(Chapitre 2)
Vendredi 18h. Cabinet du Dr Mills (3ème séance.)
Emma entra dans le cabinet sous l'invitation du Dr Mills, aujourd'hui vêtue d'un tailleur pantalon-veste noir et chemise ivoire, d'une finesse probablement hors de prix. Comme les dernières fois, le cœur d'Emma loupa un battement, tant l'élégance et la beauté de cette femme la tétanisait. Comme si jamais elle ne s'y ferait, elle était déjà résignée à retenir en elle cette pulsion déplacée qui voulait qu'elle la déshabille du regard. Oui, Emma avait un faible pour les jolies femmes, et Dieu seul sait que le Dr Regina Mills était sans doute, la plus belle des femmes qu'elle n'ait jamais croisé dans sa vie. Elle allait être à coup sûr sa plus grande faiblesse.
Elle retenue un soupire de désespoir et prit place dans le canapé, en chassant de sa tête cette attirance envers sa psychothérapeute pour pouvoir enfin la regarder en face et ce qu'elle lut dans son regard ne lui plut absolument pas. Oui, le regard que Regina Mills portait sur elle avait très légèrement changé de nuance par rapport aux séances d'avant. Personne d'autre ne l'aurait remarqué mais Emma, si. Elle mieux que quiconque savait reconnaitre quand quelqu'un était au courant de ce qu'elle avait subi et vécu par le passé. Et là, il n'y avait pas photo, même si le Docteur le cachait parfaitement bien grâce à des années de pratique à côtoyer des malades, Emma savait que sa psy avait enfin commencé à lire son dossier.
« Alors ça y est, vous savez ? » Balança Emma sans détour.
« Je sais quoi ? »
« Hm, ne jouez pas à ça avec moi, je le vois bien. Vous savez ? Vous avez lu mon dossier n'est-ce pas ?»
Regina tiqua, ne se pensant pas si transparente que ça, mais visiblement, Emma était assez fine pour remarquer quelque chose qu'elle aurait dû mieux dissimuler. Emma soupira d'un air triste, comme si elle aurait aimé rester un peu plus longtemps celle dont on ne savait encore rien en détail, celle qui pouvait encore faire illusion comme si rien de tout ce drame n'était arrivé.
« Comment pouvez-vous le savoir ? » Demanda Regina, qui par là même répondait à sa question précédente.
« Je le vois dans vos yeux. »
Regina fut troublée, d'ordinaire personne ne pouvait remarquer ce subtil changement d'attention dans son regard ou dans son attitude mais apparemment pour Emma c'était lisible et même flagrant.
« Oui, je l'ai parcouru. » Répondit-t-elle, alors qu'en vérité, elle avait passé le week-end entier plongée dedans.
Emma se massa la nuque, douloureuse, et Regina le remarqua. Emma sembla se recroqueviller sur le canapé, très légérement, comme si son apparente décontraction disparaissait. Regina tiqua de s'être laissée percer à jour comme cela, et elle détesta la façon dont sa patiente semblait ressentir la chose. Mais il fallait croire que son histoire l'avait touché et que son regard sur elle avait subtilement changé.
« Et alors ? » Demanda Emma.
« Alors rien, Mademoiselle Swan, vous êtes ma patiente, je ne porte aucun jugement sur ce qui vous est arrivé. »
« Vous avez peur de moi ? »
« Absolument pas, Mademoiselle Swan. » Répondit le Dr Mills d'une voix douce, et un regard sans faille.
« Même après ce que vous avez lu dans ce dossier ? »
« Oui, même après ce que j'y ai lu. » Confirma-t-elle doucement.
