Helsinki :

De Stockholm, ils avaient décidé d'aller passer un week-end à Helsinki, la capitale finlandaise. Enfin Jaime avait décidé d'aller un week-end à Helsinki et Jon avait dit d'accord. Ils avaient pris le ferry à travers la Mer Baltique un vendredi après-midi et étaient arrivés assez fatigués. Il se rendirent directement à leur hôtel dans le centre-ville, et après avoir déposé leur bagages, se rendirent dans le restaurant adjacent et prirent une bière du pays, la Lapin Kulta, une blonde maltée et fruité, et un plat local, le Silli, hareng des lacs de Finlande avec des uudet perunat, des pommes de terres nouvelles, accompagné d'une sauce aux chanterelles.

Le lendemain matin, Jon réveilla Jaime très tôt : il savait que son petit ami avait des plans très touristiques pour le week-end, mais il tenait à découvrir un endroit en particulier avant de se laisser entrainer. Il poussa donc un Jaime ensommeillé dans le tram : heureusement rien n'était loin à Helsinki, petite capitale d'un pays peu peuplé. Ils arrivèrent à l'église Temppeliaukio. Entre les immeubles, on voyait juste son dôme dépasser des parois rocheuses de cinq à huit mètres de haut. On aurait dit un cairn. Quand ils entrèrent, ils furent impressionnés : l'intérieur était enfoncé dans le sol, taillé dans le granit brut pratiquement non touché. Ils avaient plutôt l'impression d'être dans une grotte que dans une église ! Le dôme culminant à treize mètres était cerclé par un plafond de verre de vingt-quatre mètres de diamètre, et lui-même composé de vingt-cinq kilomètres de fil de cuivre enroulé sur lui-même. La lumière naturelle était sublime.

Jaime regarda de loin Jon allumer un cierge pour sa mère, contre le mur en roche. Lui-même avait perdu sa mère dans son enfance, et son père était plus aigri qu'aimant. Il savait que Jon était aimé de son père et possédait une tripoté de demi frères et soeurs avec qui il s'entendait bien, mais le voir ainsi en prière lui donnait encore plus envie de prendre soin de lui…

Après cet interlude émouvant, Jaime tient absolument à aller prendre le petit déjeuner au Café Kappeli. C'était un endroit phare d'Helsinki. Un vrai paradis de calme et de sérénité en bordure du Parc de l'Esplanade. Le bâtiment était construit comme une verrière, tous ses murs transparents laissaient voir la verdure et passer le soleil. De grands lustres à pampilles tombaient du plafond, et les verrières étaient ornées avec parcimonie de vitraux très colorés. C'était un endroit magnifique tout de verre et de lumière au milieu des Champs Elysées finlandais. Le prix s'en ressentait, et Jaime commanda deux petits déjeuner complets sans laisser à Jon le choix, ou même le loisir de regarder la carte.

Après manger, ils sortirent, et se promenèrent main dans la main dans le Parc de l'Esplanade, avant d'arriver sur un immense jet d'eau qui marquait la fin du parc, et le début du port. Ils allèrent regarder les croisières disponibles, et l'une d'elles partait à onze heures. Jaime prit deux billets, puis en attendant l'embarquement, ils allèrent flâner entre les stands de souvenirs qui formaient un petit marché folklorique devant les embarcadères du port. Jon acheta un magnet en bois pour sa plus petite sœur, Arya, sur lequel étaient taillés deux rennes courants et des petits sapins. Cela fit sourire Jaime, qui n'avait pas des goûts aussi douteux.

La croisière commença. La guide leur conseilla de prendre une des couvertures polaires à disposition dans un panier, car le temps serait plus frais sur la mer que dans le port. Jaime et Jon s'assirent au fond du bateau, tranquilles, dans un coin en hauteur. Les explications étaient données en finlandais, suédois et anglais. Ils virent bientôt le port d'Helsinki disparaitre à l'horizon au fur et à mesure qu'ils s'aventuraient en mer. Un vent très froid se leva, et Jon remarqua que Jaime n'était pas à son aise : comme à son habitude, il n'avait pas pris de bonnet, trop fier de sa magnifique chevelure blonde ondulée. Il faisait comme si de rien n'était mais Jon n'était pas dupe et enleva son bonnet, une chose en laine grise bourrée d'accros, avec le loup-garou emblème de la famille Stark très mal brodé mais reconnaissable sur le côté : c'était Arya qui le lui avait tricoté pour Noël quand elle avait su qu'il partirait un an en Suède. Son cœur se serra quand il regarda brièvement le bonnet. Sa famille lui manquait, en particulier sa plus jeune sœur et son frère du même âge que lui.

-Qu'est-ce que tu fais ? s'exclama Jaime quand Jon lui enfila d'office le bonnet sur la tête.

-Tu vas attraper froid, alors je te couvre.

