Le soleil était déjà levé quand ils se sont remis en marche, tout droit vers Tristes Collines. Le temps était doux et le chemin agréable. À mesure qu'ils quittaient les montagnes, le paysage changeait. Le sol dur, couvert de mousse, laissait la place à une herbe fraîche, dont le vert scintillait comme un chemin d'émeraudes. Ici et là, le pissenlit, la pâquerette, le coquelicot et le bleuet fleurissaient, formant des coussins colorés et dont la vision ne correspondait pas au nom de la bourgade vers laquelle ils se dirigeaient.

« Nasrudin », annonça soudainement Virgil. « C'était son nom. Voyons voir... il était le chef du... du... Conseil des Elfes pendant l'Âge des Légendes, du moins je pense que c'est comme ça qu'il s'appelait. Un sourire plus doux éclaira son visage. "Il était le plus grand être qui ait jamais vécu", à entendre frère Joachim le dire.

« Vous ne semblez pas partager cette opinion. Qu'en pensez-vous ? »

Virgile soupira.

« À vrai dire… Je ne sais plus quoi croire. J'ai toujours pensé que tout cela était allégorique – il fit un mouvement large avec son bâton. – Mais c'était avant que je vous vois sortir indemne de cet accident. J'ai vu le zeppelin s'écraser, et… il n'y avait pas la moindre chance, que quelqu'un sorte vivant de cette épave enflammée… On m'en aurait parlé il y a une semaine, j'en aurais rit. Mais maintenant… Je ne sais pas. »

Il marqua un silence, interrompu uniquement par le chant de la mésange bleue.

« Finalement, il semble que les Panarii aient peut être eu raison. - dit-il.

- Pourquoi vous êtes-vous dirigé vers cette religion ? Devenir moine ne doit pas être une chose aisée.

- Eh bien… la vie que je menais avant était… loin d'être noble. Mais, croyez-moi, dame Elirenn. Mes intentions envers vous le sont ! … J'aimerais bien dissiper votre confusion, mais en tant que novice, je ne suis pas le mieux placé pour expliquer cette histoire avec le prisme des Panarii.

- Alors frère Joachim nous expliquera ce qu'il faut qu'on sache sur cette drôle d'histoire. » – dit Elirenn d'une voix douce mais décidée.

Le paysage verdoyant s'assombrissaient, à mesure qu'ils descendaient dans les collines. Le soleil illuminant leurs visages laissait place à une légère brume.

« Vous en savez un peu plus sur moi. – remarqua Virgil. – D'où venez-vous, dame Elirenn ?

- Elirenn. Juste Elirenn suffira. ».

Elle s'interrogeait si elle pouvait lui faire confiance, elle n'avait pas l'habitude de parler d'elle, elle n'en ressentait jamais ni l'envie, ni le besoin. Mais elle ressentait en Virgil un aura particulier, un cercle invisible de protection, qui l'a convaincu de parler d'elle.

« Je suis née à Gors Velen, mais mes parents m'ont placé rapidement en pension à Oxenfurt, puis juste avant que j'intègre l'académie de Dalaran, ils sont décédés dans un naufrage, près des côtes d'Arcanum.

- J'en suis désolé.

- Après avoir terminé mes études et mon apprentissage, j'ai souhaité voir le monde, le monde qu'ils connaissaient. J'ai donc acheté un ticket pour monter à bord du fabuleux IFS Zephyr.

- Et nous nous sommes rencontrés.

- Sans aucune exagération, Virgil, vous pouvez même affirmer que vous m'avez sauvé la vie.

- Je n'ai fait qu'arriver au bon moment… Vous avez survécu une attaque, la collision du zeppelin avec les montages, et une chute de plusieurs centaines de mètres, et vous êtes là, à côté de moi, juste avec quelques égratignures ! Si ce n'est pas la preuve… ou au moins un début de preuve… que vous êtes le Vivant, alors je ne sais pas ce que c'est !

