Hey !
Et voilà un nouveau chapitre ! Je me suis pas mal amusé dessus, surtout sur la fin - vous comprendrez pourquoi. Du coup j'espère que ce sera chouette à lire.
Merci à Lae et Mijoqui pour leur review !
Bonne lecture !
Le grand plongeon
.
– T'as ce qui te faut ?
Riku va pour dire oui, mais il songe que non. Même avec deux valises, il n'a pu emporter que le strict minimum. Enfin, ce n'est pas comme si sa chambre étudiante était bien remplie.
Des fringues, des livres, que du basique. Pour ce qui est de la nourriture, Sora lui a dit qu'il y en aurait déjà sur place. La même pour les draps. Il a aussi pris une vieille console de jeu. Une DS qu'il trimballe depuis des années. les papiers importants rassemblés dans une pochette, et…
Et il a beau se repasser la liste qu'il a dressée dans sa tête, il sait qu'il oubliera forcément quelque chose. Un papier ou une paire de chaussettes, allez savoir. Alors pas la peine de se prendre la tête. Il zieute ses deux valises, le sac qui attend sur le lit, et il acquiesce.
– Oui.
– Cool !
Le sourire de Sora apaise le nœud qui tire dans son cerveau. C'est comme un souffle frais sur un coup de soleil. Ça ne règle pas le problème, mais ça le rend supportable. L'angoisse n'est plus qu'un bruit de fond.
– Saïx passera nous prendre vers 20h30, le temps que le soleil se couche.
– Les vitres de la voiture sont pas teintées ?
– Si mais bon, il est du genre prudent. Puis c'est jamais agréable de marcher au soleil.
Sans doute. Riku ne sait pas. Pour les humains, le soleil n'est pas particulièrement dangereux - la plupart du temps. Ce n'est qu'une caresse chaude qui avale sa peau. Un contact agréable, quand il fait froid. Agaçant en été, sans plus.
– T'as pensé à prendre ta brosse à dent ? Sora demande.
Ah. Il le savait bien, qu'il oubliait quelque chose.
Dix minutes plus tard, la brosse est dans le sac, et ils attendent allongé sur le maigre lit qui lui aura servi pendant deux ans. Deux longues années d'études qu'il n'a pas encore clôturées. Il en reste une dernière, mais ça, il a trois mois pour l'oublier. Quatre. Les vacances sont si longues, à la fac. Interminables. Peut-être qu'avec Sora, elles passeront plus vite.
Plus vite que les repas de famille chez ses grands-parents, en tout cas.
– Ton père récupère le reste quand ?
– Aucune idée.
– Il t'a pas dit ?
– Si. Sûrement.
Entre deux sermons qu'il n'aura pas retenu. Son père n'a pas eu le fils qu'il espérait, et si Riku sent bien qu'il essaie de faire des efforts, il n'en reste pas moins que les espoirs déçus de cet homme sont un fardeau constant. Il partait bien, pourtant. Bon élève, appliqué, studieux. Il était certes arrogant dans sa jeunesse, mais il s'est assagi au lycée. Sa combativité s'est elle aussi tassée, et c'est sans doute ce qui a déçu l'ex militaire qui l'a élevé. Ça, et la découverte de ses petits amis.
Oh. Pas qu'il lui ait explicitement reproché son homosexualité. Il ne l'a pas mis à la porte, non. Sa déception mal cachée s'en est chargée pour lui.
Riku déglutit. Il est mauvaise langue. Mais la maison qui l'a vu grandir est devenue un cocon moite et grinçant. Oubliée, la terre tranquille, la sécurité. Les bols de chocolats chauds devant un bon dessin animé. Alors cet été, il ne rentre pas.
Et il a beau expliquer à son géniteur que Sora n'est qu'un ami, l'homme n'en reste pas moins méfiant vis-à-vis de son choix. Dommage. Pour une fois que c'est vrai.
Fais comme tu veux, il lui répondu, quand Riku lui a annoncé qu'il comptait déménager avec son pote. Mais il l'a bien vu qu'il baissait les yeux. Des yeux aussi bleus que les siens, pleins d'un calme sévère. Résignés.
– Ça va être cool, Sora déclare.
– Sans doute.
La chaleur épuisante de la fin de mai les abrutit. Les chambres étudiants sont d'horribles four à pain. Au moins, au manoir, il fera plus frais. Riku ne dormira plus dans une pièce tassée sur ses neuf mètres carrés. Il suppose. C'est la première fois qu'il découvre l'endroit où son ami vit, mais il se rappelle des nombreuses descriptions qu'il lui a faites. Des souvenirs qui dorment dans ses récits. De vieux murs, du jardin envahi de plantes, une allée aux pierres inégales. Kairi. Les autres habitants, aussi, dont son crétin de jumeau.
