Regina toqua à la porte de ses voisins. Ils lui avaient demandé de venir vers dix-huit heures. Elle n'avait jamais fait de baby-sitting chez eux , elle ne savait même pas qu'ils avaient un enfant. En y repensant, c'était quand même curieux qu'elle ne soit jamais tombée sur eux l'accompagnant à l'école au minimum. Ils étaient connus dans le quartier pour ne pas être des plus sociaux et ne sortaient que très rarement mais tout de même. A moins qu'ils ne l'aient scolarisé à la maison ? Elles ne les appréciaient pas beaucoup mais, dans quelques mois, elle partirait pour l'université et avait envie de mettre un peu d'argent de côté pour pouvoir pleinement profiter de sa liberté pour la première fois de sa vie. Sa mère avait été très réticente à l'idée qu'elle fasse cela, pas digne de leur rang social d'après elle, mais s'était laissée convaincre quand elle lui avait démontré qu'elle apprendrait ainsi l'esprit d'initiative, les responsabilités et la capacité à gérer un budget.
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Regina venait de fêter ses dix-sept ans. Elle était relativement petite par rapport à la moyenne mais très bien proportionnée, avec des courbes visiblement juste là où il fallait tant elle devait assez quotidiennement repousser les avances de nombre de ses camarades. De son père, elle avait hérité la peau dorée, des cheveux noir corbeau et des yeux chocolat, pailletés d'or. De sa mère, ses traits parfaits et une bouche à damner un saint. Son seul défaut, une cicatrice partant de sa lèvre supérieure, non seulement ne la déparait pas mais lui donnait un certain mystère qui accentuait encore sa beauté. Contrairement à ce que pensaient la plupart des gens, elle utilisait la majorité de son temps à s'instruire et à se cultiver. Elle n'avait aucune intention de n'être qu'un bel emballage vide même si elle avait compris depuis longtemps que sa plastique parfaite était une arme bien pratique et s'entrainait donc à en user selon les circonstances. Elle n'avait que peu, voire pas d'amis cependant. Ses centres d'intérêt n'étaient pas ceux des jeunes gens de son âge et elle n'éprouvait pas vraiment l'envie de les fréquenter plus que ne le nécessitait sa scolarité. Ce que d'aucuns considéraient fréquemment comme de la froideur de sa part n'était en réalité que le seul moyen qu'elle avait trouvé de se protéger d'une sensibilité trop aisément blessée. Elle en avait pris son parti, décidant très jeune de se focaliser sur sa future réussite professionnelle.
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La porte s'ouvrit sur M. Gordon, un grand brun plutôt quelconque à l'air sévère. Regina le salua et entra. D'habitude, ils étaient prêts à partir quand elle arrivait mais, ce soir-là, Mme Gordon n'était pas dans l'entrée avec lui. Elle arriva au bout de quelques minutes de silence gêné, tirant à bout de bras une petite fille d'une dizaine d'années aux longues boucles blondes qu'on aurait cru tirées d'un conte de fée.
- Viens te présenter, sale gosse, lui jeta la femme avec méchanceté.
- Bonjour, ma chérie, lui souffla doucement Regina en s'accroupissant à son niveau. Tu t'appelles comment ?
- Elle s'appelle Emma, répondit sèchement sa voisine. Elle a dix ans. Je ne sais pas si tu arriveras à lui arracher un mot, on ne l'a pas entendue depuis un mois qu'elle est ici. Si ça continue, on va la ramener vite fait aux services de l'enfance. On l'a choisie parce qu'elle était jolie et semblait correctement éduquée mais on n'a pas envie d'une enfant idiote ou handicapée.
Regina ne sut pas quoi répondre à tant de cruauté. Cette enfant était donc orpheline et ceux qui étaient censés vouloir devenir ses parents l'insultaient comme si elle n'avait pas été là. Ils donnaient l'impression de l'avoir prise à l'orphelinat comme on choisit une nouvelle voiture, quitte à la rendre si elle ne convient finalement pas. Son cœur se serra en voyant les magnifiques yeux verts de la petite fille ne refléter qu'une immense tristesse et de la résignation. Comme si elle avait renoncé à tout espoir depuis longtemps. Aucun enfant de dix ans ne devrait avoir ce type de regard. Regina lui prit gentiment les mains. Emma se laissa faire sans réagir. La brune les serra doucement, son regard plein de tendresse dans les siens.
