Note d'auteur.

Petite ff Drarry que j'ai écrit pendant le mois d'août, j'espère qu'elle vous plaira

Pour le plot, c'est un Harry a Serpentard parce que j'adore ça, friends to lovers, hogward romance etc,

Bonne lecture !


What ain't broken


Quand Draco entre dans le compartiment habituel du troisième wagon du Poudlard Express, quelqu'un est déjà assis là.

Le garçon ne relève même pas la tête. Replié sur lui-même dans le coin de la banquette, enroulé dans plusieurs couches de vêtements mal assortis, il lit avec attention. Sous ses cheveux épais, bouclés, et surement trop longs, Draco aperçoit une paire de lunettes rondes. Dans la position où il se trouve, c'est à peu près tout ce qu'il peut distinguer de son visage, et Draco fronce les sourcils devant le manque total de réaction à son arrivée.

Il pleut averse aujourd'hui et malgré l'excitation qui revient toujours aux rentrées, Draco sent ses paupières devenir plus lourdes à chaque minute. Depuis le matin et la minute où il s'est levé, il ne pense qu'au moment où il retrouvera le matelas de son lit à Poudlard, celui qu'il a magiquement transformé pour être le plus confortable possible. La veille au soir, à leur retour de la fête organisée par la mère de Blaise pour fêter la dernière année de son fils unique, son père l'a fait venir dans son bureau pour lui rappeler l'importance de sortir premier de sa promotion : cette née-moldue ne doit pas à nouveau lui voler les honneurs comme elle l'a fait pour quelques matières pendant leur cinquième année.

Alors, le cœur gonflé par un ego entretenu depuis des années, il s'irrite face à ce comportement complètement non-intéressé. Ce compartiment est le leur depuis la deuxième année, et presque tout le monde est au courant : il y a bien eu quelques tentatives mais depuis que Pansy a chassé cette première année il y a trois ans en envoyant son serpent de compagnie à ses trousses, plus personne n'ose venir. Ce vieux serpent est mort l'année passée, et même à eux il leur fichait la frousse.

— C'est qui ? demande Théo d'une voix molle en arrivant derrière lui en baillant.

Ses cheveux sont bien peignés, sa peau possède une teinte de pêche, pourtant Draco est bien placé pour savoir qu'il a dormi autant que lui. Toute la haute noblesse était présente à la fête de Mlle Zabini et personne n'a plus rentrer avant les petites lueurs de l'aube.

— Aucune idée, répond Draco.

Théo plisse les yeux.

— J'ai la flemme, soupire-t-il en passant à côté de Draco pour aller s'asseoir.

Il semble avoir décidé que ce garçon n'est pas suffisamment important pour qu'il s'en occupe, et le voir s'installer dans le coin près du couloir donne très franchement à Draco l'envie de faire pareil. Alors, au bout de quelques secondes de réflexion, il décide de laisser parler sa fatigue et sa compassion intérieure et se dit que si ce garçon est ici, c'est qu'il n'avait nulle part où aller.

Il n'a même pas le temps de voir les autres arriver, car quand sa tête s'appuie contre la cloison sur sa gauche, il commence à rêver de cours de potion et d'examens terminaux.

Quand Draco se réveille, c'est Pansy qui lui secoue l'épaule. Son visage n'est pas loin du sien et il lève la main pour se frotter les yeux.

— Déjà ? grogne-t-il.

— Ça fait des heures que tu pionces, se moque Blaise.

Théo l'observe d'en face, parfaitement réveillé, tandis que Pansy retourne s'asseoir, déjà vêtue de sa robe de sorcière aux couleurs vert et argent. Crabbe et Goyle mangent leur goûter, et en percevant son regard, lui tendent un beignet.

Pour une fois, il le prend et le mange par petit bout.

C'est seulement quelques minutes plus tard qu'il se rend compte que l'inconnu est toujours là, à la même place, le regard tourné vers l'extérieur. Draco n'aperçoit rien de plus que la première fois, et remarque que lui ne s'est pas encore habillé.

C'est à ce moment que le train commence à ralentir.


La cérémonie des maisons a été longue, comme d'habitude. Il y a eu beaucoup de Poufsouffles et de Gryffondors, mais peu de Serdaigles et encore moins de Serpentards. Ces dernières années, les répartitions ont été moins nombreuses dans leur maison, ce qui fait que les premières années arrivent dans les dortoirs à dix au lieu de vingt, par exemple. Les classes communes avec les autres maisons leur donnent l'impression de s'inviter dans un cours qui n'est pas le leur, et ils n'ont pas remporté la coupe des quatre maisons depuis cinq ans.

— Hé, c'est pas le gars du train ?

— Où ?

— Juste là, derrière la première année.

Il ne reste plus que deux filles à être réparties. Elle se tiennent la main et se ressemblent comme deux gouttes d'eau : au même moment, le nom de la première est appelé et elle est aussitôt répartie à Pouffsouffle. La seconde subit le même sort et tout le monde peut voir son soupir de soulagement quand elle s'envole presque du tabouret pour aller rejoindre sa sœur.

Le garçon du train attend debout, dans une robe noire sans couleurs. Il garde ses mains dans ses poches et même Draco peut le voir se pencher un peu vers la droite puis un peu vers la gauche, comme pour essayer de penser à autre chose.

McGonagall, comme tous les ans, est celle qui appelle les noms. Alors, quand sa voix résonne dans la Grande Salle qui commençait tout juste à discuter un peu plus fort que d'habitude, le silence se fait immédiatement.

— Harry Potter.

Tout le monde regarde, même ceux qui s'étaient détournés. Draco l'avait pris pour un quatrième année au vu de sa taille et de ses épaules étroites même sous les vêtements, mais maintenant il sait qu'il doit avoir le même âge que lui.

Harry Potter s'avance, les yeux baissés sous ses lunettes rondes, et s'assoit sur le tabouret.

— C'est une blague, vous pensez ? chuchote Blaise à la table.

— Pourquoi ça le serait, répond Théo. Ils l'ont peut-être juste retrouvé.

Tout le monde grimace. « Harry Potter a été retrouvé » c'est le titre d'au moins une douzaine de bouquins. Tous de la fiction.

— Vous avez vu sa cicatrice, vous ? Dans le train ?

— Nan. Ses cheveux ils…

Le choixpeau, une fois sur sa tête, met quelques secondes de plus que les autres à choisir. Tout le monde retient son souffle, et finalement la sentence tombe :

— Serpentard !

Il y a quelques secondes où personne ne dit rien, mais le choc ne tarde pas à arriver et tout le monde chuchote son avis. Bientôt, ce ne sont plus des chuchotements et un véritable brouhaha arrive. Ce n'est que lorsque Dumbledore demande magiquement d'une voix forte le silence qu'Harry Potter commence enfin à s'avancer vers la table des Serpentards.

— Par Merlin, bordel de merde, souffle Blaise à leur table silencieuse.


Ce n'est que quelques heures plus tard, alors qu'ils sont tous prêts à aller se coucher, que Harry Potter passe les portes du dortoir. Sa robe a magiquement rangé de couleurs, et il se faufile le plus discrètement possible : la porte ne fait pas un bruit.

Tout le monde se retourne quand même vers lui. Leur année ne compte que quinze élèves depuis six ans, et ils ont tous remarqué le seizième lit apparut à côté de celui de Draco.

Potter semble hésiter. Il remarque immédiatement les regards, déglutit, et chuchote presque :

— Salut.

La majorité lui répond, avenants et curieux, et ses épaules se détendent. C'est Théo qui prend la parole pour lui pointer le lit vide du doigt.

— Tu peux aller ici, c'est ton lit.

Comme leurs affaires à eux, les siennes sont arrivées pendant qu'ils se trouvaient tous au banquet. Mais là où la malle de Draco fait presque sa taille en longueur, il n'y a qu'un sac à dos en toile et une petite valise à main à côté de son lit.

— Merci.

Mais il n'a qu'une ou deux minutes à peine pour s'installer, car Blaise ne possède pas la patience de Théo ou la réserve de Draco : immédiatement il s'assoit sur le lit de ce dernier et sourit de toutes ses dents.

— Alors ?

Potter relève la tête de ses affaires. Le court laps de temps qu'il a eu lui a suffit pour ranger toutes ses affaires.

— Alors ? répète-t-il d'une voix confuse.

— T'étais où, avant ? En France ? Ou en Bulgarie ? Ou au Japon ? Tu devais être loin pour que la Gazette du sorcier arrive à louper l'information.

Il fronce les sourcils, mais Blaise semble à deux doigts de quitter le lit de Draco pour aller sur le sien. La curiosité est un gène puissant chez les Zabini, seulement sa mère a réussi à le contrôler. Tout le monde sait que chez elle, une information importante se paye le prix fort.

— J'étais à Londres, dit-il simplement en haussant les épaules.

Puis il s'en va sortir son pyjama de la malle ouverte au pied de son lit. Ce qu'il en sort fait grimacer Draco au plus haut point, mais il retient un commentaire. Pour l'instant, il est assez perdu pour ne pas savoir quoi faire : ses amis, il les possède depuis longtemps. Ses parents lui ont toujours dit avec qui rester et de qui se séparer.

Mais ils ne lui ont rien dit pour Harry Potter. Personne n'a rien dit.

— Mais…, continue Blaise, les sourcils froncés cette fois. Mais, t'étais dans quelle école, alors ?

— À St. Matthew, pendant des années.

— C'est où, ça ?

— À Londres… ? Mais —

— C'est moldu, leur dit quelqu'un vers l'arrière du dortoir.

Le garçon est déjà dans son lit, les yeux plissés. Il hausse les épaules quand Draco et Blaise se retournent vers lui.

— C'est un collège moldu. Assez pourri, d'ailleurs.

— Un collège moldu, mais…

Blaise observe Potter, des pieds à la tête. Draco voit la même chose que lui : des vêtements trop grands, un teint halé par le soleil, des lunettes légèrement fissurées sur le coin droit, des cheveux trop longs, bouclés et emmêlés.

Ce n'est surement pas le bon soir, pense Draco et en voyant le regard de Blaise il sait que ce dernier s'est dit la même chose.

— La salle de bain est au bout là-bas, dit Blaise au moment où il voit le regard de Potter chercher quelque chose.

— Merci.

Ses affaires dans les bras, Potter commence à contourner son lit pour se diriger vers l'endroit qu'on vient de lui pointer du doigt. Mais au dernier moment, Draco sent ses lèvres faire une grimace.

— Potter, attends.

Ce dernier se retourne. Le lac laisse passer la lumière de la lune par reflets irréguliers, et Draco voit à présent à quel point ses yeux sont verts. Ça le perturbe quelques secondes, mais quand il se reprend il tend immédiatement sa baguette.

Il voit Potter se tendre, sur ses gardes, mais en quelques secondes Draco a murmuré :

Occulus reparo.

Il ignore volontairement le regard appuyé de Théo ainsi que le rictus de Blaise et baisse sa baguette. Il vire l'abruti de son lit, ferme les rideaux, et s'enfonce sous les couvertures.

Mais malgré la fatigue qu'il se traine depuis des heures, il ne s'endort qu'après avoir entendu le froissement des draps dans le lit d'à côté.


Quand Draco se réveille, le lit de Harry Potter est vide et fait comme si les elfes de maison étaient déjà passés par là. Il surprend quelques regards en direction de la place vide, et comprend cette curiosité : la question « est-ce que c'est bien arrivé ? » est dans tous les esprits.

C'est seulement quand ils arrivent dans la Grande Salle pour le petit déjeuner que la réponse s'impose d'elle-même : oui.

Harry Potter déjeune seul, un bol de chocolat posé devant lui, un livre ouvert à sa gauche et des tartines à moitié mangées sur sa droite. Quand ils arrivent tous à la table des Serpentards, Draco remarque que Potter a un geste de défense en direction de sa nourriture, comme si quelqu'un s'apprêtait à lui voler son chocolat.

Quand Crabbe commence à se diriger vers la place à côté de Potter, Draco lui fait un signe de tête pour lui dire de bouger plus loin. Il s'assoit la tête haute, et attend que son café au lait arrive devant lui.

Pansy n'attend l'autorisation de personne pour prendre place en face du nouvel élève. Le sourire qu'elle lui offre fait frissonner presque tout le monde.

— Je peux t'appeler Harry ?

Potter relève la tête de son livre, et hoche lentement la tête. De sa place, Draco observe un instant ses yeux avant de regarder l'endroit où sa cicatrice est censée se trouver. Il a trop de cheveux pour voir quoi que ce soit.

— Super, moi c'est Pansy.

— Enchanté.

Et, sans attendre une seconde de plus, elle se met à pointer du doigt chaque élève à la table. Elle offre un petit commentaire désobligeant pour chacun, et en revenant enfin sur Draco, elle dit simplement :

— Lui c'est Draco Malfoy. S'il commence à te parler de son père, tu peux te mettre à l'ignorer. Et si jamais tu te poses la question : non, tu ne sens pas mauvais, il a toujours cette tête-là.

Sans le vouloir, Draco laisse échapper un sourire en voyant que Potter a l'air amusé. Ils échangent un regard, et d'un coup il lui parait moins inaccessible. Ce n'est plus qu'un ado, qui porte son chocolat à ses lèvres et qui a l'air de trouver ça très bon.

— Pansy est une chieuse, dit Draco. Ignore au moins la moitié de ce qu'elle dit.

— Alors, sourit Blaise en le poussant un peu pour s'approcher de Potter. Serpentard, hein ? Ça t'ennuie pas ?

— Pourquoi ça m'ennuierait ?

— Personne t'a mis en garde ? Personne a essayé de te dire qu'on était des méchants gamins ?

Harry hausse les sourcils.

— Si, en fait. Cet été, on m'a dit que Gryffondor serait surement mieux pour moi.

Tout le monde grimace.

— Sans blague.

— Mais j'ai rencontré des élèves, dans le train. Ils étaient… brusques, bruyants et énervants. Et honnêtement, je voulais juste un peu de calme.

Il sourit, comme pour appuyer son propos : au même moment, des élèves derrière eux commencent à se lancer de la nourriture en riant aux éclats. Quelques sorts fusent, rien de grave.

— Qui aurait cru que Harry Potter irait à Serpentard ?

— Moi, sourit Théodore. Je l'avais dit.

— Quand ?

— Quand on avait dix ans, avant qu'on entre à Poudlard.

Draco voit les sourcils de Potter se lever doucement, mais il ne fait aucun commentaire. À la place, il se contente d'écarquiller les yeux quand les bols vides disparaissent de la table en même temps que les miettes.

— La magie, c'est vraiment cool, murmure-t-il si bas que Draco doit être le seul à l'avoir entendu.


— Et celui-ci ? Ce pull t'airait bien. T'as des beaux yeux, le vert les mettrait en valeur.

— Mais on porte des uniformes presque toute la semaine. Ça serait du gâchis, non ?

