Chapitre 36

Seul le brouhaha des passants indiquait à Shoto quel moment de la journée ils étaient. Le peuple affluait de plus en plus dans les rues alors que les commerces ouvraient leurs portes. L'engouement des passants était parfaitement audible de la haute fenêtre, et cela affaissa d'autant plus les épaules du commandant. Personne ne savait. Tous étaient aveuglés par l'ignorance, et alors que des êtres souffraient, le reste vivaient naïvement.

Même après être resté enfermé seul, Shoto n'avait pu atténuer sa haine. Le premier jour, il s'était débattu. Hurlant à s'en arracher la gorge, et tapant sur la porte à s'en faire saigner les poings, seul le silence lui avait répondu. Le deuxième jour, sa volonté de nier les événements le poussa à retourner la pièce. Tiraillé entre la douleur et la haine, le bicolore avait jusqu'à oublier que l'endroit appartenait à ses amis. Et enfin, le troisième jour, l'acceptation chemina jusqu'à son cœur. Il s'était simplement assis et avait commencé à boire le vin présent dans la chambre. Il passa la longueur de ce jour à boire et à déverser ses larmes, avec le souvenir de Momo souriant pour la dernière fois.

Ce n'est qu'au quatrième jour enfermé que Katsuki pénétra dans la chambre. En ouvrant, il grimaça sans pitié, en faisant bien comprendre au commandant que l'odeur devait être insupportable, et que son allure tout autant. Le blond observa l'état de la pièce. La chambre se trouvait dans la pénombre, où seuls quelques rayons de soleil traversaient les rideaux opaques. Pourtant, le centurion voyait parfaitement le lit saccagé ainsi que la chaise du bureau renversée. Il posa ensuite son regard sur son ami. Shoto portait les mêmes vêtements que la fois où il l'avait laissé. Ses cheveux étaient en pagaille et sa barbe de trois jours lui donnait une sévérité qui ne lui allait pas du tout. Mais ce fut les cernes violettes, et le regard vide de son ami qui fit serrer la mâchoire du centurion.

-Je te préviens, c'est toi qui payes pour le nettoyage.

Shoto ne s'était même pas tourné vers lui. Assis sur le sol, une bouteille à la main, il avait les bras posés sur ses genoux.

-Si tu es venu me ravitailler en nourriture, je te préviens, le vin est parfaitement suffisant. Sa voix était rauque, bien différente de ce que le centurion connaissait.

-Tu me fais pitié.

Le bicolore ricana, mais sans aucune forme d'amusement.

-Le grand Katsuki Bakugo, capable de ressentir de la pitié. On aura tout vu à Rome.

-Je suis d'accord, personne ne me croirait si je leur disais que tu es commandant. Regarde-toi.

Shoto s'ébouriffa les cheveux. Il ne l'avait toujours pas regardé. Mais Katsuki le força à lever les yeux, lorsqu'il lui prit sa bouteille des mains, et prit place sur le siège que Shoto avait fait tomber. Celui-ci demanda sans politesse :

-Pourquoi es-tu là ?

-J'ai frappé Toya. Shoto leva les sourcils, mais sans pouvoir dire quoi que ce soit. Je sais que je suis le plus impulsif de nous trois, mais alors que cette histoire me concernait le moins, c'est moi qui ai réagi le premier. Shoto, si je n'avais pas négligé mon travail, tout cela ne serait peut-être pas arrivé. Et j'ai… j'ai commencé à développer de la culpabilité. Les yeux dans le vide, la voix de Katsuki n'était plus que lointaine. Je ne dors plus depuis ce fameux soir, hanté par les sanglots de Dame Yaoyorozu. Alors, j'ai voulu y mettre fin, en poursuivant ceux qui ont trahi la confiance de notre castrum.

-Tu les as trouvés ?

-Oui. Et j'ai bien cru franchir une limite que je ne m'étais jamais imaginé frôler. Ils s'étaient cachés dans un vieil hôtel, au nord de la ville. Les deux minables pensaient s'en sortir avec la certitude que l'Héritier les couvrirait. J'ai failli les tuer, Shoto. J'ai failli succomber à ma culpabilité en essayant de rediriger ma haine. Parce que c'était plus facile. Et c'est là que j'ai réalisé. Depuis le début, depuis notre arrivée à Rome, tu as détesté ton père, puis ton frère. Mais en vérité, celui pour qui tu avais le plus de rancœur, c'était toi-même. Comme moi aujourd'hui. Voilà pourquoi je suis ici. Je veux que tu acceptes ta haine et que tu agisses pour le mieux.