Il a envie de découvrir tout ça. Même si ça lui fait peur.
C'est quand même un manoir de vampire.
– Juste, faudra vite qu'on fasse le pacte, les autres risquent de vouloir se faire un casse-croûte sinon.
Riku tique.
– Pardon ?
– Non mais t'en fais pas. Jamais on touche aux familiers des autres normalement. Mais y a des gens qui sont pas contre une petite exception à l'occasion.
– C'est-à-dire ?
– T'inquiète.
Sérieusement ?
Riku soupire. Comment peut-il lui balancer ça et lui demander de ne pas s'inquiéter ? C'est tout sauf rassurant. Il n'a pas envie de finir avec une paire de crocs inconnus enfoncée au creux du cou. Sora lui a promis qu'il ne risquait rien, mais rien, pour lui, ça n'a pas toujours le même sens que pour le reste de l'humanité. Enfin, l'humanité.
Allez, il se prend trop la tête. Le brun n'est pas toujours fut fut, mais il ne l'enverrait pas droit au casse pipe.
– Je risque quoi ?
– Rien. Aqua s'occupera du pacte ce week-end, de toute façon.
Dans trois jours, donc.
– Et entre temps ?
– Entre temps personne devrait te toucher. Ce serait grave mal vu.
S'il le dit. Riku ne connaît rien des coutumes vampiriques. Des vampires de manière générale, même. Il ne peut qu'imaginer cette étrange famille qu'il s'apprête à rencontrer, en chassant loin de lui les idées que les films et les jeux vidéo ont forgées. Est-ce qu'il a d'autres choix que de lui faire confiance ? Non. Alors pas la peine de se prendre la tête.
Sa nuque s'enfonce dans la surface molle du matelas où il ne dormira plus jamais.
Ça va lui manquer. Pas la fac, puisqu'il y retourne à la rentrée. Mais cet espace exigu qu'il a maudit mille fois, cette unique fenêtre impossible à ouvrir, ce lit qu'il faut descendre et remonter à longueur de journée. Le ventilateur en équilibre sur son étagère, entre deux paquets de chips. Les livres entassés sur le micro-onde, et le vis à vis sur l'immeuble d'en face. Même les bruits irritants sortis de la chambre d'à côté lui manqueront.
Enfin. Tout dépend des bruits.
Est-ce que ce sera pareil au manoir ? Comme une immense collocation pleine de créatures nocturnes qui rasent les murs, planqués dans l'ombre d'un couloir ? De ce qu'il en a vu - avec Sora - les vampires ressemblent plus à d'éternels ados toujours fourrés sur leur portable, qui errent dans les sous-sol de la fac pour éviter la lumière.
– Eh ?
– Quoi ?
– Tu sais comment on appelle un noir qui étudie les pierres ?
Sérieusement ?
– Un géologue.
– Merde. J'te l'ai déjà faite ?
– Oui.
Et il s'est creusé la tête longtemps, la première fois.
– Zut. C'est Demyx qui y a pas encore eu droit, alors.
Possible. Il ne peut pas dire, puisqu'il n'a jamais rencontré Demyx. Ce soir, peut-être.
Ce soir. Il a hâte. Il appréhende.
Tourné vers Sora, il observe son grand sourire simplet. Ces dents blanches qui cachent une intelligence mesquine. Un visage trop jeune pour les années qu'il abrite. Lui, il a déjà rendu sa chambre. Ses affaires sont prêtes.
Il ne reste plus qu'à attendre.
Dans deux heures, le cul posé sur une banquette luxueuse, ils quitteront définitivement la résidence étudiante.
xoxoxox
Sora l'avait prévenu. Ça n'en reste pas moins impressionnant.
Saïx n'est pas juste grand. Il est dur. Costaud, carré, un visage ferme qui révèle un caractère peu commode. Pas méchant pour autant, mais Riku sait qu'il n'en fera pas un ami. Il se souvient de toutes les fois où son pote s'est plaint des histoires foireuses de cet homme et d'un dénommé Axel. Ces anecdotes qu'il n'a jamais vraiment écoutées.
Elles ont un visage, maintenant. Un visage qui lui donne envie de se ramasser sur lui-même.
Tout stoïque que Saïx soit, la perplexité irritée qui le traverse ne lui échappe pas. Il voit son sourcil bouger, ses bras durement croisés contre son torse et son regard sec planté sur un Sora débordant de joie.