— Tu parles comme un pauvre, Harry. C'est moi qui paye, de toute manière. Celui-là ? Ouais, on va prendre celui-là.

Quand Draco entre dans la salle commune, il hausse un sourcil curieux. Pansy est pratiquement allongé sur l'accoudoir du fauteuil du coin dans lequel Potter est recroquevillé. Avec un stylo magique qui prend directement ses commandes, elle entoure chaque article qui lui tape dans l'œil dans ce magazine de vêtements masculins.

— Celui-ci aussi.

— Qu'est-ce que je vais faire de dix pantalons ?

Devant les sourcils froncés de Harry, ce sont ceux que Pansy qui l'imitent. Elle le fixe quelques secondes, et les élèves aux alentours attendent une réponse. Car plus Harry Potter parle, plus ils se rendent tous compte qu'il n'a pas été élevé comme l'héritier Potter aurait dû être élevé. À midi, Blaise avait essayé de lui voler son pain et Potter le lui avait arraché des mains comme s'il lui avait pris deux mille pièces d'or de son coffre.

Même Blaise ne s'était pas moqué : il s'était excusé et avait essayé de combler le silence gênant qui s'était créé.

— Tu pourras avoir du choix. Mettre de ce que t'as envie de mettre et pas simplement ce que tu as dans ta penderie.

— Oh.

Sa réponse parait le satisfaire. Tout le monde observe son petit sourire et son air émerveillé face aux magazines. C'est à couper le souffle et ils ont tous l'air édifié. Draco n'a même pas besoin de se demander quel chemin prennent les pensées de Pansy car il se dit la même chose.

— Tu sais quoi ? dit-elle. On va plutôt en prendre quinze.


Deux jours plus tard, Draco se réveille au milieu de la nuit avec la gorge sèche.

Les yeux à moitiés ouvert posés sur les rideaux de son lit, il hésite quelques secondes à juste se rendormir. Mais quand une toux commence à se former dans le fond de sa gorge, Draco soupire et rejette ses draps sur le côté. Il marche jusqu'à la salle de bain, se penche pour avaler quelques gorgées au robinet magique le plus proche, et replace ses cheveux en arrière avant de retourner dans la chambre.

C'est en passant la porte et en s'approchant de son lit qu'il remarque deux choses : le lit de Potter est vide et défait, et quelqu'un est assis par terre dans le coin de la pièce. Les bras entourant ses genoux, Harry Potter observe le plafond ondulant et les poissons passant au-dessus de sa tête. La lune éclaire encore son visage, et cette fois il ne porte pas de lunettes.

Et surtout, ses cheveux sont renvoyés vers l'arrière, humides de sueur, laissant son visage entièrement à découvert. Sa cicatrice, presque blanche et brillante, descend du coin de son front jusqu'au centre de son sourcil : c'est un véritable éclair, une ligne qui se sépare en plusieurs petites branches et qui prend bien la moitié de son front.

Vue ainsi, Draco la trouve magnifique, et il lui faut deux clignements d'yeux pour se reprendre : en silence, il s'approche jusqu'à pouvoir s'asseoir sur le fauteuil juste à côté. Potter aurait pu s'installer sur ce dernier, mais il a choisi le sol froid.

Draco attend quelques secondes avant de demander à voix basse :

— Cauchemar ?

Il voit Potter hocher lentement la tête. Les reflets de l'eau ont une couleur verte qui ondulent sur son visage.

— Est-ce que c'était… le Seigneur des Ténèbres ?

Il ne devrait pas l'appeler ainsi. Mais presque tous ici sont des sang-purs et ils ont été élevés avec les mêmes histoires. Beaucoup ont regretté ce temps passé aux côtés du Mage Noir, même avant la fin de la guerre. Ce qui au départ était un regroupement d'idées est rapidement devenu hors de contrôle.

Leurs sentiments envers les moldus ne suffisaient pas à leur faire accepter ce totalitarisme terrifiant. La peur de la punition avait largement dépassé l'adoration, mais la marche arrière était impossible. Enfin, jusqu'à Harry Potter.

— De quoi ?

Potter se tourne légèrement vers lui, la respiration encore rapide.

— Est-ce que tu rêves de… ce moment ?

Draco donne un petit coup de menton en direction de la cicatrice, et Potter semble comprendre.

— Ah. Non. Non, c'était pas ça. Je… ne rêve pas souvent de ça.

— Tu t'en souviens ?

— Pas vraiment. C'est assez flou. Honnêtement, je vois juste le flash vert, parfois. Ça, et le cri de ma mère. Mais par rapport au reste, c'est pas très…

Il hausse les épaules, et son t-shirt trop large tombe légèrement pour découvrir son épaule.

Draco ne peut pas s'empêcher de se dire que face à des détraqueurs, Harry Potter ne tiendrait pas longtemps.

— Attends.

Il se lève lentement, jette un coup d'œil à l'ensemble de la pièce : il entend des ronflements légers et d'autres plus sonores. Personne ne s'est réveillé. Alors il va rapidement fouiller dans son sac, et quand il revient il force Potter à tendre sa main et à l'ouvrir.

— Tiens. Avale ça.

— C'est quoi ?

— Du chocolat.

Harry lui lance un regard étonné, mais il ne s'arrête que quelques secondes avant de le mettre dans sa bouche. Il garde le goût sur sa langue un instant, et Draco voit que ça a l'effet escompté. Quand il parait calmé, Draco se lève.

— Prends une douche avant de retourner te coucher, ça t'aidera. Si tu fermes la porte, le sort de silence s'activera tout seul.

Juste avant qu'il n'écarte le rideau, il entend Potter dire :

— Draco ?

— Quoi ?

— Merci.

Il hausse les épaules, et retourne dans son lit.


Draco croise Potter dans la bibliothèque, après leur cours de potion. De là où il se trouve, il voit presque la sueur de concentration perler sur sa tempe, et laisse échapper un soupir. Lentement, il se dirige vers la table du survivant.

— Tu révises les potions ?

Dans un sursaut, Harry relève la tête. Il est obligé d'écarter une de ses mèches de son front pour pouvoir le regarder correctement.

— Tu m'as fait peur, sourit Potter.

— Toi, c'est ton manque de talent en potion qui m'a fait peur. J'ai cru que t'allais faire exploser la salle.

S'installant en face de lui, il ne loupe pas la grimace franchement contrite que Harry laisse échapper. D'une petite voix, il tente :

— J'ai vraiment essayé de comprendre tout seul, mais… mais le manuel ne donne pas toutes les précisions et je sais jamais quand découper en lamelle ou en carré ou quand écraser ou simplement aplatir.

Il hausse les épaules.

— Snape est toujours par-dessus mon épaule, et il a pas tout à fait tort de vérifier que je vais pas tuer tout le monde.

Sur le moment, Draco est tenté d'avoir pitié. Les potions, c'est un travail sur plusieurs années, c'est des connaissances qui viennent de l'expérience. Le manuel, ça donne les bases : le reste vient du travail. Il s'est dit plusieurs fois que Harry n'aurait pas dû être accepté en potion. Snape n'accepte aucun élève n'ayant pas eu un Optimal aux BUSES.

Mais la pitié ne dure qu'une seconde avant qu'il ne prenne le livre de Potter pour y jeter un œil.

— Je vais t'aider. Je vais te donner quelques conseils, et tu vas tout noter, ok ? Prends des notes. Dès que Snape donne un conseil, tu le notes. Dès que quelqu'un fait quelque chose qui marche bien, tu notes. Dès que toi tu fais quelque chose de bien, tu notes. Tu prends ton manuel, et tu notes tout.

Il le lui redonne, fait glisser un peu de son encre dans sa direction, et attend qu'il se mette en place.

— Soit reconnaissant, parce que je déteste aider les autres pour leurs devoirs. Même Blaise s'est débrouillé tout seul pendant la cinquième année. Et il m'a supplié. Deux fois.

Un rictus étire ses lèvres quand il y repense. Harry hausse un sourcil, puis laisse échapper un rire.

— Je suis reconnaissant. Je m'attendais pas particulièrement à ce que tu m'aides : t'es le meilleur en potion.

— Et pourtant. Ouvre grand tes oreilles, Potter.

La leçon dure une heure : pas une minute de plus ou de moins. Pour le prochain cours, Harry a ce qu'il faut, il lui suffit juste d'apprendre par cœur et de retenir pour les autres. En toute honnêteté, Draco se sent plutôt satisfait. L'enseignement lui irait plutôt bien car il se trouve à la fois très bon et très pédagogue et il a compris au bout de deux minutes à peine qu'il fallait épeler le latin à Harry car il ne le connaissait pas.

Quand ce dernier referme enfin son livre, il soupire de soulagement et s'étale un peu sur la table.

— Tu aimes les potions ? demande Draco.

— Honnêtement ? Non, pas vraiment.

— C'est quoi la matière que tu préfères dans ce cas ?

Harry relève franchement la tête, et parait réfléchir. Son mouvement entraine ses cheveux sur le côté, découvre ses yeux, et Draco se mord la lèvre. Il détourne le regard.

— Je pense que c'est… les cours de vol.

— Voler ?

Il acquiesce.

— J'ai essayé pour la première fois il y a quelques mois. C'est génial.

Cette fois, Harry se redresse un peu. Son sourire est honnête.

— Mme Bibine nous laisse faire ce qu'on veut pendant les dernières minutes. Et on m'a dit que… qu'il y aura le premier match de Quidditch de l'année bientôt.

Draco l'observe quelques secondes, un sourcil haussé. Il a l'impression de se voir lui-même, la veille de la coupe du Monde de Quidditch. C'est une passion innocente qu'il ne peut pas lui reprocher.

— Voler, hein ? T'as un balai ? Un qui t'appartient je veux dire.

— Non.

Et Draco sourit.


« C'est génial » a dit Harry.

Draco s'attendait à le voir virevolter à quelques mètres du sol, les mains timidement serrées autour du manche du balai, une expression béate sur le visage. Pour presque toutes les autres matières, Potter a l'assurance d'un première année. Il n'a pas trop de retard, malgré toute sa scolarité passée dans un établissement moldu (comme il le leur a à nouveau avoué quelques soirs plus tôt), même si ses connaissances semblent toutes basées sur les manuels et quelques conseils trop vagues.

Mais là, du haut de la Tour d'Astronomie, Draco l'observe avec des yeux écarquillés et la bouche toujours perdue au milieu de la phrase qu'il a laissé fondre : au moment où Potter a tout simplement sauté sans demander son reste, deux secondes après que Draco lui ait mis le balai dans les mains.

Et si l'expression béate est bien présente, Potter ne vole pas du tout comme un premier année.

Il faut quelques secondes à Draco pour se reprendre, et une fois cela fait il n'hésite qu'une seconde avant de le suivre. À son tour il se laisse tomber du haut de la tour, mais prend bien moins de risques que Potter. Son vol à lui est calme et assuré tandis qu'Harry tranche l'air comme un pilote assoiffé d'adrénaline.

Au bout de plusieurs minutes et énormément de figures, il revient vers Draco avec les cheveux complètement retournés, ses lunettes tenant à peine sur son nez. Son sourire béat s'est transformé en une véritable réaction solaire. Draco est obligé de plisser les yeux.

— C'est génial, dit Harry.

— Je crois que t'aimes bien dire ça.

— Je le dis seulement quand je pense vraiment que c'est génial. Et voler ? Ça l'est. C'est la meilleure chose du monde sorcier.

Draco pouffe et lève les yeux au ciel.

— Tu ressembles à un gamin, Potter.

Quand il tourne un peu la tête, il voit que Harry rit aussi en levant et abaissant son balai. La nuit a apporté un brouillard froid sur le château et malgré leurs nez rouges, Draco trouve que les trainés arrondies que laissent le passage jamais droit de Potter sont jolies.

— Ce balai est génial, aussi.

— Ah, j'ai cru que t'allais jamais le dire.

— Merci de me l'avoir prêté ce soir. Je crois que c'était au moins trente fois mieux que les cours de vol. Les balais de Poudlard sont un peu…

—Dépassés ? Inutiles ? Lent ? Terriblement à chier ?

— J'allais dire vieillot, mais tout ça aussi, oui.

Il rit et Draco roule à nouveau des yeux.

— Et je te l'ai pas prêté, Potter.

— Ah ?

— Garde-le. Il est de la génération précédente, et j'ai eu le nouveau BriseFeu 3000 la semaine dernière de toute façon.

Il hausse les épaules, mais se trouve obligé de ralentir en remarquant que Potter s'est arrêté au milieu du ciel.

— Qu'est-ce que tu fiches ?

— Tu me le donnes ?

— T'es un peu dur d'oreilles ?

— Mais pourquoi ?

— Parce que j'en ai plus besoin.

— J'ai vu le prix des balais, cet été. C'est super cher.

Cette fois, Draco soupire franchement.

— Et je suis super riche, Potter. Contente-toi de dire merci.

— Merci.

— Bien. Maintenant si tu veux faire un autre tour c'est maintenant ou jamais parce que je me les gèle.


C'est deux semaines plus tard que Draco décide de mettre un terme à quelque chose qui le dérange depuis le premier jour. Au fond, il a fini, bien malgré lui, par trouver Harry assez appréciable. Il n'est pas trop gentil comme un Poufsouffle, ni complètement débile comme un Gryffondor, ou bien encore perché comme certains Serdaigles. Même à Serpentard les élèves ont des défauts, et Draco n'accepte l'arrogance que chez ceux qui ne montrent aucune faiblesse exploitable (même si, dans les faits, il n'accepte cette personnalité que chez lui car chez les autres, ça a tendance à l'irriter).

Harry est travailleur, malin, discret, pas vraiment bavard mais parfois il surprend tout le monde et se met à parler de choses qu'il aime. Il s'habille mal même si les efforts de Pansy commencent à porter leurs fruits, et semble complètement inconscient de sa popularité ce qui leur donne à la fois envie de l'étrangler et le cacher dans les cachots de leur Maison. Il a un joli rire, des yeux très verts, et écoute très bien : la veille Blaise a fini par lui parler pendant au moins une heure de sa mère et de son obsession pour le futur mariage de son fils unique. Rien qu'à voir son expression en allant enfin se coucher, il a dû trouver auprès de Harry une oreille silencieuse, attentive, et ouverte.

Mais malgré toutes ces qualités, Draco ne peut tout simplement pas faire l'impasse sur cette infame coupe de cheveux que la magie refuse d'aider. À trois reprises Draco a essayé de faire quelque chose, et à chaque fois la magie de Harry décidait de tout faire repousser pendant la nuit. Ce dernier a fini par s'excuser tous les matins et leur a avoué que plus petit, sa tante avait fait la même chose en lui rasant le crâne sous le coup de la colère : le lendemain ils avaient retrouvé leur longueur.

— Potter, appelle-t-il en arrivant dans la salle commune.

