Chapitre 4
Une fois rassuré sur la manière dont les policiers traitent ses compagnons, Levi peut enfin se concentrer sur l'entraînement que lui a préparé Erwin. Il n'a pas besoin qu'on lui apprenne à se battre. Il devient rapidement clair qu'en dehors de Mike, personne ne peut rivaliser avec lui dans l'escouade. Erwin refuse toujours de se battre contre lui, mais n'a aucun complexe à admettre que Levi le surpasserait. Il explique avec philosophie que leurs rôles sont différents et que chacun excelle dans le sien.
Levi a en revanche besoin de s'exercer un peu avec les armes que lui fournit la binoclarde. Dans sa vie de tous les jours, il utilise peu les armes à feu autrement que pour intimider, et il est loin d'être un tireur d'élite. Quant aux armes blanches, qu'il utilise quotidiennement, il doit s'adapter à celles d'Hange, plus longues et plus légères que les siennes. Ça ne lui pose pas de réel problème, il s'adapte vite, mais il veut être au maximum de ses capacités quand il se retrouvera face à un Titan. Au moins, la binoclarde n'insiste pas pour le reprendre sur la manière dont il tient les manches de ses lames.
En quelques semaines, c'est d'Hange qu'il s'est le plus rapproché. Même si elle parle beaucoup trop, même si elle titille en permanence les limites de sa patience, même s'il ressent un fond d'agacement permanent en sa présence, elle est la seule qui le voit comme un égal embarqué dans la même galère qu'eux. Elle ne semble avoir aucune volonté de l'utiliser à dessein personnel. Certes, elle profite de sa présence et de ses aptitudes pour tester avec enthousiasme tout un tas de nouvelles armes, mais Levi la croit quand elle affirme que c'est par passion pour la recherche. Elle ne tire aucune gloire personnelle de ses succès, et ne semble avoir aucune ambition en dehors du Bataillon.
— Tu as intérêt à revenir de cette mission, parce que tu es mon seul espoir pour le prototype d'équipement de manœuvre tridimentionnelle, lui dit-elle un jour.
Cette remarque un peu dramatique, lâchée d'un ton distrait alors qu'elle ajuste le harnais autour de sa taille, touche un point sensible en Levi. La binoclarde est la seule personne à lui dire qu'elle souhaite le voir revenir, lui, Levi, quand les autres ne souhaitent qu'une chose, qu'il leur ramène un nom de Titan. Il n'a pas vraiment le cœur à lui dire que quoi qu'il arrive, il disparaîtra sitôt la mission terminée.
Il n'a aucun mal à la convaincre de donner un coup d'accélérateur sur le développement de son équipement. Il lui promet de ne rien dire à Erwin. Il est souple, il est agile, il a un bon équilibre, il est le cobaye parfait. Et il ne lui cache pas qu'il y voit un intérêt pour lui aussi, celui d'avoir le plus d'atouts possible quand il se retrouvera face aux Titans. Hange se laisse persuader, trop excitée d'avoir un volontaire emballé par l'objet de ses recherches.
Ajuster l'équipement à la taille et à la corpulence de Levi lui prend deux semaines, pendant lesquelles il s'entraîne à maintenir son équilibre au bout de deux cordes reliées à sa taille. Après dix jours, il arrive à tirer au revolver dans des positions improbables sur des cibles en mouvement.
Garder leurs magouilles loin des yeux d'Erwin ne s'avère pas trop compliqué pour Levi, car il ne le voit que très peu pendant les semaines qui suivent. Le capitaine se montre rarement lors des séances d'entraînement et Levi ne participe pas aux activités communes de l'hôtel de police. Il ne mange pas avec les autres, n'assiste pas au lever des couleurs, ne sort pas avec eux quand ils vont boire un verre après le travail – et ce malgré les invitations répétées d'Hange. Il aperçoit de temps en temps Erwin lorsqu'il traverse le terrain d'entraînement en compagnie de Mike, Hange ou un autre de ses subordonnés. Il s'applique à l'ignorer.