-Virgil, – Elirenn s'arrêta un instant – si vous ne m'aviez pas sortie des décombres, je serais morte, en respirant ces fumées toxiques. – la cadence de ses paroles s'accélérait. – Non seulement, le Zéphyr était censé ce cracher, mais un tueur à gages a été envoyé sur les lieux de l'accident, pour s'assurer qu'il n'y aura aucun survivant ! »

Elirenn sentit ses genoux faiblir, et se pencha posant ses mains sur ses cuisses, respirant rapidement. Virgil soupira, posa son bâton contre un rocher, et sortit une gourde d'eau de son sac.

« Asseyez-vous, et buvez un peu d'eau. – dit il en lui tendant la gourde d'une main, et en posant l'autre sur son bras. – Nous sommes presque arrivés ».

Elirenn se redressa et le remercia pour l'eau.

« Vous avez grand besoin de vous reposer dans un bon lit et de manger un bon repas, à l'auberge dans laquelle loge frère Joachim. Nous parlerons de tout cela quand vous aurez repris vos forces ».

Virgil retira son manteau pour le mettre autour des épaules d'Elirenn.

« Je ne pense pas que ce soit nécessaire, Virgil…

- Tristes Collines est une petite ville, et vos vêtements ont un peu souffert. Les pèlerins et les voyageurs ne sont généralement pas tachés par la fumée et l'huile de moteur, et la colonne de fumée du Zéphyr doit être visible depuis la ville. Même s'il commence à être tard, il vaudrait mieux que vous portiez un manteau, le temps qu'on vous trouve des nouveaux habits, afin qu'on ne fasse pas trop rapidement le lien ».

La voix de Virgil était calme et son regard bienveillant. En tout cas c'est ce que ressentait Elirenn. Mais elle ne pouvait pas s'empêcher de constater une légère incohérence entre son comportement brouillon d'hier, laissant croire à un fanatique, peut être faible d'esprit, et la clarté des paroles qu'elle venait d'entendre. L'avenir allait montrer si ses actions sont désintéressés.

« Il ne faudrait quand même pas que j'échoue dans ma mission de protection dès les deuxième jour ! – il rit, en reprenant son bâton. – Frère Joachim risquerait de me renvoyer ! »

Il faisait relativement sombre quand ils entrèrent dans la ville. À en croire l'architecture des habitations, l'activité de la ville était essentiellement minière. Les maisons étaient petites, et entourées quelques fois des jardins ou potagers. Certains habitants rentraient chez eux, d'autres refermaient déjà les volets, ou encore appelaient leurs enfants à dîner.

L'auberge était un bâtiment de deux étages, dont les mûrs étaient soutenus par des « habitués » de la boisson chantant des paroles incompréhensibles. Ils entrèrent, sans que quiconque ne les remarque.

Le tenancier séparait deux hommes en train de se bagarrer, un demi-orc tentait de charmer une femme au décolleté provoquant, et les trois autres clients étaient trop concentrés sur le contenu de leurs chopes.

« La chambre de Joachim est à gauche, au fond du couloir.

- Allez-le rejoindre alors, je vais prendre une chambre, et je viens vous retrouver ».

Elirenn s'approcha du comptoir, derrière lequel l'aubergiste essuyait un verre.

« Bien le bonsoir M'dame, que puis-je pour vous ?

- Bonsoir, je souhaiterais louer une chambre pour la nuit, peut être deux.

- J'ai une chambre coquette à l'étage, très convenable, pour cinq pièces d'or la nuit. Est-ce que cela vous va ? – l'aubergiste lui tendit la clef, contre les pièces d'or qu'elle a posé sur le zinc. – En montant, vous allez à droite, et c'est la chambre numéro trois.

- Merci. Vous servez à manger toute la journée ?

- Oui, m'dame, à la demande. Mais c'est ma femme, qui cuisine. Je me contente de servir à boire !

