CHAPITRE 2

Royaume-Uni, 1984

- Rose ! Rose, reviens ici petite canaille !

Un rire aigu retentit dans la grande maison, suivi de pas précipités.

- Rose… où te caches-tu ? C'est l'heure de ton bain !

La gouvernante finit par trouver la cachette de l'enfant : sous un buffet.

- C'est une habitude maintenant de te cacher sous les meubles ?! Sors de là. Sinon, ce soir, pas d'histoire.

La menace sembla fonctionner et une petite silhouette sortit en rampant, couverte de poussière.

- Nan c'est pas zuste ! Z'veux ma stoire !

- Alors viens te laver.

Maugréant, l'enfant prit la main tendue et suivit en trottinant.

- Tu me raconteras la stoire des trois messieurs qui ont eu des cadeaux ?

- Le Conte des Trois Frères ? Si tu veux.

- Alors ze veux bien prendre le bain.

- À la bonne heure ! s'exclama Olivia en souriant malgré elle.

Elle fit rentrer la petite dans la grande salle de bains chauffée magiquement. Olivia enleva à Rose les vêtements salis de poussière et la poussa dans la douche, l'arrosant généreusement d'eau.

- Z'ai froid.

- Arrête de râler et ne gigote pas comme ça, c'est bientôt fini.

La petite se laissa frictionner sans bouger ni rien dire, mais finalement…

- Dis Nanny… pourquoi t'as pas de bébé ?

- Mais j'ai déjà un enfant, Rose.

- Ah bon ! C'est qui ?

- C'est toi mon cœur. Tu me donnes bien assez de travail comme ça !

- Ah.

Olivia sourit d'un air amusé devant l'air perplexe de la gamine.

- Mais Papa l'a dit que z'ai une maman qu'est partie. Alors maintenant, c'est toi ma maman ?

- C'est à toi de décider.

- Alors t'es ma nouvelle maman, décida d'un ton ferme l'enfant de quatre ans.

- D'accord, ça me va. Mais tu n'es pas obligée de m'appeler Maman.

- Bah non, tu t'appelles Nanny.

L'idée de changer de prénom lui paraissait de toute évidence absurde. Nanny sourit de nouveau et enfila le pyjama bleu à l'enfant.

- Z'aime bien le bleu, c'est zoli.

- Tu as raison. Tiens, lave-toi les dents maintenant.

Elle tendit une petite brosse que Rose attrapa sagement, la perspective d'être privée d'histoire la rendant plus coopérative que d'ordinaire.

La gouvernante l'aida à finir sa toilette en démêlant ses cheveux puis lui prit de nouveau la main.

- Stoire maintenant !

Olivia acquiesça et la dirigea dans les couloirs de l'immense maison. Arrivées à la chambre, Rose poussa la porte et grimpa dans son grand lit, se glissa sous la couette, les yeux agrandis par l'impatience.

Sa Nanny s'assit au bord du matelas et commença l'histoire qui fascinait tant la petite.

- Il était une fois trois frères qui allaient par-delà les fleuves et les montagnes. Un jour, ils firent face à une rivière, trop large et trop profonde pour être traversée sans danger. Heureusement, les trois frères étaient des sorciers, et d'un coup de baguette magique, ils firent apparaître un pont reliant les deux rives. Lorsqu'ils furent au milieu du pont, une grande silhouette cachée dans une cape se révéla à eux. C'était la Mort qui venait à leur rencontre. Folle de colère, elle voulait voir ces trois hommes capable de traverser cette rivière, grâce à laquelle elle avait pu récupérer tant d'âmes. La Mort était maligne, et comme elle souhaitait que les trois frères périssent, elle fit semblant de les flatter en leur proposant un cadeau à chacun.

- Là c'est mon moment préféré, coupa Rose dont les paupières s'alourdissaient déjà.

- Le plus vieux des frères, un homme combatif, demanda une baguette si puissante qu'elle ne pourrait jamais perdre. L'homme disait la mériter après avoir vaincu la Mort. Alors, la Mort prit une branche de sureau et lui tailla la Baguette de Sureau. Le second frère, le plus arrogant, voulu humilier la Mort encore plus, et lui demanda le pouvoir de ramener les morts à la vie. La Mort prit alors une pierre près de la rivière, la lui donna, et affirma qu'il était maintenant en possession de la Pierre de Résurrection. Enfin, le plus jeune, qui était humble et rusée, n'avait pas du tout confiance en la Mort. Il lui demanda un objet qui lui permettrait de se déplacer sans être vu par la Mort. À contrecœur, elle lui donna donc sa propre Cape d'Invisibilité. Après, elle s'en alla, et les frères racontèrent leur aventure à qui voulait l'entendre.

Olivia s'interrompit un instant pour jeter un œil à Rose. Elle s'était endormie, ne résistant pas à la voix douce et mélodieuse de sa gouvernante.

- Décidément, soupira la jeune femme en bordant la petite, tu ne connaitras jamais la fin si tu t'endors toujours avant.

Elle sortit de la chambre sur la pointe des pieds, puis rejoignit les cuisines pour donner les dernières instructions aux elfes de maison. Elle les aida puis envoya tout le monde se coucher.

Rose l'inquiétait : elle ne tentait jamais de parler de sa mère d'habitude. La gouvernante était aussi préoccupée par Monsieur, qui brillait par ses absences, de plus en plus fréquentes et longues. Ce n'était pas bon pour l'équilibre d'une enfant d'à peine quatre ans.

Elle se retourna dans son lit et s'endormit enfin, épuisée par la débordante énergie de Rose.

Poudlard, janvier 1995

Les Serdaigles n'eurent pas le temps de profiter du reste des vacances : sitôt Noël et le bal terminés, le jour de l'an leur succéda puis ce fut la rentrée.

Le lundi 2 janvier après-midi, les quatrièmes avaient Défense Contre les Forces du Mal. En allant en cours, Rose eut une vive discussion avec Derek et Lisa.

- Non. Je ne la lui rendrai pas.

- Mais c'est son cadeau de Noël !

- Peut-être. C'était une raison pour m'attaquer avec ?

- Il jouait, Rose ! Tu ne vas pas lui en vouloir indéfiniment ? tenta de raisonner Derek.

- M'en fiche. Il est puni.

Rose croisa les bras en faisant la moue.

- Je t'assure qu'il ne l'a pas fait exprès, plaida la rousse.

- Allez, rend sa figurine à Michael, dit Derek, exaspéré. Même Mandy t'en veut.

- Évidemment qu'elle le défend, elle est dingue de lui, s'entêta son amie.

Lisa leva les yeux au ciel et le blond soupira.

- Il m'a délibérément attaquée avec la figurine de Petrova Porskoff. Je l'ai attrapée, je la garde. Il est mauvais perdant, c'est tout.

- Rose, sois raisonnable.

- Tu es de mauvaise foi en plus ! Tu as triché pour l'attraper ! clama Lisa.

- Non.

- Si. Tu as jeté le maléfice du Saucisson à une figurine, si ça c'est pas de la triche ! ajouta Padma.

- Je suis pas Attrapeuse moi, je fais avec les moyens du bord.

Derek gonfla les joues et céda.

- Je laisse tomber. Tu es trop bornée.

- Ha ! j'ai gagné, jubila son amie en prenant place dans leur salle de cours.

Michael lui lança des regards désespérés pendant deux heures, ce que Fol Œil ne manqua pas de remarquer.

- Je ne pense pas que Miss Wayne ait besoin de vous pour rester en état de vigilance constante, Corner.

Les Serdaigles éclatèrent de rire. Le Batteur eut un regard dépité.

À la fin du cours, Rose attrapa Michael par le bras et déclara solennellement :

- Jure que tu ne m'attaqueras plus jamais avec ton jouet.

- Je le jure.

- Jure aussi que tu ne te mesureras plus à moi en Sortilèges, parce que je suis meilleure que toi.

Les autres levèrent de concert les yeux au ciel, mais Rose ne lâchait pas Michael, le dirigeant dans les couloirs.

- Je le jure, soupira-t-il.

- Tu vois quand tu veux !

Elle lui fourra un petit objet dans la main.

- Petrova ! s'écria Michael. Mais… elle ne bouge plus ?!

- Ah oui, elle m'empêchait de dormir, je l'ai encore saucissonnée. Essaie Finite incantatem.

Michael réussit enfin à se dégager et prit un siège aussi loin que possible de la jeune fille en cours de Sortilèges. Rose, un sourire victorieux aux lèvres, prit place à côté de Lisa.

- Ça y est, tu lui as rendu ?

- Oui, il me faisait trop de peine. Et puis il a admis que j'étais meilleure que lui en Sortilèges, déclara-t-elle d'un ton satisfait.

- C'était du chantage ! protesta Mandy.

- Mais non. Il n'était pas obligé de l'admettre, s'il n'avait pas été convaincu que c'est la vérité.

- Attention, murmura Derek. Le couplet favori de Rose : on a…

- Toujours le choix, compléta Lisa.

- Et elle a… continua le blond.

- Toujours raison ! acheva Terry qui venait de s'installer. Vous parliez de quoi ?

- Rose à enfin rendu sa figurine à Michael, résuma Anthony.

- Pourquoi il boude alors ?

- Parce que j'ai raison ! clama Rose.

- Bonjour à tous, commença de sa voix aigüe le professeur Flitwick. Aujourd'hui, nous allons voir les progrès que vous avez faits avec le sortilège d'Expulsion.

Ce n'était pas pour rien que la petite troupe était à Serdaigle.

Tous réussirent à exécuter le sortilège avec brio. Sauf peut-être Terry qui, pour une raison inconnue, envoya son coussin en plein dans la tête de Derek.

- Oups.

- Bah tiens, râla le blond. Tu m'attaques maintenant ?

Terry fit mine de siffloter en regardant ailleurs.

- Méfie-toi, je vais appliquer la méthode de Rose : je confisque !

- Et tu vas me prendre quoi ?

- Ta baguette, répondit le Poursuiveur après une seconde de réflexion.

- J'empoisonnerai ton petit-déjeuner demain matin, répliqua le brun du tac au tac. Tu ne croyais pas que j'allais me laisser faire en plus ?

Leurs amis suivaient l'échange, un sourire aux lèvres, parfaitement déconcentrés.

- Hé oui Derek, Terry n'est pas Michael : il a du répondant lui au moins !

- Tu me cherches en fait ? demanda ce dernier à Rose.

Son sourire malicieux lui répondit.

- Mais pourquoi ça tombe toujours sur moi ?!

- Parce que tu réagis, proposa Lisa.

- Correct. Derek me connait par cœur et sait comment gagner ; Anthony est imperturbable ; Terry est beaucoup trop chou pour que je l'embête. Donc, ça tombe sur toi ! conclut-elle, ravie de son explication.

Les trois concernés regardaient Rose avec amusement, et Michael, malgré un air renfrogné, ne pouvait s'empêcher de sourire.

- Quels sont ses points faibles alors ? demanda-t-il en se tournant vers Derek. Histoire que je gagne moi aussi, de temps en temps.

- Ben voyons, gronda Rose, faussement fâchée, poussant Derek du coude pour qu'il ferme la bouche et ne réponde pas.

Michael souffla de dépit, assurant qu'un jour, ce serait lui qui gagnerait.

Après le cours, ils rejoignirent la bibliothèque en discutant. Padma les quitta pour rejoindre sa sœur Parvati. Michael protesta en disant qu'il n'y avait rien à faire un lundi de rentrée à la bibliothèque, et partit en direction du parc de Poudlard.

- Qu'est-ce qu'il va faire ? se demanda Anthony.

Il ne semblait pas pouvoir comprendre ce qu'il y avait de mieux que d'aller à la bibliothèque un lundi après-midi. Mandy grommela dans un coin et Lisa lui pressa gentiment l'épaule. Au regard surpris d'Anthony, Rose fit un vague signe de main pour qu'il s'abstienne de toute question.

Ils se réunirent donc à six autour d'une table ronde de la bibliothèque, après être passés devant Madame Pince qui les avait salués froidement, comme d'ordinaire.

Les Serdaigles sortirent leurs parchemins, plumes et manuels, mais le beau temps les empêchait de se concentrer – même Anthony ne parvenait pas à être inspiré pour son devoir de Sortilèges (« Trente centimètres pour expliquer les avantages des sorts d'Expulsion et d'Attraction dans la vie quotidienne »).

