Vous vouliez du long et de la description ? Faites vous plaiz :D bonne lecture et bon réveillon à ceux qui fêteraient Noël !
Vendredi 24 décembre
La première chose qui affleura la conscience de John quand il se réveilla, ce fut la chaleur, beaucoup plus élevée que ce à quoi il était habitué. Ce n'était pas que son appartement était mal chauffé, c'était que l'hiver de cette année était glacial et qu'il n'avait pas les moyens de dépenser des fortunes en chauffage. Cela restait correct néanmoins, avec plusieurs couvertures et plaids. Mais l'intense chaleur, presque étouffante, il n'était pas habitué.
Ses yeux s'ouvrirent au même moment que la pensée traversa son cerveau : il n'était pas chez lui.
Et, point de détail non négligeable, il n'était surtout pas seul. Dans son dos, le tenant fermement, se pressant contre lui, se tenait Sherlock Holmes.
En plus de tout le reste, John sentit ses joues s'embraser. Hier soir, au milieu de la nuit, il somnolait quand ils étaient arrivés. Il avait vaguement entendu Sherlock et Mycroft dire des trucs à propos de leurs parents qui étaient déjà couchés et de la clé de secours dans un endroit trop évident, avant qu'il ne suive Sherlock par réflexe jusqu'à la chambre de ce dernier. Il avait eu l'esprit trop embrumé pour songer à débattre de comment et où dormir. On lui avait présenté un lit moelleux et chaud, et sa fatigue (surtout consécutive à tout le stress qu'il ressentait de passer Noël ici) avait pris le dessus : il s'était déshabillé, ne gardant que son boxer et son T-shirt, et il s'était lové sous la couette accueillante. Il n'avait pas réellement pris le temps de réfléchir au fait que Sherlock allait se déshabiller aussi pour atterrir également dans ce lit.
John, les yeux grands ouverts, totalement figé, essayait d'analyser posément la situation. Le fait que Sherlock le tenait contre lui ne l'aidait pas le moins du monde. John avait eu des relations, au cours de son existence, mais clairement, la vie de couple n'était pas sa spécialité, du fait de l'armée. Il avait entretenu des relations avec des camarades (des deux sexes) et des relations rapides lors de ses permissions, avec la promesse de faire marcher le tout à distance, puis tout s'étiolait et prenait fin. Fondamentalement, il n'avait que peu partagé de lits pour dormir avec les personnes qu'il avait fréquentées.
S'il avait dû parier, il n'aurait pas dit que Sherlock serait câlin et collant. Au vu de la situation inédite et absurde qui était la leur, ils auraient même plutôt dû dormir chacun à un bout du lit en essayant de ne surtout pas effleurer l'autre, d'autant que le lit était résolument immense.
Mais ça ne s'était pas produit comme ça, manifestement. John ne savait pas quand tout cela s'était produit, mais à un moment donné, Sherlock s'était rapproché de lui, qui dormait sur le flanc, tournant le dos au milieu du lit. Et son ami s'était collé contre lui, moulant son torse au dos de John. Le bras gauche de Sherlock entourant sa taille, relativement sagement, posée sur son T-shirt, au niveau de son abdomen, ni trop haut, ni trop bas. Il ignorait où était son bras droit.
Leurs jambes n'étaient pas emmêlées, et si John rougit encore plus en constatant que mû par un réflexe masculin difficilement contrôlable, il avait une érection matinale, il ne sentait rien contre son dos ou ses fesses qui aurait pu appartenir à Sherlock. Dans la foulée de ces pensées gênantes, John se mit à penser en vrac des tas de trucs absurdes, du genre qu'il n'était pas désirable si Sherlock ne bandait pas, ou que Sherlock était un humain bizarre s'il ne bandait pas dans son sommeil, ou qu'il n'avait pas pensé à se brosser les dents hier avant de dormir et qu'il devait avoir une haleine horrible, ou qu'il était complètement con parce qu'il était le FAUX petit-ami alors son haleine n'avait pas d'importance ou que d'ailleurs il était quelle heure parce qu'il faisait pas très jour d'après la luminosité de la pièce, mais c'était l'hiver en Angleterre alors le soleil ne se levait pas tôt ou que...
— Tu es réveillé, maintenant ? résonna la voix de Sherlock à son oreille, le coupant dans ses considérations absurdes.
John sursauta tellement qu'il brisa l'étreinte qui le retenait contre Sherlock. Paniqué, il se retourna, glissant plus loin dans le lit pour s'éloigner du corps trop chaud, tout en remontant la couette sur lui, comme pour se dissimuler à la vue de son ami, ce qui était parfaitement idiot.
Toujours à la même place, appuyé sur un coude et vêtu d'un pyjama qui paraissait beaucoup trop doux pour être légal (de la soie, songea son esprit. Expliquant sans doute le côté chaud et doux qu'il ressentait quand il était pressé contre Sherlock), son ami le regardait avec perplexité.
— Je t'ai réveillé ? demanda-t-il. Tu avais manifesté des signes de réveil depuis cinq minutes, j'ai pensé que tu étais totalement alerte, maintenant.
John lui renvoya un regard rempli d'horreur.
— Depuis quand es-tu réveillé ? demanda-t-il d'une voix blanche. Quelle heure est-il ?
Sherlock haussa les épaules
— Depuis deux heures, environ ? Peut-être plus. Je t'ai dit que je ne dormais jamais beaucoup. Il est huit heures et demie, quelque chose comme ça.
John fut effaré. Dès son réveil, alors qu'il analysait leur position et pensait à des érections matinales, depuis tout ce temps-là, Sherlock était réveillé, conscient, et le serrait contre lui en toute conscience de ses gestes.
— Pourquoi tu ne t'es pas levé ? demanda-t-il d'une voix blanche.
Sherlock roula sur le dos, et haussa de nouveau les épaules.
— Un bon petit-ami resterait avec son copain, non ? Je suis resté.
John songea, et ce n'était pas la première fois, qu'il devait chercher si Sherlock ne trouvait pas ses conseils en relation et « quoi faire pour être un bon petit-ami » dans des magazines (ou blogs, pour la modernité) hétérosexuels et clichés.
— Et puis j'ai pensé que tu n'aimerais pas te réveiller seul et perdu, sans savoir où aller... Je n'ai pas pu te montrer la maison, hier. Il y a certains endroits... où on ne va pas.
Sa voix baissa, et John se rappela brusquement que le manoir des Holmes avait brûlé partiellement, puis été agrandie avec une nouvelle aile. Il aurait trouvé en effet totalement gênant de se réveiller seul, sans savoir s'il devait descendre, monter, où se trouvait la cuisine et la salle à manger, et sans même savoir à quoi ressemblaient les parents de son ami. Même au-delà de l'absurdité de leur situation de faux-petits-amis, c'était une situation délicate d'être arrivés dans la nuit sans avoir rencontré ses « beaux-parents ».
— Merci, Sherlock. Pardon, j'ai pas les idées claires. Tu as eu raison. Merci.
Il ravala le « mais pourquoi tu ne m'as pas lâché une fois réveillé si tu m'as enlacé dans l'inconscience du sommeil ? » qui lui brûlait la langue. Il n'était pas sûr d'avoir envie d'entendre la réponse.
— Tu es parfaitement réveillé ? demanda Sherlock en sortant du lit. Mes parents sont probablement déjà debout. Et il faut que tu visites le manoir.
John hocha la tête, relâchant la couette qu'il tenait depuis tout ce temps contre sa poitrine comme une midinette. Une part de lui était curieuse de découvrir l'environnement dans lequel Sherlock avait grandi.
— Tu pourrais juste m'indiquer une salle de bains, avant ça ? demanda-t-il timidement.
Il avait besoin de passer aux toilettes, de se rafraîchir, passer des vêtements propres, se brosser les dents.
Et aussi d'une distraction pour cesser de reluquer son ami dans son pyjama fin, dans la lumière du petit matin. Parce que ça ne se faisait pas. Pas du tout.
— Juste là, indiqua Sherlock.
Il désigna une porte, attenante à sa chambre. Sa propre salle de bains. D'une certaine manière, cela rassura John. Il n'avait aucune envie d'entrer dans une pièce et de trouver Mycroft Holmes à moitié nu ou en train de se brosser les dents, ça lui aurait paru trop surréaliste. En revanche, comme il le constata en entrant dans la pièce après un hochement de tête pour remercier Sherlock, il n'y avait pas de verrou. Pourquoi y en aurait-il eu un, au demeurant ? La salle de bains allait avec la chambre, donc le possesseur de la chambre n'avait pas de raison particulière de s'enfermer dans sa propre salle de bains. Au pire, il s'enfermait dans sa chambre.
Mais cela sous-entendait que Sherlock pouvait entrer à n'importe quel moment, et un frisson le prit. Son ami ne semblait pas avoir une notion très étendue du respect de l'intimité. Cela ne l'empêcha pas d'apprécier la taille magnifique de la pièce, la douche à l'italienne, les carreaux de marbre autour du lavabo et dans la douche. Tout dans la pièce hurlait le luxe et l'opulence, des choses que John n'avait jamais eues, et avait encore moins aujourd'hui.
Il n'en ressentit pas de jalousie pour autant. Il n'avait jamais pensé que l'argent faisait le bonheur, et connaître l'histoire de l'enfance de Sherlock ne faisait que renforcer ce sentiment. Il se contenta d'apprécier la pièce à sa juste valeur, la propreté du miroir, la pression de l'eau du robinet, la serviette propre et moelleuse sortie sur un coin du comptoir probablement à son attention. Une autre pendant sur un étendoir, et elle était tissée au nom de Sherlock.
John pensa qu'il lui faudrait vérifier si les draps étaient estampillés d'un monogramme ou d'un blason, histoire d'être certain d'où il mettait les pieds.
De la chambre lui parvinrent des sons mélodieux. Sherlock devait jouer, ce qu'il put vérifier en repassant dans la chambre. Il avait ouvert les rideaux, et debout devant la fenêtre, drapé dans une robe de chambre qui semblait autant en soie que son pyjama, il jouait.
— Je m'habille et on peut y aller, annonça-t-il au dos de Sherlock, qui ne répondit rien.
John prit ça pour un assentiment, fouilla sa valise (qui avait été montée aux pieds du lit. Par qui ? Quand ? Aucun souvenir.) et récupéra des affaires, sa trousse de toilettes, puis revint à la salle de bains.
Puis, enfin habillé, propre sur lui et l'haleine fraîche, il sortit avec le sourire pour retrouver Sherlock et affronter le reste de la maison.
Quelque part dans le processus, Sherlock devait avoir entendu John, parce qu'il l'attendait à côté de la porte, et referma ses doigts sur les siens à la première occasion.
— Tu ne t'habilles pas ? demanda John en constatant qu'il sortait dans le couloir dans la même tenue que précédemment.
Sherlock se contenta de hausser les épaules. John ne répondit rien. Il ne lui serait pas venu à l'idée d'émettre des commentaires sur les habitudes des gens. Il préférait être la seule personne habillée de la pièce que rencontrer ses « beaux-parents » en pyjama. Et de toute manière, Sherlock avait l'air plus classe en pyjama de soie que lui avec des vêtements.
Il obligea Sherlock à patienter un instant, sortit de sa valise les petits cadeaux — chocolats et thé — qu'il avait apportés, refusant d'écouter le moindre commentaire de son ami à propos de l'inutilité de la chose, avant d'accepter de le suivre.
À sa grande surprise, une fois dans le couloir, Sherlock se retourna et verrouilla la porte de sa chambre à clé.
— Précaution nécessaire contre Mycroft, expliqua-t-il en voyant la surprise de John. Et une forme... d'habitude, je suppose. Même si ça n'a jamais arrêté Eurus. Voilà la tienne. Tu peux bien sûr y aller librement, toi.
La clé qu'il venait d'utiliser existait en deux exemplaires, et il en fournit une à John, qui l'enfourna dans sa poche.
— J'ai habituellement d'autres techniques pour m'assurer de l'inviolabilité de mon espace mais en ta présence, ce serait plus compliqué.
Il reprit la main de John comme si c'était parfaitement normal et qu'ils se déplaçaient toujours ainsi. John avait beau savoir que c'était pour donner le change, il faudrait qu'il lui explique que les vraies personnes en couple ne souffraient pas d'un maléfice de super-glu les obligeant à se donner la main tout le temps.
— J'ai été ado aussi, hein, se rebiffa-t-il. Je peux comprendre si tu coinces un papier dans la porte pour être sûr qu'il ne tombe pas et donc que la porte n'a pas été ouverte en ton absence !
Sherlock lui renvoya une œillade désabusée, désespéré que John le pense si basique.
— Ou tout autre système plus intelligent que tu as forcément mis au point, espèce de génie arrogant, ça va hein. J'suis p't'être plus débile que toi, mais je peux comprendre si tu m'expliques.
John était concentré sur le trajet qu'ils empruntaient (un long couloir résolument moderne. La nouvelle aile, celle construite après l'incendie), mais ça ne l'empêcha pas de voir le demi-sourire de Sherlock, et de sentir son cœur y répondre violemment. Sherlock était plus beau que toutes les personnes qu'il avait rencontrées dans sa vie.
— On verra ça. Je te ferai visiter le manoir après. Si on ne descend pas immédiatement voir mes parents, ils vont nous faire une crise.
Ils poursuivirent le couloir, descendirent un escalier, puis passèrent une porte, que John identifia avec une clarté effarante entre l'ancienne et la nouvelle partie. C'était d'une évidence presque douloureuse, quand ils pénétrèrent dans le salon. La pièce respirait les vieux bâtiments, les poutres apparentes, les vieilles pierres, les fenêtres avec des lourds volets qui devaient se fermer de l'extérieur, quelques défauts. Dans un excellent état de conservation, et pleine du charme de l'ancien. La chambre de Sherlock se trouvait dans une aile aux murs nus et lisses, avec des fenêtres modernes et sans vie.
C'était comme passer du jour à la nuit sans préparation, et John eut mal au cœur. C'était une preuve si évidente de l'incendie, de ce qui s'était passé, de Eurus.
— Mon poussin ! s'écria une vieille dame avant que John n'ait eu le temps de tout enregistrer.
Dans le coin salle à manger du séjour, les parents Holmes se tenaient là, ainsi que Mycroft. Si ce dernier était tiré à quatre épingles dans un costume trois-pièces, comme la veille, ses parents arboraient des pulls de Noël aux couleurs et motifs criards, ce qui fit se sentir John instantanément mieux. Au moins n'étaient-ils pas aussi guindés que semblaient l'être leurs fils.