Assis comme souvent dans le fauteuil du coin de la pièce, Harry lit un livre, les genoux repliés contre son torse. À son entrée, d'autres relèvent la tête et il aperçoit quelques grimaces et sourcils froncés. Ceux de Pansy sont les plus impressionnants et deux secondes à peine passent avant qu'elle ne se lève en disant :

— Qu'est-ce que ce cul de centaure fait ici ?

Draco veut bien le reconnaitre, il aurait réagi de la même manière.

— Une trêve, juste le temps qu'il règle le problème majeur du moment.

Pansy semble immédiatement comprendre de quoi il s'agit, à la différence de Théo, presque allongé dans le canapé, qui regarde la scène avec les sourcils froncés. Les autres élèves tentent de les ignorer.

Derrière lui, le Poufsouffle qui est entré à ses côtés lève les yeux au ciel, comme s'il s'y était attendu.

— Je tiens à préciser que si je fais ça, c'est pas pour vos faces de rat. Ma petite sœur est fan de Harry. Elle me remerciera.

— Quoi ?

De son côté, Harry s'est redressé, les sourcils froncés.

— Qu'est-ce que j'ai à voir dans tout ça ?

— Tes cheveux, Potter, explique Draco. On peut pas continuer comme ça.

Il penche la tête d'un côté.

— On peut rien faire pour mes cheveux.

— Lui, il peut. Ça me tue de le dire, mais il va surement être le meilleur coiffeur magique de la décennie. Il a réussi à faire des miracles sur la touffe hideuse de Granger en quatrième année, alors c'est dire.

Le Poufsouffle acquiesce avec arrogance.

— Ils ont juste un sale caractère. T'inquiète, je sais déjà comment régler ça.

— Mais…

— Ça devient urgent, Harry, intervient Pansy dramatiquement. Vraiment.

Il la fixe un instant, puis finit par soupirer en haussant les épaules.

— Parfait. Bon, maintenant que tout est réglé, Harry tu peux venir ? J'aimerai ne pas rester ici une seconde de plus que nécessaire. Ça pue l'eau croupie par ici.

Blaise, qui vient d'arriver par le mur, ricane doucement.

— Les Poufsouffles et leur gentillesse légendaire.


Harry aimerait dire que ses cheveux plus courts, sa cicatrice apparente et ses yeux à découverts n'ont rien changé, mais c'est absolument faux.

En l'espace de six jours, trois personnes ont essayé de sortir avec lui. En plein cours, dans la Grande Salle, ou même à la bibliothèque : il a à peine eu le temps de faire quelques pas avec des cheveux fraichement coupés que d'un coup les regards étaient tournés vers lui comme au premier jour.

À présent c'est avec des cheveux légèrement humides, les muscles détendus et le t-shirt plein d'une sueur désormais froide qu'Harry traverse les couloirs sombres de Poudlard. Comme à chaque fois, il a décollé depuis la Tour d'Astronomie et est revenu à cet endroit précis une heure plus tard, dépensé et heureux d'avoir volé de toutes ses forces.

Il aime le vol de nuit, sous les étoiles et la lune : il aime se laisser tomber et sentir le vent glacer s'introduire sous sa robe de sorcier pour venir le prévenir du danger qui se rapproche. Il aime tremper ses doigts à la surface du lac. Il aime toucher les cimes des arbres de la forêt avec ses pieds. Voler est une sensation incroyable, et il a passé ces dernières années à espérer pouvoir faire cela un jour. Pouvoir s'enfuir, pouvoir partir, pouvoir s'échapper par la fenêtre pour s'élever loin.

À présent il peut le faire, et depuis son premier vol avec Draco il s'éclipse tous les soirs après le repas pour aller se dépenser

— Hum…

Une voix résonne dans le couloir, et Harry ralentit. Au début, il ne voit personne.

— Tu es… Harry ?

Elle est difficile à louper, à présent. Des cheveux blonds, un air sérieux, des joues rosées et des vêtements qui coutent surement très chers. Harry fronce les sourcils et penche la tête. Cette fille est à Serdaigle.

— Oui ?

— Ah, ouf. Tu tombes bien. Je sais jamais quels couloirs mènent à la salle commune de Serpentard, et j'allais voir Draco.

Les sourcils de Harry se lèvent d'eux-mêmes. Il s'est rapidement rendu compte, au début de l'année, que Draco ne parlait pas vraiment de lui (apparemment, ça n'a pas toujours été le cas, mais maintenant il est plus calme, moins enclin à prouver sa valeur). Il parle de son père, ça c'est sûr. Mais Harry a mis trois semaines avant d'apprendre que Draco avait une petite-amie en arrivant en septième année, en septembre. Ils ont rompu peu de temps après.

Mais, pour ce qu'il en sait actuellement (même si Harry a parfois l'impression que Draco est ce qui se rapproche le plus d'un meilleur ami ronchon et fidèle à ses yeux) cette fille pourrait être sa copine actuelle.

Alors, faute de mieux, il hausse les épaules.

— J'y allais. Tu peux m'accompagner si tu veux.

Tout sourire, elle acquiesce et se rapproche. C'est au bout de quatre pas seulement qu'elle tente de passer son bras par-dessus le sien, un peu trop amicalement. Il se dégage sans brusquerie. Non seulement il ne doit pas sentir la rose, mais en plus la dernière chose qu'il souhaite c'est que Draco lui en veuille de quelque manière que ce soit.

(L'idée qu'il se soit trouvé une copine récemment le fait se sentir étrange, mais Harry s'est toujours senti détaché et mal à l'aise par rapport à cela, alors il fait de son mieux pour ignorer la sensation).

Le chemin n'est pas désagréable : cette fille est douce, discute sans que cela soit lourd, pose des questions acceptables, ne fixe pas sa cicatrice outre mesure. Pourtant, son épaule qui touche sans cesse la sienne le dérange, et quand ils parviennent enfin aux cachots, Harry soupire discrètement.

Le mur devant lequel il s'arrête ressemble à n'importe quel autre, mais quand il chuchote le mot de passe les briques s'écartent les unes des unes pour laisser passer un souffle à l'odeur de menthe. À peine le passage s'est-il complètement ouvert que la jeune fille se rapproche un peu de lui.

— Tu sais, je me disais que…

Elle se racle la gorge.

— On aurait pu —

— Harry ? Je t'attends depuis des heures, viens voir ce que Blaise a fait dans la salle et dis-moi si c'est pas la chose la plus immonde que tu n'as jamais…

La voix de Pansy leur parvient en première, et tout à coup elle apparait dans l'encadrement, le corps à moitié dans le couloir. Son regard ne tombe pas immédiatement sur l'intruse, mais quand il le fait ses yeux se plissent et elle serre les dents.

— Qu'est-ce que tu fous là, toi ?

La fille a passé sa main sur le bras de Harry, et quand Pansy le voit l'autre se dépêche de l'enlever.

— Elle venait voir Draco, du calme.

— Draco ? Ça m'étonnerait.

Un sourire mauvais s'étale sur ses lèvres.

— Tu sais quoi ? On a qu'à lui demander.

— C'est bon, je…

Mais Pansy est déjà en train de crier le prénom de Draco, en ajoutant « viens ici tout de suite face de troll ». La fille a perdu quelques teintes et commence à faire marche arrière.

— Pourquoi est-ce que je suis entouré d'abrutis ? Vous avez des manières d'animaux…

Draco s'arrête dans l'embrasure. Son regard semble d'abord chercher Harry. Ce dernier s'en rend compte immédiatement et dans sa poitrine, quelque chose brûle plus intensément que d'habitude : ça lui fait plaisir. Mais tout à coup il remarque la fille, et son sourcil se hausse avec arrogance.

— Qu'est-ce que tu fiches-là ?

— Elle venait te voir, explique Harry.

— Ah vraiment ?

Une mèche blonde tombe sur le visage de la Serdaigle et elle l'écarte à la va-vite. Son visage s'est froissé comme un vieux chiffon.

— Je vais y aller.

— Elle ne venait pas pour moi, Potter.

— Vous sortez pas ensemble ?

— C'est ce qu'elle t'a dit ?

— Eh bien, non. Mais j'ai cru…

Il finit par hausser les épaules.

Pansy rit.

— C'est bien toi, ça. A ce niveau-là, t'es aussi innocent qu'un gamin.

— Elle te drague, Potter, souffle Draco, agacé. Alors soit tu acceptes qu'elle te craponne, soit tu la dégages comme moi je l'ai fait en cinquième année.

Et, juste comme ça, il les plante dans le couloir.

— Je vais y aller, alors…

Malgré son rougissement intense et l'humiliation qu'elle vient de subir, elle semble attendre une réaction de la part de Harry. Pansy ricane. Harry hausse les épaules.

— Fais attention sur le retour. Peeves trainait dans le coin tout à l'heure avec un seau rempli d'eau croupie.

Et il lui offre un sourire contrit avant de la laisser là, le mur se refermant derrière lui.


— Si tu commences à piquer du nez, Potter, je rentre au dortoir.

Dans un sursaut, Harry cligne plusieurs fois des yeux. Il fronce les sourcils devant le livre ouvert devant lui et pince les lèvres.

— Désolé, souffle-t-il, penaud.

Draco voit les cernes qui obscurcissent le dessous de ses yeux, et son irritation retombe. C'est déjà la sixième fois qu'il aide Harry avec les potions, et c'est la première fois qu'il le voit flancher. D'habitude, il semble toujours concentré et reconnaissant, mais Draco se souvient qu'il l'a entendu se lever plusieurs fois cette nuit. Il sait que parfois Harry passe ses nuits entières à chercher le sommeil sans jamais le trouver. Plusieurs fois ils l'ont retrouvé au matin dans la salle commune, sous un plaid épais, à lire un roman à la lumière de la baguette.

— On arrête ?

— Je…

Il hésite. Car Harry est assez sincère pour savoir quand ne pas faire perdre leur temps aux autres. Encore plus quand il s'agit de Draco.

— Désolé, répète-t-il.

Draco hausse les épaules.

— Ça arrive, Potter. Referme ton livre et va dormir.

Il a envie de lui dire que si pour une fois le sommeil lui vient, autant qu'il prenne le train en marche. Mais ça voudrait dire avouer qu'il l'entend bien plus souvent qu'il ne le laisse deviner, alors il se tait.

— Je…

— Quoi ?

— Merci, pour les potions. J'ai eu une bonne note la dernière fois et je crois que Snape a failli en mourir rien qu'à l'idée de me la donner. Je dois avouer que…

Il referme son livre et se craque le cou.

— Vos examens sorciers me faisaient peur. Cet été, tout a été super vite, mais ce que j'ai compris c'est que sans les ASPICS, ont fait pas grand-chose. Les BUSES que j'ai passé avant la rentrée étaient déjà dures, alors là…

Il hausse les épaules.

— J'ai fait tout ce que je pouvais pour combler mon retard. J'ai à peine visité le Londres sorcier cet été.

— Tout un programme en quelques mois, hein ? Peu en aurait eu le courage, Potter. Soit déjà content de ce que t'as fait. Je sais pas si tu as remarqué, mais tes notes sont meilleures que celles de Blaise.

Il laisse échapper un rictus, et Harry rit.

— Blaise ne révise que quelques minutes avant les devoirs.

— Et après il nous suit partout pour qu'on l'aide à rattraper ses notes.

Ils lèvent tous les deux les yeux au ciel.

— En plus, ajoute Draco, avec une peu légère d'en dire trop, tu es l'un des meilleurs en vol et en sortilèges. En sortilèges, Potter. Weasley lance encore ses sorts avec son derrière atrophié. À chaque fois, qu'il lève sa baguette, tout le monde se cache.

Draco lui offre un sourire un peu timide, alors que Harry l'observe avec étonnement. Des compliments de la part de Draco Malfoy ? Il essaye de ne pas laisser exploser sa poitrine et se tord sur sa chaise.

— J'ai encore du mal avec le ridikulous.

— Alors que la semaine dernière, t'as fait apparaitre un patronus sur le lac. Va comprendre.

Ce patronus, Harry a dû le puiser vraiment loin. Laisser de côté la rue, l'orphelinat, les Dursleys. Il n'a aucune envie de lui avouer que c'est cette fameuse nuit où il s'est assis à ses côtés après un rêve qui l'a inspiré. La première fois de toute sa vie où quelqu'un s'est senti suffisamment investi pour faire quelque chose comme ça.

Il lui a donné du chocolat.

Désormais, Harry en a toujours dans sa table de nuit, et jette un coup d'œil au rideau de Draco chaque fois qu'il en mange.

— Merci pour le cours.

— Va dormir, Potter.

— Tu rentres pas au dortoir ?

— Je vais aller me faire un thé, avant.

Harry acquiesce.

— Bonne nuit.

— Bonne nuit, Harry.


— Avec Daphnée ? Sérieux ?

— Quoi ? Elle est jolie.

— C'est la pire des garces.

Allongée sur le canapé, la tête sur les genoux de Draco, Pansy mine un vomissement. Blaise hausse un sourcil.

— Parce que toi, t'es adorable ?

— Oui.

Elle imite son geste, comme pour le défier d'ajouter autre chose. Après une grimace, il décide de botter en touche et se tourne vers Harry :

— Et toi ? T'inviteras qui pour le bal d'hiver ?

Surpris que tout le monde se tourne vers lui, Harry se redresse un peu. Le bal d'hiver est sur toutes les lèvres depuis que les premières neiges sont tombées, la semaine passée.

— Hum. J'en sais rien ?

— Oh, allez Potter. Tout Poudlard veut aller au bal avec toi, alors dépêche toi de faire un choix.

Il marmonne plus bas :

— Deux filles m'ont déjà dit qu'elles attendaient que tu choisisses avant de me dire oui.

Pansy pouffe et même Théo sourit. Draco se contente de lever les yeux au ciel. Mais, curieux, il insiste tout de même :

— Vraiment personne ? Tu dois bien avoir une idée. C'est quoi ton genre ?

— Genre ? J'en ai pas.

— Tout le monde a un genre.

— Pas moi.

Blaise se penche un peu vers lui.

— Elle ressemblait à quoi, la première fille avec laquelle t'es sortie ?

— Je…

— Ah, j'ai dû mal à imaginer un petit Harry qui tente de faire son premier smack à une fille dans sa chambre, sourit Pansy.

Son rictus est communiquant et elle échange un rire avec Blaise. Harry sourit aussi.

— Mon placard aurait été une peu trop petit pour inviter une fille.

Il a dit ça d'une voix claire, un peu pensive. Draco peut voir qu'il se remémore quelque chose, mais ils sont tous trop occupé à s'échanger des regards interloqués pour s'en inquiéter. Finalement, c'est Draco qui demande le premier, après plusieurs secondes de silence :

— Ton quoi ?

Harry cligne des yeux et se tourne vers Draco. Il parait enfin remarquer leurs expressions et ses sourcils se haussent. Même Blaise voit ses lèvres qui se serrent.

— Mon… placard.

Il hausse les épaules, comme pour détendre l'atmosphère.

