Titanium
"You shoot me down, but I get up.
I'm bulletproof, nothing to loose.
You shoot me down, but I won't fall.
I am titanium."(1)
- David Guetta ft. Sia "Titanium" (2011) ;
Version conseillée pour la lecture : Madilyn Bailey.
Pour Michelangelo, ses frères étaient les plus forts, les plus vaillants guerriers qu'il n'ait jamais connu. Même les samouraïs des contes de Maître Splinter faisaient pâle figure à côté d'eux, pas même les super-héros ne leur arrivaient à la cheville. En leur compagnie, il se sentait invincible. Leur simple présence décuplait ses forces. Sentir leurs souffles contre sa peau, leurs mouvements dans son dos, les voir se dépasser et évoluer, c'est ce qui le rendait le plus fier. Peu importe la gravité de la situation, leur présence embrassait son corps et lui faisait sentir qu'il était à l'abri de toute tempête et, plus que tout, qu'il était capable lui aussi d'éveiller ses sens, de bander ses muscles à se les déchirer, de combiner des mouvements complexes pour les rendre imprévisibles et inévitables.
Au-delà de tout cela, un phénomène le fascinait. Une sorte d'aura qui émanait de son frère en des occasions bien précises. Une lueur dans le regard de Raphael qui indiquait que le combat n'était jamais réellement achevé à moins qu'il ne le décide et personne d'autre. Lorsque la bataille se prolongeait, qu'une foule d'ennemis affluait, que l'issue était écrite d'avance, il était toujours le premier à se relever, fermement jonché devant sa famille, ses armes plantées dans ses poings verrouillés. Dans ces moments, ses muscles décuplaient, sa carrure s'élargissait, ses jambes s'écartaient et son point d'équilibre se rapprochait du sol, prêt à bondir à la moindre menace. Il y avait quelque chose dans sa posture qui rappelait un bouclier. Lorsque, plaqué au sol, les membres de Mikey ne répondaient plus, cette ombre s'élevait toujours au-dessus de lui. Leurs ennemis, perplexes, hésitaient entre se moquer de l'audace de ce mutant prétentieux ou poser le pied en arrière. Cette seconde de flottement permettait au reste de la fratrie de se relever, un regain de confiance s'immisçant dans leurs esprits et la riposte était alors lancée en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Il était le premier à s'avancer dans la bataille et le dernier à la quitter, elle vivait en lui à chaque instant, c'est elle qui l'animait. Ce feu ne demandait qu'à être déployé, comme des flammes trop longtemps contenues dans un brasier. Il vivait pour se battre et se battait pour les protéger, c'était sa manière de leur montrer de l'affection, lorsque les mots n'étaient pas suffisants. Parfois, des mots, il en manquait, comme cette nuit où Slash avait tenté de les séparer.
Le benjamin passa alors la majeure partie de la soirée couché sur la plaque d'aération du toit d'un immeuble, pendant que Donatello, le bras cassé, prenait soin de Léo, assommé par le coup de poing de cet ennemi redoutable dont la paume de la main faisait la taille de leur plastron. Tentant de recouvrer ses esprits, il pouvait entendre au loin la lutte fratricide s'éterniser. Des larmes de frustration emplissaient ses grands yeux bleus tant il lui était impossible de voler au secours de son grand frère qu'il entendait se faire broyer, tantôt par un coup de pied dans l'estomac, tantôt par le mur de briques qu'il traversait. Les coups pleuvaient, les ombres tombaient puis se relevaient dans un ballet macabre, mais Raphael ne pliait jamais. Parce que les mots, il ne savait les trouver. Le seul langage qu'ils pouvaient encore exprimer à ce stade était celui des poings, des regrets et des larmes.
