– Je me demande bien où est Naruto, soupira Sakura tandis qu'elle et Sasuke descendaient l'allée centrale de Konoha, en direction de l'extérieur de ses murailles.
Elle avait fini sa journée à l'hôpital une heure plus tôt à peine, et celle-ci avait était plus calme que d'habitude. Elle voulait croire qu'il y avait une réelle tendance à la baisse et non une simple accalmie d'une journée, car il serait vraiment temps que les choses revinssent à la normale. Seul l'avenir le leur dirait. De leur côté, les chantiers avançaient rapidement ; certains bâtiments avaient déjà été entièrement reconstruits, et pour ceux qui ne l'étaient pas encore, les gravats avaient été dégagés et les sites sécurisés. Le champ de tentes s'était un peu désempli mais n'avait pas disparu pour autant. Cependant, ce n'était pas vers lui qu'ils se dirigeaient.
Sasuke haussa les épaules.
– Il ne m'a pas dit où il allait. Tu voulais lui parler ?
– Non, fit-elle en secouant la tête en signe de dénégation. C'est juste que…
Elle ne finit pas sa phrase, incertaine quant à sa réponse. Pourquoi s'en préoccupait-elle autant, d'ailleurs ? Naruto était grand, et il s'était très bien occupé de lui depuis toujours – enfin, relativement. Il savait se débrouiller tout seul. Alors pourquoi cela lui faisait-il bizarre de ne pas le voir, même s'ils en avaient l'habitude ? Cela n'avait rien d'un drame. Son esprit ne se torturait pas autant pour l'Uchiha.
– Enfin, peu importe, reprit-elle en se forçant à s'extraire de ses pensées. Tu as raison.
– A propos de quoi ? fit Sasuke d'un ton neutre, un sourcil haussé.
– Comment ? Ah, tu n'as pas… ? Oh, tant pis !
La perplexité du jeune homme s'accrut à cette réponse, tandis que la jeune fille se perdait une fois encore dans ses songes.
– Je suppose que je n'aurai pas d'éclaircissements quant à ta pensée ?
Sakura s'en extirpa une fois de plus et soupira.
– Je crois que je serais moi-même incapable de te répondre. Mes pensées m'échappent totalement.
– Vraiment ? fit-il avant de porter son regard plus loin. Ah, tiens, le voilà.
– Qui ça ? demanda-t-elle bêtement en le fixant, intriguée.
– Naruto ! répondit-il en le pointant du doigt. Là, dans le parc, avec Hinata.
Sakura tourna la tête vers la direction qu'il lui désignait et remarqua le jeune homme blond grâce à son survêtement orange. Face à lui se tenait une jeune fille brune à la poitrine opulente et à l'attitude discrète, presque effacée, qu'elle reconnut aisément – Hinata. Ils discutaient ou, plutôt, Naruto parlait avec son enthousiasme habituel et la jeune femme l'écoutait poliment, les joues rougissantes. Tous connaissaient les sentiments évidents que cette dernière nourrissait à l'égard de l'Uzumaki, hormis le principal concerné. Et si Sakura aurait dû être heureuse de ce rapprochement visible entre tous les deux, même simplement amical, elle ne le fut pas.
Elle aurait dû se satisfaire de voir son ami sourire et rire avec une autre, et espérer pour eux qu'il partageât les sentiments de la jeune Hyûga. Celle-ci méritait plus que de soupirer continuellement après son ami et lui-même de soupirer après elle. Et puis, c'aurait été dans la normale des choses, non ? Elle avait déjà entendu plusieurs de leurs camarades de promotion spéculer sur leur mise en couple, et certains ne doutaient pas que cela finirait ainsi. Sakura, quant à elle, avait été plus incertaine sur la question, jusque-là. Naruto n'avait jamais réellement montré de signes d'intérêt pour elle, pas de cette nature du moins. Mais peut-être n'était-ce plus si vrai, à moins qu'elle ne s'en fût pas rendue compte jusque-là ? Elle aurait dû être heureuse, vraiment. Pourtant, les voir ensemble la mettait mal à l'aise et lui serrait le cœur, sans qu'elle en sût la cause.
Ce n'était pas comme si elle était amoureuse de lui.
– Sakura, ça va ? s'inquiéta Sasuke, la tirant de ses pensées.
Elle riva son attention vers lui, en partie pour échapper à cette vue. Troublée, elle mit quelques secondes à répondre.
– Oui, oui, je… j'étais perdue dans mes pensées. Eh bien, il est en bonne compagnie à ce que je vois, ne le dérangeons pas, fit-elle en lui retournant un sourire un peu crispé.
