Cela faisait trois jours qu'ils marchaient à une bonne allure. Selon Virgil, ils avaient parcouru environ 120 kilomètres, mais Elirenn, qui n'était pas habituée à une telle cadence, ralentissait. Son dos et ses jambes lui faisaient souffrir, mais elle n'osait pas l'avouer. Ils marchaient donc en silence, interrompu de temps en temps par Virgil, qui lui faisait remarquer quel oiseau venait de chanter, ou quelle propriété médicinale avait une plante.
Les plaines verdoyantes ont laissaient place à une forêt de plus en plus dense, le soleil se couchait lentement derrières les branches d'arbres. Il était nécessaire de monter un camps pour la nuit. Ils décidèrent de se poser à l'ombre d'un grand châtaignier.
Les deux premiers jours, Virgil monta la tente et alluma le feu de camps. Elirenn avait toujours vécu en ville, et même si elle avait des connaissances rudimentaires pour assurer sa survie, elle n'était pas d'une grande aide.
« Il faut compter combien de jours pour atteindre Tarant ? – demanda Elirenn, en mangeant une tranche de viande séchée.
- Hmm… C'est possible qu'on atteigne la ville dans cinq, six jours, en étant optimiste… Si on arrive à maintenir cette allure de marche… ».
Un soupir d'agacement échappa à Elirenn. Virgil releva la tête et s'est mit à rire.
« Pourquoi vous riez ? – s'exclama la jaune femme.
- Vous me faites rire… Vous souffrez, je le vois. – dit-il en montrant d'un geste de la main la cuisse qu'Elirenn massait inconsciemment. – Mais vous êtes si fière, et vous ne dites rien…
- Pourquoi ? Qu'est-ce que ça changera que je le dise ? Je ne suis pas faible ! Ça ne nous fera pas arriver plus vite à Tarant ! – Elirenn souffla, en passant sa main dans ses cheveux. – Mais dans quoi je me suis fourrée… - chuchota-t-elle. – J'aurai mieux fait de ne jamais monter à bord de ce foutu zeppelin… et maintenant je suis coincée là, avec vous, je ne comprends rien à tout ça, et rien de tout ça n'a de sens ! »
Virgil ne réagit pas, au lieu de ça, il sortit de sa poche une petite boîte métallique contenant des cigarettes. Il tassa le tabac en tapotant contre le pouce de sa main gauche, l'alluma avec une allumette et envoya plusieurs cercles de fumée dans l'air. Quand il termina la cigarette, il envoya le mégot dans les flammes.
« Je comprends que tout cela pour vous paraît sorti tout droit d'un roman… - dit-il lentement, en se levant. – Je comprends que vous n'y croyez pas… Mais, je vous ai sorti des décombres… - continua-t-il en faisant le tour du feu de camp - et aussi bizarre que fût cette… rencontre… malgré tout ce que je vous ai dit sur le Vivant, la prophétie… - il s'accroupit devant Elirenn - vous avez quand même décidé de me suivre ».
La jeune femme fronçait les sourcils et serrait ses dents. Virgil plaça ses mains à quelques centimètres au dessus des pieds d'Elirenn et marmonna un sortilège. Une faible lueur bleue jaillit de ses paumes, tandis qu'il remontait aux chevilles, le long des mollets et des genoux.
« Ce que j'ai appris à mon arrivée au temple Panarii, c'est qu'on a tous besoin d'aide à un moment… Et demander de l'aide n'est pas une faiblesse ».
Elirenn sentait la douleur des orteils s'estomper doucement, ses muscles se détendaient progressivement, et les traits de son visage s'apaisaient. Virgil s'assit à côté d'elle.
« Vous maîtrisez… la nécromancie blanche ? – demanda Elirenn enfin.
- Maîtriser, est un bien grand terme. J'ai appris les rudiments de la magie pour soigner, au Temple Panarii. Mais, ma connaissance des arcanes s'arrêtent là. Les vôtres sont certainement plus poussées.
- À vrai dire… je n'ai jamais suivi ces cours. C'est… un peu honteux pour une adepte, mais je ne connais aucun sortilège de soins.
- Quelle collège avez-vous suivi ?