- Ce sera très bien, merci ».

Elirenn se dirigea vers la chambre de Joachim, selon les instructions de Virgil, pour le saluer, et indiquer où elle logera. Toutefois, en poussant la porte, elle ne vit que Virgil. À première vue en tout cas. Deux corps gisaient sans vie, l'un à côté de la fenêtre, l'autre près du lit. Elirenn referma vite la porte derrière elle, et s'approcha de Virgil qui se tenait au milieu de la pièce.

« J'espère qu'aucun des deux hommes n'est frère Joachim…- dit-elle.

- Je… je n'ai jamais vu ces sommes auparavant… Bon Dieu, que s'est-il passé ici…

- Regardez, il y a une lettre posée sur le lit ».

Virgil ouvrit la lettre et la parcourut vite, puis me tendit l'écrit.

« Virgil,

Je suppose que tu n'es pas seul. Comme vous pouvez le voir, il y a des gens à Tristes Collines qui me recherchent. Heureusement pour moi, j'ai pu facilement me libérer de ces malfrats.

Surtout, ne parlez à personne du crash du zeppelin, ou de l'implication de votre nouveau compagnon.

Quand vous serez en mesure de voyager, dirigez-vous vers Tarant, et allez au bureau des télégrammes. J'y laisserai un message vous disant comment me contacter.

~ Joachim ».

« Désolé de vous interrompre, mais il semble que Joachim ait découvert quelque chose… Regardez cette amulette… - dit-il en me tendant l'amulette métallique qu'il a récupéré sur un corps. – Ne vous semble-t-elle pas un peu familière… ? On dirait que ces individus font partie d'un complot plus vaste… contre vous.

- C'est la même amulette que nous avons trouvée sur l'ogre… et sur l'homme rencontré sur le chemin !

- Oui, tous ceux qui voulaient s'assurer que personne ne survivrait au crash du zeppelin. Comment ils pouvaient savoir que vous seriez à son bord ? – Virgil marqua un silence. – Et on dirait que Joachim pense qu'ils savent qui vous êtes… Enfin, qui vous êtes vraiment… Il y a nécessairement un lien avec la prophétie…

- Mais arrêtez avec ça ! – s'exclama Elirenn.

- Pas trop fort. – Virgil l'attrapa par les bras. – Il faut qu'on y aille. Il vaudrait mieux qu'on ne nous voit pas avec ces corps. On continuera notre conversation plus tard ».

Sans un mot, Elirenn s'approcha du corps de l'homme près de la fenêtre et arracha de son cou l'amulette, elle fouilla aussi ses poches, et son sac et y trouva quelques pièces d'or qu'elle récupéra. Non sans surprise, elle vit que Virgil avait retiré le manteau de l'autre cadavre, vidé ses poches, retiré ses armes et même enlevé son plastron. Pour un moine, son comportement était pour le moins inhabituel. Mais sans doute en rapport avec sa vie antérieure.

« Je… doute que ça leur soit utile prochainement ». – dit-il en réponse à la réaction d'Elirenn, et il ramassa le sac posé sur le sol pour y mettre le « butin ».

Virgil a entrouvert la porte, des chants et des bruits de chopes semblaient montrer que les clients étaient tous occupés, le tavernier criait sur un client qu'il essayait de faire sortir.

« J'ai pris une chambre à l'étage » – dit Elirenn.

Ils montèrent discrètement, sans qu'on les aperçoit. Virgil referma la porte de la chambre à clef.

Contrairement à ce qu'Elirenn ait pu imaginer la chambre était agréable, un grand lit se trouvait au milieu, il y avait une commode, une petite table, un fauteuil, et même une coiffeuse sur laquelle était posée une bassine en faïence. La jeune femme posa le manteau sur le fauteuil et s'assit lourdement sur le lit.

