Chapitre 11
Erwin entre dans le bureau du Commandant Shadis, Levi sur les talons. Le commandant est assis derrière son bureau, et debout à ses côtés se trouve l'Inspecteur Darius Zackley. Erwin se raidit, un peu impressionné. Il ne s'attendait pas à le trouver là. Levi l'écarte d'un petit coup d'épaule et entre à son tour d'un pas assuré. Il n'a aucune idée de qui peut bien être ce barbu, et visiblement il s'en fiche.
— Mes respects, Inspecteur, salue Erwin en se mettant au grade-à-vous. Commandant, ajoute-t-il en s'adressant à Shadis.
Levi lui jette un regard étonné par toute cette formalité et s'assoit dans un fauteuil dans sa position habituelle, bras et jambes croisés.
— Repos, capitaine. Asseyez-vous. Bonjour, jeune homme. Je suppose que vous êtes Levi Ackerman.
Levi ne répond pas, l'air méfiant.
— Je suis l'inspecteur Zackley. C'est moi qui suis au-dessus du commandant Shadis dans la chaîne de commandement. J'ai insisté pour participer à cette petite réunion, d'abord pour vous rencontrer, mais aussi pour entendre de première main ce que chacun d'entre vous souhaite dire.
C'est la première fois que Shadis revoit Levi depuis qu'il a ordonné à ses hommes de l'abandonner moribond au sortir de leur offensive contre les Titans. Il le dévisage avec des yeux exorbités, comme s'il était assis en face d'un revenant. Erwin est brutalement ramené en arrière. L'image du malfrat inconscient, livide et inerte ne s'est pas estompée dans son esprit. Comme à chaque fois que quelqu'un évoque ce souvenir, une bouffée de soulagement lui envahit la poitrine. Pour rien au monde il n'échangerait sa place auprès de ce petit homme revêche.
— Je vous écoute, Capitaine Smith.
— J'aimerais que Levi rejoigne le Bataillon d'Exploration… annonce Erwin.
Le commandant Shadis éclate de rire. Un rire forcé, faux, déplaisant.
— …en tant qu'officier, en guise de reconnaissance pour tout ce qu'il a fait pour nous.
— Nous n'engageons pas de vermine dans le Bataillon, siffle Shadis. C'est une unité d'élite.
— Justement, Levi est le meilleur combattant que nous ayons à notre disposition. Il nous l'a prouvé à maintes reprises. Qui d'autre que lui a réussi à obtenir l'identité d'un Titan ? Qui d'autre peut se targuer d'avoir affronté directement les Titans et d'en être revenu vivant ? Par deux fois ?
— Il s'en est fallu de peu la seconde fois, rétorque Shadis.
— Il s'en est sorti parce que nous sommes une équipe. C'est pour ça que nous devons le recruter. Il ne sera jamais aussi bon que parmi nous.
— Ackerman est-il au courant que vous l'avez abandonné sur place ? siffle Shadis.
— Ouais, ment Levi. Je m'en fiche.
Erwin frémit. Ils n'en ont jamais parlé, parce qu'il n'a pas eu le courage d'aborder le sujet. Levi doit sans doute se souvenir d'avoir été sorti des entrepôts par Mike, puis le noir total. Il ne se souvient pas qu'Erwin lui a tourné le dos aux portes de la mort. Qu'il est revenu le chercher, certes, mais qu'il n'a pas discuté l'ordre qui lui intimait de le laisser mourir. Il aurait dû tenir tête à Shadis. Il est impardonnable. Ses tripes se serrent, comme chaque fois qu'il y repense.
— Et vous, Levi, que voulez-vous ? demande Zackley. Tout le monde a parlé sauf vous.
Levi est un peu déstabilisé de devoir exposer son avis devant ces hommes qu'il ne connaît pas et à qui il ne fait pas confiance. Sans doute aurait-il préféré une liste de propositions auxquelles il aurait pu répondre par « oui » ou par « non ». Tous les regards se braquent sur lui. Ses bras se resserrent contre sa poitrine.
— Je veux une place dans le Bataillon d'Exploration, lâche-t-il à voix basse en regardant le sol.
Une fois les mots sortis de sa bouche, il lève un regard effronté vers les deux haut-gradés. Erwin pense qu'il peut le voir en périphérie de son champ de vision, alors il lui adresse un furtif sourire d'encouragement.
— Je veux le grade de lieutenant. Dès mon intégration à la brigade. Le même grade que Zoë et Zacharias.
Shadis est pris d'une quinte de toux. Zackley hausse les sourcils. Erwin et Levi restent de marbre. Ils ont bien entendu répété cette scène, et ils s'attendaient à une telle réaction de la part des haut-gradés. Levi poursuit, imperturbable :
— Je veux être sous le commandement d'Erwin. Je n'obéirai aux ordres d'aucun autre capitaine.
Ça, ils ne l'avaient pas décidé ensemble. Erwin tique mais s'abstient de faire tout commentaire. Comme devant Eren, Levi et lui doivent se montrer unis.
— C'est tout ? demande Shadis. Tu ne veux pas la Croix du Mérite, aussi ?
— Je sais pas, ça rapporte quoi ? s'enquiert Levi.
— Pourquoi le Capitaine Smith ? demande Zackley, curieux. J'ai entendu dire que vos relations étaient plutôt tendues.
— Y'a pas que ça qui est tendu, répond Levi.