Shoto respirait difficilement, comme s'il s'empêchait de pleurer. Et après une longue inspiration, il dit :

-Tu n'as aucune raison de t'en vouloir. Ce n'est que la faute de Toya. Seul lui mérite de subir notre courroux.

-Ne me dit pas ce que j'ai besoin d'entendre. Dis-moi ce que tu as besoin de dire.

L'air sérieux de Katsuki étonna le bicolore. Son expression était neutre, malgré son aveu sur la culpabilité qui l'étreignait. Shoto essuya la larme qui avait glissé jusqu'à sa bouche et déclara :

-Je suis terriblement en colère remplis d'amertume et indubitablement triste. J'ai tout raté, échoué dans chaque chose que j'ai entrepris. Ma mère est morte en me sauvant, provoquant ainsi la folie de mon aîné. J'ai eu sous ma tutelle un innocent garçon que j'ai ensuite envoyé à la mort. Ma sœur a été contrainte de quitter sa terre natale, fuyant ainsi sa vie de confort avec la crainte constante qu'on finisse par la retrouver. Mon frère a perdu l'amour de sa vie, dans un accident fortuit. Et pour finir, la femme que j'admire, respect et aime autant vient de subir la pire de infamies par nul autre que mon propre sang. Et ce ne sont que quelques-uns de mes nombreux échecs.

Le commandant n'osait plus regarder son centurion, trop honteux de la longue liste de ses échecs. Mais Katsuki voyait cela d'un autre œil.

-C'est bon, tu as fini de pleurer ? De te morfondre sur ton propre sort ? Shoto, je ne comprends pas vraiment pourquoi ta mère à fait ce choix de quitter Rome, mais ayant vu Izuku agir avec Eri, j'ai une idée de ce qu'un parent serait prêt à faire pour son enfant. Ta sœur est avant tout partie pour vivre avec celui qu'elle a choisi. Sans toi, les deux auraient vécu une vie malheureuse. Pour ton frère, personne n'aurait pu rien faire, même lui est son indiscrétion concernant son inclination n'aurait pu influencer ce qui est arrivé. Quant à Dame Yaoyorozu… Shoto, elle n'est pas ta promise. En vérité, je suis étonné que Toya n'ait pas agi plus tôt. C'est un sadique, et ces années de patience maladive ont provoqué cet acte barbare. Mais il se trouve que toi et elle, aviez succombé l'un à l'autre. Ce n'est tristement qu'un énième argument que Toya a utilisé pour justifier son acte. Dame Yaoyorozu est une femme forte, intelligente et solide. Je ne dis pas qu'elle le méritait, mais ce qui est certain, c'est qu'elle ne s'effondrera pas. Et toi non plus. Tu supportes beaucoup trop de choses Shoto. Depuis beaucoup trop longtemps. Autorise-toi à te reposer sur nous maintenant. Et lorsque tu le feras, sois en sûr, nous vaincrons. Rome est un poison. Nous allons alors lui soumettre un antidote. Nous allons nous battre pour que plus jamais ce genre de choses n'arrivent. Pour que plus jamais, nous ayons à chercher des justifications à nos erreurs.

Tout au long de son discours, Shoto avait repris ses esprits. Il avait séché ses larmes et s'était redressé peu à peu. Après un raclement de gorge, il tendit la main à son ami blond qui s'était levé. Il l'aida à se mettre sur ses pieds et entendit :

-Merci mon ami.

Dans un ricanement, Katsuki répondit :

-Ne me remercie pas, je suis aussi venu te dire qu'Elle te demandait. Shoto contracta sa mâchoire, et eut une nouvelle fois envie de vider le fond de sa coupe. Tu vas devoir l'affronter. Mais avant tout cela, prends un bain, tu empestes.

*…*

Elle se réveilla avec une lumière vive dans les yeux. Malgré ses paupières fermées, elle pouvait sentir les rayons du soleil recouvrir son visage. La chaleur de l'astre lui faisait beaucoup de bien. Elle profitait allègrement de ces petits moments qui apaisaient légèrement son cœur meurtri. Le jour suivant le drame, Momo avait dû camoufler ce qui lui était arrivé aux yeux de tous. Elle devait tenir le rôle qu'on attendait d'elle, le rôle de Dame grecque. Le plus dure durant ces derniers jours, fut la confrontation qu'elle eut avec son père et sa tante. Elle détestait leur mentir, mais préférait cela à devoir leur annoncer ce qui lui était arrivé. Momo n'avait pas réussi à les regarder dans les yeux, malgré toute sa volonté. Elle se sentait salie, indigne d'appartenir à la famille Yaoyorozu. C'est pourquoi, elle ne leur avait fait grâce de sa présence qu'à leur retour de Grèce. Le reste du temps, elle restait enfermée dans sa chambre, incapable de voir quelqu'un d'autre que Kyoka. Mais le manque qu'elle ressentait s'accentuait de seconde en seconde, et ainsi elle demanda à sa suivante de pouvoir voire le commandant. Et malgré son hésitation, celle-ci finit par céder.

