Épisode 2: Ma nouvelle patronne s'appelle Tempête!

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Secteurs de la Citadelle, Avenue Stellargent –
Aire de combat virtuel de la Nouvelle Armax Arena –
Terrain "Ruines de Londres" – Combat achevé !

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Quand son ami Damon da Costa lui avait décrit pour la première fois le capitaine Saïda Keren comme «une biotique d'une puissance hors du commun...», Feylin Adamas avait cru devoir compléter d'elle-même «...pour une Humaine». Mais depuis lors, la jeune chasseresse avait dû admettre que la légende N7 aurait pu représenter plus qu'un défi même pour les meilleures commandos asari de sa connaissance. À bien y repenser, Feylin aurait dû se rappeler que lors de leur toute première rencontre, l'Humaine avait déclaré avoir affronté à plusieurs reprises Dame Guerdan Qoliad – la Spectre asari qui l'avait précédée à la tête de l'Unité N°1 – lors de combats amicaux en arène virtuelle, sans qu'elles soient parvenues à se départager de manière décisive. Oh bien sûr, Guerdan avait pris de longue date l'habitude de restreindre toute démonstration publique de son incroyable puissance biotique, tant l'étendue de celle-ci aurait pu faire naître de bien embarrassantes questions, et peut-être ainsi risquer de trahir sa condition d'Ardat-Yakshi six fois centenaire. Mais par la Déesse, même bridée de la sorte, elle demeurait pourtant bien la combattante la plus exceptionnelle que Feylin ait jamais connue!...

...Tout au moins, jusqu'à ce que cette dernière ait été amenée à servir sous les ordres du capitaine Saïda Keren.

Depuis la mort brutale de Dame Qoliad sur le pénitencier orbital d'Alcastarz, l'Unité GEIST N°1 avait déjà rempli trois missions de plus pour le compte de la Citadelle, sous la direction de la Spectre N7 tout récemment placée à sa tête: autant d'excellentes occasions pour l'équipe de jauger cette nouvelle patronne, et de prendre ses marques avec elle. D'autant plus que chacune de ces trois interventions aurait facilement pu entrer dans le Top 10 des missions les plus périlleuses d'un historique pourtant déjà bien fourni!

Comme l'indique leur célèbre acronyme, les GEIST sont censés être d'éminents spécialistes en matière d'Enquête, Infiltration, et Sécurisation. Pour ce qui est de la partie 'Enquête', la première mission avait requis toutes les ressources de l'équipe en termes de matière grise, d'observation, d'intuition, de mémoire, et d'interrogatoires de longue haleine – oh, d'exploitation de bases de données, et de piratages de fichiers, également... L'élément 'Infiltration', lui, représente souvent l'un des aspects les plus dangereux de ce boulot, qu'il s'agisse d'ouvrir la route d'un commando de choc en territoire hostile, comme cela était advenu lors de la seconde mission, ou bien de détacher un agent solitaire sous couverture au beau milieu d'une organisation criminelle impitoyable, ainsi que ce fut le cas au début de la dernière opération en date. Quant à la partie 'Sécurisation' qui avait conclu chacune de ces trois missions... Eh bien le moins que l'on puisse en dire, c'est qu'elle avait coûté cher en cartouches thermiques!...

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La première des trois missions que l'Unité N°1 avait eues à mener sous les ordres du capitaine Keren, émanait d'une requête personnelle du conseiller galarien. Divers éléments troublants, de plus en plus récurrents, laissaient à penser qu'un ou plusieurs agents du Groupement Spécial d'Intervention de l'Union galarienne, parmi ceux dotés des plus hautes accréditations, détournaient des informations ultra-confidentielles à des fins d'enrichissement personnel, peut-être même les revendaient à des puissances indéterminées. La seule idée que de si précieuses données puissent fuiter de manière incontrôlée, avait rendu le conseiller Calon Joban plus blême qu'il ne l'était déjà: ignorant jusqu'à quel point les services secrets de sa propre nation pouvaient être gangrenés, il avait donc demandé à ce que la responsabilité de l'enquête soit confiée à des éléments les plus extérieurs possibles au microcosme du renseignement galarien. La sensibilité des informations compromises, ainsi que l'incertitude quant à l'identité des factions qui pouvaient en bénéficier, avaient achevé de convaincre le reste du Conseil. Et c'est ainsi qu'un beau jour, nos agents dûment mandatés avaient débarqué par surprise en plein Quartier Général du GSI, au cœur de la vaste capitale planétaire de Talat tapie dans la moiteur de Sur'Kesh.