Tournant la tête, Michelangelo vit son frère se lever tant bien que mal et une fois de plus, la main sur son épaule ensanglantée et le bras ballant. Il se rappelait voir ses jambes lutter sous son poids, l'échine courbée, le menton rabattu. Puis levant soudain le regard, l'œil ivre de rage, les muscles de son cou tellement tendus qu'ils auraient pu se rompre. Slash venait de commettre son ultime erreur en se ventant d'avoir vaincu sa famille, pointant du doigt les masques orange et violet volés noués à son biceps. Cette force dans son esprit était plus forte que tout, même dans ce corps brisé. Elle guidait ses mouvements, s'imprégnant de ses muscles comme un liquide, enivrant ses sens, l'aveuglant par la colère nécessaire à cette effusion de force et de chaleur. Cette nuit il parut à Mikey que Raph apprit pour la première fois à s'en servir de cette manière, comme d'une arme surpuissante face à laquelle rien ni personne ne pouvait résister, dans le but ultime de préserver les siens. Cet irrépressible objectif décuplait son ardeur sans pour autant ébranler son esprit. Finalement, c'est avec un rictus qu'il accompagna son compagnon vers l'échec et l'amertume éternels. Vers les trottoirs poisseux de New-York, vingt étages en contrebas, aussi.
Sous la pluie qui s'abattait, Mikey vit son frère s'apaiser, le nez pointant vers le ciel, haletant. Son voyage vers la réalité prit un instant avant que son corps ne soit pris d'un spasme. Il rangea alors le saï de sa main valide puis se mit à chercher après sa famille, balayant son regard électrique sur l'étendue de toits qu'offrait l'horizon urbain. La tortue aux taches de rousseur sourit faiblement lorsque ses yeux rencontrèrent les pupilles néon si particulières qui semblaient apeurées et inquiètes puis qui l'invitèrent à se relever, lui tendant son bandeau orange. Atteignant le Repère, le duo se sépara et sans attendre Raph repartit chercher le reste du groupe resté sur le champ de bataille. Il n'avait pas laissé au benjamin l'occasion de s'exprimer sur la route, rappelant sans cesse à quel point il était désolé de les avoir embarqués dans cette situation si dangereuse.
Raphael revint bien plus tard lorsque Splinter posait un bandage sur le plastron de Michelangelo. Son bras gauche pendant lamentablement, il portait sur sa carapace Leonardo qui ne s'était pas réveillé suivi de quelques mètres par Donatello, s'appuyant sur son bō pour avancer. Il déposa délicatement le leader dans le salon et recula de quelques pas, la main sur son épaule blessée, pour admirer le spectacle désolant d'une lutte qui avait été perdue et qui n'aurait jamais dû être engagée. Mikey tentait d'appeler son frère dont la culpabilité s'emparait, les yeux emplis de larmes, lorsque son dos se heurta à leur senseï. Tournant lentement la tête, Raphael sursauta au contact glacé de la paume de son maître sur sa carrure et écouta attentivement les quelques mots doux qui sortirent de sa bouche. Les muscles contractés, les lèvres pincées, son regard se voila lorsque Splinter rejoignit Donatello, affairé à rafraîchir Léo.
Pour Michelangelo, ses frères étaient les plus forts, les plus vaillants guerriers qu'il n'ait jamais connu. Raphael était peut-être même le plus formidable d'entre eux lorsqu'il s'agissait de résister et d'encaisser. Cette nuit où son frère perdit un compagnon cher à son cœur pour protéger les siens, Mikey ne pensa pas une seule seconde le contraire lorsque Raph se laissa glisser contre le mur, la main sur son épaule en sang, le bras inerte. Le sentiment de fierté qu'il exprimait à son égard ne fut pas ébranlé lorsque la cloison émotionnelle de son frère flancha et que toute la tension présente dans sa chair céda. Au sol, appuyé contre la paroi défraîchie de leur Repère, ses larmes que plus rien ne retenait coulaient à n'en plus finir, les yeux levés vers les trottoirs sans pitié du monde d'en-haut. Pâle, il finit par perdre connaissance la tête déposée contre le mur, exténué. De là où Mikey était, il pouvait entendre sa respiration s'apaiser jusqu'à se fondre dans l'atmosphère. Demain, se dit le benjamin, une nouvelle bataille éclatera. Ils feront la rencontre de nouveaux ennemis, plus terribles les uns que les autres. Mais, qu'importe ! Il sera toujours épaulé par ses frères, de véritables remparts et, encore, une ombre se relèvera la première comme un bouclier de titane pour les protéger.
(1) Traduction : "Tu m'as tiré dessus mais je me suis relevé. J'ai une armure blindée, (je n'ai) rien à perdre. Tu m'as tiré dessus mais je ne m'écroulerai pas. Je suis en titane."
