Chapitre 10 : Retour au bercail

Les montagnes rocheuses couvertes de neige éternelle du Royaume de Kanbal s'élevaient majestueusement vers le ciel. Elles étaient bien plus hautes que toutes les autres montagnes. La vue était entièrement dégagée. Une brise de vent, à l'odeur de la neige et du froid, se fit sentir et joua dans les cheveux de Balsa et Alika alors qu'elles approchaient l'entrée des voyageurs à Kanbal. N'ayant plus envie de descendre au territoire Yonsa pour retrouver sa mère, après une si longue route, Alika décida de dormir à l'appartement de sa cousine après avoir remis les chevaux aux palefreniers.

« Je redonnerai la lance à Oncle Jiguro quand nous nous reverrons, informa Balsa.

- Bonne idée. Et puis, tu ne vas pas te débarrasser de moi aussi rapidement, la taquina Alika.

- Tu es comme ma sœur. En fait, tu es ma sœur, rétorqua Balsa. Tu ne me déranges pas et nous pourrons en profiter un peu plus longtemps. Est-ce que je me souviens encore de mon lit, au fait ?

- J'espère ! J'ai mal au dos à force d'avoir dormi sur le sol qu'avec une couverture, se plaignit Alika. Enfin, un vrai lit, avec un matelas et une base solide ! »

Alika sauta presque sur le lit de sa cousine et s'étendit de tout son long.

« Demain, je vais aller voir Amaya chez elle et lui faire une surprise !

- Tu lui as acheté quoi comme souvenirs ?

- Un joli kimono rose style yogoese, des pierres et un cahier identique à celui qu'on a offert à Tanda-Kun. Pour Maman, je lui ai acheté les herbes médicinales que tu as proposé que j'achète ainsi qu'un livre de médecine. Quant à Papa, je lui ai acheté un petit poignard. »

Balsa déposa Luka aux côtés de Kalia et sourit à la vue de ses poupées de collection. Ce n'était que ses principales. Elle devait en avoir une vingtaine éparpillée un peu partout dans son appartement.

La jeune médecin décida qu'elle accompagnerait sa cousine jusque chez Amaya et irait voir son père à son manoir pour lui dire qu'elle était aussi revenue : il avait été tellement inquiet de la voir quitter le pays pour les vacances. Il était normal qu'elle veuille le réconforter et lui dire qu'il pouvait lui faire confiance. S'il n'était pas à son manoir, elle irait au palais du roi le retrouver en personne.

Dès lendemain matin, Alika alla retrouver Amaya avec ses cadeaux. Elle cogna à la porte de ses beaux-parents et attendit un moment. Sa belle-mère, Meiko, leur ouvrit.

« Hey, Alika-Chan ! Tu es enfin revenue !

- Hé oui, sourit-elle avec Balsa à ses côtés. Est-ce qu'Amaya-Chan est là ?

- Bien sûre. Entrez.

- Merci, répondit Balsa en essuyant ses pieds. »

Meiko appela Amaya au second étage.

« Amaya ! Tu as de la visite qui t'attend en bas, viens passer le coucou. »

Elle se retourna vers ses invitées.

« Elle arrive bientôt, elle finit de se préparer. »

Meiko se renseigna sur leur voyage pendant ce temps-là. Les pas précipités d'Amaya se firent entendre à l'étage du haut : elle devait sans doute reconnaître la voix de sa bien-aimée au rez-de-chaussée. Enfin, elle apparut en haut des escaliers en attachant rapidement sa ceinture Kanbalese. Alika tendit sa lance à sa cousine, qui portait sa propre lance temporaire.

« Tiens ma lance, Oneesama... je sais ce qui m'attend prochainement. »

Balsa se retrouva donc avec deux armes dans les mains et dans la seconde qui suivit, Amaya poussa une exclamation de joie et dévalisa les escaliers pour courir vers Alika, la happer au passage et la serrer fort contre elle.

