Malgré l'envie qu'elle avait de courir après Emma, Regina savait qu'elle devait d'abord s'occuper de rendre aux rues de sa ville leur tranquillité première. Elle serra donc les dents avant de se retourner vers Gold en se retenant de toutes ses forces pour ne pas le coller au mur avec une bonne partie des objets tranchants de sa boutique dans le corps.
- J'espère que vous avez pensé à un contre-sort parce que sinon je peux vous promettre que votre vie à Storybrooke va devenir un enfer sur terre.
- Enfin, ma chère, bien sûr ! Pour qui me prenez-vous ?
- Pour un idiot même pas fichu de se rappeler des bases de la magie avant de jeter un sort ?
- Si vous pouviez m'éviter vos sarcasmes. Pour une fois que je me servais de mes pouvoirs avec de bonnes intentions…
- Si vous aviez pu éviter de mettre ma ville aux portes du chaos et de m'humilier devant un public d'adolescents en plein montée hormonale, j'aurais peut-être fait l'effort. Maintenant, mes intentions à votre égard sont rapidement en train de passer de désagréables à carrément létales avec torture intégrée donc si vous pouviez vous activer un peu, ça bénéficierait à tout le monde, vous le premier !
- Si je puis me permettre, j'aurais besoin de savoir un peu plus ce qui s'est passé devant le lycée…
- Pardon ? s'étouffa presque Regina qui se demanda si elle préfèrerait l'épluche-légumes ou le couteau à zest pour arracher lentement la peau du Serpent…
- Hum, vous voyez, c'est que s'il s'est passé quelque chose de particulier avec la Sauveuse, ça peut influer, pour le contre-sort. Vous n'allez pas me reprocher de me montrer prudent cette fois-ci…
- Oh, bon sang ! On s'est embrassées ! C'est tout ! Vous le balancez votre contre-sort, maintenant ?
- C'est tout, c'est tout, c'est vite dit, ricana Ruby.
- Heu, c'est-à-dire que… Il ne s'est donc rien passé qui sorte de l'ordinaire pendant votre baiser ? insista Gold.
- Comment ça ? Que voulez-vous qu'il se soit passé ? Vous ne voulez pas que je vous le fasse image par image non plus ? Il y a un magasin spécialisé sur la route de Boston si vous avez besoin d'un petit coup de boost avec Belle !
- Fort drôle. Je voulais juste savoir s'il n'y avait pas eu une onde d'amour vrai entre vous car, dans ce cas, tout devrait retourner petit à petit à la normale de soi-même ! Mais vue votre humeur, je n'avais pas envie de remuer le couteau dans la plaie si ça n'était pas le cas !
Regina se tut et eut subitement envie d'imiter Emma.
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- J'en déduis que non, marmonna Gold. Le contre-sort sera lancé avant la fin de la journée, ne vous inquiétez pas.
- Oh, Regina… couina Mary-Margaret avec une telle pitié dans la voix que l'ancienne Méchante Reine sentit renaître ses envies de meurtre envers son ex-belle-fille. Ce n'est pas grave, tu sais, tout le monde ne partage pas toujours l'amour vrai, ça ne veut pas dire que vous ne vous aimez pas. La preuve, le sort de Gold a marché sur vous.
- Qu'est-ce qui a pu te faire croire un instant que j'avais besoin que tu me réconfortes, Mary ? lança la brune, infusant ses paroles d'un tel mépris que même Ruby sentit la louve en elle se ratatiner. Et, à supposer même que ce soit le cas, s'il y a bien une personne dans cette ville auprès de laquelle je ne viendrai jamais chercher cela même au bout du bout de la pire des dépressions, c'est bien toi ! Oh, bon sang, elle recommence… Vas-y, chiale, il n'y a bien que ça que tu saches faire correctement !
- Maman ! s'exclama Henry qui estimait que sa mère poussait le bouchon un peu loin cette fois-ci. Je sais que grand-mère est parfois un peu fatigante mais tu sais bien que c'est toujours avec les meilleures intentions du monde.
Regina lui jeta un regard un peu trop humide au goût de son fils avant de disparaître dans un nuage de fumée violette.
