Chapitre 12 : Une place qui revient de droit
Alika savait que c'était très égoïste, mais sa famille savait mieux que quiconque l'importance de la Cérémonie des Remises à ses yeux. Jiguro ayant été le danseur, elle voulait lui succéder également.
Ils se dirigèrent vers la cour extérieure, là, où ils ne pourraient pas abîmer les meubles ni les tapisseries. Kahm avait presque sa taille adulte à comparer d'Alika, mais elle avait l'habitude de combattre des gens plus gros et plus grand qu'elle – son propre père, Jiguro, par exemple. Par pression, Kahm n'avait pas pu placer un mot, adulant son oncle depuis tout petit. Il ne voulait surtout le décevoir. Yuka continua de fulminer et avait les bras croisés, les sourcils froncés. Balsa décida de la détendre en prenant sa main.
« Ça ira bien, Tante Yuka. Alika est rusée, souple et agile. Elle gagnera. Qu'elle soit une fille ne change rien à la balance et elle l'a prouvé à maintes reprises. J'ai confiance en elle. »
Yuka ne put s'empêcher de sourire, mais elle continua de jeter un regard désapprobateur à son mari. Balsa se souvint soudainement des paroles de Eishi, dites sur un ton frivole.
Ça aurait été plus drôle si ça avait été Kahm, ou encore un éleveur de chèvre. Un peu comme une parodie. Alika a vraiment exagéré sur ce coup et n'a pas été sympathique du tout à l'égard de Jay.
Elle fronça les sourcils. Tout d'abord, il n'y avait rien de drôle dans la situation actuelle de sa cousine de cœur et ensuite, dommage pour Eishi, car il ne sera pas témoin de ce combat entre Alika et Kahm.
Une fois bien placée, Alika ne manqua pas une seconde et se concentra, sentant la chaleur monter dans son estomac comme ça lui faisait toujours au début d'un combat. Balsa vit alors le visage de sa cousine changé du tout au tout. Elle irradiait d'une aura mortelle de guerrière malgré ses treize ans. Ils se saluèrent avec le salue des guerriers et se positionnèrent. L'adolescente découvrit ses dents férocement, comme un chien enragé. Elle tenait sa lance devant elle, prête pour l'attaque de son cousin. Kahm se rapprocha rapidement d'elle.
Il y alla d'une attaque directe, essayant d'enfoncer sa lance dans la poitrine de son adversaire. Alika se sentit s'écarter du chemin de la frappe avant que l'arme ne puisse l'atteindre. Elle n'avait pas prévu de bouger, mais son corps avait réagi comme un réflexe. Kahm combla rapidement l'espace entre eux, ne lui laissant pas le temps de réfléchir. Elle s'accroupit et leva sa lance, bloquant celle de son cousin avec un bruit strident. Des étincelles fusèrent sur les deux lames de métal. Il ne s'avoua pas vaincu et recula d'un pas, dirigeant sa frappe suivante vers le côté gauche d'Alika. Kahm était doué, mais il y avait quelque chose dans les mouvements de sa cousine qui les différenciait même s'ils avaient hérité des mêmes techniques, propre au clan Musa. Elle semblait plus gracieuse dans ses mouvements et sa petite taille lui conférait une vitesse de frappe plus rapide. Elle décida qu'il était temps de l'attaquer pour en finir au plus vite.
Elle n'arrêta pas ses attaques et visa la suivante directement sur la hampe centrale de la lance de Kahm. Il bloqua l'attaque aisément. Il libéra une de ses mains et attrapa la lance d'Alika pour la faire bouger. Dans une pirouette impressionnante, elle brisa l'emprise de son cousin et libéra son arme de sa poigne de son cousin. Elle esquiva un coup. Elle ne souriait plus.
Kahm aussi avait son honneur en jeu. Alika s'accroupit rapidement. Elle était trop basse pour que son cousin puisse la frapper et elle anticipa ses stratégies potentielles. À son tour, elle réduisit la distance entre eux. Ses attaques n'avaient plus la même vitesse : elles avaient doublé de vitesse et semaient la confusion. Puis, enfin, elle leva son genou et le frappa au ventre. Profitant de son déséquilibre, elle fit un arc avec sa lance et lui fit perdre son arme. La lance revola à deux mètres de son porteur.
Achève-le, résonna une voix dans sa tête.
