Ce texte a été inspiré par le thème « Souvenir » de la cent cinquante-et-unième nuit du FoF. Attention : il fait référence indirectement à une situation de viol.


Fleur Weasley cherche à travers les rues de Paris. La boutique n'apparaît jamais deux fois au même endroit, mais elle sait que son besoin est si grand qu'elle la trouvera. Alors elle a quitté Victoire et la maison pour quelques heures, faisant confiance à son mari Bill pour veiller sur leur fille.

Elle se sent désemparée, elle ne sait pas comment consoler Victoire, elle ne le savait déjà pas juste après que ce soit arrivé et encore moins maintenant que les tribunaux ont relâché son agresseur, que sa fille risque de le rencontrer à nouveau, si elle retourne à Poudlard ou sort dans les rues anglaises. Elle ne sait pas quoi faire pour aider sa fille, mais elle sait aussi que cela au moins elle peut le faire. C'est une vengeance basse et veule, pourtant la perspective de faire ressentir à cet adolescent ne serait-ce qu'un centième du mal qu'il a fait à Victoire pousse Fleur à arpenter les rues de Paris.

Elle les arpente depuis déjà une heure et demi, mais elle est patiente, elle sait qu'elle la trouvera. Cette boutique apparaît toujours à ceux dont le besoin est extrême. Sa grand-mère le lui a dit. Bill a déjà commencé à mettre en œuvre sa propre vengeance, et même si elle a consenti au prix demandé, elle peut encore cela en plus, et donc elle le fera.

Alors qu'elle s'apprête à traverser une rue passante, la devanture lui apparaît entre deux immeubles haussmanniens. Elle n'a rien de remarquable, rien qui puisse véritablement annoncer son commerce, si ce n'est un discret panneau « Souviens-toi » au-dessus de la porte et un triple alignement de fioles dans la vitrine. Ce pourrait être une parfumerie, les tons bleu marine des boiseries sont élégamment sobres et la poignée délicatement ouvragée. Fleur ne l'a jamais vue auparavant, mais elle sait de manière viscérale que c'est ce qu'elle cherche. Alors elle quitte le passage piéton, se retourne en essayant de garder constamment la devanture dans son champ de vision, et s'y dirige à petits pas pressés. Elle n'hésite pas à ouvrir la porte et rentrer.

L'intérieur distille une ambiance feutrée, où le jour perçant à travers les vitrines s'adoucit en des teintes plus orangées. Des fioles s'alignent en tous sens sur les étagères en bois fixées aux murs, sans ordre apparent, toutes de couleurs différentes : du rose, du lapis-lazuli, de l'ocre, du bleu outremer, … Il semble y avoir une infinie variation de nuances, du plus clair au plus sombre, mais jamais de transparentes, trahissant toujours au moins une irisation délicate.

Derrière le grand comptoir en chêne usé se trouve une aimable grand-mère au doux chignon gris, qui referme son livre et lève les yeux sur Victoire quand elle fait quelques pas dans la boutique. Victoire se détend presque malgré elle. Elle sent pourtant que cette boutiquière n'est pas tout à fait humaine, et elle devine que son apparence actuelle n'est faite que pour la mettre à l'aise, elle. Et c'est aussi bien ainsi : parler à une autre femme est plus facile, loin du jugement des hommes sans cœur qui ont condamné Victoire.

L'apparente vieille femme lui sourit gracieusement :

« Bonjour, que puis-je faire pour vous ? »

Fleur sait ce qu'il faut dire, sa grand-mère le lui a dit :

« J'ai un souvenir pour vous.

— Vraiment ? Et bien, rapprochez-vous. »

La boutiquière s'est redressée avec intérêt. Fleur n'a presque pas à se forcer pour se rapprocher :

« J'ai un souvenir très puissant, un souvenir joyeux, très précieux.

— Êtes-vous sûre de vouloir vous en séparer ? »

La boutiquière penche la tête sur le côté avec sollicitude, et Fleur passe la langue sur ses lèvres sèches :

« Oui, c'est important.