– C'est une blague ? l'homme demande.
Et juste au ton qu'il emploie, Riku est heureux de ne pas être le destinataire de cette question.
– Du tout.
– J'aurai préféré.
Bien. Il y a un problème. Le vampire ne l'a pas clairement énoncé, mais c'est bien ce que ça veut dire, non ? Sa trogne plissée et sa réponse, ça pue. Sora ne lui a peut-être pas dit que l'invité qu'il ramenait était humain ? Non. Si ? Il n'aurait pas osé, quand même. Parce que ça le met dans une sacrée panade. Riku n'a plus que deux jours pour profiter de sa chambre étudiante, et il n'a pas le moins du monde envie de retourner chez son père, là.
Merde.
– T'inquiète, je vais gérer.
– J'en doute.
Le colosse inspire un grand coup. Dans la main du gris, la poignée de sa valise glisse. Il réalise qu'il a la paume moite.
Une paire d'yeux jaune intraitable le jauge.
– Mais c'est ton problème.
Bien. C'est bien ça, non ? Ça veut dire qu'il est ok, et qu'il le laisse monter dans la voiture ? Il ne va pas l'abandonner là ?
– Et y a pas de problème, alors tout va bien, Sora assure en traînant le bagage qu'il a pris vers le coffre. On y va ?
– Ne viens pas te plaindre si ça tourne mal.
– On passe le pacte Samedi, ça ira.
C'est au tour du joyeux pinson de subir le regard de son interlocuteur. Si froids, ses yeux. Des stalactites qui cherchent une prise sous sa peau. Comme deux lames qui s'enfoncent là, loin. Qui pénètrent son âme.
Mais cette de Sora est bien gardée - ou alors, il n'en a pas - parce qu'il s'approche tout sourire.
– J'espère pour toi, Saïx lâche.
Riku, lui, espère surtout que leur projet n'est pas compromis, parce qu'il n'a pas de plan B. C'est typiquement le genre de son ami, de foncer tête baissée sans anticiper la casse. Même quand la casse, c'est aux autres de l'encaisser à sa place.
Ils s'observent en silence. C'est comme une longue conversation, les mots en moins. Est-ce que les vampires ont des capacités télépathiques, du genre de celles qu'on voit dans les films ?S'ils savent lire dans les pensées l'un de l'autre, est-ce que ça veut dire que Sora peut fouiller dans les siennes ? Quand même pas. Il le lui aurait dit, hein ? Il n'en profiterait pas en douce ? Il est mesquin, mais quand même.
Les deux autres se détournent, et Riku secoue la tête. il faut qu'il arrête de se faire des idées, vraiment. Il va finir avec de sérieux problèmes de cœurs, à toujours s'inquiéter pour rien.
– Montez.
Est-ce un ordre ? Une invitation ? Dans la bouche de ce type, les deux passent. Possible qu'il ne fasse lui-même pas la différence. Les deux garçons obtempèrent sans chercher de réponse, et bientôt, la voiture démarre. Elle enfonce dans la rue, et c'est à peine si Riku voit disparaître la cité universitaire et les deux ans de sa vie qu'il y laisse.
C'est fini. Fini pour de vrai. C'est étrange comme il le sent, au plus profond de lui, alors même qu'il sait qu'il lui faudra revenir à la rentrée. Peut-être. Il pourrait aussi bien prendre un appartement ? Il en discutera avec son père, plus tard.
Le trajet se poursuit, percé de répliques brèves qu'il échange avec Sora.
– C'est cool quand même, la ville de nuit.
– Mm.
La présence de Saïx le perturbe. Il réduit ses réponses au peu de mots nécessaires, tout en surveillant le rétroviseur. Jusqu'à ce que son regard tombe sur le sien. Pas le temps de scruter plus longtemps la cicatrice qui lui barre le visage, il s'en retourne admirer ses baskets. N'empêche, il se demande… Comment est-ce qu'il s'est fait ça ? C'est inquiétant, ce truc sur sa face. Une ligne boursouflée qui s'étale de ses tempes jusqu'aux limites de son nez. Un autre vampire l'aurait attaqué ? Pourquoi ? Et en tant que vampire, il censé mieux cicatriser que les humains, non ? Peut-être pas. Il n'a pas abordé le sujet avec Sora.
Possible qu'il se plante, aussi. Que Saïx ait été blessé durant sa vie d'humain. Quand a-t-il été transformé ? Est-ce que ça fait longtemps ? Dix ans, plus ? Des siècles ? C'est indiscret, de demander ?