N'écoutant que son impulsivité et déterminée à conserver sa place pour cette cérémonie quasi sacrée, Alika vit noir. Elle prit son élan, sauta dans l'air et pointa le bout de sa lance vers la poitrine de Kahm, lâchant un puissant cri de guerre. Ce dernier ferma les yeux. Un bruit de métal assourdissant résonna, comme si la pointe de sa lance frottait contre des protège-bras en métal. Ce son était suffisamment aigu pour faire mal aux oreilles. Lorsque sa vision redevint normale, comme sortit de transe, elle vit que son arme était à deux pouces de la poitrine de son cousin, mais un bras tenait la hampe, juste avant la lame. C'était contre le protège-bras en métal de Jiguro que l'arme avait glissée. Quand elle tenta de retirer sa lance, elle remarqua que Kaguro tenait l'autre extrémité.
« Ça suffit, Alika, annonça Jiguro. »
Elle était à bout de souffle et tremblait de tout son corps. Ses mains ne pouvaient rester immobiles, peu importe à quel point elle essayait de les contrôler. Elles étaient aussi engourdies et dégageait une chaleur terrible. En bon guerrier, elle tendit son bras vers Kahm pour l'aider à se redresser.
« Je ne t'aurai pas tuée, tenta-t-elle de le rassurer, mais ne ferme jamais les yeux face à ton adversaire, même aux portes de la mort. »
Alika savait qu'il se sentait humilié, mais rester polie était la meilleure forme de respect qu'elle pouvait avoir. Il fut tenté de la repousser, mais la foule exerçant une pression intimidante, il la prit à crève-cœur avant de s'en dégager brutalement. Yuguro était contrarié et ne fit pas le moindre effort pour cacher son mécontentement.
« Les preuves sont ainsi faites, conclut Kaguro. Ne punis pas mon fils qui s'est donné à fond dans ce tournoi ou tu auras à faire à moi, Yuguro.
- Dans quel monde allons-nous ? grogna-t-il. Les femmes n'ont toujours pas leur place parmi la classe guerrière et je continue de maintenir ce fil de pensée. »
Alors qu'Alika allait rejoindre Yuka et Balsa, Jiguro se promit de filer deux petits mots à son frère cadet. L'adolescente continua de regarder Kahm, le regard triste. Il ne la regardait plus et avait juste envie de disparaître hors de la vue de la foule. Balsa posa sa main sur son épaule. La foule commençait déjà à s'éparpiller, impatiente de commencer les préparatifs pour les cadeaux qui seront offert au Roi de la Montagne.
« Tu t'es bien battue, ma chère, s'égaya Balsa. Je suis fière de toi.
- Je suis contente aussi... mais Kahm... »
Alika soupira et secoua la tête.
« Comment détruire des liens de famille, hein ? commenta Yuka, à moitié énervée.
- C'était mon seul cousin... »
Balsa se racla la gorge.
« De sexe masculin dans ma tranche d'âge, rectifia Alika. Je ne joue pas avec des bébés, Shisheem est bien trop jeune et Tante Leena est enceinte, donc un autre bébé à venir. »
Yuka alla retrouver son mari qui faisait maintenant face à Yuguro. Les seuls mots que Jiguro sortit fut :
« Ne t'avise plus jamais de tenter d'humilier ma famille comme tu l'as fait, compris ?
- ... Oui, Jiguro. »
Yuka fronça les sourcils. Yuguro n'avait pas daigné répondre à son frère aîné et elle s'attendait à ce qu'il réplique. Kahm et lui tournèrent les talons. Et Alika ne saura jamais d'où était venue cette voix rauque qui avait résonné dans son esprit, lui dictant d'achever son cousin. Un esprit ? Le gardien spirituel d'une personne ? Son propre côté sombre ? Elle n'aura jamais la réponse à ce niveau...
Une journée après l'arrivée des envoyés du roi, le village fut entraîné dans un tourbillon d'activités. Les femmes roulaient des tapisseries de laine colorée et emballaient des laga dans des chiffons propres. Les hommes décoraient les chariots qui transporteraient ces présents jusqu'à ce qu'ils soient satisfait du résultat et soient sûrs qu'ils surpassaient ceux des autres clans.
La veille avant son départ avec Jiguro et trente participants de leur clan, Alika retrouva Balsa dans l'auberge qu'elle avait loué sur le territoire le temps de son court séjour. Elle avait de nouveau coupé ses cheveux courts au-dessus des épaules afin qu'ils ne la gênent pas.
« Oneesama, dit-elle faiblement en cognant. Tu es là ?
- Entre. »
Le visage de Balsa s'illumina en voyant sa cousine entrer dans la pièce. Pourtant, au vue l'expression sur le visage d'Alika, elle comprit que quelque chose la tracassait.