La discussion fit le tour de plusieurs sujets, avant de stagner sur le Tournoi des Trois Sorciers, comme souvent cette année.

- C'est quand déjà la deuxième tache ?

- Le 24 février, dit Terry. Je me demande ce qu'il va s'y passer.

- L'autre jour en entendant des cinquièmes de Poufsouffle, j'ai cru comprendre qu'il y avait une histoire d'objet à trouver, raconta Anthony.

- Une chasse au trésor ? proposa Derek.

- Peut-être… concéda Rose. Vous croyez qu'ils vont devoir parcourir tout Poudlard pour trouver leur truc ? Y'en aura pour des jours…

- J'espère qu'ils délimiteront une zone. Sinon ils ne vont pas s'en sortir, fit Lisa.

- Ou alors on se plante complètement et ce ne sera pas du tout ça, contra Terry en souriant. On parle de Dumbledore, là.

- Tu crois que c'est lui et les autres directeurs qui inventent les épreuves ? questionna Mandy.

- Ce serait logique, approuva Derek. Sauf si les épreuves sont définies par la Coupe elle-même.

- C'est possible aussi.

Anthony s'étira.

- Le mieux, c'est d'attendre le 24, conclut-il en prenant sa plume et se penchant finalement sur son parchemin.

En ce vendredi, les quatrièmes avaient Histoire de la Magie. Le cours passait si lentement. Les Serdaigles n'en voyaient pas la fin. Aujourd'hui, c'était à Mandy et Terry de prendre des notes. Ils s'acquittaient de leur tâche en soupirant de temps à autre. Michael avait renoncé à écouter et il regardait dehors, l'air rêveur. Padma, assise à côté de sa sœur Parvati, pensait aux garçons du bal. Derek écrivait une lettre pour ses petites sœurs, Rose le regardait faire. Anthony et Lisa étaient vers le fond, sagement installés. La rousse avait la tête posée sur l'épaule de son petit ami, et lui avait enroulé son bras autour des hanches dissimulées par le pull d'hiver. Ils discutaient par parchemin interposé, pour ne pas faire de bruit.

Le professeur Binns racontait certainement des histoires ennuyeuses à mourir.

Derek avait terminé sa lettre et entama une partie de pendu magique avec Rose. Chaque fois que la lettre proposée n'était pas la bonne, l'échafaud du pendu se traçait magiquement, morceau par morceau. Le plus drôle, selon Rose, était de perdre, puisque le pendu bougeait sinistrement au bout de sa corde d'encre.

La Serdaigle trouva le mot épineux, puis réfléchit à quoi proposer à Derek. Elle se creusait les méninges, mais rien ne lui venait à l'esprit.

Un petit papier plié atterrit sur leur table. Haussant un sourcil, elle se pencha vers Derek qui avait été plus rapide qu'elle.

- « Il faut un adjectif. Ne trichez pas ! », lut Rose. C'est quoi ?

Son ami tritura le papier puis sembla comprendre.

- J'ai capté ! C'est un cadavre exquis !

Rose avait une mine de plus en plus ahurie.

- C'est un jeu moldu, expliqua-t-il. Il faut faire une phrase en écrivant un sujet, puis un verbe, un complément… sans savoir ce que les autres ont écrit.

Son amie fronça les sourcils.

- Regarde. Là, il faut un adjectif. Qu'est-ce que tu veux mettre ?

- Fourbe ! répliqua-t-elle.

Il inscrivit le mot puis plia à son tour le parchemin pour que le mot soit invisible.

- Et maintenant ?

- Ils vont mettre un verbe, dit-il en se penchant vers Mandy, assise devant eux.

Il lui passa le parchemin en murmurant « un verbe », la blonde acquiesça. Rose regardait son ami d'un air songeur.

- Et à la fin, ça donne une phrase ?

- C'est ça. Je t'assure que c'est drôle, ajouta-t-il devant l'air sceptique de la Serdaigle.

Bientôt le papier leur revint et Terry souffla :

- Vas-y Rose, déplie.

Elle déroula docilement le parchemin et lut :

- « Le bureau fourbe noie les chaussures sous le livre déconfit. »

Elle marqua une pause.

- D'accord, admit-elle. C'est drôle. Un peu compliqué quand même.

- C'est parce que tu es en Histoire de la Magie que ça te paraît compliqué, expliqua Derek en riant discrètement.

Elle eut un sourire amusé.

- Tout s'explique…

Et inexplicablement, les deux amis se mirent à ricaner sans plus pouvoir s'arrêter. Derek avait posé sa tête sur son bureau pour cacher son visage et Rose avait les larmes aux yeux. Terry les regardait d'un air effaré.

- Ça va ? finit-il par demander.

Ils se retournèrent vers lui sans cesser de rire.

- Très bien, parvint à répondre Rose.

- Je crois que c'est nerveux, lança Lisa depuis son bureau au fond.

Michael se retourna vers le groupe, tout sourire.

- Est-ce qu'on peut considérer le fou rire comme excuse pour sortir de cours ? demanda-t-il, faisant redoubler l'hilarité de ses amis.

Le professeur Binns ne semblait pas s'apercevoir que la moitié de ses élèves ne suivaient plus du tout.

Quelques Gryffondors regardaient les Serdaigles, habituellement si calmes. Hermione Granger leur lança un regard sévère. Seamus Finnigan et Dean Thomas avaient l'air de brûler d'envie de se joindre à eux.

Même Anthony ne disait rien, lui qui se chargeait toujours de rappeler ses amis à l'ordre. Il faisait beau, ils étaient détendus, Lisa se tenait tout contre lui… Non, décidément, il ne dirait rien. Et tant pis pour le cours. De toute façon, il avait trouvé une partie du petit discours de Binns dans un vieux grimoire de la Bibliothèque. Ils liraient le chapitre ensemble plus tard.

Rose et Derek étaient maintenant affalés l'un contre l'autre, exécutant un « pouce de fer ». La Sang-Pur ne se lassait pas de tous les jeux que les Moldus étaient capables d'inventer pour passer le temps. Leur fou rire était passé, mais ils avaient tellement distrait les autres élèves que tout le monde paressait. Sauf quelques vaillants Gryffondors.

Lisa et Terry discutaient discrètement du plan d'une dissertation à faire en Défense Contre les Forces du Mal, Anthony lisait un livre sans grand rapport avec l'Histoire de la Magie, sa main effleurant régulièrement celle de Lisa. Mandy dessinait, Padma et sa sœur papotaient à voix basse, et Michael jouait au pendu sorcier avec Seamus, assis à la rangée de gauche.

- J'ai faim, grommela soudainement Rose.

Ses pouces étaient rougis à force de se faire écraser par ceux de Derek.

- Oh, oh, lança une voix amusée. La machine est en route.

Rose se retourna vers Terry en riant.

- Bientôt, c'est Derek qui va avoir faim et tu feras moins le malin.

- L'ogresse et le glouton, affamés devant l'éternel, murmura Mandy d'un air docte.

Rose se remit à pouffer, suivie de son amie. Lisa, qui avait suivi l'échange, souriait sans rien dire.

- Mais tu as déjà faim ? intervint Seamus Finnigan, l'air étonné.

- J'ai parlé si fort que ça ? répliqua Rose en retrouvant un calme relatif.

Elle regarda Seamus avec intensité, puis lui sourit sans rien dire de plus. L'adolescent se tortilla puis retourna à son jeu avec Michael.

Une main donna une tape sur la tête de Rose.

- T'as pas honte espèce d'aguicheuse ? siffla Mandy avec amusement.

- Nan.

Les Serdaigles, de plus en plus agités, n'arrivaient plus à être discrets. Hermione Granger les fusillait du regard. Ils se calmèrent d'eux-mêmes après quelques instants, n'ayant plus rien de nouveau pour les distraire. Le silence revint dans la salle et Granger cessa de les fustiger à distance.

Un bruit soudain monta du groupe des Serdaigle, comme une grenouille qui coasse bruyamment.

D'un même mouvement, les huit aigles plongèrent leurs têtes dans leurs bras, faces contre les tables, pour cacher le fou rire qui revenait.

- Oups, lança Rose, redoublant leurs rires.

Le visage caché dans ses mains, elle entendit une voix l'appeler.

- Rose !

Elle releva la tête. Harry Potter, assis dans la rangée sur la gauche de la Serdaigle, se penchait vers elle. Elle se tourna vers lui, haussant un sourcil interrogateur.

- Quoi donc ? demanda-t-elle, aussitôt apaisée.

- Tu as faim ?

La question la plongea dans la perplexité.

- T'as un truc à manger ? intervint avidement Derek en se mêlant à la conversation.

Le Gryffondor eut un sourire amusé.

- Non. Mais je sais comment accéder aux cuisines, chuchota-t-il.

Le regard surpris de Rose ne le quitta plus. Elle se redressa et se pencha par-dessus le passage entre leurs bureaux.

- Tu m'intéresses vraiment beaucoup, affirma-t-elle, sérieuse.

Les sept autres Serdaigles étaient tous tournés vers eux, le visage concentré, attentifs à la suite.

- Vous êtes intenables aujourd'hui, répliqua Harry en souriant.

- Je ne vois pas de quoi tu veux parler, clama Derek d'un air innocent.

- Alors… poursuivit Rose. Combien tu veux pour ton info ?

Le Gryffondor parut étonné. Elle avait l'air tout à fait sérieuse.

- Mais… rien. Vous voulez savoir alors ?

- Oh que oui ! s'exclama Terry.

- Promettez que vous garderez ça pour vous. C'est ma seule condition.

- Nous huit ? demanda Lisa.

Il approuva d'un signe de tête.

- C'est d'accord, confirma Rose en lui serrant la main.

- Alors…

La voix de l'Attrapeur se fit plus basse et il chuchota qu'il fallait prendre la porte située à droite de l'escalier principal dans le hall d'entrée, suivre le couloir et trouver le tableau avec une coupe de fruits, puis chatouiller la poire.

Les Serdaigles étaient fascinés et écoutaient religieusement.

- Merci. Nous te sommes redevables.

Malgré le sourire, Rose était sincère. Harry hocha la tête et retourna à ses Hippogriffes, quand la sonnerie retentit.

Les bleu et bronze se levèrent de concert, bien décidés à aller visiter les cuisines. Ils marchaient d'un pas vif, lorsque Derek s'arrêta brutalement.

- Vous ne trouvez pas qu'on fait un peu…

- Affamés ? proposa Michael.

- Non. Repérables. On est huit à se déplacer à l'opposé d'une salle de cours.

- C'est vrai, approuva Anthony. Ce n'est pas discret. Séparons-nous.

Les regards complices qu'ils se lancèrent ne laissaient pas de doute : ils réfléchissaient à un jeu.

- Deux par deux, lança soudainement Terry. Et on ramène une preuve !

- Une fois par semaine, ajouta Padma.

- Un garçon, une fille.

La proposition de Mandy fut acceptée.

- Une heure pour rapporter une liste définie, déclara Derek.

- On perd… un gage, rajouta Rose.

Lisa sortit un parchemin pour organiser le tirage au sort.

- Bon.

Elle hésitait.

- Je vous propose de faire ça dans la salle commune !

Le groupe repartit dans l'autre sens.

Ils s'affalèrent sur les canapés bleus, les papiers furent déposés dans un chapeau de sorcier.

- Les plus jeunes d'abord ? proposa Anthony.

Mandy fut donc la première à se servir.

- Anthony.

Puis Padma :

- Derek.

Lisa tira Michael et Rose fut mise avec Terry.

- Pour l'ordre de passage ?

- Des numéros de un à quatre.

Rose et Terry eurent le premier passage ; puis Lisa et Michael, Derek et Padma et finalement Anthony et Mandy.

- Chaque duo inscrit cinq aliments, plats, ce que vous voulez qui se mange. On les met dans le chapeau, dit Michael.

- Et chacun en tire cinq, logique.

Ils se séparèrent pour travailler. Rose et Terry se blottirent l'un contre l'autre dans un fauteuil, chuchotant comme des conspirateurs.

- Chocolat ? proposa-t-elle.

- Trop facile. De la sauge ?

- Bien ! un dessert ?

- Un financier. J'aime bien le nom.