Remarque, ce n'est pas comme s'il allait oser lui poser la question.
Et lui ? Il gagne quoi, avec son statut de familier ? En dehors d'un logement gratuit et de la bouffe offerte ? Il aurait dû poser plus de questions à Sora. Chasser la nébuleuse qui plane autour de ce mot, les films qu'il se fait et qui, sans aucun doute, sont loin de la vérité. Chaque question qu'il se pose lui renvoie l'étendue de son ignorance. Mais ces mêmes questions lui entravent la gorge chaque fois qu'il s'efforce de les poser.
Il relève les yeux, et il croise encore ce regard métallique. Saïx l'observe ? Est-ce qu'il se pose des questions, lui aussi ? Il n'a pas l'air content. Mais à voir sa tête, il ne doit pas souvent l'être.
C'est méchant. Heureusement qu'il ne l'a pas dit à voix haute.
N'empêche, il a l'impression que sa présence l'agace. Il voudrait croire qu'il se fait des idées - ou que Saïx donne ce sentiment à tous les gens qu'il croise. La vérité, c'est qu'il n'est pas arrivé qu'il se sent déjà de trop.
C'est souvent comme ça. Riku a toujours eu du mal à trouver sa place au milieu des autres. Et il ne pense pas que ce sera plus simple au manoir. Il espère, seulement, que la vie entre ces murs sera moins infernale, et qu'il n'aura pas à s'inquiéter du loyer à payer s'il cesse de répondre aux messages de son père.
D'y penser, il regarde son téléphone. Un voyant vert clignote.
[ 20h 42 :
Le déménagement s'est bien passé ?]
Pas de bonjour. Au moins, il sait que le message vient de son paternel.
[ 20h 45 :
Oui. ]
Il jette un coup d'œil vers la fenêtre. Manière d'éviter le regard inquiet de Sora. Il comprend toujours, quand il reçoit des messages qu'il n'aime pas. Le problème, c'est que derrière, il insiste pour grappiller les informations qu'on refuse de lui donner. Il n'est pas méchant, mais...
Oui, chiant, c'est un mot qu'il peut parfois lui attribuer. Même s'il l'aime beaucoup. Sora, pas le mot.
[ 20h 46 :
Bien.
Je passerai récupérer le reste des affaires vendredi soir. ]
S'il veut. Il a le double des clefs, il s'arrange comme bon lui semble. De toute façon, il ne reste qu'un tas de bouquins qui ne l'intéresse plus, quelques fringues usées et les draps dont il n'a pas besoin. Ça, et la vaisselle. Et de la vaisselle, il y en aura au manoir.
Quoique, les vampires ne mangent pas dans une assiette. Est-ce qu'ils…
Merde. Il recommence.
Riku plonge son téléphone dans sa poche, sans répondre. Il laisse sa main traîner sur la banquette de la voiture. Celle de Sora s'installe tout contre. Ses doigts glissent entre les siens comme de petits animaux chaleureux.
Il sourit, un peu.
Allez. Il va passer de chouettes vacances. Et s'il se plaît, il pourra rester plus longtemps. Pour le reste de ses études. Les années à venir.
Alors il serre sa paume, et il regarde les enseignes qui défilent indéfiniment par la fenêtre.
xoxoxox
– Ton frère rentre ce soir.
– J'sais.
– Tu ne vas pas l'accueillir ?
– J'descendrai quand il sera là.
Sa langue claque contre son palais. Assis sur le rebord de la fenêtre, il abandonne son regard sur le paysage immobile. La nuit rampe sur le sol, contre l'herbe bleue qui enrobe l'allée. Les fleurs que Marluxia cultive patiemment se sont refermées.
Il irait bien les arracher. Juste pour retrouver cet air consterné qui abîme son visage délicat. Cette irritation qui va, grandissante, chaque fois qu'il va faire des siennes dans la serre.
Mais là, l'idée est fade. Du déjà vu, pas assez distrayant. Peut mieux faire.
– Il ramène quelqu'un.
Aqua n'a pas compris qu'elle l'emmerdait ?
– On m'a dit.
– Un ami de la fac.
– T'es venu m'apporter tous les ragots du manoir ou t'as un truc intéressant à raconter, pour une fois ?
Il l'entend qui soupire. Pas blessée - enfin, pas vraiment. Il sent comme ça la saoul, quand il répond comme ça. Quand elle essaie d'être gentille et qu'il l'envoie chier. Mais il n'a pas besoin de cette pseudo gentillesse qu'elle témoigne pour se donner bonne conscience. La seule bonne action qu'elle aurait pu faire à son égard, elle l'a ratée, il y a des années.
