Jeudi 23 décembre
[Jeu 12h33]
Salut Sherlock. Tu me tiens au courant pour ce soir. J'ai des trucs à faire aujourd'hui, surtout des lessives et ma valise, mais je serai prêt en fin de journée.
[Jeu 12h34]
Bisous.
[Jeu 13h38]
Ah, et tu peux me dire si j'ai besoin d'emmener des fringues particulières ?
[Jeu 12h39]
Explicite ta question sur les vêtements ?
[Jeu 12h45]
T'es habillé en costume comme si tu sortais d'un défilé de mode en permanence. Je dois emmener un costume ou une cravate ou des vêtements chics pour Noël ?
[Jeu 12h45]
Non.
[Jeu 12h45]
Ne va rien acheter. Tu n'as pas les moyens, et c'est inutile.
[Jeu 12h46]
C'est lapidaire et sans le moindre tact, ça Oo
[Jeu 12h47]
Enquête.
[Jeu 12h47]
Toujours celle des orteils ?
[Jeu 12h48]
Oui.
[Jeu 12h48]
Ça avance ?
[Jeu 12h48]
Oui.
[Jeu 12h50]
Et donc tu vas répondre par monosyllabes et messages les plus courts possibles parce que ton cerveau est dédié à l'enquête :)
[Jeu 12h50]
Oui.
[Jeu 12h52]
Mais tu me réponds quand même. Au lieu de me laisser dans le silence. J'apprécie l'attention Sherlock :) Vraiment :) Je sais l'effort que ça te demande. Réfléchis bien :D
[Jeu 18h05]
Ma valise est prête. Moi aussi. J'avais plus ou moins l'intention de t'écrire dans la journée pour te raconter mes péripéties mais... j'ai pas voulu te déranger. Et c'était pas comme si faire tourner une machine et acheter des trucs dans un magasin bondé dans lequel j'ai failli mourir étouffé était intéressant.
[Jeu 18h07]
Par contre, j'suis embêté, j'pensais pas partir, du coup j'ai pas vidé mon frigo. Bon, y'a pas grand-chose dedans, mais j'me suis rendu compte que t'as rien dit sur quand on rentrait ? J'espère que ça va pas trop s'abîmer.
[Jeu 18h09]
En vrai, même pour mes affaires, j'savais pas trop quoi faire, t'as rien dit de ce que tu prenais dans tes bagages. J'ai pris des affaires pour cinq jours environ. On va pas partir plus, hein ? Je te rappelle que je bosse le 3 janvier à mon nouveau boulot.
[Jeu 18h11]
Ah merde j'ai dit que je t'embêtais pas et je te harcèle. Déso.
[Jeu 18h11]
Résous bien des crimes *cœur*
[Jeu 18h20]
Tu ne me harcèles pas. J'ai signifié que je venais pour Noël, je ne compte pas rester indéfiniment. Cinq jours est une fourchette haute.
[Jeu 18h21]
Et tu peux dîner ce soir : Mycroft m'a indiqué qu'il passerait sans doute en fin de soirée. Nous ferons le voyage de nuit.
[Jeu 18h21]
Et j'ai trouvé le coupable.
[Jeu 18h23]
C'est vrai ? Oo T'es trop fort ! Lestrade doit être trop content !
[Jeu 18h24]
Non. Il refuse de l'arrêter.
[Jeu 18h24]
Pourquoi ? Oo
[Jeu 18h25]
Il dit que ça manque de preuves.
[Jeu 18h25]
Quelles preuves as-tu ?
[Jeu 18h25]
Je suis sûr qu'il est coupable.
[Jeu 18h27]
Ta certitude n'est pas une preuve.
[Jeu 18h37]
Ça devrait l'être. J'ai toujours raison.