La voix de Regina était calme et assurée, et Emma se détendit un peu. Effectivement, elle sentait que sa psy disait la vérité, elle ne ressentait ni jugement, ni peur de sa part. C'était déjà bien différent de toutes les autres personnes qui un jour avaient été au courant. Car enfant, elle avait lu la peur dans les yeux de tout le monde, les agents de police, les éducateurs des services sociaux, les médecins des urgences, elle avait lu de la peur mêlée à de la pitié et elle n'avait pas aimé ça. Puis adolescente, elle avait vu cette même peur dans le regard des jeunes à problème qui fréquentaient les mêmes foyers ou les mêmes maisons de correction qu'elle. Il n'y avait eu que le Dr Hopper, le premier, à poser sur elle un regard bienveillant et tendre, sans que rien d'autre n'interfère.
« Donc maintenant faut que j'en parle ? » Demanda Emma, après un long silence, replongé dans les souvenirs douloureux des regards posés sur elle après '' l'incident''.
« Je vous l'ai dit, vous m'en parlerez quand vous le sentirez. »
« Donc on peut causer de la pluie et du beau temps en attendant, si je ne le sens pas encore ? »
« Oui, de tout ce que vous voulez. »
« Ok. » Sourit Emma, revenant un peu sur sa méfiance.
Emma laissa passer un long silence, jouant nerveusement avec ses doigts. Aujourd'hui elle était une femme qui savait maitriser ses émotions, enfin la plupart du temps et si elle prenait bien son traitement elle était le plus souvent calme et posée, excepté quand une crise apparaissait et l'embarquait dans l'euphorie planante, ou dans la platitude absolue, ou encore, plus rarement, dans la rage incontrôlable. Elle avait appris avec le Dr Hopper à calmer ses angoisses en quelques secondes, et la nervosité qui s'insinuait en elle à cet instant, elle la gérait aussi, elle l'a laissé glisser sur elle sans que cela ne la dépasse.
Regina nota quelques mots discrètement dans son carnet, sur son attitude justement, ses gestes et les émotions qui semblaient la traverser. Emma observa sa main en train d'écrire, cette main qui semblait avoir été sculptée par un artiste et portant de superbes bagues aux doigts - mais pas d'alliance à l'annulaire gauche, nota Emma. Regina remarqua le regard que sa patiente portait sur sa main et posa son stylo, ce qui sorti Emma de ses rêveries.
« Vous notez quoi là-dedans ? » Demanda Emma alors qu'elle savait pertinemment comment fonctionnait les psys.
« Tout ce qui me semble pertinent à votre sujet. » Répondit calmement Regina.
« Et si j'parle pas de mon passé, qu'est-ce qui va se passer ? »
« Je vous l'ai dit Mademoiselle Swan, c'est vous qui décidez. C'est de votre ressort de vous confier à moi ou non. Mais, il faut savoir qu'il n'y a qu'en me parlant que je serais le plus à même de vous aider et de poursuivre ce que vous avez entreprit avec mon prédécesseur. »
« Mais vous avez mon dossier, vous avez l'analyse complète et le rapport de chaque séance que j'ai eu pendant 18ans avec Hopper, alors pourquoi vouloir que je parle. »
« Parce que ce sont vos mots, vos réactions et vos regards qui m'intéresse, pas ces comptes rendus, pas ce simple résumé dans un dossier. »
« Vous êtes vraiment différente des autres psys. »
« J'aime à la croire. » Dit Regina avec un sourire discret, presque invisible.
« Hormis Hopper, je n'ai jamais pu encadrer aucun de ceux qui m'ont eu pour quelques séances pendant ses congés et les rares imprévus qu'il a eus. »
« Le Dr Hopper était un médecin très prévenant et disponible pour ses patients, c'est vrai. »
« Et vous ? Vous serez aussi disponible que lui si j'ai un problème ? »
« Dans la mesure du possible, oui. » Répondit Regina en sentant bien chez Emma une sorte d'appel au secours, comme si elle avait besoin qu'on lui promette d'être là pour elle.
Pour la première fois, Emma laissait apparaitre une réelle fragilité et ne se cachait plus derrière cet air de dure à cuir et de femme rebelle, bornée et assurée. Regina se leva sans dire un mot, ouvrit le tiroir de son bureau, et elle en sorti une petite carte de visite.