Et il ne la laissera jamais l'oublier.
Faute de l'apercevoir dans le reflet de la vitre, il l'entend qui s'éloigne dans le couloir. Son pas disparaît. Pour autant, il n'est pas satisfait.
Dehors, la nuit approche. Un vent vrai qu'il ne peut pas sentir fait plier la nature. Les arbres meurent dans l'ombre du ciel, leur silhouette sombre fondue au milieu des étoiles. Un vide absolu entoure le peu de lumière qu'il aperçoit. Et puis, soudain, deux pointes claires percent le voile qu'il contemple. Deux phares.
La bagnole de Saïx. Elle s'avance. S'arrête. Les portes s'ouvrent. Sora est là, donc. Et quel mauvais frère il ferait, s'il ne se levait pas pour aller l'accueillir ? Il déplie ses jambes, observe vaguement les silhouettes qui s'agitent autour du véhicule.
Et il le voit. L'autre.
Un sourire tordu éclaire sa face.
Il se redresse d'un coup.
xoxoxox
Les valises, le grand bonhomme qui les a conduits jusqu'ici a dit qu'il s'en occupait. Par excès de politesse ou pour en vérifier le contenu ? Riku ne sait pas. N'est, comme bien souvent, pas sûr de vouloir savoir. Il le laisse les devancer sans rien dire, se contente de traîner son sac sur son épaule. Derrière lui, Sora s'avance d'un pas joyeux vers le manoir. Et quel manoir.
Ok. Il ne lui mentait pas, quand il affirmait que c'était grand.
Face à lui, le manoir se dresse comme une montagne au milieu d'une route. Dévorée par le lierre, la façade de pierre le surplombe de tout son poids. Il lui semble qu'elle l'observe, mais c'est sûrement son esprit qui lui joue des tours. A moins qu'il n'y ait une sorte de gobelin magique enfermé entre ces murs, qui anime la bâtisse ? Non. Il a lu trop de fantasy. Et puis, Sora lui en aurait parlé. Quitte à évoquer son statut de vampire, autant tout déballer.
Remarque, peut-être qu'il lui en a parlé alors qu'il ne l'écoutait pas.
N'empêche qu'il voit nettement un des rideaux s'agiter à l'étage. Il y a quelqu'un qui les observe depuis là-haut ? Est-ce qu'ils sont attendus ? Surement qu'on a annoncé sa venue aux autres habitants. Il vaut mieux, quand un repas sur patte s'apprête à entrer chez ses prédateurs.
– T'es prêt ? Sora lance, pétillant.
Non, Riku a envie de dire. Il n'aime pas le monde, ni l'attention. Mais il n'a pas le choix. Enfin, il ne l'a plus.
– T'inquiète, il reprend. Ils vont pas se jeter sur toi pour te bouffer.
Encore heureux.
– T'es pas le seul humain ici de toute façon. On a pas mal de garde manger dans le coin, et aucun cadavre à déclarer. Pour l'instant.
Il faut une première fois à tout, comme on dit. Riku espère seulement qu'il ne viendra pas confirmer le dicton.
– Je te fais confiance.
– Cool !
Est-ce qu'il fait bien ? Sora est du genre tête en l'air, mais il n'irait pas jusqu'à le planter, hein ? Non. Là dessus, il pense le connaître assez pour affirmer que ça ne lui ressemble pas. Les erreurs, chez lui, sont toujours involontaires. Il est maladroit, mais pas mauvais.
Même s'il survit en avalant le sang des humains.
La porte s'ouvre et, puisqu'il n'a plus le choix, Riku s'avance.
Sous ses pieds, il reconnaît le contacte ferme d'un parquet ancien usé par le temps. Une couleur de nuage d'orage, où plane la lumière confortable d'un lustre suspendu. Il y a le bois lustré d'une rampe qui disparaît à l'étage, celui, sombre, des meubles qui attendent dans l'entrée. Les tissus veloutés qui pendent aux fenêtres, et ceux qui recouvrent les tables, plus légers. Aux murs, les tableaux honorent des visages qui lui sont inconnus. Œuvres coûteuses ou portrait des habitants du lieu ? Bonne question. Les deux, possiblement.
Mais ce n'est pas le décor qui interpelle le plus Riku, non. Ce sont les gens qui l'habitent.
– Salut !
Ce sont autant de mots qui, brusquement, répondent à ceux de Sora. Autant de regards qui, s'attardant à peine sur le chien de garde, se plantent soudain sur lui.