Pourtant, il a du mal à se le sortir de la tête. Il a tout de suite compris qu'il a affaire à un personnage qui se démarque au sein du groupe, un homme brillant et charismatique promis à une grande carrière. Ça lui donne envie de fouiner un peu sur lui, pour voir s'il trouve de quoi salir le portrait rutilant du chouchou de la Brigade d'Intervention. Il décide de profiter de la logorrhée chronique d'Hange pour en apprendre plus. L'air de rien, il lui demande comment Erwin est arrivé à la tête du Bataillon d'Exploration.
— Oh, il a toujours été brillant, affirme Hange en examinant un tournevis pour voir si la forme lui convient. Je ne l'ai pas connu au début de sa carrière, mais c'était du genre premier de la classe, bon en tout… un peu agaçant, tu vois ce que je veux dire. Et très ambitieux. Il n'a jamais écouté personne et grand bien lui en a pris, puisqu'il a été nommé au poste de capitaine très tôt et qu'il est le mieux placé pour finir commandant à la place de Shadis.
Elle farfouille dans ses boîtes de vis à la recherche de la perle rare. Levi lui en tend une pour éviter qu'elle ne se coupe dans son élan.
— Il est ambitieux, il est intelligent, il a tout pour aller loin. Et il est charismatique, aussi. Il n'hésite pas à distribuer les petits sourires charmeurs quand c'est nécessaire. On n'a pas tous la chance de pouvoir en faire autant. Moi, par exemple, j'ai beau sourire de toutes mes dents, personne ne veut augmenter mes budgets d'une année sur l'autre.
— Il y a quelqu'un dans sa vie ? demande Levi d'un ton détaché.
Il veut savoir si Erwin a des points faibles à exploiter. C'est uniquement pour ça qu'il pose la question. Il a déjà vu qu'il ne porte pas d'alliance, mais le capitaine est assez malin pour l'avoir retirée avant de le faire chanter.
— Nan, je ne crois pas, répond Hange d'une voix distraire. Je ne sais pas s'il est très intéressé par l'idée d'un couple stable. Je l'ai bien vu flirter une ou deux fois en soirée, mais rien qui ne se soit inscrit dans la durée.
Avec des femmes ? Des hommes ? Les deux ? Levi veut plus de précisions mais n'ose pas en quémander, de peur d'éveiller les soupçons d'Hange.
— Et toi ? se résigne-t-il à demander pour noyer le poisson.
— Moi ?
Le bras d'Hange se suspend pendant quelques secondes, puis elle recommence à visser avec entrain.
— Moi, je n'ai pas vraiment le temps de penser à ce genre de choses.
Du coin de l'œil, Levi voit Moblit redresser la tête de son établi.
Levi, bien qu'insatisfait par la quantité d'informations obtenues, décide qu'il est préférable de ne pas insister. Ses pensées s'échappent. Ce soir, Erwin l'autorise à quitter seul l'hôtel de police pour essayer de glaner quelques informations en ville. Il va enfin pouvoir sortir. Prendre l'air. Boire. Se trouver quelqu'un avec qui passer la nuit. Il a besoin de se vider la tête. Et les couilles. Ses pensées, indomptables, dévient à nouveau vers Erwin. Il s'ébroue. Il décide d'aller se battre avec quelqu'un pour se changer les idées.
~o0o~
Debout devant la fenêtre de son bureau, les mains dans le dos, Erwin ne peut détacher son regard de la silhouette de Levi qui affronte Petra Ral. Il le soupçonne de ne pas monter au maximum de sa rapidité pour que le combat reste un tant soit peu équitable. Petra est vive et n'anticipe pas trop mal ses attaques. Elle réussit à le mettre en difficulté à plusieurs reprises, mais Levi… Levi joue dans une autre catégorie. Erwin ne peut détacher son regard de ses bras puissants, de sa taille étroite et de ses cuisses musclées. Levi est constitué de force pure. De souplesse. D'agilité. Erwin a vu passer de nombreux combattants, dont beaucoup ont refusé de rejoindre le Bataillon dans sa quête désespérée contre les Titans. Il n'a jamais rencontré quelqu'un comme Levi. Peut-être qu'il va réellement mener à bien sa mission.
