Un moment entre nous.
C'était un dimanche pluvieux comme il y en avait rarement en Arizona. Il était passé dix heures mais cela n'empêchait pas Ambre et Hermès d'être encore au lit. Collés l'un à l'autre, les yeux fermés, les deux amoureux écoutaient paisiblement le clapotement de la pluie contre la fenêtre de toit. Les météorologistes avaient prévu des chutes d'eau sans précédant dans la ville de Phoenix et cela arrangeait beaucoup nos protagonistes.
Il faut dire que, la veille, avait eu lieu le 21ᵉ anniversaire d'Ambre et de son jumeau, Matthew. Et qui disait 21ᵉ anniversaire, disait aussi occasion pour les amis d'organiser une énorme fête dans l'un des clubs les plus prisés de la ville et de faire durer la chose jusqu'aux petites heures de la matinée. Ambre était donc claquée et Hermès n'avait aucune envie de bouger, n'ayant pas vraiment eu le temps de passer du temps avec sa bien-aimée la veille au soir la pluie arrivait donc à point nommé pour les tourtereaux qui, au fond, avaient l'espoir de passer la journée dans les bras l'un de l'autre, sans autre compagnie qu'eux-mêmes, profitant de ce temps pour mieux affronter les prochaines absences.
« Je crois que je ne laisserai plus jamais Lisa organiser ma fête d'anniversaire. », souffla Ambre, dans un murmure.
Ouvrant les yeux, la jeune femme, toujours allongée, bailla et s'étira lentement avant de se coller de nouveau à Hermès, posant la tête contre le torse de ce dernier et laissant échapper un soupir de bien-être. Le dieu passa aussitôt un bras autour de sa taille, l'attirant davantage contre lui. Ambre était très tactile et aimait beaucoup les câlins, ce qui n'était pas pour déplaire au messager des dieux : le contact de la jeune femme avait toujours eu un effet relaxant sur lui.
« Je doute qu'un jour elle accepte que tu lui dises non, murmura Hermès à l'oreille d'Ambre, souriant du fait que les joues de celle-ci se paraient de rouge, comme à chaque fois qu'il passait un bras autour de sa taille. Et puis, tu t'es bien amusée, non ? »
La question d'Hermès était purement rhétorique, ou tout du moins, il l'espérait : en presque quatre ans, il avait rarement vu Ambre être autant à l'aise avec autant de monde autour d'elle. Peut-être était-ce les études universitaires qui l'aidait à sortir un peu de sa coquille. Quoi qu'il en soit, elle avait semblé radieuse et heureuse de pouvoir danser et chanter avec ses amis, de prendre des photos ridicules qui les referont certainement rire dans dix ans. Elle avait semblé dans son élément.
« Certes, mais je crois que j'ai épuisé mon quota de sociabilité pour la semaine. »
Cette remarque fit sourire Hermès. Il était vrai que les introvertis éprouvaient une immense fatigue après avoir passé du temps avec autrui.
« … J'aurais aimé… »
Ambre, qui avait continué à parler tandis que le dieu se faisait cette réflexion, s'interrompant brusquement, hésitant à continuer.
Sentant sa gêne, Hermès enfouit sa tête dans les longs cheveux longs bouclés tout en frottant doucement le dos d'Ambre, dans une tentative d'apaisement. Il garda également le silence, lui laissant le temps de respirer avant de continuer elle était soudainement stressée et Hermès savait par expérience que poser des questions ne servait à rien, si ce n'était à la bloquer davantage.
Il régna ainsi quelques instants de silence avant qu'Ambre ne prenne une grande inspiration et reprit :
« Cela peut paraître égoïste ou complètement ingrat de ma part vis-à-vis de Lisa, ou même totalement obsessionnel par rapport à toi… mais j'aurais aimé que l'on passe la soirée rien que tous les deux. Dans un resto ou simplement ici, à l'appart. Parce qu'on a déjà pas réellement le temps de se voir… »
Touché par cette soudaine déclaration, Hermès, dont le cœur avait augmenté le rythme de ses battements, eut un sourire niais. Les yeux brillants, il déposa un léger baiser dans les cheveux d'Ambre avant de répondre, doucement
« C'est toujours possible, tu sais. Pourquoi on passerait pas la journée ensemble, aujourd'hui ? Et on pourrait sortir manger quelque part ce soir. »
« Tu n'as pas des obligations divines à honorer ? »
La réponse ne s'était pas fait attendre et Ambre l'avait prononcé à demi-mot, inquiète de ce qu'Hermès allait pouvoir dire. Celui-ci ne répondit pas aussitôt : après un énième baiser dans les cheveux, il prit Ambre dans ses bras et la fit doucement basculer, pour se retrouver au-dessus d'elle. La demi-déesse rougit et les deux se fixèrent un moment en silence avant qu'Hermès ne pose une main sur la joue d'Ambre et n'attire ses lèvres vers les siennes. À son plus grand plaisir, Ambre répondit presque immédiatement et les deux échangèrent un baiser à la fois tendre et passionné.
