Les premières lueurs de soleil, éclairant encore timidement la chambre, réveillaient doucement Elirenn. Elle n'avait aucunement envie de se lever, bercée par un cocon ronronnant de chaleur, la serrant dans une étreinte de soie. La mère supérieure allait sous peu sonner la cloche, et une nouvelle journée allait commencer.

Il lui a fallu quelques instants, pour se rendre compte qu'elle n'était plus à l'internat, que ce cocon était en réalité Virgil, et que le ronronnement était son discret ronflement.

Son torse nu collé à son dos, son bras posé sur sa cuisse, le moine était encore profondément endormi. La chaleur de son corps provoquait d'agréables frissons, et une sensation de calme intérieur qu'elle n'avait pas connu depuis longtemps. Elle sentait autre chose, appuyé contre le bas de son dos, et une nouvelle vague de chaleur l'envahit. Profitant de cet instant de douceur, elle referma les yeux.

Les ronflements cessèrent tout d'un coup. L'elfe sentit que le moine venait de se réveiller, mais aucun des deux ne bougea. Un moineau se posa sur le rebord de la fenêtre, et entama son chant.

Virgil déplaça lentement sa main, frôlant la tunique de l'elfe des bouts des doigts, pour la poser sur sa hanche, puis remonta à nouveau, effleurant la peau de son avant bras, son épaule, jusqu'à atteindre ses cheveux. Il déplaça une mèche, laissant apparaître la nuque de la jeune femme. Elle sentit son souffle chaud sur sa peau, tandis qu'il passait ses doigts dans ses cheveux.

Elirenn luttait intérieurement pour ne pas trembler à la sensation de son toucher, tandis qu'il frôlait lentement, du bout de ses doigts son cou, son épaule, dans une caresse timide.

Soudainement, des cris de Madame Bridesdale retentirent dans le couloir. Virgil retira doucement sa main, et s'éloigna, tentant de ne pas faire grincer le lit pour ne pas réveiller Elirenn. Elle resta immobile, jusqu'à entendre la porte de la salle de bain se refermer, et poussa un discret soupir, avant de sortir du lit et se changer. Son pouls était rapide, et son souffle irrégulier.

Tu vas compter jusqu'à dix, pensa-t-elle en boutonnant sa robe, des torses musclés, tu en as vu à la pelle. Tu es loin d'être une ingénue. Tu es une mage, et tu dois te reprendre avant qu'il ne sorte de là.

Le petit déjeuner se déroula dans un silence pesant, interrompu uniquement par des bruits d'assiettes, de tasses et de couverts. Ils ne se regardaient pas, car Elirenn évitait le regard du moine, assis en face d'elle, se contentant de terminer ses haricots.

« Ekhm… – Virgil interrompit le silence en se raclant la gorge et reposa sa tasse de café. – Je crois que vous vouliez visiter le musée des curiosités…

- Ah oui, c'est vrai. – confirma-t-elle, surprise qu'il s'en était souvenu, car depuis qu'ils étaient à Tarant, leurs journées étaient bien remplies.

- Nous pourrions aller y faire un tour dans l'après-midi, si… - le moine s'étira, regardant par la fenêtre.- Si bien sûr, vous êtes toujours intéressée…

- Avec grand plaisir, Virgil. – répondit l'elfe, fixant la cafetière comme si c'était la cafetière la plus intéressante au monde. - Mais, je peux y aller seule, si vous avez d'autres projets…

- Non, non, non. – il l'interrompit. - Je vous accompagnerai. Je ne me souviens même plus quand est-ce que je suis allé un musée pour le visiter.

- Parce qu'il y a un autre but dans lequel on va au musée ? – Elirenn espérait qu'il allait expliquer cette drôle de tournure de phrase.

- Bien sûr que non, ah ah. Je me suis mal exprimé… ».

Ils quittèrent l'auberge, sous l'œil attentif de Madame Bridesdale, qui jetait toujours un regard sombre à Virgil. Le temps était frais, et le ciel couvert.

Ils se dirigèrent vers le quartier commerçant, dans lequel se situaient plusieurs magasins qui les intéressaient. Les Armures qualitatives de Willow se trouvait à côté du Magasin d'armes à feu de Smythe. Willow était un maître forgeron nain, qui se chargea d'aiguiser leurs épées et leurs dagues, puis, leur a fièrement montré ses ouvrages.

« Je pense que cela pourrait vous intéresser, madame. – dit-il en proposant des gantelets. – Voici des gantelets en cuir clouté que j'ai fabriqué il y a quelques temps de cela. Ils sont un peu fins, mais ils irons à vous mains elfiques.

