(Chapitre 1)

Trois semaines plus tard. Mardi 14h.

Emma n'en menait pas large en sortant de l'ascenseur. Ce n'était pas son horaire habituel et l'ambiance dans le service semblait diffèrent, plus agité, avec plus de passage, mais aujourd'hui elle avait un premier rendez-vous avec son nouveau psy pour une première rencontre, et une secrétaire lui avait donné un jour et un horaire sans qu'elle ne puisse rien y redire. Elle avança dans le couloir en trainant des pieds, à la limite de faire demi-tour. Ella passa devant le cabinet du Dr Hopper, avec l'envie irrésistible d'y entrer mais elle savait désormais qu'il n'était plus là, qu'il avait peut-être même déjà vider son bureau, et l'idée de ce cabinet vide lui retourna l'estomac alors elle se força à avancer jusqu'au fond du couloir.

Immobile devant une porte qu'elle n'avait jamais franchie, elle se sentait tétanisée, elle se sentait redevenir la petite fille qu'elle était lors de son tout premier rendez-vous avec le Dr Hopper, la toute première fois. Ce jour où les éducateurs des Services Sociaux l'avait laissé là pour qu'elle parle de ce qu'elle avait subi mais où, bien sûr, elle n'avait pas dit un traitre mot. Elle se sentit fébrile et fragile. Elle se sentit régresser malgré elle.

Elle leva les yeux sur la porte où était cloué un petit panneau avec l'inscription « R. MILLS. M.D » tout comme il était inscrit « A. HOPPER M.D » sur la porte qu'elle avait eu l'habitude de franchir pendant 18ans. Elle prit une profonde inspiration, et puis en se faisant violence, elle frappa à la porte.

« Entrez. » Entendit-elle de façon très audible.

Emma passa la porte et balaya la pièce du regard. A l'instar du bureau du Dr Hopper, rustique et en désordre constant, celui-ci était impeccablement rangé, harmonieux, avec une décoration sobre et élégante. Mais hormis ce nouveau style, qu'on pourrait prendre pour moins conviviale au premier abord mais qui en fait était tout à fait chaleureux, ce qui frappa Emma, c'était le praticien derrière son bureau qui leva les yeux vers elle, en baissant ses lunettes sur le bout de son nez.

« Bonjour Mademoiselle Swan. Je suis le Docteur Regina Mills. » Dit-elle en se levant de son fauteuil pour venir l'accueillir.

Le Dr Mills avança vers elle dans un tailleur parfaitement ajusté. Elle lui tendit une main et de l'autre, elle retira ses lunettes et le geste paru se passer au ralenti pour Emma car elle était tout bonnement subjuguée. La petite fille traumatisée qu'elle avait cru redevenir devant la porte il y a une minute à peine, n'était plus là. Non, c'était bien Emma, la femme adulte et pleinement assumée qui se trouvait là et qui dévisageait son nouveau psychanalyste. Enfin sa nouvelle psychanalyste.

Cette femme qui lui tendait la main, était tout simplement splendide. Crinière noire, yeux noisette légèrement souligné de noir, le teint halé, mâchoire divinement sculptée et des lèvres d'un rose sombre unique et parfaitement dessinées avec une petite cicatrice sur la lèvre supérieure qui lui donnait du « chien » en plus d'un charme assurément naturel. Et une voix, qui fit frissonner Emma jusque dans sa chair et ses os.

« Bonjour » Murmura Emma.

Elle serra sa main sans y mettre sa poigne habituelle, le poigne qu'elle mettait toujours pour qu'on comprenne qu'il y avait une dure à cuir sous son visage d'ange. Emma semblait avoir perdu la notion du temps et de l'espace pendant un bref instant, elle eut même l'impression que son corps ne lui répondait plus. Le Dr Mills l'invita à prendre place dans un énorme canapé en tissu capitonné beige, étonnement confortable. Celui du Dr Hopper paru soudain trop mou et déformé par les années aux yeux d'Emma, mais elle l'avait côtoyé pendant 18 ans ce canapé alors elle avait presque l'impression de lui être infidèle. Le Dr Mills, elle, prit place juste en face dans un fauteuil assortit.

« Nous allons commencer tout en douceur, dans un premier temps… dites-moi comment vous vous sentez vis-à-vis de cette première rencontre ? » Demanda le Dr Mills, penchée en avant, les coudes sur les genoux et les mains jointes.

Emma leva simplement les épaules, sans répondre, avec un air faussement désabusé.