« Est-ce que vous m'autorisez à rester ici cette nuit ? – demanda Virgil doucement. – Pour… ehem… monter la garde, évidemment.

- Évidemment… » – répondit-elle, en retirant le son corsage. L'une des tiges avait cassé et s'était légèrement enfoncé dans les côtes, laissant une tâche rouge foncé sur sa chemise. Ce n'est que maintenant qu'elle le voyait dans le miroir, assise en face de la coiffeuse. Le corsage était déchiré par endroits, comme la veste qu'elle portait par-dessus. Son pantalon était tâché.

« Ce serait bien de nettoyer ça, même si c'est superficiel. – dit Virgil en tendant une fiole et un tissu à Elirenn. – Je descends, faire un petit tour, et demander à l'aubergiste de nous préparer à dîner, prenez le temps pour vous rafraîchir ».

La jeune femme se retrouva seule dans la chambre. Après avoir refermé la porte à clef, elle se déshabilla, s'assit devant la coiffeuse et tourna le robinet pour verser l'eau dans la bassine. Ses traits étaient tirés, sa peau grise, ses cheveux défaits, et son corps couvert de bleus. L'eau froide apaisait son corps endolori, et le parfum du savon apaisait ses sens. Elirenn enroula la serviette autour d'elle et après avoir lavé et étendu sa chemise, elle s'assit à nouveau sur le lit.

L'ambiance à l'auberge semblait toujours aussi joviale, mais plus discrète qu'à leur arrivée. Elle entendit toquer à la porte.

« C'est Virgil ».

Elle déverrouilla la porte d'une main, tenant la serviette de l'autre. Virgil rougit légèrement en la voyant, puis monta les yeux au plafond pour éviter de la regarder.

« Ce sera un peu grand, mais je pense que pour cette nuit, ça vous ira ».

Elirenn ne demanda pas où il avait récupéré la tunique, qui était manifestement une tunique d'homme, fraîchement lavée et séchée. Virgil posa le plateau avec deux bols sur la table, et tourna le dos à la jeune femme, qui retira la serviette pour revêtir la tunique.

« Comment Joachim savait que vous serez accompagné en venant ici ? – demanda Elirenn en terminant son ragoût. – Et quel est le lien avec le gnome et l'anneau ? Peut être que la véritable cible était ce gnome ?

- Peut-être… alors que maintenant qu'il est mort, ils veulent obtenir les informations qu'il vous a confiés. Mais pourquoi ils attaqueraient le frère Joachim, un prêtre panarii ? Ça ne peut pas être une coïncidence !

- Donc vous pensez que nous sommes liés ? Par cette… prophétie ?

- Je le pense oui. – Virgil cessa un instant d'essuyer son bol avec le pain. – Mais quoi qu'il en soit, les réponses sont à Tarant, avec Joachim. Et maintenant, allez vous coucher, vous en avez besoin. »

Sans contester, Elirenn posa le bol sur la table, et s'allongea sous l'épaisse couette qui couvrait le lit. Après l'accident auquel elle venait de survivre, même un lit aussi dur que celui-ci était une bénédiction. Virgil rangea les bols sur le plateau, puis s'approcha de la coiffeuse et retira sa chemise. Avant qu'elle n'ait pu réfléchir à l'origine des cicatrices sur son dos et la signification du tatouage sur son bras, Elirenn s'endormit.

Les premières lueurs du soleil illuminèrent le visage d'Elirenn en la réveillant doucement. Elle se retourna dans le lit, réfléchissant au drôle de rêve qu'elle avait fait, et la réaction qu'aura la mère supérieure quand elle va lui raconter l'histoire du zeppelin, du gnome, d'un moine qui n'avait rien d'un moine et d'une prophétie capilotractée.

Elirenn ouvrit lentement les yeux, et se rendit compte qu'elle n'avait pas du tout rêvé. Virgil était endormi dans le fauteuil, son manteau lui servant de couverture. Le grincement du lit le tira de son sommeil soudainement.

