Disclaimers : quelque chose là-dedans n'est clairement pas à Leiji Matsumoto.

Chronologie : vague mix entre SSX et CWZ.

Pour mademoiselle A. en l'honneur de son monstre.

— Il s'appelle Nietzsche. Cesse de râler, je suis sûr que vous allez bien vous entendre.

Le capitaine Harlock connaissait Nietzsche. Tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts, l'abîme qui te regarde, c'était tout à fait le genre de concepts philosophiques qui lui parlaient. Cela faisait résonner en lui des échos de bibliothèque feutrée, de digressions mélancoliques et de verres de brandy partagés.

Lorsqu'il s'était rendu au sas tribord pour accueillir le passager auquel appartenait ce patronyme et que le commandant Warrius Zero venait de lui refiler en traître, il s'était en conséquence attendu à peu près à tout, sauf à ce qu'il avait devant lui.
Sous le choc, il dégaina son sabre.

Scheiße, c'est quoi ça ?

C'était poilu, avec une gueule souriante, des yeux joueurs, quatre énormes pattes et une queue qui battait la cadence.
À côté, Lydia paraissait minuscule, et aurait facilement pu être dévorée en une seule bouchée. Tout sourire, la fillette ne semblait cependant pas effrayée pour un sou.

— C'est Nietzsche, capitaine ! Dis bonjour, Nietzsche !
— Wouf ! répondit l'intéressé.

Alors oui, mais non. Harlock scruta les environs du sas dans l'espoir d'apercevoir Warrius et de l'engueuler en bonne et due forme, mais l'officier de la Flotte Indépendante Terrienne n'était visible nulle part. Probablement s'était-il carapaté sitôt son colis déposé. L'apparition de Tochiro, qui revenait de l'extérieur de l'Arcadia en portant à bout de bras une gamelle et un sac de croquettes, corroborait tout à fait cette hypothèse.

— Ah, Harlock ! l'interpella son ami. Tu peux m'aider à rentrer ce que le commandant Zero a déposé dehors ? Il reste encore un sac et une grosse boîte pleine de trucs !
— Il est hors de question que j'embarque cet animal ! rétorqua Harlock aussitôt. Il est où, Zero ?
— Déjà parti. Il a dit que tu avais donné ton accord… D'ailleurs tu m'as dit que tu avais donné ton accord, ajouta Tochiro.
— Non ce n'est pas… Je… Mais…

Pourquoi n'avait-il pas demandé à Warrius les biodatas complètes de ce foutu « passager » ? se morigéna-t-il. Et pourquoi s'était-il laissé embrigader dans une mission « non mais tu peux bien faire le taxi pour me dépanner, c'est sur ta route » ? L'Arcadia n'était pas un taxi, et encore moins un taxi pour chien !
Harlock se renfrogna. Malgré tout, Tochiro avait raison : il avait accepté. Un peu contraint et forcé, certes, mais il ne serait pas dit que le capitaine Harlock était homme à revenir sur sa parole.

— Okay, mais je ne veux pas qu'il se balade partout ! trancha-t-il. C'est dangereux !

Il pointa son sabre devant la truffe du chien et l'agita pour faire bonne mesure.

— Trouvez-lui un local vide, et qu'il y reste !

Moulinet de sabre. Harlock croisa le regard du chien. Le chien le regarda. Le chien regarda le sabre. Harlock comprit son erreur au moment où les crocs se refermèrent sur la lame de son arme : 1) Nietzsche n'avait de toute évidence pas compris que « un sabre » équivalait à « une menace » mais paraissait au contraire très content qu'on lui ait présenté quelque chose à saisir, et 2) la puissance de morsure d'un animal qui mesurait bien quatre-vingts centimètres au garrot empêchait toute velléité de riposte.

Harlock se retrouva désarmé en moins de temps qu'il n'en fallait pour prononcer les mots « sabre à gravité », ce qui, admettons-le sans détour, était très mauvais pour sa réputation de bretteur hors pair. Heureusement que Tochiro et Lydia étaient les seuls témoins… ou pas, d'ailleurs : l'un et l'autre se montraient toujours horriblement bavards.

Nietzsche s'employa ensuite à se faire les dents sur la garde avec des bruits de mastication satisfaits, comme s'il venait de gagner un os particulièrement succulent à ronger.

— Mais ? gémit Harlock. Rends-moi mon sabre, sale bête !

Est-ce que le chien pouvait ôter la sécurité, atteindre la gâchette et tirer par inadvertance ? s'angoissa-t-il. Non, probablement pas. N'empêche. Avec Lydia dans les parages, il préférait ne pas prendre de risques inconsidérés.

