.

La fièvre et les courbatues se déchaînent.

Le dos bloqué, le souffle coupé.

Je ne peux rien faire, les yeux fermés, à part entrer dans le cauchemar...

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« All around me are familiar faces,
Worn out places, worn out faces,
Bright and early for the daily races,
Going nowhere, going nowhere. »

.

Nous avons un chouette projet à montrer au Monde. Nous ? Il s'agit de mes deux amies Zelliana, Emma et moi. Nous avons des profonds traumas et nous en avons choisi un en particulier à montrer. Et ce, d'une façon tout aussi particulière : avec un brin de Magie.

Ainsi, toutes les trois, telles les trois Sorcières Halliwell, nous sommes accroupies sur une table basse pour créer notre projet. Un projet de travail qui nous aura pris un an à réaliser !

Chacune de nous va projeter un trauma lié à la noyade, dans un flacon de verre pour que les gens puissent voir le souvenir et surtout... Le vivre et le ressentir.

Telle une Pensine géante, il nous est difficile d'accomplir une prouesse aussi mentalement meurtrière.

J'ai commencé quelques mois auparavant, je suis la première à laisser mon souvenir dans le flacon.

Un souvenir réel, je précise. Quelque chose qui m'est vraiment arrivé IRL...

Il était une fois...

… En Corse, en 2004. Je suis âgée de 14 ans, et je ne sais pas nager. Mais j'aime tellement la mer, que je décide de porter un gilet de sauvetage et de grimper sur ma planche de surf. Cool !

Au milieu de la mer Méditerranée, le père de ma belle-mère conduit son bateau Zodiac avec, à la poupe, une longue corde qui s'accroche à ma planche. C'est parti pour la glissade mécanique !

Nous avons un code : si je lève la main, cela signifie que quelque chose ne va pas et que l'homme doit arrêter le bateau.

Les minutes passent, c'est super cool !

Mais l'eau commence à éclater trop souvent sur mon visage et je ne vois plus rien.

Ensuite, je ne peux plus respirer. Il y a trop d'eau qui me tombe dessus. Telles des vagues qui s'écrasent sur mon visage.

Je lève donc la main.

Ma sœur sur le bateau le voit et dit à l'homme d'arrêter le bateau. Il sourit et continu.

J'attends.

Je n'arrive plus à respirer. Je ne vois rien. Je lève la main. Je la garde levée en buvant la tasse pour avoir un semblant de respiration.

Ma sœur hurle sur l'homme, qui s'en fiche royalement et continue en souriant de toutes ses malsaines dents jaunes. Ma sœur pleure.

Moi aussi, car je ne peux plus du tout respirer. Je fais donc la seule chose possible pour survivre :

Je lâche la planche.

Et la planche part loin, très loin devant moi, avec le bateau et ma sœur.

Je suis seule.

Au milieu de la mer Méditerranée. Flottant grâce au gilet.

Il n'y a que du bleu autour de moi.

De l'eau.

De l'eau.

De l'eau.

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« Their tears are filling up their glasses,
No expression, no expression,
Hide my head, I wanna drown my sorrow,
No tomorrow, no tomorrow. »

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Je prépare un joli présentoir pour y mettre les flacons et quelques explications. Ma fiole en verre est déjà prête, puis c'est un tour de Zelliana. Elle nous emmène dans son trauma :

Il était une fois...

… Sur des falaises au bord de l'océan. Le ciel est gris, le paysage est sauvage, mais magnifique. Des racines d'arbres tombent dans l'eau, telle une mangrove immense, un chien court sur la plage.

Puis, soudain... Un homme attrape la jeune Zelliana et la jette dans l'eau. Les vagues de l'océan la secouent et elle commence à se battre pour rester à la surface. Jusqu'à que ses forces la quittent lentement. Elle, et nous avec, nous nous noyons, nous sombrons dans les profondeurs de l'océan. Nous voyons l'eau bleue se changer en ténèbres, le froid des abysses mordre notre corps. Nos yeux se ferment, nos souffles se coupent...

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Zelliana a survécu. Mais je dois dire que son souvenir est intense et très angoissant !

Une fois le flacon rempli, je le pose sur mon présentoir avec le mien.

Emma, à ton tour !