« Bien Mademoiselle Swan, je… je tiens d'abords à vous faire savoir que je comprends parfaitement votre résistance à mon égard. Changer de psychothérapeute après tant d'années de soins et de suivit avec mon confrère est quelque chose de particulier et j'en convient. Autrement dit, nous irons à votre rythme. Je prends le relais du Dr Hopper, soit, mais je ne peux pas reprendre exactement là où il en était avec vous, car vous aviez tissé avec lui, une relation de confiance, une relation unique que je ne peux pas imiter. Il va donc falloir, nous aussi, établir une nouvelle relation qui vous permettra de continuer sur la voie dans laquelle vous étiez engagé. Et c'est tout à fait faisable car d'après son dernier rapport sur vous, vous êtes réellement sur la bonne voie aujourd'hui et je tiens à ce que cela continue. »

Emma resta scotchée par cette introduction. C'était loin de ce à quoi elle s'attendait. Elle s'était conditionnée à faire face à un psy à la noix bafouillant des évidences inutiles sur son cas, et s'était mis en tête de bouder sans dire un seul mot de toute la séance. Mais le Dr Mills était bien différent de ce à quoi elle s'était préparée. Et en premier lieu c'était une femme, une femme beaucoup trop canon à ses yeux pour pouvoir se concentrer correctement. C'est pourquoi elle mit du temps à se reprendre et à assimiler ses paroles, puis elle changea son fusil d'épaule et n'opta plus pour le mutisme borné. Elle osa enfin répliquer après un long moment de silence que le Dr Mills laissa planer intelligemment pour ne surtout pas brusquer sa nouvelle patiente.

« Le Dr Hopper vous a parlez de moi ? » Demanda Emma presque timidement sans se reconnaitre dans le ton de sa voix.

« Oui, un peu. Et j'ai récupéré votre dossier. » Dit-elle avec un petit signe de la main en désignant le carton sur son bureau d'où dépassait un dossier plus que volumineux qui fit grimacer la patiente.

« Vous l'avez lu ? »

« Pas encore. Juste les grandes lignes … je ne sais que ce que m'a dit mon confrère sur vous quand il m'a demandé de vous prendre en charge. »

« Et il a dit quoi ? » Osa demander Emma, méfiante.

« Eh bien, je ne devrais pas vous le répéter mais… il m'a confié qu'il vous suivait depuis vos 10 ans, qu'il tient à vous plus qu'à aucun autre de ses patients et que j'avais intérêt à bien prendre soin de vous. »

Emma s'étonna et ne put faire autrement que de sourire et le Dr Mills en fut, semble-t-il, satisfaite, car elle esquissa un infime rictus qui ressemblait à un début de sourire.

« En réalité, Mademoiselle Swan, j'aimerai que vous me parliez de vous avant d'étudier votre dossier et de me faire une idée de ce par quoi vous êtes passé et ce contre quoi vous vous battez encore. »

« Ce n'est pas comme ça que les autres psys, qui remplaçaient parfois le Dr Hopper pendant ses vacances, fonctionnaient. »

« Eh bien il faut croire que je ne suis pas comme les autres. »

Emma se radoucit en pensant « ça je confirme vous n'êtes pas comme les autres », et étonnement elle appréciait la façon dont sa nouvelle psy l'abordait.

« Nous irons à votre rythme, je vous l'ai dit, vous me confirez ce que vous voulez, quand vous le voudrez. Et nous avancerons lentement pour que vous puissiez un jour avoir confiance en moi comme vous avez eu confiance en mon confrère. »

Emma était conquise, mais elle ne voulut pas le montrer d'emblée alors elle resta le plus stoïque possible. Il était hors de question pour elle de se laisser allez, elle avait une réputation à tenir après tout : celle de la pire patiente qui soit. Et puis de toute façon, elle savait déjà que repasser par la case « déballage du passé » allait être très dur à revivre.

« C'est vrai que vous avez été son élève ? » Demanda effrontément Emma.

« Hm… Oui, effectivement. Le Dr Hopper a été mon mentor pendant mes premières années d'internat. »

« Vous étiez sa meilleure élève parait-il ! »

« Non, il n'a pas pu vous dire cela, Mademoiselle Swan. » Ricana le Dr Mills.

« Ok, il ne l'a pas dit mais au ton de sa voix, c'était tout comme. Et puis s'il vous a confiez mon dossier c'est que vous devez êtes douée parce que j'suis pas un cas facile. »

« En tout cas, ce que je vois au premier abord, c'est qu'il a dû faire du bon boulot avec vous. Vous m'avez l'air d'être une jeune femme lucide, intelligente et perspicace. »

« Vous avez oublié maniaco-dépressive, souffrant de troubles de l'humeur, de perte de contrôle et de troubles post-traumatiques avec une tendance à l'autodestruction ! »

« Hm je vois… Toutefois, vous en êtes consciente donc c'est que ce que je dis, vous êtes lucide. Et c'est un grand pas vers la guérison. »

« La guérison ? Hopper n'a jamais parlé de guérison pour moi. Je vais me trimbaler mes névroses toute ma chienne de vie, je le sais bien. »

« Pas forcement. » Murmura le Dr Mills.