- À l'académie, on ne suit pas vraiment un seul collège. Nous avons tous des préférences, mais un enseignement global est prodigué, sur la base des fondamentaux. La maîtrise de l'énergie, des éléments, des matières, puis viennent les choix. J'ai eu une préférence pour l'invocation, et l'esprit.
- L'esprit ? Comment ça ? Vous savez lire dans les esprits ? Ou dominer l'esprit ?
- Non, enfin, je ne suis pas allée jusqu'à là. Mais je pourrais charmer, influencer ou encore étourdir quelqu'un. Je saurais lire un esprit, mais à condition que cette personne m'autoriser à entrer dans son for intérieur, car forcer le passage requiert une certaine expérience et puissance. Je ne suis qu'au début de mon apprentissage, et un grand nombre de connaissances se développement sur le terrain.
- Cela me rassure de savoir que pour entrer dans mon esprit, vous aurez besoin de mon autorisation. – sourit Virgil. – Mais pour ce qui est d'influence ou de charme ?
- Ce n'est pas pareil. Je n'ai pas besoin d'entrer dans votre esprit pour vous charmer ou vous influencer, enfin, pas totalement. – dit-elle, en se tournant vers Virgil. – Un bon mage pourrait forcer le passage et sonder votre esprit sans que vous ne vous en rendiez-compte. C'est un peu comme… disons, crocheter la serrure d'une maison dont le propriétaire n'est pas là pour la visiter et la refermer derrière vous. – Elirenn gesticulait avec passion en expliquant. – En revanche, pour ce qui est du charme, la personne sous le charme est dans la maison, pendant que vous modifiez l'emplacement des meubles, donc dès que le sortilège ne fait plus effet, la personne sait que vous l'avez ensorcelée.
Ils discutèrent tard, sans évoquer leurs vies respectives, s'attardant sur des sujets neutres, comme la littérature, la magie, les avancées technologiques.
Si pendant la journée, avec l'effort fournit par la marche, la température était agréable, la nuit le mercure tombait rapidement. Virgil raviva le feu puis s'allongea à côté d'Elirenn sous la tente, elle remonta un peu plus sa couverture.
« Vous avez froid ? – chuchota Virgil, en tournant la tête vers la jeune femme.
- Je ne risque pas d'étouffer de chaleur, c'est certain. » – dit-elle doucement.
Virgil se releva, posa sa couverture sur Elirenn, puis s'allongea à nouveau, en croisant ses bras sous sa tête. Elirenn se retourna vers le moine, s'emmitoufla dans les deux couvertures, et s'endormit.
Les échanges se développaient au cours des journées qui suivaient. Une certaine cordialité s'installa entre les deux compagnons de voyage, et un respect mutuel. Elirenn ne pouvait nier que Virgil semblait une personne digne de confiance, mais elle ne le connaissait pas vraiment. Physiquement, il n'avait rien d'un moine, mis à part l'habit. Ses bras puissants et sa musculature étaient en décalage avec une vie monastique, à moins que les moines avaient changé pendant qu'elle était à l'académie. Ce qui était certain, est que même s'il mettait en avant sa qualité de moine, s'il parlait avec passion de sa religion, une petite voix intérieure soufflait à Elirenn qu'il cachait une histoire sombre.
Ils entrèrent dans une clairière, au milieu de laquelle se dressait une curieuse construction en pierre. Deux gros blocs de granit, d'environ deux mètres chacun supportaient un troisième bloc. Des poutres en bois fixés en hauteur apportaient de l'ombre à l'installation.
« Qu'est-ce que c'est ? – demanda Elirenn en s'approchant.
- Ça doit être l'autel de… ah… - Virgil s'appuya dos contre la sculpture. - J'oublie toujours son nom… Borg ? Non… Torg ! Oui, l'autel de Torg. C'est une divinité à laquelle croient les ogres, une divinité du cœur, il me semble.
- Il y a des inscriptions… Elles sont anciennes… "Grand Torg, puissant Torg, tu connais nos os et notre sang, ta fureur comme un déluge. Vieux Torg, Sage Torg, Vos enfants se sont égarés, leurs cœurs, le prix est payé. Grand Torg, puissant Torg, Je t'apporte des rubis rouge, Vieux Torg, Sage Torg, Mon cœur est à toi, jusqu'à ma mort". Dis donc… Il y en a pas beaucoup qui lui offrent des rubis.