D'accord. Sa venue était annoncée. Attendue. Mais l'expression qui passe sur les visages lui est inaccessible.
– Mm. Bonjour, il tente.
Il est le centre du monde, et ça n'a rien d'agréable.
– Sora !
De la petite assemblée qui zone dans le coin, un grand blond déglingué s'élance et vient passer un bras autour des épaules de son ami. Tout se joue si vite, c'est à peine s'il comprend. Soudain le type est là, un large sourire sur la face.
Il l'a à peine vu s'approcher.
– Ça y est, tu t'es lassé d'la fac ?
– Pas encore, Sora répond, un rire dans la gorge. Je reviens juste pour les vacances.
– Oh, nul.
Le petit brun se dégage avant de pointer son index vers celui qui l'accompagne. A savoir, Riku.
Bien. Le moment des présentations est arrivé.
– Dem, je te présente Riku. Riku, Demyx. T'auras une tête à mettre sur son nom, maintenant.
– Oh ! C'est vrai alors, tu t'es trouvé un humain domestique ? Cool ! Tu vas voir, c'est cool de pas avoir à chasser.
– C'est surtout un pote, en fait.
– Ah. Ouais. C'est bien aussi. Genre, d'avoir des amis humains et tout, ça se fait de plus en plus.
Riku ne sait pas quoi penser de ce qu'il entend, alors il se contente de saisir la main franche que Demyx lui tend.
Elle est plus légère que ce à quoi il s'attendait. Les vampires sont censés avoir une force surnaturelle, non ? Est-ce qu'il se retient ?
– Enchanté, bonhomme !
– De même.
– Du coup comme So' a dit, moi c'est Demyx ! Mais tu peux dire Dem, ça suffit. Ta vie est trop courte pour t'emmerder avec la dernière syllabe.
Ah. Bien.
– Ça marche.
Le joyeux luron va pour ajouter quelque chose, mais il plisse soudain les yeux. Sa bouche forme une drôle d'expression alors qu'il le zieute de haut en bas, claque sa langue sur son palais et effectue un étrange mouvement du poignet. Riku peut presque voir les neurones s'agiter dans sa tête, sans deviner le fond de sa pensée.
– Laisse-le tranquille, Demyx.
Il sursaute. Un timbre clair comme l'eau de pluie.
– Mais j'ai encore rien fait !
– Justement. J'anticipe.
– T'es pas drôle.
Une jeune femme aux cheveux trop bleus pour être naturels s'approche d'eux. Habillée d'une robe simple aux bretelles discrètes, elle porte sur elle la légèreté de l'été. La main qu'elle lui rend, plus fine que celle de Demyx, n'en reste pas moins décidée.
Sur sa peau pâle, le rouge vif de ses lèvres jure.
– Bienvenu parmi nous, Riku.
Elle le regarde intensément. C'est plus fort que lui, il doit baisser les yeux. S'il s'attarde trop, il pourrait s'y perdre.
– Je m'appelle Aqua. Pas de diminutif pour moi.
– Enchanté, Aqua.
Mesurée, son timbre. Comme si elle pesait le poids de ses mots. Elle est accueillante, mais il sent toute la maîtrise qu'elle applique au moindre de ses gestes. Sûrement qu'ils le font tous. Si elle serrait sa paluche aussi fort qu'elle le pouvait, il ne doute pas qu'elle pourrait lui briser tous les os de la main.
– Nous sommes ravis de t'accueillir.
Parce qu'il leur manquait un repas ?
– Tout le plaisir est pour moi.
– Sens-toi libre de rester aussi longtemps que tu voudras. Il y a toujours de la place, ici.
Sûrement, vu la taille de l'endroit. Même s'il est loin d'être vide. Derrière Aqua, Riku repère une tignasse blonde juchée sur un corps aux proportions dignes des mannequins retouchés qui peuplent les pubs. La clope au bec, la demoiselle l'observe sans plus de curiosité. Il y a deux grands roux qui lui font signe, un petit bonhomme perdu sous sa mèche et une curieuse jeune fille tout de blanc vêtue, un sourire énigmatique planté sur sa bouche. Une autre, cachée dans un long manteau, affiche une chevelure noire pleine de reflets. Elles ont les mêmes yeux bleus, semblables aux iris de l'homme qui se tient derrière eux, dont les épaules nettement sculptées disparaissent sous une masse de boucles roses.
Et ce ne sont pas les seules personnes qui attendent ici. Certaines s'en vont déjà, leur curiosité enfin rassasiée. D'autres le fixent. Les regards s'abaissent comme les murmures montent. Il ne sait pas ce qui se dit à son sujet, mais ça parle.
