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Chapitre 21. Tropique du Capricorne
- Ah, vous êtes là.
La voix tire Severus de ses pensées.
Avec soin, il dépose sur le quai le filet contenant déjà trois étoiles de mer qu'il utilisera plus tard pour ses expérimentations avec les potions cicatrisantes. Enfin, il se redresse pour voir Longdubat émerger d'entre les mangroves.
- Je vous croyais en mer avec Weasley et Tonks, dit Severus en guise de salutation.
- Non, pas aujourd'hui.
Longdubat enjambe un amas de racines noueuses s'enfonçant dans le sable, traverse la mince bande de plage où est planté le quai flottant et finalement bondit sur la surface de bois instable avec l'assurance d'un vieux marin. Tout ça les mains dans les poches.
Severus note comment son ancien geôlier tangue dangereusement, puis juge préférable de rester les deux pieds dans l'eau malgré la marée montante qui commence à mouiller son pantalon.
- Je voulais vous parler d'Hermione.
En temps normal, Severus aurait haussé un sourcil imperturbable, pour laisser croire qu'il s'en fiche, mais il se contente de fixer le jeune homme.
- Je m'en fais pour elle, pour tout vous dire.
- Et pourquoi donc?
La voix de Severus est soigneusement neutre, mais le simple fait qu'il pose cette question trahit de l'inquiétude.
- Elle est toujours dans sa bulle. Je ne l'ai jamais vue aussi silencieuse.
- C'est assez perturbant d'être parachuté à Azera sans aucune forme de préambule. Et oui, je sais que c'est totalement ma faute.
Longdubat esquisse un geste de la main.
-Oh, rassurez-vous, je ne suis pas venu vous accuser de quoi que ce soit.
Quelques vagues meublent le silence. Severus replie son pantalon humide jusqu'à ses mollets, pour se donner contenance.
- Comment ça s'est passé avec elle à Garverdel?
- Ça ne vous regarde pas, réplique Severus, trop vite, trop sec.
Longdubat roule des yeux.
- Nom d'un hippogriffe, cessez de vous comporter comme si vous aviez un balai dans le cul. Je ne suis pas le Magenmot.
Severus retient un soupir et se reprend :
- Personne ne sort indemne de Garverdel. Et Hermione était déjà une épave quand elle est arrivée dans ma cellule pour la première fois. Ça ne s'est pas amélioré au fil des semaines.
- Je sais bien. La fin de la guerre a été dure. Mais vous avez l'air de vous éviter, tous les deux.
Éviter est le bon mot. Voilà deux semaines qu'ils se sont réfugiés à Azera et ils n'ont échangé que quelques paroles convenues et guindées, toujours en présence d'autres personnes.
Severus voit bien qu'elle erre comme une âme en peine. Mais ironiquement, leurs interactions étaient plus faciles quand la geôlière et le prisonnier étaient seuls au monde, et non entourés de toute cette bande de Trépassés réjouis et bronzés.
En dehors des murs sinistres de Garverdel, il ne sait plus comment aborder Hermione sans se montrer intrusif. Alors il attend. Le moment parfait. Le coup de pouce du destin. Il a appris à être patient.
- Elle a été ma geôlière, argue Severus. Elle vient à peine d'apprendre que je n'étais pas dans le camp de Voldemort. Je ne veux pas m'imposer.
Un silence plane, lourd de question non formulées.
Longdubat semble finalement se rallier à ces arguments. Il saute du quai, pensif, puis se retourne une dernière fois vers Severus.
- Vous savez, nous allons passer beaucoup de temps ici tous ensemble. Si vous avez quelque chose à dire à Hermione, ça vaudrait sans doute la peine de le faire.
Severus le regarde disparaître à travers arbres, incapable de répondre.
Au fond, peut-être que le bon moment est maintenant.
Il empoigne son filet de pêche alourdi par les étoiles charnues, remonte la plage et s'engage à son tour à travers la végétation.
Aujourd'hui, le destin s'appellera Neville Longdubat.
Hermione est à genoux devant un panier de vêtements humides lorsqu'il toque dans l'encadrement de sa porte grande ouverte.
Après la séance de pêche devant l'océan étincelant, il doit cligner des yeux pour mieux distinguer l'intérieur exigu et propret de la hutte. Il n'a jamais mis les pieds ici avant aujourd'hui.
Hermione ne lève pas immédiatement la tête.
- J'arrive dans un instant, Ron.