Depuis quelques jours, à mesure que l'échéance s'approche, il se sent vaguement nauséeux quand il imagine Levi aller se frotter au Titan Cuirassé pour leur obtenir des informations. Plusieurs fois, il est effleuré par l'idée de changer de plan et de le faire accompagner par une partie du Bataillon d'Exploration sous couverture. La perspective de ne pas contrôler où il se trouve ni ce qu'il fait dans une situation si dangereuse lui donne un sentiment d'angoisse sourde. Erwin essaie de se convaincre que c'est parce qu'il ne lui fait pas confiance. Et c'est la vérité, il ne lui fait pas confiance. Mais au fond de lui, il sait aussi qu'il a peur. Peur de perdre cet homme exceptionnel, ce combattant surdoué, parce qu'il l'aurait envoyé trop tôt dans la gueule du loup.
Cependant, ils ne peuvent pas différer la mission. Ils ont déjà trop attendu. Levi n'apprend pas grand-chose parmi eux, si ce n'est l'utilisation de nouvelles armes qu'il assimile très vite. Il est prêt. Erwin est en train de chercher des excuses ineptes pour repousser le moment fatidique.
Pourtant, il n'a tissé aucun lien avec le malfrat. Ils se sont à peine parlé depuis la signature du contrat. Levi passe un peu de temps avec Hange, et la majeure partie de ses journées seul. Parfois, quand il travaille, Erwin jette un coup d'œil par la fenêtre et le voit en train de s'entraîner. Il s'accorde alors une minute – ou deux – pour le regarder faire. Ces images restent imprimées dans son esprit et l'accompagnent parfois jusque dans ses rêves… mais il refuse de penser à ça en plein jour.
Les jours qui séparent Levi de sa mission s'égrainent irrémédiablement. Il sort tous les soirs pour aller chercher des informations en ville. Erwin travaille tard et ne s'autorise à quitter son bureau que quand il est sûr que le malfrat est rentré en vie à l'hôtel de police. Il l'entend toujours rentrer. Levi est discret comme une ombre, mais il ne peut pas s'empêcher de se prendre le bec avec les gardiens. Quand il les entend se lancer des insultes jusque dans la cour intérieure, Erwin est rassuré.
Un soir, Levi rentre plus tard que d'habitude. C'est la veille de sa rencontre avec le Cuirassé. Erwin aurait préféré qu'il ne sorte pas et se préserve pour l'épreuve qui l'attend le lendemain, mais Levi semble avoir une autre vision des choses.
Le vacarme qu'il fait en passant les grilles de l'hôtel de police pousse Erwin à sortir précipitamment de son bureau. Il s'est inquiété toute la soirée. Il a besoin de le voir vivant. La première chose qu'il remarque, c'est que Levi est ivre. Il titube et communique avec de violents éclats de voix. L'un des gardiens essaye de le retenir de frapper l'autre. Ébouriffé, haletant, Levi brandit le poing en déversant une flopée d'insultes. Il ne va pas tarder à réussir à se libérer.
Le capitaine s'interpose et saisit le malfrat par le col de la chemise pour l'entraîner de force avec lui. Quand il voit qui le prive d'une bonne bagarre, le regard de Levi s'assombrit. Il se démène pour se libérer, mais Erwin tient bon. L'alcool amenuise ses forces. Il le traîne jusqu'à son bureau et referme la porte derrière eux. Il le plaque sans ménagement contre le bois en lui arrachant au passage un petit gémissement.
Maintenant qu'il l'a sous le nez, Levi ressemble à une épave. Le voir dans un tel état l'effraie. La sueur colle ses cheveux sur son front, il a les joues rouges et l'haleine qui empeste l'alcool bon marché. Ses vêtements, d'ordinaire toujours impeccables, sont froissés et débraillés. Une tâche de bière orne sa chemise. Il lève vers lui un regard effronté, mais ses yeux embués et ses paupières lourdes anéantissent tous ses efforts pour paraître menaçant.
— Dans quel état tu t'es mis ? gronde Erwin.
