Plop bonsoiiiir !
Chapitre 2, enjoy !
Disclaimer : Tout appartient à Tolkien et Peter Jackson.
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CHAPITRE 2
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Frérin se retrouve devant la porte ronde, d'un beau jaune jonquille, sans oser frapper. La main levée, prête à s'abattre sur le bois, il hésite, le cœur battant à tout rompre. Il veut revoir Belladone, tout son corps n'aspire plus qu'à ces retrouvailles tant attendues. Mais son esprit raisonnable a eu le temps du voyage pour lui souffler qu'il fait une énorme erreur, qu'il ne saura pas repartir ensuite. Il craint de commettre un impair qui ferait comprendre à la Hobbite qu'il l'aime - bien qu'elle ne devinera jamais à quel point - que cela briserait leur amitié. Il ne pourrait pas le supporter, il en mourrait !
Il finit par prendre une profonde inspiration et toque trois fois. Les secondes s'allongent pour paraître d'intenables minutes quand, enfin, la porte s'ouvre. Un Hobbit aux cheveux noirs, agréablement rondouillet et aux yeux vifs, le dévisage brièvement.
― Frérin, pour vous servir, se présente-t-il en s'inclinant. Veuillez m'excuser de me présenter ainsi sans prévenir, je…
Il n'a pas le temps de terminer sa phrase que Belladone surgit derrière son mari. Ses yeux s'illuminent, sa bouche s'étire en un sourire franc ; Frérin cesse de respirer. Son cœur s'apaise et ses propres lèvres s'étirent en un véritable sourire chaleureux, pour la première fois depuis des mois. Le lien de mithril libère sa poitrine et il prend une inspiration puissante. Une de ses mains serre discrètement sa tunique pour s'ancrer à quelque chose. Il a même l'impression de tanguer légèrement, ivre de bonheur et libéré d'un immense poids.
― Belladone, vous resplendissez encore plus que dans mes souvenirs.
― Vil nain flatteur, vous ne vous ferez pas pardonner avec vos belles paroles !
La réponse vive et malicieuse le fait rire légèrement, avant que Bungon ne s'écarte pour le laisser entrer. Son regard s'est assombri, alors qu'il semble jauger la relation que le blond entretient avec la Hobbite.
Frérin se demande si sa réaction à la vue de Belladone a été si perceptible, alors qu'il dégrafe sa cape de voyage. Son Unique la lui prend des mains pour la poser sur le porte-manteau, sautillant presque sous sa joie.
― Vous auriez dû me dire que vous passeriez, surtout que vous avez dû planifier votre voyage.
― En vérité, Thorïn me fera payer ma fugue à mon retour, mais je tenais à vous féliciter en personne.
Un rire gêné lui échappe. Il ne peut pas lui dire qu'il est venu pour voir de lui-même Bilbon, pour sceller définitivement le moindre espoir qu'il aurait pu avoir. Ni même que son absence et son éloignement l'ont fait souffrir pendant des mois.
Elle lève les yeux au ciel, se retenant visiblement de le réprimander en personne. Ses boucles sombres captent les rayons du soleil traversant les carreaux, pour resplendir de mille feux, alors que ses yeux d'encre brillent d'un amusement mal dissimulé. Frérin doit serrer le poing jusqu'à sentir ses ongles à travers ses mitaines pour retenir son bras et ne pas l'enlacer contre lui. Soudain, il regrette d'être venu, car la moindre parcelle de son corps le pousse vers son Unique. Il se fait violence pour résister à ses instincts, essayant de paraître le plus normal possible.
Le regard de Bungon ne le quitte pas un seul instant tandis que sa femme prépare le thé, rendant le blond particulièrement nerveux. La discussion a beau être innocente et tournant autour du bout de chou qui dort, le nain ne peut s'empêcher de se tortiller sur sa chaise, comme un enfant pris en faute.
