Bonjour tout le monde !

Encore une petite histoire née d'un petit challenge réalisé avec MlleLauChan, à qui ce texte est dédié, en ce jour tout particulier pour elle. Un thème, une heure, une histoire.

Avant de poster, j'ai pris soin de corriger les erreurs que je voyais, et de rajouter la partie sur les invertébrés marins que vous découvrirez ci-après.

Bonne lecture ! :)


Assis confortablement sur les fauteuils moelleux du 'Coff'Tea Time !', deux créatures d'apparence anthropomorphe discutaient de tout et de rien. L'une de ces deux entités, propre sur elle et de forme masculine et moelleuse, tenait entre ses doigts délicats une fourchette et un couteau. C'était ainsi que l'individu appréciait déguster une bonne pâtisserie, plutôt qu'avec ses doigts. Sa commande n'était pas encore arrivée mais il connaissait ce petit salon de thé et la qualité de ses produits faits-maison. Il savait qu'il ne serait pas déçu, et salivait d'avance de ce qu'on lui apporterait. Face à lui, la seconde créature, grande, anguleuse et au style vestimentaire indéniablement travaillé, faisait rebondir son genou en un rythme rapide.

Autour d'eux, le salon de thé commençait à être rempli de duos. Pour l'occasion, les nappes étaient devenues rouges plutôt que la couleur taupe habituelle. Sur chaque table trônait un lumignon différent. Sur la leur, il s'agissait d'un photophore en forme de maison. Juste à côté de la silhouette longiligne, un couple de jeunes femmes éclata de rire.

Depuis quelques années, les mœurs évoluaient de plus en plus vite. Là où une sortie en public signifiait se montrer sous son meilleur jour et faire montre de la plus grande discrétion, aujourd'hui, la jeune génération se libérait de plus en plus facilement. En bref ; les gens devenaient bruyants. Et c'était agaçant. Bien entendu, il n'avait pas le droit de s'en plaindre. Il adorait tous ces changements. Ils rendaient son travail occulte un peu plus facile.

Le couple de femmes fut servi ; elles reçurent deux portions de gâteau au chocolat, taillées dans la forme d'un cœur. Des pétales de roses avaient été ajoutés sur le côté des assiettes.

Derrière ses lunettes de soleil, il vit l'entité en costume crème hausser ses élégants sourcils.

- Oh, s'étonna cette dernière d'une voix douce. J'ignorais qu'ils avaient changé la forme de leur moule à gâteau.

- C'est pour aller avec le thème du jour, répondit son vis-à-vis. L'amour, tout ça.

Il sentit immédiatement que quelque chose n'allait pas.

- Aziraphale ? appela-t-il en fronçant un sourcil devant l'air concentré de son voisin.

- Je... Tout va bien, Crowley. L'amour, dis-tu... Je perçois depuis le lever du jour une sensation étrange. Comme si les gens, aujourd'hui... s'aimaient plus qu'à l'accoutumée. Je me demande pour quelle raison le salon fête cela aujourd'hui. Rien qu'à voir tous ces couples, cette quantité d'Amour est flagrante.

La créature en tenue sombre eut un bref rire nasal. Il n'y avait bien qu'Aziraphale pour entrer dans un salon de thé à thème et ne pas comprendre, à la vue de la lumière tamisée rouge, des nappes rouges et des confettis en forme de cœur, quel jour on était.

- Alors je vais te mettre sur la voie, ange... Quand a commencé ton inventaire de librairie ?

A ces mots, le questionné se rengorgea.

- Il a débuté le vingt-quatrième jour du mois de brumaire, et j'ai fermé boutique le vingt-cinquième pour toute la durée des travaux, c'est à dire jusqu'à aujourd'hui.

- Et... Le combien sommes-nous, aujourd'hui?

- Le vingt-sixième jour du mois de pluviôse, cher Crowley.

- Certes... Et en version grégorienne, ça donne ?

- Le... quatorze février.

Il n'eut qu'à patienter quelques instants.

- Oh...

Crowley songeait souvent que son ami était spécialement intelligent pour dévoiler à l'occasion tant de stupidité...

- Déjà ? Oh... Mais... Je n'ai pas vu le temps passer...

C'était le cas de le dire, oui. Cette parenthèse de trois mois avait été une expérience incroyable pour eux deux. Puisque le libraire avait la connaissance des ouvrages entrants et sortants, l'inventaire en lui-même avait été terminé en l'espace de quelques heures de travail, étalées sur plusieurs semaines. Mais quel plaisir que de pouvoir partager du temps avec l'ange sans l'excuse du "je dois ouvrir le magasin". Ils avaient pu passer des après-midi entiers à se promener, à flâner dans Londres ou à se régaler de nourriture commandée dans l'arrière-boutique de la librairie. Enfin, Aziraphale avait changé la place de certains rayonnages, dans l'espoir de désorienter les acheteurs. Et, sous une impulsion de Crowley, de délicieuses têtes de crevettes, restes de leur paëlla de la semaine passée, reposaient sur des coupelles, elles-mêmes disséminées aux quatre coins de la librairie. Elles terminaient leur processus de nécrose en embaumant l'espace de vente d'une singulière odeur. L'ange avait voulu se réinventer comme jamais pour cette nouvelle année. Et son ami l'y avait aidé.

- Ah non, c'est sûr qu'à se confiner comme tu l'as fait, tu n'as pas pu voir le temps passer. Ah, ta commande arrive...

Effectivement, le serveur déposait devant le libraire une assiette contenant une part de tartelette à la poire. L'ange eut un gloussement ravi et entreprit d'attacher soigneusement sa serviette autour de son cou.