Terry se mit à noircir leurs bouts de parchemin. Ils choisirent encore les câpres, les huîtres et le dhal de lentilles. Les quatre groupes mélangèrent leurs idées dans le chapeau.

Terry et Rose allaient devoir ramener des œufs cocottes, des courgettes farcies, une tarte aux noix, de la confiture de pamplemousse et…

- Du Whisky Pur Feu ? s'étrangla Terry.

- Qui a écrit ça ?

Rose tenait le morceau de papier à bout de bras, examinant tour à tour ses camarades. Les yeux verts se vrillèrent sur Anthony, dont la mine était trop innocente pour être authentique.

- Toi ! s'exclama le brun.

- Étonnant n'est-ce pas ? gloussa Mandy.

- On ne trouvera jamais, maugréa Rose. Et si on trouve, on se fera choper avant de revenir.

- Au fait, profita Michael, on devrait établir une autre règle : quoi qu'il se passe, on ne raconte rien jusqu'à la fin, d'accord ?

Ils hochèrent tous la tête. L'accord conclu, les Serdaigles quittèrent leur tour pour rejoindre la Grande Salle pour le déjeuner. À table, Anthony donna un coup de coude à Rose :

- On va bien s'amuser ce week-end hein ?

Il lui faisait un grand sourire mielleux.

- Je te hais, fourbe. Tu mérites une place à Serpentard.

Il se mit à rire et retourna à son assiette. Le studieux Serdaigle n'eut de cesse de taquiner Rose et Terry à propos de leur défi du lendemain.

Ce samedi matin, Rose s'éveilla vers neuf heures, avec une boule au ventre. Il lui fallut quelques minutes avant de se souvenir de qui allait lui arriver. Les cuisines ! Le whisky !

Elle s'assit sur le matelas en soupirant, se leva et se traina jusqu'à la salle de bains. La douche finit de la réveiller. Elle s'habilla sans hâte, guettant le réveil de ses amies ; une fois toutes prêtes, elles descendirent à la Salle Commune, où les garçons les attendaient déjà.

Terry avait une mine grave et Anthony souriait pleinement. Rose fit une accolade au plus petit des deux, et le groupe se mit en marche.

Peu de mots furent échangés pendant le petit-déjeuner, ils dormaient encore tous à moitié.

Puis ce fut le moment.

Michael leur tendit un sac pour y ranger les preuves, Lisa donna la liste. Anthony eut un air solennel et annonça :

- Je déclare ouverte la première journée du Défi des Cuisines !

- N'oubliez pas, ajouta Derek en un sourire. On ne se raconte rien.

Terry opina et empocha la liste. Rose prit la besace, vérifié la présence de sa baguette.

- On ne sait jamais, répondit-elle à la question muette de ses amis.

Le duo partit en direction des cuisines. Ils discutèrent de leur mission en marchant.

- Tu crois que ce sont vraiment des créatures magiques qui s'occupent des cuisines ? s'enquit Rose.

- Je ne sais pas… J'espère qu'elles ne sont pas dangereuses en tout cas.

Son amie hocha la tête.

- Le petit-déjeuner est terminé n'est-ce pas ? demanda subitement le brun.

- Oui pourquoi ?

- Alors, peut-être qu'il n'y aura personne dans les cuisines…

- Possible. Moi, j'ai hâte de savoir comment les plats arrivent sur nos tables.

Ils s'arrêtèrent et se turent : ils étaient arrivés à destination. Ils se plantèrent devant le tableau à la coupe de fruits, puis se regardèrent. Leurs yeux brillaient de curiosité.

- Prêt ?

- Prêt.

Rose avança la main jusqu'à la fameuse poire et agita ses ongles sur le vernis. Le fruit se tortilla, puis se mua en une poignée étincelante. Elle tourna, poussa la porte. Terry ouvrit la bouche.

- Mais qu'est-ce que… balbutia-t-il.

Au son de sa voix, les elfes se tournèrent vers les deux intrus. Rose franchit le seuil en entraînant Terry avec elle. La porte se referma toute seule – ou par magie peut-être.

D'un coup, tous les elfes entouraient les Serdaigles, multipliant courbettes et formules de politesse.

- Les rumeurs étaient donc vraies, murmura Rose. C'est vous qui vous occupez des cuisines ?

La question était adressée aux créatures, qui s'empressèrent de répondre par l'affirmative.

Terry détaillait la pièce du regard : les cuisines étaient encombrées de marmites, louches, plats et toutes sortes d'ustensiles. Mais surtout, il y avait cinq grandes tables, répliques exactes de celle de la Grande Salle.

- Alors ils envoient les plats d'un étage à l'autre, conclut le brun.

Il se pencha vers Rose pour chuchoter discrètement :

- Mais euh… c'est quoi au juste ces créatures ?

Elle lui jeta un regard étonné et enchaina :

- Des elfes de maison. Granger avait raison. Des serviteurs quoi. Poudlard doit en être plein, en y réfléchissant. Ils sont petits, silencieux, dévoués… et dotés d'une grande force magique. Peut-être qu'ils peuvent transplaner dans l'enceinte du château… ça expliquerait pourquoi on ne les voit jamais ? C'est la première fois que j'en vois autant d'un coup.

Terry buvait ses paroles.

- Moi, c'est la première fois tout court. Tu t'y connais en elfes dis donc !

- Il y en a deux chez moi, dit-elle simplement. Bon ! On a une mission à remplir ! Et nous avons besoin de votre aide, ajouta-t-elle à l'adresse des elfes.

Le brun sortit la liste de sa poche.

- Voilà, il faut qu'on ramène : des œufs cocottes, des courgettes farcies, une tarte aux noix et de la confiture de pamplemousse.

Quatre serviteurs partirent en trottinant, puis revinrent presque aussitôt, les bras chargés de victuailles.

- Impressionnant, murmura Terry.

Rose opina, placide, puis ajouta :

- Il nous faudrait aussi une petite bouteille de Whisky Pur Feu. Si possible.

Ils n'y croyaient qu'à moitié, mais un cinquième elfe s'inclina et disparut à son tour. Le Serdaigle se tourna vers l'un des elfes restés à proximité :

- Et vous pouvez nous donner tout ce qu'on demande ?

- Oui Monsieur, confirma l'intéressé d'une voix aigüe. Nous sommes à votre service.

- C'est fou, commenta le sorcier d'un air songeur. Et c'est vous aussi qui nettoyez les Salles Communes, et qui amenez les bagages dans les dortoirs ?

- Oui Monsieur. Nous sommes nombreux ici.

Le dernier elfe envoyé en courses était revenu et tendit une petite bouteille à la Serdaigle.

- Votre Whisky Pur Feu, Miss.

- Merci.

La boisson rejoignit le reste dans le sac. Rose voulut savoir une dernière chose :

- Il y a beaucoup d'élèves qui viennent ici ?

Un elfe avec d'étranges chaussettes dépareillées et beaucoup trop de couleurs sur une seule personne répondit en bombant le torse :

- Monsieur Harry Potter !

Rose haussa un sourcil.

- J'imagine, puisque c'est lui qui nous a dit comment venir, lui apprit-elle.

L'elfe la regardait maintenant avec des yeux émerveillés.

- Miss doit être très importante pour Monsieur Harry Potter alors !

- Pas tant que ça, marmonna-t-elle, les joues en feu. Qui d'autre ?

- Vous devez connaître Messieurs George et Fred Weasley alors, couina la créature.

Terry opina, les jumeaux Weasley étaient connus de tout le château.

- Eux aussi viennent. C'est tout.

- Merci.

Rose se tourna vers Terry.

- On y va ?

Ils se dirigèrent vers la porte pendant que les elfes réitéraient leurs salutations et courbettes. Une fois sortis et la porte fermée, ils se regardèrent.

- Incroyable, lâcha Terry.

Rose hocha la tête.

- Comment font-ils ?

- Je te l'ai dit, ils ont de grands pouvoirs.

- Oui, mais je veux dire, pour travailler tout le temps, être au service des sorciers et tout… Ils ont une vie à côté ?

Son amie eut une moue dédaigneuse.

- Ce sont des serviteurs, Terry. Ils sont là pour ça. Ils vivent pour leurs maîtres jusqu'à leur mort. Ou leur renvoi.

- Ils se font renvoyer ?

- Certains, oui. Mais il faudrait être idiot pour faire ça. C'est difficile d'obtenir un elfe de maison. À moins qu'il ne soit inutile… mais c'est rare, ajouta-t-elle.

Terry la considéra sans rien dire.

- Les autres vont avoir une sacrée surprise ! lança Rose d'un ton enjoué, sans sentir le malaise de Terry.

- Je ne te le fais pas dire ! On a réussi !

Son amie lui sourit.

- C'est surtout Anthony qui ne va pas en revenir, ajouta-t-elle. Bon, maintenant on rentre gentiment.

- Sans faire de vagues.

- De toute façon, on ne craint rien.

- Tout à fait.

Ils craignaient tout de même de croiser un professeur. Fol Œil aurait été le pire, lui qui semblait toujours tout savoir. Ils marchaient en silence, essayant d'avoir l'air naturel.

Contrairement à ce qu'ils croyaient, leur retour fut sans anicroche et ils pénétrèrent dans la Salle Commune, un sourire victorieux aux lèvres.

Leurs amis les attendaient, assis autour d'une table. Ils les fixèrent sans rien dire, Rose releva un menton fier et posa le sac sur la table. Terry y ajouta la liste, faisant un geste pour qu'Anthony vérifie le contenu du sac. Le grand brun finit par opiner et lancer :

- Le groupe Terry-Rose a rempli sa mission. Tout y est.

D'un même mouvement, les autres se redressèrent et scrutèrent les preuves.

- Je meurs d'envie de vous demander comment vous avez fait, marmonna Mandy.

- Je meurs d'envie de manger la tarte, ajouta Michael.

Rose la fit glisser vers lui en souriant. Derek sortit la bouteille de Pur Feu.

- Tu ne veux pas aller l'agiter sous le nez des préfets tant que tu y es ? proposa Lisa.

Il lui tira la langue et Rose lui chipa la bouteille.

- Ça, je le garde. En souvenir.

Terry approuva de la tête. La Serdaigle se glissa jusqu'à son dortoir et planqua l'alcool au fond de sa malle.

- Retour à la normale, soupira-t-elle.

Elle saisit ses livres de cours, bien décidée à faire ses devoirs.

Ses amis soupirèrent tour à tour en la voyant revenir. Pourtant, en bons Serdaigles qu'ils étaient, ils l'imitèrent sagement. Ainsi le samedi s'écoula, puis le dimanche.

La semaine suivante s'écoula plus rapidement qu'ils ne l'auraient cru. Le samedi 14, les Serdaigles avaient déjà une quantité impressionnante de devoirs à faire et de leçons à apprendre, même s'ils n'avaient pas d'examens comme les BUSE ou les ASPIC en fin d'année.

Toutefois, le matin, Lisa et Michael étaient partis remplir leur mission aux cuisines, comme prévu. Ils en revinrent les bras chargés des victuailles de leur liste : des câpres, de la pâte à pain, des céréales, des carottes râpées, et au plus grand plaisir du groupe, du chocolat en quantité effrayante. Le regard de connivence que le duo avait échangé avec Rose et Terry ne fit qu'accentuer l'impatience des quatre restants.

Après le déjeuner, ils se séparèrent. Lisa et Anthony, les plus studieux, étaient avec Mandy dans une salle vide pour s'entraîner à de nouveaux sortilèges. Padma apprenait ses leçons avec sa sœur, comme à son habitude, tandis que Michael était parti voler sur le terrain de Quidditch. Terry, Derek et Rose quant à eux, étaient à la bibliothèque depuis quelques heures, cherchant diverses informations dans tous les volumes disponibles pour préparer un exposé. Vers dix-sept heures, Derek et Terry sortirent de la bibliothèque et plongèrent dans le brouhaha du couloir. Tout Poudlard semblait se diriger vers l'extérieur pour profiter des derniers rayons pourtant froids du soleil. Ils s'adossèrent au mur, regardant les autres élèves avec distraction.

- On attend Rose ? demanda Terry.

- Oui, elle va bientôt arriver. Elle m'a dit qu'elle empruntait quelques bouquins.

