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CHAPITRE 11
Stiles est surpris de la facilité de son intégration avec Scott et Melissa. Il n'a pas le même sentiment que dans les foyers d'accueil où on l'avait placé.
Ce n'est pas comme lorsqu'il devait demander à aller aux toilettes, et avoir peur de se servir de la nourriture du réfrigérateur, et avoir toujours l'impression d'être un invité dans la maison de quelqu'un d'autre, toujours attentif à ce qu'il disait et faisait, et des démangeaisons sous sa peau parce qu'il ne pouvait pas être juste lui.
Il ne sent rien de tout cela ici. La maison des McCall est confortable. Elle donne l'impression qu'elle pourrait être un foyer pour lui. Il n'est pas traité comme un invité, ici. Il est traité comme il convient.
Son père lui manque.
Le chien lui manque.
Il pleure plus d'une fois sur lui-même pour dormir, mais ça va. C'est le deuil. Ce n'est pas de l'impuissance. Ses larmes sont cathartiques, pas désespérées.
Il a une pile de vêtements que Scott lui a donnés. C'est surtout des trucs parce que Scott a grandi.
Stiles est si maigre, à cause de la vie dans la rue, que ça lui va. Il est un peu plus grand que Scott, donc le jean n'est pas tout à fait de la bonne longueur, mais Stiles s'en fiche. Qui doit-il impressionner, de toute façon ?
Il fait quelques tâches ménagères, pendant que Melissa travaille et que Scott est à l'école. Il se demande combien de temps il faudra avant qu'il ait l'impression que les murs se referment sur lui. Un certain temps encore, probablement : la maison lui semble encore chaleureuse et sûre.
Dans la journée, il fait des recherches sur le cas de son père. Il se demande si cela déclenchera des signaux d'alarme, quelque part, s'il essaie de commander une copie des transcriptions en ligne. Puis il se dit qu'ils ne sont pas vraiment ce dont il a besoin, de toute façon.
Il a besoin des notes de l'enquête initiale, pas de la présentation soignée du procureur. Pour cela, il a besoin de Rafa McCall. Et pour que Rafa McCall pense même à les lui donner, il a besoin de preuves.
Il prend un des cahiers scolaires inutilisés de Scott, et fait une liste de ce qu'il sait déjà. Ce qui n'est pas grand-chose, à part le nom de Kate Argent, l'adresse de son frère, l'adresse de G. Argent - sont-ils même apparentés ? - et comment elle a tiré sur son chien.
Il y repense, en essayant de se dissocier de la panique imminente.
« Re-bonjour, Derek. Tu n'as pas l'air très bien. »
Sauf que le prénom de Stiles n'est pas Derek. Et pour autant qu'il s'en souvienne, il n'a jamais rencontré Kate Argent de sa vie.
Derek.
Le prénom s'accroche dans les fils de sa mémoire comme un crochet, mais Stiles n'arrive pas vraiment à libérer cette mémoire. Il repousse ça pour l'instant.
Stiles se prépare une tasse de café - la caféine aide à calmer les symptômes les plus ennuyeux de son TDAH - et l'apporte dans le salon. Il s'assoit sur le canapé, et prend son carnet de notes.
L'ordinateur portable de Scott est allumé. Stiles cherchait le Herald plus tôt. L'insaisissable lion de montagne n'a toujours pas été attrapé.
Stiles tapote son stylo contre son menton, et pense à nouveau à Kate Argent, et à l'échange qu'elle a eu avec le père d'Allison devant sa maison, il y a quelques nuits.
« J'ai dit à papa que je vérifierai si tu avais eu la chance d'abattre l'Alpha. De toute évidence, non. »
L'Alpha. Qu'est-ce que l'Alpha ?
Première lettre de l'alphabet grec.
Terme coopté par ces PUAs(*) de Masculinistes(**).
Un épisode de la saison six de X-Files.
[(*) NDT : PUA est l'acronyme de "Potentially Unwanted Application", traduit en français par "Application Potentiellement Indésirable". Il s'agit d'une application habituellement intégrée à un logiciel gratuit, qui provoque l'apparition de pop-ups, ou installe une barre d'outils sur le navigateur par défaut. (Bitdefender)
Stiles a le chic pour inventer une insulte personnalisée à partir d'une nuisance informatique !]
