3 janvier 1986 (Altaïr a 9 ans)

Après avoir entendu son pupille sur ce qu'il avait écouté lors de la dernière réception et avoir pris conscience de ce que les aristocrates pensaient de lui, Cygnus avait décidé de remédier au moins à un des défauts qui lui étaient reprochés. Il avait donc décidé d'organiser un bal, ainsi il ne serait plus uniquement « celui qui se fait inviter ». Ou plutôt, il avait demandé à sa fille Narcissa d'organiser un bal à sa place puisque Cygnus n'avait aucune des compétences nécessaires pour faire cela.

C'est ainsi qu'Altaïr s'était retrouvé à devoir accueillir ses hôtes auprès des cheminées du hall d'entrée avec son tuteur, puis il devait les guider vers la salle de réception, leur donner une coupe de champagne et les laisser entre les mains d'autres convives déjà présents afin de retourner vers le hall.

Au départ cela l'avait amusé de découvrir que nombreux étaient ceux le pensant muet puisqu'il n'avait parlé qu'à trois enfants et deux ou trois adultes depuis qu'il venait aux réceptions avec Cygnus.

Ensuite, entendre certaines Lady louer sa politesse auprès de leurs consœurs lui avait fait plus de bien qu'il ne l'aurait imaginé. Altaïr se faisait rabaisser tous les jours par Cygnus si bien qu'il avait oublié ce que cela faisait de se faire complimenter. C'était très agréable.

Mais au bout de quelques allers et retours, cela devint ennuyant. Les mêmes salutations, les mêmes compliments, les mêmes indications, les mêmes discussions, les mêmes formules de politesses pour pouvoir s'éclipser et cela recommençait, encore et encore. C'était si ennuyeux.

Lorsque tous furent arrivés, Cygnus congédia rapidement son pupille en lui demandant de ne pas l'embarrasser comme la dernière fois. Bien sûr, Altaïr n'avait jamais rien fait pour l'embarrasser mais selon le vieil homme juste le fait de le voir parler à quelqu'un était gênant selon lui. Il avait suffisamment répété au garçon qu'il était une honte pour les Blacks pour que ce dernier le comprenne tout seul.

Pourtant Altaïr savait que cette fois-ci cela ne serait pas possible. Il était l'un des hôtes de cette demeure donc simplement rester dans un coin et s'enfuir de la réception ne serait pas avantageux ni pour l'un, ni pour l'autre. Ce serait comme écrire sur son front qu'il n'avait aucune manière et sur celui de Cygnus qu'il l'avait horriblement mal éduqué.

Altaïr avait travaillé son sourire hypocrite pendant trois semaines ainsi que ses manières polies. Il allait être un hôte si parfait qu'en fin de soirée, seul Cygnus serait critiqué. Sa dernière discussion avec Inglebee, Nott et Zabini lui avait fait réaliser que s'il continuait sur cette voie, le jeune Black n'aurait aucun avenir. Il ne s'était pas même fait une connaissance sérieuse. Certes il avait parlé à ces trois-là, mais il les avait surtout effrayés.

De toute façon, la menace d'une punition planait déjà au-dessus de sa tête, Cygnus lui l'avait promis puisqu'il s'était permis de ne pas finir ses devoirs afin de se préparer. Alors un peu plus ou un peu moins, cela ne changerait plus rien à son stade. Cela l'effrayait terriblement et son audace le surprenait lui-même, mais Altaïr savait très bien qu'il ne pourrait pas continuer ainsi.

Il avait commencé par parler courtoisement à Narcissa et Lucius ce qui les avait beaucoup surpris puisqu'Altaïr ne cachait que rarement leur dédain envers eux. Cependant il trouvait cela trop effrayant de parler directement à des inconnus ou de s'incruster dans les groupes d'enfants, alors cela restait la meilleure solution à son problème.

Rapidement, Ludmilla Zabini s'approcha d'eux et Altaïr découvrit qu'il s'agissait d'une femme très douce et gentille, bien loin de sa réputation de veuve noire et de sorcière fourbe et vicieuse. Pour une fois, Altaïr remercia intérieurement Cygnus de l'obliger à lire toutes sortes de revues barbantes, dont celle de mode ou de presse people. Altaïr ne s'intéressait pas à tout cela, mais cela semblait faire très plaisir à Lady Zabini de voir un jeune homme s'intéresser à ce thème contrairement à ses maris et ses enfants.

Rapidement, Lady Fleur Greengrass ainsi que Miranda et Maria Nott se rapprochèrent d'eux. Alors même que les trois amies discutaient dans les dos de Ludmilla et le sien, elles étaient tout sourire devant eux comme si de rien n'était. Bien sûr, Altaïr n'était pas censé avoir conscience de cela mais leur talent d'actrice l'impressionnait plus que ne le gênait. Après tout, il était lui aussi en train de trouver leur discussion inintéressante et pourtant, il leur offrait un sourire en coin.

Ce ne fut qu'une vingtaine de minutes plus tard qu'Altaïr parvint à quitter leur discussion lorsque Noah et Bacchus vinrent apporter quelques amuses-bouches à leurs mères. Cependant le jeune Black comprit rapidement que le but de la manœuvre était surtout de pouvoir le kidnapper et l'aider à se débarrasser des ladies. Bien que son masque soit parfait, il était évident pour les deux garçons qu'aucun enfant de leur âge ne puisse réellement être intéressé par la discussion de femmes adultes.

Altaïr les remercia discrètement une fois qu'ils furent éloignés et cela sembla amuser Noah et Bacchus. Les deux garçons, comme tous les autres invités, furent vraiment surpris du changement chez le jeune Altaïr. Cela ne faisait qu'un peu plus de deux mois depuis leur dernière rencontre et pourtant il avait vraiment changé du tout au tout.