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- Et merde.
- Henry, langage !
- Pas le moment, grand-mère, l'heure est grave. On a une opération à mettre en place vite fait !
- Oh, non, gamin, pas encore une des tes opérations, gémit Ruby.
- Quoi ? Elles ont quoi mes opérations ?
- Tu veux vraiment savoir ?
- T'en qu'à y être…
- Ben tout. Leurs noms, leurs raisons, leurs déroulements… Sérieusement, l'opération Sirène quand l'évier de la cuisine de chez Granny a eu une fuite ? Ou l'opération Apnée quand Robyn a eu la diarrhée ?
- Tu oublies l'opération Noé quand il a voulu essayer de m'aider à moins pleurer pour tout, gloussa Mary-Margaret.
- Oh, et l'opération L'Oréal pour améliorer la peau du Ténébreux, rit Belle.
- Ha, ha, ha. Je crois que ma préférée, c'était l'opération « Attrape-moi si tu peux » quand il a eu un C en mathématiques et qu'il a cru pouvoir échapper à une petite mise au point de la part de Regina. Il s'est retrouvé attaché à son bureau avec ses tables de multiplication collées au mur devant lui et une grande banderole « Je peux » au-dessus ! évoqua la louve, hilare.
- Ouais, bon, ça va, j'ai compris, ronchonna Henry. On fait quoi pour les aider alors ?
- Rien, ce sont des grandes filles, tes mères, et pas n'importe lesquelles, elles finiront bien par régler leurs problèmes toutes seules.
- Hum, permettez-moi d'avoir un doute. Parce qu'en ce qui concerne la gestion des émotions, elles n'ont pas un historique mirobolant…
- Pas faux, gamin, mais laisse-leur une chance. Ok ?
- Ouais, d'accord.
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En quittant la boutique de Gold, Emma n'avait pas vraiment une idée claire d'où elle souhaitait se rendre. Elle n'avait pas vraiment d'idées claires sur quoi que ce soit d'ailleurs. Ce n'était pas peu de dire que c'était le bazar le plus complet dans sa tête et dans ses émotions. Elle était en rage contre Gold et contre ce putain de destin qui s'obstinait à leur gâcher la vie en décidant à leur place avant de les larguer à nouveau. Elle était perdue quant à ses sentiments envers Regina. Elle était déçue que leur amour ne soit apparemment pas aussi grand que celui de ses parents. Elle était amère d'être née de l'amour vrai mais de se le voir toujours refusé. Elle était triste qu'une vie amoureuse simple, tranquille, évidente lui soit à nouveau refusée. Elle était fatiguée de devoir encore se battre pour son petit morceau de gâteau. Elle était frustrée au-delà des mots par ce qu'elle avait partagé trop incomplètement avec la brune devant le lycée. Elle voulait se barrer en courant jusqu'aux frontières de Storybrooke, du Maine, des Etats-Unis même ! Elle marcha jusqu'à la forêt, jusqu'au ravin où Regina lui avait donné sa première vraie leçon de magie. Elle avait envie de hurler, de foutre le feu à la forêt, de libérer toute la magie qu'elle sentait bouillonner avec une force terrible dans ses veines. Les débordements incontrôlés d'émotions ne font pas bon ménage avec une magie aussi puissante que celle née de l'amour vrai.
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Quand Regina arriva, elle n'était pas calmée d'un brin. Elle s'était reconstruit sa petite île de bric et de broc au milieu du ravin et s'amusait à faire tourbillonner des blocs de pierre et des troncs d'arbre autour.
- Comment tu m'as trouvée ? jeta-t-elle fort peu aimablement.
- Ta magie.
- Putain, fais chier, j'ai l'impression d'être une môme à qui ses parents ont collé une puce traqueuse !
- Dieu merci, je ne suis pas ta mère ! Et pour ce qui est de la môme, tu en as bien le comportement à l'heure actuelle ! Laisse tout ça et viens ici !
- Non !
- Vraiment ? Tu as quel âge ?
- Dans les quarante ans de moins que toi ?