— Rends. Le. Moi ! scanda-t-il en empoignant l'arme de part et d'autre des babines baveuses et en s'arc-boutant pour dégager la lame des crocs.

Peine perdue. Lydia était ravie du divertissement, Tochiro mort de rire, et il suffit à Nietzsche de ramener sa tête en arrière pour le déséquilibrer.

Refusant de s'avouer vaincu, Harlock s'accrocha à son sabre avec toute l'obstination têtue qu'il possédait en réserve, s'aperçut que ce monstre était clairement plus lourd que lui, et s'étala en conséquence au sol dans une envolée de cape. Le tout sous les applaudissements de Lydia.
C'était très vexant.

— M'en fiche, de toute façon j'en ai pas besoin, bouda-t-il en se relevant. J'ai mon cosmodragon.

Pendant que Nietzsche reprenait son mâchouillement consciencieux, Harlock foudroya Tochiro de son meilleur regard de psychopathe sanguinaire. Hélas, son ami en avait vu d'autre avec lui et continua donc tranquillement à arborer un sourire niais. Pff.

Je te maudis, Warrius ! pesta Harlock. Il songea à l'officier terrien qui devait à coup sûr être en train de se moquer ouvertement de lui, pinça les lèvres, expira bruyamment. Bon. Très bien. Le trajet prévu durait trois jours, c'était plus qu'il n'en fallait pour réfléchir à une vengeance digne de ce nom. Si Warrius croyait pouvoir s'en tirer comme ça, il se trompait !

Harlock toisa la scène de toute sa hauteur, se força à ignorer Nietzsche (qui mangeait toujours son sabre), et pointa un doigt sur Tochiro.

— Tu te débrouilles avec cette bestiole, lui jeta-t-il. Moi il faut que je prépare le décollage.

Puis il se drapa dans sa cape avec le maximum de ténébritude pirate qu'il puisse invoquer et il s'enfuit vers la passerelle.

Harlock récupéra son sabre dans la soirée en même temps qu'une remontée de bretelles carabinée. Le médecin-chef de l'Arcadia était très protecteur vis-à-vis de Lydia et très soucieux de garantir à sa petite-fille adoptive les meilleures conditions de vie possibles à bord. Conditions qui impliquaient donc, s'aperçut Harlock tandis qu'il essuyait un flot de reproches continus depuis plusieurs minutes, qu'un chien géant et poilu était acceptable mais un sabre à gravité, non.

— C'est une arme, pas un bâton à lancer ! Qu'est-ce qui vous est passé par la tête, bon sang ? Vous vous rendez compte du danger que vous avez fait courir à Lydia ?

Était-il judicieux de protester ? « C'est pas moi c'est Nietzsche », tenta-t-il.

— Vous lui avez donné votre sabre, capitaine ! Lydia me l'a dit !

Alors non, ça ne s'était pas exactement déroulé ainsi… Harlock envisagea plusieurs contre-argumentaires plus ou moins élaborés, considéra son interlocuteur qui tempêtait toujours, renonça, et marmonna plutôt un « c'est bon doc, j'le ferai plus, promis ». Enfin, tandis qu'il réintégrait ses quartiers, il calcula le nombre de bouteilles d'alcool fort qu'il lui restait dans son bar personnel. Quatre, si ses comptes étaient bons.

Ça devrait lui suffire pour la traversée. Il l'espérait.

Lorsqu'il se réveilla, Harlock avait la bouche pâteuse, la tête tambourinante, le dos ankylosé, les jambes enroulées autour de son guéridon renversé et une bouteille de brandy d'Andromède vide entre les doigts. Il ne gardait aucun souvenir de sa soirée.

Il se redressa avec un grognement, tout en se massant l'arrière du crâne dans une vaine tentative de faire disparaître sa migraine. À ce qu'il semblait, il avait donc trouvé plus opportun de dormir roulé en boule au pied de son lit plutôt que de profiter du confort de son matelas. Bon sang, par quel cheminement éthylique son cerveau était-il passé pour parvenir à cette conclusion ?

Il s'étira, s'efforça de mettre de l'ordre dans ses idées (en vain), puis il se retourna, soupira et posa un regard dépité sur son lit. Il y avait quelqu'un dedans.
Détail amusant, ce « quelqu'un » mâchonnait son sabre.

— Wouf ! le salua-t-il.

Ah. Très bien. Parfait.

Nietzsche, étalé de tout son long en travers du lit, avait l'air à son aise. Accessoirement, il prenait toute la place.

— Je ne sais pas comment tu es entré mais il faut partir, maintenant… lui dit Harlock d'un ton où perçait la fatigue.