« J'ai bien le droit à un jour de congé, murmura le dieu lorsqu'ils se séparèrent et collèrent leur front l'un contre l'autre. Le dimanche est un jour généralement assez calme, je devrais pouvoir rattraper mon retard dans la semaine à venir. Et, ajouta-t-il alors qu'Ambre ouvrait la bouche pour répliquer, que tu le veuilles ou non, tu es ma priorité. Je t'aime, c'est ton anniversaire et j'ai grandement envie de passer du temps avec toi. En fait, je voudrais t'avoir constamment à mes côtés. »
Ce fut au tour d'Ambre de sourire niaisement. Toujours aussi rouge comme une tomate, la jeune femme caressa l'une des joues d'Hermès du bout de ses doigts et murmura un « je t'aime » à peine audible avant de sceller de nouveau ses lèvres aux siennes.
Surpris – Ambre n'avait pas pour habitude d'initier les baisers -, mais heureux comme il l'était rarement, Hermès entreprit d'approfondir le baiser.
Bientôt, mais aussi lentement et tendrement qu'ils en avaient l'habitude, les pyjamas se retrouvèrent par terre et les mains commencèrent à explorer les corps. Le calme s'installa dans l'appartement, simplement rompu par deux respirations haletantes et des soupirs de plaisir.
Μµµµµ
« … Tu… tu voudrais des enfants ? »
Midi. Ambre et Hermès venaient de terminer leurs pancakes aux pépites de chocolat – une spécialité culinaire dans laquelle le dieu des voleurs excellait – et, après une bonne douche, venaient de se réinstaller dans le lit, l'un à côté de l'autre, mais main dans la main, dans une envie de garder ne serait-ce qu'un minimum de contact entre eux.
Un silence apaisant s'était installé et Hermès commençait doucement à s'assoupir lorsqu'Ambre avait posé cette question, de manière à la fois hésitante et tout à fait directe. Étonnée par sa propre initiative, et se rendant compte que ses questionnements venaient de sortir de sa bouche sans qu'elle ne le veuille réellement, Ambre rougit violemment avant de se mordre la lèvre inférieure.
« …Euh…je veux dire… je sais que tu en as déjà, mais… non, en fait, laisse tomber. Ne fais pas attention à ce que je viens de dire… je… »
« Tu me demandes si j'ai envie de fonder une famille avec toi ? »
Aussi étonné et troublé qu'Ambre, Hermès s'était relevé sur ses coudes et regardait Ambre, qui, horriblement gênée, s'obstinait à regarder le plafond. Ce n'était pas que l'idée le rebutait, bien au contraire ! Ces derniers jours, il s'était même laissé aller à en rêver. Une vie de famille sur l'Olympe, avec Ambre et une petite tribu de têtes blondes et farceuse un parfait mix entre sa bien-aimée et lui. Mais jamais il n'avait osé en parler à la jeune femme. Parce que cela impliquait beaucoup de choses. Beaucoup de sacrifices et beaucoup d'épreuves à traverser. Et puis, peut-être ne voulait-elle tout simplement pas d'enfants…
« Ambre ?…Mon ange ? »
Immobile, la jeune femme respirait de façon saccadée, les larmes aux yeux. Mais bons dieux, quelle débile elle était ! Ce n'était pas parce qu'elle avait en ce moment-même une envie de bébés – tout ça à cause de son stage à la maternité de Phoenix – et qu'elle espérait secrètement que sa relation avec Hermès durerait éternellement qu'il fallait que son cerveau et sa langue la trahissent ainsi ! Non mais vraiment ! Pourquoi ? Pourquoi maintenant ? Ils passaient une si belle journée…
« Ambre, mon amour, respire, s'il te plaît. »
Inquiet par la blancheur du visage de la jeune femme et par les larmes qui coulaient le long de ses joues, Hermès s'était assis et entreprit de prendre Ambre dans ses bras. La demi-déesse pensa résister avant de se laisser faire. Elle enfouit son visage dans le cou d'Hermès et murmura un faible « désolée. »
« Pourquoi ?, réagit aussitôt le dieu. Je partage la même envie, tu sais ? »
Son ton était tellement doux, prévenant et sincère qu'Ambre s'éloigna de lui pour le regarder dans les yeux.