« Alichoue' tu es revenue ! Tu m'as tellement manquée !

- Toi aussi, beauté ! »

Elles s'échangèrent un long baiser amoureux. Cet échange déclencha un sentiment inconnu en Balsa, qui se surprit à les envier et à vouloir désirer la présence de Tanda à ses côtés. Elle avait envie que les gens la regardent et lui demandent si ce jeune homme était son petit-ami ou son prétendant. Elle remarqua une absence soudaine et son cœur se serra dans sa poitrine.

Quand les deux amoureuses se relâchèrent, elles finirent assises autour de la table et Amaya essaya le joli kimono rose de style Yogoese. Alika avait bien vu et connaissait à la perfection les mensurations de sa petite-amie comme il lui allait comme un gant. Balsa n'aurait donc pas besoin de faire des altérations sur le vêtement. Ça aurait pu être Meiko qui s'en occupe, mais la fille de Karuna aimait rendre service et Meiko disait très souvent que Balsa était très bonne en couture.


Balsa laissa sa cousine savourer ses retrouvailles avec la femme qu'elle aimait et se dirigea maintenant vers le palais du roi, où son père devait sans doute travailler. Tout à Yogo semblait si gigantesque que quand elle remit les pieds à la Capitale, Balsa trouva que les marchées de son pays natal faisait pâle figure. Elle croisa certains lanciers du roi qui la saluèrent à son passage, mais ne croisa pas son oncle Jiguro, à qui elle aurait pu remettre sa lance en personne. Ne portant qu'une arme en tant que protection supplémentaire quand ils quittaient Kanbal, Balsa devait avouer que porter son poids constamment sur les épaules – même de façon inter changée – ou la tenir dans sa main en tout temps, l'incommodait fortement. Comment sa cousine pouvait-elle trimballer une arme aussi lourde comme un doudou à chaque jour et ne pouvait s'en passer ?!

Elle finit par demander où était son père aux serviteurs qui lui dirent qu'il était en train de discuter avec le roi Naguru, dans ses appartements en privée.

« Pouvez-vous lui dire que sa fille est revenue de son voyage et le cherche ? demanda-t-elle gentiment.

- Bien sûr. »

Ils s'inclinèrent et Balsa attendit sur les escaliers à l'extérieur du palais sculpté à même la montagne. Elle entendit des pas de courses et aurait pu reconnaître cette démarche parmi des dizaines.

« Balsa ! s'exclama la voix de Karuna. »

Elle se redressa rapidement et le laissa la serrer fortement contre lui.

« Allô Papa. Est-ce que je t'ai manquée ?

- Mais quelle question ! Bien sûr que si !

- Tu travailles en ce moment, mais je ne pouvais plus attendre pour te dire que j'étais revenue. Tu étais si inquiet lors de mon départ !

- Je peux prendre ma pause maintenant, je ne pense pas que le roi Naguru y voit un quelconque inconvénient. Raconte-moi le début de ton voyage et nous continuerons ce soir à la maison ! »

Alors sans se faire prier – et tout en évitant de dire qu'Alika avait fait sa téméraire et s'était blessée – Balsa se transforma en vrai moulin à parole, relatant tout à Karuna de son merveilleux voyage dans les moindres détails. Elle s'arrêta quand il dût repartir travailler, mais elle décida d'aller au manoir familial – là, où elle avait vu le jour et était née – et de l'attendre à cet endroit. Elle avait un second trousseau de clef, alors elle pouvait entrer à sa guise n'importe quand. Balsa commença à faire des lossos pour le souper. L'odeur de la nourriture fit crier son ventre de famine, mais son esprit désirait à tout prix goûter à nouveau le merveilleux ragoût sauvage de Tanda. Quand son estomac et son esprit ne pouvaient s'entendre, elle trouvait que c'était le pire sentiment de l'univers.

Karuna entra à la maison et le récit continua jusqu'à la fin du souper.