« La dessus, il y a le numéro de ce bureau et celui du secrétariat de ce service, que vous avez déjà… et mon numéro privé, en cas d'extrême urgence seulement. Compris ? » Dit Regina en s'avançant vers Emma pour lui tendre la carte en question.
Emma déglutit difficilement et tenta de rester le plus cool possible en tendant la main vers la carte pour l'attraper mais le Dr Mills fit un mouvement de poignet pour l'empêcher de la saisir.
« Compris ? » Insista-t-elle.
« Oui. » Murmura Emma qui put enfin s'emparer de la carte.
Leurs doigts se frôlèrent et le cœur d'Emma loupa un battement alors que Regina, sereine, retourna s'assoir dans son fauteuil.
« Merci. » Souffla Emma.
Regina hocha simplement la tête d'un air entendu.
« J'ai besoin de ce genre d'assurance. J'ai grandi dans un trou noir et quand j'en suis sorti la seule lumière, le seul pilier sur lequel m'appuyer c'était le Dr Hopper. Je sais que je suis adulte maintenant et que je me suis reconstruite du mieux que j'ai pu mais j'ai besoin de ce genre de filet de secours, au cas où, alors… merci. »
« Je vous en prie. Je suis là pour ça. Je veux vous aider Mademoiselle Swan, autant que je le peux, et autant que vous me laisserez le faire. »
Emma avait le cœur serré, elle se sentait de nouveau rassuré et elle commençait à songer à pouvoir enfin se confier. Ça allait venir, car cette femme lui apportait, séance après séance, tout ce qu'elle attendait : le calme, la confiance, la maitrise, la considération. Emma regarda longuement la carte puis elle joua avec, la passant entre ses doigts avec dextérité, comme on joue avec une pièce de monnaie, mais elle avait déjà appris par cœur le numéro de téléphone privée du Dr Regina Mills. Elle s'empêcha de sourire, cachant cette petite victoire en la gardant rien que pour elle, consciente que c'était bénéfique pour sa santé mentale et non pour sa satisfaction personnelle. Puis elle glissa la carte dans sa poche de jeans.
« On m'a abandonné. » Lâcha soudain Emma après un silence.
Regina hocha la tête pour qu'elle poursuive sans l'interrompe, sentant que c'était un début de confidence, le début de son histoire.
« On m'a abandonné, à la naissance. Une femme a accouché d'un enfant et la déposé devant la caserne des pompiers… Au moins, elle ne m'a pas abandonné dans les bois ! » Ironisa Emma.
« Vous pensez qu'elle vous a déposé là pour votre bien ? »
« Oui je le pense, elle ne pouvait sans doute pas s'occuper de moi et au moins avec les pompiers, j'avais une chance. Pas comme si elle m'avait laissé dans une poubelle, dans la ruelle derrière un motel sordide. Parait que ce genre de chose arrive aussi, alors quelque part, j'peux m'estimer chanceuse. »
Regina nota le ton laconique d'Emma, ce n'était pas le ton habituel de sa voix. Emma se détachait d'elle-même pour pouvoir en parler et elle continuera surement sur ce ton-là, plus le récit avancerait au fil des séances.
« Cela dit, parfois je me dis qu'elle aurait mieux fait de me noyer dans l'eau de la baignoire plutôt que de me donner une chance. » Rajouta Emma avant de laisser le silence conclure cette séance.
Quand le bip retentit, peu de temps après, elle releva la tête sur le Dr Mills qui l'observait en tentant de ne pas laisser transparaitre la peine qu'elle ressentait à l'égard de cette jeune femme que la vie n'avait absolument pas épargné et ce depuis le tout premier jour. Pourtant Emma ne fut pas dupe, elle lui jeta un petit sourire triste avant de prendre son sac et de quitter le cabinet, laissant Regina à ses réflexions et à ses notes.
