Chapitre 7

Levi s'écroule. Une onde de choc parcourt le corps d'Erwin quand il voit que le malfrat saigne abondamment. Comment ne s'en est-il pas rendu compte plus tôt ? La panique, qu'il a réussi à contrôler depuis le début de la mission, s'empare de lui.

— Capitaine, on rentre, fait la voix rocailleuse de Shadis.

Erwin entend à peine son commandant. Le vieil ivrogne n'a pas participé à l'expédition, il s'est contenté de les attendre au point de ralliement. Erwin l'ignore et se précipite vers Levi, mais le cheval de son supérieur se dresse devant lui et lui barre la route.

— On le laisse là.

— Co… commandant ?

— On n'a plus besoin de lui. D'après les premiers rapports, les deux autres sont morts. Ça nous évitera de chercher un moyen de nous en débarrasser.

— Mais…

— C'est un ordre, Smith. Montez sur votre cheval et déguerpissez avant que je ne vous colle aux arrêts pour insubordination.

Sans quitter des yeux le corps immobile de Levi, Erwin recule jusqu'à sa monture. Il aimerait pouvoir dire que c'est à Shadis que ses jambes obéissent, qu'il ne les contrôle pas, qu'il n'y est pour rien. Mais il ne peut pas se mentir à ce point. Ses jambes n'obéissent qu'à lui-même. Il est en train de faire le choix de se plier aux ordres du commandant.

A chaque pas, il se sent un peu plus drainé de son humanité. Il ne peut pas faire ça à Levi. Il ne peut pas le laisser là, seul, dans le caniveau. Même si c'est trop tard pour l'aider. Même s'il va mourir. Quelqu'un doit rester auprès de lui. Il ne peut pas l'abandonner.

Pourtant, il le fait. Il monte sur son cheval et décolle avec le reste du groupe. Même Mike, à ses côtés, a l'air nauséeux. Hange n'est pas avec eux. Erwin espère qu'il ne lui est rien arrivé. Il sait que si elle avait été là, elle n'aurait jamais accepté la décision de Shadis et l'aurait clamé haut et fort. Mais ils ne sortent pas du même moule. L'excentricité d'Hange est tolérée au sein de la brigade. Erwin passe pour l'exemple même de la droiture et on attend de lui une attitude exemplaire. Une obéissance sans faille.

Malgré la bataille qu'ils viennent de livrer, malgré toutes les pertes qu'ils ont à déplorer, malgré la prise inestimable qui les attend solidement ligotée dans une prison sécurisée, Erwin ne peut penser à rien d'autre qu'à Levi pendant tout le trajet jusqu'à la préfecture. Il ne peut se sortir de l'esprit l'image de son corps étalé sur le pavé. Est-ce qu'il est encore en vie ? Est-ce qu'en lui tournant le dos, il lui a fait perdre des minutes cruciales qui auraient pu le sauver ?

C'est grâce à Levi qu'ils ont attrapé Eren Jaeger. Il ne mérite pas un tel sort.

Ils franchissent les portes de la préfecture. Shadis met aussitôt pied à terre et part à la rencontre des généraux qui attendent avec impatience son rapport. Erwin ne tardera pas à être convoqué pour leur apporter des détails de première main.

Son cheval sent sa nervosité et se met à piaffer.

— Tu me couvres, murmure-t-il à Mike.

Les mots s'échappent de sa bouche. Sans attendre la réponse de son lieutenant, il fait faire demi-tour à sa monture et repart au triple galop dans les rues de Trost. S'il se fait prendre, il va le payer cher. Il va peut-être même devoir faire une croix sur ses rêves de commander un jour la Brigade d'Intervention. D'habitude, il sait faire taire sa conscience quand il a besoin que son ambition prime. Mais cette fois, il n'y parvient pas.

Les gens s'écartent sur son passage. Il lui faut une dizaine de minutes pour retrouver l'endroit où Levi est tombé. Les curieux se pressent déjà autour de lui mais aucun n'ose s'approcher de trop près, car personne ne veut se mêler aux affaires louches des flics. Erwin met pied à terre et fend le cercle de badauds. Levi n'a pas bougé. Il gît face contre terre sur le pavé.

Erwin le retourne et le soulève avec délicatesse dans ses bras. Du sang lui coule de la commissure des lèvres. Au grand soulagement du capitaine, Levi remue et pousse un petit grognement. Ses doigts se ferment sur la couture de la veste d'uniforme d'Erwin. Sans prêter attention aux spectateurs, Erwin le hisse sur son cheval et le plaque contre lui pour l'empêcher de tomber. Au début, Levi, dans un état somnolent, parvient à maintenir un semblant de tonus entre les bras d'Erwin. Puis il perd connaissance et manque de glisser de son étreinte.

Erwin ne rentre pas à la préfecture. Il ne l'amène pas non plus à l'hôpital. Il est en train de désobéir à un ordre direct et doit dissimuler le malfrat. Pour leur sécurité à tous les deux. Il décide de l'amener chez lui.

Quand il descend de cheval, Levi n'est plus qu'un poids mort entre ses bras. Sa tête dodeline à chacun de ses pas. Sentir que toute sa force l'a abandonné effraie Erwin plus que le sang qui tache maintenant ses propres vêtements.