Puis sa mère bondit sa chaise et vint enlacer son fils sans lui laisser son mot à dire, même si ce dernier faisait la grimace. Il attendit patiemment (pendant cinq secondes) avant de la repousser. Son père s'était levé à son tour de sa chaise, et il marchait plus difficilement. John se souvint qu'il s'était blessé, raison pour laquelle ils n'avaient pas fait le trajet jusqu'à Londres. Il salua son fils avec plus de retenue.
John se faisait tout petit à côté, tandis que sa mère pérorait sur le fait qu'il était trop maigre, qu'il devait manger davantage, et quel plaisir de le voir, cela faisait si longtemps qu'il n'avait plus mis les pieds à Musgrave !
Elle était réellement émue, et heureuse de voir son fils. Son père aussi, John pouvait le dire. Une partie de lui voulait les détester, de toutes ses forces, pour obliger leur fils cadet à venir dans un lieu si compliqué pour lui, surtout en faisant la remarque qu'il ne venait plus les voir, de ne pas voir combien tout cela était dur pour Sherlock. L'autre part n'arrivait qu'à voir un couple de gentils vieux, qui semblaient simples et doux, loin de l'image aristocratique qu'il s'en était fait. Il était surpris de voir qu'ils étaient beaucoup plus âgés qu'il ne le pensait. Sherlock avait vingt-quatre ans, et Mycroft trente, si John se souvenait bien. Or les parents Holmes semblaient plutôt avoir soixante-dix ans que soixante. Des enfants sur le tard ? À moins que ce ne furent les ennuis consécutifs à la vie de leurs enfants qui les avaient fait vieillir prématurément ?
Il n'eut pas le temps de s'appesantir sur la question. Sherlock avait réussi à faire taire sa mère, et il venait de ramener John sur le devant de la scène :
— Voici John.
Ledit John fut ravi qu'il ne précise pas « mon petit-ami » ou toute autre formule de ce genre. Le plus simple était le mieux. Et il était déjà gêné, sans avoir besoin de sentir son cœur le trahir quand Sherlock disait ce genre de choses.
Il eut à peine le temps de dire bonjour, tendre les petits cadeaux de remerciement de l'accueillir parmi eux à Noël que la mère de Sherlock le serra contre elle, sans la moindre formalité.
— Oh John, quel bonheur de te rencontrer enfin ! Merci d'être là pour mon poussin !
Il était serré trop fort, et ne savait pas comment réagir à l'embrassade — il était anglais pour l'amour du ciel — mais pourtant il en avait les larmes aux yeux. Il ne savait pas depuis combien de temps sa propre mère ne l'avait pas serré contre elle ainsi. Il devait avoir six ans, au mieux, quand elle avait arrêté, et la mère de Sherlock était maternelle, presque trop.
— Pardonne ma femme, s'amusa son père quand elle le relâcha. Sieger Holmes, enchanté.
— Violet, précisa la mère de Sherlock. Écrit à l'anglaise, pour mieux passer inaperçu.
— Vous êtes française, c'est ça ? Et Sieger, ça vient d'où ?
Ils déroulèrent naturellement la conversation à partir de là, en s'attablant pour le petit déjeuner. Mycroft s'absorba très vite dans son téléphone, et vu sa concentration, il travaillait. Sherlock s'installa à côté de John, et lui prenait la main toutes les cinq minutes, restant globalement silencieux et sans rien manger. Violet et Sieger firent la conversation avec bonheur à John, voulant tout savoir de lui, mais sans curiosité malsaine. John, seul, fit honneur à toute la nourriture placée sur la table. Il avait l'habitude des petits-déjeuners anglais, haricots blancs et toasts, bacon et œufs, mais il avait vécu presque toute sa vie d'adulte à l'étranger, et aimait goûter à tout. Violet mangeait partiellement français, Sieger allemand, et il y avait de tout sur leur table désordonnée. Au bout de plus d'une heure, John se sentait bien parmi eux.
— Je vais devoir vous laisser, finit par dire Violet. Il faut que je me mette en cuisine si on veut manger à midi et surtout le réveillon de ce soir !
— Vous avez besoin d'aide en cuisine ? Si je peux me rendre utile... offrit aussitôt John, par politesse et parce qu'il aimait cuisiner.
La tablée entière se figea, et John comprit qu'il venait de dire quelque chose de mal, sans comprendre pourquoi. Même Sherlock, qui semblait perdu dans sa tête, avait rattaché son attention sur lui. Même Mycroft avait levé le nez de son téléphone.
— Il vaut mieux laisser ma femme faire, répondit gentiment Sieger. Personne ne comprend ce qu'elle fait, murmura-t-il sur un ton de conspirateur.
— Pfff ! répondit sa femme avec un sourire.
— Nous comprenons ce qu'elle fait, corrigea Mycroft. Nous ne sommes pas toujours d'accord avec le bien-fondé de la méthode. Vous ne comprendriez pas, John.
John se sentit insulté, mais sans comprendre pourquoi.
— Canard, tu n'as jamais eu à te plaindre de ce que je cuisinais ! répliqua Violet à l'intention de son aîné.
— Ne t'inquiète pas, John, lui glissa Sieger. Moi non plus, je ne comprends pas. Ni ma femme, ni mes fils. Difficile de tenir la comparaison avec des génies ! Mais on s'y fait !
Il semblait terriblement sincère, et John les vit différemment. Il n'avait perçu que de Violet que son air de mamie gâteau, trop protectrice de ses enfants, mais pas son intelligence. Pourtant, alors qu'elle se disputait avec Mycroft, cela semblait évident. Elle était aussi intelligente que ses fils. Que ses enfants. Pendant un instant, à cause de la formulation de Sieger, John avait oublié Eurus. Il se demanda si c'était fait exprès.
— Viens John, ordonna Sherlock en bondissant de sa chaise. Je vais te faire visiter le domaine.
Il attrapa la main de John, et l'emmena avec lui sans sommation. John s'excusa vaguement, et n'eut d'autre choix que de suivre son ami.
Ils arpentèrent toute la maison, beaucoup plus grande que ce que John avait cru. Sherlock commença par lui montrer tout le bas de la maison, cuisine, salle à manger, salon, cellier, accès à la cave et aux sous-sols (oui, au pluriel, d'après Sherlock. John n'avait pas cherché à comprendre), ainsi que la chambre parentale, salle de bains attenante, salle d'eau supplémentaire, le bureau de sa mère, et la pièce allouée à son père. À ce stade, John songeait qu'on pouvait faire tenir l'intégralité de sa maison d'enfance rien que dans quelques pièces du manoir des Holmes.
La bâtisse, bien qu'ancienne, était très bien chauffée et lumineuse, et John jetait régulièrement des coups d'œil vers l'extérieur. Le temps était clair, pour l'instant, mais sentait le froid et la neige, et John avait dans le cœur un vieux rêve d'enfant, celui d'un Noël blanc et de suffisamment de place pour jouer dans la neige. Quand il était petit, à part aller aux parcs municipaux, ils n'avaient pas trop le choix. Musgrave, en revanche, semblait entouré d'un parc immense, et il n'y avait que de la verdure à perte de vue, blanchie par le givre qui faisait scintiller le décor.
— Je te montrerai le terrain après, indiqua Sherlock. Viens.
Il avait lâché sa main, depuis qu'ils n'étaient plus visibles par les autres, mais il se tenait toujours proche de lui, et souvent, ses longs doigts de violoniste effleuraient ceux de John, et ce dernier frissonnait.
John le suivit, tandis que Sherlock annonçait :
— L'ancienne partie du Manoir.
John hocha la tête gravement. Il savait ce que cela sous-entendait. Sherlock n'était pas le conteur le plus intéressant au monde, parce qu'il était terriblement factuel, mais il avait clairement expliqué que le feu avait pris à l'étage, puisque Eurus avait tenté d'incendier la chambre de Sherlock en priorité. Ainsi, tout le rez-de-chaussée avait été préservé. L'étage était plus fragile.
— On a consolidé l'escalier, indiqua Sherlock. Mais ça reste... dangereux, là-haut. Mes parents n'y vont pas.
John comprit pourquoi en arrivant sur le palier du premier étage. L'incendie datait de plusieurs années, et pourtant les murs semblaient garder l'odeur du brûlé, qui prenait à la gorge alors qu'ils avançaient dans le couloir. Autour d'eux, les murs autrefois blancs étaient zébrés de traces noirs, suie et poussières. On voyait encore la trace des tableaux et autres décorations qui ornaient les murs et qui avaient été décrochés. Jetés car détruits, ou repositionnés ailleurs ?
Sherlock, sans émotion particulière dans la voix, indiqua que l'étage comptait trois chambres et leurs salles de bains attenantes, la bibliothèque, et un bureau qui servait de chambre d'amis également. Ce qui avait sauvé le reste de la maison, c'était le fait que la chambre de Sherlock était tout au bout du couloir, au-dessus du garage. Ce dernier était dès lors condamné, car trop fragile, mais le reste de la maison avait tenu bon.
Ce qui avait sauvé Sherlock, c'était la position de sa chambre, en face de la majestueuse et immense bibliothèque, que Eurus n'avait pas pu se résoudre à faire partir en fumée. Elle avait réellement cherché à circonscrire le feu à la seule chambre de son frère, ou au moins à ce côté-ci du couloir. Le feu s'était alors propagé à la chambre de Mycroft attenante, puis à celle de Eurus, plus légèrement. Les pompiers étaient intervenus avant que la bibliothèque ne prenne totalement feu, ce qui aurait embrasé la maison toute entière, au vu de l'immense quantité de combustible que les livres auraient représentée. Sherlock, en avançant lentement dans le couloir marqué par l'incendie, indiqua la porte de l'ancienne chambre de sa sœur, dans laquelle ils n'entrèrent pas.
— Même si elle avait une chambre, dans la nouvelle aile, elle a préféré rester ici, annonça-t-il.
John n'arrivait pas à comprendre comment l'enfant avait pu s'en sortir au motif que c'était un accident, sans que personne ne cherche à l'enfermer. Elle retournait « habiter » sur les lieux de son crime, pour l'amour du ciel ! Comment cela avait pu n'alerter personne ?
— Elle est très douée en manipulation, commenta la voix sombre de Sherlock à ses côtés, comme s'il avait lu ses pensées.
John songea qu'il ne voulait jamais la rencontrer. Puis il réalisa à quel point la voix de Sherlock était nantie de fêlures, et cette fois ce fut lui qui lui prit la main, la serrant de toutes ses forces, juste pour lui dire qu'il était là. Il ne la lâcha pas, même pour continuer à avancer.
Ils s'arrêtèrent devant ce qui avait été la chambre de Mycroft. À moitié brûlée, et pas grand-chose à voir, a priori. L'adolescent avait repris tout ce qui était possible de l'être, et jeté le reste. On voyait les reliquats des meubles abîmés, laissés sur place, donnant à la pièce une ambiance fantomatique. Le lit dépourvu de draps, la table de nuit vide, le bureau sans un papier dessus. John frissonna, et se raccrocha davantage à la main qu'il tenait, ne sachant plus vraiment si c'était lui qui soutenait Sherlock ou l'inverse.
Ils avancèrent encore, en direction de la chambre de Sherlock.
— On ne peut pas aller plus loin, l'arrêta soudain son ami à un mètre de la porte. Au-delà, c'est dangereux, parce qu'on ne peut pas être certain que la structure est suffisamment solide.
John avisa le sol calciné, les murs noirs. Il n'avait aucune compétence en maçonnerie, ni en incendie. Il ignorait parfaitement si c'était risqué ou non.
— Tu n'es jamais allé plus loin ? murmura-t-il.
C'était absurde, parce que personne ne pouvait les entendre, et la maison n'allait pas s'écrouler simplement en parlant fort, mais il n'arrivait pas à faire autrement.
— Non.
— Tu n'as jamais...
John ne savait pas comment finir sa phrase : récupéré ses affaires ? Ce à quoi il tenait ? Vu l'état des dégâts ? Constaté la violence de sa sœur, la destruction de son enfance ?
— Tu voudrais ? reprit John.
Sherlock le regarda, surpris. Mais une bonne surprise. Exalté. L'envie le tenaillait. Il n'était jamais allé plus loin que cette barrière invisible. On lui avait ordonné de ne pas la franchir, et il ne l'avait jamais fait, alors même que respecter les règles n'était pas son point fort. Mais celle-là, il s'était toujours senti incapable de la mépriser. Mais il n'avait jamais eu une main chaude dans la sienne, un cœur battant à ses côtés, un corps qui se tenait droit et dont les épaules ne flanchaient pas. Il n'avait jamais eu quelqu'un pour qui il ressentait des sentiments aussi confus et imprévisibles.
— C'est dangereux, répondit Sherlock.
Cela le surprit de lui-même. Il n'était pas la personne la plus raisonnée face au danger.
— J'ai servi en Afghanistan et j'ai pris une balle dans l'épaule, répondit John. J'ai vu tous mes camarades mourir autour de moi sans que je ne puisse rien faire. Je connais le danger.
Sherlock, soudain, comprit et se fustigea de ne pas l'avoir vu avant. Il avait déduit la blessure, le rapatriement, le syndrome de stress post-traumatique, le limogeage, la mort de tous ses compagnons d'arme, mais il n'avait jamais su où John était blessé. Par messages interposés, bien sûr, il était impossible de le déduire, mais depuis qu'il l'avait rencontré, il aurait dû le savoir. La tension dans l'épaule gauche, la manière dont il le serrait toujours plus fort de la main droite alors qu'il était gaucher. Ça aurait dû être évident. Une preuve de plus, s'il en fallait, que John Watson bouleversait toutes les certitudes établies dans la vie de Sherlock.
— T'es un génie, reprit John. Je suis sûr que tu saurais faire attention. Savoir où mettre les pieds, et comment te déplacer. J'y vais si tu y vas. Je suis là si tu veux y aller. Je te fais confiance.
John ne le poussait pas. Il se contenait de proposer, d'offrir son aide. Sherlock le vit rougir légèrement, sans comprendre que John songeait à Titanic et au fameux « je saute si tu sautes » de Rose et Jack, parce qu'il n'avait jamais vu le film.