Bien qu'il ne rigolait pas à gorge déployée, un léger sourire étirait constamment ses lèvres et ses conversations étaient agréables peu importe la personne face à lui. Altaïr était passé du statut de pire invité possible à un très bon hôte. C'était d'autant plus impressionnant au vu de son jeune âge. Il incarnait la perfection que tous attendaient venant du nouvel héritier Black.

Ce ne fut qu'un peu avant l'arrivée des desserts que le garçon montra ses premiers signes de faiblesse. Son sourire se dissipait quelque peu par moment et ses mains trituraient nerveusement son pantalon sous la table. Heureusement qu'il était installé avec d'autres enfants et qu'ils n'étaient pas encore tous très attentifs à ce genre de signe. Discrètement, il claqua des doigts sous la table et quelques secondes plus tard, Betty apparaissait à ses côtés. C'était leur signal d'alarme.

« Jeune maître Altaïr, Betty est désolée de vous importuner, mais une urgence appel le jeune maître à la cuisine.

- Il n'y a pas de soucis Betty. Je reviens dans quelques instants, veuillez m'excuser. » signala Altaïr aux personnes autour de lui.

La petite elfe guida son maître jusqu'en dehors de la salle et une fois les larges portes refermées derrière lui, Altaïr courut jusqu'aux toilettes privés les plus proches afin de ne pas se faire prendre par surprise. Il se pencha sur une cuvette et vomit tout le contenu de son estomac. Et dire que pour une fois, il avait pu manger un repas de bonne qualité et rassasier sa faim.

Il fallut quelque temps au jeune Black pour retrouver ses esprits et calmer les palpitations de son cœur. Sa tête tournait et le sang circulant dans son corps lui martelait les tempes. Une lente douleur lui tiraillait le dos et les membres inférieurs tandis que des tremblements secouaient de plus en plus fortement ses mains.

« Moby, tu ne dois pas m'appeler jeune maître. Si Cygnus t'entend tu auras des problèmes.

- Mais si Moby appelle le jeune maître, jeune monsieur comme le veut maître Cygnus, alors vous serez la risée des autres sorciers. Les elfes doivent montrer du respect au jeune maître. »

Altaïr soupira, il savait d'avance qu'il ne gagnerait pas ce débat d'autant plus que Cygnus avait interdit aux elfes d'accéder à ses demandes si cela n'était pas pour une urgence.

« Apporte-moi les potions Betty, s'il te plaît.

- Mais si le jeune monsieur en reprend maintenant, il sera malade toute la nuit. Ce n'est pas bon pour le jeune monsieur d'en boire autant. »

Altaïr soupira, la fatigue, la douleur, la nausée, les tremblements et son mal de crâne le faisaient perdre patience et il sentait la colère se rajouter à ce joli panel de sentiments et de ressentis. Betty était son elfe préférée au point qu'il la considérait comme sa meilleure amie. Sa seule amie. Mais elle voulait toujours le protéger de la moindre source de danger et c'est dans ces moments-là qu'elle commençait à l'agacer.

« Tu veux vraiment que je retourne dans cet état auprès de nos invités.

- Betty est sûre que si le jeune monsieur s'excuse et dit qu'il est malade, alors le jeune monsieur sera pardonné par les invités. »

Altaïr se releva enfin, bien qu'il peinait à ne pas tituber.

« Betty ! Donne-moi ces foutus potions ! » cria-t-il finalement. « Tu sais très bien que Cygnus va de toute façon me punir ce soir alors que je sois un peu plus malade ou pas, je ne sentirai pas la différence cette nuit. Mais maintenant, il y a des dizaines d'invités qui m'attendent à table et qui ne me rateront pas au tournant si je ne suis pas parfait.

- Le jeune monsieur est jeune, il sera pardonné. » s'entêta Betty.

« J'ai parlé à des gens Betty et ils m'ont répondu. » s'écria brutalement le garçon. « Cygnus disait que je ne méritais pas le nom de Black, que je ne devais parler à personne et rester dans un coin. Mais toutes ces personnes m'ont reconnu comme l'héritier que je suis alors Betty. Laisse-moi profiter de ce sentiment qu'enfin, je suis à ma place dans cette famille parce que ça ne m'arrivera plus avant longtemps. Très longtemps. »

Betty sembla frappée par les paroles si tristes de son jeune maître. Elle savait que le garçon n'avait jamais eu le droit de s'amuser pendant les précédentes réceptions auxquelles il avait participé, mais elle ignorait que c'était parce que son maître avait interdit cela à Altaïr. Elle avait pensé que ce garçon était juste trop introverti ou désintéressé pour se faire des amis ou discuter avec d'autres sorciers. Il ne lui avait jamais dit que ce n'était pas un choix.

Pourtant, elle savait que ce n'était pas bon pour lui de s'infliger tant de souffrance et de se droguer ainsi aux anti-douleurs. L'elfe secoua doucement sa tête de droite à gauche afin de lui faire comprendre que non, elle ne céderait pas. Betty prendrait soin de lui, qu'il le veuille ou non.

« Je vois. » cracha Altaïr qui vivait son comportement comme une trahison.

Il se détourna de l'elfe et posa ses paumes sur le rebord d'un des lavabos. Altaïr observa quelques instants son reflet dans le miroir avant de soupirer profondément. Il ne pouvait définitivement pas retourner ainsi à la réception, mais d'autre part, Cygnus ne serait pas heureux de savoir qu'il avait fui lâchement alors que leurs invités l'attendaient.

Soudain, une idée traversa l'esprit d'Altaïr. Betty était loin d'être la seule elfe du manoir. Elle était simplement la seule à bien vouloir lui parler.

« Derry ! » Appela-t-il finalement en soupirant une nouvelle fois.