- Si je me rappelle bien des cours du frère Anselme, les enfants égarés sont les ogres, et plus généralement ceux qui ne croient pas à la divinité, et le rubis représente le cœur cueilli dans la poitrine de ces infidèles.
- Il demande donc un sacrifice ? Je ne savais pas que ces terres étaient habitées par des ogres… - s'inquiéta Elirenn, en regardant les arbres en lisière de la clairière.
- Ils ont habité ces terres pendant plusieurs années, mais ne vous inquiétez pas, ils sont remontés dans les montagnes du Nord. - sourit Virgil. - Et les anciens dieux ne sont plus autant vénérés qu'avant.
- Et si on lui donne un rubis, il se passe quoi ?
- En théorie ? Il est censé augmenter notre vitalité et notre force, pour mieux vaincre nos ennemis... En pratique, je pense que les rubis sont récupérés plus tard par quelqu'un qui doit les revendre à Tarant ».
Ils s'éloignèrent de l'autel et avancèrent dans la forêt, en direction de Nord-Est.
« … en particulier les cafés, dans lesquelles les artistes se rencontrent, sont des mines d'informations. » – poursuivit Elirenn son monologue, expliquant en quoi Oxenfurt était une ville admirable.
La jeune femme finit par dépasser Virgil, qui avait ralenti sa marche, mais elle n'a pas ralenti pour autant. Si les paysages étaient assez monotones, Elirenn aimait la forêt, son odeur, ses couleurs, qui l'apaisaient. Se rémémorant son long séjour à Oxenfurt, elle se perdait dans ses souvenirs.
« … des personnalités fabuleuses les fréquentent. Mais au delà de la vie artistique, la ville est un véritable bijoux… ».
Soudainement, Virgil attrapa Elirenn par la taille de sa main gauche, et posa l'autre sur sa bouche, pour la plaquer contre un arbre.
« Ne bougez pas ». – chuchota Virgil, ses lèvres effleurant l'oreille pointue de la jeune femme. Il retira sa main droite, pour la placer sur le pommeau de sa dague.
Ils étaient immobiles, mais Elirenn ne voyait pas la raison pour laquelle ils le restaient. Elle balaya du regard la forêt, mais ne voyait rien. Faisant appel à ses autres sens, elle finit par distinguer des pas, à une centaine, non, cinquantaine de mètres, un groupe, comptant cinq individus, dont deux bien plus lourds que les trois autres. Ils se déplaçaient à l'est, dans la direction opposée.
« Tu sens ça Gorg ? – ils entendirent au loin un voix grave. – C'est l'odeur des humains.
- Ils sont pas loin. » – répondit une autre voix, aussi grave.
Les deux individus les plus lourds s'arrêtèrent. Virgil serra plus fort Elirenn contre lui.
Des ogres, pensa Elirenn. Elle se tourna légèrement vers Virgil, qui baissa sa tête pour la regarder. Il relâcha son étreinte, pour lui faire des signes.
« Vous allez où, les débiles ? – hurla une voix au loin.
- Tais toi, petit homme. – répondit un ogre.
- Nous allons chercher notre déjeuner. » – répondit l'autre, en reniflant l'air.
Les pas s'approchaient lentement.
« Cours. » dit Virgil. Ils se lancèrent dans une course à travers la forêt.
« Ils sont là ! Attrapez les ! ».
Des balles fendirent l'air autour d'eux. Les deux orges hurlèrent. Les hommes, plus légers, dépassèrent les ogres, et raccourcissaient la distance qui les séparait d'Elirenn et de Virgil.
« On va vous saigner ! Ha ha ha !
- Ay ay ay ! Comme des cochons ! ».
Des nouveaux coups de feu retentirent dans la forêt. Ils oublièrent la fatigue, la faim, la douleur. Ils couraient à en perdre le souffle, car leur vie en dépendait, esquivant les branches, roseaux et buissons. Elirenn trébucha sur une racine, Virgil se retourna, l'attrapa par l'épaule pour la relever, en tirant l'épée du fourreau. Elirenn en fit de même. Les trois hommes venaient de les encercler.