— Allez chercher un chirurgien, tout de suite ! ordonne-t-il au concierge de l'immeuble qui ouvre de grands yeux quand il le voit passer avec ce petit corps brisé.

Une fois dans son appartement, Erwin dépose Levi en douceur sur la table du salon. Il déchire sa chemise pour mettre à nu sa blessure. La plaie en elle-même n'est pas très impressionnante, c'est un impact de balle rond et net. Mais il a déjà perdu beaucoup de sang. Erwin tente de le réveiller en le secouant doucement, mais il reste insensible à toutes les stimulations. L'attente du médecin semble s'étirer pendant un temps infini. Erwin nettoie à l'aide d'une serviette propre le sang qui commence à sécher sur son abdomen. Il sait que ça ne sert à rien, mais il a besoin de s'occuper les mains, de faire quelque chose qui lui donne l'impression d'aider Levi.

Puis il fait les cent pas dans la pièce sans le quitter des yeux, comme s'il a peur qu'il cesse de respirer à l'instant où il se détourne de lui. Il se sent démuni. Impuissant. Il a pourtant appris à garder la tête froide devant les blessures de ses camarades. Ce n'est pas la première fois qu'il voit un agent grièvement blessé. Mais cette fois-ci, il a du mal à repousser la détresse qui menace de l'engloutir. Il tente de redevenir maître de lui-même en reprenant le contrôle de sa respiration. Au moins, Levi ne semble pas souffrir. Il a juste l'air… Erwin se refuse à penser à ce mot.

Quand on frappe enfin à la porte, il croit défaillir de soulagement.

La médecin lui passe devant et fonce tout droit dans le salon en entrant. Elle est talonnée par deux assistants qui, eux, prennent le temps de saluer Erwin.

— Vous n'avez pas comprimé la plaie ? demande-t-elle en retirant sa veste.

Erwin se sent soudain profondément idiot. Il réalise à quel point il n'est plus lui-même.

— Qu'est-ce qu'on vous apprend, dans les écoles d'officiers ? maugrée-t-elle en s'approchant de Levi pour l'inspecter.

Elle évalue la situation d'un coup d'œil rapide.

— Je ne vous poserai pas de question. Je ne veux pas savoir qui c'est, ni pourquoi il est en train de se vider de son sang sur la table de votre salon. Mais mon silence va vous coûter très cher.

— Faites le nécessaire, répond simplement Erwin.

Elle lui tâte le pouls, calcule sa fréquence respiratoire, examine ses conjonctives et palpe son ventre. Ce faisant, elle donne des instructions à ses assistants pour qu'ils préparent les ustensiles dont elle va avoir besoin pour retirer la balle. Erwin les regarde faire, les bras ballants, inutile, jusqu'à ce qu'elle se décide à l'impliquer lui aussi.

— Mettez vous à la tête. Prenez-lui les poignets et empêchez-le de se débattre.

— Vous pensez vraiment qu'il risque de s'agiter ? Il n'a pas bougé depuis que je l'ai amené…

— Il est trop faible pour supporter une anesthésie générale. Si je l'endors dans cet état, il ne va jamais se réveiller.

Elle parle d'un ton très factuel. Erwin sent un frisson glacé lui parcourir toute la colonne. Il ne va jamais se réveiller. La médecin continue :

— Vous avez raison, ça m'étonnerait qu'il se débatte, mais ça ne va pas être une partie de plaisir pour lui et je ne compte pas prendre le moindre risque de recevoir un coup de tête en pleine intervention. Et avant ça, ouvrez au maximum les rideaux, il me faut plus de lumière.

Erwin obtempère puis vient se placer à la tête de Levi. Les deux assistants se positionnent chacun à une jambe. Le nombre de personnes qui l'immobilisent paraît disproportionné pour un homme de sa taille. Erwin lui saisit les poignets. Il se fait la remarque que Levi détesterait voir ses ongles aussi sales. Il les lui nettoiera plus tard, pour lui éviter ce désagrément quand il se réveillera. S'il se réveille. Il chasse cette pensée morbide de son esprit.

La médecin stérilise ses bistouris et nettoie avec soin le ventre de Levi. Elle jette un coup d'oeil à Erwin pour vérifier qu'il est prêt, avant d'enfoncer la lame de son scalpel. Le corps de Levi se crispe. Erwin resserre ses doigts autour de ses poignets. Ses cils papillonnent mais il ne voit que le blanc de ses yeux révulsés. Une boule se coince dans sa gorge. Il se penche en avant jusqu'à ce que leurs fronts se touchent.

— Levi, murmure-t-il. Accroche-toi. S'il te plaît…

La médecin lui jette un regard dénué d'émotion.

— Surveillez-le de près, intime-t-elle avant de poursuivre son travail minutieux.

Erwin relève la tête. Le reste de l'intervention se déroule sans accroc et sans aucune réaction de Levi. La médecin retire la balle et la pose dans une petite cupule en métal, puis referme la plaie à l'aide de points de suture. Ses assistants s'attaquent aux bandages pendant qu'elle va se laver les mains. Ils nettoient aussi la coupure que Levi a dans le cou, qui semble peu profonde mais qu'ils bandent quand même.