En quelques secondes, le couloir s'était subitement vidé et ils furent seuls. Le Poursuiveur se laissa glisser à terre, suivi par Terry. Ils bavardèrent de tout et de rien, jusqu'à ce que Derek se taise et rapproche leurs deux corps, ses yeux noirs plongés dans ceux de Terry.

- Derek, non, pas dans le couloir, protesta ce dernier en le repoussant légèrement.

Le blond fit la moue et recula.

- On est seuls… il n'y a plus personne !

Il se colla de nouveau à Terry, faisant un geste des mains signifiant « pas plus, promis ». Le brun eut un sourire mi-exaspéré, mi-attendri.

- On en a déjà parlé…

- Je sais, je sais… Pour une fois qu'on était tranquilles, je voulais juste…

Il laissa ses yeux courir sur la mâchoire de Terry, sa joue, puis ses lèvres. Son compagnon rougit sans que Derek n'ait prononcé un mot de plus, ni bougé un muscle. Il souffla puis finit par poser sa main sur l'avant-bras du blond, l'attirant doucement vers lui. Derek rapprocha leurs visages en un instant, les yeux rallumés. Il hésita.

- Tu ne te forces pas hein ?

- Mais non, murmura Terry. Moi aussi j'ai envie.

Souriant, Derek posa ses lèvres sur celles de Terry, qui ferma les yeux d'aise. Une grande main lui tenait la nuque et l'autre mêlait ses doigts aux siens. Il soupira dans le baiser, agrandissant le sourire de Derek, qui mordilla la lèvre de Terry en réponse.

Des éclats de voix les interrompirent. Résigné, le Poursuiveur eut une moue déçue puis se détacha du brun. Terry se releva et lança un regard nerveux à Derek.

- Quoi ?

- Malefoy et compagnie, chuchota-t-il. Ils viennent par là.

Derek grimaça et marmonna, pour changer les idées de Terry :

- Mais qu'est-ce qu'elle fiche ?

- Rose ?

Il opina avant de se redresser et d'épousseter son uniforme.

- Elle voulait emprunter quoi comme livres ?

La voix de Terry tremblait. Il essayait d'avoir une conversation normale mais c'était peine perdue, il était trop nerveux. La rumeur voulait que Drago Malefoy ait un léger problème avec l'homosexualité. Et même si ce n'était qu'une rumeur…

Derek tentait de le calmer du regard et amorça un mouvement pour récupérer son sac et fuir avant la tempête.

Mais c'était trop tard, et déjà Malefoy et sa bande étaient face à eux.

- Alors, alors… siffla Malefoy. On m'a dit qu'il y avait un couple pour le moins… original chez les Serdaigles.

Ses acolytes ricanèrent bêtement.

- Je crois que ce fameux duo est devant nous, non ?

Le visage de Terry s'empourpra, la main de Derek s'approcha de sa baguette. Les yeux froids du Serpentard s'illuminèrent.

- Mais oui, voilà nos gagnants ! Adorables, n'est-ce pas ? poursuivit Malefoy en se tournant vers ses complices.

Parkinson eut une moue mauvaise.

- Nous n'aimons pas vraiment les personnes dans votre genre, ici…

Les autres approuvèrent silencieusement. Crabbe et Goyle jouèrent des muscles.

- Je trouve que cela… salit la réputation de l'école. Déjà qu'elle n'est pas brillante… Vous ne trouvez pas ?

Derek refusait purement l'idée d'adresser la parole à cet abruti et il cherchait comment les sortir de ce guêpier sans user de magie. Il ne voulait pas que Rusard débarque dans la seconde. À part se jeter sur Malefoy, mais il prendrait le risque de se faire terrasser par les deux gorilles sans cervelle la seconde suivante. Terry ne lui serait pas d'une grande aide en cas de combat physique, mais il pouvait toujours s'échapper facilement. Mieux lui que Terry, pensa-t-il gravement. Ses méninges tournaient à grande vitesse, et pendant ce temps, le serpent continuait de siffler.

Terry nota que le groupe s'était rapproché d'eux, coupant toute velléité de fuite.

Des pas venant de la bibliothèque les interrompirent tous un instant. Derek faillit pousser un soupir de soulagement, qu'il fit bien de retenir : ce n'étaient pas des renforts qui arrivaient, mais un autre Serpentard, peu concerné par la scène devant lui. Il s'arrêta en retrait, et appuyé contre un mur, resta plongé dans un livre, les ignorant tous complètement. Malefoy détacha son regard de lui.

- Je me demande ce que vos parents ont raté chez vous… s'interrogea le blond.

- Ce sont des Sangs-Mêlés, et ils passent leur temps avec des Sang-de-Bourbe, cracha Parkinson d'un air dégouté.

Ils fixèrent les Serdaigles avec des regards mauvais. Le meneur ouvrit la bouche pour parler, encore, mais…

- Vous n'avez rien de mieux à faire ? lança soudainement Terry.

Coupé dans son élan, Drago Malefoy braqua ses yeux pâles sur le brun.

- Et tu oses me parler ? Malgré ce que tu es ?

- Dis-le, Malefoy ! cracha une voix cinglante. Dis ce mot qui te répugne tant !

Le Serpentard fit volte-face pour dévisager la jeune fille. Il eut un sourire ironique, mais elle ne lui laissa pas le temps de parler.

- On dit « homosexuel », Malefoy. Répète après moi. Ho-mo-se-xu-el. Tu peux le faire, ça devrait être à ta portée.

Tout en parlant, elle s'était rapprochée du groupe, puis placée entre les Serpentards et ses amis.

- Tu ressembles de plus en plus à Potter depuis que tu es défigurée, Wayne. Toi aussi tu es « sainte Wayne, défenseure des faibles et des opprimés » ? Vous devriez monter un club avec le balafré.

- Trouve-toi des amis, et arrête d'importuner les miens, tu seras fort aimable, répliqua-t-elle, dédaigneuse.

La Serdaigle gardait un calme apparent, mais la seule chose qu'elle avait envie de faire, c'était de réduire le blond en chair à saucisse. Et, bizarrement, de le manger après. La colère lui mettait des idées étranges en tête.

- Tu es comme Potter, tu n'as pas su choisir tes amis. Tu t'es entourée de Sang-de-Bourbe, d'homo et que sais-je encore… c'est d'un triste…

Cette fois-ci, Rose craqua et planta le bout de sa baguette contre la gorge de Malefoy.

- Un mot de plus, et ta mère ne te reconnaitra plus jamais.

Crabbe et Goyle firent mine d'avancer pour régler son compte à la jeune fille, mais Derek s'interposa vivement, un rictus tout aussi menaçant sur le visage. Terry sortit à son tour sa baguette pour faire face à Parkinson, un sortilège au bout des lèvres.

- Je crois que ton amie se souvient des duels de deuxième année… gronda Rose au Serpentard blond. Ne me provoque pas.

La main blafarde se dirigeait pourtant vers la baguette dissimulée sous la cape noire. La jeune fille attendait patiemment, presque contente qu'il réponde à la provocation.

L'affrontement prit soudainement fin, au moment où Malefoy dégageait sa baguette de son vêtement.

- Flitwick ! brailla Nott en surgissant près d'eux. Il arrive dans le secteur, faut se tirer !

Malefoy hocha la tête et le groupe de Serpentards battit lentement mais sûrement en retraite. Ils continuaient de lancer des œillades menaçantes aux trois Serdaigles. Rose darda son regard vers le Serpentard en retrait, qui avait toujours son livre ouvert dans les mains. Il finit par le refermer et suivre son groupe d'amis, apparemment peu concerné par la situation.

- Ça va ? demanda abruptement Rose à ses amis.

Terry opina, l'air toujours alarmé.

- Quelle bande d'abrutis, grogna Derek.

- Tu es arrivée à temps. On n'a pas osé sortir nos baguettes, Rusard serait arrivé. Ou Miss Teigne.

Elle eut une moue dédaigneuse.

- Malefoy n'aurait eu que ce qu'il mérite. Un bon sort de Découpe là où je pense, ça aurait réglé pas mal de problèmes.

- Rose ! s'exclama Terry d'un air dégouté.

- Quoi ? Tu ne vas pas éprouver de la pitié pour lui quand même. Lui n'en aurait pas.

- Si Crabbe et Goyle n'avaient pas été là… je l'aurais massacré, tonna Derek, toujours furieux.

- Mais il ne se promène jamais seul, justement. Cruel mais pas fou.

- Ça ne sert à rien d'essayer de se battre contre sa bêtise, c'est un cas désespéré, conclut le brun, désireux de passer à autre chose.

Ils s'étaient remis en marche, se dirigeant machinalement vers leur salle commune.

- Ce qui est… désolant, c'est qu'il ait autant d'amis qui le suivent, lança Rose, préoccupée.

- S'ils sont incapables de se débrouiller sans Malefoy, c'est qu'ils n'ont pas de personnalité, je ne vais pas les plaindre, trancha Terry, acerbe.

- Je suis convaincu qu'ils reçoivent une compensation financière en échange de leur « amitié » à Malefoy, avança Derek avant de se laisser tomber sur un canapé de velours bleu.

La Serdaigle lui fit une grimace peu convaincue et prit place à sa droite. Terry s'assit à son tour et enfin, révéla à Rose ce qui le troublait tant depuis le bal.

- Pourquoi tu as accepté de danser avec ce Serpentard ?

La jeune fille haussa un sourcil.

- Au bal ? Parce que… c'était une soirée particulière je suppose. Je n'ai pas voulu refuser sous prétexte que c'était un Serpentard, justement.

- Tu te ramollis, Rosinette ! se moqua Derek.

Ils furent rejoints par Mandy et Lisa, qui s'installèrent en face d'eux.

- On a croisé Malefoy et sa bande, attaqua la rousse.

- Ah, vous aussi, marmonna Terry.

- Ils parlaient de prendre une revanche sur une « balafrée et ses fréquentations peu recommandables », continua Mandy en braquant ses yeux sur Rose.

- Ensuite, ils ont déliré sur la pureté de l'école, comme quoi ça craignait chez les Serdaigles aussi.

- Ils se sont tus quand on est passées devant eux, et on a compris que Malefoy nous suivait du regard.

- Ils parlaient de nous, j'en suis sûre, acheva Lisa.

- Oui, confirma Rose, les dents serrées. Les gars, racontez donc. Je n'ai que la fin.

Terry et Derek racontèrent leur affrontement avec les Serpentards, devant l'air médusé de leurs amies.

- Quelle bande de demeurés ! s'indigna Mandy.

- Hors de question que vous vous promeniez seuls maintenant. À trois minimum. Et, je suis désolée, mais vous devriez éviter de trop vous afficher ensemble en dehors de la Salle Commune. Ces tarés pourraient avoir envie de recommencer.

- Ça m'énerve de devoir me plier aux conneries de ces idiots ! tempêta Derek.

- Mais Rose a raison, jusqu'à ce que ça se tasse, on se fait discrets, approuva Terry.

- On pourrait tout raconter à Flitwick ? proposa Mandy.

- Non, trancha Lisa. Rogue versus Flitwick, qui gagne à ton avis ?

Terry eut un sourire sans joie.

- De toute façon, je préfère que ça reste entre nous, et qu'on règle ça nous-même.

La voix de Rose était sans appel.

- Grande Cheffe a parlé, articula Derek.

Les filles éclatèrent de rire, ce qui détendit enfin l'atmosphère.

Le groupe d'amis passa la fin de l'après-midi à l'abri de la salle commune, avec Anthony, Michael et Padma qui étaient rentrés aussi et furent mis au courant de leur aventure. Ils discutèrent beaucoup, ébauchant toutes sortes de plans afin d'éradiquer les Serpentards de la surface de la planète. Ils se rendaient bien compte qu'aucun d'entre eux n'était réalisable, mais ils rirent beaucoup. Ils lisèrent, jouèrent aux échecs et aux cartes, finirent leurs devoirs. La pluie qui venait de s'abattre sur le château rendait le ciel gris et les huit Serdaigles s'étaient regroupés autour du feu avant que leurs autres camarades n'arrivent après leur dîner.

La soirée était bien entamée, Rose lisait un roman policier à côté de Mandy qui jouait à la bataille avec Terry.

La blonde jetait de fréquents coups d'œil à son amie qui avait le visage blanc et soupirait régulièrement.