Il avait raison, au demeurant. Sherlock avait, un jour lointain mais sa mémoire était excellente, appris tout ce qu'il y avait à savoir pour se déplacer dans des bâtiments sinistrés par un incendie. Techniquement et théoriquement, il savait comment faire. Il n'avait jamais été capable de franchir ce cap.
— Je te fais confiance, répéta John.
Et bizarrement, cela fut ce qui décida Sherlock. Parce que depuis que Mycroft avait découvert qu'il était drogué, plus personne ne lui avait réellement fait confiance. Bien sûr, on écoutait ses analyses des scènes de crime, et Lestrade finissait par arrêter les coupables au bout d'un moment, mais dès que Sherlock avait l'air un peu trop intense, ou s'il ne répondait pas, ou disparaissait des radars, ils pensaient tous (Scotland Yard, sa famille, Molly) qu'il avait replongé. John, lui, était entièrement sincère. Si Sherlock lui avait dit de marcher tout droit et qu'il ne risquait rien, il l'aurait fait, au risque de traverser le sol et d'atterrir dans le garage sinistré.
— Je veux y aller. Avec toi, décréta-t-il.
Ils y allèrent. Lentement, prenant des chemins détournés, évitant les zones plus faibles. Il n'y avait qu'un mètre à franchir pour atteindre la porte, et trois autres pour être au milieu de la chambre (du moins, autant que faire se peut selon les dégâts), et ce furent les quatre mètres les plus difficiles à effectuer de toute sa vie.
Une fois au centre de ce qui avait été son univers, pivotant lentement sur lui-même, Sherlock contemplait son enfance. Le spectacle était particulièrement lugubre. Ici, aucun ménage n'avait été fait. Les draps calcinés pendaient sur le lit, tout sentait le renfermé, brûlé, mité. Des jouets fondus ou cassés garnissaient la chambre, des bouts de livres se retrouvaient partout, et il y avait également des bris de verre : les fenêtres n'étaient plus que des trous béants, recouverts d'une bâche en plastique de l'extérieur. Sherlock aperçut, au pied de son lit, son tricorne, son bateau pirate, et ses petits soldats de plomb avec lesquels il avait tant joué. Aujourd'hui, il se souvenait à peine de l'époque où Victor et lui étaient Barberousse et Barbenoire.
Il se rendit compte qu'il tremblait quand les bras de John se refermèrent autour de lui.
— Je suis là, Sherlock. Je suis là. Tout va bien.
Il réalisa qu'il pleurait quand il s'effondra sur l'épaule de son ami, et que ce dernier se mit à essuyer ses joues, caressant ses pommettes de ses paumes dans un geste tendre, doux. Sherlock n'avait pas pleuré depuis plus de quinze ? vingt ? ans. Il ne savait plus. En revanche, il savait précisément que personne ne l'avait touché avec tant de douceur, de dévotion. Dans son cerveau, une voix lui murmura que c'était de l'amour. Que John l'aimait, prenait soin de lui, apaisait sa douleur avec tendresse, comme le font les couples.
Sherlock fit taire la voix avec rage. Il ne doutait pas que John l'aimait. Comme un ami. Il n'avait eu de cesse de le dire. Qu'il était son ami, et il mettait des cœurs dans ses textos en même temps. Le message était clair : il l'aimait comme un ami. Et il prenait soin de lui comme le bon médecin qu'il était, rien de plus.
Quand sa crise fut passée, Sherlock se redressa de sa position blottie contre l'épaule de John. Ce faisant, il effleura de sa joue celle de John. Son regard tomba sur les lèvres de son ami. Il les regarda. Une seconde ou deux à peine. Une seconde ou deux de trop.
John rougit violemment, et Sherlock se détacha de lui à regret. Son pyjama fin lui avait permis de ressentir tout le corps de John, son pull en laine et le tissu rêche de son jean serré et tendu.
— Pardon, je...
— Ne t'excuse pas, ordonna John d'une voix sèche. Tu avais le droit. Je dirais même que tu en avais besoin. Tu as le droit de pleurer sur mon épaule. Je t'en voudrais jamais pour ça.
— Merci, répondit Sherlock.
Cette fois le visage de John se barra d'un immense sourire, du genre qui provoquait la fonte des glaces du cercle polaire.
— C'est rien ? On continue la visite, maintenant ?
Il essayait de faire revenir un peu de légèreté dans l'instant, et Sherlock acquiesça. Ils quittèrent l'ancienne chambre de Sherlock sans se retourner.
Avant de quitter l'étage sinistré, Sherlock tint tout de même à lui montrer la bibliothèque. L'accès situé en face de la chambre de Sherlock était impraticable, mais la pièce faisait presque la taille des trois chambres qui lui faisaient face de l'autre côté du couloir, et il y avait une autre porte, d'un côté qui n'avait pas tant souffert de l'incendie. John fut soufflé de la majestuosité de la pièce, les milliers (millions ?) de volumes du sol au plafond, les fauteuils et autres lieux de lectures confortables, les vieilles lampes comme dans les bibliothèques universitaires, les immenses fenêtres qui baignaient tout d'une luminosité claire et cotonneuse...
— IL NEIGE ! s'exclama John en comprenant ce qui provoquait cette lumière particulière. Oooooh, j'espère que ça va tenir !
Il se retint se sautiller comme un enfant, et Sherlock s'amusa de son enthousiasme.
— On doit encore voir l'autre côté de la maison, avant de sortir. Allez, viens.
Leurs mains se rejoignirent naturellement, tandis qu'ils redescendaient, traversaient le rez-de-chaussée, et atteignaient la partie récente du bâtiment. Ils ne croisèrent pourtant personne, chacun affairé à ses propres occupations. Ils ne se lâchèrent pas pour autant.
Dans la nouvelle aile, John retint un commentaire sarcastique sur le fait qu'il s'agissait d'un putain de miroir. À l'exception de la bibliothèque, qui n'existait pas, l'agencement était globalement le même. Chacun des trois enfants Holmes avait sa chambre et sa salle de bains. Sherlock était de nouveau au bout du couloir. Eurus, d'après ses dires à demi-mot, n'avait jamais occupé cette chambre-ci, et Mycroft était déjà âgé à l'époque. Il vivait en pension, à Eton, puis avait ensuite enchaîné avec l'université. Aujourd'hui, il l'utilisait quand il rentrait chez ses parents, du genre deux fois par an. L'aile récente n'avait pas les traces de vie qu'avait pu comporter l'autre partie du bâtiment, et Sherlock ne semblait n'avoir aucun affect.
Tandis qu'il repassait dans la chambre de Sherlock (leur chambre à vrai dire) pour que Sherlock puisse s'habiller et John passer des vêtements chauds, ce dernier réalisa à quel point la pièce était dénuée de vie. Blanche, fonctionnelle. Rien à voir avec la chambre calcinée dans laquelle il était entré.
Sherlock était dans la salle de bains quand John réalisa à quel point la métaphore était parfaite : la façade que Sherlock présentait au monde était comme cette chambre. Froide, impersonnelle. La réalité était sa chambre d'enfant : bouillonnante de vie, de passion, d'emphase.
C'était ce Sherlock là que John avait vu sous la surface du génie connard et arrogant. C'était cet homme-là qu'il aimait.
Sherlock ressortit de la salle de bains à ce moment-là, les cheveux légèrement humides et un costume sur mesure sur le dos. Il était magnifique.
— Tu vas avoir froid, commenta John en tentant de faire comme si de rien n'était.
Sherlock haussa les épaules.
— J'aurai mon manteau. Prêt à voir l'extérieur ? Tu vas voir, c'est encore plus intéressant !
John ne put s'empêcher de sourire comme un enfant. Il neigeait à gros flocons, Sherlock était splendide et merveilleux, et il aimait tout découvrir de lui. Le fait que son cœur finirait irrémédiablement en minuscules morceaux à la fin n'avait pas d'importance, au final. Le jeu en valait la chandelle. Il suivit Sherlock à l'extérieur de la pièce puis de la maison avec joie.
Le jardin était encore plus bluffant que le reste de la maison. John devait réellement se pencher sur cette histoire de linge de maison monogrammé ou avec des armoiries, parce que le terrain n'en finissait pas. Toute la campagne à perte de vue semblait appartenir à Musgrave, et la bâtisse imposante et magnifique, de loin, valait le coup d'œil, surtout avec toutes les cheminées, du moins dans l'ancienne partie du bâtiment. La nouvelle n'avait pas le cachet de l'ancienne, au demeurant. Ce n'était pas non plus Downton Abbey (Sherlock secoua la tête de dépit quand John y fit référence), mais c'était impressionnant.
Sherlock lui indiqua que la forêt et le ruisseau appartenaient au domaine de la famille, ainsi que les drôles de tombes parmi lesquelles il jouait, enfant, et la campagne environnante. John essaya de se figurer un petit Sherlock avec des cheveux tout bouclés, sur un terrain de jeu pareil, avec Victor. Lui qui avait grandi en ville, dans un petit appartement plutôt miteux, c'était au-delà de son imagination.
Au cours de leur balade, souvent, ils se tenaient la main, sans vraiment l'avoir réfléchi. John songea avec douleur que de l'extérieur, ils devaient réellement paraître très crédibles en tant que couple. Ils n'avaient pas besoin de faire semblant, pourtant, mais ils le faisaient quand même.
Sherlock récupéra cependant sa main, alors qu'ils approchaient d'un puits naturel dans la roche, à l'écart de la maison. Il avait expliqué à John l'énigme des drôles de tombes, la raison pour laquelle les dates et les noms n'avaient aucun sens. Le médecin n'était pas sûr d'avoir tout suivi, mais ça n'avait eu aucune importance, parce que tout ce qu'il avait besoin de savoir, c'était que Eurus avait intégré cette particularité de la maison dans l'énigme en chanson qui avait failli coûter la vie à Victor (la première fois, du moins).
— Il était là, murmura Sherlock. Au fond. L'eau montait. J'ai résolu l'énigme à temps.
John sentit un frisson le traverser, qui n'avait vraiment rien à voir avec le froid glacial et la neige qui continuait de tomber autour d'eau. Heureusement, Sherlock connaissait le terrain dans ses moindres reliefs et leur avait évité la chute. En particulier dans le puits en question. Imaginer un enfant y être jeté volontairement et y risquer la mort si Sherlock n'avait pas compris assez vite... C'était terrifiant.
— Comment Eurus a pu affirmer que c'était un accident ? demanda-t-il.
— Je ne sais pas comment elle a manipulé Victor. Aux enquêteurs et aux parents, elle a dit qu'il était tombé accidentellement. Les accidents, ça arrive.
John n'arrivait pas y croire. Certes, le lieu était dangereux, mais pas pour un enfant qui le connaissait parfaitement et y jouait régulièrement, comme Victor semblait le faire avec Sherlock. En outre, le trou était toujours là, à la même place. Personne ne l'avait bouché ou tenté de le rendre moins dangereux.
Bizarrement, Sherlock se tenait loin de lui, au bord du puits. Très au bord. John ne craignait pas qu'il saute. Pas vraiment. Mais un peu quand même. De toute évidence, ce retour sur les traces de son enfance réveillait des blessures enfouies depuis des années. John arrêta de réfléchir et le tira en arrière, loin de la margelle accidentée par les années et friable, loin du puits et des souvenirs terrifiants qu'il renfermait. Loin de tout cela, et droit dans ses bras accueillants. Malgré le manteau épais, dont la laine noire tranchait avec les flocons blancs qui tourbillonnaient autour d'eux, John aimait sentir le corps de Sherlock contre le sien.
La voix dans sa tête lui rappela que tout cela allait mal finir. Il la fit taire, par égoïsme, encore une fois, pour apprécier l'étreinte, pour oublier qu'ils n'étaient qu'amis et que tout était faux.
Parce que l'homme tremblant contre lui qui affrontait ses démons les uns après les autres, c'était réel. Qu'importait son statut véritable auprès de Sherlock, John l'aimait, et il aurait fait n'importe quoi pour l'aider.
— Messieurs ?
La voix derrière eux les fit sursauter, et ils se détachèrent brutalement, comme pris en faute. Tiré à quatre épingles, un grand parapluie noir déployé au-dessus de lui, Mycroft Holmes se tenait là. Il ne semblait même pas souffrir du froid, contrairement à John et Sherlock qui étaient frigorifiés, à force d'explorer le territoire depuis un moment.
— Maman m'envoie vous chercher pour vous signifier que le déjeuner est prêt.
— Comment as-tu su où nous étions ? cracha Sherlock.
Mycroft eut un sourire sadique, comme si la réponse était évidente et que Sherlock était particulièrement lent.
— Il n'est pas difficile de prédire tes mouvements, petit frère. Tu es si prévisible et sentimental.
Il se détourna aussitôt, retournant vers la maison, sans que Sherlock ne puisse lui répliquer quoi que ce soit. Il dut se contenter de lever les yeux au ciel, râlant dans sa barbe sur l'insupportable supériorité de son abruti de frère. Ils se mirent néanmoins en route derrière lui, renouant leurs doigts. Dans le cas improbable où Mycroft Holmes se retournait, évidemment. Ils devaient rester crédibles dans leur rôle. Et pas du tout parce que John appréciait le contact des gants de cuir de Sherlock sur sa peau nue. Il se foutait du froid et des engelures et de sa peau craquelée par la neige. La sensation des doigts de Sherlock enroulés autour des siens valait totalement le coup.
— Au fait, interrogea-t-il sur le trajet retour, pourquoi ta mère est si opposée à ce que quelqu'un l'aide en cuisine ? Vous avez eu l'air tellement bizarre, tout à l'heure.
Il pensait sa question relativement anodine, mais préférait néanmoins que Mycroft soit à bonne distance, pour qu'il ne les entende pas. Avec le bruit de la neige et du vent, la précaution était superflue.
Sherlock soupira.
— La première raison est celle qu'on t'a donnée. Maman est médaillée en mathématiques, et elle cuisine avec des théorèmes de son invention, les modifiant régulièrement, et selon une logique qui lui appartient. Nous n'y comprenons pas grand-chose. Bien sûr, Mycroft et moi comprenons les schémas mathématiques et calculs, si nous le voulons, mais pas la logique qui sous-tend leur application.
— Et la deuxième raison ? demanda prudemment John, tout en se demandant s'il allait prendre le risque de manger de tout à midi si tout était fait en réinventant les recettes selon des formules de maths à chaque repas.