Sasuke s'en aperçut et cela l'intrigua d'autant plus.
– Tu en es sûre ?
– Oui, ça va, ne t'inquiète pas. Allons-y, fit-elle en tirant sur son bras pour quitter l'endroit et leurs deux amis.
Ces derniers, inconscients de leurs présences, ne les avaient pas repérés un seul instant.
– … Si tu veux, céda le brun, bien qu'il demeurât sceptique.
Sakura se remit à parler, davantage pour détourner le sujet et l'esprit du duo plus loin. Cela fonctionna ; ils quittèrent l'endroit et laissèrent derrière eux les deux autres, ainsi que l'étrange malaise qui l'avait assaillie qui cessa au bout de quelques minutes, l'incident refoulé dans un coin de son esprit.
oOo
– Tu as une mine affreuse.
Sakura haussa les sourcils tandis qu'elle dévisageait Sai avec attention. Si ce dernier s'était un peu amélioré concernant ses relations avec autrui, ce n'était pas encore la panacée pour autant – il avait toujours le chic pour constater les faits et les déclarer de manière crue. Elle soupira. Enfin, pour l'occasion, ce n'était pas comme s'il aurait eu dix mille façons de le lui signaler.
Cependant, il aurait tout aussi bien pu choisir de se taire.
– Cela ne s'est toujours pas arrangé avec l'Uchiha ? continua-t-il d'un ton neutre en posant quelques livres sur la table, avant de s'asseoir sur la chaise attenante à la sienne.
C'était quelque chose qui leur était devenu coutumier, après la fin de la guerre. Tous deux fréquentaient la bibliothèque, souvent dans les mêmes créneaux horaires, alors cela s'était fait naturellement, même s'ils n'avaient parfois rien à se dire.
Cependant, il n'avait rien d'un confident, et Sakura n'avait pas souvenir d'avoir mentionné un jour devant lui sa confusion intérieure sur ce qu'elle ressentait pour son ami ou sur son incapacité à lui répondre à ce sujet.
– Comment tu… ? s'exclama-t-elle un peu trop fort, ce dont elle se rendit aussitôt compte.
Elle se raidit instinctivement et tourna le visage vers le bureau de la bibliothécaire. Cependant, il n'y avait personne, et elle ne la trouva pas davantage en balayant la pièce du regard. Comme les nombreuses rangées de livres masquaient de nombreuses allées, cela ne signifiait pas grand-chose. Elle reporta son regard sur Sai, qui venait d'ouvrir son livre comme si de rien n'était.
– Comment tu sais ? reprit-elle en chuchotant.
Elle se pencha vers lui en même temps qu'elle posait le livre qu'elle tenait entre ses mains.
Il leva son regard vers elle, neutre, et prit quelques secondes avant de répondre posément :
– Cela se voit.
– Ah.
Elle se mordit les lèvres. Etait-elle donc si transparente ? A moins que ce ne fût Sai qui fût trop lucide pour elle ? Elle l'espérait car elle ne désirait pas que tout le monde sût pour ses problèmes qui n'en étaient pas mais qu'elle percevait comme tels. Personne ne la comprendrait, comme cela avait été le cas d'Ino.
Car plus les jours s'écoulaient, plus elle y réfléchissait, et plus sa théorie de blues post-guerre ne lui paraissait pas crédible. Les racines de son mal étaient plus anciennes. Peut-être même dataient-elles d'avant la guerre.
Comme le silence s'étirait, Sakura se sentit obligée de poursuivre, gênée.
– Oui. C'est… c'est vrai.
Elle hésita quelques instants avant de froncer les sourcils, puis elle s'empressa de rectifier :
– Enfin ce n'est pas tout à fait exact. Ce n'est pas que cela se passe mal entre nous, mais…
– C'est compliqué ? devina l'ANBU, et la jeune femme ne put qu'acquiescer devant sa quasi-affirmation.
– Oui. C'est compliqué.
Elle garda tout d'abord le silence, tandis que Sai baissait les yeux vers son livre. Elle-même en fut incapable ; introduire ce sujet avait orienté toutes ses pensées dans cette direction, et elle n'était plus en mesure de se concentrer sur la recherche de données médicales qu'elle escomptait. Elle essaya mais, au bout de plusieurs minutes vaines, elle abandonna et soupira en claquant la couverture sans même s'en rendre compte. Cela attira l'attention de son ancien équipier.
– Tu veux en parler ? proposa-t-il d'une voix neutre.