— Repos strict, laisse-le tranquille jusqu'à ce qu'il revienne à lui. Dès qu'il en sera capable, essayez de l'hydrater. Il faudra reprendre l'alimentation de manière très progressive. Mes assistants passeront refaire les pansements et suivre l'évolution de la plaie. Si son état s'aggrave… et bien, envoyez quelqu'un me chercher. Je ne suis pas certaine que je pourrai le sauver, mais j'ai de quoi faire en sorte qu'il ne souffre pas.

— Mais il… il va s'en sortir ?

— Je ne sais pas… dit-elle en regardant Levi d'un air songeur. Je dirais qu'il y a de fortes chances pour qu'il s'en sorte. Il ne paye pas de mine, mais je pense qu'il est sacrément solide.

Erwin leur désigne sa chambre et règle la somme qui lui assure la discrétion de la médecin. Les assistants déshabillent Levi, le lavent à l'aide d'une éponge humide et lui passent une tunique neutre. La médecin remballe ses outils et quitte l'appartement sans plus de cérémonie qu'à l'arrivée.

Erwin se retrouve seul avec un bandit grièvement blessé dans son lit.

Après s'être lavé et avoir pansé ses propres blessures, un peu désœuvré, Erwin installe l'un des fauteuils du salon dans sa chambre et s'y assoit pour veiller sur Levi. Il ne sait pas vraiment ce qu'il doit surveiller, alors il se contente de s'assurer qu'il respire toujours et que son visage est paisible. Cette activité le lasse vite et il va chercher de quoi commencer son rapport. Le déroulé de l'opération se brouille déjà dans son esprit, relégué au second plan par le rush d'adrénaline qu'il a ressenti quand Shadis l'a contraint à abandonner Levi.

Erwin veut se convaincre qu'il a été contraint. Mais il sait, au fond de lui, qu'il a fait un choix. Un choix qui le mortifie.

L'après-midi vient de commencer quand des coups sourds résonnent contre la porte d'entrée. Erwin sursaute et s'approche en refermant soigneusement la porte de sa chambre derrière lui. Ses épaules se relâchent de soulagement quand il reconnaît les voix de Mike et Hange qui lui ordonnent d'ouvrir.

Hange entre comme un boulet de canon.

— Où il est ?

— De qui tu p-

Mike le fait taire avec un regard qui signifie clairement qu'il n'est pas d'humeur à être pris pour un idiot. Tous les deux portent sur le visage les stigmates de la bataille qu'ils viennent de livrer. Erwin dissimule derrière une attitude professionnelle à quel point il est soulagé de voir Hange vivante et fidèle à elle-même.

Hange se met à ouvrir toutes les portes de l'appartement à la volée.

— Shadis a demandé où tu étais, dit Mike d'un ton froid. J'ai dit que tu étais blessé et que tu viendrais faire ton rapport ce soir.

Il marque une pause puis reprend :

— J'étais sûr que tu l'amènerais ici…

La suite de sa phrase reste suspendue entre eux. Erwin se doute que Mike a compris qu'il se passe quelque chose entre Levi et lui. Qu'il l'a senti, tout du moins. Et qu'il ne l'approuve pas. Erwin n'a pas envie d'en discuter avec lui, parce qu'il n'a pas envie d'être mis face à ses propres contradictions. Il n'a pas de réponse précise à apporter. Lui qui aime garder le contrôle sur tous les aspects de sa vie se sent perdu.

— Il y a une dizaine de morts dans le Bataillon d'Exploration, Erwin. C'est près de la moitié de nos effectifs. Il faut que tu rentres à l'hôtel de police. Il faut que tu rendes compte et que tu rencontres les familles.

— Tu sais très bien que je ne pouvais pas le laisser là. C'est contraire à tous nos principes.

— Je sais. Mais tu ne lui sers plus à rien, maintenant. Il n'y a plus qu'à attendre, et nous avons besoin de toi.

Erwin baisse la tête. Le visage de Mike s'adoucit.

— Comment il va ?

Un gémissement sonore d'Hange répond à sa question. Mike la rejoint, Erwin sur les talons. Hange s'assoit au bord du lit et dégage le front de Levi des mèches qui lui tombent devant les yeux. Elle lui tapote le sternum en l'appelant doucement par son prénom.

— Il ne réagit pas. Il n'a pas montré de signe de vie depuis que la médecin l'a charcuté. Mais elle pense qu'il va s'en remettre, ajoute-t-il précipitamment.

Hange cesse ses tentatives d'obtenir une réponse.

— Tu l'as vraiment abandonné dans le caniveau ? gronde-t-elle.

Erwin l'a rarement vue aussi furieuse. Il sait qu'il est inutile de nier, c'est sans doute Mike qui lui a raconté ce qu'il s'est passé. Pour justifier le fait que Levi se trouve actuellement dans le lit d'Erwin au lieu d'un lit d'hôpital en bonne et due forme. Et aussi parce qu'elle est leur amie et qu'elle a le droit d'être mise dans la confidence. Il ne prend pas la peine de répondre. Il n'a pas d'autre excuse que sa lâcheté.