Ce n'est certes pas avec le plus grand plaisir que le GSI avait vu ces étrangers venir fouiner dans ses locaux: comme à peu près tous les services de renseignements de la galaxie, cette illustre organisation de l'ombre aurait sans doute préféré laver son linge sale en famille... Toutefois, les agents du Conseil avaient réussi à boucler la première partie de leur enquête avec une diligence et un professionnalisme qui étaient parvenus à intriguer les Galariens eux-mêmes. Leurs conclusions avaient désigné pour origine la plus probable des fuites un gros centre de traitement des données, isolé dans la jungle équatoriale de Sur'Kesh. L'équipe s'était donc rendue sur place, en compagnie de quelques agents de confiance détachés par le QG de Talat.

Il se trouvait malheureusement là un grand nombre d'agents du GSI correspondant justement au profil de recherche établi. Les interrogatoires avaient été longs et difficiles, et il avait fallu l'aide d'un esprit rompu au raisonnement non-linéaire des Galariens – en l'occurrence celui de Sudaj Lenks, l'Ingénieur de l'Unité N°1, lui-même vétéran du GSI – pour parvenir à interpréter les réactions et le mode de pensée peu évidents de ses congénères. Avec les recoupements opérés sur les bases de données du centre lui-même, les enquêteurs avaient finalement pu isoler un suspect privilégié. Mais ce n'est qu'au moment de procéder à son arrestation, que l'équipe avait réalisé que l'individu en question n'était que la partie émergée d'une bien plus vaste organisation d'agents corrompus – lorsque ses complices présents sur place étaient entrés à leur tour dans la danse! Des tirs avaient commencé à être échangés, et des Galariens à tomber de tous côtés... Certains même parmi les agents "fiables" spécialement dépêchés par le QG du GSI, s'étaient mis à abattre sans aucun signe avant-coureur ceux de leurs collègues avec qui ils avaient fait le voyage depuis Talat – ce qui en disait assez long sur l'enracinement profond et la discrétion de longue date de cette cellule renégate!

Les combats entamés dans les locaux du GSI s'étaient ensuite déplacés dans la jungle environnante. Au final, il avait donc fallu affronter sur leur terrain un pack soudé d'une petite douzaine d'agents galariens surentraînés, rompus à toutes les formes de combat indirect: furtivité, pièges, embuscades à longue portée, et surtout, un usage inédit et particulièrement inventif des drones, mécas, et autres IV à leur disposition. Lenks et Andrak avaient été blessés tous deux dans cette lutte sans merci contre des ombres insaisissables. Quant à Damon, il n'avait dû de conserver sa tête sur ses épaules – au sens littéral du terme! – qu'à l'intervention énergique de Saïda Keren. Mais la plupart des agents du GSI restés loyaux, qui avaient soutenu l'Unité N°1 sur le terrain, n'avaient quant à eux pas survécu aux combats: la victoire n'avait finalement été remportée que de très haute lutte.

À l'issue de la bataille, le capitaine Keren avait fait aligner les corps des adversaires vaincus, moitié pour filmer les opérations de scan de leurs ADN et certifier ainsi la destruction de la cellule renégate, mais moitié également afin de raffermir le moral de son équipe, ébranlé par ces combats d'un genre auquel elle n'avait jusqu'alors jamais eu à faire face. C'est en fait à ce moment, davantage encore qu'au cœur des combats, que les vétérans de l'Unité N°1 avaient réellement pris conscience que cette redoutable Spectre humaine, aussi pragmatique qu'efficace, était bel et bien la plus digne héritière de Dame Qoliad qu'ils auraient pu se voir assigner.

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Et là, ç'avait été la plus facile de leurs trois dernières aventures... Car l'engagement suivant avait sans doute été le plus brutal, le plus frontal, le plus désespéré auquel l'équipe ait jamais survécu!

Cette mission-là leur avait été confiée en urgence à la demande pressante de la conseillère de l'Alliance. Le Haut Comité aux Affaires Kroganes, l'organisme concilien créé au lendemain de la Guerre afin d'encadrer l'expansionnisme atavique de ce peuple turbulent (1), avait récemment dépêché sur Tuchanka une observatrice civile hautement qualifiée, Erin Hamakwayo-Lavigne – une Humaine. Le Haut Comité tendait en effet à privilégier l'emploi d'émissaires humains, issus d'une espèce généralement considérée comme la plus neutre vis-à-vis des Krogans. Or le clan Hromach, une mouvance traditionaliste mineure, mais aux méthodes particulièrement radicales, venait tout juste d'abattre en vol la navette de l'observatrice au-dessus de son territoire. L'Humaine avait été capturée vivante, tandis que son escorte de marines de l'Alliance avait été sauvagement massacrée sur place. Les exigences envoyées par les Hromach ayant été jugées inacceptables par le Haut Comité, il y avait tout à craindre pour la vie de l'observatrice Hamakwayo...