- Rose ? Tu es toute pâle. Ça va ?

- Oui, oui, juste un petit mal de tête. Tout va bien.

Elle se passa la main dans les cheveux et tenta vainement de se concentrer sur son livre. Elle ferma les yeux, les rouvrit, fixa le feu. L'étau dans sa tête se resserrait.

Les aiguilles. Elles lui transperçaient les tempes, se faufilaient jusqu'à son cerveau et plantaient leurs griffes de métal.

Des centaines d'aiguilles. Rose ferma son livre et attendit l'inévitable suite.

Les points noirs, devant les yeux, tourbillonnants, étourdissants. Elle ne voyait plus, ses paupières se fermaient par réflexe, mais c'était inutile. Ils étaient partout.

Le rouleau compresseur. Impitoyable, qui lui broyait la cervelle. Aplatie. Incapable de raisonner, Rose lâcha son livre.

- Rose ?

Elle n'entendit pas la voix inquiète de Mandy. Ses mains commencèrent à trembler. De plus en plus fort.

Mandy s'était levée et appelait Derek, qui accourut, accompagné de Terry et Anthony. Lisa tenait les mains exsangues.

Rose ne réagit pas à leur présence, comme déconnectée, agitée de tremblements.

Un bruit de déchirement résonna dans ses oreilles. Elle fut la seule à l'entendre.

Son ventre se tordit, ses entrailles prirent feu. Elle haleta, puis glissa du canapé et tomba lourdement au sol. Anthony courrait chercher Madame Pomfresh.

Tous ses organes essayaient de sortir, de lui déchirer la peau. Elle suffoquait, les yeux révulsés, les pupilles dilatées.

Le feu se répandit sur tout son corps, un feu invisible et dévastateur. Rose se tordit de douleur, encore et encore, convulsant sur le sol et un gémissement sourd s'échappa enfin de sa gorge. Sa tête allait éclater. Ses yeux ne voyaient que du rouge. Du feu. Du sang.

Noir. Tout disparut.

Elle avait gagné, encore une fois. Étendue sur le dos, elle sentit ses mains arrêter de trépider. À bout de forces, trempée de sueur, Rose sombra enfin, échappant à la douleur.

Son corps se détendit brutalement, et Lisa poussa un cri de frayeur.

- Écartez-vous, lança une voix ferme.

L'infirmière était suivie du Professeur Flitwick. Après avoir pris le pouls, tâté le corps évanoui, elle fit léviter le corps de Rose et déclara :

- Je l'emmène à l'infirmerie avec moi.

- Dent, accompagnez-la, ordonna Flitwick, impressionné mais tranquille. Goldstein, je compte sur vous pour maintenir l'ordre et aider vos camarades à se calmer.

Derek bondit à la suite de l'infirmière, laissant ses amis près du feu, sous le choc. Les autres Serdaigles faisaient un cercle autour d'eux.

Le Poursuiveur résuma la crise de Rose à Madame Pomfresh.

Une fois la blessée installée dans un lit aux draps blancs, l'infirmière s'affaira autour du corps sans connaissance. Flitwick restait au pied du lit, immobile. Derek tenait la main de Rose, se mordant les lèvres.

- Elle est seulement évanouie d'épuisement, le reste des signes vitaux est satisfaisant. C'est la première crise en quatre mois. Je la garde demain, toute la journée.

Derek hocha tristement la tête.

- Bien. Dent, retournez dans votre dortoir, demanda son professeur.

- Mais…

- Elle est entre de bonnes mains. Allez vous coucher, vous reviendrez demain.

Résigné, il pressa la main blanche inanimée et sortit, les épaules basses.

- Si elle recommence ses crises, il va falloir la renvoyer à Sainte Mangouste, prévint Madame Pomfresh.

- Après notre entretien cet été, son père nous a bien fait comprendre qu'il préférait savoir sa fille ici, avec vous, rappela Flitwick. Je vais le contacter dès maintenant.

- Comme il voudra… concéda-t-elle en soupirant. Tenez-moi au courant dans ce cas.

Le professeur quitta l'infirmerie après un dernier regard à son élève, laissant Pomfresh seule avec sa malade.

Elle regardait l'adolescente, plongée en plein réflexion. Elle vérifia une dernière fois le rythme cardiaque, et quitta la grande salle pour rejoindre son bureau.

Le dimanche, elle n'ouvrit les yeux que vers midi, mais la salle tanguait tellement que la jeune fille ne lutta pas et sombra de nouveau.

À seize heures, Derek était à son chevet, fidèle. Il lisait distraitement son manuel de Potions. Des voix à l'entrée de l'infirmerie le troublèrent.

- S'il vous plait, je voudrais juste la voir quelques secondes…

- J'ai dit non. Un visiteur à la fois, et la place est prise.

Il y eut un silence.

- Allez, dehors jeune homme !

Sa curiosité piquée, Derek se leva pour regarder qui parlait. Mais c'était déjà trop tard. L'inconnu était parti.

Rose quitta l'infirmerie après le dîner, entourée de Lisa et Derek. Dans la Salle Commune, ses amis la pressèrent gentiment de questions pour comprendre ce qui s'était passé. Ils avaient assisté à l'une des terribles crises qui l'avaient terrassée pendant plusieurs mois. Que dire d'autre ? Elle ajouta qu'il était apparemment probable que ça se reproduise. Elle leur demanda de se comporter normalement avec elle, elle ne voulait se sentir ni exclue, ni surprotégée. Rose n'avait pas l'intention de changer sa vie pour des épisodes aussi aléatoires.

Son malaise avait fait le tour de l'école, puisque d'autres Serdaigles y avaient assisté. Certaines rumeurs risquaient de courir sur son compte d'ici peu, bien sûr. Ses amis restèrent près d'elle jusqu'à ce que Rose aille se coucher, encore épuisée par la crise.

Vendredi 20 janvier 1994, 6h43. Dortoir des Serdaigle, côté filles

Rose se réveilla en sursaut. Elle entendit Mandy se retourner, puis dirigea son attention vers la fenêtre. Une chouette tapait furieusement au carreau.

Maugréant, Rose se leva et ouvrit la fenêtre ; le petit volatile s'engouffra dans la chambre en même temps qu'une rafale de vent.

Les plumes ébouriffés, l'animal s'était posé sur le pied du lit. Attaché à une de ses pattes, il y avait un parchemin plié en deux, portant son nom et son dortoir. Il fixait Rose de ses yeux jaune. Son plumage gris se lissa quand il se secoua. C'était un hibou de l'école. Finalement la jeune fille bailla puis détacha la lettre avant de laisser l'oiseau repartir. Elle ferma la fenêtre, blasée, puis se laissa retomber sur son lit, regardant brièvement l'heure. Six heures quarante-cinq. Quel imbécile lui envoyait un rapace à une heure pareille ?

Le seul nom qui lui vint à l'esprit fut celui de Derek. C'était logique. Elle ouvrit le parchemin. Ses yeux se posèrent sur le seul mot inscrit dessus.

« Pardon »

L'encre était noire et l'écriture n'était pas celle de Derek. Rose laissa retomber son bras en soupirant.

Pour qui se prenait-il, celui-là ? Il dansait avec elle, lui disait être attiré par elle ; puis il restait en retrait, sans rien dire, comme si c'était normal, alors que ses meilleurs amis se faisaient agresser et insulter dans le château. Et maintenant des excuses ! Elle avait l'impression d'avoir affaire à plusieurs personnes : un séducteur, un salaud, un lâche aussi. Elle ne savait pas comment réagir. Mais une chose était sûre : elle était bien remontée contre le salaud. Il lui devait des explications, et des excuses un peu plus élaborées qu'un bout de parchemin. Rose lâcha un nouveau soupir puis roula sur le côté, se levant finalement.

En plus il lui gâchait sa nuit.

Les filles n'allaient plus trop tarder à se lever, alors elle se glissa dans la salle de bains pour en profiter la première. Une fois son uniforme enfilé, elle toucha machinalement sa cicatrice, puis entreprit de démêler ses boucles auburn. Elle les attacha en une couette haute, les laissant se balancer dans son dos. Elle retourna dans le dortoir.

- Debout, debout ! clama-t-elle en ouvrant la fenêtre, laissant la brise entrer. Faut se lever !

Elle glissa sa baguette à sa ceinture, puis ouvrit tous les rideaux des lits, provoquant des grognements divers. Enfin elle se rendit à la porte d'un pas énergique, cria une dernière fois à ses amies de se lever, et rejoignit la salle commune.

- Salut Terry ! lança-t-elle d'une voix enjouée au brun qui baillait. Tu es le premier ?

Il confirma d'un signe de tête.

- Allez, viens, j'ai faim.

Elle entraina son ami dans les couloirs, sourde à ses faibles protestations. Derek les rattrapa en courant, la cravate de travers.

- Attendez-moi !

Ils s'attablèrent dans la Grande Salle. Derek servit du thé sans leur demander leur avis, puis se jeta sur la panière de petits pains, dévorant tout ce qu'il pouvait.

- Je croyais que tu avais faim ? dit Terry à Rose.

Elle regardait fixement un pot de confiture, l'esprit ailleurs. Elle leva enfin les yeux et sourit au brun.

- Ah oui, c'est vrai.

Derek, qui s'empiffrait gentiment, la regarda en fronçant les sourcils.

Le reste du groupe arriva. Lisa entreprit de raconter à Terry son rêve épique de la nuit. Derek parla de Quidditch avec Michael, pendant que Mandy et Padma faisaient leurs commérages du matin. Anthony lisait son manuel d'Histoire de la Magie en prévision du premier cours de la matinée. Rose, elle, rivait ses yeux sur la table des Serpentards, cherchant l'objet de sa colère. Il releva enfin la tête et leurs regards s'accrochèrent. Rose se redressa, bien droite, et lui lança une grimace mi-haineuse, mi-écœurée, très cliché Sang-Pur. Il lui fit penser à un lapin apeuré. Les coins de la bouche du Serpentard s'affaissèrent, un éclair de désespoir passa dans ses yeux. Rose releva le nez d'un air hautain tout en pensant « mais à quoi il s'attendait ? ».

Elle rompit leur échange muet en se tournant vers Lisa qui achevait son récit :

- Et là, Rogue a mis le Choixpeau sur sa tête et s'est mis à tourner sur lui-même en chantant « Je suis une carotte, je suis une carotte, j'en ai plein les bottes alors faites-moi frire avec des pleurotes ! ». Il avait un air si innocent…

Elle soupira pendant que ses amis pouffaient de rire.

- Je ne mangerai plus jamais de carottes, conclut la rousse.

Anthony lui fit un sourire attendri. Derek termina son thé en regardant Rose, qui avait toujours l'esprit loin d'eux.

- Ça va être froid, lui lança-t-il enfin.

Elle sursauta puis jeta un œil à sa tasse.

- C'est vrai.

Elle vida le récipient d'un trait, puis se leva.

- Je vais au dortoir. J'ai oublié un livre.

Elle sortit de la Grande Salle, sans un regard pour le Serpentard qui ne la quittait pas des yeux.

Une fois dehors, elle soupira en ralentissant sa marche. Mais c'était quoi ça au juste ? D'où sortait cette envie d'ouvrir le dialogue avec lui ? Il avait prouvé sa lâcheté devant la bibliothèque, par Merlin !

Pourquoi est-ce qu'elle avait envie d'aller le voir, de le laisser parler, et peut-être lui fournir une bonne excuse et ensuite le laisser se pencher vers elle et…

- Non mais là ça va plus du tout ma grande hein, se sermonna-t-elle.

Elle se ressaisit et s'aperçut qu'elle était arrivée, machinalement, devant leur Salle Commune. Elle alla se laver les dents, revint dans la chambre, s'assit sur son lit, fixant la fenêtre. Un bruit lointain la fit sursauter, et Rose regarda l'heure : 8h37. Encore un peu de temps pour traverser le château et que tout le monde se rendorme en Histoire de la Magie.

De nouveau dans les couloirs, elle marchait tranquillement, et se figea instantanément.

En face d'elle.

- S'il te plait.

Elle accéléra le pas pour le dépasser. Tenace, il la suivit.

- Deux minutes, c'est tout ce que je te demande. Laisse-moi une chance de m'expliquer.