C'est un véritable ouragan qui s'abat sur lui. Elle hurle, les joues rouges, les cheveux ébouriffés et les lunettes de travers. Elle lui dit qu'il la déçoit, qu'elle le pensait bien plus intègre que ça. Que peu importe ses actions passées, Levi ne mérite pas de mourir seul au cours d'une mission qu'il exécute pour eux parce qu'il l'a contraint à le faire. Qu'il est lâche, qu'il se cache sous ses grands airs de « monsieur le capitaine » mais qu'il ne pense qu'à sa gueule. Que tout le chantage qu'il a fait à Levi depuis le début est une honte. Qu'il a intérêt à le remettre d'aplomb, sans quoi elle ne lui pardonnera jamais. Qu'ils lui ont déjà fait assez de mal comme ça. Que maintenant, par sa faute, ses amis sont m-

Erwin lui plaque une main sur la bouche pour l'empêcher de continuer. Il jette un regard appuyé à Levi. Elle le repousse mais se tait.

— Où est l'équipement qu'il portait ? finit-elle par demander avec colère.

Erwin le lui rend. Elle a besoin de s'occuper les mains. Il la regarde pendant qu'elle l'inspecte.

— Et toi, comment tu vas ? tente-t-il avec prudence.

Il a peur qu'elle se remette à crier. Elle grommelle qu'elle va très bien. Mais Erwin voit bien que la mission l'a secouée et que l'état de Levi l'angoisse. Est-ce qu'elle se sent en partie responsable ? Est-ce qu'elle est furieuse contre lui au point de mettre un terme à leur amitié ? De rompre son contrat ? Il ne peut pas se passer d'elle, en tant que chercheuse de la brigade mais surtout en tant qu'amie.

Mais Hange n'est pas du genre à les laisser tomber d'un jour à l'autre. Elle a besoin d'extérioriser le stress qu'elle ressent pour Levi et c'est le rôle d'Erwin de l'encaisser. Il l'entraîne à nouveau dans le salon où les attend Mike.

Ils débriefent ensemble la mission. Mike et Hange lui rapportent le premier bilan dressé par les hauts-gradés et lui dressent la liste précise des pertes humaines. Même s'ils peuvent se targuer d'avoir réussi à capturer Eren, le bilan est catastrophique pour une offensive si courte. Mike tente de se composer une attitude fière, mais il est encore bouleversé d'être passé si proche de la mort.

Erwin accepte finalement de se rendre à la préfecture avec lui pour présenter son rapport à Shadis, pendant qu'Hange veille sur Levi. Il sait que s'il manque trop longtemps à ses obligations, il finira par éveiller les soupçons et on viendra chercher des réponses du côté de chez lui.

Sur le chemin, Mike profite de l'absence d'Hange pour lui faire part de ses inquiétudes.

— Je n'aime pas trop savoir ce vaurien chez toi, déclare-t-il les bras croisés, sans regarder Erwin.

Erwin n'a pas vraiment envie d'écouter ses reproches, mais il hausse les sourcils pour l'encourager à continuer.

— Quand il finira par se réveiller, il sera capable de te poignarder dans ton sommeil.

Erwin ne répond pas. Il ne pense à rien. Son esprit est vide, drainé par la fatigue et le stress accumulés depuis le matin.

— Ses amis sont morts. Quand il va l'apprendre, il va devenir ingérable. Erwin, tu m'écoutes ?

Le capitaine sait la souffrance qui attend encore Levi quand il se réveillera. Ses amis sont morts. En plus de la douleur physique, il devra rajouter celle-là. Ce sera à lui de le lui annoncer. C'est son devoir. Un frisson lui descend la colonne vertébrale.

— Dès qu'il montrera le moindre signe de réveil, il faudra que tu l'attaches.

— Hein ?

— Je ne rigole pas, Erwin. Pas pour l'empêcher de fuir, mais pour l'empêcher de t'attaquer. Au moins quand vous serez tous les deux dans l'appartement, la nuit.

— Je ne vais pas menotter un homme blessé.

Mike le regarde droit dans les yeux.

— Si j'estime que tu cours le moindre risque, je m'arrangerai pour que tu te débarrasses de lui.

Erwin le sonde longuement du regard.

— Est-ce que tu es jaloux, Mike ?

Le lieutenant paraît sincèrement étonné, puis offensé par cette accusation.

— Tu es sérieux ? Jaloux de quoi ? demande-t-il en écarquillant les yeux. De sa vie merdique ? De ses manières de voyou ? De sa taille de nabot ? De son air en permanence au bout du rouleau ?

— Je trouve qu'il a son charme, répond Erwin d'un air pensif. Et la taille ne me dérange pas.

La mâchoire de Mike manque de se décrocher.

— C'est une blague ?

— Oui, Mike, c'est une blague, soupire Erwin.

Mike lui lance un regard peu convaincu.

— Tu n'as pas intérêt à en pincer pour cette vermine, menace-t-il.

— Pas de risque, répond Erwin.

Trop tard, apparemment, pense-t-il.