Erwin fait une descente d'organes. Il peut tolérer la vulgarité de Levi devant ses amis, mais elle est absolument inacceptable devant ses supérieurs. C'est sa carrière qui est en jeu. Il croise le regard du malfrat et lui fait comprendre qu'il a franchi la limite. Levi se détourne d'un air buté, mais Erwin a le temps d'apercevoir un éclat contrit dans son regard. Heureusement, l'inspecteur semble à des lieux de saisir le sous-entendu. Il poursuit :
— Ne serait-il pas plus judicieux de repartir à zéro avec un nouveau supérieur ?
— Non, répond Levi. C'est Smith. Ou alors vous vous démerdez sans moi.
— Félicitations, vous avez réussi à dompter votre clébard, Smith, fait remarquer Shadis.
Erwin est trop occupé à dévisager Levi pour réagir à la remarque insultante du commandant. Bien sûr, il n'est pas étonné que le malfrat ne veuille se battre sous les ordres d'aucun autre que lui. Il met un temps infini à faire confiance aux gens, et il s'apprête à accepter une position qui a déjà failli lui coûter la vie. Mais il est touché par la hargne qu'il met à défendre ses exigences.
— Vous tuez ses amis et il se démène pour que vous lui mettiez une laisse autour du cou. Remarquable. Vous devez avoir un talent caché. N'hésitez pas à nous en faire part, que nous montions une nouvelle expédition pour aller récupérer d'autres vauriens dans les égouts.
Levi encaisse ses provocations, le corps un peu plus crispé à chaque phrase. Erwin pose une main sur son avant-bras en signe d'apaisement. Il ne semble même pas s'en rendre compte.
Shadis continue.
— Quitte à finir réduits en bouillie par les Titans, je préfère qu'on envoie la racaille plutôt que mes agents.
Levi perd son sang-froid. Il bondit en direction du bureau du commandant.
Erwin l'a senti venir et l'attrape au vol. Il plaque le dos de Levi contre son torse et lui passe ses deux bras sous les aisselles pour l'empêcher de se libérer. Shadis fait un tel mouvement de recul qu'il manque de tomber de sa chaise. Levi se débat quelques secondes contre Erwin puis abandonne. Il bouillonne de rage. Sa poitrine se lève et s'abaisse à un rythme effréné.
— Inspecteur, vous allez donner votre accord pour qu'un tel animal intègre le Bataillon ? A un grade d'officier ? Les gens comme lui ne connaissent que la violence. Il ne sait pas parler sans jurer, il ne reconnaît pas l'autorité, il n'a aucune notion de discipline. Il ne partage pas nos valeurs. C'est une crapule impulsive. L'admettre parmi nous reviendrait à admettre une tumeur au sein d'un groupe déjà fragilisé par la dernière mission.
Erwin est révolté par une telle violence. Il serre Levi contre lui, plus pour lui transmettre son soutien que pour le retenir d'attaquer. Il a envie de le trainer hors du bureau pour lui épargner de telles insultes.
Levi mérite mieux que Shadis. Il mérite mieux que chacun d'entre eux. Il tremble de rage dans ses bras, les yeux rivés sur le commandant qui poursuit son monologue acerbe. Zackley étudie la scène sans rien dire, calme et immobile.
— Levi, lui murmure Erwin à l'oreille.
Il est couvert par la voix de Shadis. Celui-ci ne prête plus qu'une attention distraite à Levi, trop occupé à s'écouter lui-même déblatérer des horreurs.
— Je suis là. Je ne te lâcherai pas tant que tu ne te calmeras pas.
S'il te plait. Ne le laisse pas t'atteindre. Tu vaux mieux que ça.
Levi prend une profonde inspiration et Erwin sent ses muscles se détendre.
— Commandant, intervient-il dès qu'il peut en placer une. Avec tout le respect que je vous dois, je vous demande d'avoir un peu plus de considération pour un homme qui jusqu'à présent n'a fait que nous servir loyalement, en dépit de ses convictions personnelles et au sacrifice de la vie de ses amis.
— Vous faites passer pour de la bravoure un acte qui a été accompli sous la contrainte.
— Je fais confiance à Levi, je lui confierais ma vie. J'ai l'intime conviction que la lutte contre les Titans ne pourra pas se faire sans lui. C'est pourquoi si vous renoncez à l'engager, alors j'estime cette cause perdue d'avance et je demande ma mutation dans une autre brigade.
Levi laisse échapper un hoquet étranglé et s'affaisse un peu entre ses bras. Erwin est soulagé que leur position ne permette pas à leurs regards de se croiser.
— Ce que vous pouvez être dramatique, Smith, ricane Shadis. Vous laisseriez tomber le Bataillon d'Exploration pour un désaccord à propos d'un vaurien ? Que faites-vous de vos camarades qui ont tous déjà versé leur sang pour notre cause ?
— J'ai un profond respect pour mes camarades, mais je ne peux malheureusement pas dire la même chose de vous, commandant. Vous parlez de nos valeurs, mais vous êtes le premier à les avoir trahies en l'abandonnant à son sort au moment où il avait le plus besoin de nous. C'est indigne de la Brigade d'Intervention et contraire à toutes nos convictions.
— Alors, comment se fait-il qu'il se trouve devant moi en ce moment même ? répond Shadis dont le visage prend peu à peu une dangereuse teinte violacée.
— Parce que j'ai désobéi à un ordre direct, admet Erwin sans rien perdre de son aplomb. Et je suis prêt à en assumer les conséquences.