Vendredi 18h. Cabinet du Dr Mills. (4ème séance.)
A l'heure pile, le poing d'Emma cogna sur la porte et le Dr Mills lui ouvrit. Emma hésita un moment, tournant en rond deux ou trois fois avant de prendre place dans le canapé, devant le regard imperturbable du médecin. Le silence en premier lieu donnait à penser qu'Emma tentait de reprendre le cours de sa mémoire pour reprendre là où elle s'était arrêté la séance précédente mais ça lui semblait presque douloureux alors elle ne disait rien.
Le silence dura et Regina ne brusqua pas sa patiente. Emma ne semblait pas encline à la confidence aujourd'hui alors le silence perdura dans la pièce plongée dans une pénombre, les épais rideaux calfeutrant la lumière du soleil qui baissait à l'horizon et inondait le monde extérieur. Le regard vert d'Emma était éteint, elle avait évoqué sa triste naissance, un bébé abandonné à peine venu au monde. Un enfant dont on n'avait pas voulu mais qui avait quand vu le jour, et à l'écouter elle aurait préféré ne jamais naitre.
Le silence s'installa et Regina ne le brisa pas, toutefois elle se leva et contourna le canapé. Sur la console de rangement, il y avait une bouilloire et un ravissant service à thé japonais, en fonte noir à écaille et décoré de motif traditionnel. Elle fit bouillir de l'eau, puis servit deux tasses avant de revenir vers sa patiente et de lui en tendre une. Un peu perdue ailleurs, Emma releva la tête vers sa psy, qu'elle n'avait même pas vu quitter sa place et préparer le thé. Elle prit la tasse entre ses mains et son regard était immensément reconnaissant.
« Merci beaucoup. » Souffla Emma si doucement qu'en réalité Regina dû lire sur ses lèvres pour comprendre ses paroles.
Elle hocha simplement la tête et reprit sa place avec sa tasse. Elle patienta en dégustant le breuvage et en regardant Emma faire de même, toujours en silence. Une fois le thé fini, Emma posa la tasse sur la petite table basse à côté d'elle. Elle se réinstalla dans le canapé, elle prit une grande respiration et continua son histoire.
« Heureusement que les nouveau-nés ne se souviennent de rien. Venir au monde est si traumatisant que le cerveau de lui-même préfère ne pas s'en souvenir. Et moi, heureusement, que j'me souviens de rien mais j'peux facilement l'imaginer. Passer quelques jours à l'hôpital sous observation dans une couveuse, dans un milieu tellement aseptisé qu'il ne réconforte en rien. Passer de main en main, passer ses premiers mois en pouponnière, être un bébé parmi d'autres dont il faut s'occuper puis passer au suivant qui réclame aussi son biberon. Je ne doute pas que les femmes qui travaillent là-bas, ne sont pas dévouées et courageuses mais … ça ne remplace pas l'amour d'une mère, enfin j'imagine. »
Emma essuya une larme qui tentait de s'échapper, puis reprit tranquillement. Elle parlait calmement, elle racontait avec fatalité ce qui avait été les premières années de sa vie.
« Après le centre, je sais que j'ai grandi entre le Foyer des Acacias et quelques familles d'accueil à temps partiel. Ballottée, sans vrai repère, sans voir un seul visage assez longtemps pour que je puisse le retenir dans ma mémoire. Je n'ai rien, je n'ai aucun souvenir de ma petite enfance, je n'étais rien qu'un numéro de dossier noyé dans le système. »
Regina notait discrètement certains éléments d'une main fragile. Serrant les dents pour ne pas montrer à sa patiente combien les mots qu'elle employait la touchait. Emma le regard dans le vague continuait son récit.