Sentir Levi si proche de la mort lui fait réaliser à quel point il tient à lui. Il serait bien incapable de définir ce qu'il ressent pour lui. Il sait que c'est avant tout de l'attirance physique. Il le fascine depuis qu'il l'a vu se battre pour la première fois. Il l'a vu, lors de la bataille, affronter la fille à l'écharpe. De la chaleur se répand dans son ventre. Sa vitesse, son agilité, sa force… Il secoue la tête. Levi est en ce moment même entre la vie et la mort. Il veut juste qu'il s'en sorte, et le moment est particulièrement mal choisi pour des pensées inappropriées.

Mike le dévisage toujours.

— S'il te dérange tellement, pourquoi tu l'as sauvé ? demande Erwin pour lui renvoyer la balle.

Il se pose véritablement la question. Sans Mike, le Gang des Titans aurait probablement eu raison de Levi affaibli par sa blessure.

— Je me demande moi-même, répond Mike en détournant enfin les yeux pour regarder les gens dans la rue. Un réflexe de soldat, je suppose.

— Eh bien, merci, répond Erwin avec un sourire sincère.

Levi reste plongé dans un sommeil profond pendant trois jours entiers. Erwin fait des allers-retours entre la préfecture, l'hôtel de police et son appartement pour le laisser seul le moins possible sans toutefois éveiller les soupçons de Shadis. Le commandant voit bien que quelque chose ne tourne pas rond chez lui, mais décide de croire que ce sont les pertes humaines et les interrogatoires musclés du jeune Jaeger qui le déstabilisent.

Au matin du quatrième jour, Levi se met à avoir de la fièvre et s'agite. Il se tourne et se retourne dans le lit, le souffle court et les cheveux collés sur le front. Il grommelle des paroles inintelligibles, et à force de remuer sa plaie se remet à saigner. Inquiet, Erwin fait venir la médecin. Elle examine Levi, défait le pansement, et contemple la blessure pendant un moment interminable.

— Il y a un problème ? s'inquiète Erwin.

— Non, c'est juste que… je n'ai jamais vu personne cicatriser aussi vite.

Elle se redresse et se dirigea vers la porte.

— Découvrez-le quand il a de la fièvre. Elle finira par tomber. Il se remet bien.

La fièvre persiste pendant presque une semaine, par vagues. Au début, Levi se contente de se débattre entre ses draps. Au bout de quelques jours, il se met à appeler Furlan et Isabel. Il gémit leurs prénoms entre ses dents serrées et essaie sans succès de se mettre en position assise. Les premières fois, Erwin tente de l'apaiser en lui posant une main hésitante sur l'épaule ou en lui saisissant le poignet, mais il se rend vite compte que Levi ne se calme que parce qu'il se croit auprès d'eux. La culpabilité s'empare alors d'Erwin et il cesse de se substituer aux deux jeunes gens.

L'anxiété gagne le malfrat. Il tente de se réveiller, fronce les sourcils, plisse le front, s'agite dans tous les sens avant de retomber lourdement sur l'oreiller. Le pire vient au moment des pics fébriles, quand tout son corps luit de sueur. Levi se met alors à appeler sa mère. Erwin en a des frissons dans le dos. Il devine à sa voix brisée qu'il n'espère pas vraiment qu'elle lui réponde. Qu'elle n'est plus de ce monde. Par pudeur, il essaie de ne pas écouter les supplications que Levi marmonne. Il aimerait pouvoir lui apporter tout le réconfort qu'il mérite, mais il n'a aucun doute que le malfrat le repousserait s'il était conscient. Erwin se demande s'il existe encore quelqu'un capable de lui apporter ce réconfort.

Quand la fièvre tombe enfin, l'état de vigilance de Levi s'améliore de manière visible. Les assistants de la médecin tentent avec succès de le faire boire puis de lui donner à manger. Au dixième jour, quand il ouvre les yeux, Erwin a pour la première fois le sentiment qu'il le reconnaît. Il hausse les sourcils et un éclat de colère traverse son regard. Il perd à nouveau connaissance avant de pouvoir esquisser le moindre geste.

Le lendemain, il se réveille à nouveau et appelle Erwin par son prénom. Le capitaine vient s'accroupir au pied du lit, le visage à hauteur de celui de Levi. Ce dernier lutte pour garder les paupières ouvertes et se concentrer sur lui. Il veut se redresser mais renonce vite quand il comprend l'effort que ça lui coûterait.

— Furlan et Isabel, murmure-t-il. Où ils sont ?

Le sang d'Erwin se glace dans ses veines. Ce n'est pas la première fois que Levi pose cette question, mais c'est la première fois qu'il la lui adresse directement. La première fois qu'il n'est pas dans un délire enfiévré et qu'il attend vraiment une réponse. Jusqu'à présent, Erwin a choisi de ne pas répondre, en se convaincant que Levi n'était pas encore assez fort pour entendre la vérité. Il a peur que le malfrat cesse de se battre pour survivre s'il apprend que les deux personnes les plus importantes dans sa vie sont mortes. Mais il ne peut plus continuer à lui mentir, à l'entretenir dans cette illusion qu'ils l'attendent encore quelque part.