Jaime grimaça mais ne fit pas la fine bouche et enfonça le bonnet sur ses oreilles. Il venait du sud-ouest, près de la mer, une région tempérée et ensoleillée, très riche avec la production du Cognac grâce à la vallée de la Saintonge (d'ailleurs son père possédait les meilleurs chais), alors que Jon habitait dans le Nord.

Son petit ami ainsi réchauffé, ils purent profiter de la croisière. Les flots étaient d'un bleu royal profond alors que le ciel sans nuages était d'une clarté presque douloureuse. Ils voguaient entre les petites îles du golfe de Finlande. De jolies petites maisons en bois colorées se révélaient à leurs yeux au milieu de la nature. Les sapins et les érables étaient d'un vert éclatant et d'un orangé doux et se détachaient sur les flots. Le bord des îles étaient ourlés de rochers gris dévorés par la mousse multicolore, mais de superbes plages de sable jaune clair apparaissaient parfois, et les gens leur faisaient des signes qu'ils leur rendaient avec enthousiame quand le petit bateau touristique passait. Jaime et Jon étaient serrés l'un contre l'autre, emmitouflés dans quatre couvertures. Ils avaient froid au nez et aux joues et Jon ressentait l'absence de bonnet, mais ils étaient heureux et profitaient des beautés de la Mer Baltique. Ils tiraient profit d'être au fond du bateau pour se bécoter de temps à autre en toute discrétion. Ils durent baisser la tête pour passer plusieurs fois sous des ponts en métal qui reliaient les îles entre elles et se tasser sur leurs sièges. Cela les fit beaucoup rire. Des jolis voiliers blancs, des canoës et de petits bateaux les croisaient souvent. Au bout de deux heures et demi, ils revinrent au port d'Helsinki : la grande roue, tous les monuments et les gros bateaux de croisières étaient en vue. Quand ils descendirent de l'embarcation, Jon dit à Jaime qu'il revenait vite, et partit en direction de la ville.

Jaime fit la queue quelques minutes à un stand, se demandant où Jon était allé trainé, et acheta deux bols de soupe de saumon aux airelles, un plat typique du pays. Il alla les installer face à face sur les tables en bois à tréteaux tout près, puis s'assit. Son partenaire le retrouverait bien. En effet, il le vit surgir quelques minutes plus tard, l'air à la foi ravi et intimidé.

-Viens t'assoir et mange ta soupe, elle va refroidir, lui dit Jaime en l'invitant d'un geste gracieux.

Jon s'assit, et sortit un paquet cadeau de derrière son dos, qu'il posa sur la table entre eux deux. Jaime, surpris, fronça les sourcils. Il le prit, un peu troublé, et le déballa. C'était un magnifique bonnet en laine vert émeraude, qui correspondait presque à la couleur de ses yeux si intense. Jon le regardait anxieusement, attendant son avis.

-Pourquoi tu m'as acheté ça ? cracha Jaime. Tu n'as pas d'argent.

Il savait que les prix dans les boutiques de souvenirs étaient excessifs, et n'osait donner une somme en tournant et retournant le bonnet dans ses mains, au vu du travail soigné et de la qualité de la laine, toute douce, moelleuse et chaude.

-Tu avais froid… il te fallait bien un bonnet.

-Si je veux un bonnet je m'en achète un moi-même. Tu n'as pas à gaspiller ton argent pour moi, je te l'interdit.

Et il lui jeta le bonnet au visage. Jon l'attrapa par réflexe quand il retomba et le tient dans ses mains, le regard vide. Il accusait le coup.

-Tu te crois malin avec tout ton fric ? marmonna-t-il en regardant tout sauf Jaime. Tu ne crois pas que ça me pèse de te voir tout payer tout le temps ? je voulais juste te faire plaisir…

-Tu me feras plaisir plus tard. Et on s'en fout du fric. Pour le moment concentre-toi sur tes études, elles te feront déboucher sur un bon métier et tu auras de quoi m'offrir des cadeaux à ce moment-là.

Jon le fixa soudain dans les yeux.

-Tu… tu comptes rester avec moi jusqu'après nos études ?

Jaime resta bouche-bée.

-Pourquoi, pas toi ?

-Si ! bien sûr que si ! s'exclama Jon paniqué. Mais je pensais… Tu semble toujours si désinvolte… Tu ne parles jamais du futur… Je… Je pensais que je n'étais qu'une distraction pendant ton année Erasmus.

Cette fois-ci ce fut Jaime qui accusa le coup, incapable de parler. Jon avait le visage cramoisi, l'air misérable, et ne savait plus où se mettre. Il se leva pour quitter la table, accablé par ce qu'il venait d'avouer. Jaime l'en empêcha au dernier moment, lui agrippant le bras plus fort qu'il n'aurait voulu. Jon se rassit. Jaime dit d'une voix douce, malgré une colère qui transparaissait et qu'il essayait de maîtriser :

-Je suis avec toi maintenant. Je ne dis pas qu'on ne va jamais se séparer, que ça vienne de toi, ou de moi, ou de nous deux, mais jamais, au grand jamais je n'ai prévu de te larguer à la fin de l'année. J'ai envie d'être avec toi et pour ce que j'en sais, ça peut continuer très longtemps, voir pour toujours. Je n'ai pas averti ma famille parce que mon père est un sale con et qu'il pourrait me couper les vivres pour m'obliger à rompre avec toi, mais dés que nous aurons fini nos études, nous serons indépendants, et rien ne nous empêchera de rester ensemble aussi longtemps que nous le désirons tous les deux. Maintenant tois-toi et mange cette fichue soupe à dix-sept euros avant qu'elle ne soit complètement froide !