Un jeune elfe apparut devant lui. Ce dernier sembla hésiter à faire une petite courbette afin de le saluer ou si cela irait à l'encontre des instructions de son maître. Altaïr décida à sa place en lui lançant ses ordres sans lui laisser le temps de réfléchir plus longtemps à son dilemme.

« Apporte-moi des potions contre la douleur, les spasmes et applique-moi un glamour. Si tu ne le fais pas, alors j'irai voir les invités dans cet état et ton maître aura alors beaucoup de problèmes. »

Le jeune elfe sembla hésiter, se triturant nerveusement un coin de sa tunique. Cela eut le don d'agacer Altaïr, encore davantage qu'il ne l'était déjà. Pourquoi est-ce que ces foutus elfes ne pouvaient pas lui obéir ne serait-ce qu'une seule fois. Se sentant impuissant et frustré, ses doigts se crispèrent et décrispèrent frénétiquement autour du lavabo sur lequel il prenait toujours appuie.

Il tenta de calmer son mauvais tempérament pendant de longues secondes jusqu'à ce que la faïence se fissure dans toute sa longueur. Par moment, cela le fascinait de voir à quel point sa lycanthropie, alliée à l'adrénaline de ses crises de colère, pouvait décupler ses capacités physiques. Le garçon mit un peu plus de poids sur le lavabo et ce dernier finit par céder et se briser en plusieurs endroits.

Altaïr se tourna vers Derry et lança un bloc de faïence dans sa direction en criant un puissant « Exécution ! » à son intention. Étrangement, toutes ses revendications avaient été exaucées moins de trois minutes plus tard.

Afin de se rafraîchir, Altaïr s'approcha d'un autre lavabo, ce qui fit bondir Derry en arrière. Il lui lança un regard mauvais et ce dernier finit par transplaner, effrayer par l'enfant. Altaïr se passa un peu d'eau dans la figure et cela lui fit un bien fou.

Désormais prêt à braver une nouvelle fois la foule et les nombreuses discussions qui l'attendaient encore, Altaïr quitta finalement les toilettes sans prêter attention à Betty qui lui lançait un regard réprobateur. Alors qu'il se dirigeait vers la salle de réception, quelque chose lui semblait étrange et il en devina rapidement la cause en percevant une respiration derrière lui.

Altaïr se retourna brusquement et découvrit une fillette. Que faisait une invitée ici et surtout, qu'avait-elle entendu ou vu ? Altaïr ne pouvait pas permettre à des rumeurs de quitter ce manoir ou sinon, Cygnus lui en ferait voir de toutes les couleurs.

Son regard croisa celui de la fille qu'Altaïr reconnut aisément. Juste là, à quelques mètres de lui se tenait Venus Lovegood et cela le mit hors de lui. Il avait demandé à Narcissa d'inclure la jeune fille et sa mère dans les invités. Certes Xenophilius Lovegood, le père de Venus, était un marginal qui n'avait pas très bonne réputation, mais sa mère était quant à elle plutôt reconnue en tant que maîtresse en sortilège. Narcissa n'avait donc eu aucun problème à inviter Alanna Lovegood, bien qu'elle fût plus surprise de devoir également inviter sa fille aînée.

Il avait même passé une partie de la soirée en sa compagnie, à nouveau derrière un pilier de la salle de bal. Visiblement Venus n'avait pas envi d'être vu en sa présence, mais cela ne dérangeait pas Altaïr. Il voulait simplement avoir une conversation intéressante et si pour cela, il devait se cacher pour ne pas embarrasser son interlocutrice, alors Altaïr le ferait volontiers.

Le jeune Black avait sincèrement pensé que Vénus était différente des autres enfants d'aristocrates qui ne faisaient que parler ragots pour imiter leurs parents. Venus ressemblait à sa mère, aussi bien physiquement qu'intellectuellement. Il suffisait de les voir l'une à côté de l'autre pour savoir qu'elle ferait d'aussi grande chose que sa mère dans le monde de la recherche. Vénus avait cette lueur de curiosité et de soif de connaissance qui brillaient au fond de son regard qui caractérisait tant de génie.

Alors la voir debout, les bras ballants et le regard coupable mettait Altaïr dans une rage folle. Elle l'avait espionné et savait très bien que c'était mal, sinon pourquoi prendre cet air gêné et coupable. Le garçon avait pensé qu'elle serait différente des autres, mais visiblement, il s'était complètement fourvoyé.

Il s'approcha d'elle de quelques pas afin de pouvoir lui faire correctement face, le regard meurtrier.

« Qu'as-tu vu ?

- Je suis désolé, je m'inquiétais pour toi, tu avais l'air malade. » chuchota-t-elle en se tortillant les doigts.

Altaïr la croyait, elle n'avait pas l'air de savoir mentir. Mais cela ne calma en rien sa colère.

« Ça ne répond pas à ma question.

- Depuis … depuis le passage sur une punition ou quelque chose du genre. » avoua honteusement Venus.

Apparemment même si elle l'avait suivi avec de bonnes intentions, elle avait tout de même espionné intentionnellement pour être resté aussi longtemps derrière la porte à écouter leur discussion. Altaïr se rapprocha de la jeune Lovegood et l'attrapa par le col.

« Je te préviens, si j'entends la moindre rumeur quitter ce manoir, je me chargerai de te faire taire et si ce n'est pas moi, ce sera Cygnus. Crois-moi, tu n'as pas envie de mettre un Black en colère parce que ce sera terrible pour toi et ta famille, alors je compte sur toi pour la fermer. »

La fille hocha frénétiquement de la tête d'un air terrifié, bien qu'elle fasse une tête de plus qu'Altaïr. Apparemment elle n'avait encore jamais été menacée de mort et Altaïr l'envia pour ça. Lui aussi aimerait pouvoir être aussi terrifié par les quelques mots qu'il venait de prononcer, mais il recevait tant de menace par semaine que cela ne lui faisait plus rien. Seules les actions le terrifiaient encore.