Il s'éclaircit la gorge. Le son grave fait sursauter Hermione. Elle rive sur lui des yeux un peu écarquillés. Il a l'impression de prendre trop de place dans cette petite cabane au plafond trop bas. Pendant un instant très inconfortable, il se demande si elle a peur de lui. C'est une possibilité. Il décide finalement que non. Les yeux bruns le fixent sans ciller, la bouche est entrouverte, la posture est figée. Elle semble simplement prise au dépourvu.
À ce moment précis, il comprend qu'Hermione l'a évité tout ce temps. Pas une seule fois elle n'a croisé son regard depuis deux semaines, ce qui semble un exploit plutôt insolite considérant le petit nombre de Trépassés réunis à Azera. Et il n'est pas n'importe qui, songe soudain Severus avec un certain agacement. Il est son prisonnier. Ex prisonnier, soit. Mais quand même. Il est temps de se parler franchement.
- Regrettez-vous que je vous aie emmenée ici?
D'accord, « bonjour » aurait sans doute été une meilleure entrée en matière, mais Severus est préoccupé et les convenances sont le dernier de ses soucis.
Hermione reste pantoise, mais elle le regarde en face, ce qui est un bon début.
- Vous pouvez dire la vérité, Hermione, je suis parfaitement capable de l'entendre. Si vous êtes malheureuse ici, nous trouverons une solution pour vous ramener en Angleterre.
- Non, je ne veux pas partir d'ici.
Sa voix est calme, feutrée. D'un geste lent, elle dépose sur le tas de linge la chemise qu'elle était en train de défroisser.
- Mais vous êtes malheureuse, conclut Severus.
- Non. Je ne sais pas. Peut-être.
Les yeux bruns sont posés sur le panier, mais fixent le vide.
- Je vous ai traînée ici de force. Vous avez le droit de m'en vouloir.
À cette allusion, elle tressaille et le regarde.
- Comment pourrais-je vous en vouloir? Vous m'avez sauvé la vie. J'étais bien plus malheureuse en Angleterre que je ne le suis ici.
Sa voix semble éteinte, mais il sent qu'elle dit vrai.
Elle se lève enfin, les mains jointes. Il y a un moment de flottement, puis il s'approche, sans vraiment y penser. Il distinguait mal l'expression de son visage dans l'embrasure inondée de soleil. Elle ne recule pas d'un millimètre. Son teint paraît pâlot dans ce t-shirt blanc bien trop grand pour elle.
- Neville trouve que vous vous isolez.
C'est idiot de faire porter sa propre inquiétude à Longdubat, mais effectivement, Severus se comporte parfois comme un idiot. Et il sent bien que cette maladresse ne sera pas la dernière.
Hermione hésite.
- Je… J'ai de la difficulté à digérer l'idée d'être restée en Angleterre toute ces années, pendant qu'ici nos amis se sont fait dorer au soleil avec leur progéniture nombreuse.
La comparaison est en effet ingrate. Mais la voix d'Hermione est calme, sans pointe d'amertume, ce qui laisse croire à Severus qu'elle ne ressent pas de réelle rancœur.
- Je vais m'adapter, Severus. Je me sens juste un peu… désœuvrée. Ne vous en faites pas pour moi.
Merlin, évidemment qu'il s'en fait pour elle. Il s'en fera toujours pour elle, désormais. Le lien qu'ils ont tissé à Gaverdel est trop fort. Une alliance insolite s'est aussi créée entre Longdubat et lui, à l'époque. Mais avec Hermione, c'est… différent. Plus instinctif, songe-t-il en contemplant la brunette gracile à la tignasse invraisemblable.
- Est-ce qu'il y a quoi que ce soit que je puisse faire pour faciliter votre adaptation?
Elle croise les bras autour d'elle et s'approche du rebord de la fenêtre, comme pour mieux se plonger dans ses pensées. Dans la lumière de midi, son profil semble d'albâtre.
- Pensez-vous que je pourrais avoir un nouveau chat? demande-t-elle en fixant l'horizon.
- Ce sera sûrement très facile de vous en procurer un si vous le souhaitez.
Les lèvres d'Hermione s'étirent un peu.
Il n'a pas le pouvoir d'effacer les années de misère, mais il peut au moins l'aider à dénicher un vulgaire animal.
- J'aimerais apprendre l'astronomie, ajoute-t-elle après un silence. Je rêvais de devenir astronome, quand j'étais plus jeune.