— Alors, allons-y, venez ici et concentrez-vous sur ce souvenir quand je vous le dirai. »

La boutiquière saisit un flacon vide sous son comptoir, le contourne, et Fleur vient se placer face à elle. Elle ne la dépasse que de quelques centimètres. L'apparente vieille femme sourit et lève une main vers la tête de Fleur :

« Allez, fermez les yeux, et concentrez-vous bien. »

Et Fleur se souvient. Elle se souvient de ce moment précis, où, épuisée par seize heures de travail, et ayant refusé que le médicomage force sa fille à venir plus vite, elle a tenu Victoire dans ses bras pour la première fois. Elle se trouvait dans une chambre de la maternité, elle était pratiquement nue sur ce grand lit blanc, et contre sa poitrine l'infirmière venait de poser ce petit bébé rougeaud qui braillait son déplaisir de respirer l'air trop frais. Elle savait depuis plus de huit mois qu'elle attendait cette enfant, elle la sentait bouger depuis de longues semaines, mais à ce moment précis, où elle avait senti le petit corps tout chaud contre le sien, une vague d'amour irrépressible l'avait submergée, et la certitude qu'elle ferait tout son possible pour l'aimer et la rendre la plus heureuse possible s'était imposée à elle.

Cet émerveillement, cette force maternelle qu'elle avait découverts en elle en cet instant, elle le revit intensément, et elle le ressent aussi puissamment plus d'une décennie plus tard. Victoire est sa fille, et rien ne pourra rompre ce lien.

Fleur laisse échapper le souffle qu'elle a inconsciemment retenu dans la ferveur de son souvenir, et elle sent quelque chose qui lâche dans son esprit, quelque chose qui se libère et lui échappe.

Elle rouvre les yeux ; la boutiquière a saisi dans sa main droite une masse dorée et palpitante qu'elle guide adroitement vers la fiole qu'elle tient de la gauche :

« Oui, c'est un très beau souvenir, très puissant, très pur », murmure-t-elle.

Fleur la regarde enfermer le souvenir dans le flacon, qu'elle scelle délicatement avec le petit bouchon qui y est attaché. La boutiquière ne quitte pas le récipient des yeux et va le poser précautionneusement sur une étagère, réarrangeant les autres fioles autour, de ci, de là, jusqu'à être satisfaite de l'harmonie des couleurs.

L'apparente vieille femme se retourne enfin vers Fleur.

« Et quel type de souvenir voulez-vous emporter à sa place ? »

Fleur avale sa salive, cherchant ses mots :

« C'est pour faire souffrir quelqu'un, il a… il a... »

Elle ne sait comment continuer. La boutiquière adopte l'air courtois d'une vendeuse aguerrie.

« Quel type de souffrance, questionne-t-elle, physique, morale, émotionnelle ? »

Qu'est-ce qui serait le pire ? a envie de demander Fleur, consciente qu'une simple souffrance physique ne pourrait apaiser son cœur de mère. Elle n'ose pas poser la question à voix haute, mais la boutiquière semble la deviner tout de même :

« Hm, voyons ce que je peux vous donner en échange du précieux souvenir que vous m'avez cédé. »

Elle se dirige vers un recoin de la boutique, et saisit un flacon sombre. Quand elle l'apporte à Fleur, celle-ci y voit un bleu très sombre tacheté de paillettes pourpres.

« Voulez-vous le tester un instant ? »

Fleur hoche la tête. La boutiquière débouche la fiole, et, de quelques mouvements de doigts, en attire des effluves jusqu'au visage de Fleur. Celle-ci inspire.

Une douleur terrible lui laboure soudainement les côtes, la jetant à genoux par terre dans son intensité, sans pouvoir respirer, et aussitôt après la douleur, une peur incontrôlable, viscérale, vient se superposer aux sensations physiques, accompagnée d'un sentiment d'horreur incompréhensible.

La douleur cesse presque aussi vite qu'elle est apparue, mais les sentiments de terreur et de répulsion persistent dans son esprit comme des génies maléfiques, tandis qu'elle essaie de reprendre son souffle.

Elle ignore combien de temps passe avant qu'elle ne relève les yeux vers la boutiquière.

« Êtes-vous satisfaite ? », demande l'apparente vieille femme, sans chercher à la relever.

Fleur hoche la tête, avalant la nausée qui laisse un goût amer au fond de sa gorge. Elle se redresse péniblement en s'appuyant au comptoir.

La boutiquière contourne ce dernier et se baisse à la recherche d'un petit carton d'emballage :

« Savez-vous comment l'utiliser ? »

Un instant passe.

« Que me recommandez-vous ? questionne Fleur

— Vous pouvez bien entendu le faire respirer mais pour un usage plus prolongé, continue-t-elle, il est aussi possible de le dissoudre dans une boisson ou un plat, ou encore d'y faire baigner un objet que vous placerez ensuite sur le destinataire. »

Fleur hoche la tête.

La boutiquière finit d'arranger le petit paquet, le glisse dans un sac en papier bleu marine anonyme, et le tend à Fleur en souriant poliment :

« Voilà, je vous remercie d'avoir eu recours à nos services. »

Fleur hoche à nouveau la tête, saisit le sac avec précaution, et quitte la boutique sans se retourner.