Elle fit un geste comme pour chasser une mouche.

- Regarde-moi au moins !

Rose s'arrêta brutalement et se planta devant lui, les yeux étincelants.

- Voilà, ça y est. Je t'ai regardé. Je vais continuer ma route maintenant.

Le Serpentard allait ajouter quelque chose, mais sa réflexion fut noyée par le bruit de la sonnerie, et des élèves débarquèrent de partout.

La jeune fille en profita pour se faufiler dans la foule et disparaitre.

Rose ne parla de cette rencontre à personne, parce qu'elle ne savait pas vraiment quoi en penser. Elle évita le Serpentard toute la semaine, fréquentant avec assiduité la bibliothèque – où, honnêtement, les vert et argent n'allaient pas souvent à part peut-être les cinquièmes et septièmes années.

Le jeudi soir, les quatrièmes années de Serdaigle et Serpentard avaient Astronomie en commun, à partir de minuit, sur la plus haute tour du château.

Et ce soir-là, Rose en avait assez de regarder le ciel étoilé. D'abord elle avait mal aux yeux à force de se concentrer, et puis elle avait froid, et aussi sommeil. Elle était particulièrement de mauvaise humeur. Les Serpentards étaient toujours aussi idiots, malgré leur calme de ce soir.

D'un commun accord, Derek et Terry étaient loin l'un de l'autre, et tout le groupe des Serdaigles les séparait des serpents.

Leur professeure leur indiqua une consigne à suivre, et Rose ne put s'empêcher de soupirer bruyamment.

- Bah alors ? s'étonna Mandy. Qu'est-ce qu'il t'arrive ?

- J'en. Ai. Marre. Ahana son amie. Je déteste avoir le nez en l'air pour regarder des points lumineux que de toute façon, nous ne verrons jamais de près.

- Hé bien ! Sa seigneurie serait-elle fatiguée et de mauvaise humeur ? s'enquit Anthony d'un air moqueur.

- Oui ! assena Rose avec vigueur. C'est exactement ça.

Elle fit une nouvelle grimace énervée mais se tut pendant au moins cinq minutes. Un temps de silence et de paix que ses amis bénirent.

- Ça va durer encore longtemps ? finit-elle par demander.

Derek leva les yeux au ciel.

- Mais qu'est-ce que tu as enfin ?

- Bah j'ai froid. Et sommeil. Et j'en ai marre.

Ses amis soupirèrent en chœur.

- Encore une demi-heure, encouragea Lisa.

- Si tu arrêtes de râler jusqu'à la fin du cours, je te fais un massage quand on sera rentrées, promit Mandy pour avoir la paix.

Rose fit mine de réfléchir en la regardant fixement. Puis elle hocha la tête avec un demi sourire et cessa de se plaindre.

Michael poussa un « ouf » de soulagement que son amie ne manqua pas. Elle lui tira la langue et retourna à son télescope.

Elle marmonnait discrètement dans son coin, faisant bien attention à ce que les autres, et en particulier Mandy, ne l'entendent pas. Un bras la frôla et une voix, étonnamment chaude, murmura :

- Alors comme ça tu n'aimes pas l'astronomie ?

Rose se figea.

- Fiche-moi la paix, siffla-t-elle sans le regarder.

Elle leva la tête vers lui.

- Je n'ai toujours pas envie de t'écouter, au cas où tu n'aies pas compris.

- Écoute Rose, c'est tellement compliqué tout ça… Si tu me laissais une chance de m'expliquer…

- C'est pourtant simple, grinça-t-elle. Tu as voulu jouer les séducteurs, mais ton comportement à la bibliothèque… je ne comprends pas. Ce n'était pas normal de rester les bras croisés.

- Je suis… tellement désolé. Je voudrais vraiment qu'on en parle.

- Là, tout de suite, j'ai pas envie. Maintenant tu m'excuseras mais j'aimerais finir d'insulter Uranus et ses potes tranquillement. Salut.

Elle lui tourna le dos et se plongea dans l'observation des étoiles. Il soupira puis se leva doucement, se mêlant de nouveau aux camarades de sa Maison.

Rose était tellement agacée, après lui et après elle-même, qu'elle en oublia les astres lumineux. Enfin la fin du cours arriva. Elle se redressa avec soulagement, suivant ses amis dans les escaliers. Elle fermait la marche des Serdaigles, en retrait, toujours prise dans une colère qui ne retombait pas. Quelques stupides Serpentards la poussèrent sans ménagement pour descendre avant elle. La jeune fille se plaqua au mur pour les laisser passer, pestant après eux. En touchant la surface froide de la pierre, un vertige la prit.

Pas maintenant !

Elle posa les mains sur la rambarde de métal.

Un éclair de lumière traversa son cerveau. Puis la douleur, familière, s'installa tranquillement dans un coin de sa tête. Elle se mit à taper à l'intérieur des parois de son crâne. De plus en plus violemment.

Rose rouvrit brutalement les yeux, mais c'était peine perdue : elle voyait déjà flou. Et il faisait noir, si noir, dans les escaliers… La douleur prit une nouvelle ampleur, écrasait tout ce qu'elle trouvait à sa portée, voulait tout détruire.

Ses doigts dérapèrent de la rampe, ses mains tremblèrent. Son sac glissa de son épaule et tomba quelques marches plus bas. Ses omoplates tressaillaient, ses jambes devinrent si molles… elles se dérobèrent finalement sous son poids, et elle chuta sur la cuisse droite. Elle s'appuyait aussi fort que possible sur la pierre glacée, la joue légèrement apaisée par ce contact.

Son estomac se contracta douloureusement, elle crut qu'elle allait vomir.

Un effort surhumain lui permit de s'asseoir sur la marche, frissonnante. Les spasmes se calmèrent, comme si la crise était terminée. Elle se releva prudemment, agrippée une nouvelle fois à la rampe.

La douleur logée dans sa tête éclata et descendit le long de son corps, dévastant tout. Rose poussa un hurlement, les crampes reprirent de plus belle. L'agonie était pire que d'habitude. Elle aurait voulu mourir sur le champ, que ça se termine. Elle n'entendait plus rien, et ne sut pas que des pas se dirigeaient vers elle.

Ses pieds dérapèrent encore, ses mains glissèrent, et elle se sentit chuter, le corps convulsant, la douleur annihilant tout. Enfin, elle tombait.

Si son corps ne voulait plus d'elle, le mieux c'était mourir non ?

Sa vision n'était plus floue, elle s'était réduite à une tache rouge, sombre et vive à la fois.

Son corps heurta une barrière molle au lieu de s'écraser sur la pierre dure.

C'est ça la mort ?

Elle fut soulevée.

On flotte quand on est mort ?

Elle n'était plus qu'à moitié lucide. Elle sentait de l'air chaud contre elle, un air saccadé, irrégulier. Mais l'air n'était pas saccadé…

Elle parvint à entrouvrir les yeux. Quelqu'un la tenait fermement serrée.

- Rose ? Rose, tu m'entends ?

Son inspiration fut douloureuse, ses lèvres bougèrent faiblement. Il se pencha un peu plus entendre.

- Casse… Toi… lâche.

Il eut un sourire triste.

- Non. Pas cette fois.

Blottie contre le corps chaud et rassurant, Rose sentit la crise s'éloigner. La douleur arrêta son travail de destruction et partit doucement. Les tremblements se calmèrent pour cesser totalement. Enfin, sa vision revint, nette et sans flaque rouge obstruant les autres couleurs.

Cela prit plusieurs minutes, durant lesquelles son sauveur l'observa sans rien dire, attentif au moindre de ses mouvements.

Une quinte de toux la prit. Sa respiration devint sifflante, elle toussa de nouveau, violemment, et sentit quelque chose lui couler de la bouche, sans qu'elle ne puisse rien faire.

- Rose ! cria-t-il en tournant son visage pour qu'elle ne s'étouffe pas.

Elle avait l'impression de cracher ses poumons. Le sang coula de nouveau, dégoulinant le long de sa mâchoire.

Ses yeux roulèrent dans leurs orbites. Ses forces l'abandonnèrent enfin et le Serpentard resserra sa prise autour d'elle pour l'empêcher de tomber.

- ROSE ! hurla une autre voix.

Des bruits de pas précipités retentirent dans les escaliers.

- Rose, dis-moi que tu es là que tu vas…

Derek s'interrompit. Ses yeux passaient de Rose évanouie au Serpentard, du Serpentard à Rose. La pointe de sa baguette était illuminée.

- Qu'est-ce que tu lui as fait ?! brama Derek, pointant sa baguette vers l'adversaire.

Sans lui adresser la parole, le Serpentard se redressa, secoua la tête et entreprit de descendre les escaliers, suivi d'un Derek terrifié pour Rose.

- Elle a eu une crise c'est ça ?

Son ton était sec, mais il avait besoin de savoir.

- Une crise ?

- De douleur, précisa le blond, les dents serrées.

À la lumière d'une torche, il vit la traînée rouge sur le visage de Rose.

- Du sang ?

- Elle a toussé du sang.

Le Serpentard ne ralentissait pas, et Derek ne faiblissait pas non plus, à une marche derrière lui, la baguette toujours en main. La descente leur parut interminable.

- Une crise ? demanda le Serpentard en bas des marches.

Derek le fixa sans répondre et finit par lâcher un imperceptible hochement de tête. Méfiant, il rempocha sa baguette et tendit les bras.

- Je vais la prendre maintenant.

- Infirmerie ?

- Non. Je la ramène dans notre Salle Commune.

L'autre sembla sur le point de poser une question, mais se ravisa en voyant l'air déterminé et fermé de Derek. Il fit glisser avec précaution le corps inanimé de Rose dans les bras du blond. Les yeux noirs de Derek ne le lâchaient pas pendant qu'il soutenait son amie contre lui.

- Merci, lâcha-t-il du bout des lèvres.

Et il tourna les talons pour rejoindre sa Salle Commune, qui lui sembla être à des kilomètres.

Enfin, il atteignit son but, répondit distraitement à l'énigme et rejoignit ses amis. Ils l'attendaient près du feu, angoissés.

- Par Merlin, murmura Lisa, sautant sur ses pieds.

Anthony courut soulager Derek et prit Rose à son tour, et la posa sur le canapé.

- Encore une crise ? s'étonna Terry d'une voix douce.

- Je pense. Je n'ai pas vu.

- Vous croyez qu'on prévient Pomfresh ?

- Non, répondit Lisa. On va s'en occuper.

Anthony approuva silencieusement, se pencha vers Rose. Il posa sa main sur le front chaud, palpa son poignet, s'assura que ses respirations étaient régulières.

- Elle n'a pas de fièvre, elle respire normalement. Je pense qu'elle s'est évanouie d'épuisement, comme l'autre fois.

- Le mieux, c'est de la laisser se reposer. Si jamais son état ne s'améliore pas, alors on préviendra Pomfresh.

Terry acquiesça à la proposition de Derek. Les garçons la transportèrent jusqu'à leur dortoir, l'allongèrent sur le lit de Derek. Les filles lui enlevèrent son uniforme, maculé de sang par endroits. Lisa la borda de la lourde couverture. Le groupe se sépara, les filles allèrent dans leur dortoir, laissant Rose entre de bonnes mains. Derek se coucha près de Terry, les rideaux ouverts sur son propre lit pour garder un œil sur Rose. Il ne parvenait pas à trouver le sommeil.

Vers six heures du matin, le Poursuiveur entendit son amie remuer sous la couette. Il se leva sans bruit et se pencha près d'elle.

Rose garda les yeux fermés, mais elle tendit sa main droite vers son ami.

- Derek.

- Je suis là, rassura-t-il en pressant la main dans la sienne.

- J'ai eu… une crise je crois…

- Oui. C'est terminé, tu es dans mon lit. Je suis là, répéta-t-il.

Il s'était finalement assis contre elle, lui caressant le visage.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda-t-elle d'une voix faible.

- On croyait que tu discutais avec la prof. Mais quand on a vu Sinistra passer devant nous, on a compris que quelque chose clochait.

Elle sourit sans répondre.

- Alors j'ai dit aux autres de rentrer, que j'allais te chercher.

Il soupira.

- Je t'ai trouvée, recroquevillée dans ses bras. Il a dû te rattraper avant que tu ne tombes dans les escaliers, supposa-t-il.