« Bien, je vais te raccompagner jusqu'à la salle de réception. » conclut Altaïr, préférant s'assurer qu'elle ne furèterait pas ailleurs.

Le trajet se fit dans un silence des plus gênant, mais cela sembla ne déranger que Vénus, Altaïr portant son habituel masque d'indifférence. Ce ne fut qu'une fois devant les portes de la salle que le silence fut brisé.

« Motus et bouche-cousue, compris ?

- Oui, oui. » approuva rapidement Venus.

Altaïr entrouvrit alors la porte pour les laisser passer et Lovegood fut surpris de découvrir l'expression de cet enfant si terrifiant changer du tout au tout. Ses muscles se décrispèrent, ses yeux se plissèrent légèrement, sa bouche s'étira en un sourire très léger, son pas devint plus léger et son regard ne lançait plus des éclairs. C'était très étrange d'assister à tant de changements en si peu de temps et Venus oublia bien vite sa peur.

Altaïr Black était fascinant, elle voulait le connaître encore davantage.

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Mai 1986 (Altaïr à 9 ans)

Encore une fois, Altaïr s'était écroulé sur le tapis d'un quelconque salon du manoir de Cygnus après une punition. Cette fois-ci la cause était qu'il avait mal parlé à Lucius Malefoy en croisant ce dernier quelques instants plus tôt dans cette pièce. Apparemment ce dernier avait été présent pour affaire et en apercevant le garçon qui l'insupportait tant sur le chemin pour quitter le manoir, il n'avait pu retenir une pique.

A ce moment-là, peu importait à Altaïr que Cygnus était aux côtés du blond, il avait répondu comme par automatisme. En réalité, cela faisait longtemps que plus rien ne l'atteignait vraiment ; les punitions de Cygnus, les surcharges de devoirs, les diners de famille insupportables auxquels il échappait la plupart du temps puisque Cygnus haïssait s'afficher auprès de lui en public. Même les piques de Malefoy, le meurtrier de ses grands-parents paternels, ne le touchaient plus autant qu'avant. Il répondait parce qu'il savait que c'est ce qui était à faire.

La seule chose qui le gardait encore conscient de ses émotions était la peur qui le tétanisait à chaque fois que Cygnus levait sa baguette sur lui. Alors Altaïr savait qu'il allait crier, pleurer, supplier pour que tout cela cesse. Pourtant, il n'avait pas réussi à s'empêcher de se moquer de Lucius, il n'avait pas réussi à stopper ce stupide réflexe.

« Devoir provoquer un enfant de dix ans pour vous sentir supérieur, c'est pitoyable. Vous êtes tombé bien bas Lord Malefoy. »

Au moins avait-il gardé sa politesse malgré la moquerie. Lucius était le gendre favori de Cygnus. Le fils qu'il n'avait jamais eu et le mari de sa fille qu'il aimait le plus. Être affilié au Malefoy était pour lui le symbole de la réussite de sa vie alors toucher à cela devant ses yeux étaient la pire des idées qu'Altaïr n'avait jamais eu.

« Doloris ! »

C'était parti tout seul, certainement était-ce devenu un automatisme pour Cygnus, tout comme répondre à Lucius en était devenu un pour Altaïr.

Malefoy avait conscience que son beau-père était un homme violent et que très certainement, Altaïr devait en voir de toutes les couleurs au manoir. Mais c'était bien la première fois qu'il assistait à une punition en direct et cela le répugna quelque peu de cet homme pour qui il éprouvait du respect.

Lucius ne détestait pas vraiment le mioche bien que l'inverse semble être le cas, cela l'amusait simplement de taquiner le garçon. Il n'avait pas pensé qu'une simple petite moquerie pourrait avoir de telles conséquences sur l'enfant.

« Flagrante ! Diffindo ! » Cygnus ne semblait pas prêt de s'arrêter, provoquant brûlure et coupure sur le corps du garçon.

« Cygnus, je pense qu'il a compris la leçon, mais je voudrais m'en assurer par moi-même. Puis-je m'en occuper ? »

Le vieil homme hocha sèchement de la tête avant de quitter finalement le salon. Altaïr était toujours au sol et tentait tant bien que mal de récupérer son souffle malgré la douleur. Lucius s'agenouilla à ses côtés et effectua divers mouvements de baguette au-dessus d'Altaïr. Petit à petit, ce dernier sentit ses plaies se refermer et la douleur disparaître.

« Ce n'est pas parfait et il faudra prendre des potions supplémentaires, mais ce sera suffisant pour l'instant.

- Merci. »

Lucius fut si surpris par ce simple mot qu'il se figea sur place. Cet enfant avait bien trop de haine envers lui pour pouvoir le remercier ou du moins c'est ce qu'il pensait jusqu'alors. Mais la mine renfrognée et la honte affichée sur son visage prouvaient bien que le garçon avait prononcé ce mot. Préférant ne pas accentuer le malaise d'Altaïr, Lucius se redressa et s'éloigna de quelques pas, permettant à l'enfant de se relever à son tour.

« Pourquoi me haïs-tu à ce point ? Je ne me souviens pas t'avoir déjà rencontré avant que tu n'emménages ici. »

Altaïr se crispa mais Lucius ne retira pas ses paroles. Il avait toujours eu du mal à comprendre les causes du comportement de cet enfant et le blond voyait enfin une ouverture pour entamer un rapprochement.

« Vous avez tué mes grands-parents. Je me souviendrai toujours de vos yeux derrière votre masque, vous sembliez si indifférent à leur mort. » lui reprocha sans honte Altaïr.