- À combien ils sont ? – demanda-t-elle en les retirant.

- Je vous les vends pour 157 pièces. Si Monsieur souhaite acheter des gantelets aussi, je pourrais vous faire un prix.

- Virgil ? Des nouveaux gantelets vous seraient utiles…

- Non, j'ai ce qu'il me faut. Je vous remercie. »

Smythe était un homme petit et fort. Des imposantes rouflaquettes ornaient sa mâchoire. Il vendait toutes les sortes d'armes à feu, de la plus classique à la plus extravagante, de part sa forme, sa taille ou sa couleur.

Virgil sortit de son sac trois armes à feu, et les montra à Smythe.

« Combien pour ces trois armes ? – l'interrogea le moine.

- Voyons voir… Celles-ci sont vraiment classiques, mais en bon état, je peux vous les reprendre pour 20 pièces chacune… Mais celle-ci m'a l'air pas mal, très intéressant ce barillet…

- Pourquoi ? – demanda Elirenn.

- Eh bien parce que le barillet de cette dimension devrait contenir cinq coups, alors que celui-ci en contient sept, mais plus petites… Très intéressant, je vous le reprend pour 50 pièces. Ça vous va, m'sieur ?

- C'est un plaisir de faire affaire avec vous ! – répondit Virgil. ».

À la question de savoir où aurait-il pu trouver ces armes, le moine esquiva la réponse, en indiquant simplement, « par ci, et par là ». Elirenn s'habituait doucement à ne pas recevoir de réponses à ses interrogations, mais elle détestait ne pas savoir. D'une part, si elle devait faire confiance à cet homme, elle avait besoin de le connaître. Mais d'autre part, ses actes ne suffisaient-ils pas à prouver qu'elle pouvait lui faire confiance ?

Des pensées se bousculaient dans sa tête, mais elle tentait de les éloigner aussi vite qu'elles apparaissaient. Il est inutile de se créer des nœuds au cerveau, pensa-t-elle. Quand il sera prêt, il racontera son histoire. Même si, au fond d'elle, elle était certaine qu'il ne lui raconterait rien.

Ils se promenaient lentement dans les beaux quartiers de Tarant, Elirenn en profitait pour apprécier l'architecture des hôtels particuliers et monuments. Le musée des curiosités d'H.T. Parnell était situé dans une rue passante, dont le joyeux brouhaha enchantait la jeune femme.

Contrairement à ce à quoi s'attendait Elirenn, et conformément à ce à quoi s'attendait Virgil, le musée des curiosités était vide. Tristement vide. Ils étaient les seuls visiteurs, pouvant profiter d'une visite « privée ».

« Bienvenue, bienvenue ! Je suis Hector Parnell ! – cria un homme à l'allure étrange, vêtu d'un costume rouge, en bombant le torse. – Le plus grand organisateur d'expositions et le plus grand collectionneur d'objets étranges et fabuleux ! – il tendit les bras, comme s'il allait s'adresser à une foule. – Ceci est mon temple des merveilles, qui abrite les expositions les plus fascinantes du monde ! Je vous souhaite la bienvenue, et reste à votre disposition pour répondre à toutes vos questions ! »

Les deux visiteurs le remercièrent, et entamèrent le tour du petit « musée », s'approchant en premier d'une vache empaillée, à deux têtes, qui selon l'écriteau, aurait été attrapée dans les plaines de Vendigroth. Après avoir constaté des grossiers points de suture au niveau du cou de ladite vachette, ils se dirigèrent vers un autre « objet étrange et fabuleux ». La prochaine curiosité, était un gros rocher à une drôle d'allure, qui ne ressemblait à rien du tout, mis à part un gros rocher ordinaire.

« Le visage d'Arronax a été mystérieusement gravé dans la pierre par des puissances mystiques au cours de son bannissement, alors qu'il périssait dans les flammes de l'enfer. – Elirenn lit l'écriteau. – Qui est Arronax ?

- Selon les écritures Panarii, Arronax est l'incarnation du Mal.

- Eh bien finalement vous en savez quelque chose sur la religion Panarii ! – le provoqua Elirenn. – Et il a fait quoi ce brave Arronax ?

- Il a tenté de s'emparer du monde, et de faire des elfes les maîtres absolus des autres races. Nasrudin l'a vaincu, comme le vil serpent qu'il était.