« C'est vrai ? »
« Bien sûr que oui. Même si le destin d'héros est parfois compliqué et tragique… avoir un ou plusieurs enfants avec toi fait partie des rêves que je chéris le plus. »
Ambre le regarda quelques instants en silence avant de sourire timidement. Hermès lui rendit son sourire avant de lui embrasser le front. Puis la joue. Et le nez. Cela fit rire Ambre, ce qui soulagea Hermès. Le dieu colla son front au sien avant de murmurer, un sourire en coin sur le visage :
« Est-ce qu'il faut que je recommence ce que j'ai fait ce matin pour te prouver que tu es la femme de ma vie ? »
Pour toute réponse, Ambre rougit violemment avant de lui lancer un coussin au visage.
Hermès éclata de rire avant de prendre sa revanche.
Μµµµµ
Hermès s'occupait de ses cactus lorsqu'il avait reçu un message de Lisa depuis le portable d'Ambre : « Ambre est en salle d'accouchement. Vous avez intérêt à ne pas les laisser tomber. »
Le message n'était pas signé mais le dieu savait très bien que la fille d'Aphrodite était à l'origine de ce SMS : le ton utilisé reflétait très bien l'animosité que la jeune femme ressentait à son encontre. Une animosité qui, malgré les nombreuses tentatives d'Ambre, était ô combien réciproque.
D'ordinaire, Hermès n'aimait pas réellement que les demi-dieux lui manquent de respect. Mais tout ce qui l'avait intéressé, c'était le début du message. Ambre est en salle d'accouchement.
En salle d'accouchement.
Accouchement.
Leur fils était en train de naître.
Alors, ni une, ni deux, Hermès avait balancé l'arrosoir à l'autre bout de la pièce, mis en veille son ordinateur et était sorti en courant de son bureau, criant à ses employés qu'il avait « UNE URGENCE » et qu'il serait de retour dès « QUE POSSIBLE », rejetant dans la foulée un appel de Déméter : la déesse pouvait sûrement attendre son engrais encore quelques jours. Son fils, lui, semblait plutôt pressé de naître.
Sachant pertinemment qu'il risquait de tomber dans les bouchons s'il prenait sa camionnette, le dieu avait opté pour un moyen beaucoup plus rapide, préférant se téléporter aux portes même de la maternité. Il avait ensuite sprinté jusqu'aux salles d'accouchement et été passé d'infirmière en infirmière jusqu'à ce que l'une d'entre elles lui indique enfin dans quelle pièce se trouvait la future maman.
C'était donc passablement essoufflé et préoccupé qu'il avait retrouvé Ambre, alors que la jeune femme essayait tant bien que mal de gérer les premières contractions.
La suite n'avait été que des heures d'attente et de stress assez conséquent. Malgré la péridurale, le messager pouvait sentir qu'Ambre souffrait et cela l'inquiétait. Il avait envie de la soulager, de prendre sa place. Mais en même temps, il ressentait une certaine excitation : cela faisait des mois qu'il attendait ce jour et finalement, celui-ci était arrivé. Ce fut avec ce mélange d'émotions qu'il glissa sa main dans celle d'Ambre et lui murmura des paroles d'encouragement, de soutien et de réconfort. Il eut envie de prononcer une bénédiction mais se retint de justesse : si cela venait aux oreilles de Zeus et des Parques, Chronos seul savait ce que ces derniers seraient capables de faire à Ambre et à leur fils. À sa famille. Alors il soutint sa bien-aimée comme il le put, tout du long, priant intérieurement pour que tout se passe bien. Et que les deux sortent de cette épreuve en bonne santé.
Il fallut à peu près quatre heures avant que des cris perçants ne déchirent l'air et le silence de la pièce. Les larmes aux yeux, Hermès regarda la sage-femme déposer le nouveau-né contre la poitrine d'Ambre. Celle-ci, des larmes de joie coulant le long de ses joues, serra leur fils entre ses bras tout en faisant signe à Hermès d'approcher.
Le dieu s'exécuta aussitôt, embrassant le front d'Ambre avant de finalement laisser couler les larmes lorsqu'il caressa doucement le crâne du nouveau-né. Si petit, si fragile, mais déjà si important dans leur existence. Le cœur d'Hermès implosa de bonheur comme il l'avait rarement fait et le dieu ne put s'empêcher de l'imaginer grandir à ses côtés.
« Bienvenue, Noah. », murmura-t-il, ému.
Pour toute réponse, le nouveau-né laissa échapper un bâillement avant de serrer ses petits poings. Ambre et Hermès se regardèrent, plus heureux que jamais.