Lucius se crispa. Il n'avait jamais réalisé que la cause de cette rancœur à son égard puisse être si profonde et justifiée. Malefoy tenta de se souvenir de tous les vieillards qu'il avait tués pendant la guerre, mais aucun possédant un enfant avec cette apparence ne lui revint à l'esprit. Mais ces nuits de massacre était une chose qu'il n'aimait pas réaliser alors il était possible que Lucius n'ait pas jugé nécessaire de conserver ces souvenirs.

Il avait rejoint le Seigneur des Ténèbres dans sa jeunesse afin de faire profiter le mage noir de son argent et de son réseau politique. Cependant Lucius n'avait pas eu d'autre choix que de participer lui aussi. Il n'aimait pas tuer comme le faisaient Bellatrix ou Aquila Black, les cousines démones comme on les appelait sur le champ de bataille.

Mais cela ne le répugnait pas non plus. Lucius voyait simplement le meurtre comme un moyen de satisfaire les envies de son maître et d'aider à sa cause. Cela faisait longtemps qu'il avait enterré la culpabilité et le regret, désormais il ne ressentait que de l'ennui en repensant aux cadavres qu'il avait laissés derrière lui.

Altaïr comprit très bien que sa déclaration ne touchait pas plus que cela l'adulte face à lui et cela l'agaça encore davantage. Apparemment la cause de sa haine à son égard n'était pas suffisante pour attirer ses excuses ou du regret en lui. Le garçon se dressa finalement devant le noble, lui fit de poli aux revoirs comme il le faisait toujours malgré sa haine envers lui et quitta la pièce pour rejoindre sa chambre. Là, des potions pour ses soins l'attendaient déjà.

Il avait oublié sa lecture sur la table basse du petit salon. Mais Altaïr n'avait aucune envie de quitter sa chambre et prendre le risque de retomber sur son tuteur.

Cette journée était si ennuyeuse.

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16 mai 1987 (Altaïr a 10 ans)

« Recommence. »

Altaïr retint difficilement un soupir de détresse et d'agacement mêlé. Cygnus s'était mis dans la tête depuis un peu plus d'un an que simplement retenir les points importants de ses leçons n'était plus suffisant. C'est pourquoi il demandait depuis au garçon de retenir chaque phrases, mots, lettres et ponctuations de chaque livres ou magazines que le garçon lisait.

Le problème avec la retraite, c'était que contrairement à James, Cygnus avait beaucoup de temps à consacrer à l'éducation de son pupille. Alors cela ne le dérangeait pas vraiment de devoir le reprendre sur ses erreurs pendant plusieurs heures d'affilée s'il le fallait.

« N'oublie pas, tu es à huit échecs. Tu n'as plus que deux chances. »

Altaïr prit une profonde inspiration avant de se lancer dans le récit d'une des innombrables guerres gobelines que le vieil homme lui avait demandé d'étudier cette semaine.

« C'est en 1485 que Grignak le Borgne … »

Une minute s'écoula, puis une seconde et enfin une troisième sans qu'aucun châtiment n'intervienne. Altaïr dévisageait son tuteur qui suivait le texte dans son manuel afin de s'assurer qu'il ne fasse aucune erreur. Son expression était froissée, visiblement cela l'agaçait qu'il ne fasse si peu d'erreurs. Ce petit exercice était bien plus amusant quelques mois plus tôt lorsque le garçon bégayait tous les vingts mots.

« … C'est grâce à cette collaboration que Jasper Tudor a obtenu le titre de duc de Bedford la même année. »

Les lèvres de Cygnus se tordirent en une expression satisfaite. Altaïr avait visiblement fait une erreur et attendait avec tension le coup de canne qui ne tarderait pas à s'abattre sur ses mollets dénudés.

« Mauvaise conjugaison. Jasper Tudor obtient et non Jasper Tudor a obtenu. »

Altaïr se fit la réflexion que Cygnus cherchait vraiment la petite bête et cela l'agaçait énormément. En quoi cette petite erreur de conjugaison pourrait altérer sa compréhension de cette leçon. Cet exercice n'avait aucun intérêt si ce n'était pour servir de divertissement au sorcier.

D'un geste de la baguette, la canne de Cygnus s'abattit avec force sur ses précédentes plaies et Altaïr ne put retenir un gémissement plaintif de lui échapper. Cela contraria Cygnus qui fit léviter sa canne et d'un geste précis, frappa l'estomac de l'enfant en son centre. Le garçon s'effondra au sol, crachant et respirant avec force tout en agrippant les poils du tapis de la bibliothèque entre ses doigts. Il ne devait surtout pas lâcher un nouveau gémissement.

« Plus qu'un seul essai pour atteindre la fin du chapitre. »

Altaïr se redressa rapidement, ne souhaitant pas contrarier davantage son tuteur. Puis, il reprit là où il en était. Être continuellement interrompu dans son énoncé n'aidait pas non plus son cas.

« C'est grâce à cette collaboration que Jasper Tudor obtient le titre de duc de Bedford la même année. Six ans plus tard, le 18 mai 1491, un complot éclate dans son château. Trois de ses amis les plus proches, le conte Balvis, sa femme et le duc Ergi tente de l'assassiner dans son sommeil en faisant porter le chapeau à son neveu, Henri Tudor… »

Plus que quelques phrases et le chapitre serait terminé. Altaïr s'en réjouit d'avance tout en veillant à ne pas dissiper sa concentration. Cela lui arrivait de plus en plus souvent d'atteindre les objectifs que l'homme lui fixait, pourtant ce n'était pas systématique et cela le rendait nerveux.