- Donc grâce à Nasrudin, ce sont les humains qui ont asservi les autres races… - lança Elirenn agacée. – Un tyran en remplaça un autre ».

Virgil n'enchérit pas, s'éloignant vers une autre curiosité. Ils traversèrent un petit couloir, ouvrant sur une seconde salle d'exposition.

Dans un coin de la pièce, était installée une statue d'orc. Mais, au moment de s'en approcher, ils se rendirent compte que c'était un orc, tout ce qu'il y a de plus vivant, dont l'apparence était particulièrement primitive.

« Bonjour. – lança Elirenn.

- Ugh. Moi Gar, orc le plus intelligent du monde. Vous avoir questions ? – l'orc les dévisageait, les paupières lourdes.

- Je ne sais pas… pff… quel est votre domaine de compétence ? – demanda Virgil.

- Moi connaître nombreuses choses. Gar tout raconter. Politique. Mathématique. Thé.

- Thé ? – s'étonna Elirenn.

- Oui, Gar aime le thé. Gar civilisé. Gar dit que Earl Grey est le meilleur. Fait avec des mélanges de thés noirs et de l'essence de bergamote. Excellent.

- Vous n'êtes pas sérieux. – pouffa Virgil. – Tout le monde sait que les thés verts sont bien meilleurs que les noirs.

- Vous plaisantez ? – les yeux de Gar s'ouvrirent et il prit un air distingué ; sa voix venait de changer, et son ton venait de se fluidifier. – Le thé vert est fait pour les étrangers, ceux qui ont du goût ne le consomment pas… euh… Je veux dire… hum. Gar pas aimer thé vert.

Virgil et Elirenn se regardèrent, surpris. L'elfe prit conscience que l'habit ne faisait vraiment pas le moine… L'orc à l'apparence si primitive, une fois provoqué, s'exprimait avec une grande aisance.

- Pourquoi faire semble d'être un idiot ? – l'interrogea la jeune femme.

- Gar pas idiot. Gar intelligent. – il jeta un regard autour pour être certain que personne d'autre n'entendait ce qu'il disait. – Ecoutez moi, madame, avez-vous déjà parlé à un orc de pure souche ? Je peux vous assurer que vous n'aurez pas une conversation des plus subtiles…

- Mais justement. – l'interrompit Virgil. - N'êtes vous pas censé être l'orc le plus intelligent que soit ?

- Naturellement, mais les gens n'accepteraient jamais l'idée d'un orc cultivé. Cette idée même est grotesque. Ils diraient que je suis un demi-orc, ou ils se douteraient de même de ma vraie… Enfin, je veux dire qu'il est préférable que j'ai le comportement d'un orc qui dit des choses intelligentes.

- Se douter de votre vraie quoi ? – l'interrogea Elirenn. – Vous n'êtes pas un orc de pure souche ?

- Garfield Thelonius Remington, troisième du nom, humain pure souche, à votre service. – dit il fièrement, mais l'intonation de sa voix baissa à nouvel. – Je ne suis pas du tout un orc, bien que mon physique pourrait le laisser croire. Imaginez la tête de mes parents et de mes grands-parents quand je suis venu au monde…

- Alors pourquoi vous faites ceci ? – Elirenn baissa le ton. – C'est plutôt dégradant, non ?

- Vous devez bien savoir comment sont traités les orcs dans ce monde, ce n'est pas bien joli. C'est mieux d'être ici, que d'être esclave ou se faire cracher dans la rue. Je suis sous contrat avec Monsieur Parnell.

- Merci, Gar ».

Ils s'approchèrent d'une vitrine, dans laquelle se trouvait une chose poilue, dont ils ne parvenaient pas à comprendre l'essence, avant de lire l'écriteau. On aurait dit que des peaux d'ours trouées par des mites avaient été cousues ensemble, par les mains d'un enfant, ou d'un adulte pas très habile.

« Géant d'Eaux Dormantes. – lit Elirenn. – Tiens, là où Joachim nous demanda d'aller.

Virgil fronçait les sourcils en fixant cet objet « fabuleux ».

- Que pouvez-vous nous dire sur la toison de votre géant d'Eaux Dormantes ? – le moine s'approcha de Hector Parnell, qui était assis dans un fauteuil, au fond de la pièce.

- C'est l'une de mes pièces de collection les plus célèbres. – déclara-t-il en se levant, et en bombant son torse à nouveau. – Le fait de contempler une créature aussi féroce, témoignage vivant du lointain passé d'Arcanum suscite un sentiment de crainte et même de l'admiration ! Qu'est-ce que cela devait être de voir des troupeaux entiers de ces créatures chasser leurs proies ?