Momo savait que lorsqu'elle ouvrirait les yeux, elle le verrait. Elle s'était longuement préparée à le revoir, et était partagée entre l'appréhension et l'impatience. Mais surtout, elle redoutait le regard qu'il porterait sur elle, maintenant que tout était terminé. Ses paupières se levèrent peu à peu, et se posèrent instantanément sur le dos du bicolore qui faisait face au balcon. Elle eut un sursaut malgré toute son envie de le voir. Son côté roux lui remémora un souvenir qu'elle effaça en fermant durement les yeux. Et ce fut son léger gémissement qui fit se tourner le commandant. Instinctivement, il recula de plusieurs pas, mais se pétrifia en entendant :

-Ne partez pas. Je vous en prie, ne me laissez pas.

Il s'approcha d'un pas, mais voyant qu'il hésitait toujours, la Dame indiqua à l'homme de venir s'asseoir à l'extrémité de son lit. Ce qu'il fit, avec beaucoup de difficulté. Mais enfin assis, il demanda précipitamment :

-Comment vous sentez-vous ?

-Et vous ? Rétorqua-t-elle d'une petite voix.

-J'ai demandé le premier.

-Je crois que pour cette fois-ci, je suis excusée.

Le commandant soupira, mais fut rassuré de voir qu'elle se sentait plus à l'aise.

-Mon état est meilleur que le vôtre. Même si je n'ai pas beaucoup dormi.

-Merci, pour votre honnêteté.

-Si j'ai accepté de venir, c'est pour vous informer que personne à Rome n'est au courant de ce qui est survenu. Des personnes de confiance se sont assurées que tout aille bien. Cependant, je ne camoufle pas ma désapprobation. Il vous a souillez. Il ne mérite pas de vivre en liberté. De vivre tout simplement.

-Je sais ce que mérite Toya ou non. Sa voix s'était brisée. Mais chaque action a une conséquence. Et cette affaire a une zone d'impact beaucoup trop élevée qui ne touchera pas simplement ce monstre.

-Comment pouvez-vous penser ainsi ?

-Toya ne me fait pas peur. Et ce n'est pas comme s'il allait vivre libre pour toujours. Si je ne me trompe pas, vous et les autres, préparez quelque chose. Si cela est le cas, je pense que Toya est celui qui doit avoir peur.

Shoto sourit. Il la reconnaissait parfaitement en cet instant.

-Nous aurons besoin de votre intelligence.

-Et j'ai bien peur de ne pas pouvoir être d'un grand secours. Si jamais je suis prise sur le fait, on accusera la Grèce pour mon acte. L'Empereur aura alors une raison officielle de l'attaquer. C'est pourquoi, et vous avez dû le remarquer, je suis surveillée. Votre père veut éviter d'être la cause du conflit. Mais il en veut bien un. Si jamais je suis impliquée, une guerre se déclenchera.

-Mais vous l'êtes déjà ! Shoto se leva brusquement, mais regretta son geste lorsqu'il vit la jeune femme sursauter. Mais sa fureur primait : Ils ont créé la cause du conflit en infligeant cela ! Pour l'amour des dieux, votre abnégation ne fera que retarder l'inévitable !

-Ainsi soit-il.

Meurtri, le commandant fronça les sourcils de tristesse et repris place sur le bout du lit.

-Mais c'est injuste. Comment pouvez-vous le supporter ?

Pour montrer son soutien, Momo s'approcha de quelques millimètres, et usa d'une voix confiante, celle qu'elle avait l'habitude d'utiliser.

-Je suis une fille de Grèce. En plus de porter son honneur, je représente sa force. Jamais je ne laisserai l'Empereur et Toya voir qu'ils m'ont brisée. Cela serait encore plus insupportable que de vivre avec cette injustice.

Un silence s'installa. Un silence à la fois apaisant et tortueux. Mais Shoto le coupa :

-Moi je ne peux vivre avec. Pas en sachant tout cela. Pas en vous regardant là, le regard vide. Pas en ayant si mal.

-Je suis reconnaissante vous savez. De votre présence et de votre compassion. D'une certaine manière, je me sens mieux de constater que pas tout le monde est mauvais.