Ne sentant plus aucune résistance de sa part, Erwin lâche enfin Levi et le suit du coin de l'œil pendant qu'il retourne s'asseoir. Le malfrat se recroqueville dans son fauteuil sans lever les yeux du sol, mais il devine à ses lèvres entrouvertes et à ses joues légèrement rouges à quel point il est chamboulé.
— C'est bien ce que je pensais, grogne le commandant. Inspecteur Zackley, un mot en privé, s'il vous plaît.
— J'allais justement vous demander de me l'accorder, répond Zackley sans se départir de son ton jovial.
Erwin comprend l'ordre implicite de sortir et fait signe à Levi de le suivre. Celui-ci s'exécute non sans un dernier regard assassin pour les deux haut-gradés. Ils s'adossent contre le mur froid du couloir et attendent. Levi est un peu sur la défensive, comme s'il pense qu'Erwin va lui reprocher son comportement. Mais Erwin est trop outré par celui de son supérieur pour s'attarder sur le sien. Il est même plutôt fier de la retenue admirable dont il a fait preuve. Il regrette presque de ne pas avoir laissé Levi lui mettre une bonne raclée – il aurait volontiers ajouté ça à la liste des désobéissances auxquelles il va devoir répondre.
— Ça va ? finit-il par demander.
L'autre hausse les sourcils.
— Ouais… pourquoi ? Tu ne le sens pas ?
— Je pense qu'ils vont accepter, répond Erwin sur un ton qui se veut rassurant.
Ce qu'il veut vraiment savoir, c'est comment se sent Levi. Comment il a encaissé les insultes et les humiliations. Ce qu'il pense vraiment de tout ça. S'il a toujours envie de s'engager. Au fond de lui, Erwin a peur que si ses supérieurs tirent trop sur la corde, Levi change d'avis et leur claque la porte au nez. Mais sans surprise, l'homme n'a pas envie de parler de ce qu'il ressent. Il ne semble même pas comprendre que c'est l'objet de la question.
Ils attendent depuis plusieurs dizaines de minutes dans un silence anxieux quand la porte s'ouvre et Shadis quitte le bureau, le visage livide et le pas raide. Il leur passe devant sans leur accorder un regard. Erwin, incrédule, garde le silence. Levi le suit des yeux, parfaitement immobile, le visage fermé. Zackley les invite à entrer à nouveau. Ils reprennent tous les deux leurs places respectives, tandis que Zackley prend celle de Shadis derrière le bureau.
— Bien. J'ai pris ma décision. Levi, je vous autorise à intégrer le Bataillon d'Exploration au grade de lieutenant. Cette décision sera effective d'ici quelques jours, le temps que nous préparions votre contrat et que nous officialisions ça devant l'ensemble du Bataillon…
Erwin a envie de se réjouir pour Levi, mais il sent venir le « mais ».
— …en revanche, je ne peux pas vous laisser sous le commandement direct du Capitaine Smith.
— Pourquoi ? demande Levi d'un ton agressif.
— Parce que nous devons respecter la chaîne de commandement, et que le Capitaine Smith ne sera plus votre supérieur direct…
— Pourquoi ? répète Levi.
— …s'il accepte la position de commandant.
Le silence s'abat sur la pièce. Erwin et Levi regardent Zackley, puis se regardent entre eux, puis regardent à nouveau Zackley. Erwin sent son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine. S'il a bien compris ce que vient de dire l'inspecteur, il est arrivé au moment le plus important de sa carrière. Celui qu'il attend depuis le début, celui pour lequel il s'est démené sans relâche. L'espace d'un instant, il oublie Levi, il oublie tout le reste. Il ne pense plus qu'à une chose, ce mot sur les lèvres de Zackley. Commandant.
— Smith, quand je vous ai confié une équipe de la Brigade d'Intervention et que je vous ai demandé d'en faire une unité d'élite, je ne pensais pas que vous iriez aussi loin dans l'excellence. Personne avant vous n'a jamais réussi à capturer un Titan vivant. Je veux donner plus de poids à votre unité. Je vais la séparer de la Brigade d'Intervention et en faire une brigade à part, dédiée à la lutte contre les Titans. Et je veux que vous en preniez la tête, au poste de commandant. Shadis, de par son comportement et ses piètres résultats, ne mérite pas de commander des gens comme vous. Je le laisse à la tête du reste des unités de la Brigade d'Intervention, mais je crée officiellement un Bataillon d'Exploration autonome…
— Vous voulez pas en profiter pour changer le nom ? coupe Levi. C'est vraiment ridicule. Je croyais que ça partait d'une blague.
— …et je vous en confie les rênes, poursuit Zackley sans tenir compte de l'interruption. Vous avez toujours fait preuve de droiture et d'intégrité. Vous saurez vous donner corps et âme à cette mission. Vous avez montré que vous savez vous entourer des bonnes personnes – il se détourne un instant d'Erwin pour jeter un coup d'œil à Levi – et que vous êtes capable de monter des opérations avec succès. Vous êtes un peu jeune, certes, et vous êtes un peu fougueux, mais j'ai entièrement confiance en vous pour faire honneur à cette position et à toute la brigade.
Erwin se lève et se met au garde-à-vous.
— Inspecteur, c'est un immense honneur pour moi de…
— Abrège, fougueux jeune homme, grogne Levi.
— J'accepte. Bien sûr, j'accepte.
— Bien, répond Zackley.
Ses épaules se détendent imperceptiblement.