Une fois tous nos traumas dans les bocaux, nous prenons une photo avant de tout emporter vers une espèce d'exposition/Convention. Sur le chemin, les gens qui nous parlent trouvent ça nulle. Con. (Comme eux ?). Néanmoins, nous décidons de continuer notre projet. Pour aller vers le lieu de la Convention, mes amies et moi-même devons prendre... Une barque !

Avec un autre groupe de personnes à côté de nous, dans un autre frêle esquif. Il fait beau, l'eau de la rivière est glassy, et nous commençons à pagayer. Les crétins d'à côté se fichent de nous, pour notre projet. Mais le pire n'est pas ces imbéciles heureux, non, le pire c'est notre barque... Elle prend l'eau et commence à couler.

Nous essayons de rester calmes et de ne pas se faire Triggered par ça. Aucune de nous ne sait nager, mais on s'accroche à la barque retournée pour rejoindre la berge la plus proche.

Totalement mouillés, nos vêtements sont lourds à porter, mais nous marchons le long des berges pour rejoindre la vie civile.

Après une attaque d'un psychopathe esquivée de justesse, nous arrivons enfin chez moi : un énorme manoir étrange, sur un trottoir d'un village de campagne.

Nous grimpons les escaliers pour nous rendre dans des salles de bains et changer de vêtements. Le manoir est très grand, un peu détruit par endroit, avec une vieille décoration en bois comme dans une cabane de trappeur.

Ce n'est pas le grand luxe, mais c'est chez moi.

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« And I find it kind of funny,
I find it kind of sad,
The dreams in which I'm dying,
Are the best I've ever had. »

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Emma et Zelliana décident de se rendre de suite à la Convention. Je reste sur place pour accueillir une autre amie qui désire nous rejoindre. Je m'habille d'une robe noire et de grosses chaussures, comme des bottes, aux pieds. J'entends des bruits dans le manoir. Mon père doit être à la maison. Ce qui signifie que nous ne sommes plus en 2022, mais au moins en 2006.

OK, je note.

Ma nouvelle amie débarque enfin, elle s'appelle Camille et elle est toute excitée de rencontrer les autres. Nous sommes au second étage et au moment où je décide d'ouvrir la porte pour descendre, je me rends compte qu'elle est verrouillée.

Zut.

Bon, tant pis, j'ouvre la baie vitrée du balcon et je montre à Camille comment grimper par-dessus la balustrade et descendre en rappel jusqu'au rez-de-chaussée.

Ce n'est pas évident pour elle, mais elle s'en sort très bien.

Ensuite, nous prenons la route vers le Meeting. Camille me pose plein de questions concernant Emma et Zelliana. Je lui explique, tout en marchant :

- Elles sont super sympas, tu verras ! Emma a une fille adorable et c'est aussi une écrivaine ! Zelliana est en Master 2 en Neurosciences et Neurobiologie, elle veut être chercheuse plus tard.

Camille a des étoiles plein les yeux.

Et nous arrivons devant un immense bâtiment gris, sous un ciel de la même couleur, au milieu de la campagne.

Mon sourire disparaît lorsque je découvre une marque sur le sol :

C'est un rond parfait, de 5 mètres de diamètres, qui a littéralement carbonisé l'herbe et le goudron d'en dessous, tel un tampon géant. Je reconnais sans mal les symboles, des entrelacs celtiques magnifiquement dessinés.

Je dis à Camille de rejoindre les filles sans moi.

J'ai quelque chose d'important à faire.

Car j'ai compris le Code.

L'Appel.

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« I find it hard to tell you,
I find it hard to take,
When people run in circles it's a very, very,
Mad world, mad world. »

.

Je marche le long de la marque sur le sol, lorsque j'aperçois enfin une tête connue.

Frigga. La femme d'Odin, la mère de Thor et Loki.

Elle porte une espèce de tenue de combat, avec un plastron métallisée en argent sur la poitrine, et une longue robe en soie bleue. Elle a des protections en métal doré sur les épaules et les poignets. Ses longs cheveux blonds sont coiffés en une énorme tresse tout autour de son crâne, sur lequel elle porte une fine couronne en or.

Juste à ses côtés, je reconnais également deux Valkyries. Elles portent une tenue de combat entièrement blanche et protégées de toutes parts. Une longue cape bleue flotte dans leurs dos et leurs mains tiennent fermement des épées de cristaux aux lames bleutées. Des formes tribales blanches sont dessinés sur leurs visages très sérieux.