Sans vouloir donner de faux espoirs à sa patiente, elle voulait simplement la voir dans une optique moins sombre et moins résignée, même si au vu des grandes lignes qu'elle avait lu dans son dossier, elle avait compris que le cas Swan était complexe.

« Pour aujourd'hui, ce sera tout, Mademoiselle Swan. Je tenais surtout à me présenter, faire connaissance avec vous et vous expliquer ma vision des choses. Le reste sera entre vos mains pour la prochaine séance. Est-ce que cela vous va ? »

« Je n'ai pas trop le choix de toute façon, si ? »

« Si, vous l'avez. Vous pouvez toujours chercher un autre psychanalyste dans l'annuaire mais… vous y perdrez au change, croyez-moi. » Dit-elle avec un micro sourire ravissant.

Emma lâcha un petit rire et faillit répondre « Je ne vous le fait pas dire, les autres doivent être bedonnants et chauves ! » mais elle se ravisa. Ok, cette femme avait réussi là où beaucoup aurait échoué. Elle avait quelque chose d'inédit, quelque chose d'irrésistible malgré cet air sévère voir même un peu froid alors que ses mots étaient doux et Emma savait déjà qu'elle reviendrait la semaine prochaine sans faire de caprice.

« Pour nos séances, vous voulez conserver l'horaire que vous aviez avec le Dr Hopper ? » Demanda la praticienne en se levant.

Emma sembla réfléchir quelques secondes, mais effectivement elle ne se sentait pas capable de changer cette habitude, bien trop conditionnée à venir dans ce service, à cet horaires précis, chaque semaine. C'était pour elle nécessaire et vitale de pouvoir être là, même après tant d'années, elle ne savait pas faire autrement. Pendant les 10 premières années, elle était venu fois par semaine et durant les 8 ans qui ont suivis, elle ne venait plus qu'une seule fois, elle avait grandi et avait fait des progrès mais elle ne pouvait pas briser cette constante. Toute sa vie était rythmée par cette séance hebdomadaire et rien que le changement pour la rencontre d'aujourd'hui avait été compliqué à vivre.

« Si c'est possible, j'aimerai bien oui. C'était le vendredi à 18h. »

« C'est possible, je vais m'arranger. » Répondit le Dr Mills en consultant son planning et en griffonnant sur son agenda.

« Merci. » Murmura Emma.

« C'est normal, je ne veux pas tout bouleverser dans vos habitudes de thérapie. »

Emma souri gentiment.

« Je vous dis à vendredi prochain alors ? » Demanda la psychanalyste comme pour s'assurer qu'elle avait bien le consentement de sa patiente pour poursuivre ses séances avec elle.

« Oui. » Souffla Emma.

« Parfait, prenez soin de vous en attendant. »

Emma souri encore, sans le vouloir. Elle qui maitrisait parfaitement les mimiques de son visage en temps normal, n'avait là, plus aucun contrôle. Elle sorti du cabinet et ferma la porte derrière elle en lâchant un énorme soupire, comme si elle avait retenu sa respiration depuis qu'elle avait franchi la porte et croisé le regard de cette femme.

« Merde, elle est beaucoup trop canon… comment je vais supporter ça, moi ? » Murmura-t-elle.

Elle secoua la tête et repartie un peu chamboulée par ce premier contact mais pas comme elle l'avait imaginé avant d'arriver.

Vendredi. 18H. Cabinet du Dr Mills. (1ère séance.)

Emma toqua à la porte, fébrile et impatiente à la fois, ne se reconnaissant pas dans cette attitude. Le Dr Mills ouvrit la porte et la laissa passer. Emma passa si près d'elle que le parfum de sa psy l'entoura sans qu'elle ne puisse rien faire, et en une fraction de seconde son cœur se figea. Elle ne sentait pas l'encens au bois de cèdre comme le Dr Hopper et elle dû se maitriser pour ne pas gémir tant cette odeur l'a fit chavirer. Ça commençait mal.

Elle releva la tête sur la pièce qui était plus sombre que la première fois. La lumière du jour qui filtrait par une grande baie vitrée était tamisée par de grands rideaux marron clair et le cabinet était plongé dans une semi obscurité qui lui conférait des airs de cocon apaisant et réconfortant, sans doute une stratégie pour mettre plus à l'aise les traumatisés de la vie comme l'était Emma, ou bien simplement la volonté d'atténuer les rayons du soleil qui baissait à cette heure-là et frappait la fenêtre de plein fouet.