« … A son décès treize en plus tard, son titre revient à son neveu en gage de remerciement pour sa loyauté durant toutes ces années. Ce dernier n'arrivera cependant pas à maintenir la paix que son oncle avait maintenu avec les gobelins. Trois en plus tard, il brise les accords passés avec Grignak et ce dernier, comme gage de vengeance déclencha la révolte de septembre 1494. Révolte aussi appelé la mutinerie de Bedford ou encore le soulèvement de la gué. »

Cygnus éclata de rire et Altaïr sut qu'il s'était planté.

« Sur le dernier mot. » se moqua méchamment l'adulte. « du gué, c'est un nom masculin idiot. La gué, c'est la meilleure celle-là. »

Altaïr serra ses poings de rage, n'aimant pas la moquerie et surtout, ne comprenant pas en quoi son erreur était si hilarante. Il ne savait même pas ce qu'était un gué, alors comment savoir si ce mot était déminin ou masculin.

« Ça fait donc dix erreurs. » jubila Cygnus. « Doloris ! »

Le garçon s'effondra au sol, se tordant de douleur. Le sortilège ne dura que quelques brèves secondes. Puis, le professeur quitta la pièce d'un pas guilleret.

Altaïr n'aurait jamais imaginé penser cela, mais les leçons de James lui manquaient affreusement.

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31 octobre 1986

Aujourd'hui, Altaïr avait neuf ans. Pourtant, il n'avait pas l'impression que cela changeait grand-chose à sa vie. Cygnus avait été aussi désagréable qu'à l'accoutumée, ses leçons étaient toujours aussi difficiles à suivre et même ses insomnies étaient les mêmes que les autres jours. Tout était similaire à la veille et serait similaire au lendemain.

Altaïr glissa ses mains dans ses poches et tâtonna le biscuit qui s'y trouvait, enveloppé d'un chiffon propre. Finalement, il y avait bien un événement sortant de l'ordinaire. Betty lui avait offert cinq cookies aux pépites de chocolat le matin même. Altaïr en avait mangé deux pour le petit déjeuner, puis un pour le dessert à midi et un autre au goûter de seize heures. Il n'avait jamais le droit de prendre de goûter ici, alors il avait beaucoup aimé avoir droit à une petite sucrerie entre deux cours aujourd'hui.

Il déballa précautionneusement le dernier biscuit de Moby de son emballage et le dégusta en observant les étoiles. Altaïr savoura quelques instants les saveurs éclater dans son palais et ferma même les yeux pour profiter un maximum du goût du chocolat. Il adorait le chocolat, Cygnus le savait et lui interdisait d'en manger.

Remus aussi aimait le chocolat, il lui en glissait toujours un dans le dos de James et surtout dans celui du Thomas qui était trop petit pour croquer les carreaux durs. Bien sûr, Remus ignorait qu'il partageait toujours son butin avec son jeune frère, même son chocolat.

En repensant à sa famille, un tendre sourire étira les lèvres de l'enfant avant de subitement disparaître. Quelques jours plus tôt, il avait dû accompagner Cygnus pour faire refaire sa garde robe. Ses vêtements lui étaient devenus trop petits et même s'il n'avait le droit de voir personne, le vieil homme continuait de baragouiner que c'était une honte de voir un Black dans de telles tenues.

Altaïr n'avait pas rouspéter. Il quittait si peu souvent du manoir que la moindre sortie devenait pour lui une expédition des plus palpitantes. Alors même passer trois heures à essayer des vêtements et écouter des vendeuses insupportables était devenu un plaisir pour lui.

C'est alors qu'il sortait d'une boutique de sur mesure dans laquelle Cygnus l'avait traîné, qu'Altaïr aperçut de l'autre côté de la rue un petit garçon au cheveux corbeaux en pagaille sur sa tête, un regard émeraude perçant et une cicatrice en forme d'éclair sur le front. Thomas n'avait pas changé d'un poil si ce n'était pour les quelques centimètres qu'il avait pris ou cette paire de lunettes circulaires qui trônaient fièrement sur son nez.

Leurs regards se croisèrent et le cœur d'Altaïr cessa de battre le temps d'une seconde. Une unique larme coula sur sa joue et l'autre enfant le fixa d'un air confus quelques secondes. Puis Il se retourna vers son père et le suivit dans la boutique de balais juste derrière eux, un grand sourire aux lèvres et le regard pétillant.

Thomas ne l'avait pas reconnu et Altaïr perdit pied. Son propre frère ne l'avait pas reconnu, son précieux petit-frère ne se souvenait plus de lui, il l'avait oublié. Thomas avait semblé si heureux en compagnie de James, juste eux deux, sans lui.

Les jambes d'Altaïr l'avaient lâché, ses yeux s'étaient humidifiés et étaient prêts à laisser couler de grosses larmes sur ses joues. Tout autour de lui semblait bouger à la fois incroyablement vite et lentement. Puis soudain, Altaïr reprit conscience de la situation en même temps que la baffe de Cygnus résonnait sur sa joue. Le petit garçon se releva avec précipitation et le suivit vers le Chaudron Baveur. Le vieil homme avait décidé qu'il était l'heure de rentrer et Altaïr en fut étrangement soulagé.

En repensant au regard curieux et rempli d'incompréhension que Thomas avait posé sur lui, Altaïr eut à nouveau l'impression de suffoquer. Espérer retrouver Thomas à Poudlard avait été sa raison de vivre. La raison qui le faisait tenir dans cet enfer. Parce qu'il n'était pas seul, parce que quelqu'un l'attendait, quelque part.

Mais maintenant, Altaïr comprenait à quel point il était seul. Son frère n'avait que trois ans lorsqu'il avait quitté le manoir et quatre lorsque leurs rencontres avaient cessé en même temps que Walburga était décédé. Alors il était évident que Thomas ne puisse pas se souvenir de lui, son visage lui avait peut-être vaguement dit quelque chose, d'où la curiosité qui avait illuminé son visage. Mais jamais le petit garçon ne pourrait se souvenir d'Altaïr Black né Potter, son grand-frère.