Lorsque Belladone s'éclipse pour préparer le repas et Bungon pour vérifier que son fils va bien, le blond sort dans le jardin du couple. Il prend sa pipe et de l'herbe à fumer de ses poches d'une main tremblante, avant de s'asseoir sur le petit banc présent entre deux allées du potager. Il essuie du revers de sa manche la sueur qui a coulé dans sa nuque durant toute l'après-midi, avant de remplir le fourneau. Ses doigts fébriles cherchent son paquet d'allumettes, quand une main apparaît soudain devant lui pour lui en tendre.
Il sursaute violemment, se retournant à demi pour apercevoir le visage impassible du mari de son Unique. Un frisson d'appréhension parcourt sa colonne vertébrale, avant qu'il ne le remercie d'un signe de tête. Il allume sa pipe en détournant le regard, se concentrant sur le potager fructueux en face de lui.
― Vous l'aimez, n'est-ce pas ?
Frérin inhale brutalement la fumée à la question aux airs d'affirmation. Il tousse bruyamment, mettant son coude devant sa bouche alors que ses poumons lui brûlent. Il jette ensuite un regard horrifié vers le Hobbit, qui hausse un sourcil.
Puis Bungon s'installe à ses côtés, allumant sa propre pipe tandis que le nain reprend difficilement son souffle. Ainsi, il a été trop limpide… Belladone a-t-elle compris ? Et pourquoi son époux ne réagit-il pas plus violemment ? Le blond est amoureux de sa femme, un nain tuerait pour moins que ça !
― Bella ne le sait pas, si ça peut vous rassurer. Ou alors, elle fait très bien semblant, j'hésite, la connaissant.
Frérin lâche un triste rire incrédule, la voix encore rauque de la fumée qu'il a avalée. Il ne comprend absolument pas ce qu'il se passe. Le mari de son Unique n'est tout de même pas en train de le pousser à lui parler de ses sentiments, tout en le rassurant ?
― C'est tout ce que ça vous fait ?! lâche-t-il avec incrédulité.
Le Hobbit prend une bouffée de fumée en silence, observant le ciel au loin se teinter d'une délicate couleur orangée. Le nain ne sait plus où se mettre et mordille le bois de sa pipe, alors qu'il attend sa réponse.
― Non. Je compatis et je vous en suis reconnaissant. Vous saviez qu'elle m'aimait, alors vous n'avez même pas lutté.
Frérin veut hurler que ce n'est pas pour lui qu'il a fui, mais pour Belladone. Elle ne saurait que faire de son amour démesuré, et si cela s'apprend… Oh Mahal, il ne souhaite même pas y penser.
Au regard soucieux de Bungon, le blond comprend que ses émotions se sont affichées sur son visage. Il n'a pas un air froid derrière lequel se cacher comme Thorïn. Il passe sa main libre devant ses yeux et laisse ses doigts tremblants se perdre dans ses cheveux tressés, soupirant lourdement. Il s'aperçoit qu'il pleure uniquement quand un mouchoir apparaît dans son champ de vision trouble. Il le saisit doucement, alors qu'une petite main potelée se pose sur son épaule.
― Nous, Hobbits, lorsque l'élue de notre cœur ne répond pas à nos souhaits, nous l'oublions et rêvons d'une autre… Cela fait presque deux ans, monsieur Frérin. Pourquoi ?
― Je voudrais ne pas l'aimer ! hoquète-t-il. Pas comme ça, pas…
Il fait un vague geste de la main dans les airs, tandis que Bungon l'observe d'un air perplexe et inquiet. Il ne peut pas comprendre, réalise Frérin. Il ne peut pas comprendre que son cœur vit désormais uniquement pour Belladone. Mahal a choisi la jeune femme pour être sa moitié, son tout, son âme. Il n'a pas le choix et en être éloigné est physiquement douloureux.