D'un geste de la main, le Dr Mills pria Emma de s'installer dans le canapé beige et prit place en face d'elle. Emma parcouru la pièce du regard pour la détailler plus précisement, chose qu'elle n'avait pas vraiment fait la première fois, se contentant de fixer sa nouvelle psy ou bien de fixer ses mains ou ses chaussures. Un simple rayon lumineux passant entre les pans des épais rideaux, laissait planer une lueur subtile et gracieuse, et l'harmonie de la pièce en ressortait d'autant plus. Derrière l'immense bureau moderne en acajou, trônait une bibliothèque prenant toute la longueur du mur. Se composant de placards en bas et plus haut des étagères remplie d'un tas de livres avec de belles reliures et quelque objet de collection, comme un joli vase, une statuette de la réplique du Penseur de Rodin, un large cendrier en obsidienne ou encore quelques cadres avec des photos d'architecture ancienne de la ville de Boston et des pages manuscrites mise à l'abri sous verre et semblant dater d'un autre âge.

Il y avait aussi dans la pièce, une petite table basse avec un joli étui à mouchoir en papier, plus loin quelques pots avec de grandes plantes vertes puis sur le mur opposé, derrière le canapé, une longue console de rangement du même bois que le bureau où Emma supposa que les dossiers des patients étaient enfermés et sur laquelle était posé une bouilloire et un service à thé ainsi qu'une petite chaine hifi. Les murs étaient peints en beige et violine, des tons doux, contrastant un tantinet avec le brut des meubles en acajou foncé mais le tout avait un rendu étonnement sophistiqué et reflétait juste le bon gout. Sur un des murs était accroché un immense tableau, format paysage tout en longueur, représentant la vue d'une forêt de pins, apaisant, les couleurs s'alliant parfaitement avec l'ambiance de la pièce et dos au canapé, était accroché les diplômes du Dr Mills, étrangement pas mis en évidence comme le font la plupart des médecins.

Ce cabinet avait de l'élégance et de toute évidence celui qui l'avait décoré avait beaucoup de goût et ça changeait fortement Emma, qui était habituée au désordre constant sur le bureau du Dr Hopper, à ses piles de dossiers entassés au pied du son fauteuil, à ses post-it éparpillés partout, à ses ramequins d'encens qui débordaient et ses livres rangés maladroitement dans une bibliothèque trop petite.

« Bonjour Mademoiselle Swan. » Finit par dire le Dr Mills qui lui avait laissé quelques minutes, la voyant toute absorbée à détailler son cabinet.

« Hm, hm… oui Bonjour Docteur. » Répondit Emma en sortant de sa contemplation.

« Comment allez-vous, aujourd'hui ? »

« Plutôt bien. Merci. »

« Avez-vous des questions à me poser suite à notre premier entretien ? »

« Euh… non, j'crois pas. »

« N'hésitez pas surtout. Je suis là pour vous, pour vous écouter et vous accompagner. »

Emma hocha seulement la tête pour acquiescer, puis elle fit craquer sa nuque en passant sa main dessus.

« Nerveuse ? » Demanda le Dr Mills.

« Non, juste coincée. J'ai dû faire un faux mouvement ce matin au sport. »

« Vous faites du sport ? »

« Oui. Selon Hopper, le sport pouvait être un bon moyen de me canaliser et il avait raison. »

« Vous pratiquez quoi ? »

« Je cours beaucoup, et puis les trucs classiques, étirements, gainage, cardio, muscu, méthode Pilates. »

« C'est très sain. » Encouragea le Docteur, en le notant discrètement dans le carnet en cuir qu'elle tenait sur ses genoux.

Emma fixa la main qui écrivait dans ce carnet et elle reprit conscience que c'était sa psychothérapeute en face d'elle et qu'il fallait qu'elle arrête de légèrement fantasmer sur cette femme, mais de tout évidence, elle était bien trop magnifique à son goût pour qu'elle puisse rester indifférente. Elle soupira doucement, en se maudissant d'avance. Ça n'allait pas être facile ses nouvelles séances.

« Alors on commence par quoi ? » Demanda Emma pour se sortir ses idées de la tête.