— Ils… ils ne sont plus là, Levi.

Levi tressaille. Il bat des paupières plusieurs fois avant de se concentrer à nouveau sur Erwin.

— Plus là ? demande-t-il d'une voix tremblante.

— Ils sont morts. Tous les deux.

Levi met du temps à assimiler cette information. L'effort qu'elle lui coûte s'ajoute à celui qu'il fournit déjà pour rester éveillé. Il regarde Erwin d'un air vide pendant plusieurs minutes. Puis ses lèvres s'entrouvrent, ses yeux se mettent à briller.

— Je suis désolé.

Les traits impassibles du visage de Levi se modifient imperceptiblement. Des larmes glissent sur son visage et viennent tâcher les draps. Erwin aimerait lui transmettre un peu de réconfort, saisir ses doigts dans les siens, lui caresser les cheveux. Il se retient. Il sait que ce n'est pas son rôle, parce que c'est lui qui a envoyé ses amis à la mort. Levi ferme les yeux. Sa poitrine s'agite de soubresauts irréguliers. Erwin se lève et quitte la chambre. Pour lui laisser un peu d'intimité, et surtout par lâcheté, parce qu'il ne peut supporter sa douleur. Quand il revient quelques heures plus tard, Levi s'est à nouveau endormi, épuisé par ses larmes.

Les jours suivants, il dissimule sa peine derrière une attitude impassible, mais Erwin sent que quelque chose s'est brisé en lui.

Le malfrat est un oiseau blessé dans son appartement. Dès qu'il ira mieux, Erwin sait qu'il s'envolera et qu'il disparaîtra pour de bon. Il ne désire rien d'autre que son rétablissement, mais la perspective de ne plus jamais le voir lui tord les entrailles.

Deux jours plus tard, Levi sort enfin du lit d'Erwin. Il ne se lève pas devant lui, mais il laisse dans l'appartement des indices qui le trahissent : des aliments se mettent à disparaître, les produits d'hygiène changent de place, des livres jetés à la va-vite sur la table du salon s'empilent tout seuls. Erwin est certain que s'il remarque tous ces détails, c'est que Levi les laisse volontairement derrière lui. Il comprend le message et attend que son invité se décide à lui parler à nouveau.

— Je sais que tu te lèves, Levi, lui dit-il un soir alors que le malfrat lui tourne le dos et fait semblant de dormir.

Il s'est levé pour se laver, l'odeur du savon d'Erwin qui embaume la chambre le trahit.

— Je comprends que tu ne veuilles pas me parler. Sache que tu es libre de partir quand tu veux. Tu peux aussi rester un peu, si tu préfères. Je ne te mettrai pas à la porte, même si dormir dans le canapé commence à me lasser.

Les mises en garde de Mike lui reviennent à l'esprit. Il doit reconnaître qu'avoir Levi en liberté dans l'appartement pendant qu'il s'abandonne au sommeil n'est pas de tout confort. Il n'a rien de compromettant sur lequel le malfrat pourrait tomber, car il a pris soin d'emmener tous ses documents confidentiels à l'hôtel de police. Mais c'est pour lui-même qu'il n'est pas serein. Si Levi décide de venger la mort de ses amis, il ne donne pas cher de sa peau. Erwin ne peut cependant pas se résoudre à entraver Levi pour assurer sa propre sécurité. D'abord pour des raisons morales, et ensuite parce que cela équivaudrait à une nouvelle déclaration de guerre.

Levi va de mieux en mieux. Plus le temps passe et plus Erwin se demande ce qui le retient vraiment dans son appartement. Il ne sait pas si maintenant qu'Isabel et Furlan sont morts, Levi a quelque part où aller. Il ne doute pas de sa débrouillardise. Il l'a toujours vu comme le chef de leur petit groupe, il n'a jamais douté que si l'un d'entre eux peut s'en sortir seul, c'est Levi. Mais il commence à se poser des questions…

En attendant, Levi continue à se murer dans le silence. Chaque fois qu'il lui rend visite, Erwin remarque que son corps est plus alerte, ses réflexes plus vifs, ses sens plus aiguisés. Il suit ses mouvements à travers la pièce et réagit – ou se force à ne pas réagir – à chacune de ses paroles. Erwin renonce à tenter d'obtenir quoi que ce soit de lui. Il ne lui reste qu'à attendre.

~o0o~

Levi va le crever.

Il rumine ça depuis des jours.

Il va tuer Erwin, comme il le lui a promis. Pour venger Furlan et Isabel. La mort du capitaine ne rebouchera pas le gouffre béant qui s'est ouvert dans sa poitrine, mais au moins elle pourra apaiser un peu de sa colère.

Quand le capitaine lui a annoncé qu'ils étaient morts, il s'est senti écrasé par le chagrin. Il a eu l'impression qu'on lui broyait le cœur. Il s'est senti tomber dans l'obscurité. C'est la fureur qui l'a aidé à se ressaisir. Maintenant, c'est la vengeance qui le guide.