— Quand j'étais encore chez ma tante et son mari, je dormais dans le placard sous l'escalier. Il ne m'aimait pas beaucoup, c'est tout.

Pansy se redresse, quittant les genoux de Draco pour regarder Harry de plus près.

— Tu es resté combien de temps chez eux ?

— Jusqu'à mes dix ans. Peut-être que c'est pour ça que je suis pas très grand, dit-il en essayant de rire légèrement.

Mais ça ne prend pas, et personne ne le suit. Il se tait.

— Oh, Harry…, souffle Pansy.

Il se renfrogne.

— C'est rien, c'était il y a longtemps. Et j'avais un matelas, précise-t-il en observant toutes leurs expressions.

Ça semble aggraver le tout, alors Harry referme la bouche. Draco est le plus silencieux, mais ses yeux sont les plus bruyants. Harry est obligé de détourner les yeux.

— Je vais…, dit-il en les interrompant. Je vais chercher un chocolat. À la cuisine. M'attendez pas pour aller dormir.

Pansy est la première à essayer de le retenir, mais quand elle tente d'attraper la manche de son pyjama Draco retient sa main.

Il secoue lentement la tête, et tout le monde se tait.

— Merlin, souffle Blaise en se laissant retomber complètement.

Le silence qui les entoure est lourd, et les flocons qui tombent sur le lac semblent presque résonner.


C'est quelques heures plus tard, alors que tout le monde dort autour d'eux, que Draco entend le rideau de Harry s'ouvrir. Il n'est pas surpris de percevoir les mouvements qu'il fait en ouvrant sa table de nuit pour en retirer — surement — du chocolat et un livre.

Il attend quelques secondes avant de repousser ses propres couvertures pour le suivre jusqu'à la salle commune où il est descendu. Déjà installé dans son fauteuil habituel, il relève la tête à son approche, les yeux grands ouverts.

Draco le voit se recroqueviller à vue d'œil. Il hésite à lancer quelque chose comme « du calme, Potter, je viens pas pour te tuer » mais en vérité il vient parce qu'il a des questions et qu'il n'est pas assez délicat et gentil pour ne pas les poser.

Alors, quand il traine un autre fauteuil depuis le bout de la pièce jusqu'à l'emplacement libre à côté de Harry, il se contente de soupirer un instant avant de se laisser tomber dessus.

— Potter…

Mais il fait une grimace. Ça ne semble pas juste, alors il répète :

— Harry.

Ce dernier a reposé son livre sur le côté, et il avale un carré de chocolat.

— Alors, un placard, hein ?

Il hausse les épaules.

— Je vous ai dis de pas en faire toute une histoire.

— Un placard, insiste Draco.

Il lui lance un coup d'œil et hausse un sourcil, comme pour lui dire : tu t'en rends compte, n'est-ce pas ?

— J'aime pas en parler.

— Je vois ça.

— Vous allez me voir autrement.

— Peut-être pas.

— Vous me voyez déjà différemment.

Draco lève les yeux au ciel.

— C'est de la compassion, abruti. Tout n'est pas toujours de la pitié.

Harry baisse son regard sur ses genoux. Sa grimace est discrète, mais bien là.

— Je veux savoir pourquoi t'es arrivé cette année.

Draco se penche pour faire en sorte que leurs regards se croisent.

— Je t'apprécie vraiment. Et tu sais que j'apprécie peu de gens. Alors je veux savoir, et j'ai envie de t'entendre.

Il lui laisse le choix, plus ou moins. Si Harry lui dit non, lui dit vraiment non, alors il ne dira rien de plus. Draco appellera un elf pour avoir une tisane, et voilà tout. Ils parleront d'autre chose.

La première fois qu'il a vraiment vu Harry Potter, c'était dans la grande salle, quand ce garçon déjà grand s'est assis sur le tabouret habituellement dédié aux première année. Maintenant, Draco se dit qu'il devait être terrifié.

— J'aurai dû recevoir ma lettre un peu avant mes douze ans, c'est ce qu'ils m'ont dit. J'aurai… j'aurai adoré aller à Poudlard dès la première année. Apprendre en même temps que tout le monde, avoir le temps de faire en sorte que le dortoir soit vraiment mon chez moi. Passer Noël ici, chaque année. Pouvoir acheter une chouette à moi, ou un autre animal. Un chat ? Un furet ? J'aurai pu vraiment jouer au Quidditch, tenter les sélections. J'aurai eu… une scolarité incroyable.

Ses lèvres tremblent un peu. Et là, pour le coup, Draco a vraiment le cœur serré. (Il s'imagine lui, plus jeune, grandissant avec Harry Potter comme camarade de dortoir et l'invitant au Manoir pendant l'été).

— Au moment où la lettre devait arriver, j'avais déjà fugué. Un jour, je suis parti : je me suis caché dans une décharge de vieux bus à la sortie de Londres pendant au moins deux mois, et j'ai juste souhaité une seule chose.

— Qu'on ne te trouve pas ? devine Draco.

— Qu'on ne me trouve pas, confirme Harry. Alors les chouettes ne m'ont pas trouvé. Les sorciers non plus. Les humains, encore moins. Dumbledore était…

— Très impressionné car ta magie instinctive est très puissante ?

Harry sourit, et pour la première fois depuis le début de la soirée Draco voit ses yeux briller.

— Si tu sais déjà tout ce que je vais dire, je peux m'arrêter là.

— Je t'en prie, continue.

Pour se donner un peu de courage, il mange un autre carré de chocolat.

— Je pense qu'au bout d'un moment, j'ai fini par me sentir un peu plus en sécurité, alors ma magie a lâché l'affaire. J'avais du mal à trouver à manger, et quand les nuits devenaient plus froides je…

Il hausse les épaules.

— J'étais trop jeune. Je savais pas quoi faire. Alors, quand on m'a trouvé, j'ai dit que j'étais orphelin et j'ai donné un faux nom : ils m'ont pas renvoyé chez les Dursleys.

— Tu es orphelin.

— Je sais. C'est ce que je me suis dit aussi. J'aimais pas tellement mentir, et quand ils m'ont trouvé je me trainais un rhume depuis des semaines.

— Où vont les moldus dans ces cas-là ?

Ce genre de question, Draco le lui pose souvent. Il le fait l'air de rien, sans lui montrer que ça l'intéresse : que font les moldus quand ils veulent réchauffer des choses ? Quand ils veulent prendre un bain ? Quand ils ont besoin de stocker de la nourriture au frais ?

— Ils vont dans des foyers. Des familles d'accueil, quand certaines sont libres. J'en ai eu quelques unes, mais…

Il avale un chocolat.

— C'était pas terrible. Ils finissaient toujours par me ramener. J'allais au collège le plus proche, je faisais mes corvées, je dormais sur un matelas par terre avec six autres garçons. C'était pas terrible, mais… c'était pas pire que les Dursleys. J'attendais que ça passe. J'attendais d'avoir l'âge requis pour pouvoir vivre seul et travailler.

Draco est presque pendu à ses lèvres.

— C'est Siruis Black qui m'a retrouvé. Apparemment les recherches s'étaient arrêtées il y a longtemps, mais il est sorti de prison y'a quelques années, non ? Il m'a dit qu'il venait enfin d'écarter le brouillard d'As.. Aski…

— Askaban.

— Oui. Cette prison a l'air affreuse. Enfin, tu dois comprendre ce qu'il voulait dire en parlant de brouillard.

Draco hoche doucement la tête. L'affaire Sirius Black avait ébranlé le monde sorcier, pendant sa cinquième année.

— Alors il m'a recherché. Et il m'a trouvé. Quelques mois de formation, et me voilà.

Enfin, il se tourne vers Draco qui le fixe intensément. Il n'a pas l'habitude que des gens le regardent à ce point les yeux dans les yeux, alors il se sent rougir sans raison. Parler n'a jamais été son fort, et encore moins parler de lui comme ça. Si Draco ne lui avait pas demandé aussi directement, il ne l'aurait pas raconté.

— Tu racontes mal, Potter.

Harry éclate de rire.

— Tu ne sais pas écouter et te taire.

Draco pose sa main sur le bras le plus proche de lui, et le fait passer par-dessus le sien. Ce contact physique, rare avec lui, le réchauffe jusqu'au orteil : il serre Harry, fort, et espère être compris.

— Tu as eu une vie de merde, j'espère que tu le sais.

— Mais je suis un sorcier, Draco. Et je trouve ça génial. Je vais pouvoir faire tellement… de choses. Mon adolescence n'était pas terrible, mais le reste de ma vie sera bien, je le sais.

Un sourire discret : Draco se laisse retomber dans son siège. Il fixe le plafond, déçu de ne pas y trouver le toit d'eau du lac qu'il observe habituellement. Il sait que Harry l'adore.

— Allez, Potter. On a cours, demain.

Il se lève en premier, et tire sur son bras pour l'entrainer avec lui.

Quand ils se couchent enfin, des tonnes de couvertures sur dos de Harry (et maintenant Draco se dit qu'il n'a jamais dû en avoir, et c'est peut-être pour ça qu'il semble en acheter une nouvelle toutes les semaines depuis que Pansy lui a expliqué le concept de commande et de magazine sorcier).

Draco ne referme pas son rideau. Harry ne le fait pas non plus.

Et pour une fois, Draco assiste au moment où les paupières de Harry se ferment avec fatigue.


Harry est le dernier à se réveiller le matin de Noel.

Il a dormi comme un bébé, étonnement : la veille une couche épaisse de neige est tombée sur Poudlard, une de plus parmi tous les flocons qui sont tombés depuis la fin du mois de novembre. Si Harry a toujours appréhendé la neige pour le froid qu'elle apportait, à présent il sait qu'un mouvement de baguette suffit à le réchauffer.

(Il utilise le sort chauffe-lit tous les soirs.)

— Harry, débout !

Pendant une seconde il croit halluciner, mais Blaise vient bien de lui jeter son chausson. Les cheveux pleins d'épis et la trace de son oreiller bien visible sur sa joue, Harry leur envoie un regard perdu.

— C'est Noel, Potter, intervient Draco de bonne humeur.

Il a enfilé ses pantoufles, sa robe de chambre préférée, et essaye de leur faire croire qu'il n'est pas tout aussi impatient que les autres. Mais en le voyant, Harry laisse apparaitre un rictus amusé et Draco lève les yeux aux ciels.

— Les garçons, hurle Pansy depuis la salle commune. Vous vous touchez ou quoi ? Je vais ouvrir tous vos cadeaux !

Harry ne met qu'une pauvre minute à se lever, enroulé dans une couverture, et à suivre les autres jusqu'à la salle commune. Une trentaine d'élève s'assoit dans les quatre coins de la pièce, dans les petites marches au milieu, dans les canapés et les fauteuils : tous sont tournés vers l'arbre de Noel le plus proche, l'un des quatre qui se trouve ici.

En arrivant, Harry prend la place la plus proche de Draco, et son regard est attiré par les lumières des guirlandes qui dansent sur son visage.

— Bon, qui ouvre quoi ?

— Attendez, les chocolats viennent juste d'arriver.

— Théo, celui-là à côté de ton pied est pour moi non ?

— Poussez-vous, bande de cracmols, celui-là est pour Harry.

Au milieu de tous ces cadeaux, Harry se retrouve avec un paquet dans les mains. Pour saisir l'occasion, il pointe un paquet jaune du doigt.

— Celui-là est pour Pansy. Et ça, c'est pour Blaise. Ça c'est pour Draco. Ça c'est pour Théo.

Il continue avec Crabbe et Goyle, puis avec quelques filles du dortoir, un garçon qu'il a déjà croisé pendant ses insomnies, et quelques autres personnes. En croisant des regards étonnés, il tente un sourire contrit.

— C'est la première fois que je peux offrir des cadeaux.

— Qu'il est mignon.

— Adorable.

— Je l'ai aidé, précise Théo d'un air satisfait.

Il soutient le regard noir de Draco, et hausse un sourcil comme pour le défier de dire quelques choses.

Les cadeaux sont beaux. Ils plaisent. Harry reçoit des vêtements, une grosse écharpe, un autre balai (et Draco semble particulièrement fier de lui) du thé, du chocolat, et tout plein d'autres objets magiques dont il ne connait pas l'utilité.

Quelques jours avant les vacances de Noel, Harry est venu trouver Théo. Ce dernier semble toujours présent lorsqu'il a des questions : plus calme et moins fouineur que Blaise, il ne répète rien à personne. Il ne pose pas de questions comme Draco, ne le touche pas autant que Pansy : il reste à une distance raisonnable et Harry se sent toujours bien avec lui. Il n'a donc pas hésité avant de venir : est-ce que ça serait étrange d'offrir des cadeaux ? Qu'est-ce qui est acceptable ? Quels prix sont acceptables ?

A présent, il voit que tout le monde l'air d'apprécier ce qu'il a offert, et Harry peut grignoter les quelques gâteaux présents sur les plateaux en se détendant. C'est la première fois qu'une 25 décembre est aussi agréable.

Quand Harry se retrouve à être entrainé à l'extérieur pour aller se promener dans la neige, c'est Draco qui lui enfile l'écharpe autour du cou.


Le whisky pur feu brule la langue. Le rhum groseille chatouille les narines. L'hydromel le fait rougir. La bière-au-beurre adoucit le tout.

Pour la nouvelle année, Harry a gouté à tout : ce sont les Serdaigles qui ont ramené le plus d'alcool, dans la salle commune des Poufsouffles où a lieu la soirée.

Au départ, Draco n'avait pas particulièrement envie d'y aller. Il préfère les soirées calmes, plus personnelles, plus tranquilles. Mais, quelques heures avant le début, Harry leur a avoué qu'il n'a jamais été à une soirée de sa vie : Pansy a fait mine de s'évanouir dans le canapé, et ils ont été chercher des vêtements adéquates.

À présent, Harry se retrouve avec un nouveau verre dans la main et en y trempant ses lèvres, il trouve que ça a un goût de fruits rouges.

— C'est quoi ?

Un Poufsouffle aux yeux verts lui sourit de toutes ses dents.

— Du vin-pour-elfes.

— Ça a un gout de fruits.

— J'espère bien, c'est moi qui suis allé leur acheter dans la forêt près de chez moi.

Le garçon qui doit être en sixième année se rapproche, et Harry se sent d'extrême bonne humeur. Il ne sait pour où est passé Pansy, qui était là une seconde avant, mais il a l'impression qu'une fille les a approché un peu plus tôt en battant des cils devant son amie.

S'il a bien retenu quelque chose, c'est que Pansy est faible face à n'importe quels beaux yeux.

— C'est super bon.

— Y'en a même au citron.

Un peu plus tôt, Harry a mangé une tartelette au citron. C'était si bon qu'il a senti des petites explosions dans sa bouche pendant un bon moment après.

— Alors ? La fête te plait pour l'instant ?

— C'est bruyant, avoue-t-il, un peu plus fort par-dessus la musique. Mais c'est chouette.

Il se penche vers le garçon comme pour lui faire une confidence.

