry en souriant. Mieux vaut que ce soit vous que Rita Skeeter, elle aurait été capable d'écrire que la cérémonie m'a bouleversé et m'a fait revivre les fantômes de mon passé ou je ne sais quoi encore.
Leo Black lui rend un sourire entendu, se refusant à dire du mal d'une ancienne collègue mais partageant pleinement les opinions de Harry à son sujet.
- Bon, j'y retourne, merci !
Harry les salue puis s'éloigne d'eux. Dans son dos, il entend Philip dire « Détends-toi, baby, ce n'est que Harry Potter » et cela le fait sourire.
Il rejoint rapidement Ron et Hermione, les arrache à Elliott Greengrass qui semble très intéressé par les propositions d'Hermione au sujet d'on ne sait quoi et les entraine dans un coin isolé. Ils le regardent avec curiosité.
- Où étais-tu ? Tu as disparu depuis trente minutes.
- J'étais… M… quelqu'un m'a fait une déclaration d'amour complètement inattendue puis m'a embrassé par surprise, je… je suis un peu sous le choc.
Ron et Hermione restent bouche bée. Puis Ron éclate nerveusement de rire, l'air de trouver l'histoire cocasse.
- Un homme ou une femme ?
- Un homme.
- Tant mieux pour toi alors, c'est déjà mieux que rien.
- Ce n'est pas drôle Ron, embrasser les gens par surprise sans leur consentement c'est une agression, tu vois bien que Harry l'a mal vécu !
- Oh ça va…
- Je ne l'ai pas très bien vécu, en effet mais je ne sais pas si c'est la déclaration ou le baiser, ou les deux, ou…
- C'était qui ? demande Ron, redevenu sérieux.
- C'était… c'était Malefoy.
Silence. Les visages atterrés de Ron et Hermione réconfortent presque Harry.