Je ne vois pas Brunnhilde parmi les Valkyries, mais je dis à Frigga :

- La marque du Bifröst sur le sol... Pourquoi Heimdall vous a envoyé ici ?

Frigga sourit et s'avance vers moi.

- Je suis désolée, Alisone, nous avons besoin de toi.

Je comprends.

Je souffle et je demande :

- Qu'est-ce qu'il a fait ?

Frigga sourit aussi.

Elle sait que je sais qu'elle parle de Loki.

- Il perd la raison. Complètement. Nous n'arrivons plus à le contrôler, à l'aider, à le calmer.

J'acquiesce de la tête. Frigga sourit encore plus, en avouant à demi-mot :

- Tu sais ce que ça signifie, pas vrai ?

Euh... Non...

Voyant mon regard perdu, elle avoue :

- Loki est un Dieu. 'The God of Mischief'. Il ne répond pas à Thor, pas même à Odin. Il me respecte sans pour autant m'écouter. En revanche, la seule et unique personne qui arrive à l'apaiser, à l'empêcher de totalement vriller... C'est toi.

OK.

Et alors ?

Comprenant que je ne vois pas bien ce qu'elle veut me dire, elle reprend :

- Alisone... Même s'il ne l'avouera jamais, je pense qu'il tient beaucoup à toi. Et je pense que c'est réciproque.

Elle me sourit derechef.

Ah ! J'ai compris !

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« Children waiting for the day they feel good,
Happy birthday, happy birthday,
And I feel the way that every child should,
Sit and listen, sit and listen. »

.

Je repasse rapidement chez moi pour récupérer quelque chose, puis je suis Frigga et les deux Valkyries, vers un endroit isolé qui ressemble à une espèce de salle de bain public.

Je vois sur le sol, des symboles celtiques ronds, avec plein d'entrelacs en leur centre.

- Vous avez déjà demandé à Heimdall d'ouvrir le Bifröst ?

Frigga me sourit et m'explique :

- Non... Loki surveille le Bifröst. Je dois utiliser ma Magie pour nous ramener sur Asgard de façon incognito.

Ah, d'accord.

Frigga se penche au-dessus du symbole et commence à chantonner en Asgardien :

- I stormsvarte fjell, jeg vandrer alene, over isbreen tar jeg meg frem...

Lorsque, tout à coup, un homme étranger entre dans la salle de bain public et se dirige vers une cabine de toilettes.

OK.

Pendant ce temps, Frigga remarque ce que je tiens dans les mains, ce que je suis allée chercher chez moi : une robe.

Une belle robe bleue, avec de la dentelle. Une robe de Princesse, aux manches courtes et avec un jupon en dentelle blanc sous le bleu. Disposant, ici et là, de fines reliures couleur argent et de plis gracieux.

Frigga sourit et me demande :

- Pourquoi cette robe ?

Je souris à mon tour. Je rougis même :

- Oh, c'est une Private Joke entre Loki et moi. Un truc débile qui nous a fait rire...

Je souris tristement.

C'est une blague drôle, oui, mais triste aussi...

Frigga reprend :

- Tu devrais la mettre, dans ce cas.

- Vous pensez ?

- Oui, mets-la. Mieux vaut mettre toutes nos chances de notre côté. Loki n'est vraiment pas au mieux, crois-moi.

J'obtempère et je me dirige vers une cabine de WC vide. Au moment où je commence à me changer, l'homme étranger juste à côté essaye de me reluquer par en haut.

Lorsque Frigga découvre ça, elle envoie ses deux Valkyries sur le pervers, qui n'a AUCUNE chance face aux Guerrières.

Je sors des WC en portant ma robe de Princesse, mais en me voyant dans le miroir, je me trouve affreusement grosse et ça me met mal à l'aise. Frigga me dit que c'est n'importe quoi, que je suis parfaite. Nous nous mettons dans le cercle au sol, et elle reprend son incantation Magique :

- Men trærne danser og fossene stanser. Når hun synger, hun synger kom hjem. Men trærne danser og fossene stanser...

Seulement, je sens bien qu'il y a un problème.

Oui, le portail s'ouvre, un vent tourbillonne autour de nous, la Magie opère, mais Frigga n'arrive pas à vraiment contrôler l'Espace-Temps.

Malheureusement, le sort est lancé, et je suis aspirée dans le portail...