« Je ne voulais pas vous réveiller… – dit-elle embarrassée.

- Il était grand temps que je me lève… – murmura-t-il en s'étirant. – Je dois sortir vous trouver une nouvelle tenue de voyage… Hmm… Vous… Vous allez bien…?

Elirenn rougit en se rendant compte qu'elle avait fixé un instant de trop son torse musclé et les cicatrices, avant qu'une chemise ne les recouvre à nouveau.

- Oui, oui. – dit-elle rapidement. - Je suis encore un peu fatigué.

- Alors, reposez vous jusqu'à ce que je revienne ».

Soudainement, ils entendirent le cri strident d'une femme.

« Ah, l'épouse de l'aubergiste vient de trouver les cadavres. – dit-il, avec un ton joyeux. – Affaire à suivre.

- Tenez, pour les achats. Je ne peux pas vous laisser régler leur prix ».

Virgil accepta, sans un mot, et sortit de la chambre, laissant son sac sur la commode.

La jeune femme était tentée de le fouiller, pour en apprendre plus sur Virgil, mais ses principes l'en empêchait. C'en est une chose que de fouiller les poches d'un cadavre, c'en est une autre que de fouiller les affaires de son compagnon de voyage.

Alors, elle regarda dans la commode, et y trouva un livre, sur l'histoire de Tristes Collines, autrefois, ville minière riche, placée stratégiquement entre deux fleuves. Son ancienne gloire semblait s'être flétrie quelque peu. À en voir les habitants, un triste évènement a certainement mit un terme à l'essor de la ville.

Virgil revint quelques temps après, avec un grand paquet dans ses bras, contenant un pantalon de cuir, une chemise, une veste en cuir et des bottes.

La jeune femme réajusta le plastron que Virgil avait récupéré précédemment, et fixa sa queue de cheval avec le ruban. Le plastron, bien que réalisé dans un cuir épais, mettait en valeur les formes de la personne qui le portait. Le manteau permettait de dissimuler sa silhouette féminine.

Elirenn s'étonnait que tout lui allait parfaitement, et s'attendait quand même une réaction de la part de Virgil, mais son visage ne laissait rien apparaître. Ils se regardaient un moment sans rien dire.

« Le Vivant voyagera bien plus confortablement ! » – lança-t-il enfin, en souriant.

Elle grinça des dents au mot « Vivant », s'interrogeant si ce sourire béat de fanatique était une façade, et si Virgil était tout simplement un grand cynique, ou si ce n'était qu'une impression, et qu'il croyait véritablement à cette prophétie.

En descendant les escaliers, ils croisèrent des hommes en toge, déplaçant les cadavres sur des brancards.

« Docteur Roberts ! – cria un homme au béret.

- Ça y est- ? Vous avez terminé ? – demanda un homme grand et frêle, au teint grisâtre.

- Oui ! On les ramène à l'hôpital ».

Docteur Roberts semblait moins intéressé par les deux cadavres trouvés à l'auberge, que par le cigare qu'il était en train d'allumer.

« Pff… Ça va encore me donner du travail pour rien ça… » – marmonnait docteur Roberts, quand Elirenn est passée près de lui.

La ville était effectivement triste, cachée dans une brume omniprésente, qui les enveloppait à mesure qu'ils marchaient dans les ruelles. Les deux compagnons décidèrent de se séparer, au grand regret de Virgil, qui aurait préféré accompagner Elirenn. Tandis que Virgil faisait le plein de provisions, Elirenn marcha dans les ruelles, regardant les étales. Elle finit par s'arrêter devant une petite maison, portant l'enseigne "Les charmes de Jongle".

Elle poussa la porte, qui déclencha un carillon. La boutique était sombre, et encombrée. Les faibles lueurs de quelques bougies et lampes éclairaient suffisamment pour ne pas tomber en marchand dans un tas de livres, ou ne pas se cogner, contre des grandes armoires et cabinets, dont les étagères se courbaient sous le poids de diverses fioles, flacons et parchemins.