Est-ce que ces gens le prennent pour le petit ami de Sora ? Pas impossible. De l'avis de leurs camarades de fac, c'est l'impression qu'ils donnent parfois. Riku n'aurait pas craché là-dessus. Au début, tout du moins. Mais il a dû se faire une raison. Son ami n'est pas de ce bord. Et quand bien même, il n'a que Kairi en tête.
Kairi qu'il n'aperçoit pas. Possible qu'elle ne soit pas encore ici. Ça le rassure.
– La chambre est prête.
Saix les interrompt sans aucune gêne. Il est toujours aussi peu accueillant et Riku réalise, pour la première fois, qu'il ne lui adresse jamais directement la parole. Mais personne ne s'en inquiète. Sûrement qu'il est tout le temps comme ça.
– Sois pas rabat joie, laisse-le nous encore un peu, s'exclame un des rouquins.
– Il a fait un long trajet. Et contrairement à vous, il a besoin de dormir.
En silence, Riku remercie Aqua pour son intervention. Il n'est pas fatigué, mais toutes ces présences, ces mirettes indiscrètes et méfiantes, ça lui pèse. Il ne se sent pas de faire les présentations tour à tour. Pas ce soir.
Malgré tout ce que Sora lui a dit, il se sent comme un steak au milieu d'une assiette, elle-même au milieu d'une table.
– Je vais te montrer ta chambre. Si ça te convient.
– Je veux bien.
– J'vous suis, Sora s'exclame.
Comme s'ils partageaient tous une unique et même pensée, les vampires s'éloignent alors. Certains restent dans le coin, observent le petit groupe qui avance. Riku attrape des murmures qu'il ne comprend pas. Des mots prononcés trop bas. Il voit la petite blonde griffonner tout en l'observant à la dérobée, alors que l'autre demoiselle zieute par-dessus son épaule. Est-ce qu'elle le dessine ? Allez savoir.
– T'en fais pas pour les autres ! Ils se sont attroupés par curiosité, mais ils sont pas dangereux. C'est juste que ça manque un peu d'animation, dans le coin.
Sora passe son bras autour de ses épaules.
Il est habitué, et pourtant, la froideur de sa peau le surprend encore.
– Je te fais confiance.
– Je ne sais pas si tu fais bien.
Le rire d'Aqua ne lui échappe pas.
– Mais il a raison. Nous avons des règles, ici. Personne ne touchera à toi.
– Vraiment ?
Est-ce impoli de remettre sa parole en question ? En tout cas, elle ne s'offusque pas. Elle est habituée, il suppose.
– Oui. Je ne dis pas que l'envie leur manquera, elle ajoute. Mais il y a des comportements que nous n'autorisons pas.
Il devrait poser plus de questions sur ces fameuses règles. Mais c'est toujours plus simple d'accepter tête baissée ce qu'il ne pourra de toute façon pas changer.
Une marche d'escalier, et puis une autre. Il est presque arrivé en haut, quand un bruit de pas l'interpelle. Quelqu'un marche dans leur direction.
Quelqu'un qui s'arrête soudain, à l'autre bout du couloir.
Un autre Sora.
Non. A bien y regarder, ce type ne ressemble pas tant à Sora. Enfin, si. Dans la forme. Il a la même tignasse qui rebique, un visage tout aussi rond, et il n'atteint sans doute pas le mètre soixante-dix. Des épaules marquées, un nez fin. Mais sur sa tête, c'est un charbon noir qui se dresse. Ses mirettes sont d'un miel plus épais que les yeux de Saïx, et l'expression qui déforme son visage ne ressemble en rien à celles qu'il a déjà vues chez Sora. Non, définitivement, ce type n'est pas son pote.
Mais.
– Eh, Van !
Van. Vanitas. Son jumeau.
– Tiens. Tu t'es décidé à sortir ?
Le timbre d'Aqua a perdu sa douceur. Il la sent sur ses gardes. Elle est là, posée entre eux, comme une barrière. Riku ne comprend pas ce qui se passe. Mais il sait qu'il se passe quelque chose. C'est là, dans l'air, comme un courant qui circule. Il le sent.
Contre le sourire niais de son frère et le visage fermé de la vampiresse, le garçon oppose un rictus fracassé.
– On dirait.
Cette voix.
– Comment on dit, déjà ? Y a que les idiots qui changent pas d'avis ?
Elle le transperce.