Les choses seraient aussi plus simples si les nains les plus conservateurs ne réprouvaient pas les unions mixtes, surtout pour un héritier de Durin. Peu importe que ce soit avec leur Unique ou non. Ils sont des princes nains, descendant du premier nain créé. Ils n'ont pas ce droit, tout est pureté du sang et alliances politiques. Pourtant, le guerrier tente de lui expliquer. Le Hobbit est peut-être la seule âme attentive envers qui il peut s'épancher sans risquer la vie de son Unique.
Le regard horrifié qu'il reçoit en retour ne laisse aucun doute sur ses facultés d'assimilation.
― Douce Dame… Je suis désolé. Je n'aurais pas dû…
― Non. Merci de m'avoir écouté.
La voix de Frérin est rauque, mais un fin sourire apaisé étire ses lèvres. Bungon ne lui tient pas rigueur de l'amour déplacé qu'il porte à sa femme. Il sait que jamais il n'aura son Unique pour lui, mais la savoir heureuse lui suffit.
― Un jour, le manque vous tuera, n'est-ce pas ?
La question soufflée ne lui échappe cependant pas et son regard se perd sur la ligne d'horizon. Il ferme les yeux, prenant une nouvelle bouffée de sa pipe en silence pour toute réponse. Le Hobbit se relève, serrant brièvement son épaule avant de rejoindre sa femme.
Frérin profite encore un peu du calme si rare, avant d'éteindre sa pipe et de les rejoindre.
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Frérin soutient le regard de Thorïn sans trembler, alors que celui-ci est à deux doigts d'imploser sous sa colère grondante. Il craint pourtant sa remontrance pour être parti comme un voleur, mais il ne le regrette pas.
Si le lien de mithril enserre à nouveau son cœur, il se sent mieux. Il sait son Unique heureuse, Bungon lui a servi de confident, et le souvenir du petit Bilbon dans ses bras, fasciné par sa barbe, éloigne facilement ses humeurs les plus sombres.
― Es-tu conscient que tes escapades te desservent ? Mahal, j'ai bien cru que le Conseil voterait une loi pour mieux te retenir !
Son sang se glace dans ses veines à cette nouvelle. S'il ne peut plus partir, le manque de son Unique finira par le vider de toute envie de vivre. Le couple l'a invité à revenir dès qu'il le souhaite et, si Belladone semble ignorer à quel point cela est important pour lui, Bungon l'a dit en toute connaissance de cause.
― Je n'ai aucun pouvoir sur eux, tu le sais bien. Si nous étions à Erebor…
Le cadet aperçoit la lueur de souffrance dans les yeux bleus, la comprenant. À Erebor, jamais le Conseil n'a eu autant de pouvoir. Mais la folie et les décisions de leur grand-père leur ont coûté leur importance. Ils ont beau être des descendants de Durin, ils ne sont que des pantins au service de nains avides et peu scrupuleux pour la plupart.
― J'ai peur pour toi, petit frère. Promets-moi de ne plus vagabonder sans prévenir, ou alors… Ou alors, ne rentre pas la prochaine fois.
La déchirure dans la voix de Thorïn est palpable ; Frérin doit s'asseoir pour assimiler ce qu'il vient de dire. Son aîné, qui a pendant des années refusé qu'il s'éloigne trop de Dís et lui, le prie presque maintenant de ne pas revenir ? Le Conseil a-t-il formulé des solutions si dures pour inquiéter son inébranlable frère ? Le brun se déplace, contournant son bureau pour le rejoindre et poser ses mains sur ses épaules, l'air bien trop vieux et fatigué. Leurs fronts se touchent, alors que l'aîné ferme brièvement les yeux, inspirant profondément. D'une voix sombre, il ajoute :
― Tu es trop libre pour vivre enchaîné à la montagne et c'est ce qui te pend au nez, Frérin. Je refuse de te voir dépérir sous mes yeux pour des nains qui me doivent l'endroit où ils vivent aujourd'hui. Alors… La prochaine fois que tu prends ton envol, ne reviens pas dans cette cage. Coupe tout pont avec nous et disparais.