Est-ce que c'est eux qui ont fait de lui une telle loque ? Est-ce que c'est lui, Erwin ? Levi, qui d'après Hange passe son temps à la rabrouer sur son allure et la propreté de son laboratoire, n'est pas le genre d'homme à se négliger ainsi. Il a l'air d'un dépravé.
Le contrat qu'ils ont signé fait de lui un homme qui n'a plus grand-chose à perdre. S'il suit les ordres d'Erwin, quelle qu'en soit l'issue, ses amis seront à l'abri. Même au sommet de sa forme, il a une probabilité non négligeable d'y passer. Il semble donc avoir décidé de passer sa dernière soirée dans une euphorie alcoolisée et bagarreuse. Erwin ressent une bouffée de peine pour lui.
Levi ricane. Ses doigts fins se serrent autour du poignet d'Erwin, celui qui le maintient plaqué contre la porte par l'avant de sa chemise. Il plante ses ongles dans sa peau et le griffe de toutes ses forces pour l'obliger à le lâcher. Erwin grimace mais tient bon. Levi tente de lui décocher un coup de genou dans l'entrejambe.
Exaspéré, Erwin le décolle de la porte et le plaque au sol. Levi tente aussitôt de se relever. Erwin l'immobilise de son poids. Levi, beaucoup plus petit que lui, comprend rapidement qu'il n'arrivera pas à le déloger de ses hanches. D'une main, Erwin lui immobilise les poignets au-dessus de la tête et, de l'autre, il le fouille méthodiquement de la tête aux pieds pour le délester de toutes ses armes. Levi cesse de se débattre et observe son visage pendant qu'il s'affaire, les lèvres entrouvertes. Sa poitrine se soulève au rythme des inspirations furieuses qu'il prend.
Erwin récupère trois couteaux et un revolver, qu'il jette à l'écart. Il lui lâche les poignets.
— Je vais avoir besoin de tout ça demain, grogne Levi. A moins que tu préfères que j'y aille les mains vides ? Au moins t'es sûr de te débarrasser de moi.
— Tu passeras les récupérer avant de partir, répond Erwin.
Ils se dévisagent en silence. Levi se redresse sur les coudes.
— Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? Ça t'excite de te frotter la queue sur un homme que t'envoies se faire crever demain ?
— Levi…
— Tu crois que j'ai pas vu comment tu me regardes ? Dès que je pose le pied sur le terrain d'entraînement, tu te mets à bander à la fenêtre.
— Levi, grogne Erwin pour lui rappeler à qui il s'adresse.
— Qu'est-ce qui t'excite le plus ? C'est pas ma gueule, alors c'est quoi ? C'est mon cul ? Tu as envie de me sauter ?
Erwin secoue la tête, agacé. Il refuse de se laisser entraîner dans ce déferlement de vulgarité et lui accorde une minute pour se calmer tout seul. Excédé de voir que ses provocations restent sans réponse, Levi tente à nouveau de se libérer. Il échoue et se laisse retomber sur le sol, impuissant.
— Alors c'est ma force ? reprend-il d'une voix plus calme. Ma technique de combat ? Le fait que tu me tiennes au bout d'une laisse ? Ou d'avoir ma vie entre les putains de palmes qui te servent de mains ?
Avec une délicatesse surprenante, il prend l'une des mains d'Erwin entre les siennes. La différence de taille est saisissante. Erwin ne sait pas trop où son prisonnier veut en venir et le laisse faire. Levi fait mine de porter sa main à ses lèvres. Il la retire aussitôt de peur de se faire mordre. Une étincelle espiègle brille dans les yeux du malfrat.
Les pensées se bousculent dans l'esprit du capitaine. L'apparente vulnérabilité de la position de Levi ne tromperait personne. Il reste dangereux, l'homme le plus dangereux de toute la brigade. Sa chemise débraillée dévoile un bout de son ventre musclé. Erwin sent une chaleur malvenue s'installer dans ses entrailles. Ce petit bout de hanche que Levi dévoile appelle ses lèvres, il a envie de goûter sa peau. S'ils restent trop longtemps dans cette position, il va se retrouver dans une situation gênante.