Sherlock baissa la voix, se rapprocha encore plus de John, jeta un coup d'œil à son frère qui était quelques mètres devant et ne leur prêtait aucune attention.
— Eurus aidait Maman, quand elle était plus jeune. Elle comprenait les maths et la logique, et elle participait activement. Personne n'a aidé ma mère depuis le départ de la maison de Eurus. Aucun de nous... ne souhaite s'y risquer.
— Oh.
John ne sut pas quoi dire de plus. Il n'y avait aucune chance pour qu'il concurrence une gamine psychopathe et au QI supérieur au reste du monde (réuni). Clairement, il ne poserait plus la question.
— Attends... dit-il en percutant quelque chose. Ta mère est médaillée en mathématiques, tu viens de dire ? Genre... comme la médaille Fields ?
— Oui, pourquoi ?
— Elle aréellement la médaille Fields ? Genre, l'équivalent d'un putain de prix Nobel en maths ? hallucina John.
— Oui, pourquoi ? répéta Sherlock, parfaitement inconscient de son désarroi.
John ne répondit rien, et préféra se demander en son for intérieur où il était tombé, quand des gens considéraient comme normal et banal d'avoir des prix Nobel, ou pas loin.
Il s'avéra que le repas était délicieux. John passa son temps à complimenter Violet Holmes, qui répondit à chaque fois que ce n'était rien, et que c'était juste rapide, en attendant le soir. Il avait désormais hâte, et Violet était si contente d'avoir enfin quelqu'un qui faisait honneur à ses plats qu'elle était adorable avec lui. Sieger était doux, Mycroft complètement muet, vérifiant son téléphone toutes les trente secondes (et en vérifiant un autre toutes les deux minutes environ), et Sherlock faisant de son mieux pour avoir l'air renfrogné mais John le voyait réfréner ses sourires quand John avait l'air détendu et lui souriait.
— Vous avez prévu quelque chose cet après-midi, les garçons ? demanda Violet à la fin du repas.
John ignorait quelle était la bonne réponse à donner, et attendit un instant pour voir ce que Sherlock allait dire, mais il resta muet.
— Rien de particulier, je suppose ? Vous avez besoin d'aide pour quelque chose ?
— Canard, pourras-tu aller couper un sapin ? Il faudrait décorer la maison, si vous le souhaitez. Nous n'avions pas prévu d'être là, alors nous n'avons rien fait, mais ce n'est pas une manière de fêter Noël !
La maison était en effet magnifique, mais John n'avait vu aucune guirlande, étoile, lumière, ou décoration, en effet. Petit, John avait adoré Noël, et placer toutes les décorations pour faire briller la maison était un de ses trucs préférés au monde. Ses yeux s'illuminèrent, parce que la grande baraque était l'endroit parfait pour faire rêver un gamin qui aimait Noël.
— Ooooh, j'adorerais ça ! Sherlock, tu m'aideras ? Vous avez des couleurs spéciales ? Des manières de décorer spécifiques ? Le sapin ?
Manifestement, son enthousiasme acheva de séduire Violet et Sieger. Au final, Sherlock et John n'avaient jamais discuté du rôle que ce dernier devait tenir pour jouer les faux petit-amis. Soit Sherlock avait estimé que John serait incapable de jouer le copain odieux, tatoué, sortant de prison, insultant et méchant, soit il n'avait pas eu envie de le voir ainsi. De toute manière, il était bien trop tard pour revenir en arrière. John avait hérité du rôle du gendre parfait qui brisera le cœur de leur fils.
— Canard, tu iras chercher le sapin, hein ? insista Violet en direction de son fils aîné.
Mycroft répondit par un vague signe de main qui pouvait passer pour un acquiescement, mais son téléphone sonna au même moment, et il se précipita hors de la pièce pour y répondre.
— Mycroft ira chercher un sapin sur le terrain, décréta Sieger. Venez, John, je vais vous montrer ce qu'on a pour décorer. Sherlock, aide ta mère à débarrasser la table.
Tout le monde obéit aussitôt.
John poussait le lourd et volumineux carton de décoration qu'on lui avait confié quand il fit une pause. Il allait passer des heures à tout installer, mais il était ravi. Il allait embaucher Sherlock pour l'aider, et ça serait drôle. Tout le monde aimait Noël. La neige ne s'arrêtait pas, et il espérait toujours son Noël totalement blanc, au matin du 25. Avec l'immense terrain de Musgrave, ça deviendrait un décor de carte postale. Il avait tellement hâte qu'il avait aussi décrété qu'il allait mettre les décorations extérieures, quitte à mourir de froid et risquer de se casser une jambe sur un escabeau pour les guirlandes sur les murs.
Faisant une pause, il s'arrêta devant une pièce (non identifiée, un bureau ?) d'où provenait une voix étouffée. Un bref instant, John crut qu'il s'agissait de Sherlock, et il s'arrêta pour écouter, parce que la porte était entrouverte. Il ne cherchait pas à espionner.
— Je sais qu'il neige... Oui, la voiture, ce sera compliqué... même moi, je suis en vacances, ils peuvent bien se passer de toi ? ... Je SAIS qu'il va y avoir plus d'accidents à cause de la circulation difficile, mais tu n'es pas affecté à la circulation, justement ! ... Et un hélico ? ... Non, pas les tiens, bien sûr je peux... Non, ce n'est pas de l'abus de pouvoir... Oui, bien sûr qu'on peut faire atterrir un hélico à Musgrave...
John avait compris dès le milieu de la conversation qu'il s'agissait de Mycroft, mais il n'avait pas réussi à s'empêcher d'écouter. Il méconnaissait le frère de son ami, mais il ne le voyait que comme son apparence froide et lisse, dans un costume parfait. Or, sa voix qui filtrait sous la porte était blessée, angoissée, et il en devenait humain.
— Je t'aime aussi, soupira soudain Mycroft. Ce serait juste... plus simple si tu étais là.
John estima qu'il en avait assez entendu et se racla bruyamment la gorge, avant de frapper ostensiblement, comme si de rien n'était.
— Mycroft ? Votre mère m'envoie vous rappeler d'aller chercher le sapin... On va décorer la maison, avec Sherlock.
Toujours le téléphone à l'oreille, Mycroft le regarda d'un air soupçonneux, et John prit l'air le plus angélique de sa collection. Il y avait derrière lui le carton qu'il trimballait, alors il était d'autant plus crédible.
— Je te rappelle dès que je peux, indiqua Mycroft à son correspondant avec la voix la plus neutre de tous les temps.
Il raccrocha avant même d'avoir entendu la moindre réponse.
— Dites à Maman que j'y vais immédiatement. Bon courage pour faire installer des guirlandes à Sherlock, ricana-t-il.
Il s'avéra que Mycroft avait raison : faire installer des décorations de Noël à Sherlock se révéla une bataille ardue. Il s'avéra également, au plus grand bonheur de Violet Holmes, que John gagnait les batailles qu'il menait. Sans jamais chercher à le manipuler ou à concurrencer son intelligence, ce qu'il ne pouvait évidemment pas faire, il parvenait quand même à lui donner des ordres, et à le faire obéir. Sherlock râlait, bougonnait et marmonnait, mais il agissait.
Même Mycroft, rentré au bout de quelques temps avec un immense sapin, fut surpris, et John croisa son regard admiratif pendant une seconde, avant qu'il ne se détourne et que John rougisse, gêné.
La situation lui semblait de pire en pire : il était évident que si Violet et Sieger avaient commis des erreurs lourdes de conséquence dans l'éducation de leurs enfants, ils aimaient ceux-ci et souhaitaient leur bonheur. Mycroft était peut-être froid, glacial, flippant et beaucoup trop dévoué à avoir la mainmise sur la vie de son frère, mais John avait surpris l'humain derrière lui, et cela l'avait rendu sympathique. John devenait pour eux le gendre et beau-frère parfait, et ils semblaient sincèrement l'aimer pour ce qu'il était. John ne jouait pas de rôle. Il ne cherchait pas à être exécrable, mais il ne jouait pas non plus les gentils pour coller à leurs attentes. Il était lui, et ils l'aimaient pour ça, persuadé qu'il était le conjoint de Sherlock.
C'était déjà mal, mais c'était pire encore... parce que Sherlock, bougonnant à chaque guirlande que lui tendait John semblait aussi aimer John pour ce qu'il était. Et John avait l'impression qu'il était évident pour absolument toutes les personnes de la pièce qu'il était désespéramment amoureux de Sherlock Holmes dans sa globalité, dans tous ses mauvais côtés autant que les bons.
Ça ne pouvait que mal finir.
Alors John essayait de ne pas y penser, et s'amusait à décorer la maison. Sieger avait donné quelques indications, notamment pour recenser les guirlandes extérieures, les prises correspondantes, et prévoir l'installation électrique pour ne pas faire sauter les plombs, mais John avait eu ensuite carte blanche.
Le sapin rapporté par Mycroft leur appartenait, et provenait de la partie de la forêt qui était liée à Musgrave. Ce n'était pas les épicéas ou les Nordmann auxquels John était habitué, touffus et plantés dans ce seul but. En réalité, le sapin était immense, avec des très longues branches très distantes les unes des autres. Il ne ressemblait pas à ceux des publicités, mais il avait son charme. Il était impossible de le décorer comme John le pensait, alors il ajusta ses envies.
Le salon tout entier passa entre ses mains. Des guirlandes, des boules, des santons, des décorations, du houx, des figurines et des bougies se retrouvèrent sur tous les murs, et une grande partie des surfaces planes. Les escaliers, également, eurent le droit à leurs décorations, ainsi que les encadrements de porte.
John concentra ses efforts uniquement sur les pièces à vivre, en bas, et se risqua en cuisine où officiait Violet Holmes uniquement pour décorer, se gardant bien de proposer son aide.
À un moment donné, une odeur de cannelle embauma la maison, et Sherlock fit la grimace. Puis Violet leur offrit à tous du chocolat chaud onctueux et délicieux, en mettant dans la main de son fils une tasse spéciale pour lui, garantie sans cannelle, et Sherlock, s'il ne remercia pas sa mère, ne fit aucune critique.
John lui adressa un sourire lumineux.
Bien emmitouflés, ils passèrent ensuite aux décorations extérieures. Au plus grand bonheur de John, un fin tapis blanc recouvrait déjà le jardin.
— Il n'y a pas de pollution, ici, commenta Sherlock. La neige tient forcément plus facilement au sol qu'en ville.
— Alors je suis content d'être venu !
— Uniquement pour ça ?
La voix de Sherlock était hésitante, et John se retourna vers lui. Ses pommettes étaient rouges vifs, sans qu'il puisse déterminer si c'était dû au froid ou à autre chose.
— Non, Sherlock, pas uniquement. Je vais passer un Noël de rêve dans un décor de carte postale, et ça me remplit de joie... Mais rien n'égalera le bonheur de t'avoir rencontré, d'être devenu ton ami, et de passer aujourd'hui du temps avec toi. Le plus beau cadeau de Noël au monde que je pouvais recevoir, c'est ta présence.
Il était terriblement sincère, et même s'il savait qu'il n'aurait pas dû faire ça, il n'avait pas pu s'en empêcher. Sherlock vira au rouge brique, et ce n'était assurément pas dû au froid.
Il ne répondit rien, et John préféra changer de sujet, plutôt que rester sur ce terrain glissant. Tandis que John grimpait sur un escabeau pour fixer les guirlandes extérieures, Sherlock assurant sa sécurité et stabilité, il demanda d'un ton innocent :
— D'ailleurs... y'a un truc que je t'ai jamais demandé... Mon numéro, on a établi que l'opérateur l'utilisait pour les téléphones à carte prépayées, d'où le fait que c'était celui de Victor et puis le mien en fait, et qu'on s'est rencontrés comme ça...
Sherlock leva les yeux au ciel, sa manière à lui d'exprimer qu'il savait parfaitement comment ils en étaient arrivés là, et John n'avait pas besoin de tout récapituler.
— Pardon, je t'ennuie. Bref, ma question, c'était pourquoi Victor avait un téléphone à carte ? C'est pas franchement courant.
— Je me souviens de tes théories initiales, oui.
John ricana. Elles restaient parfaitement valides, selon lui.
Comme Sherlock ne répondait rien, John craignit un instant d'être allé trop loin. Sherlock ne parlait pas de Victor, et il pouvait dire ce qu'il voulait, son deuil n'était pas fait. Cependant, son visage, pour autant que John pouvait en juger, n'exprimait pas d'angoisse, de stress, ou de problèmes du genre. Sherlock avait une tête normale. Aussi normale que possible considérant que John le voyait à travers ses pieds, tenant l'échelle, emmitouflé dans son manteau, et au milieu de ce qu'ils n'allaient pas tarder à pouvoir appeler une tempête de neige. Heureusement, ils avaient bientôt fini.
— Tu ne veux pas répondre ? demanda John quand il eut fini, et qu'il redescendait. C'est parfaitement compréhensible, hein. Je me demandais juste...
Sherlock le regarda, surpris.
— J'attendais juste que tu descendes. Tu ne devais pas entendre grand-chose, là-haut, avec le vent.
— Oh.
John était touché. Le vent s'était effectivement levé, en plus du reste et de la nuit qui tombait — Ils auraient sans doute dû commencer par l'extérieur, mais John n'avait pas réfléchi — et il était probable qu'il aurait en effet compris une syllabe sur deux. C'était prévenant de la part de Sherlock.
— Victor pensait qu'il allait mourir, dit soudain Sherlock alors que John repliait l'échelle.
Surpris, il la replia un peu vite, manqua de s'écraser une main et de se faire très mal. Au final, il ne se pinça qu'un peu de peau, un moindre mal.
— Ses yeux, poursuivit Sherlock. Je t'ai dit qu'il souffrait d'une maladie dégénérative. Quand on était petit, il portait un cache-œil de pirate. Après l'accident, le premier avec Eurus, il a pu être opéré. Il a gagné du répit. J'ai compris une fois adulte que c'étaient mes parents qui avaient payé l'opération. Ceux de Victor ne pouvaient pas se le permettre. Mais pour se faire « pardonner » du drame, mes parents ont payé. Victor a pu profiter d'un peu de temps. Mais on n'en guérit pas, et il a recommencé à perdre de la vision. Puis un œil. Le deuxième suivait le même chemin. Avant sa mort, c'était vraiment de pire en pire. Il ne voulait pas devenir aveugle. Il disait qu'il préférait mourir plutôt que vivre dans le noir. Je suppose que Eurus l'a pris au mot. Mais du coup, il vivait de manière générale comme si tout était un compte à rebours...