En règle générale, aucune mission de sauvetage n'est jamais organisée dans les régions les plus instables de Tuchanka. Mais l'Alliance avait pu obtenir un droit de passage exceptionnel pour l'envoi d'un peloton d'élite de ses Forces Spéciales – reconnaissables dans toute la galaxie à la célèbre bande verticale rouge couvrant toute la hauteur du bras droit de leurs armures. Et surtout, la conseillère Claudia Messeri était parvenue à négocier le prêt d'une unité GEIST, afin que les commandos humains puissent bénéficier de l'expertise de terrain d'une de ces petites cellules d'agents d'élite, réputées pour leur polyvalence, pour leur expérience des coups durs, et pour leur réactivité presque surnaturelle face aux rebondissements les plus imprévisibles. Ce qui ne gâchait rien, c'est que chacune de ces unités spéciales du Conseil disposait par ailleurs de son propre vaisseau léger, spécialisé dans l'insertion discrète d'équipes réduites sur zones hostiles: dans le cas de notre Unité N°1, il s'agissait bien sûr de la frégate furtive de classe Normandy SSV Citadel. Pour finir, l'opération devait également recevoir le soutien au sol d'éléments de choc de la célèbre Compagnie Aralakh, le fer de lance de la Coalition progressiste krogane, placés sous les ordres du puissant Urdnot Grunt.

Évoluant sous camouflage de ses signatures radar et thermique, le Citadel avait d'abord déposé ses passagers de nuit, à l'écart des installations ennemies. Les troupes de la Compagnie Aralakh avaient alors commencé à mener de violentes opérations de diversion sur les marges des terres Hromach, afin d'y attirer le gros des forces du clan. La mission de sauvetage avait ainsi pu progresser le plus discrètement possible au cœur du territoire hostile, jusqu'à la principale base d'opérations adverse où était détenue l'observatrice Hamakwayo: les vestiges majestueux d'un temple monumental, remontant aux temps reculés où la splendeur d'une civilisation krogane désormais éteinte rayonnait encore à la surface de Tuchanka.

Les premières phases d'infiltration s'étaient déroulées sans accroc majeur: grâce à la virtuosité du lieutenant-major Damon da Costa, le redoutable Sniper humain de l'Unité N°1, les quelques gardes demeurés sur place avaient été neutralisés sans avoir pu donner l'alerte. Mais l'opération dans son ensemble avait déjà subi divers contretemps; puis aux premières lueurs de l'aube, tout s'était gâté lorsqu'il avait fallu faire face à un puissant retour offensif des troupes Hromach... Piégés et encerclés par des forces ennemies en supériorité numérique écrasante, agents du Conseil et commandos de l'Alliance s'étaient battus pour leurs vies, retranchés derrière les murailles du temple, avec une rage et un acharnement qui avaient fini par ébranler la détermination de leurs assaillants. Mais il avait tout de même fallu l'apport d'un appui direct au sol de la part du Citadel, l'emploi d'un volume ahurissant de charges explosives de classe militaire – ainsi que l'intervention spectaculaire en plein milieu des lignes kroganes d'un dévoreur dérangé par tout ce vacarme! – pour que les forces conciliennes finissent par l'emporter.

C'est sans doute au plus fort de ces combats désespérés que Saïda Keren avait pu le mieux démontrer à son équipe toute l'étendue de son incroyable puissance biotique. Après avoir terrassé sans effort apparent les rangs des guerriers d'élite ennemis devant elle, en déployant la même violence impitoyable avec laquelle le vent couche les blés, la Spectre s'était retrouvée face à face avec le chef même du clan Hromach, un gigantesque seigneur de guerre biotique, l'un de ces terribles Foudres krogans que Feylin redoutait tant. Le duel qui avait opposé les champions des deux camps avait été si long et si intense, et avait atteint un tel degré de haine et d'implication personnelles, que les autres combattants avaient tacitement suspendu leurs propres affrontements pour mieux suivre le spectacle de cette lutte à mort. La victoire sans appel que la Spectre humaine avait fini par remporter, dans une véritable débauche d'énergie noire, avait scellé le sort de la bataille et la déroute de l'ennemi. Lorsque enfin le SSV Citadel avait quitté le système Aralakh, avec à son bord les survivants du peloton de l'Alliance ainsi que l'observatrice Hamakwayo saine et sauve, le nom de Hromach avait été virtuellement effacé de la très longue liste des clans krogans...

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Quant à la dernière opération en date, elle avait débuté par une mission d'infiltration sous couverture, en préparation d'une intervention militaire. Cependant, elle avait pris sur la fin un tour diplomatique assez inattendu, au dénouement plus stupéfiant encore...