Il a inspecté l'appartement à plusieurs reprises en l'absence d'Erwin. La première chose qu'il a faite, quand il a enfin réussi à se lever et à marcher, a été de tituber jusqu'à la cuisine pour voler un couteau. Mais Erwin a caché tous les objets tranchants de son appartement, et malgré une fouille minutieuse Levi a été incapable de mettre la main dessus.

En dehors de cet acte préventif, Erwin ne semble pas avoir prévu quoi que ce soit pour se prémunir d'une attaque intempestive. Cette confiance l'étonne de la part du policier, d'autant que le danger existe réellement. A plusieurs reprises, Levi a été pris de l'envie de se lever pour l'achever dans son sommeil. Il n'a pas besoin de couteau pour tuer un homme. Il voit beaucoup d'autres manières de le faire. Il peut lui fendre le crâne en deux avec un chandelier ou l'étriper avec le tisonnier. Il peut l'étrangler avec une embrase de rideau, lui tordre le cou à mains nues ou lui détruire le visage à la seule force de ses poings jusqu'à ce qu'il se noie dans son propre sang. La sérénité d'Erwin est presque vexante.

Il a décidé d'épargner Hange et Mike. Mike, parce qu'il lui doit la vie, et qu'en l'épargnant il estime sa dette essuyée. Hange, parce qu'elle est venue le voir à plusieurs reprises pendant sa convalescence et que le flot de réprimandes acerbes qu'elle a déversé à chaque fois sur Erwin l'a convaincu qu'elle mérite de survivre à son courroux. Il va les faire sortir de sa vie et laisser le destin se charger d'eux.

Mais il ne peut pas laisser passer à Erwin la mort de ses amis. C'est lui qui l'a capturé et qui l'a plié à sa volonté. C'est lui qui a appâté Furlan et Isabel avec une récompense indécente, qui a utilisé à son avantage leur rêve d'une vie meilleure et qui les a envoyés au cœur d'une bataille dont ils n'avaient aucun espoir de ressortir vivants.

Au fond, c'est à lui-même que Levi en veut le plus. Il aurait dû les retenir. Il a cédé. Il en pleure de rage et de culpabilité. Mais sans Erwin, ils seraient encore en vie.

Physiquement, il ne se sent pas au sommet de sa forme. Il est encore fatigué, affaibli par la perte de sang et la semaine qu'il vient de passer à ne presque pas manger. La blessure de son ventre en elle-même semble en bonne voie de guérison, mais il doit retrouver sa force. Il se sent à bout.

Il ne planifie pas le soir où il passe à l'action.

Il écoute son instinct.

Erwin est rentré à vingt heures de la préfecture, où Levi suppose qu'il passe ses journées à essayer de tirer des informations utiles d'Eren Jaeger. Il a passé la tête dans la chambre où Levi feint de dormir, a mangé un bout puis s'est couché sur le canapé où il a élu résidence depuis que Levi occupe son lit. Levi l'a entendu remuer pendant quelques temps, tourner les pages de son livre à un rythme régulier, puis la lumière s'est éteinte et sa respiration s'est ralentie.

Levi sort du lit. La pièce tangue pendant quelques secondes mais il n'a pas besoin de s'agripper au placard comme les fois précédentes pour se stabiliser. Il se glisse hors de la chambre et traverse le couloir. Il est guidé par sa colère. Il n'a rien prévu de précis. Il va improviser.

La respiration tranquille d'Erwin couvre le bruit ténu de ses pas dans le salon. Un timide rayon de lune se faufile entre les rideaux et empêche la pièce de se trouver plongée dans une obscurité complète. Levi opte pour le tisonnier, le retire silencieusement de son socle et s'approche du canapé. Il observe sa victime. Le visage d'Erwin est paisible et détendu. La main de Levi tremble autour de son arme de fortune. La pièce est plongée dans un silence absolu.

Levi se rend compte trop tard qu'il n'entend plus Erwin respirer.

Le capitaine lui bondit dessus et le renverse sur le tapis. Il grogne quand sa tête heurte le sol. Le poids considérable – au moins quatre vingt-dix kilos – du policier l'écrase. Levi se contorsionne sous lui jusqu'à se retourner sur le ventre et essaye de ramper jusqu'au tisonnier qu'il a lâché dans sa chute. Il l'effleure du bout des doigts mais se retrouve bloqué avant de pouvoir l'empoigner. Il grogne de frustration. Impossible d'aller plus loin. Erwin le retient par la taille.

— Levi… Reste un peu tranquille, ta bles-

Levi tourne la tête vers lui, vise et lui envoie son pied droit de toutes ses forces dans le thorax. L'étreinte d'Erwin faiblit. La main de Levi se referme sur la tige en métal. Le poids du capitaine s'abat une nouvelle fois sur lui et le plaque à plat ventre sur le tapis. Levi se débat avec toute l'énergie qu'il peut conjurer. Il est trop faible, Erwin est trop lourd. Il pousse un cri de rage.

— Levi !

Les doigts du capitaine se referment sur ses poignets. La main de Levi se crispe avec obstination sur le tisonnier.

— Lâche ça, Levi. S'il te plaît, murmure Erwin à son oreille.