Sherlock s'interrompit. Sa voix était dénuée d'émotions, du moins en surface. John se tenait suffisamment près pour voir frémir son visage. Les souvenirs de son ami le bouleversaient réellement.
— Il vivait chaque expérience comme si c'était la dernière, afin de profiter au maximum. La dernière fois qu'il prenait une bière, la dernière fois qu'il sortait s'amuser, tu vois le tableau. Du coup, il s'était aussi débarrassé de plein de trucs inutiles, tout ce qui avait une durée de vie supérieure à la sienne devait disparaître. Il n'achetait pas de livres, les prenait et déposait dans des boîtes à lire. Il utilisait les ordinateurs publics. Il portait des vêtements d'occasion pour être sûr qu'ils ne dureraient pas. Il n'était abonné à rien, même avoir un contrat d'électricité l'agaçait. Son téléphone avait suivi le même chemin. Un modèle antique qui ne servait presque à rien, aucun abonnement, mais des cartes prépayées. S'il avait pu, il aurait aussi utilisé des couverts jetables et des assiettes en carton systématiquement.
John trouvait le concept assez extrême. Il aurait pu le comprendre, de la part de quelqu'un qui ne savait condamné de manière certaine, mais moins de la part d'un jeune homme qui risquait « juste » de devenir aveugle. Avait-il projeté de se suicider ? Ou bien savait-il, dans son inconscient, que Eurus allait le tuer ? Pire encore, souhaitait-il en finir avec sa vie, et sans avoir le courage de se suicider, il avait utilisé Eurus pour cela ? La dernière possibilité semblait improbable, au vu du portrait que Sherlock avait dressé de sa sœur. Au demeurant, John ne posa aucune des questions à voix haute. Ils n'auraient jamais la réponse, de toute manière. Victor avait emporté son secret dans la tombe.
— Je pensais que ce serait une phase, poursuivit Sherlock sans s'émouvoir du trouble de John. Il en avait, parfois. Il se passionnait pour quelque chose, et était focalisé dessus pendant des semaines. Lors de notre arrivée à Londres, il collectionnait tout ce qui avait trait aux hérissons. Il en savait même plus que moi sur le sujet, à la fin. Puis, ça avait passé. Je supposais que cette passion pour l'absence de biens matériels dont la durée de vie pouvait être plus longue que sa propre existence passerait, comme le reste. Notamment quand il serait devenu aveugle et qu'il aurait constaté qu'il était toujours vivant.
Le médecin en John s'étonna. Le comportement n'était pas celui d'une personne totalement saine d'esprit. Ça ressemblait vaguement à un syndrome bipolaire, mais les phases maniaques n'étaient pas si longues, et Sherlock n'avait pas évoqué d'épisodes dépressifs. À moins que la drogue l'avait empêché de suivre ça avec précision, ce qui était une possibilité à ne pas exclure. John songea à quel point Sherlock n'avait jamais connu de normalité dans son existence, au final. Victor avait eu ses propres problèmes.
— Ce n'est pas l'explication à laquelle je m'attendais, reconnut-il en reprenant le chemin de la maison.
La nuit était presque tombée, et la neige tournoyait autour d'eux. Il était gelé, mais ça ne l'empêcha pas de prendre la main de Sherlock dans la sienne jusqu'à la porte, et en rentrant au chaud. Il était devenu accro au poids de cette main chaude dans la sienne en beaucoup trop peu de temps.
Sherlock haussa les épaules. À son sens, John avait une imagination trop développée, et il aimait les théories farfelues.
— Les garçons ! résonna la voix de sa mère quand ils entrèrent. Le réveillon est bientôt prêt ! Allez vous changer !
Elle apparut dans l'encadrement de la porte qui menait au salon.
— Sieger est à la douche, Mycroft vient d'en sortir. John, merci beaucoup pour la maison, c'est absolument magnifique !
Elle paraissait sincèrement ravie, et John oublia dans son sourire qu'elle avait payé des parents pour que leur fils ait l'opération nécessaire à sa vie, et ainsi leur faire oublier que leur fille avait tenté d'assassiner le jeune garçon.
— Ce n'était rien, bafouilla-t-il.
— Passez vite à la douche, reprit-elle, et allez vous changer ! Il est temps de fêter le réveillon !
John hocha la tête. Débarrassés de leur manteau et chaussures, ils s'apprêtaient à prendre l'escalier en direction de la chambre de Sherlock quand elle leur asséna une dernière phrase :
— Et vous êtes sous le gui ! N'oubliez pas de vous embrasser !
De toute évidence, elle avait dit ça par amusement, sans attendre de réponse, puisqu'elle fit demi-tour pour rejoindre le salon et puis la cuisine. Mais, dans l'encadrement de la porte, assis sur un canapé, les voyant parfaitement, Mycroft Holmes les regardait d'un air perçant.
John devint écarlate. Ils auraient très bien pu ne rien faire. Peut-être que Sherlock aurait dû s'expliquer avec son frère, mais ça n'entachait pas forcément leur crédibilité. D'un autre côté, pourquoi un couple heureux et joyeux aurait refusé de s'embrasser sous le gui ? C'était une tradition sans conséquence. Ils n'avaient pas de public, parce que Mycroft était loin et faisait mine de travailler sur son ordinateur. Un vrai couple se serait embrassé en riant.
Ils devaient s'embrasser.
John était toujours rouge, tandis que Sherlock se tournait vers lui. Son regard était indéchiffrable, mais John y perçut une certaine nervosité. Ils avaient pris l'habitude d'être proches physiquement, de s'étreindre, de se tenir la main. C'était un autre niveau.
John carra les épaules. Il était militaire. Il pouvait encaisser ça. En outre, il savait que Sherlock n'avait aucune expérience de cela. Pour leur bien à tous les deux, il fallait que John prenne les choses en main, d'autant que le délai de plus en plus long à se regarder bêtement était de moins en moins justifié, et Mycroft était toujours là dans un coin.
Ce n'était rien, se persuada John. Bouche fermée, lèvres contre lèvres, un smack rapide et sans conséquence. À peine plus important que celui que Sherlock lui avait collé aux coins des lèvres en venant le chercher, la veille au soir. Au milieu de toutes les pensées de John, il réalisa que c'était seulement la veille. Ça lui avait paru durer des siècles, comme si c'était normal depuis toujours.
Il s'approcha de Sherlock, le prit dans ses bras, et poussa sur ses orteils, pour être à sa hauteur, parce que cet enfoiré était beaucoup trop grand. Sherlock se pencha, pour accompagner le mouvement.
Et leurs lèvres se rencontrèrent.
Il aurait suffi d'une seconde de contact, voire moins. Le simple geste, les mouvements, ça suffisait à leur donner de la crédibilité. Mais Sherlock ne l'entendait pas de cette manière. Il ne se contenta pas d'effleurer les lèvres de John et le relâcher. Il appuya réellement dessus, pour l'embrasser vraiment. Une seconde. Deux secondes. Trois secondes. Une éternité. Ses lèvres appuyaient, bougeaient, et John perdit la tête. Parce que Sherlock ouvrit la bouche, darda la langue, caressa les lèvres de John avec.
C'était doux, timide, expérimental. Ça aurait dû être sans conséquence. Ça n'aurait pas dû faire haleter John. Ça n'aurait pas dû ouvrir la porte à toutes les pensées lubriques qu'il avait réfrénées jusque-là. Ça n'aurait pas dû faire réagir son sexe, dans son pantalon. Ça n'aurait pas dû lui faire ouvrir la bouche à son tour, avec l'envie désespérée et inconsciente d'apprendre à Sherlock Holmes comment embrasser, parce que John était foutrement bon à ça.
Sa langue pointa, toucha les lèvres de Sherlock, puis entra brièvement en contact avec celle de Sherlock.
Ce fut comme un électrochoc, et John repoussa Sherlock de toutes ses forces.
— Je... bégaya-t-il.
Sherlock avait l'air abasourdi, surpris, mais John n'était pas sûr de bien analyser sa réaction. Était-ce au baiser, qu'il réagissait, ou à la violence avec laquelle John avait brisé leur étreinte et rejeté ?
— Désolé, marmonna-t-il.
Il tourna les talons et se précipita en direction de l'escalier avant que son ami n'ait pu dire quoi que ce soit. Il savait que cette histoire était une mauvaise idée. C'était ce qui pouvait se passer de pire. Il n'aurait jamais dû accepter.
Il parvint devant la porte de Sherlock, sans savoir réellement ce qu'il allait bien pouvoir faire. Se terrer dans la pièce toute la soirée ? Il ne pouvait pas partir, il faisait nuit, il neigeait et gelait à pierre fendre, ils étaient loin de tout... En outre, ils avaient un rôle à jouer. Avec frustration, il réalisa en abaissant la poignée que bien sûr, c'était fermé à clé. Sherlock l'avait prévenu là-dessus. Il sortit la clé de sa poche de jean, mais ses doigts étaient maladroits.
— John !
Sherlock l'avait suivi. Il arrivait du fond du couloir, et John ne savait pas comment y réagir. Il ne se sentait pas de lui faire face, en cet instant précis. Mais lui claquer la porte de sa propre chambre au nez ? C'était déplacé.
Il venait seulement d'arriver à déverrouiller la serrure quand Sherlock arriva près de lui, posant ses mains sur les siennes.
— John, s'il te plaît.
John refusa de croiser son regard, trop effrayé par la voix de son ami. Il ne pouvait pas affronter ses yeux, pas maintenant. Malgré les longs doigts de Sherlock posés sur les siens, sur la poignée, il parvint à l'abaisser, ouvrir la porte, et avancer dans la pièce. Sherlock, surpris, le lâcha, mais entra dans la pièce à sa suite.
L'imbécillité de sa manœuvre sauta aux yeux de John. Une chambre, remplie de leurs affaires déjà. Aucune échappatoire. C'était beaucoup trop intime.
La salle de bains ne fermait pas à clé, et Sherlock referma la porte derrière eux, tandis que John avançait. Heureusement, la chambre était grande. Il pouvait mettre un peu de distance entre eux. Ça ne changerait rien pour le perspicace Sherlock et son acuité visuelle accrue, qui saurait tout de John en une seconde, de son cœur tambourinant à son début d'érection, mais John avait l'impression de se sentir mieux.
— John, reprit Sherlock, d'une voix basse, fêlée. John, je suis désolé. Je ne voulais pas... Je suis désolé. Je ne voulais pas.
Qu'il ne le voulait pas, John s'en doutait. Mais il ne comprenait pas pourquoi il s'excusait. C'était loin d'être son style. Certes, il avait embrassé John avec un peu trop de réalisme, mais ce n'était pas comme si ce dernier ne l'avait pas voulu avec une envie désespérée.
— Tu t'excuses de quoi, au juste ?
Sherlock marmonna une réponse indistincte.
— Quoi ?
— Je t'ai agressé... ton consentement... je n'aurais pas dû... Je ne voulais pas... le droit de me repousser...
C'était à peine plus clair que précédemment, et surtout cela plongea John dans les affres de la perplexité.
— Attends, attends, je comprends plus rien.
John était celui qui avait fui, et Sherlock celui qui l'avait poursuivi, mais désormais c'était John qui le regardait dans les yeux pour affronter la conversation et Sherlock qui détournait le regard.
— Qu'est-ce que tu ne voulais pas, exactement ? demanda-t-il bravement. M'embrasser ?
Les oreilles de Sherlock devinrent écarlates, tout comme ses joues. Sauf que son regard restait résolument tourné vers le sol, comme si un mystère fascinant s'y nichait.
— Sherlock, s'il te plaît, j'ai besoin que tu sois honnête avec moi, là. Tu m'as embrassé vraiment, pas comme devant la voiture, hier soir. C'était à cause de Mycroft que tu as fait ça ? Ou pour... une expérience ?
Les derniers mots étaient douloureux à prononcer. Une petite part de l'esprit de John était terrifiée à l'idée que tout, y compris cette histoire de faux-petit-ami, soit une vaste blague. Une expérience sociologique. Une étude des êtres humains. C'était le genre de chose que Sherlock faisait, il l'avait reconnu de lui-même, au cours de leurs conversations. Et puis, tout avait plus ou moins commencé comme ça. John était son cobaye, son expérience de déduction à distance sans visage.
— Non, murmura son ami. Ce n'était pas à cause de Mycroft. Ni pour une expérience. C'était... Je le voulais. Je suis désolé.
John était de plus en plus perdu. C'était, à la négation près, la même chose qu'il avait dite précédemment. Donc, il le voulait ou non ? Et quoi, au juste ?
— Tu voulais quoi ? demanda-t-il doucement.
— T'embrasser, répliqua Sherlock un peu plus fort, ses pommettes plus écarlates que jamais.
John cligna des yeux, à proprement parler ahuri. Jamais, dans aucun des scénarios dans sa tête, il n'avait réellement pensé que Sherlock ait pu vouloir l'embrasser.
— Quoi ? croassa-t-il bêtement, incapable de dire autre chose.
— Et je suis désolé de l'avoir fait sans ton consentement et t'avoir agressé... reprit Sherlock, d'un ton plutôt misérable. Tu avais raison de me repousser, et je suis désolé.
— Quoi ? répéta John. Sherlock, non ! Je ne t'ai pas repoussé parce que TU m'as embrassé !
— Je te demande pardon ?
De toute évidence, il y en avait un des deux qui gérait mieux la formulation de l'incompréhension que l'autre, et John n'était pas franchement surpris que ça ne soit pas lui.
— Je t'ai repoussé parce que JE t'ai embrassé en retour et... je ne voulais pas tirer avantage de la situation. C'était mal, Sherlock. Ça l'est toujours, d'ailleurs. Ce que je ressens pour toi, dans le cadre de cette situation, et mes... réactions physiques, c'est mal. Je voulais pas te l'imposer. C'est moi qui dois m'excuser, Sherlock. Moi qui n'aurais pas dû.
Sherlock avait complètement relevé la tête, désormais, et le regardait droit dans les yeux, une expression indéchiffrable sur le visage. La seule chose que John pouvait dire, c'était que son esprit tournait à plein régime.
— Ce que tu ressens pour moi ? demanda Sherlock dans un murmure.
Ce fut au tour de John de détourner les yeux, gêné, se grattant machinalement la nuque pour essayer de faire passer son trouble.