Frérin cesse un bref instant de respirer, terrifié à l'idée de se séparer de sa famille. Il est toujours rentré pour les revoir, pour rire et vivre avec eux, et Thorïn lui demande de les abandonner la prochaine fois qu'il part en voyage ? A-t-il conscience de ce qu'il lui ordonne, alors même que rien ne leur assure que le Conseil le laisse tranquille s'il ne revient pas ?
― Frérin… Dís et moi savions que le jour où tu ne rentrerais pas finirait par arriver. Et nous préférons perdre notre frère et le savoir heureux, que de le voir dépérir sans pouvoir rien y faire. Promets-le-moi, Frérin.
Thorïn resserre la prise sur ses épaules, presque à lui faire mal, alors que son regard plonge dans le sien. Et le blond sait qu'il est mortellement sérieux, qu'il refuse qu'il revienne si cela signifie le voir souffrir. Il préfère ne pas savoir ce que le Conseil prévoit à son encontre, finalement. Et, même s'il n'a pas l'intention de quitter une nouvelle fois les Ered Luin, il promet devant Mahal qu'il respectera la demande de son aîné.
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Thorïn observe son frère dépérir petit à petit les années qui suivent. Ses sourires se font de plus en plus rares, de moins en moins lumineux, alors que des cernes apparaissent sous ses yeux. Il devient plus lunatique, plus rêveur, et plusieurs fois l'aîné doit le secouer pour le ramener à l'instant présent. Il est à deux doigts de le jeter de force hors de la montagne. Frérin n'a sans doute pas conscience de l'angoisse et du chagrin qu'il lui inflige, ainsi qu'à Dís, à le voir maigrir et s'effacer sans rien pouvoir faire.
Leurs neveux sont bien les seuls à encore pouvoir amener un sourire sur le visage du blond. Fíli et Kíli ne comprennent peut-être pas entièrement la situation, mais ils essayent de faire résonner rires et cris de joie entre les murs de pierre.
Le prince pousse un long soupir, s'affalant lentement sur sa chaise en prenant sa tête entre ses mains. S'il a tenté de dissimuler l'état de son cadet le plus longtemps possible, le Conseil a fini comme toujours par mettre son nez dans leur famille. Ils prennent son abattement pour de l'inoccupation et le plus vieux craint de bientôt devoir faire face à des demandes en mariage pour son frère.
Thorïn redresse la tête en entendant frapper à la porte et se redresse, avant de donner l'autorisation d'entrer. Il tourne la tête pour apercevoir Frérin se glisser silencieusement dans la pièce, esquissant un simulacre de sourire qui lui serre le cœur.
― Bonjour, frangin. Tu as demandé à me voir ?
Le brun serre son poing alors que le ton monocorde semble planter des poignards dans sa poitrine. Il donnerait tout ce qu'il a pour retrouver le petit frère qu'il a connu, si joyeux et souriant, taquin, le regard plein de malice et non de ces nuages gris qu'il ne peut lui-même chasser.
― Ferme la porte et viens t'asseoir, lui ordonne-t-il en désignant la seule autre chaise de la pièce d'un signe de tête.
L'aîné retourne son attention un bref instant aux papiers devant lui et les rassemble, avant de les ranger dans un tiroir. Le claquement de la porte en bois contre la pierre retentit dans son dos, suivi d'un gémissement et de l'effondrement d'un corps.
Il se fige brièvement, avant de se lever d'un bond et de repousser sa chaise. Son cœur manque un battement en voyant son petit frère recroquevillé contre le sol, le regard terrifié, une main serrant le tissu de sa tunique au niveau de son cœur et l'autre férocement mordue pour ne laisser filtrer aucun cri. En deux enjambées, il est à ses côtés, s'agenouillant pour tenter de déterminer l'origine de la douleur qui saisit son petit frère.
― Frérin, par Mahal, est-ce que tu peux me dire où tu as mal ? Frérin !