— J'ai même dansé tout à l'heure.

Il sourit, et le garçon fait de même.

— Je suis Jared.

— Harry.

Un petit rire.

— Evidemment. Je sais pas si y'a une seule personne ici qui l'ignore.

Il est proche, à présent. Et Harry sent une main sur sa hanche.

— Si t'as aimé danser tout à l'heure, peut-être que tu…

— Va rentrer avec moi. Merci Jarod, mais il est déjà tard.

Ça fait des heures qu'ils ont tous fait le décompte pour la nouvelle année. Et maintenant que Draco, qui est arrivé derrière lui pour virer la main de Jared, est de retour, Harry se rend compte que ses paupières sont lourdes.

— On rentre ? demande-t-il en s'appuyant légèrement contre Draco dans son dos.

L'expression de ce dernier devient plus douce quand Harry lève les yeux vers lui. Il acquiesce, ignore Jared qui le corrige sur son nom, et quelques secondes plus tard ils quittent tous les deux la salle commune jaune et noir bien trop bondée pour se retrouver dans le couloir vide et silencieux. De l'extérieur, la musique est complètement bloquée par un sort.

— Je me souviens pas du tout du chemin, sourit Harry.

Draco l'observe un peu plus en détails, et sourit doucement.

— T'es complètement cuit.

— J'avais presque jamais bu d'alcool.

— Combien de verre ?

Harry se sent tiré dans les couloirs, mais Draco est l'un de ceux à avoir toute sa confiance alors il le laisse faire.

— Je sais pas trop. J'ai pu tout gouter. Plusieurs fois.

Il manque de se prendre un mur, juste avant les escaliers vers les cachots. Dehors, le ciel est clair et la lune très ronde. Elle éclaire l'herbe recouverte de neige d'un halo fort.

Pour descendre les marches, Draco lui offre son bras et il le prend sans hésiter.

— Et Jared ?

— Qui ? demande Harry. Oh. Ah, oui. Je sais pas qui c'est.

Draco le scrute, et finit par hausser les épaules.

— Il te draguait.

— Ah bon.

— Tu t'en fiches ?

— Pas mal, ouais.

Ils s'approchent du mur d'entrée des Serpentards, et Harry rit un peu. Ses joues sont encore rouges.

— Ça m'intéresse pas trop tout ça. Je le connais pas, après tout.

— Mais c'est le but, en général. Tu te rapproches de quelqu'un pour apprendre à le connaitre.

— J'aime pas ce sens-là. Aimer quelqu'un que tu connais déjà, c'est… bien mieux.

La salle commune les reconnait et semble sentir que Harry fait tout ce qu'il peut pour mettre un pied devant l'autre, alors les escaliers qui mènent au dortoir commencent à rouler sous leurs pieds pour les y conduire directement.

— J'ai chaud, souffle Harry en arrivant devant son lit.

Quelques personnes sont déjà enroulées dans leurs couettes, mais Blaise et Théo n'en font pas parti. Draco détourne le regard quand Harry commence à retirer ses vêtements jusqu'à se mettre en sous-vêtements. Il ne se tourne pas vers lui avant de l'entendre se mettre sous les nombreuses couvertures qu'il possède.

— Draco ?

— Quoi ?

— Danser avec toi, c'était vraiment génial.

Et il semble s'endormir comme ça, sans un mot de plus.


Quand Draco a envie d'être seul, il dégage les quatrième année qui se sont installés dans la verrière chauffée à côté de la salle de sortilège et s'installe sur une banquette avec une couverture et un livre de la bibliothèque.

C'est comme ça que Pansy le trouve, et en la voyant il ne peut retenir son soupir.

— Qu'est-ce que tu veux ?

— Mais quel garçon bien élevé que voilà, sourit-elle en s'installant au bout de la banquette. Un vrai rayon de soleil.

Ils reprennent les cours dans quelques jours, et la moitié de Poudlard souffre encore d'une gueule de bois monumental depuis le nouvel an.

— Qu'est-ce que tu veux ? répète-t-il.

Parfois, son côté fils unique reprend le dessus. Si la plupart du temps il apprécie vraiment le fait d'être entouré (même s'il ne l'avouera jamais à personne) et que le silence soit comblé, aujourd'hui il veut juste du calme. Il veut pouvoir être seul avec ses pensées.

Mais Pansy n'écoute jamais rien ni personne, et n'en a pas souvent quelque chose à faire ce que lui veut. Alors elle ajoute :

— Tu sais j'ai remarqué quelques petites choses ces derniers temps…

— Grand bien t'en fasse.

— A propos de Harry.

Ça, ça pousse Draco à arrêter de lire. Il essaye d'être impassible, de ne pas réagir, mais le nom de Harry est comme un mot magique. Il soupire en remarquant le grand sourire satisfait de Pansy.

— Quoi, à propos de Harry ?

— Oh, ça t'intéresse ?

— Arrête de faire ta garce.

Elle s'enfonce dans son siège, plus calme.

— En fait, j'ai surtout remarqué quelques petites choses à propos de toi.

— Bon, par pitié dépêche toi avant que Merlin ne vienne m'achever. Tu m'emmerdes.

— C'est marrant que t'aies choisi cette banquette, aujourd'hui. Tu te mets de l'autre côté, d'habitude.

Draco plisse les yeux. Il se sent à la fois agacé et un petit peu effrayé. Le regarde Pansy lui dit bien qu'elle sait déjà tout ou presque, alors il claque son livre.

— Harry vole par là-bas, avoue-t-il. Mais ça tu le sais déjà.

— Quelque chose à m'avouer ?

— Je vois pas en quoi ça te regarde.

Elle lève les yeux au ciel.

— Oh, allez. On est ami depuis nos trois ans, tu peux bien m'avouer ces choses-là. Je viens vers toi, moi.

Il sent ses lèvres faire une grimace. Lui n'a jamais eu rien à lui avouer : il est sorti avec des filles et quelques garçons, mais n'a jamais ressenti ça. N'a jamais été le premier. N'a jamais observé personne de loin, comme ça.

Il se sent gêné et ridicule. Et en même temps, chaque fois qu'il lève la tête et observe Harry faire une pirouette élaborée sur son nouveau balai (qu'il a mis des semaines à choisir avant de lui offrir) il a envie de sourire. Il se sent tout mou, et c'est agréable.

— Je l'apprécie. Et alors ?

— Tu « l'apprécies ». C'est ça.

Il grogne.

— Tu m'énerves.

— Et toi, tu l'aimes.

— Je commence à l'aimer.

— Arrête de faire comme si c'était quelque chose de mal. Un crush, c'est une bonne chose.

Vraiment ? Draco fait bien attention à laisser une distance entre eux, car si ça ne tenait qu'à lui il serait collé à Harry toute la journée. Mais ce dernier impose cette distance avec tout le monde, et Draco a l'impression d'être l'un des rares qu'il autorise à approcher.

Il n'a pas envie d'en abuser. Il n'a pas envie de perdre cette exception.

— Tu le dis à quelqu'un, et tu es morte.

— Oh, allez. Tu me connais mieux que ça, quand même.

Il lui lance un coup d'œil suspicieux, puis soupire.

— J'ai pas envie qu'il le sache.

— Pourquoi ?

— Parce que… parce qu'il va reculer, je le sais. Faut que ça vienne de lui.

Elle penche la tête sur le côté.

— Alors tu comptes faire quoi ? Parce que tu vas faire quelque chose, n'est-ce pas ?

Il hausse les épaules.

— Je peux pas le forcer. S'il finit par… m'apprécier aussi, alors tant mieux.

Dehors, Harry se laisse tomber pour redresser le manche de son balai au dernier moment. Sa réponse n'a pas l'air d'enchanter Pansy, mais elle semble aussi comprendre que Draco ne peut pas juste aller flirter.

« Aimer quelqu'un que tu connais déjà, c'est… bien mieux. »

Il a de l'espoir. Car même si Harry ne s'en est pas encore rendu compte, parfois ses yeux brillent.


Harry rentre tard dans le dortoir.

Les autres se sont endormis assez rapidement, pourtant Draco n'a pas activé le sort de silence dans lequel il s'enroule habituellement. Il a ouvert un bouquin et a lu tranquillement à la lumière de sa baguette. Alors, quand il entend enfin la porte s'ouvrir dans un grincement timide, il jette un coup d'œil à Harry et lui fait signe d'approcher.

Quand Potter monte sur son matelas et referme le rideau, Draco inspire discrètement le parfum moldu que son voisin de lit met parfois le matin.

— Alors ? demande Draco.

Harry hausse les épaules. Il a l'air dépité.

— Snape me trouve incompétent et prétentieux.

— Comme toujours. Y'a quelque chose de nouveau ?

Leur directeur de maison n'a jamais apprécié Harry. Parfois, Draco sait qu'il admire quand Harry répond à une question en cours ou quand il a fait en sorte de palier à son manque d'expérience par du par cœur : Snape semble reconnaitre que Harry fait des efforts. Mais ce n'est jamais suffisant, car peu importe ce que Harry fera pendant ses derniers mois à Poudlard, Snape ne pourra jamais l'apprécier.

Draco le sait.

Tout le monde le sait.

— Il m'a demandé ce que je comptais faire après Poudlard. Et… j'avais pas vraiment de réponse à lui donner. Donc il m'a dit que j'étais fainéant et que bien sûr que quelqu'un comme moi ne prendra pas la peine de travailler.

Il hausse à nouveau les épaules et Draco grimace.

— Tes notes ?

— Elles sont bonnes. D'après lui, j'aurais peut-être un Acceptable.

Draco laisse échapper son souffle. Un Acceptable en potions ? C'est très bien, surtout avec Snape. La plupart de leur classe n'auront qu'un Piètre ou même un Troll.

— C'est une bonne chose, Harry.

— Je sais. Mais il avait raison sur certaines choses : je suis vraiment indécis. Je sais pas quoi faire plus tard.

Draco s'appuie contre les oreilles dans son dos.

— Beaucoup de Sang-purs ne travaillent jamais de leur vie, tu sais ? De petites activités par-ci par-là, c'est bien aussi. Mon père ne fait que quelques missions pour le ministère, de temps en temps. Ma mère travaille plus que lui.

Harry sourit.

— Je suis pas un Sang-pur.

— Merci, Potter. Tu fais bien de me le rappeler, c'est tellement difficile à oublier.

Draco déteste quand Harry agit comme un vrai moldu. La plupart du temps il sait que c'est parce qu'il a vécu là-bas, presque toute sa vie, mais Draco ne peut pas s'empêcher d'imaginer un Harry Potter élevé par des Sang-purs, jouant avec eux quand ils étaient petits lors des banquets ennuyants de leurs parents.

Parfois, Draco trouve que ça fait son charme. Parfois, il a envie de lever au ciel quand Harry lui demande ce qu'est un Sang-de-bourbe.

— Je connais même pas tous les métiers possibles. Les frères de Ginny, la Gryffondor, ils tiennent une boutique de farces et attrapes. Des farces et attrapes magiques. T'imagines ?

Draco lève les yeux au ciel, avec un sourire.

— En plus…, ajoute Harry.

— En plus ?

— Les port-au-loin. Grâce à la magie, on peut se rendre dans un autre pays pour quasiment rien. L'argent n'est pas forcément un problème, ici. Pas comme pour les moldus. En ce moment, je me dis que voyager serait bien. Je découvre des créatures magiques tous les jours, tellement il y en a, et j'aimerai bien les voir en vrai.

Ses yeux brillent dans le noir. C'est une chose que Draco a remarqué assez vite : malgré sa maitrise de plus en plus précise de sa magie, Harry se laisse allez quand il ne fait pas attention. Sa cicatrice ondule à travers un vert sortilège assez vif, et ses yeux s'illuminent. Le stress, le bonheur.

Une nuit, Draco a rêvé qu'il embrassait Harry Potter, et que ce dernier s'illuminait comme un véritable sapin.

— La prochaine réunion n'est pas avant un moment. Peut-être que d'ici là, t'auras réussi à intégrer que plus personne ne choisira pour toi.

Ça, ça surprend Harry. Il répète les mots à voix basse, et fait la moue. Plus personne. Sa liste de pays attend bien sagement cachée dans sa table de nuit.

Harry Potter baille à s'en décrocher la mâchoire. Draco se détend.

— Va te coucher, ok ? On en reparlera.

Le sourire endormi de Harry lui donne envie de passer sa main dans ses boucles défaites.

— Merci Draco.

Et il sort de son lit pour aller retrouver le sien.


— Harry ! Attention

Le sort file vers lui à toute vitesse, et Harry a tout juste le temps de détacher son regard de son propre adversaire et de se retourner avant d'être frappé en pleine poitrine.

La douleur est immédiate.

Quelqu'un crie :

— Weasley, espèce de —

Couché sur le côté, Harry a l'impression d'avoir arrêté de respirer. Ses oreilles sifflent, son cœur s'affole : il ne voit rien pendant quelques instants, puis tente de faire entrer de l'air dans ses poumons. La pièce l'écrase.

— J'ai pas fait exprès ! Merlin, Harry, je suis désolé ! J'ai cassé ma baguette hier et j'ai tenté de la réparer mais les sorts partent pas droits et —

— Ferme-là, espèce de scroutt à pétard. Regarde ce que t'as fait !

— Je voulais juste…

— Harry, ça va mon vieux ?

C'est Draco qui est à ses côtés le plus vite. Ses lunettes ont volé dans un coin et alors même qu'il meurt d'envie de leur dire que ça va, la douleur lui vole sa voix. Il ne peut ni hurler, ni les rassurer : ses bras sont tétanisés.

— Harry, murmure Draco et soudain sa main est sur son bras.

Quelque chose se passe. Ce contact lui retourne le ventre et Harry a l'impression qu'une boule grossit dans son esprit, puis quelque chose lui est arraché. La pièce se retourne, il s'affale encore plus.

Draco retire sa main dans un glapissement horrifié, comme s'il venait de se brûler.

— Pousse-toi, Ron. Harry ? Malfoy, est-ce qu'il…

— Ne le touche —

Harry ne comprend rien. Tout s'affole, tous ses sens s'enflamment. Il a l'impression que la pièce est trop petite, que sa poitrine est étroite. Ça chauffe, puis une autre main le touche et c'est à nouveau la douche froide.

La boule se forme à nouveau, puis lui est enlevée.

Quand il parvient enfin à ouvrir les yeux malgré la douleur qui lui donne envie de vomir, c'est le visage inquiet de Hermione Granger qu'il voit. Un visage inquiet, qui se froisse soudain : ses yeux s'écarquillent, et elle retire sa main de la même manière que Draco.

Vite et avec choc.

— Ecartez-vous ! Ecartez-vous tous !

Flitwick arrive derrière eux et les éloignent tous.

Remedium.

Tout à coup, le poids est moins douloureux. Tout est plus clair, et il surprend ses lèvres à laisser échapper un souffle tremblant. Ses bras, qui jusqu'à maintenant étaient figés contre son torse, se détendent.