Le bicolore grimaça. Comme si la pensée qui venait de le traverser représentait la chose qu'il exécrait le plus.

-Ce n'est pas par compassion. C'est par égoïsme. Je… Je hais l'idée de ce qu'il a fait. Je voue aujourd'hui une haine plus ardente pour Toya que pour mon père. Car il a voulu m'arracher quelque chose en vous arrachant vous. Il l'a compris et de ce fait, a trouvé le meilleur moyen pour me lacérer le cœur sans arme. En m'empêchant à tous jamais de vous révéler ces mots… Je vous…

-Pas comme cela. C'était un murmure, suppliant et triste.

-Momo j'essaye de…

Elle tressaillit à l'entente de son nom prononcé par sa bouche :

-Je sais ce que vous essayez de faire. Mais pas de cette manière. Pas pour de mauvaises raisons. Il existe toujours de l'espoir en moi, mais si vous continuez sur ce chemin, je ne suis pas sûr de me relever.

-Aurais-je le courage de le faire un jour ? La mâchoire serrée, il luttait.

-Je vous sais assez sincère pour vous répondre oui. Elle lui sourit, puis termina plus sérieusement : J'attendrai Libra, faites ce que vous avez à faire.

Les deux s'observèrent de longues secondes. Ils avaient dans le regard une lueur si triste, conséquence d'une impression qui leur brisèrent le cœur. Ce tête à tête serait peut-être le dernier avant très longtemps, et les évènements futurs confirmèrent ce pressentiment.

*…*

Lorsque Shoto fut sorti de la chambre de la Dame, un soldat l'attendait. Celui-ci l'informa que l'ambassadeur le demandait urgemment dans son bureau. Tout de suite, l'anxiété du commandant monta en flèche, car il redoutait plus que tout cette confrontation. Mais malgré ses jambes fébriles, il se dirigea tel un automate dans une partie de la grande demeure, où se trouvait le grand bureau.

En entrant, il remarqua que Midnight s'y trouvait aussi, mais à voir son expression, sa présence ne le rassura pas une seule seconde. Le bicolore se positionna en garde à vous, tout en évitant le regard insistant de la Dame. L'ambassadeur de son côté, avait le dos tourné et observait l'extérieur de l'ouverture amenant au balcon.

Le silence dura un moment, sans qu'aucun d'eux n'ose parler. Mais Shoto comprit que l'ambassadeur cherchait simplement ses mots lorsqu'il déclara :

-Je n'ai pas l'intention de m'attarder sur cette conversation. J'ai pour vous une simple question. L'homme se tourna vers son commandant, et celui-ci eut presque envie de prendre la fuite en voyant ses yeux rougis, et son expression abattu. Est-ce que ma fille a été agressée par son fiancé ?

Pris de court, Shoto cessa de respirer et dévoila sans un bruit la véracité de ces mots. Midnight s'effondra sur le sol. Prise de sanglots, elle se couvrit la bouche en pleurant abondamment. L'ambassadeur n'avait pas lâché des yeux le commandant qui n'avait toujours pas repris sa respiration. Le commerçant grec finit par prendre place sur son siège de bureau. Les coudes sur les cuisses, et les mains dans les cheveux, Shoto n'aurait su dire s'il pleurait ou non. Ou bien, était-il celui qui pleurait. Il l'ignorait.

-Je… Ce fut l'unique chose qu'il réussit à dire.

-Ce genre de rumeur ne remonte jamais jusqu'à mes oreilles. Habituellement, c'est Midnight qui m'apprend toutes les nouvelles. Mais même elle ne savait pas ce qui était arrivé. J'ai dû être prévenu par la personne la plus inattendue pour savoir ce que ma propre fille avait subi. La connaissant, elle a dû se charger de faire étouffer l'incident, sachant ce que cela impliquerait. Pauvre enfant, tous ces efforts pour rien. Et vous commandant, vous devez bien être déçu que votre autorité ait laissé échapper un friand de rumeur. Alors Libra ? Comment allez-vous justifier ce qui est survenu durant mon absence ? La retenue de l'ambassadeur était parfaitement audible par le bicolore, qui sut à quel point l'homme était blessé.

Son jugement était arrivé. Et pour la première fois, il accepta sa culpabilité :

-J'ai négligé la relève de nuit. Ainsi, un individu a pu s'introduire dans ses quartiers. Les faits ne m'ont été reportés que quelques heures après, lorsque… lorsqu'il était déjà trop tard. Mademoiselle Jiro, deux de mes centurions, ainsi que les commerçants Kaminari et Kirishima m'ont aidé à étouffer tout ce qui était arrivé. Comme si rien n'était survenu. En le laissant libre comme l'air.