— Ouais, enfin, c'est pas comme si c'était une surprise, non ? Tu sais tout des gens dès que tu les regardes, tu savais plus ou moins ce que je ressentais pour toi, non ? Enfin, j'veux dire, c'est pas comme si j'avais été très discret non plus. Je passe pas ma vie pendu au téléphone à envoyer des textos à mes amis, y'a qu'avec toi que je fais ça. Tout comme te dire bisous ou te mettre des smileys cœurs dans les SMS, quoi. Tu le savais plus ou moins... J'ai... j'ai plus ou moins cru que ce plan de faux petit-ami était un moyen de me signifier clairement que j'étais dans la friendzone. J'avais compris, hein. C'est juste... j'peux pas trop le contrôler, et si tu m'embrasses, bah j'réagis et...
Il s'arrêta brutalement, d'abord parce qu'il réalisait que ses phrases étaient dépourvues de cohérence, ensuite parce qu'il réalisa soudain qu'il ne réconciliait pas l'aveu de Sherlock sur le fait d'avoir voulu l'embrasser et son aveu.
— La friendzone ? De quoi parles-tu, au juste ? Je ne te suis pas du tout.
La pensée incongrue que Sherlock n'était pas à la page, niveau relations humaines, s'il ne connaissait pas la friendzone, et que ça pouvait le desservir dans son job de détective consultant traversa l'esprit de John.
Il fit un pas en avant. Il avait besoin de voir bien Sherlock, de se sentir proche de lui, pour comprendre ce qui se passait. Heureusement, il n'avait pas tant reculé que ça, et rapidement, il était suffisamment près de son ami.
— Sherlock... t'étais sincère ? Tu voulais m'embrasser ? Pourquoi ?
La pâleur de la peau de Sherlock était un intéressant souvenir, tandis que le rouge refaisait son apparition. John s'en voulut de le trouver beau. Mais le baiser avait ouvert sa porte aux fantasmes, et il devait se réfréner pour ne pas imaginer Sherlock rougir dans d'autres situations.
— Je ne sais pas. Je le voulais. Il faut une raison ? Je... Je ne sais pas de quoi tu parles à mon égard. Personne n'a jamais eu de... sentiments ? à mon égard. Je... Je ne sais ce que je... ressens ? Je le voulais, c'est tout.
Il était maladroit, hésitant, et totalement adorable.
— Tu le veux encore ? demanda John.
Il avait l'impression que les battements de son cœur pouvaient s'entendre dans toute la maison. À moins que ça ne soit ceux de Sherlock. Sa respiration eut brutalement un accroc, tandis que John approcha encore de lui.
— Oui, avoua le jeune homme. Je crois.
John inspira profondément. La situation échappait à tout contrôle, mais peut-être y avait-il une chance, une minuscule chance, du genre infinitésimale, que tout ne dégénère pas totalement. Mais Sherlock semblait clairement mal à l'aise non seulement avec ses sentiments, mais aussi ses désirs. Il ne savait pas les verbaliser. Et John avait passé un mois complet à apprendre tout de cet homme. Il savait son passé, ses faiblesses, ses failles. Il savait sa vulnérabilité et ses lacunes.
— Je peux... tenter un truc ? Je fais un truc, et tu me dis si c'est bon ou pas bon. Tu dois me répondre sincèrement, Sherlock. Si tu mens, ça n'aura aucun sens. Juste te pose pas de question, ne réfléchis pas, juste laisse ton corps te dire si c'est bon ou pas bon.
— Okay, acquiesça Sherlock dans un murmure.
John se rapprocha de nouveau, de sorte à ce qu'ils soient désormais face à face, séparés par quelques centimètres. Sherlock devait presque loucher pour regarder son ami dans les yeux.
Lentement, John tendit les mains, prit celles de Sherlock dans les siennes, et les pressa. Puis l'interrogea du regard.
— Bon, répondit Sherlock.
Il relâcha ses mains, puis leva les siennes, et l'enlaça, comme ils n'avaient que trop pris l'habitude de le faire.
— Bon, affirma Sherlock quand il le relâcha.
John déglutit, passant à la suite. Lentement, il leva une main, la posa sur la joue de Sherlock.
— Bon, murmura-t-il.
Il laissa glisser ses doigts, caresser le visage, le cou, la lisière des cheveux, jouant presque avec les mèches courtes de la nuque.
— Bon, souffla Sherlock.
John ramena la pulpe de ses doigts vers l'avant. Effleura les lèvres, en dessina le contour, se retenant de gémir en découvrant leur forme et leur douceur, qu'il n'avait pas eu le temps d'enregistrer précédemment.
— Bon.
Le mot obligea Sherlock à ouvrir la bouche. Consciemment ou non, il la laissa ouverte. John caressa de son pouce l'ouverture. Effleura la langue. Se retint à grand peine d'insérer son doigt pour que Sherlock le suce.
Au lieu de quoi, il en revint à quelque chose de plus neutre, et posa doucement la main sur la poitrine de son ami. Il savait qu'il aurait dû le regarder dans les yeux, mais il était fasciné par la douceur du tissu — de la soie, des chemises en soie bordel — et surtout le martèlement sourd du cœur sous ses doigts. Impossible à rater ou confondre.
— Bon...
Son ton avait légèrement changé. Quelque chose de subtil, en accord avec sa respiration soudain plus courte.
John continua de descendre. Atteignit la ceinture. N'osa pas la toucher, pas encore, et préféra passer sur les flancs, ajoutant sa deuxième main, et prenant Sherlock par les hanches.
— Bon, dit Sherlock, d'une voix étouffée.
John risqua un coup d'œil vers lui. Son ami avait les yeux fermés, la bouche entrouverte, plus beau que jamais.
S'enhardissant légèrement, mais toujours lentement, John entreprit de passer ses doigts sous les pans de la chemise. Cet abruti semblait totalement méconnaître le principe de maillot de corps, et sa paume rencontrait la chair nue, les faisant tressaillir tous les deux.
— Bon, réussit à dire Sherlock dans un souffle.
Et John s'y connaissait assez pour savoir que c'était un gémissement contenu. De toute manière, il n'avait pas besoin de ça pour le confirmer. Sherlock portait un pantalon de costume, fluide, fin (comment faisait-il pour ne pas avoir froid, pour l'amour du Ciel ?), qui ne dissimulait pas grand-chose quand on était à quelques centimètres. John était fasciné. Il n'osa pas toucher la zone en question, pas sans consentement, retirant ses mains de la peau de son ami, mais ne put se retenir de demander.
— Et si je te touchais... te touchais vraiment... là. Bon ou pas bon ?
— Bon, trancha aussitôt Sherlock d'une voix désespérée.
Clairement, ils auraient pu céder physiquement et s'envoyer en l'air en cet instant précis qu'aucun des deux n'y aurait trouvé quoi que ce soit à dire. Heureusement pour eux, John avait encore un minimum de self-control, à moins que ce ne fut une sorte d'instinct de préservation.
— Tu as du désir physique, énonça-t-il lentement. Pour... moi ? Tu as déjà ressenti ça ? Tu as déjà... Tu t'es déjà...
Il n'acheva pas sa phrase. Il savait que son ami était vierge, du moins c'était une forte supposition au vu de son passé. Ça n'empêchait pas le désir physique, ni la masturbation devant du porno.
— Jamais. Pour personne. Et puis tu es arrivé et... j'y pensais souvent.
L'aveu semblait lui coûter, mais rien ne pouvait concurrencer la sidération de John. Cet homme magnifique aurait pu avoir qui il voulait. Et, d'une manière inexplicable, il voulait John.
— Merci, souffla-t-il. Si cela n'était pas évident... je te désire aussi. Depuis le jour où tu es entré dans ce putain de café et que tu avais l'air de sortir d'un magazine de mode.
— Ça fait plus longtemps que ça pour moi.
La phrase était incongrue, parce qu'ils ne s'étaient jamais vus, avant ça, mais John classa cette pensée dans les spécificités de son ami. Avoir du désir sexuel pour quelqu'un qu'on n'avait jamais vu devait être possible.
— Mais le désir physique, ce n'est qu'une partie du truc, Sherlock, trouva-t-il la force de continuer. Les sentiments et le désir physique, c'est deux choses différentes. Pour pas mal de gens, ça va ensemble. Mais on peut aussi avoir du désir sexuel et l'assouvir sans sentiments. L'inverse aussi est possible, même si c'est plus rare... Du coup... J'ai besoin de connaître tes sentiments. Ce que tu ressens, quand tu es avec moi. Quand tu me vois. Ce que tu veux de moi. Pour le futur.
Il était potentiellement en train d'exterminer toutes ses chances avec Sherlock et il n'en culpabilisait même pas. Il avait connu des gens qui l'attiraient, et qui auraient pu être plus que des plans cul, mais il avait cédé à ses pulsions, ça avait tout gâché, et il ne s'en était pas porté si mal. Avec Sherlock, c'était différent. S'il l'embrassait, le touchait, l'épinglait sur le lit, ce serait sans doute très libérateur pour leur corps, mais contre-productif pour l'avenir. Et par avenir, il n'entendait pas le réveillon familial qui devait se tenir sous peu au rez-de-chaussée et qui lui était présentement sorti de la tête.
Sherlock regarda John avec une sorte d'espoir, sans rien dire. Comme si, comme pour le test physique, il pouvait faire quelque chose et Sherlock n'avait qu'à répondre si c'était bon ou pas bon. John secoua la tête de dénégation. Il n'existait rien de ce genre, malheureusement. Sherlock devait exprimer réellement les choses.
— Essaye de dire quelque chose, demanda John, suppliant. N'importe quoi.
— Mais je ne sais pas, répliqua Sherlock. Je n'ai aucune idée de quoi te dire... Les sentiments... ce n'est pas mon rayon.
Il était toujours tout proche de John, et son air rougissant n'était plus vraiment de l'excitation. C'était de la honte. Il haïssait cette faiblesse, cette incapacité à comprendre, à dire les choses. Sherlock était cartésien, et les sentiments ne rentraient jamais dans des petites boîtes bien fermées et cadrées, sans déborder.
— Tu ressens quelque chose pour moi ? essaya John.
Les questions seraient peut-être plus simples, mais il craignait de les orienter pour entendre les réponses qu'il voulait.
— Oui, trancha Sherlock avec fermeté.
Celle-là était évidente. Il n'avait pas de doute là-dessus.
— Mais je n'ai jamais eu d'ami. Je n'ai jamais ressenti ça pour quelqu'un. Je ne sais pas ce que c'est. Et puis... j'ai conscience que t'avoir manipulé pour venir était mal, avoua-t-il.
Ça faisait beaucoup d'informations d'un coup.
— Manipuler ?
— Papa et Maman, ni même Mycroft, ne m'ont jamais demandé de leur présenter quelqu'un. Enfin, si, ça arrive, épisodiquement, surtout depuis que Victor est mort. Ils veulent que j'ai quelqu'un, sans doute pour veiller sur moi, j'imagine. Ils reviennent à la charge régulièrement, mais ils n'ont jamais insisté au point que je me sente obligé de leur faire croire à une relation. Mais toi, tu en avais parlé et... je l'ai utilisé. Je t'ai utilisé. Je ne voulais pas me séparer de toi. Ne plus te voir pendant plusieurs jours. Et... j'avais réellement besoin de quelqu'un pour m'aider à gérer le fait d'être ici. Sur ça, je n'ai pas menti.
John hocha la tête lentement. Quand Sherlock était lancé, ça lui semblait plus simple de tout déverser. Il semblait incapable de modérer ses sentiments. Il avait agi avec possessivité et égoïsme, parce qu'il ne savait pas comment gérer les choses : c'était du tout ou rien. Exprimer à John l'envie qu'ils ne soient pas séparés, qu'il passe du temps avec lui, aurait simplifié les choses. Au lieu de quoi, il avait plus ou moins imposé à John de venir sous le faux prétexte le plus stupide du monde.
— C'est... ok, c'était pas très correct de ta part, reconnut John. Ça ne se fait pas. Mais je ne suis pas venu parce que tu me l'as imposé. Je suis venu parce que je ne voulais pas que tu souffres, à revenir ici avec tes souvenirs douloureux. Je suis venu parce que moi non plus, j'avais pas envie de me séparer de toi. Tu comprends, ça ? Ton intention était mauvaise, Sherlock, mais j'aurais pu refuser si j'avais voulu. Je suis venu parce que j'en avais envie.
Sherlock le regardait avec incrédulité, et John eut mal au cœur. Sa relation avec Victor avait dû être clairement chaotique et bouleversée par la drogue pour qu'il soit à ce point inconscient du fait que des gens pouvaient l'aimer, vouloir volontairement passer du temps avec lui.
— J'avais peur que tu m'oublies, murmura soudain Sherlock. Si je n'étais plus là. J'avais peur que d'autres t'intéressent. Je ne sais pas ce qu'est une relation, pas vraiment, mais petit-ami... ça me semblait... pas mal ?
Il hésita sur le mot.
— Je ne pouvais pas te le demander. Alors... faute de grives, on mange des merles. Je t'ai demandé d'être mon faux petit-ami.
John ne put s'empêcher de rire. C'était l'idée la plus stupide de tous les temps, assurément. John avait accepté en connaissance de cause, en sachant que ça allait lui briser le cœur à la fin, parce qu'il était sincèrement amoureux de cet homme. Mais Sherlock avait sincèrement pensé que ça aurait été mieux que rien, sans réaliser qu'il aurait été terriblement blessé à la fin, bien plus que s'il s'était juste pris un râteau.
Mais il n'avait aucune expérience des relations amoureuses, et manifestement, il n'avait pas déduit que jamais John ne lui aurait mis le moindre râteau. Et, dans un coin assez possessif de l'esprit de John, une petite voix murmurait que Sherlock ne découvrirait jamais ce qui se passait quand on se faisait rembarrer ou larguer, parce qu'à sa manière maladroite et plutôt possessive, Sherlock exprimait des sentiments pour John d'une intensité effrayante, et John était incapable d'imaginer le laisser partir. Il voulait le garder pour lui, ne faire plus qu'un, vivre avec lui.