Altaïr rouvrit finalement les yeux et s'amusa à reconnaître les constellations dans le ciel afin de se changer les idées. Bien qu'il connaisse leurs noms, il avait parfois du mal à les reconnaître en pratique. Cela lui permettait de se changer les idées et d'oublier ses pensées morbides quelques instants.

Une dizaine d'aboiements au loin le fit se redresser mais il se calma rapidement en reconnaissant là les cris d'un chevreuil. Altaïr aimait grimper depuis le rebord de sa fenêtre sur le toit afin d'atteindre une parcelle de ce dernier qui était presque à l'horizontale. Cela lui permettait d'avoir une vue sur l'ensemble de la vallée et de surplomber la forêt environnante, tout en ayant peu de chance de glisser sur les tuiles.

Le froid lui transperçait la peau, ses doigts tremblaient dans ses poches, ses dents claquaient et ses lèvres étaient devenues bleues. Pourtant Altaïr ne se sentait jamais aussi bien que sur cette petite parcelle venteuse, c'était son refuge, sa cachette. Ici, Cygnus ne le retrouverait jamais et ne pourrait encore moins le rejoindre, il était trop vieux pour cela.

Il n'avait pas pris de mouchoirs et comme cela l'agaçait de plus en de renifler, il décida finalement de descendre de son perchoir afin de rejoindre son lit. Une fois debout, Altaïr porta une dernière fois son regard sur l'horizon et cela le rendit étrangement infiniment triste.

D'ici, le monde semblait si petit et lointain que ses problèmes semblaient risibles. Mais le garçon savait qu'une fois dans son lit, ses peurs, ses doutes, ses regrets, ses peines et ses crises d'angoisse reviendraient le hanter. Il n'avait même plus d'espoir auquel se raccrocher, Thomas ne se souvenait plus de leur promesse, il serait le seul à l'attendre à Poudlard.

La vie d'Altaïr n'avait aucun sens, il le réalisa maintenant. Pas de but, pas de rire, pas de bonheur, pas d'amis, pas de famille. Altaïr n'avait rien. Sa vie était incroyablement vide.

Puis, le garçon posa son regard sur le sol qu'il parvenait à peine à apercevoir à travers l'obscurité alentour, seul la lune éclairait quelques brins d'herbes se tortillant follement au gré du vent. Même cette maudite pelouse semblait avoir une vie plus palpitante que la sienne et cette pensée le fit éclater de rire. Puis les rires devinrent des sanglots et enfin des hurlements de détresse.

Lorsqu'il fut vidé de toutes les larmes de son corps et que sa gorge lui faisait mal à force de crier, Altaïr finit par se calmer doucement. Il posa une nouvelle fois son regard sur ces herbes qui le narguaient tant.

Le garçon avança d'un petit pas et sa respiration s'accélérera et son pouls s'emballa, cognant avec force contre ses tempes. Altaïr avait l'impression de reprendre vie et cela le grisa, alors il fit un second pas. Cette fois-ci l'angoisse reprit le devant et écartant petit à petit son adrénaline.

Altaïr recula soudainement, prenant pleinement conscience de ce qu'il était sur le point de faire. Terrorisé par ses actes, il voulut faire demi-tour. Mais apercevoir sa fenêtre et sa jolie cage dorée lui noua la gorge. Une nausée soudaine serra son estomac et Altaïr refit une nouvelle fois demi-tour. Il refusait de retourner dans son enfer.

Alors il prit une profonde inspiration et fit quelques pas en arrière , sans prendre de pause cette fois-ci. Puis, il sentit que son pied ne touchait plus les tuiles du toit, il avait trop reculé. Son corps chuta en arrière dans le vide. Le ciel s'éloignait petit à petit, les étoiles reposaient doucement dans l'obscurité et la lune brillait au loin. Altaïr ferma ses paupières, gravant cette image apaisante dans son esprit à tout jamais.

Puis, une douleur sourde lui arracha un hurlement silencieux. Il n'avait pas sauté assez loin et l'un de ses pieds avait rencontré le rebord d'un balcon quelconque. Cela ne dura qu'une fraction de seconde, mais le choc avait suffit à le faire voltiger dans les airs et Altaïr se retrouvait désormais la tête la première dans sa chute.

Altaïr apercevait avec une étrange précision les brins d'herbe qu'il admirait quelques secondes plus tôt, mais qui le terrifiaient désormais. Il voulait garder l'image paisible des étoiles dans son esprit, pas cette terreur infinie qui l'envahissait alors que le sol se rapprochait bien trop rapidement à son goût.

Puis, tout cessa. L'herbe caressait son visage, mais le choc ne vint jamais. A la place, il fut doucement retourné et déposé sur le sol par une force invisible. Altaïr était à nouveau allongé face aux étoiles.

Quelques secondes s'écoulèrent. Il ne comprenait pas ce qu'il venait de se passer. Puis, une tête d'elfe en larmes apparut dans son champ de vision et Altaïr comprit. Betty venait de lui sauver la vie.

A cette pensée, son cœur accéléra vivement dans sa poitrine et des larmes de soulagement lui échappèrent. Le garçon se releva vivement et agrippa Betty de toutes ses forces, les deux amis se serrant avec force, tentant vainement de se rassurer mutuellement.

Altaïr ignorait pourquoi, mais il se rendait enfin compte qu'une profonde envie de vivre vivait en lui. Même sans but, sans famille et si cela n'avait aucun sens, Altaïr voulait définitivement vivre. Il avait toute une vie pour trouver un but, se construire une famille et donner un sens à son existence.