L'Unité N°1 n'en était certes pas à sa première mission d'infiltration; mais leur nouvelle cible dépassait de très loin en envergure et en puissance de feu les quelques organisations criminelles ou terroristes qu'elle avait fait tomber jusqu'alors. L'Autarcie d'Okhrid, un petit monde butarien des Systèmes Terminus épargné par les ravages des Moissonneurs, avait délibérément choisi de tirer parti du chaos durablement engendré par la Guerre pour se lancer dans la piraterie interstellaire. Le dictateur local, le Haut-Maréchal et Guide suprême Sanxhet Qahlah'ram, entretenait donc de manière officieuse – mais notoire! – une flottille corsaire fort redoutée: celle-ci avait déjà mené d'innombrables raids éclairs, toujours parfaitement renseignés, contre les principales routes commerciales de l'Alliance dans la Travée de l'Attique. Le reste du temps, les forbans savaient couvrir leurs traces et se rendre totalement insaisissables: rien ne les reliait officiellement à Okhrid, où ils faisaient pourtant très régulièrement relâche...

Le navire-amiral de cette force de frappe fantôme, l'élément qui en faisait toute la puissance, était un grand croiseur miraculeusement rescapé de la flotte butarienne d'avant-Guerre, le Har'Garrok, face auquel aucun transport ni convoi, même lourdement escorté, ne parvenait à faire le poids. Le Conseil avait toutefois fini par décider que ce grand bâtiment mettait en péril à lui seul l'équilibre des forces dans toute cette partie des Systèmes Terminus. L'infiltration, la neutralisation depuis l'intérieur, et le marquage de ce redoutable vaisseau corsaire en vue d'un abordage en règle, telle était donc la mission qui avait été dévolue à l'Unité N°1.

Le rôle d'agent infiltré au sein de l'équipage du Har'Garrok revint tout naturellement à Andrak Atkoso'dan. Outre qu'il était le seul Butarien de l'équipe, Andrak pouvait en effet faire montre à l'occasion d'un talent tout à fait confondant dans l'art d'incarner un personnage fictif, de donner vie à une identité de couverture: un atout qui avait aidé plus d'une fois l'ancien chasseur de primes à parvenir jusqu'au plus près de ses cibles! Quant à la petite force d'assaut destinée à prendre le contrôle du croiseur, une fois que celui-ci aurait été immobilisé et désarmé, elle devait être composée d'une poignée de vétérans de l'Alliance, personnellement sélectionnés par le capitaine Keren. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il s'agissait pour la plupart d'entre eux d'hommes et de femmes au côté desquels la Spectre N7 avait déjà tout dernièrement combattu, lors de la récente mission de sauvetage sur Tuchanka.

Discrètement introduit sur Okhrid, Andrak avait commencé par organiser un "accident" insoupçonnable, qui priva le Har'Garrok d'un nombre substantiel de membres de son équipage, lors d'une permission en ville au retour d'un raid. Le Franc-tireur butarien savait que le croiseur devrait compléter ses effectifs dans l'urgence avant sa prochaine opération. Et il savait également que les identifiants factices et les références irréprochables que lui avaient forgés les services du Ministère de la Défense Concilien, lui ouvriraient sans aucun problème l'accès à un poste de choix au niveau du secteur Propulsion du vaisseau. Dès sa première croisière à bord du Har'Garrok, l'agent infiltré s'employa donc à télécharger dans les réseaux du vaisseau les virus informatiques indétectables qui lui avaient été remis – non sans que ceux-ci eussent d'abord été dûment complétés et perfectionnés par le cerveau bouillonnant de Sudaj Lenks! Lorsque Andrak activa enfin ses pièges au moment convenu, le grand croiseur se retrouva brusquement privé de transmissions, de propulsion, de boucliers, d'armement... tout en signalant bruyamment sa position à plusieurs secteurs galactiques à la ronde!

C'est peu de temps après cette première frappe surprise que la seconde partie du plan se mit en branle, lorsque la petite force d'abordage du capitaine Keren, quatre navettes Kodiak en tout, sortit de vitesse SLM au plus près possible du Har'Garrok. Esquivant avec brio les autres vaisseaux légers de la flottille corsaire, encore sous le coup de la stupeur, les navettes se ruèrent droit vers la baie d'amarrage du croiseur, ouverte en grand par les bons soins d'Andrak. Agents et soldats de l'Alliance sécurisèrent en un rien de temps le quai en un tournemain, puis commencèrent à progresser au travers des coursives en direction des points stratégiques du vaisseau.