Mais le blond ne semble pas l'entendre, ses yeux écarquillés dans le vide remplis d'une souffrance indicible. Des larmes glissent sur ses joues pâles et ses doigts se serrent encore plus sur sa poitrine. Celle-ci se soulève à un rythme effréné, alors qu'un léger filet de sang commence à couler le long de la main qu'il mord. Sa mâchoire se serre sur la chair pour étouffer sa voix comme si sa vie en dépendait.
Le prince a soudain peur de comprendre. S'il s'agissait d'un poison, son frère n'aurait pas craint de hurler. Cela signifie que sa douleur ne doit pas être connue. Et il n'y a qu'une explication possible.
― Est-ce que… Mahal, nadadith, ton âzyungel ? chuchote-t-il.
Il se retrouve incapable de formuler une véritable phrase, mélangeant khuzdhûl et langue commune ; la peur lui ôte toute capacité à raisonner, tandis que l'état du jeune prince ces dernières années trouve enfin une explication. Il meurt à petit feu de son éloignement avec la partie complémentaire de son âme et son aîné peut deviner qu'il ne s'agit pas de quelqu'un que le Conseil accepterait, ou il l'aurait annoncé.
Mahal, leur famille n'a-t-elle pas assez souffert ? La maladie de l'or de leur grand-père ne suffit-elle pas aux Valars ? Doivent-ils en plus torturer son petit frère sous ses propres yeux impuissants ?
Frérin hoche difficilement la tête et Thorïn le redresse doucement, l'obligeant à enfoncer sa tête dans sa poitrine. Il passe ses bras dans son dos, le serrant comme il le peut contre lui. Déjà, il pense à mille solutions pour permettre au plus jeune de rejoindre son Unique. Il se fiche de la pureté du sang de leur lignée, il y a déjà ses neveux pour reprendre le flambeau. Il veut simplement son bonheur et il sait depuis longtemps qu'il ne peut le trouver aux Montagnes Bleues.
― Crie autant que tu le voudrais, j'étoufferai le son. Tu m'expliqueras plus tard, souffle-t-il.
Cette fois, il ne lui laissera pas le choix.
Frérin doit partir définitivement des Ered Luin.
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Óin termine d'ausculter Frérin sous le regard inquiet de sa fratrie. Le blond a eu beau refuser de voir le guérisseur, Thorïn n'a pas cédé d'un pouce. Ils ignorent tous les conséquences d'un si grand éloignement aussi longtemps entre deux âmes destinées. Puis, il veut se servir des rumeurs qu'engendrerait inévitablement la visite de leur cousin pour camoufler les véritables raisons du départ prochain de son cadet.
― Comment il va, Óin ? demande doucement Dís.
― S'il va bien ? Certainement pas ! Fatigue, amaigrissement, tachycardie… Si on ne fait rien, son état ne cessera de se dégrader.
Le jeune prince pince ses lèvres, sa main venant frotter machinalement la zone de son cœur. Il sent que sa crise est due à une détresse émotionnelle de Belladone et que son lien lui a infligé sa douleur amplifiée, comme pour l'inciter à prendre ses responsabilités envers elle. Il n'ose imaginer ce qui lui est arrivé. Heureusement, il sent qu'elle est encore en vie et cela le soulage un peu.
Mais le lien de mithril semble à deux doigts d'arracher son cœur de sa poitrine, tant l'attraction est puissante.
― Óin… Il n'y a rien à faire. Je ne peux pas rejoindre mon âzyungel. Je le sais depuis longtemps, souffle-t-il doucement.
La claque de Dís retentit dans la pièce, qui devient subitement silencieuse. La joue de Frérin le brûle et il y porte ses doigts, stupéfait de la violence de sa petite sœur, dont les larmes menacent de déborder de ses yeux.
― Comment… Comment tu peux dire avec autant de calme que tu te laisses mourir ? l'interroge-t-elle, la colère déformant ses doux traits. Je me doute bien que la naine ou le nain concerné n'est pas assez bien pour le Conseil, mais…
― C'est la Hobbite, Dís, l'interrompt-il avec un poids dans la gorge.