La tartelette était en forme de cœur. Sur le côté de l'assiette, on avait tracé de jolies arabesques de caramel fondu. Crowley sourit, effaça du doigt un morceau de tracé avant de le porter à sa bouche. Il ne savait pas si l'ange s'en apercevrait mais à présent, le caramel formait le sigil "Zobrck", qui signifiait peu ou prou "Fils illégitime du Dominateur de tous les Monts". Il aperçut le regard d'Aziraphale et le soutint un instant.

- Un problème, mon ange ?

- Eh bien, je-

- UNE ROSE ? UNE ROSE POUR VOTRE AMOUREUX ?

Aziraphale sursauta et gloussa : devant le visage de Crowley venait d'être fiché un énorme bouquet de roses rouges, toutes plus magnifiques les unes que les autres. De nouveau, l'ange soutint le regard de Crowley.

- Nan merci. On a déjà ce qu'il faut, cracha-t-il au vendeur barbu.

L'homme s'éloigna pesamment vers une autre table. Derrière ses lunettes, le démon darda son regard jaune dans les yeux bleus.

- C'est une méthode peu orthodoxe, tu en conviendras, nota Aziraphale avant de porter à la bouche une bouchée de tarte.

- Je n'aime pas ces fleurs artificielles. Élevées en serre, elles se ressemblent toutes. Les humains les offrent à l'être aimé pour se donner bonne conscience pour ce jour particulier, mais je trouve cela impersonnel.

- Et je le comprends tout à fait, mon cher ami. Mais… même si le geste est prémédité et voué à se donner bonne conscience, je pense que toutes ces personnes sont heureuses de recevoir un cadeau en ce jour. Même une simple rose poussée en serre.

Crowley prit la réflexion en considération.

- Si je devais offrir une fleur à quelqu'un, je choisirais une plante vivante que la personne pourrait faire pousser et perdurer dans le temps. La personne pourrait ainsi se souvenir de moi dès qu'elle passerait devant la plante. Alors que cette rose-là a été tellement trafiquée que d'ici à vendredi, elle sera déjà toute fanée, tu verras, conclut-il d'un air entendu.

- Mais elle est en fleur, objecta l'ange. Elle peut donc être butinée et faire perdurer l'espèce.

- Pas ces roses-ci. Elles ont été sélectionnées pour être belles. Écarte les pétales et tu verras qu'elles n'ont ni étamine, ni pistil.

Les yeux du libraire s'ouvrirent tout ronds.

- Ils... Ils sont capables de faire cela ?

- Ouaip. Sélectionner les plantes, c'est ce que l'Homme fait depuis l'aube de l'humanité.

Aziraphale soutint son regard un moment, avant d'enfourner une nouvelle bouchée de tarte avec dépit.

- Donc, moi, je n'offrirais pas de rose à la personne que j'aime, reprit Crowley.

- Non.

- Si j'étais humain, bien entendu.

- Indéniablement.

- Et puis... Mince, quoi. Une rose, c'est l'appareil reproducteur d'un rosier. C'est littéralement faire comprendre à la personne "J'ai envie de toi." Franchement, ange, tu trouves ça poétique ?

L'interpellé prit le temps de se tamponner les lèvres avec sa serviette avant de répondre :

- Non. Évidemment, présenté comme cela...

- Voilà, on est d'accord. Une rose avec un pistil, ou pas de rose du tout. Un vrai cadeau personnalisé, pour une personne qu'on apprécie en un jour aussi… humain et commercial.

L'ange baissa les yeux, avant de les relever vers ceux de Crowley.

- Sache, mon ami, qu'à mes yeux, toutes les magnifiques roses stériles du monde ne vaudront pas cette délicieuse pâtisserie que tu m'offres aujourd'hui. Ni même l'aide que tu m'as accordée lors de cet inventaire de trois mois dans la librairie.

Une main se déposa dans le creux d'une paume.

- As-tu fini ta tartelette, mon ange ?

- Non, mon cher ami. J'aime à faire durer le plaisir. Et je dirais même que je viens juste de la commencer...


J'espère que ce texte vous aura plu ? N'hésitez pas à me faire part de vos impressions, même en quelques mots. Le thème initial était 'pistil' mais je pense avoir pas mal dérivé, si bien que le vrai thème de cette histoire serait plutôt l'Amour…

Petite précision historique à destination des lecteurs étrangers : dans le texte, pour lui faire prendre conscience qu'aujourd'hui était le jour de la Saint-Valentin, Crowley a demandé à Aziraphale de lui donner les dates de son inventaire de librairie. Les réponses qu'il a reçues étaient pour le moins surprenantes, pas vrai ? C'est parce que ce brillant nigaud d'ange lui a donné des dates du calendrier républicain ! Créé durant cette période de troubles qu'était la Révolution française, il a été utilisé durant une quinzaine d'années à partir de 1792. Les mois étaient découpés différemment du calendrier actuel, appelé grégorien (avec janvier, février, etc). Si vous êtes un peu curieux, allez voir son fonctionnement !

Mine de rien, je suis absolument ravie d'avoir pu coller dans une fiction cette idée que je trouve amusante : un Aziraphale tellement en décalage sur tout qu'il cite spontanément un calendrier obsolète, par envie ou sans s'en rendre compte. Qui, sur la planète entière, pourrait le comprendre, hormis peut-être Crowley et une poignée d'historiens spécialisés ? ^^ Au passage, si l'on transcrit dans leur équivalent grégorien actuel les dates que l'ange renseigne à Crowley, on comprend que l'inventaire de la librairie a débuté le 14 novembre pour terminer en ce jour de Saint-Valentin, soit le 14 février.

Ce qui est très long, pour un inventaire.