L'ensemble des dispositifs de défense sous IV du croiseur avait déjà été neutralisé par les virus implantés et activés par Andrak. Aussi, malgré leur supériorité numérique, la surprise et la désorganisation de l'équipage butarien ne put opposer aucune résistance sérieuse à l'énergie et à l'esprit de décision d'assaillants conciliens parfaitement préparés. En peu de temps, et avec des pertes minimes, la poignée de combattants d'élite du capitaine Keren parvint donc à s'emparer du Har'Garrok. Les terrifiantes performances biotiques de la Spectre humaine, efficacement secondée par Feylin Adamas, comptèrent pour beaucoup dans ce succès éclair – de même que les manœuvres plus ou moins discrètes d'Andrak, qui continua à saboter de l'intérieur les périmètres de défense hâtivement levés par ses congénères, jusqu'au moment où il put enfin établir la jonction avec ses amis victorieux...

La petite force d'occupation s'employa ensuite activement à neutraliser ses propres virus, et à reprendre la main sur le croiseur afin de pouvoir faire face à la réaction du reste de sa flottille de soutien. Les transmissions venaient tout juste d'être rétablies, lorsqu'une communication tomba soudain sur l'un des écrans 2D de la passerelle de commandement: c'était le Haut-Maréchal Sanxhet Qahlah'ram, le Guide suprême d'Okhrid en personne, écumant de colère. Celle-ci sembla redoubler lorsqu'il s'aperçut que les agresseurs qui venaient de le priver du fleuron de sa flottille corsaire étaient essentiellement humains. Ivre de rage, le dictateur menaça d'envoyer la flotte même d'Okhrid à la reconquête du Har'Garrok. Ces quelques vaisseaux légers ne faisaient certes pas le poids face au gigantesque croiseur capturé; mais les soldats de l'Alliance n'étaient pas assez nombreux pour tirer parti de toute la puissance de feu potentielle du vaisseau, ni surtout pour empêcher son abordage par une nuée de petites navettes d'assaut déterminées. Et les forces d'Okhrid seraient sans aucun doute sur place bien avant que l'escadre concilienne la plus proche ne puisse arriver à la rescousse...

Saïda Keren prit alors l'initiative de répondre au despote butarien, sous son autorité de Spectre du Conseil, de manière à ce que ses mots marquent à jamais au fer rouge l'âme du sinistre personnage. D'une voix terrible, elle lui promit que s'il persistait dans la recherche de l'escalade, tout ce qu'il obtiendrait serait une guerre totale de la part de l'humanité et de ses alliés conciliens, à présent que le rôle d'Okhrid dans d'innombrables actes de piraterie venait d'être indéniablement mis en lumière. Elle lui promit que son monde, ses cités, son peuple, sa famille, puis lui-même tout en dernier, auraient à payer le prix des représailles dont elle serait le fer de lance. Elle lui promit enfin que son visage d'Humaine serait le dernier qu'il verrait, avant qu'elle ne vienne le priver un par un de l'usage de ses yeux, de manière particulièrement vile et infamante.

Venant de n'importe qui d'autre, de telles menaces auraient pu ressembler à la manœuvre illusoire d'un adversaire déjà vaincu, tentant désespérément de compenser la faiblesse de sa position par un culot monstre. Mais Saïda Keren, elle, semblait très sincèrement penser le moindre des mots qu'elle proférait de sa voix rauque; elle semblait envisager le plus sérieusement du monde la moindre des atrocités qu'elle promettait sans sourciller à un Haut-Maréchal Qahlah'ram totalement frappé de stupeur. Tout incroyant qu'il était, Damon da Costa aurait juré avoir ressenti la crainte de Dieu et de la colère céleste, en entendant ces mots effroyables résonner sur la passerelle de commandement. Et les non-Humains de l'équipe à ses côtés semblaient même avoir été plus profondément impressionnés encore...

Sudaj Lenks avait beaucoup appris sur l'art de la guerre psychologique durant son service au sein du GSI galarien, où il avait eu l'occasion de côtoyer d'authentiques experts en cette matière. L'Ingénieur avait donc été le seul à remarquer – il en avait d'ailleurs fait part après coup à ses compagnons, sur un ton admiratif – que Saïda s'était positionnée de manière parfaitement calculée durant cette communication par écran 2D interposé, de sorte que son vis-à-vis puisse avoir la meilleure vue possible sur l'arrière-plan qu'elle avait choisi de lui présenter: la passerelle de commandement, jonchée de corps butariens plus ou moins mutilés, et où avaient été alignés en rang les quelques rares prisonniers ayant survécu à la brutalité des combats, agenouillés mains sur la tête derrière la Spectre. Ces malheureux présentaient l'aspect le plus réellement pathétique que l'on puisse imaginer: blessés pour la plupart, choqués, traumatisés, mais surtout, visiblement terrorisés par la proximité de la biotique humaine qui venait de tracer des sillons sanglants dans leurs rangs. Saïda Keren offrait tout simplement là à son interlocuteur un avant-goût des tourments qu'elle était en train de lui promettre...