« Qu'est-ce qu'on a là ? – lança un homme maigre, au nez crochu. Elirenn remarqua que la tatouage qu'il portait sur son avant bras était le même que celui figurant sur les amulettes.
- Mais dites nous, vous n'auriez pas été à bord d'un certain zeppelin qui s'est écrasé il y a quelques temps ? – demanda un chauve.
- Qu'est-ce que vous nous voulez ? – les interrogea Elirenn.
- Si c'est toi qui était à bord de ce zeppelin, mon petit oiseau, on va saigner ton compagnon, jouer avec ton joli minou, et te pendre sur cet arbre. Si c'est lui qui y était, eh bien, on fera pareil ! Ha, ha, ha.
Les trois individus rirent à gorge déployée. Elirenn n'attendit pas qu'ils s'arrêtent, fit un geste d'une main, et lança un premier sortilège. Une onde de choc heurta la poitrine de l'homme qui venait de les menacer de plein fouet, le désarmant, et le projetant violemment contre un arbre.
Les épées de Virgil et du Tatoué se heurtèrent. Celles d'Elirenn et du Chauve aussi. Elle parvient à esquiver, parer, frapper. Sa pratique de combat se limitait à des cours d'escrime, jamais mis en œuvre. Elle compensait son manque de force, par sa vitesse. Les épées se croisèrent à nouveau, encore, elle esquiva un autre coup, et encore. L'elfe parvint à s'éloigner de quelques pas de son adversaire.
Les ogres s'approchaient. Elirenn lança un autre sortilège, envoyant un épais brouillard dans leur direction, qui les ralentit.
Mais cette fois-ci, elle avait été trop lente. Elle reçut un coup de poing dans la joue, qui lui fit perdre l'équilibre, et un coup de pied dans les côtes.
« Je vais te briser en deux, ma jolie. – cracha-t-il en l'attrapant par la gorge, et collant sa lame sur son ventre. Elle tentait de détendre les doigts serrant sa gorge. - Tu vas regretter de ne pas être morte avec tous les autres, quand j'en aurais fini avec toi ».
Ne parvenant pas à se libérer, Elirenn cracha sur son visage, et enfonça ses ongles dans les yeux de son adversaire. Tombant par terre, elle ramassa son épée, et lança un sortilège d'étourdissement.
« Salooope ! » - hurla le Chauve.
L'homme luttant contre les effets du sort, parvint à s'en défaire, et attaqua à nouveau. Parer les coups n'était plus envisageable, ils étaient trop puissants, son épée tomba par terre, à plusieurs mètres d'elle. Elirenn saisit la dague attachée à sa cuisse.
Au moment même où l'épée de l'ennemi allait s'abattre sur elle, le moine para le coup. Elirenn se releva, et jeta une boule de feu sur le Tatouée, qui s'enflamma. Virgil empala le Chauve sur son épée.
Le brouillard se dissipait, et les deux ogres venaient de retrouver le chemin.
Virgil attrapa la main d'Elirenn, et ils se lancèrent à nouveau dans la course. Ils ne s'arrêtèrent que plusieurs kilomètres plus loin, à proximité d'une cave. La jeune femme, s'effondra sur les genoux, nez en sang, essoufflée, exténuée par autant d'effort en si peu de temps. Virgil fit plusieurs ronds en marchant rapidement, puis s'arrêta devant elle.
« Aller, viens. » - souffla-t-il, d'une voix rauque, attrapant son sac et l'aidant à se relever.
Virgil posa les deux sacs contre un mur de la grotte, retira son manteau et regarda autour de lui. Elirenn était aussi blanche qu'une neige fraichement tombée, et respirait lourdement, les yeux fermés. Après s'être rassuré que la grotte était sûre, il retourna auprès de la jeune femme et s'assit devant elle.
« Il y a plein de sang sur votre visage. – dit-elle lentement.
- Heureusement, ce n'est pas le mien. Mais vous avez pas mal saigné… Un drôle de combat, hein ? ».
Elirenn fixait le visage du moine en silence. C'était un visage harmonieux, agréable à regarder. Ses yeux bleus, entourés des petites ridules, adoucissaient ses traits durs.