Lui avait-il ouvert sa porte au cours de la soirée ? se demanda-t-il. Ses souvenirs fragmentés ne lui furent d'aucune aide. Tout au plus se remémora-t-il avoir monologué à propos de justes combats et de liberté… Il plissa le front. Oui, avec le chien. Il avait parlé au chien. Impossible en revanche de se rappeler s'il avait partagé son brandy avec lui. L'hypothèse était néanmoins fort probable.

Il secoua la tête. Grimaça. Ouch.

— Allez. Ouste, insista-t-il.
— Wouf, répondit Nietzsche.

D'accord, mais wouf oui ou wouf non ?

La migraine l'empêchait de penser droit. Il tituba jusqu'à sa salle de bains, avala un cachet d'antalgique, revint s'asseoir sur le rebord de son lit, prit sa tête entre ses mains. Aïe, aïe, aïe. Gueule de bois carabinée. Pas la pire, mais beau palmarès tout de même. Et tout seul en plus. Enfin…

— Ouste, répéta-t-il.

Nietzsche posa la truffe contre sa cuisse. Presque malgré lui, Harlock laissa ses doigts se perdre dans le pelage touffu. Le contact était curieusement réconfortant.

— Okay, c'est bon pour cette fois, concéda Harlock.

Ses pensées vagabondèrent tandis qu'il gratouillait distraitement Nietzsche derrière les oreilles. Le cachet commençait à faire plus ou moins effet. En tout cas, il n'avait plus l'impression que les moteurs de l'Arcadia s'étaient installés à l'intérieur de son crâne, c'était déjà un progrès. Restait… hmm… un moteur de spacewolf, probablement.

Il grogna avant de se forcer à se lever. La journée s'annonçait rude.

— … mais je t'interdis de me suivre en passerelle, tu entends ?

Plus tard, après avoir emmené Nietzsche visiter la passerelle, la salle des machines, le hangar à spacewolfs et jusqu'au local sonar à l'extrême avant, Harlock s'était fait surprendre en train de ronfler dans son fauteuil de commandement et n'avait hélas pas réussi à trouver d'excuse plus crédible que « c'est pas moi c'est Nietzsche ».

— Je trouve que vous mettez beaucoup de choses sur le dos de Nietzsche en ce moment, capitaine, ricana le doc.

Hmrf.

Le chien avait disparu. La migraine… pas totalement, mais les rafales de cosmodragon s'étaient transformées en fourmillements lancinants un chouia plus supportables. Harlock s'aperçut en outre que son estomac réclamait avec insistance et force gargouillements de la nourriture solide, ce qui était, il fallait le convenir, de bonne guerre (il n'avait pas mangé depuis… houlala).

Enfin bref, il était temps d'abandonner la passerelle au doc et à ses ricanements, et de se rendre au mess pour affronter le regard réprobateur de Miss Masu « vous n'avez pas une alimentation saine capitaine ».

Bleh.

Point positif, Miss Masu était occupée.

— Oui oui servez-vous capitaine, je prépare le dîner de Nietzsche, là !

Point négatif, Nietzsche accaparait toute l'attention.

Vautré au centre du mess sur une couverture dont Harlock ignorait la provenance, le chien était entouré d'un cercle d'admirateurs qui commentaient avec une débauche de superlatifs qui son poil, qui sa stature, qui sa « bonne grosse bouille » ou qui ses énormes papattes. Accroupie à côté de lui, Lydia le brossait avec l'application que seule une enfant de six ans peut avoir, tout en chantonnant une comptine improvisée à base de « t'es trop doux Nitchoubidou ».

Le chien, avec un foulard sur la tête, avait l'air plutôt navré.

Harlock n'avait toutefois pas la moindre intention de compatir. Avec un demi-sourire sarcastique, il récupéra une assiette de riz aux légumes, une pomme et un muffin au chocolat, et il s'apprêtait à rebrousser chemin pour se sustenter tranquillement dans ses quartiers (avec peut-être un petit verre de brandy) quand Lydia s'aperçut de sa présence.

— Oh ! Capitaine ! Nitchou, c'est le capitaine ! Où il est le capitaine, Nitchou ? Où il est ?
— Wouf !

La suite s'avéra relativement confuse, poilue, et fatale pour son plat de riz. Quand un mastodonte vous fonce dessus à pleine vitesse, la survie devient une question de réflexe : en l'occurrence, se servir de l'assiette dressée à la verticale comme d'un bouclier, en pure perte d'ailleurs.

Une fois les deux pattes avant de Nietzsche posées sur ses épaules, Harlock vacilla, et seul le comptoir du bar contre ses hanches l'empêcha de basculer complètement en arrière (et d'être écrasé par le poids du monstre, probablement).
Il réussit toutefois à sauver son muffin.