— Je vois toujours pas pourquoi je pourrais pas rester sous son commandement, insiste Levi en croisant les bras.
— Si le Bataillon d'Exploration devient une unité à part, explique Erwin d'une voix calme, son organisation sera calquée sur celle de la Brigade d'Intervention. Un commandant, des capitaines à la tête d'escouades, des lieutenants pour les assister et des soldats.
Il dessine le schéma pyramidal du bout du doigt à mesure qu'il parle. Levi grimace.
— Si ça veut dire que je passe sous le commandement de Mike, c'est non.
— Un problème avec Zacharias ? demande Zackley en haussant les sourcils.
— Non, répond Erwin.
— Il est con comme un pied de chaise, répond Levi.
— Levi !
Il lui lance un regard avec lequel il espère lui faire comprendre qu'il dépasse une nouvelle fois les limites. Ce qu'ils ont déjà obtenu est inespéré. Un poste d'officier pour Levi, un poste de commandant pour lui. Ils sont débarrassés de Shadis. La querelle puérile entre Mike et Levi pourra se régler plus tard, et sans impliquer de haut-gradé.
— Nous réglerons ça à l'échelle du Bataillon, reprend Erwin sans quitter Levi des yeux pour le dissuader de le contredire. Il n'y a aucune raison pour que nous n'arrivions pas à travailler ensemble, comme nous l'avons fait par le passé.
— Très bien, conclut Zackley, peu désireux de s'engager dans une nouvelle problématique à régler. Levi, si vous n'avez rien à ajouter, vous pouvez nous laisser. Smith et moi avons des détails administratifs à régler, et vous épargne ce calvaire.
— À plus tard, Levi, dit Erwin.
À tout à l'heure. Attends-moi à l'appartement. J'ai envie de... il rosit et détourne le regard. Levi reste imperturbable, les salue d'un signe de tête et sort de la pièce.
— Bien ! répète Zackley. Ah, Smith, si vous saviez comme je me réjouis de la tournure que prennent les événements !
~oOo~
Levi ne prête aucune attention au trajet jusqu'à l'appartement d'Erwin, si bien qu'il est presque étonné de se retrouver devant la porte. Officier. Il va être nommé officier. Chez les flics. Cette nouvelle lui laisse encore un goût étrange sur la langue. Les gens comme lui ne devraient pas bosser parmi les flics. Il n'est pas fait pour l'ordre et l'obéissance. En allant contre sa nature profonde, il risque de déclencher une explosion au sein du groupe. Cette perspective l'inquiète parce que maintenant, s'il explose, il souffle Erwin par la même occasion.
Levi est fier d'Erwin. À aucun moment il ne pense que le capitaine lui doit cette promotion. Il la mérite, il sera bien meilleur que Shadis. Seulement, Levi a peur de tout gâcher. Il n'est pas sûr de comprendre pourquoi Erwin lui fait confiance, pourquoi il choisit d'ignorer la possibilité que Levi puisse tout détruire d'un moment à l'autre. Tout pourrait basculer si vite. Parce qu'il ferait le mauvais choix, ou qu'il mettrait les autres en danger par un acte impulsif.
Il craint qu'Erwin ne se laisse guider par ses sentiments plutôt que sa raison. Il n'est même pas sûr du mot sentiments. Est-ce qu'il ne s'agit pas plutôt d'une simple attirance physique ? C'est comme ça qu'Erwin l'a décrite, autrefois. À une époque qui lui paraît terriblement lointaine et douloureuse.
Non, se rabroue-t-il intérieurement. Il insulte Erwin en l'accusant de prendre des décisions aussi importantes avec sa queue. Erwin est un professionnel, il sait garder la tête froide. Il pense très certainement que Levi peut leur apporter une aide véritable, malgré tous ses défauts et les dangers qu'il représente.
Mais Levi se connaît mieux qu'Erwin ne le connaît. Quelques heures auparavant, il avait envie de se battre pour ce poste d'officier, parce qu'il aimait le défi de faire plier les flics-en-chef à cette idée saugrenue. Maintenant qu'il l'a, il sent sa certitude vaciller. Il s'apaise en se disant que le jour où il s'estimera dangereux pour Erwin, quelle qu'en soit la raison, il laissera tout tomber pour le protéger.
Il a hâte que le capitaine rentre. Il veut le voir, le toucher. Il veut sentir son odeur, plus entêtante que l'empreinte tenue qui imprègne son appartement. Il veut qu'il le prenne dans ses bras, qu'il laisse courir ses mains immenses sur sa peau, qu'il enfouisse son nez dans ses cheveux. Il décide, en attendant, de se laver à l'eau froide pour se calmer un peu.
Quand Erwin rentre le soir-même, l'appartement est plongé dans la pénombre et Levi l'attend assis sur la table du salon. Ses pieds qui se balancent doucement trahissent sa nervosité. Erwin retire sa veste et ses chaussures. Il doit sentir que Levi attend quelque chose, car le silence entre eux est particulièrement tendu.
— Tout va bien ? demande-t-il à voix basse comme s'il avait peur de déchirer l'atmosphère feutrée.
— N'allume pas, lui dit Levi quand il se dirige vers la lampe de la commode. Va prendre un bain. J'ai fait chauffer de l'eau pour toi.