– Ce serait dommage de rater le coche. Pour une fois qu'il se passe quelque chose.
Elle s'enfonce dans sa tête, dans son corps, l'écartèle. Il pourrait tomber à genoux pour elle, s'allonger là sur le sol comme un nouveau-né sans force et pleurer indéfiniment. S'aplatir dans une longue prière.
– Et puis, c'est la première fois que Sora ramène quelqu'un. J'allais pas rater ça, hein ?
Ce dernier mot, appuyé.
– Alors, So' ? Qu'est-ce que tu nous apportes ?
Et ces deux disques d'or qui l'enlacent. Dans sa main moite, Riku ne sent pas celle de Sora qui se glisse. Parce que soudain il n'y a plus Sora, plus Aqua, dont il n'entend pas la réponse. Il n'y a plus personne parce qu'il n'y a plus qu'une seule personne, qu'un seul nom sur ses lèvres qui ne bougent pas.
Il n'y a plus que Vanitas, posté devant lui, qui laisse voir toute une rangée de dents blanches.
La conversation lui parvient de loin. Un magma de bruit.
Il inspire. Expire. Cherche l'air qui n'existe plus. Le sol lui échappe. Ou bien se sont ses jambes. Ses jambes qui ne tiennent plus. Il recule. Il croit. Ou il titube. Il ne tombe pas, mais le bras passé autour de ses épaules aide. Sans doute.
– Eh.
Son épaule, secouée.
– Riku ? T'es toujours avec nous ?
Les phrases ont à nouveau un sens. Il croit. Il lui semble qu'il comprend, là alors que Sora lui parle. Que ses phrases trouvent le chemin de son cerveau.
– Riri ?
– C'est bon, il répond.
– Tout ça pour ça.
Si les mots de Vanitas le touchent, son rire est un tremblement de terre. Un tremblement froid qui réveille les pires hivers.
– Il est pas bien dégourdi, ton repas.
– Vanitas.
Son nom, dans la bouche d'Aqua, sonne comme une langue étrangère. Il la voit qui adresse un geste au noiraud. Quoi que ça veuille dire, ça a le mérite de le calmer.
– Tu peux retourner dans ta chambre.
– Dans ma chambre ? J'suis plus vieux que toi, te prends pas pour ma mère.
– Tu m'as comprise.
Un ricanement sec qui s'égrène comme un morceau de pain qu'on émiette. Riku devrait sans doute dire quelque chose. Il suppose ? Il devrait se présenter, au moins. Dire qu'il est enchanté, ou quelque chose comme ça.
Mais Vanitas le regarde, et les mots meurent. Il n'a plus de langue maternelle.
– Désolé, Riku. Je serais ravi de faire connaissance, mais comme tu peux le voir, je suis pas le bienvenu ici.
Il va partir.
– Quel dommage.
Il doit lui parler.
– Au plaisir de te revoir, dans de meilleures circonstances.
Mais son corps ne bouge pas. Même ses lèvres restent immobiles, alors que Vanitas s'éloigne. Il n'y a que ses yeux pour rouler, observer ce garçon qui s'éloigne doucement de lui, disparaît dans le couloir. Que son cœur pour se serrer atrocement. Une supplique que personne n'entend.
Reviens.
Sa prière silencieuse n'est pas exaucée. Il ne reste qu'eux trois, perdus dans le couloir.
Pour la première fois, il remarque la main de Sora dans la sienne.
Il déglutit.
– Désolé. C'est Van, il est toujours un peu...
Il existe sans doute un terme pour conclure cette phrase. Mais personne ne le trouve, alors il flotte là, invisible.
Le sourire d'Aqua regagne sa douceur. Ou alors, c'est autre chose. Un sentiment bien plus vieux qu'il ne peut pas comprendre.
– Allez. Ta chambre n'est pas loin.
Sa chambre, oui. Il la suit sans se poser de questions, assaillit pas une fatigue qui ne soupçonnait jusqu'alors pas. Un vide immense qui le laisse amorphe sur le lit où il se laisse tomber.
Qu'est-ce qu'il vient de se passer ?
Et voilà ! Un chapitre de plus. Et un beau. Ils seront pas tous aussi longs (normalement, j'essaie de rester entre 3 et 4k mots), mais il faut bien quelques exceptions.
Aussi, rendons à César ce qui est à César, j'ai trouvé la blague sur le géologue dans le bouquin Les optimistes de Rebecca Makkai. (Un des personnages pose la question à ses postes, et la réponse exacte est Un géologue, bande de racistes.)
(Lisez-le, il est bien)
A la semaine prochaine !