Il ne put retenir une grimace de dégoût, qu'elle ne put voir.

- Je me souviens… il me tenait, et après je tremblais, et avant je tombais et…

Ses pensées s'embrouillaient.

- Tout va bien maintenant.

- J'ai eu tellement peur, murmura-t-elle, la voix blanche. J'ai cru que j'allais mourir…

- C'était pire ?

- Pire que tout. J'ai craché du sang… enfin je crois.

- Oui. Il y en avait sur ton chemisier.

Il soupira et reprit.

- Parles-en à Pomfresh. Et Flitwick.

- Je ne vois pas ce qu'ils pourraient faire pour moi… mais je le ferai.

Derek s'éclaircit la gorge.

- Rose, qu'est-ce que tu faisais… avec lui ?

Ses paupières frémirent.

- Je tombais… et il était là.

- Ah.

Elle fit une pause douloureuse.

- On continuera demain d'accord ?

Sa main tremblait légèrement. Derek n'eut pas le cœur à lui dire que c'était déjà demain, et il la laissa se rendormir, rejoignant Terry.

Les garçons émergèrent relativement tard, éveillés par les chuchotements des filles, venues tenir compagnie à Rose. Elle dormait toujours.

Bientôt ils l'entourèrent tous les sept, se demandant s'il fallait ou non avertir l'infirmière.

- Allez donc manger et ramenez-moi un peu de thé, marmonna Rose en esquissant un faible sourire.

Lisa lui sourit, et Mandy fit sortir tout le monde de la pièce. Rose toussa, se tourna sur le côté, et s'endormit de nouveau.

Quand ses amis revinrent, elle était toujours au pays des songes. Derek posa le thé sur la table de chevet et se leva, incapable de tenir en place. Il lui griffonna un mot puis sortit du dortoir.

« Rose, si nous ne sommes pas dans la Salle Commune, nous serons soit à la bibliothèque, soit en cours. Attends-nous sagement ! Derek »

La jeune fille ne trouva le mot que vers seize heures. Elle resta allongée quelques minutes, emballée dans la grosse couverture. Elle entreprit de s'asseoir avec précaution. Sa tête ne tournait plus, même si ses pensées étaient encore un peu mélangées.

Ses yeux étaient rivés sur la tasse de thé, froid depuis longtemps.

Rose souffla longuement puis frissonna, s'apercevant qu'elle ne portait que ses sous-vêtements. Elle parcourut la pièce du regard pour retrouver son uniforme. Il était sur une chaise, posé à la hâte, le pull rougi par le sang. Elle enfila le tout rapidement, puis se faufila jusqu'à son propre dortoir. Elle se débarrassa de ses vêtements et prit une longue douche.

L'eau chaude lui délassa les muscles et éclaircit les idées.

Bon.

Il avait été d'une terrible lâcheté avec Derek et Terry.

Il l'avait faite danser.

Non négligeable, il lui avait dit qu'elle « lui plaisait ».

Ensuite, il la sauvait d'une chute dans les escaliers.

Et il semblait vraiment s'inquiéter pour elle.

Il voulait lui expliquer pourquoi il n'avait pas levé le petit doigt à la bibliothèque. Sans y arriver.

Et Derek était visiblement contrarié qu'elle lui parle.

Bon.

Elle n'était pas plus avancée.

Rose poussa un grognement agacé, puis sortit de la salle de bains, une grande serviette autour d'elle. La nouvelle crise l'inquiétait. Du sang, maintenant. Les tremblements plus violents aussi. Se rappelant sa discussion avec Pomfresh, elle saisit un carnet vide qui trainait dans ses affaires et nota la date des crises dont elle se souvenait, ajoutant un maximum de détails. Peut-être qu'ainsi, elle pourrait effectivement établir un schéma général.

Elle rangea sa plume, s'habilla d'un jean et d'un pull vert et noir.

Enfin, elle quitta la Salle Commune et déambula dans les couloirs. Rose finit par se décider à aller à l'infirmerie voir Madame Pomfresh. Il fallait qu'elle lui raconte la crise de la veille.

La Serdaigle traversa la grande pièce aux lits vides, et alla frapper directement à la porte du bureau.

- Entrez, fit une voix étouffée.

Rose poussa la porte.

- Miss Wayne ! Qu'est-ce qui vous amène ?

L'infirmière darda son regard sur les cernes de Rose, son teint pâle et son air fatigué.

- Vous avez fait une nouvelle crise. Asseyez-vous.

- Hier soir, après le cours d'Astronomie. Mes amis se sont occupés de tout, j'ai passé ma journée à dormir. Je voulais vous en parler, et aussi pouvoir justifier de mes absences aux cours d'aujourd'hui.

- Comment vous vous sentez maintenant ?

- Mieux. Mais j'ai craché du sang, cette fois.

- Pour la première fois ?

- C'est arrivé deux fois, quand j'étais à l'hôpital.

Tout en écoutant attentivement, Madame Pomfresh prenant des notes pendant que Rose lui donnait les autres détails dont elle se souvenait. L'élève soupira.

- Ça ne s'arrêtera jamais ?

- Je ne peux pas vous le dire. J'espère.

L'infirmière la considéra. Son visage n'était pas pâle, il était diaphane. Elle paraissait fragile, assise dans cette chaise, les épaules tombantes, les yeux cernés.

- J'aimerais juste qu'on trouve ce que j'ai, ajouta Rose. Que je sois fixée…

Elle laissa la phrase en suspens.

- Fixée sur ?

- Fixée pour savoir si je vais finir par en mourir ou pas… Je voudrais que ça s'arrête, c'est tout.

Elle se redressa et croisa les jambes.

- Je ne suis certainement pas la seule à avoir ça… il faudrait trouver les autres.

- Il n'y a aucun autre cas connu au Royaume-Uni. J'ai contacté l'équipe de Guérisseurs qui s'est occupée de vous après votre première crise à Poudlard, ajouta-t-elle sous le regard interrogateur. Ils n'avaient aucune information satisfaisante à me communiquer.

- C'est tellement étonnant… soupira-t-elle de nouveau. J'ai commencé à tenir un journal de bord de mes crises, comme on en avait parlé.

- C'est une bonne idée.

- Peut-être que j'en tirerai quelque chose. En tout cas ça va m'aider à garder la tête froide.

- Vous savez combien de crises vous avez fait ?

- Treize. Rien pendant trois mois et là, deux d'un coup. Je ne sais pas si ça a un sens, mais bon.

Rose voulait rester philosophe. Un léger silence s'installa.

- J'ai tellement peur, murmura-t-elle finalement.

- Peur ?

- De mourir. De vouloir mourir pour échapper à la douleur.

Elle tritura sa cravate.

- C'est l'impression que j'ai. Que ça peut me tuer. Que je peux me laisser mourir pendant une crise, pour que ça s'arrête.

Poppy Pomfresh acquiesça pour montrer qu'elle entendait mais ne fit aucun commentaire. Rose lui lança un petit sourire.

- Merci de m'écouter. Je me sens moins… isolée.

L'infirmière lui sourit plus largement.

- Ma porte est toujours ouverte.

Rose eut un nouveau regard reconnaissant et prit congé, se retrouvant de nouveau à errer dans les couloirs de l'école. La discussion n'avait pas résolu son problème, mais pouvoir en parler librement, avec une adulte raisonnée, la soulageait beaucoup.

- Rose ?

Elle se figea et se retourna doucement. La jeune fille sourit au Serpentard qui se rapprochait d'elle.

- Mon sauveur, ironisa-t-elle sans méchanceté.

Il eut un sourire embarrassé.

- Comment tu vas ?

- Mieux.

Il fronça les sourcils, lui demandant finalement ce qui c'était passé la veille.

- Une… crise de douleur. Faute d'un vrai terme, on appelle ça comme ça. Je me demandais…

Elle ferma les yeux pour se concentrer, tentant de recomposer les événements.

- Je sortais du cours… commença-t-elle d'une voix mal assurée. Je descendais les escaliers, j'ai été bousculée et là… j'ai fait une crise. Mais après ? Enfin, je veux dire, comment tu as été là ?

- Tu as hurlé. J'étais en pleine descente, mais je t'ai entendue. Alors je suis remonté, et quand je suis arrivé, tu étais en train de tomber.

- Donc tu m'as rattrapée ?

- Donc je t'ai rattrapée, confirma-t-il.

- Alors merci.

Elle hocha la tête d'un air solennel.

- Sans toi, je serais descendue beaucoup plus vite, mais je serais allée beaucoup moins loin dans la vie…

- À peu près, approuva-t-il en souriant.

Elle s'adossa au mur.

- Comment tu as su que c'était moi qui criais ?

- Je ne le savais pas, avoua-t-il. Je n'ai pas réfléchi.

Elle sourit malicieusement.

- Comme la dernière fois.

- Je, Rose, non…

Il n'avait pas vu son sourire moqueur.

- S'il te plait…

- Tu m'as sauvé la vie, lança-t-elle. Donc je t'autorise à tenter – vainement – de m'expliquer. Si jamais tu te vantes de m'avoir ramassée dans les escaliers, je fais de ta vie un enfer. Si un seul de tes potes est au courant, je t'occis. Clair ?

- Oui, oui, oui. Tout compris.

Il hochait vigoureusement la tête. Il prit une profonde inspiration.

- Je…

Il s'interrompit.

- C'est tellement bête…

- Au point où on en est…

Il s'appuya à son tour au mur.

- Ce que je t'ai dit au bal est toujours vrai. J'ai envie de mieux te connaitre, de passer du temps avec toi. Mais de l'autre côté, ils…

Le Serpentard hésita.

- Ce sont mes amis, lâcha-t-il enfin. On partage… certaines convictions, comme toi et les Serdaigles en partagez d'autres. Et l'autre fois, Drago… est allé trop loin. Je n'étais pas d'accord. Mais je ne suis pas intervenu. C'était stupide, je sais, ajouta-t-il précipitamment en voyant Rose ouvrir la bouche. Mais je n'ai pas pu protester, j'ai été trop lâche.

Elle hocha la tête.

- Je ne te demanderai pas de changer toutes tes convictions, ni même de changer d'amis. Seulement d'agir selon ce que tu penses, la prochaine fois.

La jeune fille lui fit un sourire. Il parut soulagé et opina.

- Je suis désolé. Vraiment.

Elle le fixa de ses yeux intenses.

- Merci.

Rose se tortilla un peu, soudainement mal à l'aise d'être si proche de lui. Elle pensa à sa cicatrice, qui l'obnubila soudainement. Il choisit ce moment pour se pencher vers elle, comme au bal, et lui murmurer d'une voix douce :

- J'ai le droit de te séduire alors, Rose ?

Elle haussa un sourcil, sourit à nouveau en coin. Elle murmura, avant de s'échapper :

- Si tu l'oses…

Rose déambula dans les couloirs, plus pour s'éloigner de lui et laisser une chance à son cœur de ralentir son rythme que par désir de trouver la Bibliothèque. Finalement, elle décida de retourner à son dortoir, soudainement lasse.

La jeune fille retrouva son fauteuil favori, armée d'un roman sorcier. Elle s'installa en tailleur et s'absorba dans sa lecture. Le feu crépitait doucement et toute douleur lui semblait si lointaine. Elles paraissaient tellement irréelles, ces crises étranges !

L'insistant Serpentard lui offrait la possibilité de vivre normalement, comme une adolescente de quinze ans. Elle prit alors la décision de le suivre, même s'il risquait de lui briser le cœur. Rose avait l'impression qu'une crise trop violente pourrait la tuer et elle estimait qu'il valait mieux profiter de la vie tant qu'elle était là.

Le passage s'ouvrit pour laisser passer ses amis qui revenaient de leurs cours d'option. Ils se massèrent autour d'elle se laissant tomber dans les fauteuils et canapés.

- Alors comment tu te sens ? demanda Lisa.

- Bien mieux ! répondit Rose avec vigueur.

Elle referma son livre et le posa à côté d'elle.

- Racontez-moi votre journée !

- Ben, en Histoire de la Magie c'était à Padma et Michael de prendre des notes, entama Mandy. Donc nous…

- On a fini notre nuit, compléta Terry.

- Je t'avoue, je ne sais pas ce que vont donner les notes que nous avons prises, ajouta Padma.