Ils mangèrent en silence leur soupe tiède, leurs regards fixés sur leurs bols, s'évitant, mais jetant un coup d'œil à l'autre parfois. Jon avait l'air mortifié, et Jaime toujours un peu agité et aigri.

Quand il eurent fini, ils s'échangèrent les bonnets, et en enfilant son cadeau, Jaime déclara d'un ton très sérieux "plus jamais ça". Puis il prit Jon par la main et l'entraina vers la Cathédrale Tuomiokirkko, un magnifique monument surplombant le port. Ils grimpèrent les marches en admirant les colonades d'un blanc éclatant qui leur faisait presque mal aux yeux avec le soleil, et le bleu clair des coupole qui tranchait avec le ciel plus foncé. Ils entrèrent. Il y avait beaucoup de monde car la chorale d'une école privée luthérienne se produisait, accompagnée de l'orgue majestueuse. Ils s'assirent dans un coin, au fond de l'église, près de la porte, et ouvrirent leur manteau. L'église était belle, lumineuse, blanche, avec des statues imposantes et des beaux tableaux dorés, ainsi que le retable et tous les objets liturgiques. Rien à voir avec les églises françaises. Les enfants étaient magnifiques dans leurs costumes blanc et doré. Jaime serra Jon contre lui, très fort, et son amant se laissa aller contre son torse. Il sentit le menton du Lannister se poser sur sa tête. Quand les chants commencèrent, ils finirent de l'émouvoir, et le jeune homme se mit à sangloter en silence. C'était des larmes de joie. Jaime, pas indifférent lui non plus, le serait le plus fort possible contre lui, l'entourait de ses bras, l'emprisonnait, lui faisait presque mal mais Jon en redemandait en se lovant contre lui comme un chat, toujours pleurant. La musique était triste et magnifique et prenaient les deux jeunes hommes aux tripes. Jaime savait que Jon avait souffert d'un manque d'affection durant son enfance, d'un manque de reconnaissance, plus certainement. Il était le fils bâtard recueilli, que sa belle-mère ne supportait pas et lui faisait savoir constamment. Il comprenait sa sensibilité et il comprenait que le jeune homme ait pu penser qu'il ne souhaitait pas se lier à lui. Il en était peiné. Jaime était son premier mec, et il était déjà ravi que Jon se soit abandonné à lui, ouvert à quelque chose de plus doux que ce qu'il avait vécu, mais Il ne savait pas quoi faire pour que son compagnon ai plus confiance en lui, qu'il arrête de se dénigrer et de se tenir à l'écart de la vie. Il voulait qu'il se sache aimé, désiré… Jaime lui caressait les cheveux, embrassait sa tête, puis il finit par lui murmurer "je t'aime", à l'oreille. C'était la première fois. Les pleurs de Jon redoublèrent, presque hystériques. Jaime le serra encore plus fort contre lui et le berça, n'en ayant rien à faire des regards curieux qui les dévisageaient.

La fin de ses pleurs coïncida avec la fin de la chorale, et il sembla agité par une sorte de fièvre. Il agrippa Jaime par la main et fit en sorte qu'ils soient les premiers à sortir, l'entraîna au pas de charge à travers les petites rues commerçantes jusqu'à leur hôtel proche du centre ville, sans décrocher un mot malgré les questions de son copain. Arrivé dans leur chambre, il entreprit de lui faire l'amour avec une telle dévotion et une telle férocité que Jaime aurait eu peur, s'il n'était pas si amoureux et s'il n'avait pas autant confiance en Jon. Son petit ami ne le laissa pas tranquille de tout le reste de l'après-midi, semblant insatiable, et se calma seulement quand la nuit fut tombée et bien installée au-dessus de la ville. Jaime reposait sur le lit défait, hébété par cette tempête ; Jon d'ordinaire si timide qu'il fallait le pousser à bout pour faire ressortir des ardeurs bien moins absolues que celles dont il venait d'être victime... Son corps lui faisait mal un peu partout, y compris dans des endroits incongrus, et il n'avait plus aucune force, il se sentait vidé. Bref, il avait l'impression de s'être fait piétiner par un cheval. A côté de lui, Jon s'était endormi. On aurait dit un ange. Jaime le contempla longtemps, puis, avant que la fatigue ne l'emporte dans le sommeil lui aussi, il caressa les boucles noires, murmurant "je t'aime… je t'aime…" le cœur si serré qu'il se demanda dans quelle histoire il s'était embarqué...