« Je vous l'ai dit, nous commencerons par ce que vous voulez bien me confier. Et je ne vous pousse à rien, vous pouvez prendre le temps qu'il vous faudra, vous pouvez me parlez de ce que vous voulez, dans l'ordre que vous voulez. »

« Je ne suis pas obligé de déballer le gros du problème d'entrée de jeu, de ressortir les souvenirs dégueulasses que je me traine de but en blanc ? «

« Non, absolument pas. »

Emma expira lourdement, comme rassurée et s'enfonça un peu plus confortablement dans le canapé. Elle n'était pas prête pour tout déballer. Elle n'était pas prête à se replonger dans ce contre quoi son subconscient se battait au quotidien depuis si longtemps. Elle savait qu'elle allait devoir le faire mais pas maintenant, pas comme ça. Alors elle chercha par quoi commencer, elle chercha quoi lui confier pour bien commencer cette nouvelle collaboration. Mais avant ça, elle devait faire diversion.

« C'est vous qui avez décoré ce bureau ? »

Le Dr Mills tiqua à cette question mais elle la laissa faire, sentant bien qu'elle avait besoin d'en passer par un dérivatif pour commencer à lui parler. D'ailleurs, elle ne s'attendait pas à ce que sa patiente lui parle dès les premières séances, aux vues des grandes lignes qu'elle avait lu de son dossier, elle s'attendait à ce que le travail soit long et compliqué. Alors, elle allait la laisser lui parler de ce qu'elle voulait en attendant et même à ne rien dire du tout pendant une heure si c'était nécessaire.

« Oui c'est moi, pourquoi ? »

« Hm… c'est très élégant… ça vous ressemble. »

« Oh, merci. » Répondit Regina Mills en se sentant rougir malgré elle, mais en le cachant étonnement bien.

« Le cabinet du Docteur Hopper n'était pas comme ça ! » Lança Emma.

« Oui je sais. » Ricana le Dr Mills.

« Je crois que je n'ai rien contre vous mais… il me manque. » Se confia Emma, sans se rendre compte que c'était un premier pas que le Dr Mills allait noter.

« C'est tout à fait normal Mademoiselle Swan. Il a été votre médecin pendant 20 ans… »

« 18 »

« Oui, pardonnez-moi, 18 ans… »

« Ce n'est rien. »

Le regard d'Emma se voilas, soudain elle ne semblait plus être là et le Dr Mills compris qu'elle la perdait. Emma était figée, le regard dans le vide, la respiration lente, et plus aucune expression n'animait son doux visage. Regina ne devait pas la brusquer, cela faisait partie de ses troubles et elle savait que ça pouvait arriver à tout moment dès lors qu'on abordait un sujet sensible, et pour le moment, le changement et l'absence de son ancien thérapeute était compliqué à vivre. Regina nota quelques mots dans son carnet, puis elle patienta, en portant sur sa patiente un regard doux et attentionné.

Elle repensa aux grandes lignes, au résumé, qui trônait en première page de son lourd dossier médical :

Emma Swan, né le 22 octobre 1983 à Boston et pupille de la Nation dès sa naissance. A connu plusieurs foyers et plusieurs familles d'accueil. Retrouvée par la police une nuit d'hiver à l'âge de 10 ans, couverte de sang, d'ecchymoses et de plaies ouvertes (ainsi que des marques et cicatrices antérieures visibles). Au domicile de sa famille d'accueil fut retrouvé deux corps sans vie (qui amène à l'ouverture d'une enquête). Elle fut confiée à une section spécialisée des Services Sociaux et au Dr Hopper qui la prit en charge quelques jours après les événements à la demande du Juge pour Mineurs. Mutisme, traumatisme mental et physique, mauvais traitements avérés, comportement violent et reflexe de défense exacerbé sont à noter.

Rien que cela, Regina en avait des hauts le cœur et il allait falloir qu'elle creuse encore. Il allait falloir qu'elle se plonge dans les détails de la vie de cette pauvre enfant que rien n'avait épargné. Elle ne voulait pas lui faire revivre ça, elle ne voulait pas la replonger dans des souvenirs affreux mais il faudrait qu'elle puisse lui en dire un minimum, qu'elle se confie de nouveau pour qu'entre elles, s'installe une relation viable afin de pouvoir continuer sa thérapie et continuer de vivre au mieux sa vie d'aujourd'hui avec ses traumatismes d'entant.

Elle était la meilleure dans son domaine, même son mentor, le Dr Hopper le reconnaissait, Regina Mills était une pointure en matière d'expertise psychiatrique et elle avait eu des dossiers complexes dans sa carrière, des psychotiques violents, des suicidaires, des schizophrènes, des bipolaires, beaucoup de criminels dont des détenus de la prison d'Etat avec laquelle elle travaillait souvent. Oui, elle avait vu et entendu beaucoup de choses horribles dans son métier, elle avait pris en charge de nombreux patients et elle avait toujours été irréprochable et exemplaire. Le Dr Regina Mills était la fierté du Dr Hopper qui lui avait appris les bases lors de son internat et qui l'avait vu évoluer parmi ses Pères d'une façon tout à fait remarquable. C'est pourquoi c'était à elle, et à personne d'autres, qu'il avait confié le cas Emma Swan. Mais les violences sur enfant était une chose qui lui donnait toujours beaucoup de mal, qui lui donnait envie de se révolter plutôt que de garder son calme pour faire correctement son travail.