Óin presse son cornet à son oreille, n'ayant visiblement pas entendu, alors que Thorïn blanchit à vue d'œil. La fureur de sa sœur se dégonfle aussi vite qu'elle est venue ; elle le fixe avec une pitié teintée d'horreur.
― Ça fait plus de dix ans…
Frérin se retient de faire remarquer que la dernière fois qu'il a vu Belladone remonte seulement à neuf ans, tandis qu'un goût amer remplit sa bouche. Il n'a pas besoin que sa cadette remue le couteau dans la plaie, il ne sait que trop bien depuis combien de temps il a découvert son Unique et vit sans elle.
― Et tu voulais que je fasse quoi ? soupire-t-il avec lassitude. Que je lui demande de briser ses fiançailles, de s'enfuir avec moi à un endroit où aucun nain ne pourrait s'en prendre à elle parce qu'elle a le malheur d'être mon âzyungel ?
― Vu le nombre de nains qui passent par la Comté, personne ne l'aurait jamais su, réplique Thorïn d'une voix étrange.
Le blond fixe son aîné en essayant de comprendre comment il prend la nouvelle. Il semble choqué, encore plus que Dís qui savait déjà qu'il éprouvait quelque chose pour Belladone, sans soupçonner que cela soit à ce point. Pourtant, il ne semble ni dégoûté, ni en colère, une lueur calculatrice illuminant même ses yeux.
― Quitte la montagne et rejoins-la. Je dirais au Conseil que tu es parti sans intention de retour. Nous n'avons pas les moyens pour te poursuivre, ils seront en colère, mais ça finir-
― Je refuse de partir !
― Je ne te laisse pas le choix !
Les deux frères s'observent en chiens de faïence pendant de trop longues secondes, avant que Óin ne reprenne ses affaires en silence, rangeant son cornet dans un coin de sa poche.
― Je dirais qu'il a la maladie du mineur. Moi qui m'acharne à dire que certains nains ont une absence totale de résistance aux poussières, on ne m'écoute jamais ! Il ferait mieux de s'éloigner des montagnes avant que cela ne s'aggrave.
Il esquisse un sourire satisfait, avant de sortir de la chambre de Frérin. Ce dernier cligne des yeux, peinant à saisir les propos de son cousin. Même s'il veille au bon fonctionnement des mines à la place de Thorïn depuis quelques années, il n'a pas du tout les symptômes qui correspondent à ce mal !
Puis il croise à nouveau le regard de son aîné, qui soupire en décroisant ses bras. Il s'assoit à ses côtés, repoussant une mèche humide de sueur sur le côté de son visage. Le blond souffle, posant sa tête sur l'épaule offerte alors qu'il comprend finalement l'aide que lui offre le guérisseur.
― Le Conseil ne pourra rien dire si c'est pour une raison pareille que je pars. Mais je ne peux pas vous abandonner…
― Pourquoi tu te décides à ne pas être égoïste quand on te le demande, par Mahal ! s'emporte en grognant le plus vieux. Jusqu'à il y a quelques années, ça ne te gênait pas de partir sans prévenir !
― Je savais alors que je rentrais toujours, crétin ! réplique-t-il sur le même ton.
Frérin redresse la tête et à nouveau, leurs regards s'affrontent. Thorïn est le premier à détourner les yeux, agacé, et le blond passe une main dans ses cheveux défaits et humides. Il ne brise cependant pas le silence et l'atmosphère s'alourdit de seconde en seconde. Dís soupire à son tour, passant une main devant ses yeux.
― Frérin… Soit tu te laisses mourir, soit tu vas soutenir ton âzyungel, parce que tu ne me feras pas croire que cette crise est survenue sans raison. La dernière aussi terrible, tu venais de recevoir une de ses lettres.