« Tu t'es vraiment beaucoup amusée, commenta-t-il. Alika t'a fait un merveilleux cadeau de graduation.

- Vraiment beaucoup... Ah oui ! J'allais oublier. »

Elle se redressa et alla fouiller dans son sac pour ressortir ses souvenirs achetés pour son père.

« Voici deux livres de médecines Yogoese ainsi que des herbes médicinales qu'on ne retrouve qu'à Yogo. Ces plantes sont très rares. »

Balsa remercia mentalement Tanda de lui avoir donné quelques-uns de ses précieuses herbes durant leurs vacances. Elles ne lui avaient presque rien coûté. Les yeux de Karuna pétillèrent en scrutant les premières pages des livres. Lorsqu'elle demanda ce qu'elle avait manqué lors de son voyage, son père lui dit une information qui eut fît de couper un instant sa bonne humeur.

« Depuis que tu es diplômée, les demandes en mariage pour toi ont été nombreuses.

- Mais ça ne fait qu'un mois que j'ai été officiellement reconnue en tant que médecin, s'étonna-t-elle. Il ne peut pas y avoir autant de jeunes hommes qui me courent après depuis...

- Les seigneurs des clans ont des fils qui se cherchent une bonne compagne. Tu n'as pas n'importe quel statut ici, Balsa, depuis que je suis le médecin personnel du roi. Et même avant que tu n'aies ton diplôme, on m'a souvent demandée si je pouvais t'accorder ta main. »

L'image de Tanda lui revint en mémoire.

« Bien sûr, j'ai constamment répliqué qu'il ne s'agissait pas de ma décision, mais que je t'en ferai part, juste au cas. »

Non. Son cœur était déjà pris et elle n'allait pas laisser ce bonheur être gâché par une union qui la rendrait malheureuse et l'emprisonnerait dans une routine monotone qu'était celle de se lever le matin, travailler et soigner, pour se recoucher le soir, lessivée. Le regard de Balsa se changea considérablement alors que Karuna remarqua l'attitude tantôt joviale et égayée de sa fille unique devenir froid et sombre.

« Avec tout le respect que je te dois, Papa, je ne peux pas accepter ces demandes en mariage.

- Ah ? Pourquoi donc ? As-tu rencontré une personne au Nouvel Empire de Yogo ?

- Oui, dit Balsa de but-en-blanc, sans tourner autour du pot. Je suis tombée amoureuse d'un homme Yogoese là-bas et j'ai l'intention de le revoir et de le retrouver à Yogo quand j'aurai assez économisé. »

Karuna savait comment l'amour pouvait rendre heureux, pour l'avoir lui-même vécu avec sa femme défunte, Laika.

« Tout chez lui me rend heureuse, Papa. Il est médecin comme moi, nous sommes carrément complémentaires. Il nous a hébergés pendant nos vacances et c'est grâce à lui que tu as tes plantes médicinales Yogoese. C'est un bon homme.

- Comment s'appelle-t-il ? désira savoir Karuna.

- Tanda. »

Balsa ne décela aucune animosité émanant de son père suite à la nouvelle. Il semblait seulement surprit et ne s'attendait pas à ce qu'elle trouve sa potentielle âme sœur si loin de sa terre natale.

« Une distance aussi grande entre vous ne risque-t-elle pas de vous affecter ? Je ne m'attendais pas à ce que ton prétendant soit un Yogoese... c'est vraiment très loin. Et je ne voudrais pas qu'il te laisse en arrière-plan comme un pauvre petit chien qu'on a mis au coin trop longtemps.

- La distance m'importe peu. J'ai l'intention de le revoir car c'est ce que mon cœur veut. Et je sais que Tanda n'est pas le genre d'homme à jouer avec les sentiments sur le long terme. »

Il y eut une courte pause. Karuna n'était pas un homme difficile et il comprenait bien des choses avec son ouverture d'esprit. Il prit la main de Balsa et lui fit un tendre sourire paternel.