Erwin est un peu surpris mais s'exécute. Il n'a probablement encore jamais reçu de remarque sur son hygiène corporelle, et il semble ne pas bien comprendre où Levi veut en venir. Ce dernier se retient de faire claquer sa langue pour lui reprocher son manque de vivacité d'esprit. Il met ça sur le compte d'une journée riche en émotions, qui est encore loin de s'achever malgré l'heure tardive.
Le capitaine se lave en vitesse et revient dans le salon, la chemise tachée par l'eau qu'il n'a pas pris le temps d'essuyer correctement. Levi n'a pas bougé. Il l'attend, toujours assis sur la table. Erwin se tourne vers lui et attend la suite. Levi est un peu agacé de devoir le guider.
— Tsk, viens là.
Il est surpris par la douceur de sa propre voix. Quand Erwin s'approche de la table sur laquelle il est perché, Levi se met à genoux pour que leurs visages s'alignent à la même hauteur. Erwin entrouvre les lèvres, le souffle court. La lumière du crépuscule se reflète dans ses yeux bleus, sa peau est étrangement diaphane sous les rayons de la lune. Sa beauté est à couper le souffle. Levi glisse ses doigts dans ses cheveux. Erwin ferme les yeux. Il a envie de dessiner du bout des doigts ses traits symétriques. Son parfum l'enveloppe comme un cocon familier et rassurant.
Quand Erwin rouvre les yeux, leurs visages se trouvent à quelques centimètres l'un de l'autre. Son souffle caresse les lèvres de Levi. Avec une délicatesse infinie, Erwin dénoue le foulard autour de son cou, puis pose une main sur l'angle de sa mâchoire. Levi se laisse aller contre sa paume. Le pouce d'Erwin trace avec délicatesse le contour de sa bouche. Levi le saisit entre ses lèvres. Il sent le frisson qui traverse le corps du capitaine et sourit. Pour la première fois, il lui adresse un véritable sourire. L'expression d'Erwin change.
— Je peux t'embrasser ? murmure-t-il.
— Oui, tu peux.
Mais c'est Levi qui l'embrasse le premier. Son cœur tambourine dans sa poitrine. Il saisit le visage d'Erwin et plaque ses lèvres contre les siennes. Ce contact est si intime que sa poitrine se serre. Il a l'impression de se mettre à nu devant lui. Certes, Levi n'est pas vraiment pudique et Erwin connaît déjà son corps. Mais ce qu'il remue en lui est beaucoup plus profond.
Levi se sent soudain terriblement vulnérable. Par réflexe, il se blottit contre le capitaine sans détacher un instant ses lèvres des siennes. Les bras d'Erwin l'acceptent et s'enroulent autour de sa taille.
Leur baiser est d'abord maladroit, ils mettent quelques secondes à se découvrir et à s'adapter l'un à l'autre. Erwin le guide et Levi se laisse faire. Il goûte sur les lèvres du capitaine toute l'euphorie que lui procure cet instant. Erwin l'embrasse avec emportement, comme s'il avait peur que Levi disparaisse, comme s'il craignait que ce soit la dernière fois qu'il s'offre à lui de cette manière. Levi s'agrippe avec force à sa chemise pour lui faire comprendre qu'il n'est pas près de l'abandonner à nouveau.
Il se détache d'Erwin et s'écarte pour l'admirer. Les traits du capitaine sont agités. Il cligne trop souvent des yeux. L'émotion qu'il lit sur son visage touche Levi. Il l'embrasse à nouveau. Encore. Et encore. Il sent leurs baisers vibrer dans tout son corps. Il pourrait rester comme ça, dans ses bras, pendant des heures. Il s'en veut presque d'avoir autant attendu avant d'enfin s'accorder cette tendresse.
Leur étreinte se fait de plus en plus pressante. Erwin entrouvre les lèvres comme une invitation. Levi l'accepte volontiers et glisse sa langue sur la sienne. Il sent dans ses baisers combien Erwin le désire. Il change de position et enserre les hanches du capitaine entre ses cuisses. Ce dernier passe les mains sous ses fesses et le soulève de la table avec une facilité presque offensante. Son regard pose à Levi une question silencieuse. Levi hoche imperceptiblement la tête. Erwin l'embrasse à nouveau et le porte jusque dans sa chambre.
Il s'assoit sur le bord du matelas et Levi le pousse en arrière pour qu'il s'allonge sur le dos. À cheval sur Erwin, il quitte ses lèvres pour embrasser sa mâchoire, son cou, ses clavicules. Il a tellement envie de lui. Le désir lui brûle les entrailles. Il veut lui prouver toute l'affection qu'il a pour lui, et il veut le faire avec son corps. Ses mains fébriles cherchent les boutons de la chemise du capitaine. Erwin lui saisit les poignets et les lui écarte. Levi lui lance un regard offensé.
— Doucement, murmure Erwin.
Il s'assoit à nouveau et embrasse Levi en lui tenant les poignets pour l'empêcher de le toucher. Levi se débat et transmet sa frustration à travers son baiser. Il n'y met pas toute sa force, sans quoi il n'aurait aucun mal à se libérer. Au fond, peut-être qu'il aime qu'Erwin impose ses règles. Il est légèrement essoufflé quand le capitaine se sépare à nouveau de lui pour plonger ses yeux dans les siens.
— Ce soir, c'est moi qui donne le tempo, déclare Erwin.
Levi hoche la tête pour signifier qu'il a compris et qu'il accepte. Erwin hésite, considère longuement Levi, puis reprend :
— Et j'aimerais que ce soit toi qui…
Il s'interrompt. Les battements du cœur de Levi pulsent à travers tout son corps.