« Comment vous vous êtes fait cette cicatrice ? – demanda-t-elle en désignant la cicatrice traversant le côté droit de son visage.
- C'est une longue histoire, dont je n'ai pas envie de parler pour l'instant… » - répondit-il, en retirant son manteau et sa veste, et remontant les manches de sa chemise.
Il sortit de sa poche un petit mouchoir, qu'il trempa dans une fiole le liquide jaune, et le porta au visage de la jeune elfe. Il essuyait doucement le sang de son visage pâle.
« Vous avez parlé un peu trop tôt, quand vous avez dit que les ogres sont tous remontés dans le Nord…
- Ah, ah… oui… ekhm. C'est vrai… Je parle parfois sans réfléchir.
- Vraiment…? ».
Laissa la question sans réponse, Virgil s'assit à côté d'Elirenn et étendit une couverture sur leurs genoux. Les derniers rayons du soleil illuminaient la grotte, d'une lueur vermeil, tandis qu'un hibou huait au loin.
« Merci. » – dit-elle, en posant sa tête sur l'épaule du moine.
Virgil avait ralentit la cadence, et ils n'avancèrent guère le lendemain. Au grand plaisir d'Elirenn, ils firent une halte au bord d'une rivière. Pendant que l'elfe se rafraichissait, le moine chassa un faisan, qu'il cuit au dessus du feu de camps, en l'observant de loin. Elle tentait de coiffer, tant bien que mal, sa crinière auburn. Si elle avait été habituée à vivre à la ville, Elirenn s'adaptait facilement aux conditions spartiates du voyage.
L'aventure d'hier avait dissipé certains doutes à propos de Virgil. Elle était désormais certaine, qu'il était d'abord un guerrier, et que très subsidiairement un moine. Avait-il été soldat ? Brigand ? Cela restait encore à éclaircir. Mais elle a décidé de lui faire confiance, et ne pas poser de questions, respectant sa volonté.
Ils arrivèrent à Tarant au bout de neuf jours. Ils avaient tous deux hâte de prendre un bain, s'endormir dans un lit et déguster un repas chaud, à table.
La route en terre battue laissa place à une route en pierre, les premières habitations de la capitale étaient en rupture manifeste avec les petites constructions qu'ils avaient vues à Tristes Collines.
Tout d'un coup, une pluie torrentielle s'abattit sur eux, alors qu'il traversaient un imposant pont en métal. Un bijoux de l'ingénierie tarantienne, permettait non seulement aux piétons de traverser le fleuve, mais aussi aux carrosses.
Ils décidèrent de s'arrêter à l'auberge Bridesdale situé au 73, route de Vermillion. Tenue par la famille Bridesdale, l'auberge était un petit hôtel élégant, mais abordable pour la capital du Royaume unifié. Madame Bridesdale était une femme forte, tenant son établissement d'une main de fer, mais son visage rond accueillait les visiteurs avec un sourire généreux.
« Vous m'avez l'air exténués, chers voyageurs. – dit-elle en voyant arriver Virgil et Elirenn, trempés par la pluie qui venait de les surprendre.
- Nous ne vous contredirons pas, ma chère dame. – répondit Virgil ».
Ils suivirent Madame Bridesdale à l'étage, vers la seule chambre disponible.
« Voici la chambre, vous y serez bien. Je vous avoue que c'est ma préférée, car elle dispose d'une belle salle d'eau. Si vous voulez prendre un bain, dites le moi, je ferais chauffer l'eau. Le petit déjeuner est servi jusqu'à huit heure, pas plus tard, donc ne faites pas de galipettes trop tardives !
- Sans faute, nous essaierons de ne pas trop déranger nos voisins, pour être à l'heure au petit déjeuner ! » – rit Virgil, en refermant la porte à clef.
Depuis leur arrivée à Tarant, Virgil avait changé de comportement. Bien que sa réponse n'ait pas étonné Elirenn, elle avait remarqué que le rire qui l'accompagnait était faux. Il avait l'air mal à l'aise.