Le blond ouvre la bouche pour se défendre, mais le fil de mithril qui enserre à en faire saigner son cœur et le tire vers la Comté le laisse muet. Il ne peut nier la vérité. Comme lors de l'annonce de la naissance de Bilbon, tout son être hurle et veut revoir Belladone. Mais la douleur ne s'apaise pas, cette fois.
Elle ne pourra pas s'apaiser s'il reste dans les Ered Luin.
Ses affaires sont prêtes en moins d'une heure et, après un bref adieu à son frère et sa sœur, il quitte les Montagnes Bleues dans la nuit, en secret.
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Comme dix ans auparavant, Frérin se retrouve devant la porte jaune jonquille, avec toujours la même crainte de l'ouvrir.
Mais cette fois, c'est la peur de voir à quel point Belladone a souffert et de savoir pourquoi. Il a porté sa douleur des jours durant et la porte encore, comme un poids terrible sur son cœur. Il ne peut même pas lui dire qu'il sait, qu'il la comprend, parce qu'elle ignore qu'elle est son Unique, avec tous les inconvénients.
Il abaisse finalement sa main sur le battant de bois, la poitrine compressée.
Il entend un bruit léger de cavalcade et son cœur tombe au fond de son ventre alors qu'un petit Hobbit aux yeux rougis lui ouvre la porte. Bilbon. Pas un instant il n'a pensé à l'enfant, l'esprit embrumé par la douleur de la Hobbite. Mais la tristesse et le chagrin qu'il porte comme une seconde peau le frappe en plein cœur et soudain, il craint de comprendre.
Il se doutait plus ou moins que Belladone a perdu quelqu'un, mais il a refusé d'imaginer que ce soit Bungon. Au fond de lui, il espère se tromper, alors qu'il s'accroupit à la hauteur du petit garçon, lui offrant le même sourire doux qu'à ses neveux.
― Bonjour, Bilbon. Tu ne te souviens sûrement pas de moi, mais je suis un ami de tes parents. Tu peux leur dire que Frérin est là ?
Il lui adresse un regard dévasté, qui n'aurait pas dû avoir sa place sur un visage aussi rond et innocent. Ses craintes se font de plus en plus tangibles, mais il refuse toujours d'y croire. Son ami n'a pas pu mourir, il est encore trop jeune. Mahal, les Hobbits vivent en moyenne quatre-vingts ans, le Destin n'aurait pas pu être si cruel !
Il a soudain envie de prendre Bilbon dans ses bras et de le rassurer, comme s'il était Fíli ou Kíli. Il n'aime pas voir un enfant triste.
― Mama, un Frérin veut t'voir ! crie Bilbon en se retournant vers l'intérieur du smial.
Et soudain, en provenance de la cuisine, elle apparaît. Son teint est pâle et émacié, ses yeux noyés par le chagrin et ses cheveux ternes. Pourtant, il se sent soulagé de la voir et il dépose son sac à dos au sol alors qu'elle se rapproche. Il ouvre les bras sans un mot et elle s'y glisse en silence, nouant ses bras autour de lui.
Nulle trace de Bungon et ses espoirs s'amenuisent.
Néanmoins, le contact de son Unique fait chanter et allège son cœur, jusqu'à ce qu'elle s'effondre en sanglots dans ses bras, sans prévenir. Il resserre son étreinte sur elle, passant une main dans ses cheveux bouclés, alors qu'elle mouille sa cape.
― Bungon… Il… bégaie-t-elle. Je n'ai rien pu faire.
Tout espoir se brise et sa gorge se serre douloureusement. Il ferme les yeux, resserrant un peu plus son étreinte sur la jeune femme qui se brise en milliers d'éclats entre ses bras. S'il ne la tenait pas, elle se serait effondrée au sol, comme une marionnette aux fils coupés.
Ses propres larmes commencent à couler sans qu'il ne puisse les retenir, pleurant son ami et confident parti trop vite, pleurant la douleur et la perte qu'a subies son Unique.
― Je… Toutes mes condoléances, Bella, souffle-t-il.