« Les premiers vrais souvenirs que j'ai sont ceux du Foyer de la Seconde Chance, vous parlez d'un nom à la con pour un foyer pour orphelins, franchement ! Et ces souvenirs ne sont que des bribes de moments bruyant et confus, des flashs de chambres communes sans intimité, de réfectoires bondé et d'altercation avec les autres enfants, des gamins malmenés par la vie tout comme moi, qui ne savaient communiquer qu'avec leurs poings et leurs jurons, des gamins délaissés, des gamins mal aimés. »
« Des enfants perdus. » Murmura tristement le Dr Mills.
« Exactement. » Soupira Emma.
Emma leva les yeux pour croiser ceux de sa psy et elle jura à ce moment-là, que son regard n'avait plus grand-chose de professionnel. Son histoire la touchait, elle pouvait la sentir se contenir pour rester imperméable et continuer de prendre note mais ses yeux, d'une ravissante couleur noisette, brillaient dans la pénombre. Et c'est Emma, elle-même, qui d'un sourire, la rassura et la consola, lui faisant comprendre qu'il ne servait à rien de s'attendrir sur cette histoire déjà lointaine.
Elles restèrent un long moment à se regarder. Regina sachant très bien qu'elle aurait dû rompre cet échange tout de suite mais elle en avait été incapable. Et puis le bip de fin de séance retenti, elle ferma les yeux et ferma son carnet posé sur ses genoux. Emma fit craquer sa nuque et souffla un coup avant de se lever, de saluer sa psychothérapeute et de partir.
Vendredi 18h. Cabinet du Dr Mills. (5ème séance.)
Emma s'installa dans le canapé, un peu moins recroquevillée que la fois précédente, un peu plus à l'aise, plus détendue, avec une étrange expression sur le visage que le Dr Mills ne lui avait encore jamais vu.
« Comment vous vous sentez Mademoiselle Swan, depuis la dernière séance. »
« Ça va. »
« Je sais que c'est compliqué pour vous de revenir sur tout ça. »
Emma lui sourit machinalement en haussant les épaules car elle était loin d'être arrivé au pire de ce qu'avait été son enfance.
« Donc prenez tout le temps qu'il vous faut. N'oubliez pas : parlez-moi de ce que vous voulez, quand vous le voulez. » Reprit la psychanalyste.
« Je sais… Et justement, je crois qu'il faut que je vous parle d'un truc. »
« Quel genre de truc ? »
« Je crois que je me suis souvenu de quelque chose que j'avais oublié. »
« Une bonne ou une mauvaise chose ? »
« Bonne… Je crois. »
Regina esquissa un infime sourire car la commissure de ses lèvres se releva légèrement et dans son regard pétilla une lueur qui reparti aussitôt pour rester professionnel.
« Dites m'en plus. » Lança doucement la psy.
« Je me suis souvenue d'un visage, ça m'est revenu en mémoire comme ça d'un coup. »
« Quel visage ? »
« Celui d'une éducatrice d'un des Foyer que j'ai fréquenté. Je devais avoir 6 ans, je pense, c'était juste entre deux allers-retours entre différentes familles d'accueil déjà bondé d'enfants. Je crois qu'elle s'appelait Ingrid. Et je crois que c'est un bon souvenir. »
« C'est le ressenti que vous avez ? »
« Oui, ce visage m'évoque une sensation que je connais mal. J'ai vécu tellement de saloperie que j'en ai occulté le meilleur souvenir de mon enfance. Mais maintenant, je me souviens de ses mains douces sur mes joues, de ses cheveux aussi blonds que les miens, je me souviens de ses yeux d'un bleu si profond que je m'y noyais le soir lorsqu'elle se penchait pour déposer un baiser sur mon front avant que je ne m'endorme. Je crois que c'est la seule personne adulte qui m'ait accordé une véritable attention. Son visage est un peu flou dans ma mémoire mais elle a existé, j'en suis sûr. »
« Votre subconscient a débloqué quelque chose, on dirait. »
« Je crois que vous me faites du bien… Sinon ce souvenir ne serait jamais remonté à la surface. » Déclara Emma, un peu gênée.