[(**) NDT : Le Masculinisme est, d'une part, l'ensemble des mouvements sociaux qui se préoccupent de la condition masculine et de « la défense des droits des hommes, de leur indépendance et de leurs valeurs » ; et d'autre part, dans un autre contexte, c'est l'idéologie de la domination masculine sur les femmes.
Le Masculinisme, dans ce dernier sens, s'oppose au Féminisme, en considérant que la notion de Patriarcat n'existe pas, et que les femmes ont gagné au détriment des hommes, donc en suivant un discours antiféministe réactionnaire. Les partisans de cette idéologie préfèrent parler d'Hominisme, considérant que le terme de "Masculinisme" serait un « néologisme créé à des fins de diabolisation ». (Wikipedia)]
Et, en termes de chasse, l'Alpha est l'animal dominant dans une meute, n'est-ce pas ? Sauf que les pumas ne sont pas des animaux de meute. Alors, que chasse exactement Chris Argent ?
Stiles sirote son café.
Que diable se passe-t-il là-bas, dans la Réserve ? Chris Argent chasse quelque chose, et Scott s'est fait mordre par quelque chose, et tout ça, chaque putain de chose, revient directement à ces ruines noircies dans la clairière, n'est-ce pas ? Tout revient à l'Incendie Hale.
Peut-être que Stiles a fait fausse route.
Peut-être qu'il ne doit pas prouver que Kate Argent a piégé son père.
Peut-être qu'il doit prouver qu'elle a quelque chose à voir avec l'Incendie Hale.
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Stiles aime aider Scott avec ses devoirs. L'école lui manque. Pas les autres élèves ou les professeurs ou quoi que ce soit d'autre, mais l'apprentissage lui manque.
Stiles a toujours été câblé un peu différemment de beaucoup d'enfants. Scott échoue fondamentalement en Biologie, et même si cela fait des mois que Stiles n'a pas ouvert un manuel, il retombe facilement dans le rythme des études.
« Tout ce que je sais, c'est que les mitochondries sont la centrale électrique de la cellule ! » s'exclame Scott. « Et j'ai appris ça d'un mème ! »
Il a l'air si misérable que Stiles ne peut s'empêcher de se moquer de lui. « C'est bon, Scotty. Nous veillerons à ce que tu réussisses ! »
« Merci, mec. J'ai besoin de toute l'aide possible. »
Stiles mordille sa lèvre inférieure pendant un moment. « Tu traînes toujours avec Allison ? »
« Oui. » Scott rougit. « Ça craint vraiment que je ne puisse pas lui parler de toi, tu sais ? Elle a dit qu'elle continuait à conduire en ville, en espérant qu'elle te repérerait quelque part. »
Le souffle de Stiles s'interrompt. Il essaie de sourire. « J'espère : pas pour me livrer à sa tante la femme-flic, n'est-ce pas ? »
« Non. » Scott retient son regard. « Stiles, elle dit qu'elle n'a rien dit à sa tante sur le fait de te connaître. Je la crois. »
« Kate Argent a piégé mon père. » révèle Stiles. « Ou en tout cas, elle a aidé celui qui l'a fait. »
« Quoi ? » La mâchoire de Scott tombe. « Sérieusement ? »
« Je n'ai aucune preuve. » répond Stiles. « Mais je l'ai entendue au téléphone avec mon père, elle l'avertissait d'abandonner l'enquête sur l'Incendie Hale. Donc, je suppose qu'elle a aussi quelque chose à voir avec l'Incendie. »
« Mais c'était un accident... » Scott s'interrompt. « N'est-ce pas ? »
« Mon père ne le pensait pas. » Stiles se tord les mains. Le nœud d'anxiété dans son ventre s'élargit.