Regina laissa Emma tranquille tout le reste de la séance, sans la sortir de son mutisme involontaire. Ce n'était pas la laissé régresser, c'était seulement la laisser se faire à cette nouvelle idée que les choses avaient changer. Emma pensait au Dr Hopper, à tout ce qu'il lui avait apporté, à tout ce qu'il avait fait, à sa patience, à son dévouement, à toutes ses subtiles méthodes pour la faire sortir de son cauchemar éveillé. Le Dr Hopper lui avait sauvé la vie et elle avait encore besoin de temps pour se passer de lui et passer le relais à un autre.

« Sans lui, j'aurais sombré. » Murmura finalement Emma au bout de 45 minutes sans un mot.

« Je sais. » Répondit très doucement le Dr Mills en refermant son carnet.

« La séance est finie, n'est-ce pas ? »

« Oui. »

Emma regarda sa montre et se rendit compte que l'heure était même dépassée. La lueur qui passait à travers les rideaux n'était plus celle du jour mais celle du crépuscule et il faisait pratiquement noir dans le cabinet du médecin qui n'avait pas bougé, même pas pour allumer une lampe.

« Pourquoi vous ne m'avez pas prévenue ? »

« Vous aviez besoin de temps, tout simplement. »

« Mais, et vos patients… »

« Vous êtes ma dernière patiente de la journée alors ce n'est pas grave. »

Emma resta interdite. Voilà que ça recommençait, un mutisme incontrôlé et à durée indéterminé. Elle n'aimait pas ça mais elle remercia le Dr Mills d'un regard ému pour ne pas l'avoir brusqué. Elle commençait à réellement croire que cette nouvelle praticienne serait bien pour elle, en tout cas, pour l'instant, elle faisait exactement ce qu'il fallait.

« Ça va aller ? » Demanda Regina d'une voix extrêmement douce.

« Oui. » Souffla Emma

« Alors à vendredi prochain, Mademoiselle Swan. »

« A vendredi. »

Emma se leva, elle posa un dernier regard plein de gratitude sur son médecin et quitta la pièce.

Emma rentra chez elle, un peu comme un automate, ses pas la guidant malgré elle, elle connaissait bien cet état, elle pouvait être en pilote automatique tout en étant totalement ailleurs. Une fois la porte de son appartement passé, Emma s'écroula au sol. Assise le dos à la porte, elle resta là, une bonne partie de la nuit. Se passer de Hopper, c'était la première étape pour continuer sa thérapie mais continuer sans lui était douloureux. Le processus était tout de même enclenché, et après cette nuit, elle pourrait arriver à se faire à cette idée et continuer au côté du Dr Mills qui avait été parfaite, jusque-là.

Vendredi. 18H. Cabinet du Dr Mills. (2ème séance.)

Pile à l'heure comme toujours, Emma frappa à la porte et le Dr Mills lui ouvrit avec un léger sourire sur le visage, si léger qu'il en était presque imperceptible.

« Bonjour Mademoiselle Swan. »

« Bonjour Docteur Mills. »

Emma posa son sac à bandoulière et sa veste en cuir rouge dans un coin du canapé et attendit le geste de la main du Docteur pour s'installer. En jeans et polo blanc à manches longues, elle n'osa pas retrousser les manches alors qu'elle en avait fait le geste avant de se stopper dans son élan. Regina le remarqua et imagina facilement qu'elle voulait cacher de vieilles cicatrices, chose plutôt courante dans ce genre d'affaire. Mais sa patiente semblait en forme. C'était une très jolie femme, la peau clair, teintée de petit grain de beauté et de taches de rousseurs à peine visible, de beaux yeux verts perçants et ses cheveux blonds semblaient doré sous le rayon de lumière qui passait à travers les rideaux qui, encore une fois, tamisait la lumière du soleil et l'ambiance du cabinet.

Le Dr Mills, s'assit dans son fauteuil en capiton beige, assorti au canapé, et croisa les jambes avec une grâce sans pareil. Emma ne put s'empêcher de détailler pendant quelques secondes à peine, la finesse de ses jambes et de ses chevilles qui se réhaussaient dans de jolies chaussures à talons, ainsi que la perfection de son tailleur gris aux revers noirs. Elle la trouvait encore plus belle que la séance précédente et son cœur s'emballa malgré elle, mais elle ne laissa rien paraitre, si ce n'est que sa gorge se dessécha, au point d'avoir besoin de toussoter discrètement.

