Cette fic m'est venue en tête lorsque j'ai appris le décès de Bernard Cribbins. J'espère qu'elle vous plaira.


Mardi 26 Juillet 2022

La nuit était claire, pas de nuages à l'horizon. La Lune, fine ligne à peine discernable dans l'immensité sombre, n'apportait aucune lumière à la silhouette qui grimpait la petite colline de Chiswick. L'ascension n'était pas rendue difficile par la difficulté du terrain ou par la faible luminosité, l'ombre connaissant le chemin par cœur. Non c'était malheureusement l'âge qui faisait trébucher l'homme.

- Aller mon vieux, une dernière fois. Pour lui... pour elle.

Les derniers mètres eurent presque raison de ses dernières forces et Wilfred s'effondra dans sa vieille chaise de jardin. Ça n'avait pas été facile d'échapper à Sylvia, mais ça en valait la peine. Haletant, il jeta un regard en direction de la maison. Des phares s'en éloignait. C'était un lourd fardeau qu'il venait de confier à Shawn, mais il ne pourrait plus l'assurer lui-même.

Le mari de Donna avait été surpris que Wilf lui demande de venir sans sa femme ni sa fille. Mais le vieil homme avait insisté. Il devait passer le flambeau. En entendant ce que Wilfred avait à lui dire, Shawn avait d'abord refusé d'y croire. Il avait pensé que le grand-père de sa femme commençait à perdre la tête. Mais quand Sylvia lui avait confirmé ce qu'avait raconté son père, Shawn avait été en colère. Comment les personnes qui aimaient Donna avait pu lui cacher un pan entier de sa vie ? Il n'y avait eu que la perspective de la perdre définitivement si jamais elle parvenait à se souvenir qui l'avait forcé à « accepter » la situation.

Il ne restait maintenant plus qu'une chose à faire. Une dernière personne à qui faire ses adieux. Se recalant dans la chaise, Wilfred se pencha sur son télescope. Cela faisait bien longtemps qu'il ne le rentrait plus, depuis une certaine nuit de 2010. Des amis l'avait aidé à construire un abri de fortune pour protéger l'objet, et toutes les nuits, Wilf était monté sur la colline pour chercher une « étoile » en particulier. Jusqu'à présent, il ne l'avait jamais revue, mais peut-être que cette nuit...

- Permission de monter à bord ?

Wilfred regarda autour de lui. Qui pouvait bien venir le déranger ? Il aimait la compagnie, mais pas cette nuit. Son regard finit par se poser sur une jeune femme blonde qui grimpait la colline un peu plus loin sur sa droite.

- Vous cherchez quelque chose madame ?

- Quelqu'un plutôt.

- Je suis désolé mais je n'ai vu personne.

- Ce n'est pas très grave. Ça vous ennuie si je l'attends avec vous ?

Wilfred fit non de la tête. Il ne savait pas pourquoi mais il n'avait finalement pas envie que cette femme parte tout de suite. Un peu de compagnie lui permettrait peut-être d'oublier quelques instants ce qui l'attendait. Il reporta son attention sur son télescope.

- Quelque chose d'intéressant ? Je ne crois pas qu'il y ai de manifestation stellaire d'envergure ce soir.

Wilfred hocha rapidement des épaules à la remarque de l'inconnue.

- Ce n'est pas vraiment un évènement cosmique que je cherche à apercevoir. D'une certaine manière, j'attends aussi quelqu'un.

- En scrutant le ciel ? Je pense que votre télescope est mal dirigé. D'ailleurs, je ne suis même pas sûre qu'espionner ses voisins de cette façon soit très légal. Sur Terre en tout cas.

- C'est une personne un peu spéciale.

- Oh un excentrique !

Le vieil homme détourna son attention de son télescope et s'enfonça dans sa chaise.

- On pourrait dire ça. Mais c'est quelqu'un de merveilleux. Ça fait longtemps que je surveille le ciel en espérant l'apercevoir.

- Combien de temps ?

- 12 ans. C'est une promesse que je lui ai faite la dernière fois que je l'ai vu. Parce que quelqu'un doit se souvenir de tout le bien qu'il a fait, même si ma petite-fille n'en a pas le droit. J'aurais aimé l'apercevoir cette nuit.

- Pourquoi cette nuit en particulier ?

- Parce que je me fais vieux. J'ai 93 ans. Je sens que je ne vivrais plus très longtemps. J'avais envie... de lui dire au revoir. Parce que je le considère un peu comme mon fils.