— Tu veux que ce soit moi qui te baise ?
Erwin grimace. Ce n'est sans doute pas comme ça qu'il l'a formulé dans son esprit. Les lèvres de Levi esquissent un demi-sourire attendri.
— Ok.
Il l'embrasse à nouveau pour appuyer sa réponse. Mais Erwin n'a pas fini de parler.
— Levi… je veux qu'on aille doucement, d'accord ?
— C'est toi qui donne le tempo, le rassure Levi.
La confiance que lui accorde Erwin, après leurs expériences passées, lui donne le vertige. Il a envie de lui prouver qu'il en est digne. Erwin lui libère enfin les poignets.
— Déshabille-toi, ordonne-t-il.
Levi retire sa chemise. Le regard d'Erwin brille d'une admiration qui lui fait ressentir une étrange pudeur. Il n'a pas l'habitude de voir autre chose que de l'avidité dans le regard de ses partenaires. Il s'en est accommodé parce que pour lui, c'est de cette manière que se traduit l'intérêt des autres hommes. Erwin pose l'index entre ses clavicules et trace une ligne jusqu'à son nombril, en passant sur la cicatrice de la blessure qui a failli lui coûter la vie. La peau de Levi frémit au passage de son doigt.
Erwin retire à son tour sa chemise pendant que Levi se débarrasse de son pantalon. Erwin l'embrasse à nouveau. Leurs bouches avides refusent de se séparer trop longtemps, comme si elles devaient rattraper le temps perdu. Levi retient un gémissement quand Erwin saisit son sexe déjà dur et commence à le caresser.
— Tu as le droit de gémir, lui murmure Erwin à l'oreille.
Levi prend une inspiration saccadée. Il a appris à rester discret pendant le sexe, parce qu'il l'a si souvent fait dans des arrières-salles, des cours intérieures, des recoins isolés où ils devaient éviter d'attirer l'attention. Il a aussi pris l'habitude de ne pas s'abandonner à ses partenaires au point d'exprimer à voix haute le plaisir qu'ils lui procurent. Il est toujours resté dans le contrôle de lui-même car il ne laisse personne le posséder, il ne laisse personne prendre l'ascendant sur lui, quel que soit l'endroit et la position dans laquelle ils se trouvent. Erwin ignore tout ça, et interprète son silence comme une marque de timidité.
— Fais comme tu veux. Mais je te préviens, je compte gémir… très fort…
— Putain, Erwin !
Erwin rit. Levi écarte de son esprit le souvenir déplaisant de ses expériences passées et se concentre sur l'homme magnifique qu'il tient entre ses cuisses. Il entreprend de lui retirer son pantalon.
Quand Levi veut reprendre sa position sur lui, Erwin le retourne d'un mouvement ferme et le plaque dos à lui. D'une main, il recommence à le caresser et de l'autre, il le bloque contre son torse dans une étreinte possessive. Levi se cambre et s'agrippe au bras qui lui barre la poitrine. Il ne veut plus qu'Erwin le lâche. Le capitaine dépose une ligne de baisers de sa nuque jusqu'à son épaule. Les mouvements lents de sa main autour de Levi le mettent à la torture. Ses fesses frottent contre l'érection d'Erwin.
— Laisse-moi te sucer, exige-t-il.
— Non.
— Alors mets-la moi !
— Non. Ce n'est pas ce qu'on a convenu.
— Accélère, au moins, merde !
— Comme ça ? demande le capitaine avec une accélération paresseuse.
— Putain, Erwin, tu veux me faire crever ou quoi ?
Levi renverse sa tête sur l'épaule d'Erwin pour le fusiller du regard et l'autorise à le capturer dans un baiser. Il se sent entièrement à sa merci. Son corps se rebelle, se cabre contre lui pour exiger plus de plaisir, mais il veut qu'Erwin résiste et continue à tester les limites de sa patience. La peau de son dos fusionne avec le corps brûlant du capitaine.
Erwin accélère enfin. Une boule de plaisir se forme dans le bas-ventre de Levi. Sa tête bascule en avant et expose sa nuque à Erwin qui la couvre aussitôt de baisers. Il tremble. Il a l'impression d'avoir attendu ce moment pendant des siècles. Il a tellement envie d'Erwin qu'il va se consumer de désir.
— Arrête !
Erwin obéit. Sa main s'immobilise autour de lui. Levi la repousse et se retourne dans les bras du capitaine.
— J'ai... jamais eu... autant envie de baiser quelqu'un ! grogne-t-il avec colère, comme si Erwin était coupable de cet affront.
— Je suis très honoré, dit Erwin avec un sourire taquin.
— Arrête de parler comme ça au pieu, ça me fait péter un câble.
— Parler comment ? demande le capitaine, incrédule.
— Comme un aristo !
— Ah.
Il dépose un rapide baiser sur sa bouche, comme pour chasser son irritation. Levi reconnaît qu'il n'est pas loin de réussir. Erwin pince les lèvres pour résister à l'envie de poser la question qui le taraude encore, puis il ne peut s'en empêcher :
— Mais « péter un câble » dans quel sens ?
Levi sait qu'il joue avec ses nerfs. Il n'en a pas moins envie de lui écarter les cuisses et de le posséder sauvagement. Il est à deux doigts de rompre la promesse qu'il a faite quelques minutes plus tôt. Il veut tout. Tout de suite. Erwin doit le lire dans ses yeux.