Et le plus incroyable dans tout cela, fut que cette tactique s'avéra payante! Totalement désarçonné, aussi blême que pouvait l'être un Butarien horrifié, le Haut-Maréchal se borna à balbutier quelques menaces vides de sens, presque inaudibles d'ailleurs, avant de couper brusquement le canal. Au bout de quelques instants, la flottille de soutien du Har'Garrok passa en SLM, libérant les lieux pour l'escadre de l'Alliance qui devait venir prendre possession du vaisseau corsaire capturé. Aucune mesure de rétorsion n'eut donc à être effectivement menée contre l'Autarcie d'Okhrid, à présent qu'elle avait été privée de son principal moyen de nuisance...

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En tout et pour tout, cela faisait donc pour l'Unité N°1 trois nouvelles missions menées à bien avec un brio remarqué, depuis l'arrivée du capitaine Keren. Hélas, aucune d'entre elles n'avait correspondu à la mission que tous attendaient depuis des mois: retrouver la trace de Maya Brooks, le cerveau terroriste responsable de la mort de Dame Qoliad; la coincer de telle sorte qu'elle ne puisse à nouveau leur filer entre les doigts; et les enterrer à jamais, elle et toute la sinistre organisation criminelle tentaculaire qu'elle avait patiemment mise sur pied depuis sa prison d'Alcastarz (2).

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Lorsque Feylin Adamas reprit ses esprits, elle était encore allongée au sol au milieu du décor des ruines de Londres, qui commençait pourtant déjà à s'estomper par blocs entiers. La terrible nuit s'effaçait devant la lumière qui revenait progressivement. Saïda Keren se tenait au-dessus de l'Asari, son arme déjà récupérée et replacée à sa hanche, et lui tendait le bras pour l'aider à se relever. La partie était donc terminée, et Feylin l'avait perdue.

-–- Ç'a été un beau combat, la félicita cependant l'Humaine en la redressant d'une traction, après que leurs bras se soient joints. Très tendu, et longtemps indécis. Tu as encore fait honneur à ton entraînement de chasseresse, et à tes sœurs de la Garde de Serrice...

-–- Je n'en retire pourtant pas l'impression d'avoir jamais tenu la victoire dans mon viseur, bredouilla Feylin, qui se sentait encore à peine revenue des rives de la mort. Tu es décidément une adversaire de première force, capitaine; l'humanité a bien de la chance de t'avoir... Hélas, je crains de ne jamais parvenir à percer tous les secrets qui me permettraient de te vaincre au moins une fois, avant que tu ne finisses toi-même décatie et morte de vieillesse! conclut l'Asari, rappelant à l'Humaine sa très courte longévité en une revanche cruellement sarcastique.

Celle-ci n'en prit pas ombrage, et se contenta de répondre avec philosophie: «Les gens comme toi et moi ne meurent jamais de vieillesse...» – une répartie laconique, tout aussi cruelle en cela qu'elle rappela à Feylin le triste destin de Dame Qoliad qui l'avait tant bouleversée. Sans rancune, Saïda entreprit même de restaurer l'ego blessé de l'Asari:

-–- Si seulement tu n'avais pas à ce point tendance à te déprécier, beauté, tu aurais pourtant remarqué que tu as tout de même tenu bien plus longtemps face à moi que le Foudre krogan du clan Hromach, sur Tuchanka – tu sais, celui qui a réellement fini la bagarre en plusieurs morceaux, lui...

-–- M'oui, bougonna Feylin, enfin, je suppose que ça tient quand même au fait que tu m'aies un peu ménagée, non?

-–- Oui, bon, ça aussi! plaisanta joyeusement l'Humaine. On a loué le box pour une demi-heure, j'admets que je n'avais pas envie de redéfaire l'armure au bout de seulement vingt secondes! Non, pour rester sérieuse, j'ai déjà affronté des paquets de biotiques asari en combats réels ou simulés; pas seulement Guerdan, tu sais... Eh bien crois-moi, tu te tiens déjà largement dans le tiers supérieur, alors même que tu n'as pas encore atteint trois siècles révolus! Alors oui, tu es perfectible, c'est clair; mais tu as encore beaucoup de temps devant toi, avant d'entrer dans le cercle des toutes meilleures...

Le capitaine Keren a décidément l'art de savoir trouver les mots qui font mouche, dut admettre Feylin. Le fait est que le doute et la méfiance qu'elle avait initialement ressentis à l'égard de la fascinante biotique humaine, à son arrivée à la tête de l'unité, s'étaient progressivement mués au fil des missions en curiosité, puis en respect, en admiration, et enfin en... autre chose! L'Asari n'avait entamé aucune relation affective, ni sérieuse ni superficielle, depuis la mort de son dernier amant en date, le regretté commandant turien Serval Quirinus, ancien membre de l'Unité N°1 tombé en héros moins d'un an plus tôt (3). Mais pour la première fois depuis cette perte déchirante, une personne venait d'entrer dans sa vie, qui arrivait à faire battre à nouveau son cœur lorsqu'elle portait les yeux sur elle à la dérobée. Sans doute l'éblouissant regard bleu de givre de l'Humaine entrait-il pour beaucoup dans le trouble que ressentait la jeune Asari... Toujours est-il que jamais encore Feylin n'avait osé aborder le sujet avec sa supérieure; mais elle avait bien trop de respect pour la perspicacité de celle-ci, pour supposer qu'elle n'en soupçonnait rien.