[Jeu 18h40]
Un jour peut-être :3 xD
[Jeu 18h41]
En attendant, réfléchis à comment trouver des preuves pour Lestrade. Moi je vais dîner en t'attendant :)
[Jeu 18h42]
À tout', Sherlock *cœur*
[Jeu 18h59]
Oh et je voulais te demander : tu prends ton violon ? J'aimerais te voir jouer en vrai.
[Jeu 19h00]
Enfin sans écran, tu m'as compris, joue pas sur les mots.
[Jeu 19h05]
Je prends toujours mon violon. Pour le reste, c'est plus aléatoire. Mycroft a tendance à envoyer des hommes de main refaire mes bagages. La seule chose qui t'empêche de bénéficier de ce traitement est qu'il ignore encore ton adresse.
[Jeu 19h30]
Oo
[Jeu 19h31]
Je suis assez terrifié, là. J'veux pas qu'un inconnu (un « homme de main » ? Sérieux ? Ça fait gangster ou mafieux, du genre qui débarque avec lunettes de soleil, costumes, gros bras et flingue) fouille dans mes sous-vêtements pour refaire ma valise ! Oo
[Jeu 19h35]
Prends une paire de chaussettes en plus. Et ça n'arrivera pas, je l'en empêcherai.
[Jeu 19h36]
Désolé, Lestrade est là dans mon appartement et il semble excédé par le fait que je t'écrive au lieu de lui répondre. Il n'a aucune patience.
[Jeu 19h37]
Désolé à lui !
[Jeu 19h37]
Bisous Sherlock *bisous*
[Jeu 23h12]
John, nous sommes en route. La voiture sera là dans dix minutes.
[Jeu 23h15]
Ok. Je suis prêt. Je descends pour vous attendre ?
N'ayant pas eu de réponses à son dernier texto, au bout de cinq minutes, John avait pris la résolution de descendre en bas de l'immeuble. Il n'arrivait pas à savoir si Sherlock était réellement sérieux en parlant de son frère envoyant quelqu'un refaire les bagages et il ne voulait pas donner à quiconque la chance de s'y essayer. Résultat des courses, alors qu'un instant plus tôt il somnolait chez lui en attendant des nouvelles de Sherlock, bien au chaud sous un plaid, il faisait désormais le pied de grue en bas de son appartement, dans la nuit glaciale et venteuse. À ses pieds, sa valise attendait, et dans son corps, ses organes dansaient la gigue. Son cœur tambourinait, ses tempes pulsaient, et son estomac et ses intestins semblaient se lancer dans un concours de salto. Et s'il y réfléchissait de trop, il se demandait s'il ne devait pas vider sa vessie. Alors qu'en personne consciencieuse, il était passé aux toilettes juste avant de partir, évidemment. Mais du fait de cet axiome absurde, dès qu'on se demandait si on ne devait pas aller aux toilettes, on avait l'impression d'avoir envie, et on ne pouvait plus penser qu'à ça. Le froid glacial n'aidait en rien, et ses lèvres bleuissaient alors qu'il tentait de toutes ses forces de ne penser à sa vessie. Se concentrer sur son estomac n'aidait pas, parce que ça lui donnait envie de vomir.
Il en était là de ces considérations, à essayer de compter jusqu'à 100 dans sa tête mais à l'envers pour ne pas avoir envie de remonter à son appartement « juste au cas où » quand une berline noire glissa le long du trottoir dans le plus grand silence de la nuit londonienne.
John n'eut pas vraiment le temps de réfléchir à l'aspect de la voiture que deux portières s'ouvrirent simultanément : celle du conducteur, dont sortit un homme en costume, grand et imposant, que John aurait tout à fait qualifié dans la catégorie « hommes de main » ; et celle passager, dont bondit un Sherlock monté sur ressort.
— John !