Regina tiqua un quart de seconde en entendant ça mais elle continua de noter brièvement ses observations dans son carnet avant de reporter son regard sur sa patiente. Et Emma la regardait sans sourciller, d'un regard d'une rare intensité, le vert de ses yeux d'ordinaire si clair était presque sombre et profond, et Regina senti un frisson lui parcourir la nuque.
« Bien, je vois qu'on fait des progrès, vous ne trouvez pas ? » Lança-t-elle pour débloquer son malaise.
« On dirait oui. » Murmura Emma d'une voix rauque.
« Avez-vous d'autres sensations, d'autres images à propos de cette ''Ingrid'' qui vous reviennent ? »
« Oui, je la revois assise sur le bord d'un lit, entourée de plusieurs petites filles, dans une chambre aux murs roses et elle est en train de lire une histoire, un conte pour enfant me semble-t-il. »
« Alors il y a eu de bons moments ? »
« Il semblerait… Je la revois aussi clairement en train de prendre ma défense face à des petites brutes un peu plus âgés que moi. Je la vois sermonner un jeune garçon joufflu qui n'en mène pas large. » Dit-elle avec un sourire nostalgique et amusé.
Regina copia son sourire sans le vouloir et s'attendrit devant ces bons moments qui remontaient d'un passé pourtant douloureux et d'une enfance chaotique. Emma se sentait bien et se plongea dans la sensation de ses nouveaux souvenirs tout fraichement retrouvés.
Elles finirent la séance en parlant de la façon dont le cerveau pouvait se reconnecter avec des souvenirs enfouis. Emma lui avoua qu'elle aurait préféré enterrer les mauvais et garder les bons mais ça n'avait pas été le cas pour elle. Là où beaucoup de patients en état de choc font un déni et effacent de leurs mémoire leurs traumatismes, elle avait fait tout le contraire, et devait vivre avec ses pénibles réminiscences.
A la fin de la séance, Emma se leva et enfila son blouson pendant que Regina se levait aussi et sans le faire exprès, elle se retrouva beaucoup plus proche d'elle qu'elle ne l'aurait voulu. A moins de 40 centimètres d'elle, elle plongea son regard dans le sien et elle lui murmura un « merci » presque inaudible. Regina hocha la tête d'un geste presque imperceptible mais elles se comprenaient. Entre elles, commençait à s'installer un lien tangible, encore fragile, mais ça commençait à être palpable et reconnaissable.
Emma sortie du cabinet avec dans le cœur une sensation de légèreté qu'elle avait peu l'habitude de ressentir. Et à l'intérieur, Regina s'installa à son bureau, en allumant la lampe car le jour baissait, et elle resta là, un peu confuse, à penser à sa patiente.
Vendredi 18h. Cabinet du Dr Mills. (6ème séance)
Emma frappa à la porte avec un lourd soupire. Elle savait qu'il fallait qu'elle en parle mais elle ne voulait pas. Dans son esprit c'était comme si elle courrait le plus loin possible de ces années-là et de cette nuit-là en particulier. Elle voulait y échapper et quand elle s'installa dans le canapé, elle resta muette.
Elle était partagée, la séance précédente avait été bénéfique, elle avait avancé, elle avait fait un pas de plus mais aujourd'hui, elle ne voulait pas. Son regard était éteint, même tout son corps semblait se prostré, et le Dr Mills nota tout de suite son attitude, Emma était renfermée sur elle-même et elle sut que cette séance ne serait pas satisfaisante.
Emma sentit un sanglot s'inviter en elle alors elle attrapa le flacon de pilule dans la poche de son sweatshirt à capuche et en avala deux sans même grimacer. Elle retira ses baskets, releva ses jambes et cala ses pieds sous ses cuisses, en s'installant un peu de travers sur le canapé. Elle avait besoin de confort, elle avait besoin de se blottir et le Dr Mills la laissa faire, comprenant qu'aujourd'hui était un mauvais jour.