— Z'avez vu capitaine ? Il vous a reconnu tout de suite ! Il est super intelligent, pas vrai ?

Ouais. Super.

Harlock ne répondit rien, notamment parce que Nietzsche était en train de lui lécher consciencieusement la figure, mais il lui vint à l'esprit quantité d'injures colorées qu'il n'hésiterait pas à envoyer à la face du monde dès que Lydia ne serait plus à portée d'oreilles.

Quoi qu'il en soit, Lydia était très fière de Nietzsche « il peut même donner la patte, capitaine ! Donne la patte, Nietzsche ! », et Nietzsche semblait ravi de contenter la petite fille, ce qui permit à Harlock de se libérer de l'emprise du chien lorsque celui-ci revint vers Lydia pour lui donner une patte « puis l'autre patte, capitaine ! Regardez ! »

Formidable.

Harlock se sauva avec son muffin pendant que l'assemblée s'ébahissait devant Nietzsche qui roulait sur lui-même en aboyant un « wouf » joyeux à chaque fois que Lydia lui disait bravo. Son dîner serait chiche, mais il s'en contenterait.
Et puis le muffin s'accompagnerait bien d'un verre de brandy.
Un grand verre.

Le troisième jour, Harlock occupa l'essentiel de sa matinée à éviter d'être contre-détecté par les radars orbitaux de leur planète de destination, le midi à calculer la meilleure trajectoire d'approche atmosphérique, puis le début d'après-midi à atterrir.

L'Arcadia se posa en bordure d'une mégalopole quelconque, au point de rendez-vous que Warrius Zero lui avait transmis, et avec un peu plus d'une demi-heure d'avance sur l'horaire. Il était un taxi exemplaire. Et il ferait payer Warrius pour ça.

— On attend qui ? lui demanda Tochiro alors qu'Harlock et lui patientaient à l'entrée du sas tribord.
— Un certain A.2L2, répondit-il. Je n'ai pas plus d'infos, mais de toi à moi ça m'étonnerait qu'on voit venir beaucoup de touristes en goguette.

De fait, ils ne virent personne jusqu'à l'heure H, où un glisseur bleu métallisé légèrement brinquebalant stoppa devant la rampe d'accès du sas. En sortit une jeune femme rayonnante, dont le sourire s'élargit encore à la vue de Nietzsche.

— Nietzsche ! s'exclama-t-elle. Comment tu vas mon Nitchou ?
— Wouf !

Harlock compta mentalement une trentaine de secondes de caresses et de léchouilles (la joie des retrouvailles, c'était important), puis il invoqua son aura de « pirate qui n'aime pas trop être dérangé pour des futilités » avant de prendre la parole.

— Votre livraison en temps et en heure comme convenu, madame Deux-z-elle.
— Je vous en prie, appelez-moi Deux, répondit-elle machinalement. Je ne me suis pas inquiétée capitaine, le commandant Zero m'avait promis que tout se passerait bien !

Harlock leva un sourcil. De toute évidence, son aura menaçante glissait sur la jeune femme comme l'eau sur les plumes d'un canard. Pas grave, mais il avait tout de même un message à faire passer.

— Le commandant Zero aurait dû vous dire que l'Arcadia n'a pas vocation à être utilisée comme taxi, madame.
— Oh, le commandant m'a accordé une permission et j'en ai profité pour revenir ici, mais la société des trains galactiques n'accepte pas les animaux de compagnie de cette taille autrement qu'en soute, expliqua-t-elle. En soute, vous vous rendez compte ! Pendant deux jours entiers !

La jeune femme fit une pause. Posa ses poings sur ses hanches. Lui adressa une moue qui pouvait être à la fois contrite ou moqueuse.

— C'est le commandant qui a eu l'idée, de toute façon. Moi j'aurais pas osé.

Okay. Warrius allait l'entendre. Et pas plus tard que dès qu'il serait revenu dans ses quartiers et aurait allumé sa console com.

Les bagages de Nietzsche furent rapidement transférés du sas vers le coffre du glisseur. Enfin, tandis que le chien s'installait sur la banquette arrière du véhicule avec entrain et plein de woufs impatients, sa propriétaire leva les yeux vers Harlock. Un éclat d'inquiétude passa brièvement dans son regard.

— Et… Il a été sage ?

Harlock hésita une fraction de seconde. « Oui » était un mensonge, « non » un peu trop violent, « il a mangé mon sabre » peut-être trop… détaillé ?

Il fit un geste de la main que la jeune femme interpréterait comme elle voudrait. En vérité, il avait apprécié cette foutue bestiole. Il se permit un demi-sourire. Je te maudis, Warrius ! Warrius le connaissait trop bien.

— On le regrettera.