L'intensité des sentiments qu'il avait tenté de ne pas écouter jusque-là le fit vaciller. Les romans, les films, les chansons, depuis la nuit des temps, parlaient de ça. L'amour qui était le bon, le plus important, celui qui balayait tout le reste. John ne croyait pas au coup de foudre. Mais debout devant Sherlock, au milieu de sa chambre, si proche de lui qu'il le sentait irradier de chaleur, épinglé par la puissance de ses prunelles, si vivantes, John en tomba encore plus amoureux.
— C'était une décision vraiment absurde, tu sais ? Parler franchement, c'est toujours mieux, ok ? À partir de maintenant, tu vas devoir me dire sincèrement tout ce que tu ressens, ce que tu veux, d'accord ? C'est comme ça que ça marchera.
John avait déjà trouvé Sherlock beau auparavant. Mais soudain, son visage se transforma totalement, s'éclairant de l'intérieur. Il n'y avait pas de mot pour décrire l'espoir et la joie qui se peignirent sur son visage, et la vision coupa le souffle de John.
— Qu'est-ce que tu veux dire ? murmura Sherlock.
— Je veux dire que je vais t'embrasser, dans dix secondes. T'embrasser vraiment. Parce que tu es désormais mon petit-ami. Mon VRAI petit-ami. Et que je compte pas te lâcher de toute ma vie, si ça te va aussi... Parce que bordel, Sherlock, je veux totalement ça, moi. Avec toi. Tu vas sans doute faire plein de conneries absurdes, mais tant que tu me parles, je pense que ça ir...
— Ça fait plus de dix secondes, l'informa Sherlock, très sérieux.
John explosa de rire. Et sans laisser le temps à Sherlock d'agir, il le prit dans ses bras, poussa sur orteils, et récupéra ses lèvres. Sherlock se pencha, et ils s'embrassèrent avidement.
John oublia à peu près tout dans ce baiser. L'heure, le jour, l'endroit, le reste du monde. Tout disparut au profit d'une seule chose : Sherlock, et les lèvres de Sherlock, et le corps de Sherlock pressé contre le sien, et les mains de Sherlock l'étreignant, Sherlock tout entier. Le baiser précédent, sous le gui, n'avait été qu'un faible prélude à la voracité de leur bouche ensembles. Avant même de l'avoir réfléchi, leur langue se caressaient et tournoyaient. Dans les mouvements de Sherlock, John pouvait deviner l'inexpérience, l'appréhension de mal faire, mais aussi la vitesse d'absorption de son ami (pardon son petit ami) de ce qu'il fallait faire. Et il était doué, du coup. Il apprenait vite et bien, et quand ils se séparèrent, ils étaient haletants, rouges et essoufflés.
— Oh mon Dieu, murmura John
— Ce n'était pas bien ?
Sherlock avait l'air sincèrement inquiet, et John le fit taire d'un autre baiser.
— C'était au-delà de merveilleux. De parfait, idiot.
Il réalisa soudain que ses mains avaient agrippé le col de chemise, froissant totalement le tissu, puis que ses bras reposaient désormais autour du coup de son petit ami. Et celles de Sherlock, comme il le comprit, étaient passées dans son dos, avant de descendre plus bas, toujours plus bas, et désormais, empaumaient ses fesses.
— Pas bien ? demanda Sherlock qui semblait lire le cheminement de ses pensées quand il le réalisa, mais être incapable de décoder l'effet qu'il faisait à John.
Ce dernier rit doucement.
— Bien et pas bien, à vrai dire. C'est très très bien en tant que tel, et tes mains sont absolument faites pour mon cul, mais ce que ça me provoque c'est... moins approprié.
Sherlock le regarda, un peu plus perplexe, et John poussa légèrement ses hanches vers l'avant pour lui faire comprendre de quoi il parlait. D'accord, son pantalon bien épais dissimulait son érection en grande partie, mais ça restait évident. Celle de Sherlock déformait totalement le tissu du pantalon de costume. Ils n'avaient pas la même taille alors le geste de John ne pouvait pas permettre à leurs sexes de se rencontrer et se frotter sans vergogne comme des jeunes ados, mais c'était quand même équivoque.
Sauf pour Sherlock, de toute évidence.
— Je vois bien que tu as une érection John, et je la sens, merci bien, mais en quoi est-ce inapproprié ?
— Nous sommes chez tes parents, idiot. Ils... oh merde ! Ils nous attendent pour dîner ! On devait se changer ! J'avais complètement oublié !
Sherlock haussa les épaules, et raffermit sa prise sur les fesses de John, faisant complètement perdre le fil de ses pensées à celui-ci. La seule chose à laquelle il parvenait à penser c'était ce corps contre le sien, ces mains sur son cul, et son envie désespérée d'en avoir plus. Sherlock devait partager son besoin, puisqu'il recommença à l'embrasser, avec intensité, tout en poussant avec ses mains, comme pour le soulever, le plaquer contre un mur et s'envoyer en l'air ainsi.
John était sur le point de se redresser pour laisser Sherlock le porter quand il stoppa le baiser, haletant.
— Non non non... on ne... peut... non... peut pas...
Il était difficile de former une phrase complète, avec Sherlock qui continuait d'embrasser son visage.
— La pièce est insonorisée, informa Sherlock comme si c'était la seule raison. Elle ferme à clé, en outre, et nous n'avons pas d'horaire à respecter. Le dîner ne commencera pas avant une heure. Peut-être trois quart d'heures, maintenant. Mycroft va le faire traîner. Il a envoyé un hélicoptère chercher Lestrade pour le ramener. Il fera tout pour attendre son arrivée avant que nous ne commencions à dîner.
C'était tentant. Les arguments de Sherlock se tenaient. John avait envie d'y céder. Et préférait ne pas penser au fait que Mycroft avait réellement envoyé un hélicoptère pour son conjoint.
— Okay pour ça mais... tu as ce qu'il faut ?
Sherlock haussa un sourcil.
— Je suis vierge.
Il le dit sur le ton le plus neutre de tous les temps, mais John pouvait identifier un relent de gêne dans son ton. C'était parfaitement injustifié. John le savait et l'aimait ainsi.
— Je sais mais...
Il hésita, mais il n'y avait pas de manière délicate de dire les choses.
— Tu as été drogué.
— Oh, ça. Oui. Mais je suis clean. Je peux te le prouver, d'ailleurs.
Il s'écarta de John, le relâchant pour attraper son téléphone dans la poche de son pantalon, et pianota dessus un instant.
— Mon frère est bizarrement très pénible à ce sujet, et m'oblige à me soumettre à des prises de sang régulières... il m'y a contraint récemment, quand j'ai eu une absence momentanée...
Il tendit le téléphone à John, sur lequel s'affichait la copie d'un courrier d'analyse. L'entête était celui de Saint Bart et Molly l'avait signé. John le parcourut rapidement des yeux.
— Je fais la prise de sang et Molly l'analyse. Mycroft demande le plus large spectre possible.
Tout était négatif. Suffisamment pour rassurer John.
— En ce qui te concerne, en tant que militaire, tu étais examiné régulièrement, et dépisté également, normalement. Tu as été blessé récemment. Transfusé et soigné. Ils ont dû faire les tests. Depuis ton retour à la vie civile, à moins que tu m'aies caché quelque chose depuis notre rencontre, tu n'as eu personne.
Il avait essayé de maintenir un ton léger, mais ne pouvait s'empêcher d'être inquiet. Au début, leur relation avait été loin d'être courtoise. John aurait pu avoir des tas de relations dont il ne saurait rien, et ça lui faisait mal. Il n'était pas jaloux de son expérience passée, parce que c'était du passé. Mais l'idée qu'il ait pu avoir quelqu'un depuis leurs premiers échanges par SMS le mettait mal à l'aise, inexplicablement.
— Personne, confirma John. Et oui, je suis dépisté et clean aussi et c'est très bien qu'on ait résolu ce souci même si la confiance n'exclut pas le contrôle et qu'on ira se faire dépister officiellement ensemble et tout, mais c'était pas ce que je voulais dire, en fait.
Il lui rendit son téléphone.
— Je me balade pas avec du lubrifiant sur moi, perso ? Et toi ?
Le regard de Sherlock était une réponse en soi.
— C'est absolument nécessaire ? marmonna Sherlock.
— Oh oui. Carrément. Je veux pas te faire mal. Ou l'inverse...
Il laissa traîner sa proposition, ce qui fit rougir Sherlock.
— C'est... frustrant, râla-t-il, comme s'il découvrait ce sentiment.
John lui sourit.
— Ouais, mais crois-moi, ce sera meilleur après l'attente... et rien ne nous empêche de nous amuser d'ici là...
John avait toujours été sage, et l'idée de s'envoyer en l'air dans la maison d'enfance de son copain, en présence du reste de sa famille, ne faisait pas vraiment partie de la liste des choses qu'il voulait faire dans sa vie, mais les arguments de Sherlock sur l'isolation de la pièce, fermée à clé, et le fait qu'ils attendaient le copain de Mycroft avaient fait mouche.
Sherlock le regardait d'un air interrogateur, semblant attendre la suite, et John se rappela brusquement qu'il était vierge. Un vieux relent de machisme mal placé, que son père lui avait inculqué à la force des poings plus qu'autre chose dans son enfance, l'informa qu'avec un peu de chance, il serait le seul et l'unique de Sherlock, et l'idée remua quelque chose au fond de ses intestins. Ça lui plaisait beaucoup, d'être le seul. Ça ne l'aurait pas dérangé que ça ne soit pas le cas, mais il aimait ça quand même.
— Ta mère a dit qu'on devait se doucher et se changer... La douche est grande... on pourrait la prendre ensemble ? proposa-t-il en embrassant doucement son amant entre chaque phrase.
Il n'eut pas besoin d'attendre la réponse, Sherlock avait attrapé sa main et le tirait en direction de la salle de bain à la vitesse de l'éclair. John rit, trébucha, le suivit sans résistance. Il avait rêvé de ça, de voir Sherlock nu, depuis trop longtemps.
Le jeune homme referma la porte derrière eux, les enfermant un peu plus dans leur petite bulle bien protégée. Au moins, si les parents de Sherlock ou Mycroft venaient voir où ils en étaient ou les chercher pour dîner, ils entendraient la douche et en concluraient qu'ils n'avaient pas fini de se préparer.
De ses longs doigts de violoniste, Sherlock empauma les joues de John, le plaqua contre la porte, et l'embrassa longuement. C'était presque aussi érotique que lorsqu'il tenait son cul, et John répondit avec ardeur dans le baiser, tout en essayant de lui montrer ce qu'un chirurgien ambidextre était capable de faire. Ses doigts commencèrent à jouer avec les boutons de la chemise que Sherlock portait et avant même qu'il s'en rende compte, elle flottait sur ses hanches, et John regardait, fasciné, la poitrine pâle. Sherlock avait la peau couleur ivoire, et il était magnifique, quoi que légèrement trop maigre.
— Je te ferai manger, décréta John en laissant courir sa main le long de la poitrine. Tu as besoin de te remplumer un peu.
Il caressait les mamelons, l'un après l'autre, et appréciait le ventre plat, dont il sentait les abdos sous ses doigts. À sa manière, Sherlock était musclé. Et il frémissait sous les caresses inédites.
— Je ne mange pas beaucoup. Je n'y pense pas.
— Je t'y ferai penser. Je serai là pour te faire manger sur les enquêtes aussi.
Il réalisa que cela voulait plus ou moins dire qu'il s'installerait avec Sherlock, mais comme ce dernier n'avait rien remarqué, continuant d'apprécier les sensations qu'il découvrait quand John le touchait, il ne s'appesantit pas sur la question. Ils auraient bien le temps d'en discuter plus tard.
— Je peux te déshabiller aussi ? demanda timidement Sherlock.
John opina avec ferveur. Il s'ensuivit une bataille de mains, de bouches, de dents, de vêtements, et de caresses, en riant. Sherlock ignorait que le sexe pouvait être drôle. Il n'y avait jamais prêté un intérêt autre que théorique, pour les enquêtes. Personne ne lui avait jamais donné envie, et à part de manière mécanique et inutile, il n'avait jamais eu d'érections. Avant John. John avait tout bouleversé, et il était avide du corps de son ami — de son amant, de son conjoint, de son compagnon. Il demanderait à John la terminologie exacte plus tard. Petit-ami lui paraissait assez faible, comme terme. Pour lui, le sexe était une action reproductrice, relativement sale, vu l'implication du nombre de fluides dans l'affaire.
Mais rire, apprécier les baisers partout sur le corps, découvrir la sensibilité exacerbée de ses mamelons tandis que John y laissait traîner ses dents, c'était inédit, et il aimait ça. Terriblement ça.
Il se sentait aimé, heureux, plus extatique que jamais. Il fallait que John le sache. Depuis qu'il l'avait rencontré, il avait annihilé l'envie de la drogue, qui était jusqu'alors toujours présente, sous-jacente quelque part. Il fallait qu'il le lui dise. John avait affirmé qu'ils devaient parler, dire ce qu'ils ressentaient.
Il réalisa soudain qu'ils étaient presque nus tous les deux, leurs vêtements échoués au sol autour d'eux. Il ne restait à Sherlock que son boxer humide et déformé par l'excitation, tout comme John, qui portait encore un T-shirt fin en plus. Et il ne semblait plus du tout dans l'ambiance, brusquement nerveux.
Sherlock fronça les sourcils.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
C'était John qui avait proposé la douche ensemble. De toute manière, n'importe quelle activité reliée au sexe nécessitait la nudité, non ? Pourquoi John gardait les mains sur le bas de son T-shirt, le triturant comme s'il ne voulait pas l'enlever.
— Il y a que tu es magnifique, Sherlock. Sincèrement.
Sherlock rougit. On ne lui avait jamais dit ça.
— Tu pourrais avoir qui tu veux, avec un corps pareil. Et moi...
Sherlock réfléchit. John était encore militaire le mois dernier, et son corps n'avait sans doute rien perdu de sa force de l'époque. Il pouvait déjà le dire à ses bras, ses jambes. Que du muscle parfaitement dessiné. Mais il ne voyait rien d'autre qui pourrait poser problème. Son bronzage ? C'était assez drôle, à vrai dire, car le soleil de l'Afghanistan avait teinté son visage et ses mains d'une douce couleur miel. Ses bras également, et Sherlock pouvait prédire que son torse serait pareil, peut-être plus clair, parce qu'il avait dû passer du temps torse nu aussi. En revanche, ses jambes et ses pieds avaient leur couleur naturelle, nettement plus pâles, parce qu'il n'était pas en vacances et n'enlevait sans doute jamais treillis et rangers. La carnation de sa peau restait cependant plus foncée que celle de Sherlock. C'était un joli patchwork de couleur, mais Sherlock s'en fichait que ça ne soit pas continu.