Pour ne pas l'aider, Levi pose les mains sur ses cuisses et les caresse lentement. C'en est trop pour le capitaine. Il lui saisit les poignets pour faire cesser les frissons qui se dirigent droit vers son entrejambe.
— Tu ne peux pas montrer un peu de décence ?
— C'est pas moi qui suis en train de durcir parce que je tiens un homme entre mes cuisses, rétorque Levi avec un rictus.
Il profite de ce moment de distraction et se redresse d'un coup en position assise. Les fesses d'Erwin heurtent le sol mais ils restent assis là, face à face, les jambes entremêlées. Beaucoup trop proches l'un de l'autre. Levi observe le capitaine avec un air effronté. Erwin se retient d'écarter les cheveux qui lui tombent dans les yeux. Il sent à nouveau l'alcool dont s'est enivré le malfrat, mêlé à l'odeur de sa sueur. Sa respiration se raccourcit.
— Si je meurs demain…
Levi effleure la mâchoire d'Erwin du bout de l'index. Il hésite. Il s'applique à ne pas le regarder dans les yeux.
— Tu ne mourras pas, répond Erwin d'un ton brusque.
Il veut croire à ses propres paroles. Levi lui offre un demi-sourire qui manque de conviction.
Erwin sait qu'il doit le faire cesser tout de suite son manège. Se séparer de lui. Ne pas le laisser le toucher. Ne pas profiter de son ébriété et de son désespoir. Pourtant, il n'arrive pas à se résoudre à repousser le corps de Levi, si proche du sien. A se priver de sa chaleur et de son odeur.
— Levi, tu es ivre…
— Et alors ? Si tu me veux, c'est peut-être ta dernière chance.
Son regard s'embrase.
— Tu me veux, Erwin ? Tu peux m'avoir… de la manière que tu veux… Je te laisse choisir ce que tu veux me faire…
Il lui caresse le torse.
— J'ai envie de te toucher…
Ses doigts effleurent le téton d'Erwin à travers sa chemise et s'y attardent. Il soutient le regard du capitaine avec un air vaguement provocateur, comme s'il le met au défi de l'empêcher de continuer.
— J'ai envie que tu me touches…
Il se plaque contre lui. Erwin ne sait pas quoi faire de ses mains. Répondre aux caresses du malfrat serait un point de non retour. Pourtant, il brûle d'envie de le toucher lui aussi. Il finit par les poser sur ses hanches. Sa taille est si fine… Le sourire de Levi s'élargit. Erwin aimerait se laisser séduire, mais il n'est pas dupe au point d'ignorer la malice qui l'imprègne.
Toujours assis devant lui, Levi se colle contre son torse. Ses chevilles se crochètent pour emprisonner la taille d'Erwin dans l'étau que forment ses jambes. Dans cette position, il ne peut rien ignorer de l'excitation du capitaine. Il lui enlace le cou. Ses hanches ondulent en douceur contre celles du capitaine ne font qu'aggraver la situation. Erwin a du mal à soutenir son regard.
— Tu me veux ? répète Levi dans un murmure qui lui caresse l'oreille. Un mot et je suis à toi.
Il dépose un long baiser le long de sa mâchoire. Erwin se laisse faire. Le contact des lèvres de Levi lui ôte toute volonté de résister. S'il ne participe pas activement, il ne peut rien se reprocher, n'est-ce pas ? Le souffle de Levi caresse la peau sensible juste derrière son lobe d'oreille. Erwin lutte pour empêcher son bassin de suivre les mouvements de celui de Levi, ses mains se crispent sur sa taille pour se retenir d'explorer le reste de son corps. S'il continue, ses doigts vont laisser des traces sur sa peau. D'un mouvement lascif, Levi bascule en arrière et se rallonge par terre. Il l'attire sur lui, les jambes écartées pour permettre à Erwin de s'installer entre.