Son parfum lui envahit les narines. Son eau de Cologne infecte et entêtante. C'est grâce à elle que Levi a compris où il se trouvait dès l'instant où il est revenu à lui, quelques jours plus tôt. Tout l'appartement empeste Erwin.

Levi lâche le tisonnier. Il n'en peut plus. Il abandonne.

Qu'Erwin fasse ce qu'il veut de lui, il s'en fiche. Il n'a plus personne, plus rien à perdre. Il ferme les yeux pour ne pas pleurer de honte et de désespoir.

Ils restent un instant sur le tapis, immobiles et haletants. Le capitaine lui lâche les poignets, se soulève sur un bras et le tourne avec délicatesse sur le côté pour s'assurer que son ventre ne saigne pas. Levi refuse de le regarder mais se laisse faire. L'absence du poids d'Erwin sur lui crée un vide instantané. Même s'il ne le reconnaîtra jamais à voix haute, il y avait quelque chose de rassurant à se retrouver dans cette position, protégé du reste du monde par la chaleur du capitaine.

Il sait qu'il ne devrait pas se sentir autant en sécurité avec Erwin. Qu'il devrait le détester. Qu'il devrait avoir envie de lui faire du mal.

Erwin fait mine de se relever pour le libérer.

— Attends ! Reste.

Les mots ont jailli tout seuls de sa bouche, trop vite pour qu'il puisse les retenir. Il a envie qu'Erwin reste. Il a besoin de son corps sur le sien. Il en chialerait de frustration.

Levi roule sur le dos pour lui faire face. Erwin, encore si proche de lui, le dévisage avec un air indécis. Levi entremêle leurs jambes. Il se déteste. Il a envie de pleurer. Il est perdu dans le tourbillon de ses émotions. La seule chose qu'il comprend, c'est que là, tout de suite, alors qu'elle devrait le révulser, la présence d'Erwin lui fait du bien.

Erwin se penche sur lui. Leurs visages sont si proches l'un de l'autre que Levi peut sentir son souffle sur ses lèvres. Ses yeux bleus brillent dans la pénombre. L'hésitation le fait hausser ses sourcils démesurés. Levi examine avec soin chaque détail du visage de l'homme au-dessus de lui.

— Je vais te blesser, murmure le capitaine.

— Tsk, tu me fais pas mal.

C'est la vérité. Comme Erwin hésite, Levi lui glisse les mains dans le dos et le plaque contre sa poitrine. Pour sentir à nouveau son corps peser sur le sien. Erwin reprend sa place sur lui, mais incline légèrement les hanches sur le côté pour éviter d'appuyer sur son ventre blessé. Il enfouit son visage dans le creux de l'épaule de Levi. Les yeux rivés sur le plafond, celui-ci s'efforce de ne penser à rien. Ni au parfum des cheveux d'Erwin, ni à son souffle sur sa peau, ni à tous les endroits où ils sont collés l'un contre l'autre. Il se trouve pitoyable, à chercher du réconfort de manière si désespérée. Il ne le mérite pas. Erwin non plus. Aucun d'eux ne devrait être là alors que Furlan et Isabel sont morts.

Il ferme les yeux et pleure en silence. Si le capitaine le remarque, il ne le montre pas. Des minutes paisibles s'écoulent, si longues que les larmes de Levi finissent par sécher sur sa peau. Les doigts d'Erwin jouent machinalement avec une mèche de ses cheveux. Levi voudrait s'endormir comme ça, dans ses bras, et profiter enfin d'un sommeil réparateur. Profiter de ce sentiment de sécurité. Il remue. Malgré le tapis, le sol inconfortable commence à lui faire mal au dos.

— Le lit serait plus confortable… vibre la voix d'Erwin contre la peau de son cou.

Le poids du capitaine disparaît. Levi, par réflexe, initie un geste pour le retenir, mais il est trop lent. Il se redresse sur les coudes. Erwin, à genoux devant lui, lui tend la main.

— Viens.

Un frisson secoue Levi de la tête aux pieds. Il crève d'envie de se plaquer contre lui pour retrouver sa chaleur. Mais il ne peut pas accepter son invitation et de le laisser l'étreindre dans son lit. Pas maintenant. Ni plus tard. C'est trop intime. C'est une porte ouverte à des choses auxquelles il ne veut pas penser.

Les yeux brillants, il se compose à nouveau une attitude effrontée. Les traits d'Erwin s'affaissent et l'espoir laisse place à la déception. Puis il se ressaisit et adresse à Levi un regard bienveillant qui lui met les nerfs à vif.

Il a du mal à respirer. Il étouffe. Il faut qu'il parte. Qu'il prenne la fuite avant que cette cage qu'il voit se dessiner autour de lui ne se referme.

Tous les deux se remettent sur pieds. Avec des gestes décidés, Levi enfile ses bottes et sa veste, qu'Erwin a pendues dans l'entrée pour qu'il puisse les récupérer quand il le souhaite. Le capitaine n'essaie pas de le retenir. Il le regarde faire sans dire un mot, les bras ballants. Levi s'applique à ne pas croiser son regard. Il refuse de se confronter à sa déception.

— Ne me cherche pas, dit Levi avant de claquer la porte et de disparaître dans la nuit.