En trois enjambé, l'ambassadeur attrapa le col de son commandant et cria :

-Libre comme l'air !? Comment ce « bastardos » a eu la possibilité de commettre cette chose !? Je vous avais confié ma fille Libra ! Je vous avais confié tout ce que j'avais ! Alors comment !? Comment !?

-Mon frère, cela suffit. La supplication de la femme ne fit pas reculer l'ambassadeur.

-Suffit !? Non, aucune justification ne me conviendra ! Ma fille ! La chair de ma chair ! Comment !?

Shoto n'avait pas bougé. Il était resté stoïque, encaissant sans réagir la virulence de l'homme. Ses yeux n'avaient pas lâché les siens. Mais il les baissa vers Midnight qui l'implora :

-Je vous en prie Libra, dites quelque chose.

Il resta de longues secondes à la regarder. L'expression à la fois vide et abattue. Le bicolore finit par dire :

-Je l'aime. Tout autant que vous, je l'aime. Tout autant que vous, je souffre. Shoto lutta pour retenir ses sanglots. Tout autant que vous, je veux voir le corps de Toya Todoroki pourrir au soleil. Le regard des trois présents dans la pièce était aussi noir qu'une nuit sans lune. Les yeux de Shoto revinrent sur l'ambassadeur. Il n'existe rien en cette sainte terre qui pourra me racheter de mon incompétence. Cependant, sur ma vie, je fais allégeance à la maison Yaoyorozu. Je ne connaîtrai pas le repos tant que les coupables n'auront pas payé.

Au fur et à mesure, l'homme avait détaché son emprise du commandant. Il finit par le lâcher complètement, et tel un corps vide, il marcha vers son siège. Le dos affaissé, il n'y avait plus aucune tenue dans les mouvements de cet homme à l'accoutumé si pragmatique.

Midnight aussi se calma, et après avoir séché ses larmes, Shoto l'aida à se relever. Pour le remercier, et peut-être pour lui faire comprendre qu'il n'avait aucune raison de culpabiliser, elle lui sourit tendrement. Mais ce geste n'eut d'effet que de rendre le bicolore davantage honteux. Il baissa la tête, en s'efforçant d'oublier les images de ce fameux jour.

-Si Momo s'est tant démenée pour faire disparaître ce qu'il lui est arrivé, je pense que nous devrions la suivre. Je pense qu'il ne faut pas qu'elle sache que nous sommes au courant.

L'ambassadeur lança un regard ahuri à sa sœur :

-Et comment suis-je censé consoler ma fille si elle ne doit pas savoir que je sais ?

Midnight avait repris tout son aplomb.

-Nous n'allons pas la consoler. Nous allons agir comme avant, comme si rien n'était jamais survenu. Tu joueras l'ami de l'Empire romain, pendant que moi je continuerai à m'amuser dans le monde entier. Momo ne doit jamais savoir que nous l'avons appris.

-Midnight !

-Elle a pris sa décision ! Malgré ses blessures, elle a choisi de sauver sa nation ! Ce n'est pas nous, qui étions dans notre confort, qui avons la légitimité de remettre en cause sa volonté ! Sa voix s'adoucit soudainement. Je comprends. Je te comprends parfaitement. Momo est comme ma fille, et même à moi qui ai été si volubile dans ma vie, pareille chose ne m'est jamais arrivée.

L'ambassadeur se massa les tempes, et demanda :

-Où veux-tu en venir ?

La Dame s'approcha du bureau, pour se maintenir dessus avec ses poings.

-Aux yeux de tous, elle donne l'impression de n'avoir rien vécu. Mais pas tout le monde aurait pu réagir comme elle l'a fait. Elle n'a pas honte de ce qu'elle a subi. Elle essaye juste de vivre avec aujourd'hui. Aucun de nous… Midnight se tourna vers Shoto… n'a le droit de lui enlever cela.

Ils se turent tous. Il n'y avait plus rien à ajouter. Et seule une commémoration planait dans le bureau. Mais alors qu'ils pensaient se recueillir encore un moment, un soldat avec un uniforme romain entra brusquement dans la pièce. Il était essoufflé, et le premier réflexe de Shoto fut de dégainer son glaive. Mais à son étonnement, le commandant fut bloqué par la Dame. Celle-ci s'approcha de l'intrus et demanda :

-Shinso, qu'est-il arrivé ?

Le soldat se refusa à reprendre son souffle et lança d'une traite :

-Dame Midnight, je viens à peine de recevoir une missive de nos soldats en Grèce. L'Empereur grec a été assassiné !