L'initiative prit la jeune femme de court, puis elle se morigéna intérieurement d'une telle pensée. Sai avait fait de nombreux efforts pour les comprendre et pour s'intégrer auprès d'eux, en tant qu'équipier et qu'ami. Il y était finalement parvenu, même si certaines notions lui échappaient encore. Cela le rendait un peu particulier, un peu abrupt dans sa façon d'aborder les gens, mais ce n'était plus si dérangeant – ils savaient qui il était, ce qu'il avait traversé et ce qu'il valait. Finalement, il avait eu toute sa place dans l'équipe sept. Jusqu'à son départ, suite à la réintégration de Sasuke. Elle aurait dû y être indifférente, cependant, elle en ressentait un certain malaise. C'était étrange de penser ainsi mais, parfois, elle avait l'impression que Sai y avait davantage sa place que l'Uchiha ; sans doute était-ce lié au fait que ces mois, si durs, et ces épreuves eussent surtout été partagés avec le peintre et non avec lui. Une question d'habitude.
Elle considéra son offre avec intérêt. Pourquoi pas, après tout ? Le jeune homme était d'une oreille attentive et n'en parlerait à personne, elle le savait – il était doué pour garder des secrets, c'était certain – et puis c'était un ami. Elle avait besoin de vider son sac, une nouvelle fois. Peut-être aurait-il un avis différent d'Ino sur le sujet ? Elle ne pourrait avoir de position plus objective que la sienne ; lui n'avait aucun a priori sur le prétendu couple qu'elle formait avec Sasuke, quand c'était l'évidence même pour d'autres. Cependant, étant donné son expérience en matière de relations sentimentales et notamment amoureuses, peut-être ne serait-il d'aucune aide.
Elle décida de se lancer. Lorsqu'elle acheva son long monologue, il conserva le silence quelques instants avant de lâcher :
– Je vais être sincère avec toi et te dire ce que j'en pense.
Elle arqua un sourcil. N'était-ce pas ce qu'il faisait déjà d'habitude, et n'était-ce pas ce qu'elle lui avait demandé ? Incroyable qu'il décidât de la prévenir, pour une fois. Peut-être l'avait-il lu dans un livre, pour adoucir l'impact de ses paroles ? Elle s'attendait à tout, avec lui.
– Cela fait longtemps que je pense que tu as des sentiments pour Naruto.
– P-Pardon ?
Les yeux de la jeune fille s'écarquillèrent. Mais que racontait-il ?
– Même si tu ne sembles pas vraiment t'en rendre compte, ou je me trompe peut-être, continua-t-il, même si son ton assuré laissait peu de place à cette seconde option.
A moins que ce ne fût que l'imagination de la jeune fille.
– Qu-Qu'est-ce qui te fait penser ça ? bégaya-t-elle avant de secouer la tête. Naruto est mon ami ! Juste mon ami !
– En es-tu réellement sûre ? Vous semblez très proches tous les deux.
– Je… bien sûr que nous le sommes, mais ça ne veut pas dire pour autant –
– Yamato le pensait aussi, tu sais. Je crois qu'il te l'a déjà dit, d'ailleurs, ou qu'il a voulu te le dire. Il le pense toujours, et moi aussi. Vous deux… c'est normal que tu te sois autant rapprochée de lui au détriment de Sasuke : lui était là lorsque tu en avais besoin – sans compter ces deux ans où il est parti – et pas l'Uchiha. Et puis, tu n'étais qu'une gamine à l'époque ; c'est normal de voir ses sentiments changer, il n'y a aucune honte à avoir à cet égard.
– Je l'aime toujours ! protesta-t-elle violemment, quoique perturbée par ses propos.
L'évocation de Yamato avait remonté un certain souvenir à son esprit, qu'elle ne put ignorer. La première fois qu'il avait failli le dire, c'était près du pont Tenshi, le jour du rendez-vous avec l'espion de Sasori qui s'était révélé être Kabuto. Sa suggestion l'avait fortement ébranlée à ce moment-là mais elle avait cessé d'y penser par la suite. Ou peut-être avait-elle refusé d'y apporter un quelconque crédit.
Sai pencha légèrement la tête en continuant de la fixer. Son regard intense la rendit mal à l'aise plus que de raison.
– C'est peut-être vrai, concéda-t-il finalement, le visage neutre. Mais je continue d'affirmer que, même si c'est le cas et que tu nourris toujours des sentiments pour Sasuke, tu en as également pour Naruto. Et il t'aime toujours, et tu le sais.