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« Went to school and I was very nervous,
No one knew me, no one knew me,
Hello, teacher ! Tell me, what's my lesson ?
Look right through me, look right through me. »

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Je me réveille en panique, allongée sur une route de béton. J'entends des voitures freiner brusquement et des gens klaxonner encore et encore. J'ouvre lentement les yeux et je comprends que je suis au milieu d'une route passante et que les voitures m'évitent de justesse.

Groggy et perdue, je rampe vers le trottoir le plus proche. Par miracle, j'évite les roues des véhicules qui tracent leur chemin à quelques millimètres de moi.

Doucement, je me lève et j'observe les lieux. Je suis en ville. Donc, pas à Asgard.

Je ne peux pas aider Loki ici...

Et merde.

Voyant les modèles des voitures, je pense que je suis au moins 30 ans en arrière, voir plus, par rapport à ma Timeline en 2022.

Je cours vers la boutique la plus proche : un salon pour femmes et hommes, qui proposent des services de coiffures, maquillages, barbes et habillage en mode Gentlemen pour les hommes.

Je me rends compte que j'ai toujours ma robe, sauf qu'elle est désormais entièrement blanche avec des taches de peintures multicolores dessus. Je suis pieds nus, aussi. Et je porte un jean sous ma robe.

Ah, les Voyages Temporels, ce n'est pas une science exacte !

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« And I find it kind of funny,
I find it kind of sad,
The dreams in which I'm dying,
Are the best I've ever had. »

.

En entrant dans la boutique, je suis sous le choc en découvrant une des coiffeuses, qui est en train de faire un nœud de cravate à un homme. Je me rapproche d'elle, en hurlant presque :

- Mary Winchester ?!

Je calcule rapidement dans ma tête, ma Timeline actuelle se situe donc en 1980, je suis à Lawrence, dans le Kansas, aux U.S.A. Avant que Mary ne meurt tué par Azazel.

OK, on avance.

Mary me sourit en continuant son travail :

- Oh, Alisone, ça fait un bail !

Je me rapproche d'elle, plus paniquée que jamais :

- Mary, j'ai besoin de toi. Ou plutôt de tes accointances avec les Hommes de Lettres, je dois trouver un moyen d'ouvrir un Portail dans un autre Monde ! Je dois me rendre à Asgard le plus rapidement possible pour aider Loki !

Aussi surprenant que cela puisse paraître, Mary me croit. Bon, son vrai métier n'étant pas coiffeuse, je ne suis pas trop surprise en réalité qu'elle me croit si facilement.

- OK, Alisone, pas de souci. Je dois juste terminer mon travail avec ce Gentleman et ensuite je suis à toi.

Je souffle de soulagement.

- Ali, pendant ce temps, file dans la réserve si tu veux changer de vêtements.

Elle reluque ma robe blanche tachée de peinture, mon jean débrayé et le fait que je suis pieds nus. Mais je suis trop perdue pour réfléchir.

Pour me ramener à la réalité, elle me demande :

- D'ailleurs, en allant dans la réserve, est-ce que tu peux me trouver un jean en taille 38 pour le monsieur ?

OK.

Lentement, je laisse le salon derrière moi pour ouvrir une porte vers la réserve. Une grande salle bien éclairée et contenant des centaines et des vêtements tous plus différents les uns que les autres.

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Je fouille, je fouille les étagères, les cintres, je trouve les jeans pour hommes, mais pas la taille 38. Je râle. Je m'arrête, je réfléchis et l'inquiétude revient.

Je me parle toute seule, à haute voix :

- Bordel, mais qu'est-ce que je fiche ici ?! 1980 ! Pourquoi ?! Nom de Dieu, je dois me barrer de cette Timeline !

Je quitte la réserve en claquant la porte derrière moi.

Toujours pieds nus, je cours vers Mary.

Effrayée et à bout de nerfs, je crie :

- Mary ! Je suis désolée, mais je dois vraiment VRAIMENT partir, là, de suite ! Loki a besoin de moi, c'est URGENT !

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Mary me regarde, me sourit malgré tout,

Nom de Dieu, ce Monde est fou !

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Puis, je me réveille.

Groggy, courbaturée et en proie à une violente fièvre...

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« I find it hard to tell you,
I find it hard to take,
When people run in circles it's a very, very,
Mad world, mad world. »

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27.07.2022

Chanson 'Mad World' la version de Nicola Sirkis.

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