- Et j'aurais été fière que vous soyez mon père !

À ces mots, Wilfred se tourna vers sa compagne du soir. La dernière fois qu'il avait entendu une telle phrase, c'était dans le vaisseau Vinvocci, elle avait été prononcée par un homme en costume marron. Wilf prit le temps d'observer la femme. Elle était habillée étrangement, des bottines noires qu'un pantacourt bleu ne venait pas recouvrir, un tee-shirt également bleu rayé uniquement au niveau de la poitrine. Le tout était complété par un manteau gris clair dont les pans s'étalaient sur l'herbe, créant comme un halo autour de la forme agenouillée à ses côtés. Mais ce qui frappa le plus Wilf, ce furent les yeux de la femme. Des yeux chocolats, anciens, qui portaient les traces de vies entières d'expériences, de joies et de peines. Ces yeux brillaient de larmes difficilement contenues. Comme ce funeste jour de 2010.

- Docteur ?

- Bonsoir Wilfred.

- Mais... comment... ?!

- Oh je me suis régénérée ! Trois fois depuis la dernière fois que nous nous sommes vus.

Le Docteur souriait, mais Wilf voyait bien que le cœur n'y était pas.

- J'ai tenu ma promesse Docteur. Tous les soirs, quand la nuit était sombre et que les étoiles brillaient, tous les soirs je suis venu ici et j'ai cherché à vous voir.

- Vous n'auriez pas dû.

- Mais quelqu'un doit se souvenir.

- Il y a d'autres façons de se souvenir. Mais je dois vous faire un aveu. J'ai gardé un œil sur vous et sur Donna. De loin, mais pas tous les soirs.

- Pourquoi je ne vous ai jamais aperçu ?

- Vous ne regardiez pas dans la bonne direction. Et il se peut que certaines fois, j'ai volontairement déréglé votre télescope.

Le vieil homme laissa échappé un rire qui réchauffa quelque peu les cœurs du Docteur. Mais, la faiblesse grandissante de Wilf reprit le dessus et, c'est avec une voix fatiguée qu'il reprit.

- Je vous avais promis d'essayer de ne pas mourir, mais je crois que je ne pourrais pas tenir cette promesse.

- Je ne vous en veux pas Wilf.

Prenant la main de plus en plus froide de son ami dans les siennes, le Docteur continua en regardant les étoiles.

- Vous avez été fantastique. Et je vous fait la promesse que Wilfred Mott ne sera jamais oublié. Votre nom vivra dans le cœur de toute votre famille et brûlera à jamais dans celui d'une machine extraordinaire qui vous fera voyager à travers le Temps et l'Espace.

Le regard de la dernière enfant de Gallifrey se baissa sur le visage du vieil homme à ses côtés. Pour un spectateur non averti, les yeux clos et le visage paisible de Wilfred laissait penser qu'il dormait. Mais les douze coups de minuit avaient sonné depuis quelques minutes maintenant. La magie avait pris fin. Nous étions dorénavant le 27 Juillet. Une nouvelle étoile se mit à scintiller dans le ciel de Chiswick.

- Je vous rejoins bientôt mon ami.

Le Docteur regarda une dernière fois leurs mains entrelacées, celles trop blanches de Wilf contrastant tristement avec les lueurs de la régénération qui brillaient déjà sur les doigts de la Gallifréenne.

XxXxX

Quelques jours plus tard

Toute la famille de Wilfred était réunie pour un dernier hommage. Quelques amis de l'armée s'étaient joints à eux. Sylvia, Donna et Shawn, ainsi que leur fille étaient au premier rang et acceptaient dignement les condoléances que les invités leur adressait. Le groupe, soudé par une même douleur, partageait des anecdotes entrecoupées de larmes sur leur ami disparu.

Mais personne ne remarqua le jeune homme noir en costume sombre qui se tenait éloigné de l'assemblée. Il était serré dans sa tenue et certains auraient trouvé que les Converses noires juraient avec l'ensemble. Le jeune homme lui-même pensait que le style ne lui allait pas du tout, il n'avait pas encore eu le temps de vraiment cherché ce qui lui convenait. Mais cette tenue était celle qu'il avait porté dans une autre vie, le jour où sa route avait croisé celle de Wilfred Mott pour la première fois.

- Au revoir Wilfred.


Voilà une courte fic pour rendre hommage à Bernard Cribbins et à son rôle de Wilfred Mott. Il me manquera.