– Bien sûr que oui ! Mais –
– Mais il a l'esprit tellement tourné vers le passé qu'il est inconcevable pour lui que les choses aient changé entre temps, raison pour laquelle il te jette dans les bras de son ami, d'une certaine façon, reprit-il, la réduisant ainsi au silence. Parce que, pour lui, c'est « dans l'ordre des choses ». Il refuse d'admettre qu'il puisse en être autrement. Comme c'est le cas pour tous les autres, non ? Beaucoup pensent que tu es déjà en couple avec Sasuke, ou s'aveuglent tant avec cette idée fixe sur tes sentiments pour lui que, pour eux, c'est inéluctable. Sans réfléchir à la possibilité qu'il puisse en être autrement aujourd'hui.
Elle baissa la tête, songeuse, sans rien rétorquer. Ces propos lui rappelaient le jour où elle avait dit à Naruto qu'elle l'aimait, et la tirade qu'il avait alors prononcée. Celle où il lui avait dit clairement qu'il ne la croyait pas, que ce ne pouvait être le cas. Parce qu'elle aimait Sasuke. Sauf qu'en réalité, il ne s'était jamais posé la question de savoir si ses sentiments pour lui avaient évolué depuis, et elle-même n'en avait pas vraiment parlé – voire pas du tout, d'ailleurs ? Mais elle-même ne l'avait pas fait non plus ; ils étaient tous deux partis du principe que rien n'avait changé de ce point de vue-là.
Avaient-ils eu tort, tous les deux ?
– Votre équipe s'est brisée de façon tellement brutale avec la trahison de votre ami, et la promesse qu'il t'a faite pour le ramener, alors que tu étais amoureuse de lui… Lui ne cesse d'entretenir cette pensée, comme si, depuis tout ce temps où Sasuke n'était plus là, le temps s'était comme suspendu. Il souhaitait tellement réaliser sa promesse et que tout redevienne comme avant qu'il est resté bloqué sur cette image qu'il a de vous trois et de votre équipe – mais cette équipe n'est plus. Vous avez changé, son départ vous a tous changé, vous comme lui et, si je ne doute pas que vous puissiez reformer une équipe, elle ne sera plus la même que lors de vos treize ans. Entretemps vous avez grandi, vous avez traversé beaucoup de choses, toi et Naruto de votre côté, Sasuke du sien, mais pas ensemble – sauf lors de la bataille finale. Et Naruto peut prétendre ce qu'il veut, ça fait toute la différence.
– P-Pourquoi ? demanda-t-elle, troublée comme sa tirade faisait écho à ses propres pensées désordonnées.
– C'est le Sasuke de vos treize ans que tu as aimé. Mais trois ans se sont écoulés sans lui ; peux-tu prétendre connaitre tout de lui ? Qu'il soit resté le même après toutes ces années passées en compagnie d'Orochimaru puis de l'Hebi et de l'Akatsuki, ou savoir exactement ce qui a changé chez lui, et si tu l'aimes toujours pour autant ? Après cette guerre qui nous aura d'abord opposés à lui avant qu'il ne finisse par nous rejoindre ? Personnellement, je pense que c'est le souvenir que tu as de lui que tu aimes encore. Mais lui ? Je n'en sais rien. Peut-être finiras-tu par aimer ce Sasuke-là aussi mais, à l'heure actuelle, votre pseudo-couple repose trop sur un mélange de passé révolu et de présent incertain et méconnu pour pouvoir réellement fonctionner.
Stupéfaite par ses propos, Sakura fut incapable de répondre. Elle cligna des yeux avant de les baisser vers la surface lisse et brune de la table devant elle. Se pouvait-il réellement que… qu'il eût raison ? Que son amour pour Sasuke ne fût rendu que plus incertain par la distance tant temporelle que spatiale qui les avait séparés tout ce temps ?
Qu'entretemps, son rapprochement indéniable avec Naruto l'avait conduite à tomber finalement amoureuse de lui ?
– Je t'ai dit ce que j'en pensais. Je ne prétends pas que ce soit la vérité. Ce n'est que mon avis, ce que j'en ai déduit de mes observations et de ce que je sais. Et Yamato en est venu à la même conclusion que moi, acheva-t-il avant de baisser la tête pour se replonger dans sa lecture, estimant la conversation close.
Sakura ne tenta pas de la relancer. Ses réflexions avaient pris le pas sur le reste. Elle aurait pu se dire que tout ce qu'il venait de dire ne signifiait rien, puisque cela venait de Sai, mais ce n'était pas le cas.
Ses propos transpiraient trop de vérités pour qu'elle fût en mesure de les ignorer sans se mentir à elle-même.