- Vous pouvez commander des livres par hibou. Vous pourriez même suivre des cours par correspondance. L'Université magique de Sidney est réputée pour ses cours à distance, il me semble.
Lorsqu'elle se retourne vers lui, un sourire doux illumine son visage. Une sensation de chatouillement taquine le ventre de Severus. La dernière fois qu'il l'a vue sourire, c'est au laboratoire, lorsqu'elle s'est laissée prendre au jeu de résoudre des équations sur les murs. Mais le sourire se fane vite, et voilà que le malaise est de retour.
- Je… J'aimerais vous demander quelque chose, moi aussi.
- Allez-y.
Elle se mordille la lèvre, puis ajoute :
- Vous pouvez être très honnête.
Il attend la suite, mais Hermione donne l'impression de s'empêtrer dans les mots qui veulent franchir ses lèvres. Quand il note l'éclat brillant de ses yeux, il comprend qu'elle est aussi anxieuse qu'il l'a été un moment plus tôt.
-Est-ce que…
Elle lisse un pan de son t-shirt, puis soupire et le regarde en face. Mais il y a quelque chose de résigné dans ces yeux bruns, à tel point que Severus commence à craindre la suite.
- Est-ce qu'il y a une chance que… vous puissiez oublier un jour ce q-qui s'est passé quand j'ai enfreint les règles de Garverdel?
La question le prend au dépourvu.
- Vous parlez de votre sentence? Comment pourrais-je oublier une telle chose? Vous allez devoir m'amnésier pour m'enlever cette image de la tête.
Étrangement, ça ne semble pas le genre de réponse qu'elle attendait.
Elle cille, reprend son souffle.
- Je c-comprends, je… J'imagine que c'est normal.
Il continue à la dévisager. La voilà qui cherche encore ses mots.
- Est-ce que…
Bon sang, qu'est-ce qu'elle allait lui demander?
- Pensez-vous que vous arriverez à faire abstraction de ce qui s'est passé?
Il la regarde fixement.
- Je ne peux pas prétendre que ce n'est pas arrivé.
Elle déglutit.
- Je comprends, répète-t-elle.
Elle ne dit plus rien. Son visage semble s'être étrangement lissé, mais le regard qu'elle rive sur lui est douloureux à soutenir, même pour lui qui n'a pas l'habitude de s'apitoyer pour les autres.
- Moi, je ne comprends pas, Hermione. Je ne comprends pas dans quel but vous me posez ces questions.
Elle balaie sa remarque d'un geste qui se veut insouciant, mais sa main tremble.
- Ce n'est rien, je… j'avais juste besoin de savoir.
- Savoir quoi?
- Ça n'a pas d'importance.
- Hermione.
Elle serre les bras autour d'elle, puis lâche le morceau sans oser le regarder dans les yeux.
- J'avais juste besoin de savoir si un jour, vous pourriez avoir envie de… me toucher.
- Comme à Garverdel?
Le rouge lui monta aux joues.
- Non, pas du tout! En fait… Je veux dire…
Elle pousse un soupir silencieux qui semble venir de très loin.
- Oh, qu'importe ce que vous pouvez pensez de moi, au point où nous en sommes. Vous devez sûrement me trouver cinglée de vous faire de telles propositions après… après tout ce qui s'est passé. C'est juste que…
Les morceaux du puzzle se mettent brusquement en place dans la tête de Severus.
Pourquoi est-il aussi imbécile?
Sa ravissante geôlière essaie de lui avouer par des moyens sibyllins qu'elle en pince pour lui et elle est train de se prendre un solide râteau.
En deux enjambées, il l'a rejointe. Elle se laisse attirer à lui sans résister, mais sa posture est raide et ses avant-bras restent dressés contre lui. C'est sans doute l'étreinte la plus maladroite de toute l'histoire sorcière. Pendant un moment terriblement embarrassant, il a peur d'avoir très mal interprété ses paroles. Oh, s'il faut qu'il ait encore posé un geste inconvenant sur elle, c'est la fin des haricots.
- Vous toucher de cette façon? se force-t-il à demander.
Il y a un long, très long silence. Et quand il la sent opiner contre sa poitrine, il comprend qu'elle a perdu l'usage de sa voix.
- Je pourrais m'y habituer, dit-il.
C'est con comme réponse, complètement con, il le sait. Mais la situation le prend au dépourvu.