Un gnome vêtu d'une tunique blanche apparut soudainement.

« En quoi puis-je vous aider ? – demanda-t-il d'une voix stridente, en essuyant ses lunettes rondes. – Un philtre d'amour ? Une potion de fécondité ? Ou au contraire… un breuvage vous permettant de vous débarrasser définitivement de la faculté de porter la vie ?

- Rien de tout cela. – répondit Elirenn en secouant la tête. – Je suis de passage en ville, et je souhaitais voir quels biens et services vous vendez.

- Aaah… Je suis Jongle Dunne, magicien, enchanteur, guérisseur. Je tiens cette petite boutique depuis… attendez, attendez… 1803 ! Juin 1803 ! Je procure aux habitants, et aux visiteurs divers services magiques. Généralement, et j'en suis bien triste… cela se limite aux potions de virilité, philtres d'amour... Mais ! À mon plus grand plaisir, il arrive parfois que des habitants recherchent une magie plus intéressante. Regardez par ici… voyez-là ? – le gnome marcha rapidement vers l'une des armoires, en esquivant aisément les piles de livres. – Voici les parchemins que j'enchante. Un parchemin de vitesse, et là… qu'est-ce… ah oui ! Parchemin de la force… et un parchemin de beauté… - le gnome se retourna soudainement et monta sur une petite pile de trois livres pour regarder Elirenn de plus près. – Non, non, vous n'en aurez pas besoin.

- Vous avez évoqué des potions, maître Dunne.

- Ah oui, oui… elles sont par là, par là, venez. – le gnome, malgré sa petite taille et son grand âge était très agile. – Que recherchez-vous, mademoiselle ?

- Des potions de soin, essentiellement, si vous en avez.

- Oui, j'ai tout ce qu'il vous faut. Les petites sont à 20 pièces d'or, et les grandes à 45.

- Je vais vous en prendre deux petites et une grande…

- Dites-moi, - lança maître Dunne en donnant les fioles à Elirenn. – Vous avez dit que vous êtes de passage, par ici. Vous êtes une voyageuse ?

- Oui, on peut le dire ainsi, oui.

- J'aimerais transmettre à mon ami, Charles Dolan, qui habite à Dernholm un présent, mais à nos âges, ni lui, ni moi ne pouvons faire des longs trajets. Si jamais, le chemin vous mène jusqu'au royaume de Dernholm, pourriez-vous le lui donner ? – le gnome tendit un petit paquet à Elirenn.

- Je ne sais pas si le chemin va me mener vers Dernholm, maître Dunne, mais si j'y suis, je le lui donnerai.

- Je vous remercie ».

Après être sortie de la boutique Elirenn rejoint Virgil, devant la forge de Lloyd Gurloes.

« Alors, j'ai deux informations, une bonne et une nouvelle. Laquelle voulez-vous en premier ? - demanda Virgil.

- La bonne.

- Le maire de la ville pense que les deux cadavres trouvés dans l'auberge font partie du gang qui a tenté de cambrioler la banque hier, plus tôt dans la journée. Joachim n'avait pas laissé son nom à l'auberge. Donc ce n'est plus un problème.

- Et la mauvaise ?

- Le pont permettant de sortir de la ville en direction de Tarant est bloqué.

- Comment ça ? Il n'y a pas un autre moyen ?

- Un autre pont est en train d'être construit, mais cela prendra des mois, et longer le fleuve pour traverser plus loin nous ferait faire un trop grand détour. Un groupe de renégats bloque le pont et exige un paiement exorbitant pour chaque traversée.

- Alors soit on paie, soit…

- On ne peut pas payer, c'est une question de principe !