Regina posa son carnet, elle savait qu'il n'y aurait rien à noter au cours de cette séance et elle attrapa la télécommande de son enceinte, placée sur la commode, sur le mur du fond, derrière le canapé. Elle enclencha la musique et baissa le son, pour qu'il soit juste apaisant aux oreilles de sa patiente.
Un son doux s'échappait des enceintes, une litanie lente et simple, qui prenait un peu plus d'ampleur au fil des secondes pour laisser place à des notes de piano sublimes et légères qui soulevèrent le cœur d'Emma un bref instant. Elle tourna la tête pour y lire sur l'écran de la plateforme « Evalian Massey – Petrichor », puis elle posa sa tête sur le dossier du canapé et ne bougea plus.
Ses yeux voguèrent au plafond pendant un moment puis elle posa son regard sur sa psychothérapeute. Regina soutenu son regard en faisant preuve d'une douceur infinie. Elle voulait lui faire comprendre que ce n'était pas grave si aucun mot n'était échangé aujourd'hui, lui faire comprendre que le silence et le repos pouvait aussi faire partie de la thérapie. Emma planta son regard dans le sien, un regard triste et déchirant, le vrai regard d'Emma Swan quand elle ne se cachait pas derrière son mur de protection et Regina le soutenu tout du long.
Plusieurs morceaux s'enchainèrent, « Forlorn Hope », « Downhearted Duckling », « A New Dawn » entre autres et petit à petit, la mélodie eut raison d'Emma, elle s'endormie, la tête sur l'accoudoir du canapé et les jambes pliées sur l'assise. Et Regina resta là, sans bouger, sans dire un mot, juste à la regarder.
Le jour commençait à baisser, il faisait sombre dans le cabinet et à la fin de la séance, le Dr Mills se leva et délicatement, elle caressa l'épaule d'Emma pour la réveiller en douceur. Emma ouvrit les yeux en sentant une main sur elle et son cœur se figea pendant un instant, avant qu'elle ne reprenne pleinement conscience et qu'elle se redresse un peu précipitamment.
« Prenez votre temps, Mademoiselle Swan. » Chuchota le Dr Mills.
« Mince, je me suis endormie ? »
« Oui. »
« Je suis désolé. »
« Ne le soyez pas. »
Le Dr Mills éteignit la musique, et posa le carnet de notes sur son bureau pendant qu'Emma tentait de se reprendre, assise sur le canapé, la tête entre les mains. Puis la magnifique brune enfila une veste par-dessus le petit pull en cachemire qu'elle portait - aujourd'hui assortit d'un pantalon pince et de hauts talons - elle attrapa son sac et ses clefs et semblait prête à partir alors Emma réagit enfin. Elle se leva du canapé, enfila à la hâte son blouson noir et releva sa capuche pour tenter de rester dans le cocon dans lequel son sommeil l'avait enfermé.
Ensemble elles quittèrent le cabinet, Regina fermant à clés derrière elle, puis côte à côte, sans un mot, elles longèrent le couloir. Près des ascenseurs, Regina se tourna vers sa patiente :
« A Vendredi Mademoiselle Swan, passez un bon week-end et reposez-vous. »
« Merci Docteur. » Murmura Emma avant de la regarder partir vers le secrétariat du service psychiatrique, comprenant qu'elle ne prendrait pas cet ascenseur avec elle.
Emma rentra chez elle à pied, capuche sur la tête et main dans les poches. L'air frais de ce début de soirée lui fit du bien mais elle ne pouvait s'empêcher de penser à combien elle s'était sentie mal en début de séance puis totalement bien au point de s'endormir sous les yeux de sa psy. Elle ne se reconnaissait pas mais elle se disait aussi qu'une part d'elle faisait des progrès pour pouvoir autant se laisser aller. Finalement, changer de psy ne lui semblait plus du tout une mauvaise chose.
(…)