« Un verre d'eau ? »

« Hm… oui volontiers. Merci. » Répondit Emma, confuse.

Regina se releva pour ouvrir un des placards dans le bas de sa bibliothèque qui renfermait un mini frigo et elle apporta à Emma une petite bouteille d'eau. Emma la saisit du bout des doigts, pour éviter de frôler les siens, elle l'ouvrit et en avala la moitié d'une traite.

« Mieux ? »

« Beaucoup mieux, merci. »

« Je vous en prie. »

Le Dr Mills reprit sa place, et Emma détourna les yeux pour ne pas la revoir croiser les jambes. Elle savait que ce serait une chose à éviter dorénavant. Ne pas la regarder quand elle croise ou décroise les jambes, se nota Emma pour elle-même. Elle ne devait pas flasher sur sa thérapeute, c'était hors de question, c'était inenvisageable et totalement proscrit mais c'était de toute évidence déjà en mauvaise voie.

« Comment allez-vous depuis notre dernière séance ? »

« Bien. »

« Comment vous sentez-vous par rapport à l'absence du Dr Hopper ? »

« Je sais qu'il va encore me manquer pendant un certain temps, mais depuis vendredi dernier, j'ai pu travailler sur la question, j'ai pu accepter cet état de fait et repenser à ce qu'il m'avait dit lors d'une de nos dernières séances ensemble... Il m'a dit que je n'avais plus besoin de lui, que j'avais besoin de continuer ma thérapie mais pas spécialement avec lui, qu'il m'avait offert tout ce qu'il avait à m'offrir et qu'aujourd'hui il était temps de continuer d'une autre façon. »

« Vous pensez qu'il avait raison ? »

« Je lui ai répondu que c'était des conneries ! » Répondit Emma sans détour, avec un sourire navré en haussant les épaules.

« Vous êtes revenu sur cet avis ? »

« Je le crois oui, mais… c'est compliqué de passer à autre chose, compliqué de ne plus le voir, c'était comme une routine essentielle dans mon quotidien, son cabinet, sa voix, ses mots étaient comme une chose nécessaire dans la construction de mes semaines. Et le manque est compliqué à gérer mais je n'ai pas l'impression de régresser pour autant. Et c'est ce qu'il m'avait fait promettre, ne pas régresser. »

« Le manque, c'est une émotion tout à fait naturelle et saine. Surtout après autant de temps à côtoyer quelqu'un, même un professionnel, un lien de confiance indissociable s'installe, vous aviez une relation particulière, unique, qui n'existe qu'entre vous et lui, et la dénouer va prendre du temps… En revanche, je ne suis pas là pour le remplacer, juste prendre le relais. Je prends la suite, pas la place. Vous comprenez ? »

« Oui »

« Parlez-moi de vos rapports avec lui. »

« C'était plus que de la confiance entre lui et moi. Je l'ai laissé entrer dans ma tête, je l'ai laissé voir les plus sombres recoins, et il ma reconstruite brique par brique, il m'a remis debout comme on met sur un pied un pantin de bois désarticulé. Je n'étais plus qu'une coquille vide quand les services sociaux m'ont sortie de mon cauchemar. »

Regina l'écoutait et discrètement, elle prenait des notes, sa main bougeait à peine et la pointe de son stylo effleurait le papier du carnet sans aucun bruit. Et elle regardait sa patiente et non son carnet lorsqu'elle écrivait. Elle la laissa faire une pause, elle la laissa installer le silence dont elle avait besoin pour chercher ses mots et chercher ce qu'elle pouvait lui confier sans encore entrer dans les détails car il était trop tôt.

« Je crois que c'est lui et lui seul, qui a fait de moi ce que je suis aujourd'hui. C'est grâce à lui, si je n'ai pas fini en prison, en internement psychiatrique à vie ou bien dans un cercueil… C'est grâce à lui si aujourd'hui, je peux vivre à peu près normalement, si j'ai un appart, un boulot et quelques amis. Sans lui… je n'aurais rien de tout ça, sans lui, je ne serais jamais sortie de ce cauchemar, je serais restée emmurée vivante dans un souvenir bien trop pénible à supporter. »

« Comment le considérez-vous ? »

« Aujourd'hui comme mon thérapeute, car je suis adulte, mais enfant… »

« Vous l'avez vu comme un héros ? »

« Non, pas tout à fait… plutôt comme une sorte de sauveur, une sorte de personnage difficile à identifier, comme la voix d'une conscience, la voix qui me guidait pour me sortir d'un long tunnel plongé dans l'obscurité… Il était doux et patient avec moi, même quand j'étais en crise, hystérique ou bien au contraire totalement catatonique, il n'a jamais perdu espoir avec moi. Alors que j'entendais des bruits de couloirs qui me disaient irrécupérable. Lui, n'a jamais abandonné. »

« Personne avant lui n'avait agi de la sorte avec vous ? »

« Exactement. » Répondit Emma, les mains tremblantes.