— Je suis tout à toi, Levi, murmure-t-il.
Il ondule lascivement les hanches sans même s'en rendre compte. Levi répond par une flopée de jurons et rampe jusqu'au tiroir de la table de chevet pour en tirer la bouteille d'huile lubrifiante.
Erwin se retourne sur le ventre.
— Même pas en rêve, grogne Levi. Je veux te voir.
Erwin roule à nouveau sur dos et observe Levi tandis qu'il verse un peu de liquide visqueux sur ses doigts. Levi croit voir une étincelle d'appréhension furtive passer dans son regard. Il n'est pas sûr qu'Erwin se soit déjà trouvé dans cette position. Il se penche vers lui et dépose sur ses lèvres un long baiser pour lui faire comprendre que tout va bien se passer. Qu'il peut lui faire confiance.
Erwin écarte les jambes. Levi s'agenouille entre et commence à le caresser. Ils ne se quittent pas des yeux. Quand Erwin lui fait signe, il introduit un doigt en lui, puis deux, puis trois. Le capitaine réagit à chaque fois en se contractant autour de lui. Levi bouge lentement, le temps qu'il s'habitue à sa présence. Il courbe l'index pour chercher le point sensible en lui. Erwin lâche un râle sonore et se cambre quand il le trouve.
Il y a quelque chose d'immensément gratifiant à avoir un partenaire aussi expressif. Levi en veut plus. Il veut entendre ses gémissements indécents, il veut voir son corps se cambrer, ses poings s'agripper aux draps, ses muscles se bander de plaisir.
N'y tenant plus, il se penche en avant et prend son sexe dans sa bouche. Erwin est parcouru d'un soubresaut qui surprend son partenaire. Il a à peine commencé à le sucer que le capitaine le repousse.
— Tu vas beaucoup trop vite, Levi.
— Ah bon ?
Levi est interloqué. Il a vraiment l'impression de prendre son temps, au contraire. Il le prend d'ailleurs tellement qu'il commence à avoir mal à force d'ignorer sa propre érection.
— Non, ce n'est pas vraiment ça, rectifie Erwin après s'être accordé quelques secondes pour reprendre ses esprits. C'est que c'est… trop d'un coup… je…
Il exhale lentement. Levi comprend où il veut en venir. Il a peur de finir avant même qu'ils aient commencé. Il sourit. Cette version lui convient beaucoup mieux.
— Je peux te la mettre ?
— Comment résister à la poésie d'une telle proposition ?
— Je peux continuer à te sucer, si tu préfères.
Erwin grogne et positionne son bassin de manière à ce que Levi ne puisse pas avoir de doute sur ce qu'il attend de lui.
Levi aurait bien continué avec sa bouche, mais il sait qu'il aura d'autres occasions d'y revenir. Il place les mollets d'Erwin sur ses épaules pour se donner un angle satisfaisant et le pénètre lentement. Le corps d'Erwin résiste et s'arque alors qu'il est à peine à mi-chemin. Il se serre autour de lui.
— Ça va ? s'inquiète Levi.
— Oui oui. Encore.
Il continue à s'enfoncer en lui. Erwin pousse un grognement sonore qui envoie un frisson dans tout le corps de Levi. Il sent que son partenaire va finir par lâcher prise, et cette perspective l'excite au plus haut point. Depuis qu'ils se sont rencontrés, il veut voir Erwin lâcher un peu de ce contrôle qu'il exerce en permanence sur lui-même. Il a tout essayé. La provocation, les insultes, la séduction outrancière. S'il avait su qu'il suffisait de quelques centimètres de queue pour que sa prestance s'effrite...
Une fois qu'il est complètement en lui, il lui laisse le temps de s'habituer. Son corps brûle de l'excitation de se retrouver ainsi connecté au capitaine, d'atteindre ce niveau d'intimité avec lui. Il a enfin l'impression de tenir son plaisir entre ses mains. Il a hâte. Il va le faire gémir si fort qu'ils vont l'entendre dans tout l'immeuble. Erwin finit par se détendre autour de lui.
— Vas-y. Petit à petit.
— Tu me dis si je te fais mal, ok ?
Levi commence les va-et-vient progressifs. La pression du capitaine autour de lui le fait haleter. Celui-ci gémit, les yeux clos, concentré sur les sensations qu'il lui procure. Il y a un tel fossé entre l'homme qui le prend en lui et le capitaine de police austère qu'il prétend être, que Levi se sent grimper beaucoup trop vite. Il le revoit quelques heures plus tôt en train de se confronter à ses supérieurs pour le défendre. Il est obligé de ralentir temporairement pour faire redescendre la chaleur qui se répand en lui à une vitesse fulgurante.
Progressivement, ses mouvements prennent de l'ampleur et de la profondeur. Des gouttes de sueur perlent sur son front. Erwin pousse un gémissement obscène à chaque coup de rein.
— Regarde-moi, ordonne Levi. Je veux voir tes yeux.
Erwin ouvre les yeux et accroche son regard au sien.
— Parfait. Continue à gémir pour moi.
À cause de leur différence de taille, Levi ne peut pas l'embrasser, mais il en crève d'envie. Il est magnifique, les joues rougies par l'effort et le plaisir. Il change légèrement d'angle et Erwin réagit avec une exclamation étouffée.
— Tu aimes ça ?
— Plus fort, halète Erwin.
— Je t'ai posé une question.
— Ou… oui. Ah !