Ledit John n'eut pas la moindre seconde de répit pour analyser la situation que Sherlock franchit les deux mètres du trottoir et fondit sur lui. Les bras de Sherlock se refermèrent autour de lui, et sans la moindre hésitation, la tête de son ami se pencha avec un naturel qui forçait le respect, et planta un baiser à la commissure des lèvres de John. Puis, il se recula, et posa sa tête sur son épaule, le serrant un instant contre lui. John, vaguement hébété, réalisa que de l'extérieur, ils devaient donner l'illusion d'un couple très crédible. Dans la nuit, Sherlock plus grand que John cachant sa silhouette, il était impossible de deviner s'il l'avait réellement embrassé, ou s'il s'était contenté de faire semblant (ou, en l'espèce, de viser au plus près sans toucher ses lèvres pour autant). Il paraissait crédible qu'ils ne se roulent pas des pelles grands formats en présence d'un public. Ils étaient anglais, tout de même. Même l'étreinte était déjà osée, d'une certaine manière.
— Puis-je prendre votre valise, monsieur ?
Le chauffeur avait une voix douce et calme qui contrastait totalement avec son physique imposant. John mit un instant à comprendre qu'on s'adressait à lui, et qu'on lui proposait de s'occuper de ses bagages. Il n'avait pas l'habitude.
— Faites ce que vous avez à faire, Boris, cingla Sherlock avec mauvaise humeur.
— Je ne m'appelle pas Boris, monsieur, répondit placidement l'homme.
— Peu importe.
Un bref instant, John comprit toutes les critiques qu'on faisait à Sherlock. Il était franchement désagréable et impoli, sur ce coup-là. S'il était comme ça tout le temps, pas étonnant qu'il se fasse détester. Il donna un coup de coude dans les côtes de son ami, avant de répondre à l'homme.
— Oui, merci beaucoup. Comment vous appelez-vous ?
Le chauffeur cligna des yeux, un instant surpris. De toute évidence, il ne s'était pas attendu à tant de politesse, ni au sourire sincère de John. Soit parce qu'il avait l'habitude d'être maltraité dans son emploi, soit parce qu'il s'était raisonnablement attendu que le petit copain du frère de son employeur soit du même acabit que celui-ci, soit arrogant et impoli.
— Toby, monsieur. Boris était mon prédécesseur au service de Monsieur Holmes.
Il semblait presque excuser Sherlock avec cette précision, comme si tous les chauffeurs étaient interchangeables et qu'il était parfaitement normal que Sherlock oublie son nom.
— Enchanté de vous rencontrer. Moi, c'est John.
Il tendit sa main, et Toby la serra avec un début de sourire au coin des lèvres.
— Merci pour ma valise. Vous n'avez pas besoin d'aide ?
L'autre secoua la tête en la prenant, se dirigeant vers le coffre, tandis que Sherlock poussait John vers la berline, dont la portière arrière était restée ouverte. Il n'eut pas le temps de dire ouf que déjà, il grimpait dans l'habitacle, et se prit un coup de chaud. Après plus de cinq minutes dans le froid glacial, le chauffage de la voiture de luxe le gifla, et il dut se mettre à rougir sans pouvoir le contrôler. Il n'était jamais monté dans une limousine, et savait que ce n'en était pas une, mais il ne put s'empêcher de promener son regard partout. La voiture était pleine d'espace, elle respirait le luxe, le cuir crème et le propre.
Et bien sûr, il y avait quelqu'un, assis dans un costume trois-pièces sur-mesure à faire passer ceux de Sherlock pour du prêt-à-porter bas de gamme. Ses yeux clairs n'étaient pas aussi bleus que ceux de son frère, mais son regard était tout aussi perçant, et le frisson que John ressentit n'avait plus rien à voir avec la température.
— John, que plaisir de vous rencontrer enfin, prononça Mycroft Holmes en tendant sa main.
John la serra par réflexe, essayant de ne pas paraître intimidé — ce qu'il ressentait pourtant. Mycroft Holmes dégageait à la fois quelque chose d'avenant et de terrifiant.
— N'essaye pas de faire ton numéro, Mycroft, siffla Sherlock, monté à sa suite.