« Je sais que le passage, de lui à moi, ne va pas se faire simplement en claquant des doigts. Je ne suis pas comme lui, je n'ai pas les mêmes méthodes, mais comprenez bien que je suis là pour les mêmes raisons que lui. Je suis là pour votre bien, pour vous empêcher de retourner dans ce tunnel et pour faire en sorte que vous puissiez continuer à vivre normalement, le plus souvent possible. »

« J'en ai conscience… Et vous savez, je… »

Emma hésita à lui révéler qu'elle avait eu, dans un premier temps, l'intention de se montrer bornée et inaccessible envers le successeur du Dr Hopper et que finalement, elle s'était ravisée. Mais là aussi, elle se ravisa et garda ça pour elle.

« Non rien. » Lança-t-elle, et le Dr Mills n'insista pas.

Regina esquissa un petit sourire invisible. Emma avançait vers elle, elle faisait les premiers pas. Parler de Hopper était la première étape, parler tout court était en soit quelque chose de satisfaisant pour la praticienne. Elle ne la forçait pas à parler et jusque-là, tout ce qu'avait dit Emma était venu d'elle, même si Regina faisait en sorte de la mettre en condition, elle ne l'obligeait à rien et Emma aimait ça.

« Comment était-il comme professeur ? » Demanda Emma.

« Oh, et bien… si avec vous il était doux et patient, il ne l'était pas avec ses élèves. »

« Sérieux ? » S'exclama Emma, surprise et n'arrivant pas à l'imaginer rigide et sévère.

« Oui, il était intransigeant, extrêmement tatillon sur la discipline. Il ne pardonnait pas les erreurs bêtes, les retards ou bien les fautes de jugements… il était l'un des profs les plus exigeants que j'ai jamais eu, avec le Professeur Gold, un éminent psychanalyste des traumatismes de guerre avec qui il travaillait en étroite collaboration à l'époque. Tous les deux, ils terrifiaient les élèves les moins impliqués mais ils étaient excellents dans leur domaine. »

« Et il a été votre mentor ? »

« Oui, ces deux hommes ont fait de moi, le médecin que je suis … Et ma réputation les dépasse tous deux aujourd'hui ! » Répondit-elle avec un clin d'œil qu'Emma apprécia tant il était naturel et presque complice.

« L'élève a dépassé le maitre ? »

« C'est un peu ça, oui. » Ria Regina.

« Je suis entre de bonnes mains alors comme il me la promit ? »

Regina ne voulut pas répondre et hocha simplement la tête. Emma souffla, ça la réconfortait de savoir que Hopper avait vraiment été le guide de sa nouvelle psy. Un peu de lui transpirait forcement en elle. Même si lui était doux et gentil au premier abord, et qu'elle, elle semblait plus lointaine et réservé. Il y avait au fond de ses yeux, une humanité débordante et une tendresse qu'elle refusait d'afficher pour être juste professionnelle. Il émanait de cette femme une froideur surjouée, car au fond, tout ce qu'Emma ressentait en sa présence, était une chaleur incandescente.

Un petit bip se fit entendre dans le silence, alors que la patiente et la psychanalyste de regardait pour la première fois, véritablement, les yeux dans les yeux. Emma comprit, la séance était finie. Elle se leva, enfila son blouson et salua son médecin d'un petit geste de la main.

« A la semaine prochaine. »

« Prenez soin de vous, Mademoiselle Swan et à vendredi prochain. »

Emma quitta le cabinet et Regina resta assise, notant quelques lignes dans le carnet dédié aux séances d'Emma. Sa patiente lui avait confié quelques clés aujourd'hui sans même en avoir conscience et ce soir, elle emporterait chez elle, le dossier d'Emma Swan pour en commencer la lecture. Ce soir, elle commencerait à entrer dans le lourd passé qu'avait vécu cette enfant, à entrevoir l'étendue des dégâts sur sa psyché, entrevoir le cauchemar sur lequel elle s'était malheureusement construite. Ce soir, Regina saurait tout sur le travail effectué par son confrère en thérapie avec Emma depuis 18 ans, tout sur ses troubles et ses désordres afin de commencer, elle aussi, à pouvoir l'aider.

(…)