Il gémit de douleur, puis ça aussi ça s'efface.

— Dégage de là, Weasley, crie presque Blaise.

— Théo, gronde Pansy. C'est bon, lâche-le.

— Quand on sait pas se servir d'une baguette on a au moins la décence de naitre cracmol.

— Les gars, dit Draco d'un ton égal.

Etrangement, ils se taisent tous.

— Je l'emmène à l'infirmerie.

Puis, immédiatement :

— Ne le touchez pas professeur. Wingardium leviosa.

Harry se sent un peu comme dans un coton. Tout est soudain, léger. Et l'odeur de Draco est dans son nez : il se détend jusqu'à ce que ses bras pendent.

Sur le chemin, il s'endort. Ou peut-être qu'il s'évanouit.


C'est Pomfresh qui lui dit, quand il se réveille le lendemain dans le lit de l'infirmerie, que le sort qui l'a touché était inachevé et qu'il a eu des conséquences inattendues.

Sa cage thoracique s'est brisée sous le choc, et ceux qui l'ont touché ont eu un aperçu d'un souvenir. Deux personnes sont entrées dans sa tête et ont arraché, bien malgré elles, une petite partie de lui. Et même s'il aimerait simplement le savoir ainsi, simplement, il n'a aucune idée de ce qu'ils ont vu.

Il n'a pas à attendre longtemps.

Deux jours plus tard, alors que Harry est penché sur un livre dans une allée reculée de la bibliothèque, Hermione Granger s'installe sur la chaise face à lui.

Elle se racle la gorge en voyant qu'il ne lui prête pas immédiatement attention.

— D'habitude, j'interromprais jamais quelqu'un en train de travailler. Mais t'es difficile à trouver seul.

Pour le coup, il ne peut pas lui en vouloir. Harry ne se promène jamais seul dans les couloirs, sauf le soir après avoir volé.

— Tu es…, hésite-t-il.

Elle serre les lèvres, comme si elle tente de toutes ses forces de ne pas mal le prendre.

— Hermione. Granger. Je suis à Gryffondor. On a quelques classes ensemble.

— Oh, d'accord.

Puis ça lui revient.

— Ah, oui. Tu es amie avec Luna. Et… Ronald ?

Elle acquiesce. Puis, tout en se redressant pour se trouver du courage, va droit au but :

— Je suis désolée pour le sort de Ron.

— C'était pas ta faute.

— Je t'ai touché, après le sort. C'est ce que j'étais venu te dire. Je suis désolée.

Cette fois, il ne dit rien. Le souvenir de cette petite boule qui disparait lui fait à nouveau mal. Alors, plutôt que perdre du temps, il pose la question qui lui brûle les lèvres :

— Qu'est-ce que tu as vu ?

— Tu…

Les lèvres de Hermione grimacent et se tordent. Elle inspire.

— Tu faisais tomber quelque chose par terre. T'étais… tout petit. Et des gens t'ont attrapé par l'arrière du col pour t'envoyer dans un placard.

Harry serre les lèvres. Une colère monte du fond de sa gorge, car il a l'impression d'avoir été volé. C'est son souvenir. Sa mémoire. Sa vie.

— Tu l'as dit à quelqu'un ?

Elle secoue la tête.

— Si tu pouvais continuer, ça serait bien.

Sa voix est dure, mais il ne peut pas s'en empêcher. Pour lui, il n'y a rien à ajouter. Mais Hermione Granger n'a pas tout à fait terminé.

Du coin de l'œil, il la voit poser un livre sur la table. Elle le pousse vers lui.

— Cette collection est parfaite. Le programme de Poudlard y est détaillé sur dix-huit tomes. Si jamais tu… enfin, je me suis dit que ça pourrait t'être utile.

Il fixe l'ouvrage du regard, puis acquiesce doucement.

— Merci.

Hermione sourit timidement. Puis, juste comme ça, elle disparait derrière une étagère épaisse.


Ils n'ont jamais commencé par le cours de vol au premier semestre. Mais la première épreuve des ASPICS sera celle-ci : ils y passent toutes les matinées du lundi.

Assis seul à la table des Serpentards, Harry observe ses tartines avec un air absent. Il a très mal dormi et a passé des heures à se retourner dans son lit. Finalement, il a dû prendre une longue douche avant même que l'aube se lève, car il a ouvert les yeux dans des draps humides, une sueur épaisse sur la peau.

Ses cauchemars ne l'abandonnent que rarement ces derniers temps. Encore plus depuis le cours de sortilège et le sort raté de Ron qui a offert à Granger un aperçu de sa vie. Il s'attend tous les jours à entendre des chuchotements sur son passage. Pour l'instant, ce n'est pas encore arrivé.

— Je pensais te trouver dans la salle commune.

Il sursaute en entendant Draco s'installer en face de lui. D'habitude sa place est à côté, mais ce matin il semble vouloir le regarder droit dans les yeux.

Harry hausse les épaules.

— D'accord, t'es de mauvaise humeur.

Il ne peut s'empêcher de serrer les lèvres. Harry déteste montrer ses humeurs, au foyer celles des autres dirigeaient ses journées et à présent il se déteste d'imposer ça à Draco. Il inspire profondément.

— Désolé.

— T'as le droit de pas avoir tes jours. J'ai bien compris que tu veux être seul.

Il attend que son bol de thé apparaisse, en silence. Harry se sent de plus en plus mal à l'aise. Car depuis deux jours, il ne peut s'empêcher de se demander : qu'est-ce que Draco a vu, quand il l'a touché ?

Quelle partie de la vie de Harry a-t-il aperçu ?

Alors, au bout de quelques secondes, Harry soupire.

— Draco.

— Hmm ?

Il pique un autre croissant, puis lève les yeux vers Harry. Il doit voir quelque chose car il repose immédiatement sa viennoiserie.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Tu m'as touché, après le sort. Je m'en souviens.

Draco pince les lèvres.

— Ouais. Désolé, je savais pas.

— Je sais. Je veux juste… je veux savoir ce que tu as vu.

Draco hausse les sourcils, comme s'il ne s'attendait pas à cette question. Elle lui semble pourtant logique.

Car Harry ne peut s'empêcher d'avoir honte à l'idée que Draco ait vu certaines choses. Cette fois où les Durlseys l'ont enfermé tellement longtemps dans son placard qu'il a fini par se faire pipi dessus. Ou au foyer, quand ils lui ont jeté un seau d'eau croupi au milieu de la nuit et qu'il en a pleuré.

— Je t'ai vu.

— Je sais, Draco. C'était mes souvenirs.

— Oui, je veux dire…

Il rougit. Et Harry écarquille les yeux, parce que ça c'est inattendu.

— Je t'ai vu avec un garçon. Tu l'embrassais. Et c'est tout. Ça a duré à peine quelques secondes, alors…

Un soulagement sans nom manque de le faire s'écrouler sur sa chaise. Son cœur se serre, et il baisse la tête en se disant que le regard de Draco sur lui ne va pas changer. Pas encore.

Il ne sait pas à quel point Harry est faible.

— Oh.

— Ouais. Comme tu nous as jamais dit que… enfin, t'as gardé ça pour toi. Donc je me suis dit que c'était vraiment une intrusion.

Harry sourit et reprend sa tartine.

— C'est rien. Ça me dérange pas. Ça, c'est vraiment pas très grave.

Draco se mord la lèvre.

— Et donc ?

— Donc, quoi ?

— Donc, tu as un moldu qui t'attends, chez toi ?

Harry hausse les sourcils. Il met quelques secondes à comprendre.

— Oh, tu veux dire est-ce que j'ai un copain ?

Draco acquiesce.

— Non, j'en ai pas. C'était un garçon qui venait d'arriver au foyer, et… et j'étais curieux. Je pensais qu'il l'était aussi. Mais quelques jours plus tard, il a rejoint le groupe des caïds et ils m'en ont fait voir.

Il n'est pas particulièrement vexé par cette histoire. Quelques coups, c'était largement préférable aux humiliations. Il y en a eu d'autres, dans le même genre. Des pires.

— Alors pas de moldu ?

— Pas de moldu. Et de toutes façons je…

Il se redresse quand il se rend compte qu'il n'en a jamais parlé.

— Je vis avec mon parrain, maintenant. Je suis plus en foyer. C'est Sirius qui m'a retrouvé.

Draco le fixe intensément, avant de demander :

— Tu te fous de moi ?

— Non. C'est chez lui que j'ai passé l'été.

Il grimace.

— Je sais ce qu'on dit sur lui, on me l'a suffisamment répété, mais il est bon avec moi. Il a encore des problèmes parce que votre prison est affreuse et laisse ses traces, mais il est vraiment innocent et…

— Je sais que Sirius Black n'est pas un meurtrier, Harry. Je fais cette tête parce que tu me dis jamais rien !

Harry cligne des yeux.

— Je… j'ai pas pensé à le dire. Je pensais pas que ça t'intéresserait.

— Harry…

— Toi non plus tu dis rien.

— J'ai passé des années à raconter ma vie. Personne n'ignore le moindre aspect de mon quotidien. Toi, personne ne te connait. Je pensais que j'étais celui qui…

Il se tait et serre les lèvres avec une grimace. Harry le rassure :

— Tu es celui à qui je dis le plus de choses, Draco. T'es… mon meilleur ami. J'ai jamais eu quelqu'un comme toi. J'y ai juste pas pensé, je te jure.

Draco le fixe encore un peu, puis hoche la tête, les joues roses.

— D'accord.

Il reprend son croissant.

— Toi aussi, t'es mon meilleur ami.

Blaise n'aimerait pas entendre ça, mais ces derniers mois ça s'est imposé à lui.

Alors, quand un silence confortable s'installe entre eux, ils sont presque déçus d'entendre les premiers élèves arriver dans la salle.


Une dispute éclate entre un Poufsouffle et un Serdaigle, le lendemain au déjeuner.

Harry est en train d'avaler du poulet assaisonné quand une dizaine de serpents apparaissent à quelques chaises de lui. Les deux élèves s'envoient des sorts pendant encore quelques secondes, alors que les professeurs bondissent de leurs chaises pour accourir.

Dumbledore, d'un mouvement du poignet, fait disparaitre les serpents.

— Les garçons, grogne McGonagall. Les garçons, baissez vos baguettes tout de suite.

La dispute se calme légèrement, et Harry se désintéresse rapidement. Il tente de prendre une nouvelle bouchée de son plat, alors que son ventre grogne encore. Il n'a réussi à dormir qu'après l'aube, et n'a pas eu le temps de déjeuner.

— Oh, putain de merde.

C'est la voix de Théo qui l'interpelle. Face à eux, au milieu de la table, un serpent passe et ondule lentement. Il est énorme, large et très long. Il ne pose son regard sur rien en particulier et se contente d'avancer et avancer encore, jusqu'à qu'il passe devant Draco.

Son teint blanc montre à Harry qu'il n'est pas très fan des serpents.

Avec une grimace, Harry dit :

Eloigne-toi de là.

Le serpent se redresse et tourne son regard vers lui.

Tu lui fais peur, insiste-t-il. Alors éloigne-toi.

Un professeur remarque le serpent restant, et commence à s'approcher.

Pour qui te prends-tu, humain.

Le serpent ondule vers lui, et Harry se redresse légèrement. Il sent que Draco se tend à côté de lui.

Je n'ai pas envie de te faire du mal.

Vous, humains, êtes tous

C'est la dernière chose que le serpent dit, car McGonagall le fait disparaitre d'un sort. Il s'évapore en une sombre fumée noire.

Harry se rassoit correctement sur le banc, et attrape sa fourchette pour continuer son repas. C'est la main blanche de Draco, se posant sur la sienne, qui lui fait relever la tête.

C'est là qu'il se rend compte que tout le monde le fixe.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Tu parlais au serpent, Harry.

Il se tourne vers Draco, les sourcils froncés. Celui-ci comprend presque immédiatement à son air que Harry ne comprend pas le problème, mais c'est Arny, un sixième année, qui se relève avec un air effrayé :

— C'est un fourchelangue !

— Ta gueule, Gordon, grogne Draco.

Son regard devient plus doux quand il se pose à nouveau sur Harry.

— Tu comprenais ? Ce que le serpent disait ?

— … oui ? Pas vous ?

Théo est le premier à secouer la tête. Blaise le suit rapidement. Tout le monde le fixe encore.

— Pourquoi vous faites ses têtes ? On a vu la semaine dernière que des gens se transformaient en aigles s'ils le voulaient. Pourquoi parler au serpent ça vous surprend à ce point ?

Il insiste :

— Pourquoi ça serait différent ?

— Parce que c'est rare, Harry, explique Draco. Et que… c'était une des caractéristiques de Tu-sais-qui.

— Oh.

Harry balaye la table du regard. Les regards lui donnent envie de vomir. Il sait qu'il parle aux serpents depuis des années, depuis une sortie au zoo avec Dudley, depuis que les gars du foyer ont balancé un seau rempli de couleuvres dans son lit.

— Je savais pas.

— Je sais, Harry. C'est pas grave.

Puis, avec fureur, Draco gronde à l'assemblée :

— Vous avez quelque chose à dire ? Le prochain que je surprends à le fixer aura des problèmes.

Plusieurs têtes se détournent, les yeux se baissent. Harry a l'impression que quelque chose dans sa poitrine se dégonfle, et une main passe dans son dos.

— C'est pas grave, Harry. C'est bon.

Mais, encore une fois, la sensation de ne pas être comme tout le monde manque de le faire pleurer, et il s'en veut pour sa faiblesse.


— Vous savez quoi ? Je pense que je sais ce que je veux faire plus tard.

Assis sur le sol entre deux lits, tous les garçons se sont installés sur des couvertures. Harry dodeline de la tête, et l'épaule de Draco est toute proche. À plusieurs reprises il s'y est appuyé et a mis quelques secondes avant de se redresser.

Tout le monde se retourne vers Théo.

— Ah ?

— Ça serait quoi ? demande Harry.

Théo a l'air plus en paix. Cela fait des jours qu'il stresse énormément pour les examens qui approchent, et hier soir il a semblé trouver quelque chose. Une solution qui l'a apaisé.

— Je veux travailler avec les animaux.

Blaise pouffe de rire et Draco le fusille du regard.

— Les animaux ?

— Ouais. Les sombrals, en fait. Personne ne veut s'occuper d'eux. Peu peuvent les voir, alors…

Harry fronce les sourcils, et se souvient du livre sur les Animaux Fantastiques qu'il a lu en début d'année.

— Oh, les chevaux noirs ? Avec les ailes ?

Théo ouvre grand les yeux.

— Tu les as vu ?

— J'ai caressé celui qui a tiré ma cariole, en arrivant à Poudlard. Une fille de chez Serdaigle m'a donné des friandises pour que je leur donne.