Il avance un peu, repoussant la porte derrière lui du pied pour éviter que les voisins ne les surprennent et n'en fassent des gorges chaudes. La Hobbite n'a pas besoin de supporter ragots et rumeurs dans son état. Bilbon le fixe étrangement, comme s'il essaye de l'analyser, ce qu'il comprend. De son point de vue, il est sans doute un étranger qui débarque chez lui et fait pleurer sa mère, ce qui doit le perturber, même si ses propres larmes doivent le rendre plus que perplexe.
Il soulève sans peine la Hobbite, la portant dans ses bras pour rejoindre le salon et l'asseoir sur un des fauteuils. Elle relève son visage vers lui et il essuie les traces de larmes d'un geste tendre du pouce. Son cœur se serre, s'écrase dans sa poitrine ; les yeux noirs reflètent une détresse et une souffrance qu'il ne supporte pas de voir. Il veut arracher ces émotions de son regard et la mettre à l'abri entre ses bras pour le restant de sa vie.
Mahal, il ignore quoi faire. Il n'est même pas certain de pouvoir la calmer.
Il aperçoit Bilbon se cacher derrière le fauteuil, l'observant. Il lui fait un clin d'œil discret pour le rassurer, avant de se concentrer sur son Unique dévastée. Il s'agenouille devant elle, prenant ses mains entre les siennes. Il commence à lui parler, doucement, tentant de la consoler comme il le peut et de lui tenir compagnie.
― Ce n'est pas de votre faute, Bella. Quoi qu'il s'est passé, je doute que Bungon aurait voulu que vous vous blâmiez.
Il continue, encore et encore, jusqu'à ce qu'elle s'endorme, épuisée par ses pleurs. Bilbon n'a pas dit un mot, mais son ventre gargouille soudain. Il plaque ses mains dessus d'un air effrayé, puis regarde sa mère. Ses épaules se détendent alors qu'elle reste endormie et Frérin a un coup au cœur.
Il se redresse, esquissant une grimace en sentant ses articulations craquer. Puis il tend une main au tout petit bonhomme affamé, qui a perdu son air suspicieux.
― Viens, on va laisser ta mère se reposer et je nous fais à manger, d'accord ?
Il acquiesce doucement et saisit un doigt dans sa petite main. Le nain le mène alors jusqu'à la cuisine, qui n'a pas bougé depuis dix ans. Il assoit Bilbon sur une chaise, puis il commence à préparer un repas rapide. Le petit garçon ne quitte jamais son champ de vision, réflexe acquis auprès de ses deux neveux terribles.
― Merci, lâche soudain l'enfant. Mama dort presque p'us depuis que Papa est parti.
Il échange un regard avec lui, ses yeux bleus le fixant avec une gravité rare pour son âge. Il lui rappelle Bungon et sa facilité à lire dans les autres. Néanmoins, il n'a pas la distinction de son père. Ses petites jambes se balancent au-dessus du sol et il a glissé ses mains sous ses cuisses.
― V'z'allez rester ? Taties et tontons ont dû rentrer chez eux. Ils ont laissé Mama toute seule avec moi.
Frérin cesse un bref instant ce qu'il faisait, réfléchissant à la question. Il veut rester, mais il n'a pas de raisons valables pour le faire. Belladone est peut-être son Unique et au fond du gouffre, mais il ne veut pas ruiner sa réputation en habitant chez elle. Il doit lui poser la question.
Cependant, il est hors de question qu'il habite loin d'elle, pas alors qu'elle s'est effondrée dans ses bras. Son cœur est usé par des années d'entêtement et d'éloignement, il n'est pas certain qu'il survivrait encore longtemps sans être auprès d'elle.
― Je n'ai pas de maison où rentrer. Alors si ta maman et toi voulez bien, je resterais pour que vous ne soyez plus seuls, répond-il prudemment.
Le lendemain matin, Belladone l'installe dans l'une des chambres d'amis pour autant de temps qu'il le souhaite.
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