« Je connais ce regard. Viens t'asseoir avec moi et raconte-moi tout. »
Elles prirent place sur le lit de l'auberge.
« Je suis nerveuse..., avoua Alika. J'ai tant rêvé de ce moment, et maintenant qu'il est à portée de main, me voilà dans tous mes états et je doute de mes capacités...
- C'est normal d'avoir des doutes quand quelque chose qu'on espérait tant est sur le point de se réaliser. C'est comme si ce n'était pas encore concret dans notre esprit et nous peinons à le croire. J'ai souvent vu cet instant de doute avec les femmes qui sont sur le point de donner naissance.
- Je ne suis pas enceinte !
- Je sais. Je ne voulais que te montrer un exemple concret pour que tu puisses mieux comprendre ce que tu vivais.
- Ça n'aurait pas dû arriver... je veux dire : ce qui s'est passé avec Kahm. Oncle Yuguro ne m'a jamais aimée depuis le premier jour où j'ai tenu une lance dans mes mains... peut-être que Papa aurait dû avoir un fils au lieu d'une fille. Parfois, je me dis qu'il aurait été préférable que je sois un garçon...
- Et si cela avait été le cas, comment tu te seras appelé ? émit Balsa comme hypothèse.
- Je ne sais pas... Malikaru, peut-être ?
- Ce fut rapide comme réponse, dis donc ! »
Elles se mirent à rire doucement avant de reprendre leur sérieux.
« Alika, je veux que tu saches que tu fais la fierté d'Oncle Jiguro.
- Comment tu le sais ?
- Tu sais, les gens peuvent dire beaucoup de choses sur nous que nous ne savons pas. Autant positif que négatif, mais nous avons tendance à ne voir que le mauvais et nos défauts pour plaire aux gens et s'adapter à ce qu'ils attendent de nous. Mais quand je suis seule avec Oncle Jiguro, je ne l'entends parler qu'en bien de toi. Il ne voit pas ton genre, Alika. Il est très fier de la guerrière que tu es.
- ... Vais-je être en mesure de pouvoir manger et voyager avec toi à nouveau ? l'interrogea Alika.
- Qu'est-ce que tu veux dire par-là ?
- Je pourrais mourir durant la Cérémonie des Remises, même si je suis choisie en tant que danseur. Tu n'es pas une médium... alors tu ne pourras pas voir mon âme si je viens te visiter.
- Mais je vais savoir si tu es près de moi, tout comme Maman. Ma Maman. »
Balsa lui prit tendrement les mains.
« Tu ne mourras pas.
- La mort ne me fait pas peur... ce qui me fait peur, c'est de laisser derrière moi tous ceux que j'aime avec mon absence. Toi, Maman, Papa, Amaya, même Lany... au fait, je me demandais... on m'a encore reproché de t'appeler "Oneesama"... que c'était trop formelle pour une famille. Est-ce que ça te dérange ?
- Non, la rassura-t-elle. Ne change pas comment tu m'appelles à cause que d'autres se sentent vexés. C'est un truc qui ne concerne que notre relation à toi et à moi. Les autres n'ont pas leur mot à dire dessus. Ça fait partie de toi. Comme Amaya et son "Alichoue". »
Alika sourit et Balsa lui donna un câlin.
« Va faire la fierté du clan Musa et rapporte les luishas pour le peuple Kanbalese. Je te regarderai partir, au premier rang dans la foule demain matin.
- Bien sûr. Merci, Oneesama. Je ne sais pas ce que je ferai sans toi. »
Le lendemain, Jiguro, Alika et trente participants de la classe guerrière quittèrent le territoire au galop sous les encouragements du peuple du clan. Elle savait que Kahm et Yuguro, amers, regardaient le glorieux cortège s'éloigner dans la distance.
Balsa se tenait aux côtés de Yuka, priant les esprits et sa mère de veiller sur sa quasi sœur. Elle avait foi en sa cousine et elle savait qu'elle réussirait à atteindre son but. Comme son oncle et sa cousine ne seraient pas de retour avant un mois – la cérémonie ne commençant qu'un mois après l'ouverture de la Porte – Balsa avait décidé de porter compagnie à sa Tante à la maison de guérison pour passer le temps. Alika tourna la tête sur sa monture et chercha l'habit rouge de sa cousine parmi les premiers rangs. Balsa fit aller sa main et le sourire que fit la jeune guerrière lui indiqua qu'elle l'avait bien aperçu.
Tout irait bien !