« Holy shit. » Le regard de Scott s'éloigne. « Cora Hale était l'année au-dessus de moi à l'école primaire. »
« Je ne les connaissais pas. » explique Stiles. « Je suis allé à Stuart, pas à l'école publique de Beacon Hills. »
« Oooooh ! » le taquine Scott. « Un écolier privé ! Très chic ! »
« Ma mère y enseignait. » Il regarde le manuel de biologie ouvert. « Nous payions des frais réduits. C'était une école Montessori, qui s'est avérée être un bon choix pour un enfant avec TDAH, sans aucune compétence sociale. »
Lorsqu'il relève les yeux, Scott lui montre un sourire encourageant.
« En tous cas, » continue Stiles en fermant le manuel, « je n'ai jamais rencontré les Hale. »
« Cora était un peu effrayante. » déclare Scott. « J'ai entendu dire qu'ils n'avaient jamais retrouvé son corps. »
Juste une autre chose qui ne colle pas à propos de l'Incendie Hale. Pourquoi les Hale se cacheraient-ils dans le sous-sol, après l'explosion d'une conduite de gaz ?
Et l'enquêteur sur les incendies avait déclaré que le feu avait brûlé à une température si élevée, qu'il n'y avait tout simplement rien à trouver sur certains des corps. Cora n'a jamais été retrouvée. Rien sur l'un des adultes non plus. Et un autre des enfants aussi. L'adolescent. Le frère.
Derek.
Derek.
Stiles cherche sur l'ordinateur portable de Scott.
Derek Hale. Seize ans.
Holy shit.
Stiles trouve une photo en ligne d'un gars en uniforme de basket-ball du lycée de Beacon Hills. Un gars qui ne ressemble absolument pas à Stiles.
« Re-bonjour, Derek. Tu n'as pas l'air très bien. »
Kate Argent doit être folle, ou c'est sa mauvaise conscience qui parle.
Il se demande si, quand elle reçoit des gens, elle peut entendre un cœur révélateur battant sous le plancher(*).
Si oui, c'est bien fait pour elle !
[(*) NDT : La phrase d'origine est "a telltale heart beating under the floorboards", sans doute une référence à "The Tell-Tale Heart", une nouvelle d'Edgar Allan Poe, traduite par Charles Baudelaire, et figurant dans les "Nouvelles histoires extraordinaires".
Dans cette histoire, un meurtrier a caché le cadavre de sa victime sous le plancher de sa chambre, mais il entend un battement de cœur, il se persuade que c'est celui de sa victime, et sa mauvaise conscience lui fait avouer son crime aux policiers qui étaient en train de l'interroger...]
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Ils commandent des pizzas, parce que ça aide pour les devoirs : c'est un fait scientifique ! Ils mangent les pizzas devant la télé, ce qui n'aide pas du tout pour les devoirs...
« Alors, tu penses que la tante d'Allison a quelque chose à voir avec les Hale ? » demande Scott.
« Oui. » Stiles prend un morceau de pepperoni et le mange. « C'est la seule chose qui a du sens. »
« Nous devrions vraiment le dire à ma mère. » réfléchit Scott. « Et à mon père. »
« Pas sans preuve ! Si on le dit à ton père, alors il est obligé de faire quelque chose à mon sujet, en tant que personne disparue. Et, tu sais : recherché par la police. »
Scott s'affale sur le canapé. « Je ne peux pas croire qu'elle a tiré sur ton chien. »
Stiles sent la faible brûlure de colère habituelle dans son ventre, pendant un moment.
« Ça craint, mec. »
Ouais. Ça craint vraiment, vraiment...
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Ils discutent pendant un moment, pour savoir s'il faut dire ou non à Allison ce qui se passe. Si sa tante a des liens avec l'Incendie Hale, alors Allison est sûrement au meilleur endroit pour essayer de découvrir une preuve de ça ? Scott est sûr qu'on peut lui faire confiance. Stiles n'est pas prêt à risquer sa liberté pour ça. Scott accepte que ce soit Stiles qui décide au final.
Stiles se couche juste avant minuit. Il se recroqueville sous sa couette, et pense à toutes les fois où il s'est assis dans la ruelle avec le chien.
Entropie.
Délabrement.
Il doit agir.