Quoi qu'il en était, il ne risquerait pas d'en parler, et tout ce que voulait Elirenn à cet instant précis était un bain pour laver l'odeur et la crasse du voyage. Après avoir retiré ses vêtements, elle se plongea entièrement dans la baignoire. L'eau était délicieusement chaude, et le savon délicatement parfumé à la rose. Le prix réglé pour la semaine était certes important, mais après les conditions spartiates de ces derniers jours, c'était un prix acceptable pour un peu de confort. En ramassant la serviette accrochée à un petit crochet doré, elle se regarda dans le miroir. Des ecchymoses plus anciennes s'étendaient sur sa hanche, ses cuisses, et ses bras, tandis que des hématomes nouveaux avaient apparus sur ses côtés, à l'endroit où le bandit lui avait asséné un coup de pied. Sa pommette était légèrement gonflée, de la même couleur qu'une prune bien mûre. Une vue bien pitoyable, très éloignée de son image d'une diplômée de la prestigieuse université de Dalaran. Ces temps lui semblaient très lointains, et bien qu'agréable, la scolarité ne l'avait pas préparé à cette situation. Enfin, pas autant qu'elle l'avait espéré.
En sortant de la salle d'eau, Elirenn tomba nez à nez, ou plutôt nez à torse sur Virgil. C'était la première fois qu'ils étaient aussi près l'un et l'autre. Rougissant tous les deux, ils s'esquivèrent et échangèrent les places.
Ils descendirent au restaurant de l'auberge, et s'installèrent à une table près de la fenêtre. Les traits tirés, il restaient silencieux, détournant les regards vers la fenêtre. Elirenn regardait tantôt la rue faiblement illuminée par les réverbères, tantôt le reflet de Virgil. Il passa un main dans ses cheveux bruns mi longs, puis prit une gorgée de vin.
La pluie ne cessait pas, tapotant doucement sur la vitre. L'intérieur était joliment décoré, avec des nuances de rouge et de vert. Ils commencèrent avec une soupe de petits pois à la crème, accompagnée de ses croutons, pour déguster ensuite un ragoût de lapin au panais et à la carotte. Une jeune demoiselle, fille des propriétaires, tournait entre les tables pour resservir les convives en vin.
« On ira au bureau des télégrammes demain dans la matinée, il n'est pas loin. – lança Virgil, en faisant signe à la serveuse pour le resservir en vin.
- J'espère que la pluie cessera de tomber. Il faudra que j'achète des vêtements de rechange. Vous saurez où est-ce que je pourrais trouver une boutique adéquate ?
- Euh… - le moine retint un rot. – Des vêtements féminins ? Non, je ne sais pas trop. Mais on trouvera certainement ce qu'il faut dans ce quartier. Je crois me souvenir qu'il y avait un modiste et un maître tailleur un peu plus haut ».
Après avoir terminé le diner, Virgil s'occupa de faire leur linge, enfermé dans la salle d'eau. Ils apprécièrent un moment de solitude chacun, le premier depuis bientôt deux semaines.
Le moine sortit de la salle d'eau, et s'arrêta un moment, appuyé contre le cadre de la porte, pour observer Elirenn, assise sur le lit. Visage tourné vers la fenêtre, une cascade de cheveux cuivrés tombait sur ses épaules fines. La lumière de la bougie rendait la tunique en lin qu'elle portait presque transparente, le laissant apercevoir avec une certaine précision ses formes. Elle se retourna, glissant ses jambes sous l'épaisse couette.
Virgil détourna son regard et sortit de son sac les deux couvertures, dont une qu'il étendit par terre.
« Vous allez dormir par terre ? – demanda-t-elle.
- Je… Oui, ce sera plus convenable.
- Ça me dérange… Je demanderai demain si une chambre avec deux lits s'est libérée.
- J'ai longtemps vécu dans des conditions bien plus difficiles, dame Elirenn, et quand j'ai prêté le premier serment pour me préparer à devenir moine panarii, j'ai fait le choix d'une vie austère.
- Prière, pauvreté et chasteté ? – demanda-t-elle, en s'allongeant sur le côté pour voir son interlocuteur.
- Je dirais plus une… – Virgil se râcla la gorge. - Une certaine… discipline de l'esprit et du corps. Je suis censé terminer mon noviciat et prêter un serment définitif dans trois mois. Je vous en parlerai demain si vous voulez ».
Elirenn bailla en s'étirant, Virgil souffla la bougie.