Il poursuivit sa réflexion quand il aperçut le geste machinal de John vers son épaule, la tension de celle-ci.
— Je me fiche de ta cicatrice, asséna-t-il. De toutes tes cicatrices, à vrai dire. Au contraire. Tu me trouves beau ?
— Évidemment !
Sherlock attrapa la main de John et la plaça d'autorité sur le creux de son coude. Il y avait une petite bosse, proche d'une veine. Sherlock s'était blessé, plus d'une fois, avec des seringues, quand il était trop défoncé pour viser convenablement.
Puis, il fit glisser la main de son amant le long du bras, le retourna, et posa ses doigts sur une autre aspérité, due à Eurus, au Jeu, à Moriarty.
— J'en ai des tas d'autres, partout. Minuscules, peut-être, mais le résumé de mon passé. Tu me trouves beau ? Je te trouve magnifique, John. Sincèrement.
Lentement, John hocha la tête, et Sherlock, avec douceur, acheva de lui ôter son vêtement, révélant sa poitrine. Moins bronzée que le reste, mais dorée comme du miel. La cicatrice de son épaule, en étoile, si blanche, tranchait totalement sur la peau. Sherlock fit courir ses doigts dessus avec douceur, puis descendit plus bas. Il ne s'était jamais particulièrement considéré comme musclé, ni comme superficiel, mais en découvrant les abdominaux parfaitement dessinés et roulant sous ses doigts de John, il découvrit qu'il n'était pas le premier, mais totalement le deuxième, parce qu'il voulait pour toujours que John ait ce corps.
Il embrassa son amant passionnément.
La masturbation mutuelle sous la douche était clairement quelque chose que John avait grandement sous-estimé dans sa vie, décréta-t-il quelques minutes plus tard. En cet instant très précis, ça lui semblait pourtant être la meilleure chose au monde, et s'il se fiait aux joues écarlates de son amant et à ses lèvres mordues pour éviter de gémir toutes les trois secondes, Sherlock partageait son opinion.
Ils avaient vécu un léger moment de gêne au moment d'ôter définitivement leurs sous-vêtements, mais ça avait rapidement disparu, quand John avait décidé de prendre les choses en main — littéralement. Et l'immense douche à l'italienne, avec le pommeau en cascade qui déversait de l'eau chaude sur leurs peaux était un décor de rêve. John avait rapidement établi que Sherlock était encore plus beau nu mouillé sous la douche avec ses boucles alourdies par l'eau qui se plaquaient sur son crâne qu'il ne l'était sec et habillé en costume, et Sherlock s'était mis à lui murmurer des choses relativement indécentes sur le dessin de ses muscles, soulignés par les multiples gouttes qui parcouraient son corps. John avait pris dans la foulée la décision de s'inscrire dans une salle de sport, ou d'aller courir tous les jours. Il n'avait jamais eu besoin de réfléchir à son corps à l'armée, mais depuis qu'il avait été blessé et son retour à la vie civile, il n'avait pas spécialement eu d'entraînement physique. Si Sherlock l'aimait déjà comme ça alors que John trouvait qu'il avait beaucoup perdu par rapport à ce que cela pouvait être, il serait ravi après quelques semaines de remise en forme.
En ce qui concernait la douche, ils n'avaient pas beaucoup avancé. En revanche, sur le plan de la découverte du corps de l'autre, ils faisaient des progrès très importants. Sherlock était peut-être inexpérimenté, mais il apprenait vite, très vite, et il y avait quelque chose de très intense à être transpercé de son regard clair, à l'affût des moindres réactions de John, pour cataloguer ce qu'il aimait ou non, et reproduire en plus fort quand il appréciait quelque chose.
— Tu es beaucoup trop doué... marmonna John alors que, d'un mouvement de poignet, Sherlock le mettait à l'agonie. T'es sûr que t'as jamais fait ça ?
John avait laissé courir ses mains absolument partout, n'avait pas pu s'empêcher de se lécher les lèvres en découvrant à quel point son amant était bien doté par la nature — bien qu'il n'eut lui-même à rougir de rien, et que la taille n'avait de toute manière aucune importance tant qu'on savait s'en servir, et John savait s'en servir et comptait bien apprendre à Sherlock à le faire également.
Sherlock en avait fait autant, plus doux et hésitant, jusqu'à cet instant où seule l'expérience de John, et ses nombreuses séances en solitaire avec la veuve Poignet, l'avaient empêché de jouir sur le champ. Objectivement, ça ne faisait que cinq minutes qu'ils s'amusaient sous la douche, et vingt maximum depuis leur intense premier baiser — le vrai, pas sous le gui.
— Jamais fait, confirma Sherlock. Ni sur moi, ni sur autrui. Tu... tu aimes vraiment ça ?
Les réactions du corps de John étaient équivoques, mais il ne pouvait pas s'empêcher de poser la question. Lui avait toujours vu le sexe comme un truc bestial, il avait découvert avec John que parler et rire en plein milieu faisait aussi partie du plaisir, et il éprouvait le besoin de poser la question et d'être rassuré.
— Oh oui, Génie. Vraim...
John gémit sur la fin de sa phrase, transformant sa dernière syllabe en un borborygme incompréhensible, qui rendit Sherlock particulièrement fier. John, soudain, repoussa ses mains, le rendant perplexe, avant de l'embrasser doucement.
— Laisse-toi faire, ordonna-t-il. Laisse-toi aller. Ne contrôle rien.
Par nature, Sherlock s'apprêtait à répondre, poser des questions, mais John le fit taire d'un baiser rapide, et immédiatement après, le plaqua contre la paroi vitrée, et s'agenouilla devant lui. Sherlock ravala ses répliques. Même lui savait ce qui allait se produire, et il sentit sa bouche s'assécher d'anticipation, et son sexe se tendre un peu plus, si cela était possible. Il commit l'erreur de regarder vers le bas, et croisa le regard de John. À genoux devant lui, prêt à avaler son sexe tendu, ses cheveux assombris par l'eau, ses yeux bleu foncé qui le regardaient.
— Ok ? demanda-t-il, parce que le consentement de Sherlock était sa priorité absolue.
— Ok, balbutia Sherlock, qui ne voyait pas comment il aurait pu répondre autre chose.
Alors John referma ses lèvres sur son érection, et le monde de Sherlock implosa.
Les lèvres de John montaient et descendaient, sa langue tourbillonnait le long de la hampe, l'une de ses mains accompagnait les mouvements, et l'autre maintenait les hanches de Sherlock en place pour lui éviter de pousser vers l'avant, comme il avait envie de le faire instinctivement, perdu dans le tsunami de sensations que cela générait en lui.
Épisodiquement, il aspirait plus fortement le gland, puis suçotait doucement, et ses mains caressaient régulièrement les bourses, et Sherlock haletait, les yeux clos, la tête renversée en arrière. Pour la première fois de sa vie, le cerveau si efficace et multi-tâches de Sherlock ne pensait plus à rien. Son corps avait totalement pris le contrôle, et il s'abandonnait au plaisir.
Ses mains n'avaient rien à quoi se raccrocher, et glissaient sur la paroi vitrée de la cabine de douche, et John vint à son secours en venant poser ses mains sur sa tête. Sherlock ne le contrôlait pas, mais il avait un appui, ainsi. Il en profita pour découvrir la texture des cheveux coupés courts, militaire, qui avaient à peine eu le temps de pousser en quelques semaines. Il décréta que si John était d'accord, ils les aimeraient plus longs à l'avenir. Pour mieux les empoigner.
La langue de John descendit sur ses testicules, et Sherlock gémit profondément.
— Jo... John... balbutia-t-il.
Il ne savait pas ce qu'il essayait de dire, mais il savait ce qui lui arrivait.
— Ne te retiens pas, ordonna John. Viens pour moi...
Son souffle autour de la queue tendue et suintante de Sherlock était un supplice divin, et quand il reprit de nouveau le sexe en bouche, Sherlock obéit à son ordre, et s'oublia totalement, laissant le tsunami le traverser. Il jouit sans même le réaliser dans la gorge de son amant, son corps traverser par une décharge électrique qui le laissa tremblant, pantelant, des étoiles dansant devant ses yeux comme s'il faisait un malaise. Il aurait été traversé par la foudre au cœur d'un orage qu'il n'aurait pas été dans un état différent.
Il sentit vaguement John se reculer, l'entendit déglutir, puis il le nettoya de nouveau de sa langue, mais Sherlock n'était plus capable de faire une phrase. Ses jambes ne le portaient plus, et il se laissa glisser le long de la paroi de la cabine pour s'asseoir au sol, les yeux mi-clos. Fort heureusement pour eux, cette aile de la maison, récente, était bien approvisionnée en eau chaude, et l'eau qui coulait toujours les réchauffait efficacement.
Du fin fond de sa torpeur, Sherlock tendit les bras, attirant John toujours agenouillé contre lui, pressant contre son cœur, tendit les lèvres vers lui.
— Sherlock, le goût, att...
John n'acheva jamais sa phrase. Sherlock l'avait embrassé, passionnément, enroulant sa langue autour de la sienne, et se foutant éperdument du goût âcre de sa propre semence dans la bouche de son amant.
— Tu avales, je t'embrasse, répliqua Sherlock en le relâchant.
— T'étais pas obligé, c'est tout.
— Je sais. Mais je voulais le faire. Et je...
Il rougit.
— J'ai aimé ça, ajouta-t-il.
— La fellation, ou le goût ? ricana John.
— Les deux, répondit honnêtement Sherlock. Enfin, le goût n'est pas plaisant, mais j'aime ça quand même, si ça a du sens.
John hocha la tête contre lui.
— Ça en a. Je n'ai pas avalé pour te faire plaisir ou quoi. J'aime ça, réellement. Pas vraiment le goût, c'est assez spécial, mais on s'y habitue, et j'aime vraiment sucer et avaler, malgré le goût.
Sherlock acquiesça. Il avait hâte de le découvrir par lui-même, et il était étourdi de toutes les possibilités qui s'offraient à eux. Il réalisa soudain que, aux prises de son orgasme, il avait complètement oublié le plaisir de John.
— Tu as... fini aussi ? demanda-t-il.
— Non, reconnut John. Mais tu n'es pas obligé de...
Il n'acheva pas sa phrase. La main de Sherlock avait glissé entre leurs deux corps, et cherché le sexe de John, dont il connaissait déjà le poids et la circonférence par cœur. Il avait commencé à diminuer, mais il restait en érection, plus qu'il ne l'aurait cru, et Sherlock reprit les mouvements qu'il avait appris auparavant, repoussant John pour mieux le surplomber, et le caresser.
Quelques instants plus tard, toujours installés sur le sol froid de la douche, le sexe de John était tendu entre eux, et Sherlock utilisait au mieux ses mains entre les mamelons et le sexe de John, et ses lèvres sur les siennes. Il entendait aux bruits que faisait son amant qu'il pouvait jouir sous peu, et il était fier de ça, et émerveillé du spectacle de pur abandon et d'extase peint sur le visage de John. Sherlock se souvint qu'il avait des connaissances anatomiques, également, et qu'il était ambidextre, et qu'il pouvait en faire profiter John. Sa position ne facilitait pas sa tâche, mais il parvint à faire glisser une main plus bas, tout en l'embrassant pour le distraire. Il poussa doucement quand il parvint à l'intimité de son amant, mais il n'eut pas le temps de chercher la prostate. Surpris, John gémit, et jouit fort dans son poing serré, les salissant tous les deux.
— Bon ? demanda Sherlock après un instant, tandis que John cherchait son souffle.
— Plus que bon, répliqua John. Mais il va vraiment falloir qu'on se lave, maintenant. Et qu'on s'habille. Tes parents vont vraiment nous attendre et se demander ce qu'on fabrique.
Il s'avéra que personne n'avait remarqué leur absence. Ils s'étaient habillés en quatrième vitesse, John avec une chemise et une veste, tout en gardant son jean, classe sans être classieux, Sherlock d'un énième costume sur mesure prétentieux, mais qui lui faisait un si beau cul que John n'entendait pas contester son existence.
Propres, bien habillés, ils avaient vérifié que tout en eux en hurlait pas le sexe, et étaient descendus au salon, où Violet Holmes s'extasiait sur son deuxième gendre.
Rougissant de gêne d'être arrivé ici en hélicoptère, Gregory Lestrade se tenait là, et endurait l'enthousiasme débordant de sa nouvelle belle-mère.
Violet Holmes était en extase : pour la première fois de sa vie, ses deux aînés avaient ramené leurs conjoints, et elle aimait déjà ces deux hommes comme ses propres fils. Elle avait parfaitement conscience que la relation entre John et Sherlock était encore balbutiante et incertaine, malgré ce qu'ils essayaient de faire croire, et que Mycroft n'avait ramené Gregory que pour concurrencer son frère, parce que la rivalité entre ces deux-là ne connaissait aucune limite. Qu'importait. La maison brillait de mille feux, il y avait à manger pour un régiment, ses fils étaient heureux en faisant de leur mieux pour ne surtout rien laisser paraître, Sieger regardait le tableau, tout aussi émerveillé qu'elle, John et Gregory paraissaient très bien se connaître et s'entendre, au grand dam de Sherlock et Mycroft, déterminés à bouder pour le principe. Un jour, peut-être, il serait possible d'intégrer Eurus dans ce tableau sans blesser personne, ni ses fils, ni sa fille.
En attendant, Violet voulait profiter de l'instant. Elle ignorait ce que Sherlock et John avaient réglé, mais la manière dont le jeune médecin glissa sa main dans celle de Sherlock en lui lançant un regard doux n'avait rien à voir avec leurs actions guindées jusqu'alors.
Mycroft, habituellement si froid et droit (il l'avait engueulée, plus tôt dans la journée, alors qu'il cherchait partout son ordinateur et qu'elle avait posé sa passoire de pommes de terre par-dessus), faisait de son mieux pour ne pas rougir quand Greg posa une main au creux de ses reins.
— À table les enfants ! s'exclama Violet. Le réveillon peut commencer !
Sieger prit la main de sa femme, l'embrassa dans un baise-main d'un autre temps, et l'accompagna galamment jusqu'à la salle à manger. C'était le plus beau Noël depuis des années qui leur était enfin offert.