— Je peux te sucer, si tu veux… poursuit Levi dans un soupir. Tu peux me prendre par terre, sur le canapé ou sur le bureau… Tu peux être brutal, ou tu peux y aller lentement jusqu'à ce que je te supplie de me faire jouir…
La vision d'Erwin se brouille. Les mains aventureuses de Levi migrent jusqu'à son entrejambe et le caressent avec une lenteur exaspérante. Avide de friction, Erwin ne peut plus empêcher ses hanches de se déjeter contre ses paumes.
— Je veux te sentir en moi… Tu peux même m'attacher si tu veux…
A la frustration d'Erwin, il abandonne son entrejambe pour caresser à nouveau son torse. Le capitaine se sent tout entier subjugué par Levi. Le contact de ses mains à travers sa chemise. La sensualité dans ses murmures. L'odeur enivrante de tous ses excès de la soirée. Tous ses sens ne se concentrent plus que sur lui, le reste s'efface autour d'eux. Levi suinte le sexe par chacune de ses pores, et Erwin se sent grisé.
Il glisse une main de ses cheveux et la ferme en poing. Levi laisse échapper un petit grognement de surprise quand il le force à incliner la tête en arrière pour parcourir consciencieusement sa gorge du bout de sa langue. Erwin brûle d'envie de lui céder. De le posséder, là, par terre, sur le sol de son bureau. De le baiser jusqu'à ce qu'il crie son prénom. De le sentir jouir contre lui.
Levi semble avoir oublié toute pudeur. Il se pâme sous ses baisers, comme si Erwin est la seule personne qui peut encore le faire se sentir vivant.
Erwin se rend. Au moment précis où il reconnaît enfin qu'il ne peut plus lutter contre son désir, il sent les mains de Levi autour de son cou. Il se projette en arrière une fraction de seconde avant que les doigts du malfrat ne se serrent autour de sa trachée. D'un bond, Levi se remet à genoux et se jette sur Erwin. L'effet de l'alcool l'empêche de viser correctement et le capitaine n'a aucun mal à le soulever et à le plaquer à nouveau contre le mur. Le choc fait pousser à Levi un cri de douleur. Son visage est déformé par la haine.
— Maintenant ça suffit, lui dit Erwin d'une voix tremblante de colère. Tu vas sortir de ce bureau et aller te coucher sans faire de scène.
— T'as vraiment cru que j'allais te laisser me baiser ? siffle Levi avec hargne.
— J'ai vraiment cru que tu étais désespéré au point de t'offrir à n'importe qui, oui.
Sa réponse, qu'il ne trouve pas particulièrement offensante, atteint Levi beaucoup plus qu'il ne l'a anticipé. Le malfrat lui crache au visage. Il se recroqueville immédiatement contre le mur, comme s'il attend l'inévitable coup qu'il va recevoir en retour. Mais Erwin n'a aucune intention de lever la main sur lui. Après quelques secondes d'hésitation, il le lâche pour s'essuyer.
— J'avais espéré que tu gagnerais un peu de dignité en restant parmi nous, déclare Erwin. Mais je vois que c'est peine perdue. Pars, maintenant, Levi. Va te coucher, repose-toi. Dans ton état, cette mission est un suicide. Je laisserai tes couteaux à Hange demain matin. Ne reviens me voir que quand tu auras l'identité de l'un des Titans.
Les joues roses, Levi remet un peu d'ordre dans ses vêtements.
— Hange et moi travaillons depuis le début sur l'équipement de manœuvre tridimentionnelle. Je vais le prendre demain pour la mission. Et si t'es pas d'accord, je m'en bats les couilles, annonce-t-il en guise d'adieu avant de claquer la porte du bureau de toutes ses forces.
Des éclats de bois volent dans le bureau d'Erwin.
Les jambes d'Erwin manquent de se dérober sous lui. Tremblant, il s'effondre sur la chaise de bureau. Il reste plusieurs minutes là, le visage dans les mains, à essayer d'apaiser le flot d'émotions qui l'assaillent. Il se sent furieux, honteux, déçu, coupable et nauséeux. Son excitation est retombée depuis longtemps. La main que Levi a griffée jusqu'au sang lui fait mal. Il doit nettoyer ça au plus vite possible. Il regarde les trois traînées rouges et boursouflées sur son poignet.