- Je suis sûre qu'on va très bien s'entendre. A toute à l'heure, ajouta-t-elle d'un ton presque cassant en se redressant vers M. et Mme Gordon.
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Emma se révéla être une enfant très curieuse et éveillée. Même si elle ne prononça en effet pas un mot de la soirée, elle participa avec enthousiasme à tous les jeux que lui proposa Regina. Elle ne mangea pas beaucoup par contre. Ce qui serra à nouveau le cœur de la brune. Quand ce fut l'heure de la toilette, Emma lui fit comprendre, en la repoussant fermement hors de la salle de bain, qu'elle s'en occuperait seule. A vingt heures trente, Regina la mit au lit et Emma lui tendit un livre avec un tel air de supplication qu'elle comprit très facilement ce que l'enfant attendait d'elle. Elle s'installa à ses côtés, le dos appuyé sur la tête de lit et commença la lecture du livre choisi par la petite blonde. Il s'agissait du Jardin secret. Elle se rappelait avoir beaucoup aimé cette histoire quand elle était petite et put comprendre pourquoi il plaisait à la jeune orpheline. Durant la lecture, elle sentit la petite tête blonde s'appuyer sur son épaule mais Emma ne dormait pas, elle buvait ses paroles avec avidité. Au bout d'une demi-heure, cependant, Regina referma le volume en lui disant qu'il était temps de dormir. Emma obéit sans rechigner même si la brune put voir qu'elle aurait préféré qu'elle continue l'histoire. Elle lui souhaita bonne nuit et descendit attendre ses voisins au salon. Elle avait emmené du travail et passa le reste de la soirée à faire ses devoirs.
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Dans les mois qui suivirent, M. et Mme Gordon firent encore appel à elle à quelques reprises. S'il ne s'était agi que d'eux, Regina aurait refusé mais elle avait pris Emma en affection et la petite blonde semblait la lui rendre. A chaque fois, l'enfant lui redonnait Le Jardin secret à l'heure du coucher et elle reprenait là où elle s'était arrêtée. Elle se demanda si la petite fille ne savait pas lire, ce qui aurait été plutôt inquiétant à son âge, ou si c'était volontairement qu'elle gardait ce livre uniquement pour leurs soirées. A la fin de l'été, elle expliqua à Emma qu'elle ne pourrait plus venir s'occuper d'elles quand ses parents adoptifs sortiraient car elle partait à l'université d'Harvard à la rentrée pour y faire des études de droit et que celle-ci se trouvait dans un autre état très loin de là. Elle rentrerait aux vacances cependant et elles pourraient peut-être se voir à ce moment-là si elle le voulait, bien sûr.
- Ne pars pas, chuchota la blondinette si bas que Regina ne l'aurait pas entendue si la maison n'avait pas été si silencieuse.
- Oh, mon cœur, j'aimerais bien mais ce n'est pas possible. Mais je te promets de revenir te voir à chaque fois que je serai de retour à Storybrooke. D'accord ?
La petite fille ne répondit pas, ses lèvres étaient si serrées qu'elles en étaient devenues blanches et des larmes silencieuses sillonnaient ses joues, mais elle hocha violemment la tête. Regina la prit contre elle pour un câlin que la petite accepta, elle qui avait tant de mal avec les contacts physiques en général.
- On va lire Le jardin secret ? proposa la brune.
Emma accepta d'un hochement de tête et mis sa main dans la sienne pour monter vers sa chambre.
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Ce fut la dernière fois que Regina la vit. Quand elle revint chez ses parents pour Thanksgiving, les Gordon, excédés par son silence et son rejet de tout contact physique de leur part, l'avaient ramenée aux services sociaux. Regina fut très triste de ne pouvoir tenir sa promesse à la petite blonde mais elle espéra très fort que ce renvoi lui permettrait de trouver une nouvelle famille vraiment aimante plutôt que ses odieux voisins. Mais la vie poursuivit son cours, Regina se focalisa sur ses études comme elle l'avait toujours fait et, même si elle ne l'oublia jamais, elle rangea ses souvenirs avec Emma dans un petit coin de son cœur et de sa mémoire.