Pourtant, jusqu'ici, Saïda Keren s'était montrée quant à elle bien plus intéressée par l'autre officier N7 de l'unité, son congénère le lieutenant-major Damon da Costa. Et contrairement à Feylin, elle avait été plus d'une fois tout à fait explicite quant à son intention manifeste de glisser le séduisant athlète dans sa couchette! L'Asari pouvait comprendre cela: après tout, il y avait bien peu d'êtres – bien peu d'espèces, même! – que le physique avantageux et le caractère dynamique et enjoué de l'Humain au regard de braise laissaient indifférents. Feylin elle-même n'y était pas insensible, d'ailleurs; mais depuis les débuts de leur collaboration, elle avait toujours considéré avant tout Damon comme une sorte de petit frère – si tant est que ce concept signifie quelque chose au sein des sororités asari! –, un peu trop imprudent et qu'il faut parfois protéger de lui-même. Quant à Damon, s'il avait pu à l'occasion laisser transparaître quelque attirance pour la belle Asari, il avait toujours fait le choix de préserver en premier lieu leur amitié complice, en faisant délibérément l'impasse sur tout autre type de relation qui aurait pu l'altérer. En outre, ses aventures brèves et épisodiques en dehors de l'équipe suffisaient pleinement à le contenter...

...Raison pour laquelle d'ailleurs les assiduités de sa supérieure directe gênaient énormément le malheureux Damon! Mais Feylin le savait, cela tenait également au fait que Saïda Keren avait été pour le lieutenant da Costa son modèle de jeunesse, l'idéal de courage et de résolution qui avait poussé le petit orphelin carioca à intégrer les Forces Spéciales de l'Alliance, puis plus tard à suivre le cursus des N7 – bref, le même genre d'égérie que Guerdan Qoliad avait été pour Feylin, deux siècles plus tôt. Il était sans doute impossible pour Damon de considérer l'héroïne sans peur et sans reproche de ses jeunes années comme une quelconque femme de chair et de sang, ni de se rapprocher intimement d'une telle légende sans la crainte superstitieuse de s'y brûler la peau – ou plus prosaïquement, de ne simplement pas pouvoir assurer! Mais le capitaine Keren ne semblait pas pour autant avoir renoncé à ses vues sur le bel officier; et en considérant le triangle amoureux dont Feylin Adamas incarnait la troisième pointe, cela contribuait à engendrer quelques tensions occasionnelles au sein de l'équipe.

Le décor virtuel avait à présent entièrement disparu, pour laisser place aux panneaux nus de l'aire de combat. Alors qu'elles se dirigeaient vers la sortie, Feylin et Saïda reçurent soudain le même signal insistant les invitant à consulter d'urgence la messagerie de leur Omnitech. La Spectre humaine fut la première à commenter sa lecture:

-–- Convocation Priorité Rouge pour l'équipe au grand complet: on a moins d'une demi-heure pour rejoindre l'immeuble du Ministère de la Défense Concilien! Ça a l'air sérieux... Bon, où sont les autres?

Feylin consulta rapidement son Omnitech:

-–- Damon et Andrak ont déjà terminé leur propre duel amical dans le box voisin; on devrait les retrouver à l'entrée des vestiaires. Pas de nouvelles de Lenks; mais je sais qu'il doit déjà être sur place aux archives du MDC, en train de vider toutes les banques de données locales auxquelles son accréditation lui donne accès – oh, peut-être même quelques autres, d'ailleurs! –, et de se gaver de bien plus d'infos confidentielles qu'un esprit non-galarien ne pourrait en retenir en toute une vie! Bref, trop absorbé pour répondre; mais il sera au rendez-vous, comme d'habitude...

Pendant ce temps, Saïda poursuivait de son côté la lecture du message prioritaire, et une grimace de surprise lui échappa bientôt:

-–- Hon! La réunion n'aura pas lieu dans les locaux du MDC, mais directement dans la Salle du Conseil, au sommet de la Tour de la Citadelle! Là, ça commence à avoir l'air plus que sérieux! Purée, j'adore déjà ça! Bon allez, active le pas, beauté...