Puis il repense au corps de Levi si proche du sien. Il grogne. Le malfrat sait exactement quel effet il lui fait. Il s'en est servi contre lui et a failli l'avoir. Erwin s'en veut d'avoir été aussi crédule. D'habitude, c'est lui qui use de ses charmes pour manipuler les autres. D'habitude, il analyse ses interlocuteurs avec un regard froid et clinique. Et là, il s'est laissé séduire par la pire personne imaginable. Celle précisément dont il aurait dû se méfier. La moins susceptible d'être sincère avec lui. Il s'est laissé griser par la perspective de quelques minutes de plaisir charnel avec Levi. Il a baissé la garde et s'est fait avoir comme un idiot.
Pendant une fraction de seconde, il espère que Levi meure dans sa mission et emporte avec lui le secret de sa honte. Il écarte rapidement ces pensées. Non, il a besoin du nom de ce Titan.
Il ne rentre pas chez lui ce soir-là. Il s'installe dans le canapé de son bureau, qu'il utilise rarement pour autre chose que de courtes siestes quand il doit travailler plusieurs jours de suite sans rentrer dormir chez lui. Il passe une nuit catastrophique. Il rêve de Levi. Quand ils se battent, Erwin s'arrache à son rêve juste avant que l'un d'eux ne porte le coup fatal. Quand il lui fait l'amour, c'est la honte qui le tire aussitôt de son sommeil. Puis il rêve qu'Hange débarque dans son bureau pour lui apprendre la mort du malfrat lors de la mission, et cela le plonge dans une telle angoisse qu'il n'ose pas se rendormir jusqu'au petit matin.
Il fait un brin de toilette avec les affaires qu'il laisse en permanence dans son bureau pour les cas d'urgence comme celui-ci. Ses mains tremblent tant qu'il se coupe en se rasant. Contrairement à ses habitudes, il ne va pas saluer Levi avant qu'il parte. Il ne se sent pas le courage de l'affronter. Il reste terré comme un lâche dans son bureau.
C'est tellement à l'encontre de ses habitudes qu'Hange vient toquer à la porte pour s'assurer qu'il est encore vivant. Elle l'informe qu'il a une mine épouvantable, ce qu'Erwin aurait deviné tout seul. Elle sait que c'est la mission du jour qui le met dans cet état, mais si elle comprend que c'est plus particulièrement le sort de Levi, elle ne fait pas de remarque à ce sujet.
Il ne peut rien faire de la journée. Il se demande toutes les trente secondes où est Levi, ce qu'il est en train de faire, s'il est encore vivant. N'avoir aucune information le rend fou. Il fait les cent pas dans son bureau, tente de se calmer et s'assied, puis se remet à déambuler au bout de quelques minutes. Sa capacité à se concentrer est proche du néant. Il saute les repas, l'estomac trop noué pour avaler quoi que ce soit. Il sait qu'il est inutile de tenter de faire une sieste pour gagner une heure ou deux. Il ne fait qu'attendre, les oreilles à l'affût du moindre son en direction de la porte.
Le soleil commence à se coucher et il est à deux doigts de se laisser engloutir par la panique, quand des exclamations qui ne peuvent venir de nulle autre qu'Hange lui parviennent. Une clameur s'élève aussitôt et des bruits de pas précipités passent devant sa porte. Erwin est à deux doigts de se ruer à l'extérieur mais s'accorde une minute pour calmer ses nerfs et se composer une attitude digne et posée. Pour passer en « mode capitaine » comme dit Hange pour se moquer.
La porte de son bureau s'ouvre à la volée. Levi entre à grandes enjambées. Erwin met du temps à enregistrer tous les détails de son apparence. Il ne porte plus aucune trace de ses excès de la veille. Il a l'allure solide et la démarche assurée, le regard vif et l'air victorieux. Il est couvert de crasse et de sang, mais Erwin comprend vite que ce n'est pas le sien. Pris de court, il se contente de le regarder avec de grands yeux écarquillés.
Levi abat ses deux paumes sur le bureau d'Erwin et plante son regard dans le sien.
— Eren Jaeger.