- C'est comique que tu aurais dû être, pas shériffe.
- Et tu oublies orpheline, mère, chasseuse de primes, Sauveuse, princesse, magicienne, Ténébreuse… On a l'embarras du choix, chacun peut se servir et y trouver son bonheur, sauf moi.
- Emma, tu n'es pas la seule à ne jamais vraiment avoir choisi ta vie, lui rappela la brune.
- Je sais, oui, c'est ce qui nous a rapprochées.
- Alors tu fais quoi, là ? s'agaça Regina.
- Je joue aux cubes.
- Tu m'insupportes quand tu fais ta tête de bois ! Arrête tes idioties et rejoins-moi !
- Non !
- Emma, bon sang, tu sais qu'il faut qu'on parle !
- Non, je n'en ai pas envie !
- Mais, merde, ça sert à quoi de fuir ? Tu vas régler quoi ? Tu crois que la solution va te tomber du ciel ?
- Vue cette foutue ville, ça peut être une possibilité.
- Et moi, je suis censée attendre aussi alors ? Tu trouves ça correct ? Tu t'en fous de ce que je peux ressentir et de ce dont j'ai besoin ? On reste chacune de notre côté à se débrouiller toute seule, comme on a toujours dû le faire, c'est ça ? finit par hurler Regina par-dessus le vide.
- Oui ! Non ! Putain, je ne sais pas ! J'ai réfléchi, tu sais, comme tu m'avais dit de le faire. Ben tu dois avoir raison, hein, comme toujours ! Je suis une idiote ! J'ai beau réfléchir encore et encore, rien ne vient, c'est le bordel, et ça ne s'arrange pas, ça empire même. Je ne veux pas te perdre comme amie, je n'ai jamais eu d'amie comme toi, qui me comprenne aussi bien, que je comprenne aussi bien. Alors, justement, je me dis que, avec ce qu'on a, si on pouvait être plus, ce serait tellement merveilleux. Sauf que, quand on s'est embrassées, il ne s'est rien passé. Enfin si, je crois n'avoir jamais été aussi excitée de ma vie. Mais c'était sûrement le sort. Ou peut-être pas. Comment on peut le savoir ? Mais, notre baiser, ce n'était pas… On n'a pas… Emma ne finit pas, elle avait les larmes aux yeux.
- Je sais, répondit simplement Regina, avec les larmes aux yeux également. Et tu n'es pas une idiote.
- Et, en même temps, je me dis que c'est stupide. Il y a des milliards de personnes qui s'aiment sans partager cela, ça n'empêche rien. Et je me trouve encore plus idiote de pleurnicher là-dessus alors que je ne supporte pas que ma vie ait toujours, d'une façon ou d'une autre, été dirigée par les sorts, le destin, la magie, jusqu'à ma procréation elle-même, bordel ! C'est juste que je crois que ça aurait tout simplifié. On aurait eu notre réponse bien emballée et ficelée, plus qu'à ouvrir le paquet cadeau, pas besoin de se fatiguer à chercher la bonne réponse au milieu de tout ce souk.
Pendant qu'elle s'épanchait enfin, le tourbillon s'était calmé autour d'elle. Petit à petit, un par un, les débris s'étaient déposés en douceur au fond du ravin. Elle ne faisait pas pour autant mine de regagner le bord de la falaise.
- Écoute, je sais que ce n'est pas forcément très sympa pour toi et peut-être pas ce que tu veux mais j'ai besoin d'être un peu seule avec tout ça, de tout poser à plat, de faire le tri pour qu'on puisse en discuter tranquillement. Tu veux bien ?
- Bien sûr, Emma. Ne prends pas trop de temps et fais attention à toi, c'est tout ce que je te demande. Tu vas me manquer, ajouta Regina avant de s'évaporer à nouveau dans un nuage violet.
- Toi aussi, murmura Emma une seconde trop tard.
Elle demeura longtemps sur son îlot, les épaules baissées et le visage sillonné de larmes avant de regagner sa maison et de s'effondrer, épuisée par l'usage intensif de sa magie et toutes les émotions qui l'agitaient.