En même temps, il a peur. Tout est déjà si précaire, qu'il est terrifié à l'idée de faire quoi que ce soit.
Il se tourne et se retourne pendant un moment. Il somnole peut-être.
Le sous-sol a des fenêtres haut dans les murs, au niveau du sol à l'extérieur. La lune est une demi-lune ce soir, mais suffisamment brillante pour qu'une faible lumière filtre à travers les fenêtres. Elle remplit le sous-sol d'une douce lueur.
Melissa estime que si Stiles est autorisé à rester, il peut avoir la chambre à côté de celle de Scott. Mais pour l'instant, il partage le sous-sol avec la machine à laver et le sèche-linge, ainsi qu'une étagère pleine de vieux jeux de société, de décorations de Noël, et d'objets divers. Cela ne le dérange pas que tout sente l'assouplissant.
Stiles ne pense pas qu'il dort vraiment quand la porte du sous-sol s'ouvre, mais il lui semble se réveiller tout de même.
« Stiles ? » chuchote Scott dans l'obscurité. « Tu es réveillé ? »
« Ouais. » murmure Stiles en retour.
Les pas de Scott dégringolent les marches.
Stiles s'assoit. Scott se tient devant le canapé-lit. Il déplace son poids d'un pied à l'autre, et même dans la pénombre, il a l'air pâle et les yeux écarquillés.
« Qu'est-ce qui ne va pas ? » demande Stiles.
« Tu peux entendre ça ? » Scott secoue la tête, comme un chien après un bain sous le tuyau d'arrosage.
Stiles écoute dans le silence pendant un moment. « Entendre quoi ? »
Scott fronce le nez et incline la tête. « Hurler ? »
Stiles écoute à nouveau. « Mec, je n'entends rien. »
« Ça m'a réveillé. » Le souffle de Scott sort en de courts halètements paniqués.
Stiles se souvient que Melissa avait vérifié avec lui, avant d'aller travailler, qu'il savait où était son inhalateur. « Tu as besoin de ton inhalateur ? »
« N-non. » La question semble le distraire de son anxiété croissante. Il inspire profondément et sans retenue. « Non, je pense que je vais bien. » Puis son front se plisse. « Comment je peux aller bien ? »
« Allons... Montons les escaliers et prenons ton inhalateur, d'accord ? »
Scott hoche la tête. « Je pense qu'il y a quelque chose qui ne va pas avec moi. Qui ne va vraiment pas. »
« Il n'y a rien de mauvais. » lui répond Stiles.
Scott pousse un rire qui ressemble à de l'hystérie. « Je peux t'entendre mentir ! »
Stiles met la main sur son cœur qui bat vite. « Ça semble vraiment impossible, Scott. »
« Je sais. » Scott passe les doigts dans ses cheveux. « Je sais que c'est le cas. » Il se fige soudainement, et se retourne pour regarder l'une des fenêtres.
Stiles suit son regard.
Une ombre passe devant la fenêtre.
« Est-ce que tu... » murmure-t-il.
Est-ce que tu as vu ça ?
Mais les mots ne viennent pas.
Parce que lorsque Stiles tourne la tête pour regarder à nouveau Scott, les yeux de Scott brillent comme de l'or...
Paralysie du sommeil.
Imagination.
Démence fronto-temporale.
Cauchemar.
Sauf que Stiles sait, au fond de son estomac, que tout ce qui se passe à l'instant même est cent fois plus terrifiant que n'importe quel cauchemar, parce qu'il sait que c'est réel...
De l'extérieur, un hurlement déchire la nuit. Assez fort et assez proche pour que Stiles en sente l'écho se répercuter à travers ses os. Le son est assez énorme pour avaler le monde, et Stiles sait instinctivement qu'il est impuissant face à ça, quoi que ce soit.
Et puis, c'est reparti.
L'ombre passe devant la fenêtre.
Les yeux de Scott ne brillent plus.
« C'est parti. » murmure Scott. « Holy shit. Qu'est-ce que c'était ? »
Et Stiles le regarde et pense : Qu'est-ce que tu es, Scotty ?
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