- Je ne suis pas doué pour les relations humaines, vous devez en être consciente.
- Parce que vous croyez que moi, je suis douée? chuchote-t-elle. Je ne suis même pas fichue de dire que vous me plaisez.
- Vous venez de le faire.
Il penche la tête, mais Hermione a enfoui la sienne contre sa chemise. Il devine qu'elle évite soigneusement son regard.
Un autre silence hésitant.
C'est sans doute le moment de lui avouer qu'il aime son intelligence, son courage, sa candeur, ses yeux, son nez, son sexe, l'ensemble de l'œuvre. Mais Severus porte encore le poids de Garverdel et n'est pas certain de pouvoir s'autoriser à admirer la jolie Gryffondor être un parfait salaud.
Hermione, cependant, ne semble pas avoir le même raisonnement :
- Je comprends que vous soyez… dégoûté de…
- Je ne suis pas dégoûté, coupe-t-il, certain de ne pas vouloir entendre la suite. Seulement, je regrette profondément de vous avoir fait du mal.
- Vous ne m'avez pas fait de mal.
- Hermione. Ce sont des sottises, et vous le savez.
- C'était ma faute. Pas la vôtre.
Severus soupire.
Peut-être qu'il peut s'autoriser à l'admirer juste un peu, pour commencer.
- Vous êtes une tête de mule. Détendez-vous, maintenant.
Il lui prend les poignets, les écarte en douceur, et finalement elle consent à relâcher les bras pour mieux les enrouler autour de sa taille à lui. Il referme l'étreinte et ils restent là enlacés, sans rien dire.
Il comprend soudain que c'était ça, la suite logique du jeu cruel auquel Garverdel les avait conviés. Simplement serrer Hermione dans ses bras.
- J'ai eu tort, admet-il, comme pour lui-même.
- Tort de faire quoi?
- De vous laisser vous enfoncer dans la honte.
Les épaules d'Hermione tremblent. Du pouce, il trace un infime va-et-vient contre sa colonne vertébrale. Elle renifle, puis lâche d'une voix à peine audible :
- Il y a une partie de moi qui est encore là-bas, avec vous.
- Alors pourquoi ne pas essayer d'être ici, ensemble?
Hermione ne répond pas, mais il sent son dos se relâcher, son poids s'alourdir contre lui. Elle a encore maigri depuis leur arrivée. À ce rythme, elle finira par s'envoler sous les bourrasques salines d'Azera.
- Le chat contre une semaine de repas complets?
- Très Serpentard.
- Et huit heures de sommeil par nuit.
- Je dors déjà beaucoup trop.
- Pas avec des potions Sans-Rêve.
Un soupir parvient à ses oreilles.
- Alors? Vous le voulez, ce chat?
- C'est d'accord.
- Ce sera moi, votre geôlier, désormais.
La boutade a fusé d'elle-même. Pendant une seconde, il craint qu'Hermione en soit inconfortable, mais il l'entend échapper un reniflement amusé.
- Pourquoi ai-je l'impression que vous êtes beaucoup plus fort que moi à ce jeu?
- Vous me flattez.
Il relâche son étreinte. Leurs regards se rencontrent. Il devine la timidité dans celui d'Hermione. C'est bien lui le plus fort pour manipuler les gens, mais en revanche elle a dans ses prunelles chocolat une lueur douce qui lui coupe les jambes.
Il hésite, puis se lance à l'eau avant que la maladresse ne fasse à nouveau son nid entre eux :
- Vous venez prendre le thé tout à l'heure?
Il a l'impression que la question est stupide et convenue, mais Hermione sourit avec un soulagement évident.
- D'accord.
Avant de la laisser, il lisse d'un geste machinal les boucles qui se sont dressées sur sa tête avec la statique. Le rouge lui gagne les joues, mais elle ne montre pas de signe de recul.
Peut-être qu'ils y arriveraient, pense-t-il en émergeant dehors, les yeux larmoyants dans le soleil de plomb.
Peut-être qu'ils trouveraient le moyen.
D'être ici, ensemble.
Et voilà. Merci de m'avoir suivie jusqu'au bout encore une fois.
Je n'ai pas encore répondu à tous vos commentaires mais je le ferai sous peu. Vos messages me touchent beaucoup. Écrire est une activité tellement solitaire, c'est fantastique de savoir que vous avez apprécié prendre part à l'aventure.
On se retrouve dans une prochaine fanfiction! Bisous!