- Comment avez-vous récupéré la fourrure ? – l'interrogea Elirenn.

- Franck Lapayne, un aventurier célèbre dans le monde entier, qui travaille pour moi, naturellement, a traqué cette créature INSAISISSABLE jusque dans son repaire, mais il a été trahi par un brusque changement de direction du vent. – Parnell gesticulait, essayant d'imiter le combat avec le géant. – Avant qu'il puisse brandir son arme, la terrible bête l'a attaqué ! Armé d'une simple dague, Lapayne a sauté sur la créature ! – Parnell sauta littéralement sur place, gesticulant. – Homme et bête perdirent beaucoup de sang, mais Lapayne sortit vainqueur après avoir empalé la chose sur l'une se ses propres griffes !

- Ouais… Euh… Êtes vous sûr que Lapayne ne lui a pas arraché le cœur de ses propres mains aussi ? – s'agaça le moine.

- Oh, voilà qui est spirituel ! – Parnell éclata de rire, en donnant une grande claque dans le dos de Virgil. – Il est tellement rare de rencontrer des gens qui ont de l'esprit. Une petite galéjade ne fait pas de mal quand on vend des marchandises aux péquenauds du coin, hein ?

- Cette fourrure fait quand même la tête. – lança Elirenn. – On peut même voir les endroits auxquels elle a été recousue…

- Êtes vous en train de me dire que c'est un faux ? – Parnell bomba encore plus son torse, même si l'elfe ne pensait pas cela encore possible, à moins qu'il ne se transforme en un dirigeable. – Je n'apprécie guère vos insinuations madame.

- Vous n'allez quand même pas continuer à prétendre qu'il ne s'agit pas d'un faux, n'est-ce pas ? – s'énerva l'elfe.

- Vous m'accusez d'une telle supercherie ? Je vous mets au défi de prouver qu'il s'agit d'un faux !

- Et si l'on vous rapportait la peau du véritable géant d'Eaux Dormantes ? -

- Vous aimez les paris ? Alors pari tenu, madame ! Si vous me rapportez la peau du géant d'Eaux Dormantes, je vous la rachèterai pour 500 pièces d'or ».

Parnell et Elirenn se serrèrent les mains, Parnell donna à nouveau une tape dans le dos de Virgil, et les deux visiteurs solitaires quittèrent le musée. En sortant, ils achetèrent des scones au café se situant en face.

« On aura beaucoup à faire quand on arrivera à Eaux Dormantes. – dit Elirenn, en mordant dans son scone.

- Vous voulez vraiment qu'on aille à la recherche d'un monstre légendaire ? – Virgil haussa les sourcils, en croisant les bras.

- Pourquoi pas ? Il offre un bon prix, et …

- Pour la simple raison que ça n'existe pas, le géant d'Eaux Dormantes ! – Virgil s'agaçait, alors qu'ils se promenaient dans le parc municipal.

- De toute façon, il faut qu'on y aille pour retrouver Joachim…

- Oui… donc si par le plus grands des hasards, on croise le géant à l'auberge, en train de se servir un verre, on le ramènera à Tarant… Je vous pensais plus rationnelle que moi.

- Que je crois au géant d'Eaux Dormantes ne veut pas dire que je ne suis pas rationnelle. À l'origine de toute légende, se trouve un peu de vérité.

- I nouveau de la sagesse dans vos paroles… ».

Assis sur un banc, ils regardaient les passants se promener dans le parc. Elirenn, affamée, finit son scone en un instant, et reluquait celui de Virgil. Ils restèrent un long moment en silence, appréciant la chaleur des rayons du soleil illuminer leurs visages. Vers cinq heures, Virgil raccompagna l'elfe à l'auberge, mais sortit « faire un tour en ville ».

Des questions se bousculaient à nouveau dans son esprit, mais Elirenn décida qu'il était plus sage de se reposer, avant l'aventure redoutée de cette nuit. À minuit, ils devaient retrouver Magnus au siège de Schuyler et Fils.. Si elle avait pu se rendre compte de l'agilité de Virgil, elle était incertaine quant aux compétences et qualifications de Magnus pour ce type de quête, qui n'avait l'air ni discret, ni agile. En revanche, elle essayait de se convaincre, qu'en sa qualité de nain, et du haut de ses (plus ou moins) deux cents ans, Magnus devait être un combattant aguerri, en cas de confrontation. Espérant ne pas en arriver là, Elirenn piqua un somme.