- Alors que proposez-vous ? Nous battre ? C'est ridicule… Si à deux on aurait pu le faire, les gardes de la ville l'aurait fait depuis longtemps… »

Elirenn tentait de trouver une solution, mais elle ne connaissait pas la région, et son corps encore endolorit l'empêchait de voir clairement les solutions. Son ventre gargouilla bruyamment, quand les parfums de la boulangerie en face l'ont entouré. L'odeur du pain, du beurre et de la levure était enivrant.

« Des brioches, des brioches bien chaudes, M'dame, M'sieur, goûtez-en, elles sont excellentes ! » L'odeur du pain, du beurre et de la levure était enivrant.

Virgil s'approcha de la boulangère, une femme d'âge mur, bien en chair.

« Montrez-moi ces brioches, ma dame. - dit Virgil avec un sourire aux coins, content de sa blague. – C'est vrai qu'elles ont l'air bonnes… Deux, s'il vous plaît ! ».

Ils dégustaient les brioches, assis sur le bord de la fontaine, en face d'une statue.

« C'est peut être une idée sotte, mais … on pourrait commencer par aller les voir… - lança Elirenn.

- On pourrait, - Virgil fixa la statue, pensif. - de toute manière, il ne faut pas qu'on s'attarde trop dans la ville ».

Un gnome s'approcha soudainement vers eux.

« Salutations ! Vous m'avez l'air d'être des voyageurs – demanda-t-il. – D'où venez-vous ?

- D'ici et là, - répondit rapidement Virgil. – Nous allons là, où nos jambes nous portent…

- Ah oui… Et… est-ce que vous n'auriez pas vu l'accident qui a eu lieu dans les montagnes ? Il semblerait qu'un zeppelin s'y serait écrasé…

Virgil regarda Elirenn, tous deux faisant mine de ne pas comprendre de quoi il s'agit.

- Quelle tragédie… – s'exclama Elirenn. – Nous n'avons rien vu de tel… Mais, j'espère que les passagers vont bien !

- Vous êtes sûrs que vous n'êtes pas allés sur les lieux ? – demanda le gnome, en plissant les yeux. – Je… je cherche un cousin à moi, vous n'auriez pas vu un gnome sur les lieux ?

Elirenn haussa les épaules pour seule réponse.

- Mon bon monsieur, nous avons répondu à vos questions. Nous ne savons rien de l'accident dont vous parlez. – Virgil coupa court à la conversation. - Et maintenant, laissez-nous déguster nos brioches, tant qu'elles sont chaudes ».

Le gnome s'éloigna en marmonnant. Virgil avala la dernière bouchée, attrapa d'une main son sac et de l'autre le bras d'Elirenn.

« Il faut qu'on y aille. Ils savent qu'on est là.

- Comment ?

- Je ne sais pas. Ils ont peut être envoyé d'autres hommes, n'ayant pas de retour de ceux qu'on a vu à l'auberge.

- Alors faut qu'on traverse le pont aujourd'hui, Virgil ».

Ils se mirent à marcher en direction du pont, croisant moutons, vaches, poules et autres animaux se promenant dans les champs. Les grilles du pont, et des silhouettes étaient visibles de loin, mais ce n'est qu'en s'approchant qu'ils remarquèrent que deux orcs et un homme, tous bien armés, avaient monté un campement devant le pont. Tandis que l'homme fumait la pipe devant la grille, les deux orcs jouaient aux cartes à côté de la tente.

« Qu'est-ce que vous voulez ? – demanda l'homme, qui semblait être le chef.

- Qui êtes-vous, monsieur ? – lança Elirenn sèchement.

- Qui suis-je ? QUI SUIS-JE ? – cria-t-il en postillonnant - Je suis Lukan ! Lukan l'Insensé ! Là où j'erre, les masses se querellent de pertubisivité et d'appréhension ! Tu oses faire semblant de ne pas me reconnaître ?

- Ah oui, je vois, je vois, veuillez excuser ce manque de respect, Lukan, le stupide… euh l'Insensé, pardon !