Il y avait suffisamment de place dans la voiture pour qu'il contourne John, et s'installe entre son frère et son prétendu petit-ami, créant une barrière, protégeant John par ce simple geste.
— Je me suis contenté de dire bonjour, petit frère. Toby ? Nous pouvons y aller. Merci.
John n'avait même pas remarqué que le chauffeur s'était remis à sa place. Il réalisa que le moteur tournait déjà (Il n'avait pas dû être coupé) et qu'il l'entendait à peine, un bourdonnement doux et bas. Ses souvenirs de véhicules à moteur étaient plutôt composés de pick-up et autres camions, qui rugissaient et qui empêchaient toute conversation intelligible, sur les routes mal délimitées de l'Afghanistan.
— Tu auras bien assez le temps de le traumatiser plus tard, répliqua Sherlock.
La voiture déboîta et s'inséra de nouveau sur la route, toute en fluidité. John était bluffé par l'absence de secousses.
— Ce n'est pas mon intention, au demeurant, répondit placidement Mycroft.
John réalisa avec un temps de retard qu'il avait omis d'attacher sa ceinture, et le fit rapidement, laissant les deux égos des frères Holmes s'affronter par regards noirs interposés. Puis, réalisa que Sherlock non plus n'était pas attaché.
— Sherlock ! Ta ceinture !
Son ami reporta son attention sur lui, lui jetant un regard désabusé.
— Non négociable. Ta ceinture.
Sherlock leva les yeux au ciel, mais il s'attacha sans mot dire.
— Vous pensez que Toby pourrait avoir un accident ? demanda perfidement Mycroft en se penchant vers John.
Sherlock s'apprêtait à répondre, mais John lui coupa l'herbe sur le pied.
— Ce n'est absolument pas la question. Je ne le connais pas, et si vous avez confiance en ses capacités de conduite, alors moi aussi. Mais mettre sa ceinture et des clignotants et des phares et tout ça, c'est pas par rapport à soi, c'est par rapport aux autres. Si un mec bourré oublie de freiner ou de s'arrêter au feu rouge fonce dans la voiture, les capacités de conduite de notre chauffeur n'ont aucune importance. Ceinture, point barre.
Mycroft ne répondit rien, se contenta de lever un sourcil. Ses lèvres bougèrent, sans que cela puisse être qualifié de sourire. Sherlock, en revanche, ne se priva pas d'adresser un grand sourire victorieux à son frère, avant de reporter son attention sur John, son regard se transformant en quelque chose de beaucoup plus doux, difficile à décrire, presque impossible à soutenir.
— Merci, chuchota-t-il.
Il attrapa la main gauche de John, contre lui, et la porta à la bouche, embrassant délicatement les doigts, avant de la laisser reposer entre eux, leurs doigts entrelacés. Si John n'avait pas su que c'était un rôle, il aurait trouvé ça extrêmement convaincant. Le regard de Sherlock, notamment, était parfait. John ignorait qu'on pouvait simuler un tel regard, et il en eut le cœur brisé. Il aurait voulu qu'il soit vrai.
Il tenta de réprimer un bâillement, sans y parvenir tout à fait.
— Le trajet va prendre plus d'une heure et demie, annonça Sherlock. Tu peux dormir, si tu veux.
— Le travail nous a conduit à prendre la route plus tard que prévu, résonna la voix de Mycroft. Nous pouvons tous prendre un peu de repos avant d'arriver.
John acquiesça distraitement. Le ronronnement du moteur était une berceuse, il faisait chaud dans l'habitacle une fois débarrassé de son blouson superflu, et Sherlock était assis à côté de lui, l'enveloppant de cette odeur particulière qui était la sienne. John posa la tête sur son épaule — c'était quelque chose qu'un petit-ami pouvait faire, non ? — et ferma les yeux, se laissant aller. Il plongea dans le sommeil sans l'avoir réellement décidé.