Levi attend qu'il réponde pour augmenter la puissance de ses mouvements. Le lit grince sous eux. Erwin gémit encore et encore, une main à plat contre la tête de son lit pour s'empêcher de cogner contre à chaque fois que Levi s'enfonce en lui. Le boucan qu'ils font dépasse depuis longtemps les limites de la décence.
Levi tend la main et leurs doigts s'entremêlent sur le ventre d'Erwin. La chaleur qui bout dans ses entrailles est prête à exploser.
Il tombe en avant, une main de chaque côté du torse d'Erwin. Celui-ci noue aussitôt ses jambes autour de sa taille pour lui donner un angle favorable. Dans cette position, il peut augmenter encore la puissance de ses hanches. Erwin l'encourage en accompagnant ses mouvements. Il en demande toujours plus. Levi continue à plonger en lui à un rythme soutenu.
Soudain, il bascule dans l'orgasme. Il a à peine le temps de prévenir Erwin. La chaleur de son ventre l'engloutit tout entier et sa vue se brouille. Il se retire juste à temps et vient sur le ventre d'Erwin. D'une main fébrile, il se guide lui-même à travers les vagues de plaisir qui le submergent. Il n'a jamais rien connu d'aussi puissant. Il se sent ivre. Quand sa vue s'éclaircit enfin, il a du mal à tenir à genoux.
Allongé sur le dos, les mains agrippées à la tête du lit, les jambes toujours écartées avec abandon, Erwin le regarde avec tendresse. Comme si l'orgasme de Levi était le plus beau spectacle qu'il pouvait lui offrir.
Levi se reprend. Il ne peut pas laisser son partenaire comme ça. Il décide de finir ce qu'il a commencé un peu plus tôt avec sa bouche.
Erwin se cambre quand il le prend entre ses lèvres, mais il lui maintient les hanches solidement plaquées contre le matelas jusqu'à ce qu'il jouisse avec un juron si sale que Levi manque de perdre le rythme. Il le laisse venir dans sa bouche. Puis il se laisse tomber à côté de lui avec un profond soupir de satisfaction.
Ils restent un moment étendus l'un à côté de l'autre, le souffle court, encore sonnés. Maintenant qu'il émerge des brumes de son orgasme, Levi n'est pas sûr de ce qu'il est censé faire. Il ne s'est pas souvent retrouvé dans ce genre de situation. Est-ce qu'il peut se blottir dans ses bras ? Ou est-ce qu'Erwin veut qu'il le laisse tranquille, maintenant ? Est-ce qu'il peut l'embrasser alors qu'il a encore la bouche pleine de foutre ? Les fois précédentes, il…
Il ferme les yeux, submergé par la honte. Les fois précédentes, il a ressenti surtout de la solitude et de la frustration. Et beaucoup de colère. Levi chasse ces souvenirs douloureux de son esprit. Il veut que ce qu'ils viennent de partager ce soir efface de son esprit ses erreurs passées.
Erwin coupe court à ses tergiversations en le ramenant contre lui et en lui offrant un long baiser. Levi veut lui demander si tout va bien, mais les mots se coincent dans sa gorge.
Il se lève et va chercher une serviette humide dans la salle de bain pour essuyer le ventre d'Erwin. Là, il s'accorde un moment pour reprendre ses esprits, penché au-dessus de lavabo. Erwin est prêt à lui donner le réconfort qu'il recherche, il se sait. Il est en train de lui tendre la main. Levi n'a rien d'autre à faire que la saisir. C'est presque trop simple. Il ne mérite pas ça.
— Levi ? Tout va bien ? fait la voix d'Erwin depuis la pièce d'à côté.
Levi s'arrache à ses pensées et retourne dans la chambre.
Erwin lui fait signe de le rejoindre. Levi s'agenouille près de lui et nettoie les restes de son orgasme sur sa peau. Ils sont suants au point que leurs cheveux trempés collent sur leurs fronts. Ils mériteraient un bon bain. Levi est partagé, mais il préfère finalement profiter du sentiment de quiétude que lui offre l'étreinte d'Erwin. Il s'allonge contre lui, entremêle leurs jambes et le laisse le serrer dans ses bras. Erwin, sur le point de s'endormir, le couvre de baisers somnolents. Levi, de son côté, est encore trop bouleversé pour s'abandonner au sommeil.
Erwin s'endort et Levi le regarde dormir. Il a soudain envie de pleurer. Tout est trop brutal, trop intense, il ne sait pas comment gérer le flot d'émotions qui l'assaille. La logique voudrait qu'il déteste Erwin ou au moins qu'il se méfie de lui, et pourtant il ressent, enraciné au plus profond de son être, un attachement puissant pour lui. Il ne comprend pas pourquoi. Il ne comprend pas ce qui lui arrive. Il sait juste que quoi qu'il advienne, il le protégera. De tout, y compris de lui-même. Et il comprend que pour le protéger, il a besoin de rester auprès de lui.
Il a essayé à plusieurs reprises de rompre ce lien entre eux, d'y résister, de le nier. À chaque fois, ils se sont retrouvés, ils ont été ramenés l'un à l'autre. Alors, ce soir, dans les bras d'Erwin, il décide enfin de l'accepter et de s'accorder assez de temps pour voir ce qu'ils peuvent construire ensemble.
Erwin se retourne dans son sommeil. Levi en profite pour se blottir contre son dos et enlacer sa taille d'un bras possessif. Apaisé et satisfait, il s'endort à son tour.