Draco se rapproche de lui. Son regard indique à Harry qu'il vient encore de dire quelque chose d'étrange. Théo explique :

— On ne peut les voir que si on a vu quelqu'un mourir.

— Ah.

Quelque chose passe entre Harry et Théo, à ce moment-là. Draco fronce les sourcils et se rapproche encore.

— Donc, tu veux t'occuper d'eux ?

— Mon père veut absolument que je sois avocat à la cour magique. Mais je déteste ça. J'en ai aucune envie. Je vais m'occuper des vieux sombrals, ceux que plus personne ne veut. Une petite maison, au milieu de la forêt. Ça me plairait bien. Ma tante vie comme ça.

— Ton père va être furieux, fait remarquer Blaise.

Théo hausse les épaules.

— Mon père sera furieux, peu importe la voie que je choisirai. Autant qu'il le soit pour une bonne raison.

Harry est admiratif. Il regarde Théo en s'appuyant sur l'épaule de Draco, et se sent tout à coup plus léger. Son courage lui donne envie de réellement trouver ce qu'il veut faire.

— C'est génial, Théo, souffle Harry.

Quelques secondes plus tard, il ferme les yeux.


Harry a l'impression d'avoir fait une sieste, car il se réveille en fin de soirée.

Ecrasé sous ses couvertures, définitivement éveillé, Harry hésite un instant à prendre un livre dans sa table de chevet. Du bout de sa baguette, il crée quelques étoiles qui vont se coller au plafond de son baldaquin, et observe avec satisfaction l'effet que ça produit. Plus il apprend la magie, plus l'utiliser pour des petites choses lui fait plaisir.

C'est à peine dix minutes plus tard que le rideau qui se trouve à sa gauche s'ouvre et que la tête de Draco apparait.

— Pousse-toi sur le côté.

Harry fronce les sourcils.

— Allez, Potter. Bouge. Fais-moi de la place. Je sais que tu dormais pas, t'oublies toujours d'activer le sort de ton rideau et tout le monde voit à travers.

Finalement, Draco élargie le lit d'un sort (que Harry ne connait pas) et s'installe comme il le souhaite. Il semble fatigué mais content, et Harry sent qu'il a pris sa douche quelques minutes plus tôt. Ça l'apaise et lui donne envie de se rapprocher.

— Il est tard, non ?

— Comme si t'en avais quelque chose à faire, de l'heure. Harry, tu dors jamais.

— Je…

Draco hausse les épaules.

— Bon, je venais pas parler de ça. En fait, ça fait plusieurs jours que j'y pense. Et ce qu'à dit Théo, tout à l'heure…

Il replace un oreiller derrière lui, comme s'il mettait tout en place pour sa nuit. Harry n'a pas envie qu'il reparte non plus.

— Même de nos jours, les Sangs-purs sont toujours très traditionnalistes. La nouvelle génération changera surement beaucoup de choses, mais…

Les mains de Draco sont pales et fines : il porte un doigt à ses lèvres, distraitement.

— Je vais devenir médicomage, c'est sûr. Chirurgien, même. Mais je me suis renseigné et je ne suis pas obligé d'entrer à la l'Académie tout de suite. Je peux… attendre. Un an ou deux.

— Pourquoi tu veux attendre ?

Draco lève les yeux au ciel.

— Parce que, Potter, j'ai toute une vie devant moi. J'ai envie de voyager, de… (il grimace) travailler dans d'autres domaines. Voir de la magie qu'on ne voit que dans quelques lieux spéciaux. Voir le monde.

Il se mord la tête, et le regard de Harry suit son geste.

— Pas toi ?

— Moi ?

— Tu n'aurais pas envie de voir autre chose que l'Angleterre ? C'est ce que tu as dit la dernière fois.

Harry hésite. Il n'a, pendant longtemps, même pas osé y penser.

— Si, je crois. Si c'est avec toi, j'aimerai beaucoup.

Draco a l'air surpris, comme si ce n'était pas évident.

— Mais…, souffle Harry. Voyager, c'est assez cher, tu sais.

Cette fois, Draco s'esclaffe réellement.

— Tu es riche, Harry. Pas « assez pour vivre en faisant attention » riche. Plutôt « vivre dans l'opulence sur dix générations ». Tu comprends ? Tu peux te le permettre. Tu peux te faire plaisir. Alors tu veux me faire plaisir ? Réfléchis à ce voyage, et dis-moi plus tard.

Satisfait, Draco retourne son oreiller et force Harry à se pousser encore un peu. Il s'installe, soupire, et souffle :

— Dors, maintenant. Essaye, au moins. Je suis là, si jamais.

Et en quelques minutes, il est parti. Sa respiration est calme, rassurante, présente.

Dans le noir, Harry observe les reflets verdâtres du lac sur sa peau.

Et dans sa poitrine, son cœur peine à cesser de s'emballer, seul au milieu de la nuit.


Les épaules de Draco s'abaissent rien qu'en voyant l'air mutin de Pansy alors qu'elle s'approche de lui. Ils en sont à la moitié de leur cours de vol, et son groupe est déjà passé. Harry voltige encore dans les airs, les vêtements pleins de boue et le visage ravie.

— Draco, mon cœur, minaude-t-elle.

Son sourire le fait grimacer et il se décale d'un pas. Elle le suit sans hésiter.

— Qu'est-ce que tu veux, Pansy, grogne-t-il.

Cette fille a le don de l'attendrir tout en l'énervant au possible. Quand ils étaient jeunes, elle était timide et marchait dans son ombre sans prendre de risque : Poudlard lui a mis du plomb dans les veines et même lui craint pour sa dignité quand elle s'énerve.

— Tu regardais quelque chose, peut-être ?

— Tu sais ce que je regardais. On a déjà eu cette conversation.

Quelques jours plus tôt, à peine.

Pansy hausse les épaules.

— Tu sais que je t'adore, n'est-ce pas ?

— Je le sais, Pansy. Si c'était juste ça, voilà qui est fait.

Elle lui donne un coup de coude dans les côtes et Draco laisse échapper un grognement. Elle vient peut-être de lui casser une côte, cette brute.

— Bouge-toi le cul, espèce de merde d'éruptif.

— Qu— Quoi ?

— Tu l'apprécies, le survivant ? Oui ? Tant mieux. Maintenant, bouge-toi le cul.

— Mais t'es tombé sur la tête ce matin, ou quoi ?

Il fait froid. La neige a disparu depuis des semaines, mais le froid humide reste. Harry adore la petite glace qui se forme parfois dans le lac, mais ce garçon passe son temps la tête en l'air, dans la salle commune. Il se fiche du froid (il lui a dit l'air de rien que le chauffage de Poudlard était bon, et que la sensation de rentrer dans un endroit chaud après les cours extérieurs était inégalable, que le foyer n'offrait pas quelque chose comme ça).

Mais Draco a des cheveux sensibles et du sang déjà froid, en plus d'être une drama-queen.

Alors, les agissements sans explications de Pansy lui donnent mal au crâne.

— Harry Potter. Je sais que tu l'aimes beaucoup, mais si tu veux un conseil : dépêche-toi de faire quelque chose.

— Pourquoi ?

— Parce que, articule-t-elle, t'es plus tout à fait seul sur le coup.

Draco hausse doucement un sourcil. Ça, ça n'a rien de nouveau. La moitié de Poudlard voudrait sortir avec Potter, mais Draco sait bien qu'il ne sortira pas avec n'importe qui. L'amitié, c'est important. Il le lui a dit.

— C'est Théo.

— Ah.

Ça lui a échappé, mais presque aussitôt il lève les yeux vers le ciel, là où Harry vole encore. Pas très loin, Théodore Nott fait partie de son groupe et flotte à côté. La première chose que Draco remarque, c'est sa position penchée et tranquille. La seconde, c'est son expression énamourée absolument écœurante.

— Dis-moi que je ressemble pas à ça quand je le regarde.

Pansy fait une grimace et garde le silence. Draco soupire.

— Théo, hein ?

Théo est proche de Harry. Théo est son ami. Théo a une bonne famille, est beau, gentil (autant qu'un Serpentard peut l'être), à l'écoute, calme.

Draco déglutit.

— D'accord.

— D'accord ?

— Je vais… réfléchir.

Et il le fait. Quand la fin du cours arrive, il ne peut s'empêcher de se placer entre Harry et Théo, tous les deux plongés dans une conversation passionnée sur les sombrals.


C'est après sa troisième bière-au-beurre que Harry parait enfin satisfait.

— C'est super bon, dit-il encore.

Tous les élèves autour de la table pouffent.

— On avait cru comprendre, sourit Blaise. Je crois qu'on avait tous compris dès la première fois.

Pansy se rapproche de Harry.

— Dès le nouvel an, oui. Il en a avalé une bonne dizaine.

Ce dernier rit doucement aussi, et hausse les épaules.

— C'est super bon, répète-t-il. J'y peux rien. Y'a rien qui ressemble à ça, chez les moldus.

Il regarde sa choppe vide avec une seconde d'hésitation, comme s'il pensait à en reprendre une, et cette fois Draco n'y tient plus. La jambe agitée et le ventre serré, il demande :

— Tu voulais pas aller chercher des bonbons ? Ça va bientôt fermer si on se dépêche pas.

Harry penche la tête d'un côté.

— Oh, tu viens finalement ? Je croyais que les bonbons, c'était pour les gosses.

Draco grince des dents. Il a dit ça il y a trois semaines. Des choses ont changé depuis : comme par exemple le fait qu'il se soit décidé à parler à Harry en tête à tête aujourd'hui. À propos de leur relation.

Il s'est décidé à parler de sentiments, et Potter lui parle de bonbons. Draco s'en fout comme de son premier balai, des bonbons.

— J'ai changé d'avis.

Pansy lui envoie un regard entendu.

— Il a raison, Harry. Tu m'as dit hier que t'allais faire des achats. Que comme t'avais de l'argent, t'allais faire des folies.

Harry a l'air content. Pire, il rayonne presque de fierté.

— Je vais aller chercher des bonbons, dit-il, presque excité. Et vous savez quoi ? Je vais prendre deux sacs au lieu d'un.

Ils s'échangent tous des regards. Pansy force un sourire.

— C'est bien Harry. C'est bien de faire… des folies.

Blaise pouffe de rire, et Draco n'a pas envie d'attendre que ces abrutis brisent la bonne humeur de Harry : il se lève, et l'entraine vers la sortie.

Harry n'a pas l'air de l'avoir mal pris, pour autant. Quand ils tournent sur l'allée principale, il hausse les épaules.

— Je pense à tous ces bonbons, Draco. T'images ? J'ai jamais eu autant de bonbons. Dudley bavait dessus avant de me les envoyer dans les cheveux, quand on était petit.

Draco grimace. Chaque fois que Harry évoque (et ça n'arrive pas souvent) son cousin moldu, il a une envie folle d'attraper sa baguette. Ce petit rat dégoutant ne mérite pas Harry.

— Tu pourras en manger jusqu'à te rendre malade. Pomfresh a des potions pour ça, ta nausée partira en quelques minutes.

Ils échangent un regard, et c'est en arrivant dans une allée plus petite (avec, au bout, le magasin de bonbons) que Draco s'arrête.

Il s'arrête, et respire profondément.

— Harry ?

Ce dernier fait encore quelques pas sans lui, puis se retourne avec les sourcils froncés.

— T'as perdu quelque chose ?

— Ma dignité, dans quelques secondes, murmure-t-il.

Il fouille dans sa poche, et met quelques secondes à en sortir le bijou qu'il a acheté en début de journée. Pré-au-lard n'offre pas le meilleur choix possible, mais il aura tout le temps du monde de lui offrir des centaines de bijou si jamais Harry accepte.

Ou s'il n'accepte pas, d'ailleurs. Car Harry est son meilleur ami, et il n'a pas envie de le voir s'éloigner pour quelque chose comme ça. Draco préfère ça que rien du tout.

— Je voulais te parler.

— Ah… bon. C'est grave ?

Draco hausse un sourcil, et observe son expression.

— Toutes les discussions ne sont pas mauvaises. Je vais pas faire… quelque chose de Serpentard. Je veux juste parler avec toi.

— Parler de quoi ?

— Parler de moi, en fait. De…

Il inspire. Laissez sa fierté de côté est incroyablement compliqué.

Mais, quand il plonge son regard dans celui de Harry, quelque chose se détend dans sa poitrine. Ça arrive à chaque fois qu'il observe ces teintes de vert que sa magie renforce.

— Tiens.

Le bracelet est en argent : une chaine assez simple, jolie, avec un bijou vert en son centre. Draco n'avait pas prévu de lui acheter quelque chose. Une bague aurait été trop, même si Harry a de belles mains. Mais quand il est passé devant la boutique, son cœur a battu un peu plus fort. Il est sorti avec un sac avant même de s'en rendre compte.

— C'est pour toi.

Il tend la main vers le poignet de Harry pour qu'il soit tendu vers lui. Draco repousse sa manche jusqu'à exposer sa peau. Habituellement, il aurait donné un coup avec sa baguette et le bracelet se serait mis tout seul.

Mais là, il prend le temps de l'ouvrir, de le faire glisser sur la peau de Harry (qui semble retenir son souffle, les yeux grands ouverts) et de le refermer.

Quand il le lâche, le silence entre eux manque de le faire suffoquer.

— Je t'apprécie beaucoup, tu sais ?

L'expression de Harry est toujours un peu effrayée. Comme s'il voyait la chose venir. Il ne semble pas savoir quoi ressentir, alors Draco tente sa chance.

— L'émeraude, c'est pour la protection. Pour que… le reste de ta vie ne ressemble pas à ce que t'as déjà vécu.

Il sourit, et se rapproche d'un pas. À présent, Harry n'a pas d'autre choix que de le regarder en face. Leurs respirations s'accélèrent.

— Je voudrais t'embrasser. Tout de suite, mais aussi plus tard. Plusieurs fois, peut-être. Je voudrais sortir avec toi, me dire qu'on pourra partager un lieu de vie, un jour, que je vais devoir m'habituer à ton bordel, et que je pourrai t'offrir une nouvelle vue sur le dessous d'un lac.

— Draco, je…

— T'as des problèmes pour faire confiance aux autres, je le sais. Ta vie a été assez merdique, et par merlin chaque jour je me demande ce que ça aurait donné, si tu étais arrivé en première année comme nous. Chaque fois qu'on parle, je me sens… tu me rends tendre, Harry, et c'est assez exceptionnel pour que ça m'énerve. Alors je veux que tu penses à moi comme ça. Je veux que t'y réfléchisse. Je veux que tu…

Harry ouvre la bouche, les yeux brillants et presque paniqué. Les mots ne semblent pas vouloir sortir, mais pile au moment où Draco hésite à ajouter quelque chose, Harry souffle :

— Je sais pas quoi faire.

— Tu peux…

— Non, attends. Tu ne comprends pas. Je ne sais pas quoi faire. Je ne suis jamais sorti avec personne. J'en ai jamais eu l'occasion. J'ai vécu chez ma tante et sa famille, puis dans la… rue, puis dans des foyers. Chaque fois que j'appréciais quelqu'un ça finissait en humiliation. Je…

Il se mord la lèvre.