- On dormait à moitié, expliqua Michael. Mais on a fait de notre mieux !

Derek prit la parole.

- On est passés en coup de vent à midi, mais tu dormais encore. Tu t'es réveillée à quelle heure ?

- Vers seize heures. Je me suis levée très doucement, puis je me suis baladée dans le château.

Lisa eut l'air étonnée.

- Pourquoi tu ne nous as pas rejoints ?

- Je suis allée voir Madame Pomfresh pour lui raconter l'épisode. Et j'avoue avoir profité de cet après-midi libre pour ne surtout pas aller en cours… et je suis retournée au dortoir.

Les conversations dévièrent, et ce fut l'heure du dîner.

- Tu te sens de venir avec nous ? demande Terry.

- Oui, oui. Je vais mieux.

Elle lui fit un large sourire.

Le repas fut vite expédié, le seul à se faire remarquer fut Michael, qui faisait l'intéressant pour attirer l'attention de Ginny Weasley à la table des Gryffondors. Ils s'étaient rencontrés au bal et la jeune rousse intéressait beaucoup Michael.

De retour dans le dortoir, ils se regroupèrent autour du feu avant tout le monde. Certains finissaient leurs devoirs, comme Anthony et Mandy, d'autres jouaient aux échecs ou encore aux cartes.

Un par un, ils partirent se coucher, vaincus par la fatigue accumulée la nuit précédente.

Rose et Derek se retrouvèrent seuls, comme bien souvent. Ils s'assirent côte à côte dans un canapé bleu. Rose haussa un sourcil avant de laisser les yeux noirs de Derek la transpercer de leur intensité.

- Qu'est-ce que tu as fait quand tu es allée te promener ?

- Je l'ai croisé. Lui. Alors on a discuté un moment.

Elle se remémora la scène avec un sourire.

- Il a enfin pu me parler, j'ai accepté de l'écouter.

Derek hocha la tête.

- Il a dit quoi ? Pour expliquer son manque de réaction ?

- Qu'il n'était pas d'accord avec ce qu'ils faisaient, et qu'il avait été trop stupide et lâche – ce sont ses mots – pour intervenir.

Le blond regardait son amie, toujours partagé entre la curiosité et la colère.

- Et après ?

Rose lui chuchota les derniers mots du Serpentard avec un petit sourire.

- Alors vous allez vous revoir ?

- Probablement. J'ai envie de m'amuser moi aussi !

Derek eut un rictus agacé. Il secoua la tête avant de se lever, rompant leur contact visuel. Elle le retint par la manche pour le faire rasseoir près d'elle.

- Derek, ça ne change rien au fait que ce soit un Serpentard. Simplement… il a admis avoir manqué de courage. Je peux comprendre, la pression de ses amis, ça a pu l'empêcher de s'opposer à eux…

Il lui lança un regard noir sans bouger.

- J'ai dit comprendre, pas excuser tous ses comportements.

Elle hésita un instant.

- Est-ce que tu penses que tu peux me laisser… essayer avec lui ? Il ne vous a pas attaqués, lui, rappela-t-elle doucement. On peut lui laisser le bénéfice du doute ?

Il croisa les bras.

- Tu as pensé que peut-être, il a juste envie de se faire une Sang-Pur ? questionna-t-il brutalement.

Elle regarda distraitement le feu, toucha machinalement sa cicatrice. Sa voix resta calme.

- Oui. Bien sûr que j'y ai pensé. C'est la première chose qui m'a traversé l'esprit, au bal.

Son ami n'aurait pas pu ignorer la douleur dans sa voix s'il l'avait voulu. Il se mordit la lèvre, mais ne l'interrompit pas.

- Mais je me dis, que peut-être… il est sincère… sinon, pourquoi il m'aurait aidée dans la tour d'Astronomie ? Quel intérêt pour lui ? Il y en a d'autres, des Sangs-Purs dans le château. En bonne santé.

Elle tripotait l'ourlet de sa jupe.

- C'est aussi que j'ai envie de croire ça, j'en suis consciente. Mais en ce moment, j'ai besoin de penser que je suis comme les autres. Tu comprends ? demanda-t-elle en relevant les yeux vers Derek.

Il décroisa les bras et ne lui dit pas qu'elle avait touché, inconsciemment, une dizaine de fois sa cicatrice en parlant, et qu'il avait compris ce qu'elle voulait dire. Elle voulait se sentir normale, une fille qui plait aux garçons, comme Lisa, comme Mandy, comme Padma. Il l'attira contre lui et la serra dans ses bras. Elle se détendit contre son torse, blottie dans sa chaleur.

- J'ai compris, ajouta-t-il simplement.

Elle était seule. Depuis trop longtemps. Les machines qui l'entouraient ronronnaient, l'une d'elles émettait un bip régulier, rassurant.

Les yeux clos, Rose respirait calmement, un livre fermé posé à côté d'elle. Elle ne savait pas quel jour on était, mais elle était persuadée d'être en septembre. Ou en août. En 1994, ça, elle en était certaine. Rose se laissait porter par le flot de ses pensées, sans chercher à en retenir une en particulier. Derek lui manquait. Il fallait qu'elle fasse faire des robes neuves pour Poudlard. Si on était bien en septembre, elle avait définitivement raté la rentrée. Son père était un abruti. Son cerveau se bloqua sur cette information. Père stupide. Méchant. Égoïste. Insensible. C'était peut-être lui son géniteur, mais ce n'était pas lui qui l'avait élevée. Quand elle était petite, elle pensait qu'il la détestait, parfois. L'esprit malade se vida pour se remplir de haine. Un sentiment féroce et confus s'empara d'elle. Ses doigts frémirent. Un rictus cruel se dessina sur son visage, bien malgré elle.

Cette fois, elle allait souffrir.

Tout se précipita. Une douleur intense prit son cerveau en étau, serra, serra au maximum. Ses jambes tremblèrent violemment, ses bras les imitèrent. Ses épaules se soulevèrent, Rose fut prise de convulsions, comme jamais avant. Ses yeux se révulsèrent, ses entrailles bougèrent tels des serpents dans son corps. Elle s'agrippa au fil qui entourait son bras, et tira dessus. Les bips de la machine s'emballèrent et s'arrêtèrent soudainement. Le fil tomba à terre.

Ça la grattait. Quelque chose était entré dans son bras et allait la tuer, c'était sûr.

Rose griffa, arrachant les morceaux de sparadrap restant, et griffa encore, luttant contre un mal invisible. Du sang coula de son bras, goutta sur les draps, sur ses doigts.

Les convulsions de Rose s'atténuèrent alors sensiblement, la laissant hors d'haleine. Elle y crut. Elle crut que des insectes, des dizaines, des centaines d'insectes, rampaient sur son visage. Ils pullulaient. Ça fourmillait. Elle poussa un faible cri et passa ses mains aux ongles ensanglantés sur ses joues pour les chasser. Ils étaient toujours là, ils revenaient ! Rose crispa ses doigts et planta ses ongles dans sa chair, appuyant aussi fort qu'elle pouvait. Ses muscles raidis laissèrent des marques rouges en croissant de lune. Elle se calma quand les insectes partirent, détendit ses bras. Les serpents dans son ventre se murent vivement, lui remuant les tripes, les retournant, lui donnant des haut-le-cœur terribles.

Son bras se tendit, raide, vers le meuble de chevet, où gisaient des flacons fragiles. Elle en saisit un, et le serra si fort qu'il se brisa. Des coupures s'étalèrent sur sa paume. Les doigts s'ouvrirent, laissèrent tomber les éclats de verre. La main en choisit un à tâtons, le plus grand de tous.

Son corps était tendu au maximum, ses yeux grands ouverts ne cillaient pas. Elle était immobile, le visage tourné vers la main tenant le verre.

Rose était déjà inconsciente. Et pourtant.

Son bras droit se leva à la verticale, resta suspendu un instant. Puis il plongea à une vitesse fulgurante vers le visage pâle.

Le morceau se planta à droite, dans son front. La chair céda sans plainte, s'ouvrit sous le coup, le sang perla. Le bras ne fit plus un mouvement, comme indécis. Un éclair passa dans les yeux verts, les paupières se fermèrent. Sa main gauche s'abattit sur la droite, semblant vouloir arrêter l'inéluctable. Et Rose perdit de nouveau le contrôle. Les deux membres conjuguèrent leurs forces et continuèrent leur terrible geste, les muscles contractés. L'éclat de verre entama une longue descente : il déchira le sourcil droit en deux, le sang coula sur la peau. Les doigts tremblaient de concentration, faisant blanchir les jointures. Pourtant le trait était net, comme tracé à la règle. La paupière s'ouvrit, sanguinolente, puis la joue livide se trancha d'une ligne pourpre. Les mains crispées poursuivirent sans hésiter. Le trait fit une légère oblique, à droite du nez, et descendit jusqu'à la bouche. Les lèvres blêmes furent lacérées, l'une après l'autre. Les bras ne s'arrêtaient toujours pas. Ils allèrent jusqu'au menton. Le verre fut enfoncé jusqu'à toucher l'os, puis retiré d'un geste sec.

Les bras retombèrent finalement sur le matelas. La main pendant dans le vide, les doigts s'ouvrirent et lâchèrent le bout de verre rougi. Il chuta et s'écrasa au sol.

Rose rouvrit brutalement les yeux, mais ne vit que tu rouge. La panique la fit hurler, un cri strident et long. Ses muscles se contractèrent de nouveau, les convulsions recommencèrent. Du sang s'écoula dans sa gorge, les serpents se réveillèrent. Ils voulaient sortir. La bile lui remonta dans l'œsophage, coupant son hurlement. Rose n'avait pas la force de se pencher, alors le fiel continua sa course et se déversa dans sa bouche, s'accumulant, débordant. Il toucha la plaie ensanglantée, son acide piqua la chair à vif.

Les convulsions se décuplèrent, son corps se tordit, bondit, retomba, se plia, roula. Rose tomba à terre, s'écroulant dans les morceaux de verre épars. Face au sol, sa bouche se vida de l'acide bile qui ne cessait d'affluer.

Enfin, ce fut fini. Les muscles se relâchèrent brusquement, le sang et la bile s'écoulèrent plus lentement du corps meurtri. Rose ressentait au fond d'elle que c'était terminé, et elle ferma les yeux, relâchant la tension dans sa nuque. Sa lutte contre l'invisible mais phénoménale force l'avait anéantie. Elle se laissa partir.

Étrangement, les Guérisseurs mirent presque une heure à arriver, malgré le dérèglement des machines, malgré les bruits, les hurlements.

L'équipe se précipita auprès de la malade, pour contempler le sinistre spectacle. Le corps recroquevillé gisait dans le verre et le sang. En la retournant, les dégâts sur le visage blanc furent visibles. Une plaie béante s'ouvrait, profonde. Le sang coagulait lentement autour de la chair tranchée.

Elle était en vie.

Très vite, les Guérisseurs s'affairèrent autour d'elle en salle d'opération. Les blessures mineures furent soignées d'un coup de baguette. La longue entaille posait un problème : elle résistait à toute magie. Déconcertés, ils prirent la décision de refermer les chairs aussi précisément que possible, sachant qu'une cicatrice allait subsister pour toujours. C'était comme ça avec les blessures induites par la magie…

Dans la salle, les personnes présentes évoquèrent la magie noire. Mais c'était impossible ! La cheffe de service fit informer le tuteur de leur malade, son père.

Puis Rose fut ramenée dans sa chambre. Elle resta inconsciente de longues heures, de nouveau reliée à des fils pour contrôler ses signes vitaux.

Ses doigts bougèrent faiblement, ses lèvres s'agitèrent.

Rose ouvrit lentement les yeux, le corps perclus de douleurs. Un haut-le-cœur la prit soudainement, et elle eut à peine le temps de foncer vers les toilettes qu'elle vomissait violemment. Sonnée, elle cligna des yeux et se releva. Elle était à Poudlard. Elle venait de faire un rêve horrible. Son cœur s'accéléra, sa gorge se serra. Cramponnée au lavabo, les images lui revinrent : une crise, du verre, du sang… c'était si réaliste.

Rose leva la tête et observa sa cicatrice dans le miroir.

C'est là qu'elle comprit. Ce n'était pas un rêve. C'était un souvenir.