« Ma foi. Si tu as bien pensé à tes projets et aux enjeux que cette relation puisse apporter, l'important, c'est que tu te sentes heureuse. Si tu l'es, alors ton Papounet adoré l'est également. »

Balsa sourit et les étincelles de joie qui pétillaient dans ses prunelles chocolatées revinrent. Son père acceptait ce que son cœur lui disait de faire et elle ne pouvait être plus comblée. Ils s'étreignirent un moment.

« Au fait, Papa, tu pourrais redonner la lance à Oncle Jiguro ? se souvint Balsa. Je ne l'ai pas croisé aujourd'hui quand je te cherchais et je n'en peux plus de transporter le poids d'une arme aussi lourde...

- Bien sûr. Je lui rendrai.

- Merci bien ! »


À des lieux du pays nordique, Tanda se tenait dans son petit refuge. Son maître Torogai n'était pas de retour encore, alors il en profita pour exécuter quelques sorts de magie. Utilisant l'appel d'âme comme moyen de tricherie, sous forme d'oiseau lumineux, il survola la forêt et le chemin qui menait vers les montagnes de brume bleue de l'Aogiri. Il retraça l'énergie de ses anciennes locataires et surveilla les environs de possibles bandits et, plus rarement des brigands, pour elles.

Alika étant aussi une médium, c'était elle qui risquait d'attirer les mauvais esprits à eux malgré leurs gardiens spirituels. Pire encore, des magic-weavers travaillant dans l'ombre pouvaient flairer sa puissante aura et les attaquer pour leurs simples plaisirs malsains, dans l'unique objectif d'étendre leurs pouvoirs sur elle. Ils n'avaient pas besoin de but précis pour attaquer énergétiquement. Fort heureusement, Tanda remarqua qu'Alika semblait contrôler son énergie et prêter attention à son environnement. Il ne pouvait rester définitivement en appel d'âme, mais il se fit un devoir de les suivre au moins une fois par jour jusqu'à ce qu'elles atteignent les frontières de leur pays natal.

Il fit attention à ne pas attirer le regard de la jeune médium s'il venait à se poser au sol pour reprendre sa forme humaine, lorsqu'il jetait un coup d'œil à Balsa. Il observa le joli déhanchement naturel qu'elle faisait quand elle marchait et retenait tout de ses petites manies comme replacer sa mèche de cheveux derrière son oreille. Plus menue et légèrement plus petite en taille, Alika venait d'entrer dans le monde de l'adolescence alors que Balsa avait déjà presque son physique adulte permanent. Soudain, il se sentit comme aspiré et réintégra brutalement son corps.

« Aouch ! se plaignit-il.

- Ah ! tu es enfin de retour, s'exclama une voix de vieille femme. Dépêche-toi de faire à manger, je meure de faim !

- Maître Torogai ! Vous êtes enfin là...

- Bien sûr ! Ça fait dix minutes que j'essaie de t'appeler et que tu ne réponds pas !

- J'étais en appel d'âme, l'aida-t-il.

- J'ai remarqué. De plus, il y a encore des traces d'énergies résiduelles qui traînent un peu partout dans le refuge. C'est comme si tu avais eu de la visite pendant un long moment, commenta Torogai. »

Avec un sourire étincelant, Tanda lui parla de la visite improvisée d'Alika et qu'elle avait emmené sa cousine, Balsa, pour qui il avait développé un béguin. Tout en se versant une coupe de saké, Torogai haussa les sourcils.

« C'est donc pour ça que ton aura est plus brillante.

- Je savais que je ne pouvais pas conserver secrète cette information de vous. Et puis, je n'ai pas à cacher mes émotions.

- As-tu l'intention de la revoir ? demanda-t-elle à brûle-pourpoint.

- Oui, mais pour le moment je n'ai pas assez d'économie pour faire un voyage. Je vais travailler pour y parvenir. Entretemps, nous allons s'échanger des lettres. »

Sur cette pensée, il commença les préparatifs du repas.