— Ça fait un moment que je t'aime beaucoup. Mais je me disais qu'être ton ami, c'était vraiment bien aussi. C'était agréable. J'adorerais être avec toi comme ça, mais je sais juste pas comment…

La tête de Draco se vide. Ses mains agissent toutes seules : elles se lèvent, et se posent sur les joues de Harry. Ça le fait taire, et leurs yeux glissent en même temps sur les lèvres de l'autre. Au point que Draco ne soit même pas réellement sûr d'être celui qui s'est avancé.

En tout cas, une seconde plus tard, il est en train d'embrasser Harry Potter, et Harry Potter l'embrasse en retour.

Il a l'impression qu'un billywig vient de le mordre tant le tournis le prend. Son estomac éclate, son cœur papillonne : le dos de Harry rencontre le mur un peu brutalement et Draco libère enfin ses lèvres pour vérifier que c'est bien lui qui vient de le pousser contre.

Ils sont un peu essoufflés, et malgré son envie de recommencer, Draco se contente de poser son front contre le sien.

— Il n'y a pas de règles, Harry. Peut-être que je vais vouloir prendre ton bras pour marcher dans la rue. Je vais surement te faire des cadeaux. Te faire rencontrer ma mère, qui va surement bien t'aimer, et mon père, qui déteste tout le monde. Et si jamais on prend un chat, tu n'auras pas le choix du nom. Je sais comment appeler le mien depuis que j'ai six ans.

Harry sourit franchement, et renifle.

— Quand tu dis ça comme ça, ça a l'air simple.

— C'est simple. Tout n'est pas toujours compliqué. Sors avec moi.

Une seconde à peine. Puis :

— D'accord. Oui. Avec plaisir. Je… peux t'embrasser encore une fois ?

Draco a l'impression de pouvoir se mettre à voler. Si quelqu'un le voit avec une expression aussi niaise, il sera obligé de s'en débarrasser.

— Ça dépend, sourit-il. Tu veux toujours aller chercher tes deux énormes sacs de bonbons ?


— Est-ce qu'on a vraiment besoin de ces diplômes ?

Les cernes de Pansy semblent prendre vie sous ses yeux.

— Je déteste la magie.

Blaise tourne une nouvelle page de son manuel, s'arrête, puis retourne quatre pages en arrière.

— Je vais aller élever des animaux. J'ai pas besoin de maitriser le sort du robinet d'eau infini.

Amusé, Harry les observe tous. Si lui aussi meurt d'envie de pleurer dans un coin un jour sur deux à cause du stress, ce n'est rien face à ses camarades qui pensent à leur ASPICS depuis la première année.

Même Draco parait légèrement plus décoiffé depuis la première épreuve, vendredi dernier. Dans une heure leur épreuve de potion commence, et le meilleur élève de leur année semble prendre ça commence un défi personnel.

Harry espère des Efforts Exceptionnels dans les trois quarts des matières. Même si c'est un peu prétentieux.

— Taisez-vous, souffle Draco.

Il relit ses kilomètres de notes depuis la veille au soir. Et malgré son air ronchon, il n'a pas lâché la main de Harry, sous la table, depuis le petit-déjeuner.

Le regard de Harry glisse jusqu'à la table d'à côté :

— Ça pourrait être pire.

Les regards irrités se tournent vers lui, et il donne un coup de menton en direction de Hermione Granger, qui a l'air d'avoir bu la moitié de la cafetière de Poudlard. Ses cheveux n'ont pas vu un peigne depuis des jours et ses cernes sont noires.

Quand ils l'aperçoivent, ils échangent des grimaces de presque-pitié.

— Ouais, confirme Blaise.

— Elle est folle.

— C'est la meilleure dans presque toutes les matières.

— Cette fille est folle, répète Pansy.

Théo frappe sa tête contre son livre, et se tourne doucement vers Draco.

— Draco… ?

— Non.

— Tu pourrais… ?

— Non. Démerde-toi.

Puis, en voyant les autres regards :

— Démerdez-vous tous. Je suis occupé.

— Tu pourrais réviser à voix haute. Tu retiendras mieux.

Démerdez-vous.

Mais cette idée ne semble pas tout à fait idiote, et il se mord la lèvre.

— Vous posez une question, dit-il finalement, et vous êtes morts.

Et, alors qu'il commence à réciter ses notes de mémoire, Harry ne peut s'empêcher de le regarder en souriant, les paupières lourdes. Si son stress n'était pas aussi prenant, il se serait endormi.

La voix de Draco, basse dans la bibliothèque, vibre à ses oreilles.


Ils en sont à la moitié.

L'examen d'aujourd'hui les a tous épuisé et à 22h à peine, toutes les lumières sont éteintes. Quelques élèves révisent encore à la lumière de leur baguette, mais Draco n'a l'énergie de faire ni l'un ni l'autre. Sa baguette est posée sur sa table de nuit, à côté de ses livres de cours : il voudrait dormir, mais c'est dur.

Le regard posé sur le rideau au-dessus de sa tête, il hésite à tendre la main pour le rendre transparent. Il aimerait pouvoir observer le lac, comme le fait souvent Harry : si lui n'y trouve pas une aussi grande tranquillité, il aime tout de même voir les sirènes nager.

C'est au moment où ses paupières commencent à devenir vraiment lourdes qu'il entend du bruit dans le lit d'à côté. Comme d'habitude, Harry a oublié de mettre le sort sur son rideau. Mais cette fois, Draco entend un peu de bruit un grognement faible, des bruits de draps, puis une respiration haletante.

Il fronce les sourcils, hésitant, puis entend Harry se redresser rapidement. Ce dernier met quelques secondes à se calmer, et là Draco devine qu'il a fait un cauchemar et sa poitrine se serre. Il s'en ficherait pour n'importe qui d'autre, mais quand c'est Potter il ne peut s'empêcher de vouloir sortir de son lit pour aller l'enlacer jusqu'à ce qu'il se rendorme.

C'est effroyablement niais, mais heureusement personne n'est dans la tête de Draco à part lui.

Dans le silence de la pièce, il peut entendre Harry tirer ses rideaux, se relever, et marcher jusqu'à la salle de main. Il doit se prendre le pied dans quelque chose car il l'entend jurer avant d'allumer la lumière et de refermer rapidement la porte.

L'eau coule pendant une bonne vingtaine de minutes, et à un moment Draco croit vraiment s'endormir, mais la porte s'ouvre à nouveau et il rouvre les yeux. Le cœur battant, il écoute Harry qui passe devant son lit, puis s'arrête.

Draco se mord la lèvre.

Allez, vas-y.

Depuis des jours qu'il dit à Harry de ne pas avoir peur d'oser avec lui, il espère sincèrement qu'il s'apprête à faire ce qu'il pense. Il peut sentir son hésitation d'ici, mais finalement Harry marche sur la pointe des pieds jusqu'au bord du lit de Draco, attend encore quelques secondes, et ouvre tout doucement le rideau.

La lumière du lac coule dans ses cheveux humides et sur ses yeux clairs, et Draco a envie de regarder ces yeux pendant des heures. Leurs regards se croisent à ce moment-là, et Harry hausse les sourcils. Dans son pyjama trop grand, il semble timide.

— Tu dormais pas ? murmure-t-il.

Draco cligne des yeux et secoue la tête.

— Peut-être que je…

— La ferme, vous deux…, grogne quelqu'un dans le lit d'à côté.

Harry grimace, et pendant un instant Draco pense qu'il va simplement repartir dans son lit alors il lui attrape le poignet. Harry ne résiste pas, et se fait simplement une place en le poussant sur le côté. Pendant une seconde, Draco est heureux d'être aussi fatigué car la peau de Harry est brulante à cause de la douche et ses cheveux sentent bons.

Il passe quand même ses bras autour de lui pour attraper sa baguette et relancer brièvement le sort sur son rideau.

Et à la grande surprise de Draco, Harry se rendort avant lui.


Le Poudlard Express démarre dans un râle et un éclat de fumée noire.

— Ma mère va forcément organiser une fête pour mon retour. Deux même. L'un d'entre elles, ce sera vraiment pour moi : je vous enverrai une invitation.

— Oh, vraiment ?

— Allez Pansy, fais pas la tête. J'ai qu'une amie fille, et c'est toi.

La semaine passée, il a tenté de draguer une fille en utilisant d'abord la technique « amie ». Pansy, plus jalouse qu'un botruc avec ses amis, l'a envoyé directement dans le lac à travers le toit de la salle commune.

Alors, elle lève les yeux au ciel et regarde par la fenêtre.

— Et toi, Harry ? demande Théo.

Ce dernier, silencieux depuis des heures, tourne la tête dans sa direction. Draco a essayé de lui tirer les vers du nez alors qu'ils préparaient leurs valises, mais Harry s'est contenté de dire que tout allait bien.

— Moi ?

— Oui, c'est vrai ça, remarque Blaise. Pour t'envoyer une invitation, je dois savoir où t'habites.

Ils froncent presque tous les sourcils, sauf Draco. L'idée qu'aucun d'eux ne connait son adresse vient de les traverser comme un éclair.

— T'habites chez les moldus, encore ? demande Pansy.

Harry secoue lentement la tête.

— Oh, non. Ça fait un moment.

Draco remarque qu'il se tord un peu les doigts. Est-ce que c'est ça qui le stress depuis des jours ? Retourner là d'où il vient ?

— C'est Sirius qui m'a trouvé. J'habite chez lui.

Il n'en a jamais reparlé depuis. Il l'a dit à Draco, une fois (comme tout ce qu'il dit ; dès qu'il évoque sa vie, c'est une fois et rapidement, il faut retenir et c'est tout).

Mais Blaise s'étouffe avec sa salive.

— Sirius ? Sirius Black ?

— Celui qui a été accusé d'avoir…

— Trahi mes parents et tué des gens ? Oui, je sais. Mais il est innocent. Il m'a montré ses souvenirs, quelques jours après m'avoir accueilli. Il m'a raconté.

Harry hausse les épaules.

— On a pas beaucoup parlé, en fait. J'avais trop de choses à raconter et lui… il est resté des années à Azkaban. J'ai lu que c'était la pire prison jamais construite. Que ça brisait des esprits. La preuve, il a mis au moins quatre ans à se souvenir qu'il avait un filleul.

Draco l'observe avec attention.

— J'ai un peu peur de retourner là-bas. J'ai peur qu'il ait… changé d'avis. Je suis pas encore majeur, alors s'il veut plus de moi je vais devoir aller…

Mais c'est Pansy qui l'interrompt.

— Tu penses vraiment qu'il t'aurait cherché pendant tout ce temps pour t'envoyer ailleurs au dernier moment ? Il l'aurait fait bien plus tôt, Harry.

Elle semble déterminée.

— C'était de lui, les lettres que tu recevais ?

Il acquiesce, et Draco se détend. Il a hésité à lui parler des lettres pendant des mois, décidant finalement qu'il avait bien le droit de garder un secret pour lui.

— Alors arrête de stresser, Harry. Et si jamais t'as un problème, on est qu'à une pincée de cheminette, ok ?

Harry sourit. C'est un vrai sourire, avec les joues rosées et les yeux brillants. Il se renfonce dans son siège et Draco croit halluciner en sentant une main trouver sa place dans la sienne.

— Alors ? demande Blaise. C'est quoi ton adresse, du coup ?

D'une voix plus tranquille, Harry répond :

— 12, square Grimmaurd.


Le parc moldu est calme et presque désert.

Harry a mis une bonne trentaine de minutes à convaincre Draco de s'y rendre : la semaine passée c'était un magasin de vêtements, quand Draco lui a dit comme si de rien n'était qu'il n'avait rien de prêt-à-porter, que tous ses habits venaient de chez le tailleur.

A présent ils sont allongés dans l'herbe sèche, entre l'ombre et le soleil d'un arbre : après quelques minutes en plein cagnard, Draco finit toujours par devenir tout rouge.

— Alors ?

— C'est pas si mal.

— Mauvaise foi.

— Ça serait mieux si on pouvait voler sans risquer de finir dans le journal. Ça te dirait pas, toi ? Un vol en balai ?

L'idée lui donne des picotements dans les jambes. Ces derniers temps, Harry n'a pas eu le temps de prendre le balai que Draco lui a offert pour Noel pour aller faire un tour. Sirius, plus content de le voir revenir qu'Harry ne l'aurait cru, veut à présent tout lui faire voir. Les petites boutiques, les traditions sorcières, les animaux plus rares.

Ils retapent ensemble le square depuis des jours, et même le portrait Walburga Black s'est calmé. Elle dit bonjour à Harry tous les matins et il lui demande de lui raconter des choses sur les familles de Sang-pur.

Un silence s'installe entre eux, et s'étire quelques secondes jusqu'à ce qu'Harry souffle :

— On a eu nos examens…

Comme un pont brisé, la respiration de Draco se relâche entièrement et il pose ses mains sur ses yeux.

— Deux Efforts Exceptionnels et des Optimals. Et toi ?

Harry sourit.

— Un Acceptable, trois Efforts Exceptionnels et des Optimals.

Draco se redresse.

— Merlin, Potter. Une année d'étude à Poudlard et tu dois faire partie des vingt meilleurs.

La satisfaction est incroyable. En recevant la lettre contenant ses résultats, Harry n'a même pas pris la peine de prévenir Sirius. Il a tout de suite envoyé sa nouvelle chouette, Hedwige, prévenir Draco. Une heure plus tard, ils se retrouvaient dans ce parc.

— Je compte plus jamais étudier de ma vie.

Il n'a jamais particulièrement apprécié ça. Mais la peur d'être renvoyé chez lui, de décevoir, ou de ne pas se sentir à sa place l'a poussé à faire de son mieux. À présent, il veut juste profiter.

— Il me reste encore quelques années à l'Académie, soupire Draco. Mais ça vaudra le coup.

Il se tait une seconde.

— Mais je sais que je veux pas y aller tout de suite. Pas… tout de suite.

Leurs doigts se frôlent, se touchent : c'est Draco qui l'attrape et fait en sorte de la tenir.

— Je vais voyager. Tu viens avec moi ?

C'est une vraie question. Une question qui n'attend que oui ou non comme réponse. Il voit les yeux de Harry, il voit qu'il a fait son choix depuis un moment.

— Quand est-ce qu'on part ?

— Un port-au-loin direction la Grèce s'envole dans la soirée à notre nom.

— Draco, c'est….

Deux ans plus tôt, sa mâchoire était enflée et bleue et il avait passé sa nuit sans couverture, que les garçons du foyer avait remplie de terre. Alors, la poitrine tellement gonflée qu'il a peur d'éclater, Harry Potter répond :

— Ma vie vaudra la peine d'être vécu, cette fois.

— Je vais faire en sorte qu'elle le soit.


Des bisous !