Lukan ne semblait pas comprendre et poursuivit les présentations.

- Mes deux compagnons véhéments me l'ont donné. Sans esprit, vous voyez! Sans humour ! Sans rire ! Mon irascibanité est inégalée !

- Et vous les avez ramassé ou vos amis ? – demanda Virgil.

- À l'université, où j'ai été désenchanté par la corvée de la vie académique structurée. – proclama-t-il en postillonnant. - Bien sûr, ces messieurs étaient cuisiniers à la cafétéria... mais nous partagions tous une haine commune pour l'autorité et un salaire journalier honnête...

- Université. Ah. J'aurais dû deviner. – remarqua Elirenn. – Mais je crois que nous nous sommes déjà croisés à l'université, oh Lukan ! J'ai tant admiré vos exploits.

- Oui, mais mon esprit a dépassé leurs enseignements souterrains ! Je n'ai pas cédé à la volonté de tyrantulocité ! Et c'est ainsi que Lukan l'Insensé, voleur extraordinaire, est né ! Le Fléau de Tristes Collines et au-delà !

- Je vois. Et le pont ?

- Ah oui, le pont... c'est une autre affaire… Vous voyez, mes amis et moi avons trouvé avantageux d'exiger des voyageurs un petit péage pour l'utilisation de notre pont... vous pouvez être assuré que les fonds sont bénéfiques pour notre petit groupe ici.

- Et si je pouvais vous convaincre de nous faire passer le pont, et vous promettais de régler le péage après ? En vertu de ces belles années passées ensemble à l'université.

Lukan s'est tut un instant.

- C'est vrai qu'entre étudiants, il faut se soutenir. – dit-il lentement. – Tu peux passer, mais lui reste. Comme garantie.

Elirenn jeta un regard à Virgil.

- Il doit absolument m'accompagner… Tu vois, o grand Lukan, nous avons préparé une revanche… une vendetta sur nos enseignants, pour les faire payer leur autoritarisme !

- Et comment comptez-vous faire cela ? – Lukan fronça les sourcils.

- Une bombe ! – lança Virgil. – Des explosifs… vont être placés autour du bâtiment principal, et BOOM ! – Virgil s'exclama en faisant un grand geste avec ses bras.

Lukan s'est mit a rire.

- Mais vous voyez Lukan… Nous avons besoin de traverser, car ce projet est organisé avec le commandement des souterrains de Tarant… - poursuivit Virgil.

- Pourquoi vous ne l'avez pas dit plus tôt les amis ! Vous êtes de la famille ! Mais attendez… vous n'avez pas l'air d'être …

- Il faut nous cacher Lukan, c'est notre déguisement ! Tu imagines bien que nous faufiler dans les rues habillés comme un simple habitant est plus simple pour mettre en œuvre nos plans !

- Hmm… Je sais pas… Il me faut bien une garantie !

Elirenn ouvrit son manteau, faisant semblant d'avoir chaud, et déboutonna les quatre premiers boutons de sa chemise, laissant Lukan voir son généreux décolleté, mis en valeur par le plastron.

Lukan déglutina en regardant la poitrine d'Elirenn.

- Allé, Lukan… - Elirenn s'approcha du sbire, en posant ses mains sur son torse et lui faisant un clin d'œil. – En vertu du bon vieux temps… - murmura-t-elle à son oreille.

- Oh… – dit-il enfin. – Allez y tous les deux, et faites exploser ces salauds ! ».

Elirenn lui envoya son plus beau sourire, pendant qu'ils traversaient le pont.

« Je ne vous imaginais pas faire usage de votre physique pour nous sortir de cette curieuse situation.

- Nous ne nous connaissons que depuis deux jours, Virgil – dit-elle en boutonnant son chemisier. – Je suis certaine que nous aurons le temps de nous surprendre respectivement, sur le chemin vers Tarant. »