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17 novembre 1986

Altaïr avait passé les deux semaines suivantes dans son cachot habituel. Cygnus avait appris d'un de ses elfes chargé de l'espionner, ce qu'il avait fait le soir de son anniversaire. Cela ne lui avait évidemment pas plus et jamais Altaïr n'avait subi une punition aussi terrifiante. Mais le pire avait été d'entendre les cris de Betty qui subissait elle aussi le Doloris par sa faute et son comportement irréfléchi.

Cygnus l'avait enfermé là si longtemps qu'il avait fini par y passer une nuit de pleine lune. Désormais, les blessures récoltées par son loup pendant celle-ci le tiraillaient tellement qu'il n'arrivait même plus à se mouvoir pour attraper la nourriture que Betty lui donnait. Certainement que les plaies s'étaient infectées avec toute la saleté et la poussière environnante.

Un « pop » sonore lui indiqua que la petite elfe de maison était apparue à ses côtés et ses plaintes lui faisaient comprendre qu'elle le suppliait de boire un peu d'eau. Mais Altaïr n'en avait pas la force. Il voulait simplement dormir, peut-être que cela ferait disparaître la douleur.

Petit à petit, il sentit la douleur dans ses membres s'atténuer à sa grande surprise. Il n'était pas endormi, il en était certain, alors pourquoi donc ne souffrait-il plus ? Altaïr ouvrit difficilement un œil et vit Betty penchée au-dessus de son corps en train de lui lancer divers sorts elfiques et lui appliquer un baume cicatrisant sur ses plaies.

« Arrête Betty, si Cygnus te vois tu vas te faire punir. »

Mais Betty n'obéit pas. Altaïr n'était pas à même de lui donner des ordres et rien ne l'obligeait à l'écouter. De plus les ordres de son maître était d'ignorer le garçon, c'est donc ce qu'elle allait faire en ignorant ses plaintes et ses ordres.

Soudain, un pas claquant derrière elle et le son d'une canne la fit se retourner avec frayeur. Devant elle se dressait son maître de toute sa hauteur et il ne semblait pas heureux, pas heureux du tout. Betty avait désobéi et elle allait recevoir une punition, mais cela ne la dérangeait pas car elle avait pu aider le jeune monsieur Black.

C'est avec un sourire tendre aux lèvres, le regard plein de bonté plongé dans celui désespéré d'Altaïr, que Betty accueillit le sortilège de la mort de son maître. Elle ne regrettait aucune de ses actions si ce n'était de ne pas pouvoir aider plus longtemps ce garçon qui était le seul sorcier à l'avoir considéré comme plus qu'une simple esclave.

Altaïr cria et tempêta pour éviter cela, ses blessures se rouvraient sous ses mouvements brusques mais cela n'importait plus à ses yeux. Il devait aider Betty, il devait faire quelque chose pour la sauver après tout ce qu'elle avait fait pour lui. Mais c'était trop tard et Altaïr le savait déjà au fond de lui, rien ne pouvait soigner de ce sortilège.

Altaïr avait perdu la seule personne qui ne l'ignorait pas dans ce manoir. Même si ce n'était qu'une elfe, Betty était la seule qui osait lui adresser la parole et qui voulait bien répondre à ses questions. Elle avait toujours pris soin de lui en cachette, lui apportant un casse-croûte pendant la nuit lorsqu'il était privé de nourriture ou lui tendant discrètement le livre qui allait miraculeusement l'aider dans ses devoirs. Betty avait été sa seule amie dans ce manoir si austère.

Les larmes dévalaient ses joues, le regard posé sur le cadavre de la petite elfe de maison et ses membres tremblants d'un mélange d'effroi et de douleur. Cygnus lui lança un dernier regard noir avant de quitter les cachots, laissant le cadavre de son serviteur derrière lui.

Altaïr attrapa délicatement le corps de Betty entre ses bras douloureux et la serra contre lui alors que ses sanglots résonnaient dans la cave froide.

Il était seul, encore une fois.

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26 décembre 1986

Altaïr observait depuis la fenêtre de sa chambre un petit surplomb de terre dans un coin du jardin de Cygnus, juste à la lisière des bois. C'est là qu'il avait enterré Betty pendant une journée où Cygnus s'était absenté du manoir.

Le jeune sorcier s'était assuré que le petit tas de terre n'était visible que depuis sa chambre car ainsi, son tuteur ne verrait pas qu'encore une fois, il lui avait désobéit. Altaïr refusait d'abandonner le corps de l'elfe dans la forêt afin qu'il se fasse dévorer par une créature quelconque dans le but d'effacer les traces du crime. Bien que les elfes de maison soient considérés comme inférieurs par les sorciers, le meurtres de ces derniers étaient punis par la loi et c'était bien l'une des seules faveurs que le Ministère accordait à ces petits êtres magiques.

Altaïr n'avait eu aucun mal à convaincre les autres elfes de lui confier le corps de Betty puisqu'eux aussi étaient répugnés à l'idée d'abandonner l'une des leurs dans un bois sombre autour du manoir. Bien qu'ils ne le montrent pas tous les jours, les elfes vivaient dans ce manoir comme les membres d'une même famille et la mort de l'un des leurs était un désastre pour eux.

Depuis, Altaïr passait chaque instant de son temps libre à observer le petit monticule de terre. Betty lui manquait beaucoup. Elle avait été la seule personne à lui adresser la parole ici. Désormais, en dehors d'un simple « Maître Cygnus Black vous attend dans le salon » de la part d'un elfe et les cris de ce dernier, Altaïr n'avait plus aucun contact avec quiconque. D'autant plus qu'en voyant son pupille apprécier le bal qu'ils avaient donné, Cygnus refusait également qu'il ne retourne à une quelconque fête ou n'adresse la parole à un autre héritier.

Il ne s'était pas rendu compte que Betty avait été aussi présente à ses côtés. Désormais seul le silence occupait ses journées et cela le rendait fou.