En quittant leur box de réalité virtuelle, l'Humaine et l'Asari tombèrent sur Damon da Costa et Andrak Atkoso'dan, eux aussi encore revêtus de leurs armures tandis qu'ils sortaient du même pas de l'aire de combat voisine. L'amitié qui unissait désormais le Sniper N7 de l'Alliance et l'ex-chasseur de primes des Systèmes Terminus était d'autant plus surprenante que leurs tous premiers contacts étaient plutôt partis du mauvais pied... Mais au fil des missions, Damon avait fini par tisser avec le Franc-tireur butarien des liens tout aussi étroits que ceux qu'il avait jadis noués avec le commandant Serval Quirinus, le Franc-tireur turien qui avait précédé Andrak au sein de l'Unité N°1 (3). L'Humain avait retrouvé chez son nouveau compagnon d'armes les mêmes qualités marquées qu'il avait tant appréciées chez le regretté Serval: la compétence, le courage, l'inventivité, la franchise, la loyauté, et même l'humour – un trait de caractère pourtant réputé aussi rare chez les Butariens que chez les Turiens! Quant à Andrak, il avait besoin d'un ami auquel se confier depuis la mort tragique de sa compagne, son amour éphémère, le docteur Hésap Avidar, l'officier médical du SSV Citadel froidement assassinée durant l'occupation de la frégate par les forces renégates de la station d'Alcastarz (4). Or, sous ses dehors de loustic blagueur doublé d'une machine à tuer de très haute précision, Damon cachait un véritable don pour l'écoute, une empathie et un cœur d'or qui n'avaient rien à envier à ceux de Feylin, pourtant plus immédiatement visibles.

-–- Alors? demanda celle-ci aux deux soldats. Vous aviez choisi quel terrain, à côté?

Damon sourit, puis envoya un coup de coude souligné d'un clin d'œil au colosse butarien à sa droite, avant de répondre avec entrain:

-–- "Crépuscule de Tuchanka"! En fait, on est presque tout de suite tombés d'accord là-dessus: on dirait bien que notre bagarre homérique contre ces foutus Hromach nous a laissé des souvenirs marquants à tous les deux!

-–- On a pris le mode Terrain étendu, nous aussi, ajouta Andrak d'un ton passionné, pas moins de trente hectares de champ de bataille parfaitement reconstitués. Il fallait bien cela, pour que ce nabot qui se prétend Sniper ait une petite chance de l'emporter contre moi! Belle mécanique que cette arène, en tout cas: on avait réellement l'impression de se retrouver sur les grandes plaines concassées de Tuchanka, à se faire fouetter la face par les vents radioactifs...

-–- Et au final? s'enquit Saïda avec curiosité. Faites pas durer le suspense: qui a gagné?

-–- Lui! répondit Andrak, hilare, tout en allongeant une claque à la force soigneusement retenue derrière l'omoplate de l'Humain. Dire que je n'avais pas cru ce petit pyjak, quand il prétendait pouvoir moucher à 200 mètres l'œil d'un Butarien en pleine course... Eh bien j'avais tort! s'esclaffa le géant tout en massant son globe oculaire supérieur droit encore meurtri. Les émulateurs de douleur de l'arène virtuelle font quand même salement danser en mode Réaliste; et je parle d'expérience!...

-–- Je te l'envoie pas dire, ma grande! répartit joyeusement Damon qui boitait encore un peu. Ton Incinération a failli me cramer bien plus que la jambe! Heureusement que j'ai le même talent pour l'esquive qu'un Volus qui verrait arriver une facture!

La complicité évidente entre l'Humain et le Butarien faisait plaisir à voir. Malheureusement, l'urgence était ailleurs, et Saïda s'apprêtait à le rappeler à ses agents, lorsque brusquement, elle étrécit ses narines en une grimace de dégoût, avant de laisser tomber:

-–- Hum, s'il y a quelque chose en tout cas qui ne vient pas des simulateurs de l'Arène, c'est bien la foutue odeur de transpiration inter-espèces qu'on dégage tous ici! Sérieusement, je crois qu'on concentre assez de variétés de phéromones pour rendre un Elcor maboul! Bon, pas question d'infliger ça aux distingués récepteurs olfactifs de nos chers conseillers, on est bien d'accord là-dessus? Alors tous à la douche, bande d'éclopés! Et plus vite que ça! Rendez-vous dehors sur l'avenue Stellargent d'ici dix minutes, en tenue correcte. Rompez!

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(1) Le Haut Comité aux Affaires Kroganes est issu de l'univers du jeu Mass Effect: Nouvelle Ère.
(2) Maya Brooks, et son organisation clandestine vouée à la suprématie de l'espèce humaine, étaient les principaux adversaires affrontés par notre équipe lors de la saison précédente: Unité N°1: Saison 2
(3) Lire Unité N°1: Saison 1, Épisode 1
(4) Lire Unité N°1: Saison 2, Épisode 12